LA RÉVOLUTION ET L'ÉGLISE

 

CHAPITRE PREMIER. — LES PHILOSOPHES ET LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT.

 

 

Ce que les philosophes du XVIIIe siècle pensaient des rapports de l'Église et de l'État. — Opinions de Montesquieu. — Voltaire. — D'Holbach. — Helvétius. — Le curé Meslier. — Rousseau. — L'abbé Raynal. — Mably. — Turgot. — Condorcet. — Anticléricalisme mais non antireligion. — Mise en pratique de ces idées par les hommes de la Révolution. — Tentative pour absorber l'Église dans l'État et unir les deux puissances dans un même culte. — Nos idées modernes de neutralité et de laïcité inconnues.

 

Il y a encore des historiens qui s'étonnent que la Révolution n'ait pas proclamé dès le premier jour la Séparation des Églises et de l'État. Ces historiens se scandalisent de « l'énorme erreur » de la Constitution civile du clergé. Ils déplorent l'erreur, plus énorme encore, des cultes révolutionnaires. Ils méconnaissent le véritable caractère de la Séparation accomplie par la Convention et ils regrettent que la Constituante n'ait pas recouru à cette solution radicale. Bref, ils ne peuvent parvenir à s'expliquer la politique religieuse de la Révolution, car on ne s'étonne pas, on ne s'indigne pas de ce qu'on s'explique.

Leur erreur provient d'un faux point de départ.

Ils ont admis, sans examen, que les hommes de 89 étaient détachés de toute idée religieuse et résolus à faire triompher dans la loi un prétendu idéal de laïcité et de neutralité qui n'était pas de leur temps.

S'ils avaient mieux connu les hommes du XVIIIe siècle, s'ils ne les avaient pas lus à travers le prisme de leurs pensées et de leurs passions contemporaines, la politique des révolutionnaires leur aurait paru logique et claire, et leurs surprises, leurs condamnations se seraient arrêtées au bout de leur plume.

Comment les philosophes, dont les révolutionnaires furent les fils intellectuels, ont-ils donc conçu les rapports de l'Église et de l'État ? Les révolutionnaires ont-ils été infidèles à leurs enseignements ou se sont-ils bornés à suivre leurs conseils ? La réponse à la première question nous donnera la réponse à a seconde.

Nous ne serons jamais assez reconnaissants à la génération des philosophes de ce qu'ils ont fait pour affranchir l'esprit humain des croyances superstitieuses et la société civile des tyrannies sacerdotales. Mais ce n'est pas diminuer le mérite de ces grands bienfaiteurs que de refuser de les considérer comme des négateurs systématiques de l'idée et de l'institution religieuses. Anticléricaux, ils le furent abondamment, irréligieux très rarement, désireux de faire passer leur irréligion dans les lois, jamais. Tous, à des degrés divers, mais sous des formes voisines, tous firent profession de croire à la nécessité d'une religion pour la société, pour le peuple, même ceux qui étaient de purs mécanistes en philosophie, même les athées. Aucun de ceux, assez rares, qui estimaient la religion mauvaise en soi n'a formulé cette espérance, exprimé ce désir : la Séparation de l'Église et de l'État. Aucun, à ma connaissance, ne crut immédiatement possible ni souhaitable l'organisation d'un État neutre, indifférent aux dogmes, à tous les dogmes, comme aux pratiques cultuelles.

Aucun n'eut l'idée de reléguer complètement la religion dans la catégorie de ces choses privées dont la société n'a pas à s'occuper et qui doivent échapper par leur nature à son contrôle. Aucun n'a donné à ses compatriotes le conseil de rompre sur-le-champ avec le catholicisme et de lui enlever tout caractère officiel.

Montesquieu a criblé d'épigrammes le clergé de son temps dans l'Esprit des Lois comme dans les Lettres persanes.

Il a dénoncé l'oisiveté des moines, mis en relief les dangers de la mainmorte : « Les dervis, écrit son Persan, ont en leurs mains presque toutes les richesses de l'État ; c'est une société de gens avares, qui prennent toujours et ne rendent jamais. Ils accumulent sans cesse les revenus pour acquérir des capitaux. Tant de richesses tombent, pour ainsi dire, en paralysie ; plus de circulation, plus de commerce, plus d'arts, plus de manufactures[1]. » Il veut que les biens d'Église paient l'impôt comme les biens des simples particuliers et que des bornes soient mises à leur accroissement[2]. Il flétrit l'Inquisition à maintes reprises, notamment dans sa spirituelle « très humble remontrance aux Inquisiteurs d'Espagne et de Portugal[3] ». Il a plaidé éloquemment la cause de la tolérance, mais il n'a même pas demandé la liberté et l'égalité de tous les cultes : « Comme il n'y a guère que les religions intolérantes, dit-il, qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation, ce sera une très bonne loi civile, lorsque l'État est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre[4].

« Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maître de recevoir dans un État une nouvelle religion ou de ne pas la recevoir, il ne faut pas l'y établir ; quanti elle y est établie, il faut la tolérer[5]. »

On sent déjà percer sous ces conseils politiques un certain scepticisme, pour ne pas dire un certain dédain, sur les mérites réciproques des religions. Fidèle à sa théorie des climats, ne considère-t-il pas les religions en quelque manière comme un produit des conditions naturelles ? La métempsycose, explique-t-il, est faite pour le climat des Indes, car l'excessive chaleur fait mourir le bétail qui disparaîtrait, n'était la loi religieuse qui le conserve[6]. « Athènes avait dans son sein une multitude innombrable de peuples ; son territoire était stérile, ce fut une maxime religieuse que ceux qui offraient aux dieux de certains petits présents les honoraient plus que ceux qui immolaient des bœufs[7]. » A part ces différences, qui tiennent au pays où elles sont nées, toutes les religions se valent ou à peu près pour Montesquieu. Leur efficacité morale et sociale est équivalente, car il ne doute pas de cette efficacité, il en doute si peu qu'il réfute longuement le paradoxe de Bayle, qui avait prétendu prouver, dans ses Pensées sur la Comète, « qu'il valait mieux être athée qu'idolâtre, c'est-à -dire, en d'autres termes, qu'il est moins dangereux de n'avoir point du tout de religion que d'en avoir une mauvaise ». « C'est mal raisonner contre la religion, dit Montesquieu, de rassembler dans un grand ouvrage une longue énumération des maux qu'elle a produits, si l'on ne fait de même celle des biens qu'elle a faits. Si je voulais raconter tous les maux qu'ont produits dans le monde les lois civiles, la monarchie, le gouvernement républicain, je dirais des choses effroyables[8]. » « La religion même fausse, ajoute-t-il encore, est le meilleur garant que les hommes puissent avoir de la probité des hommes[9]. » L'utilité de la religion, même mensongère, réside dans ce fait qu'elle facilite l'application des lois civiles. Une société n'est tranquille et prospère que si les lois civiles et les lois religieuses sont en harmonie mutuelle. « Les dogmes les plus vrais et les plus saints peuvent avoir de très mauvaises conséquences lorsqu'on ne les lie pas avec les principes de la société, et, au contraire, les dogmes les plus faux en peuvent avoir d'admirables, lorsqu'on fait qu'ils se rapportent aux mêmes principes[10]. »

Loin de songer à séparer l'Église de l'État, Montesquieu songe donc à les rapprocher et même à les lier plus étroitement. Mais, dans l'attelage harmonieux qu'il rêve, il donne la direction à l'État.

C'est déjà subordonner la religion à la société que de ne lui reconnaître d'autre utilité qu'une utilité sociale. Montesquieu précise qu'en cas de désaccord entre les lois naturelles et les lois religieuses, les lois naturelles doivent l'emporter[11]. Il établit longuement l'indépendance du droit civil à l'égard du droit canon[12]. Il veut que le mariage soit entouré de garanties civiles, garanties qui font défaut au sacrement[13], etc.

En somme si Montesquieu, en bon magistrat français qu'il était, tient fermement à la suprématie du pouvoir civil, il est à cent lieues de l'idée de l'État laïque et neutre, puisqu'il veut conclure une alliance de raison entre l'État et le catholicisme[14].

Voltaire, plus agressif dans ses attaques contre l'infâme, n'est pas au fond plus hardi dans ses conclusions, il crible de railleries méprisantes les religions positives fondées sur la révélation et les mystères. Il voit dans tout fondateur de religion un charlatan, dans tout prêtre un hypocrite ou un imbécile. Mais il n'exporte pas son incrédulité au-delà d'une certaine classe sociale. Il la réserve pour la noblesse et le clergé, pour la haute bourgeoisie, comme un luxe, comme un privilège d'esprit, comme le complément d'une éducation distinguée.

Plus encore que Montesquieu, il croit à la nécessité d'une religion pour le peuple et pour les enfants. Il fait bâtir une église clans ses terres de Ferney et grave au fronton cette inscription, où il traite Dieu d'égal à égal : Deo erexit Voltaire. Il suit régulièrement les offices, fait dévotement ses pâques afin d'édifier ses manants. Le catholicisme, qu'il raille au dessert, lui paraît une excellente religion de coffre-fort qu'il serait désolé de voir péricliter dans le respect des masses.

Lui aussi, il ne réclame que la tolérance pour les cultes dissidents. Il entend conserver au catholicisme son caractère de religion privilégiée. « Je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les places et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante[15]. »

Voici comment il conçoit les rapports qui doivent exister normalement entre l'État et l'Église : « Nous avons 'institué des prêtres afin qu'ils fussent uniquement ce qu'ils doivent être, des précepteurs de morale pour nos enfants. Ces précepteurs doivent être payés et considérés, mais ils ne doivent prétendre ni juridiction, ni inspection, ni honneurs ; ils ne doivent en aucun cas s'égaler à la magistrature. Une assemblée ecclésiastique qui présumerait de faire mettre à genoux un citoyen devant elle, jouerait le rôle d'un pédant qui corrige des enfants ou d'un tyran qui punit des esclaves. C'est insulter la raison et les lois de prononcer ces mots : gouvernement civil et ecclésiastique. Il faut dire gouvernement civil et règlements ecclésiastiques et aucun de ces règlements ne doit être fait que par la puissance civile[16]. » En un mot, l'Église doit être l'humble servante de l'État.

« Il ne doit pas y avoir deux puissances dans un État, dit-il encore ; on abuse de la distinction entre puissance spirituelle et puissance temporelle. Dans ma maison, reconnaît-on deux maîtres, moi, qui suis le père de famille, et le précepteur de mes enfants, à qui je donne des gages ? Je velu qu'on ait de très grands égards pour le précepteur de mes enfants ; mais je ne veux point du tout qu'il ait la moindre autorité dans ma maison[17]. »

On connaît les vers célèbres de la tragédie des Guèbres :

Que chacun dans sa loi cherche en paix la lumière,

Mais la loi de l'État est toujours la première.

En un mot, tolérance pour les cultes, mais subordination étroite des cultes à l'État, voilà le programme de Voltaire[18]. L'État devra surveiller, réformer, épurer la religion. Les couvents seront réduits, la mainmorte paiera l'impôt, les prêtres seront utilisés dans l'intérêt général, par exemple pour propager la vaccine ou la culture de la pomme de terre. Les magistrats ne leur permettront d'enseigner que des choses raisonnables ou des mystères déraisonnables socialement utiles. « La religion n'est instituée que pour maintenir les hommes dans l'ordre[19]. »

La pensée de Voltaire a été la pensée du siècle. Aucune autre ne la contredit. Elle a pénétré toutes les intelligences. Elle règne sans conteste.

Ouvrons les livres des écrivains les plus audacieux, de ceux même que Voltaire trouvait trop avancés, le Système de la Nature, ou le Système social, ou la Contagion sacrée de d'Holbach, l'Esprit ou l'Homme d'Helvétius.

D'Holbach définit le Sacerdoce « une ligue formée par quelques imposteurs contre la liberté, le bonheur et le repos du genre humain[20]. » Ne concluez pas qu'il faille supprimer au plus vite une institution aussi horrible. D'Holbach est un politique modéré, ennemi des solutions intransigeantes[21]. Une réforme de l'éducation lui suffit. L'État laissera subsister la ligue des imposteurs, mais instituera à côté ce que d'Holbach appelle une censure morale, sorte d'Église officielle qui dressera les hommes à la vertu par un ensemble de peines et de récompenses réelles et non plus fictives. « Par-là, le magistrat deviendrait un prêtre utile et le législateur exercerait un sacerdoce bien plus avantageux aux nations que celui qui, sous prétexte de les conduire au salut, ne les repaît que de vaines chimères et ne leur enseigne que de fausses vertus[22]. » Une religion raisonnable à opposer à une religion pernicieuse, voilà la-solution de d'Holbach. Il ne parvient pas à concevoir une société sans dogmes et sans prêtres d'aucune sorte.

Helvétius, si on en croit son dernier biographe, aurait été une exception au milieu des autres philosophes. Il aurait « préconisé l'éducation laïque, l'éducation nationale et la séparation de l'Église et de l'État, nécessaires au bien-être du pays[23]. » M. Albert Keim est ici tombé dans l'erreur commune. Il a prêté à Helvétius nos idées d'aujourd'hui. Oui, Helvétius, comme d'Holbach, considère toutes les religions existantes comme foncièrement nuisibles. Mais voici sa conclusion : « Nul empire, dit-il, ne peut être gouverné sagement par deux pouvoirs suprêmes et indépendants. Il est impossible de faire concourir les deux puissances spirituelle et temporelle au même objet, c'est-à-dire au bien public. » Cela n'est pas, tant s'en faut, d'une « politique très moderne[24] », c'est au contraire d'une politique très ancienne, puisque cela procède de la vieille conception unitaire de l'État antique. C'est la négation de la liberté religieuse et de la neutralité de l'État. Ce point de vue est à l'opposé de la séparation de l'Église et de l'État.

M. Albert Keim se corrige lui-même à un autre endroit de son livre, quand il écrit : « A noter qu'Helvétius admet comme une sorte de religion d'excellentes lois, œuvres de l'expérience et d'une raison éclairée. Le culte le plus agréable à la divinité, dit-il, est l'observation de telles lois.... Ce texte, comme celui des Noies de la main d'Helvétius, montre bien qu'Helvétius n'est point un de ces libres penseurs forcenés qui condamnent a priori toute conception religieuse et jusqu'au mot de Dieu[25]. » Je le crois bien ! Cet ennemi des religions entendait donner à son État idéal le caractère religieux. Il ne supprimait pas la religion, il l'absorbait dans l'État. Mais, à peine moins prudent que d'Holbach, il reculait le plus loin possible cette absorption. Il distinguait, en attendant, la religion du Christ, douce et tolérante, dont il consentait à s'accommoder, de la religion des prêtres qu'il flétrissait comme une entreprise de discorde et de sang[26].

De tous les philosophes du XVIIIe siècle, l'un des plus originaux et des plus hardis, quoique des moins connus, est Jean Meslier, curé d'Étrépigny en Champagne[27], qui mourut en 1733 laissant un Testament, dont Voltaire édita en 1762 les extraits les plus saillants. Le Testament de Jean Meslier est, à sa date, un livre d'une audace effrayante. C'est certainement le plus parfait manuel de l'athéisme qui ait jamais été écrit. Une passion contenue, une résignation hautaine et désenchantée animent sa logique terrible et lui donnent comme une beauté farouche. Ici, plus de ménagements ni d'ornements superflus. L'auteur est près du peuple. Il n'a pas fréquenté les salons élégants. Il dit la vérité toute crue.

Eh bien ! j'ai cherché dans ce livre, l'un des plus impressionnants du siècle et de tous les siècles, une trace quelconque de l'idée de la séparation de l'Église et de l'État et je n'ai rien trouvé.

Meslier ne voit pas de différence entre la religion naturelle, la religion de Voltaire, et la superstition la plus sombre et la plus servile. « Si le théiste, dit-il, ne voit Dieu que du beau côté, le superstitieux l'envisage du côté le plus hideux. La folie de l'un est gaie, la folie de l'autre est lugubre. Mais tous deux sont également en délire[28]. » Meslier traite de supposition absurde l'existence de l'âme humaine, de supposition plus absurde encore l'existence d'une âme immortelle. Il fait de la morale chrétienne une critique formidable. Il conteste, avec des arguments très forts, cette prétendue vertu sociale des religions, tant vantée par Voltaire et par Montesquieu : « Les caresses d'une femme l'emportent tous les jours sur les menaces du Très-Haut. Une plaisanterie, un ridicule, un bon mot font plus d'impression sur l'homme du monde que toutes les notions graves de la religion, etc.[29]. » Vous dites que la religion est bonne pour le peuple, pourquoi donc ce peuple est-il donc si vicieux et si dépravé ?

Et pourtant, ce rude destructeur d'idoles est singulièrement timide et réservé dans ses conclusions pratiques. Ce plébéien ne croit pas ses vérités utiles à dire aux siens : « On demandera peut-être si l'athéisme raisonné peut convenir à la multitude. Je réponds que tout système qui demande de la discussion n'est pas fait pour la multitude... Les arguments d'un athée ne sont pas plus faits pour le vulgaire, qui jamais ne raisonne, que les systèmes d'un physicien, les observations d'un astronome, les expériences d'un chimiste, les calculs d'un géomètre, les recherches d'un médecin, les dessins d'un architecte, les plaidoyers d'un avocat, qui tous travaillent pour le peuple à son insu... Ce serait une entreprise folle que d'écrire pour le vulgaire, que de prétendre tout d'un coup le guérir de ses préjugés. On n'écrit que pour ceux qui lisent et qui raisonnent[30]. » A la bonne heure, Voltaire comprenait ce langage et on s'explique qu'il ait publié le Testament !

Le programme pratique de Meslier ne diffère pas essentiellement de celui de Voltaire. Il se résume en ces mots : utiliser les prêtres en leur faisant accomplir des tâches raisonnables « ... Entre les mains d'un gouvernement éclairé, les prêtres deviendraient les plus utiles des citoyens. Des hommes déjà richement stipendiés par l'État et dispensés du soin de pourvoir à leur propre subsistance, auraient-ils rien de mieux à faire que de s'instruire eux-mêmes, afin de se mettre en état de travailler à l'instruction des autres ?[31] »

Faire servir habilement les prêtres au progrès de la philosophie, tel était toute la politique du curé champenois. Elle ne risquait pas de conduire le siècle à la séparation de l'Église et de l'État.

M. Aulard s'est plu à opposer le prétendu christianisme de J.-J. Rousseau au déisme de Voltaire[32]. Il ne voit Rousseau qu'à travers Robespierre son élève, et il déteste Robespierre.

L'opposition est factice. Entre les idées religieuses de Voltaire et celles de Rousseau, la différence n'est pas dans le fond, mais dans la forme, dans l'accent. Voltaire -plus froid, plus utilitaire, Rousseau plus vibrant, plus sentimental, moins préoccupé de l'utilité sociale que du progrès moral de l'individu. J'ai beau relire la célèbre profession de foi du Vicaire Savoyard, je n'y trouve rien de spécifiquement chrétien. C'est d'ailleurs dans le non moins célèbre chapitre du Contrat social sur la religion civile qu'il faut aller chercher la pensée véritable de Rousseau et sa théorie des rapports de l'Église et de l'État.

Rousseau conçoit l'État comme une personne morale, comme une sorte de Providence. Le Contrat, qui lui donne l'existence, est saint. Saint, cela ne veut pas dire seulement obligatoire et impératif, mais digne d'un respect religieux comme une chose de nature à faire le bien de l'humanité.

Personne morale, l'État a des devoirs moraux à remplir. Le premier de ses devoirs est justement de préparer le bonheur de ses membres, le bonheur dans tous les sens du terme. La fin de l'État, c'est le bien commun. L'État est matière et instrument de bonheur comme la Religion. Son contrat constitutif est saint par définition, car si ce contrat n'était pas saint, c'est-à-dire conforme à la loi morale, expression définitive du bonheur commun, il ne pourrait pas donner naissance à un État véritable, à un État légitime, à une personne morale.

Comment l'État remplira-t-il sa mission morale et providentielle ? Par la Loi. La Loi est le moyen par lequel l'État poursuit sa fin, qui est le bonheur commun. La Loi est par définition l'expression de la volonté générale, qui est elle-même identique à l'intérêt général. Les hommes, étant corrompus, sont incapables de comprendre leur véritable intérêt et, par suite, d'avoir une volonté générale conforme au bien commun, par suite encore de faire eux-mêmes la Loi. On aura donc recours à des hommes élevés par leur intelligence et leur moralité au-dessus de l'humanité, à des Législateurs qui prépareront dans le recueillement le Contrat social, la Constitution idéale, la Loi. « Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes » (livre II, chap. VII). « Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine... » (ibid.). Le Législateur proposera la Loi au peuple comme Moïse l'a proposée aux Hébreux — comme Rousseau l'a proposée aux Polonais et aux Corses —. Cette Loi portera en elle-même une telle force persuasive qu'elle sera non seulement adoptée par le peuple mais vénérée par lui, sinon à l'instar d'un don surnaturel, du moins comme l'expression « d'une raison sublime ».

Il n'y a pas de place dans une pareille conception de l'État pour des religions particulières. Rousseau regrette la séparation du système politique et du système religieux, résultat du triomphe du christianisme (livre IV, chap. III).

Comme Hobbes, il veut « réunir les deux têtes de l'aigle et tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais État ni gouvernement ne sera bien constitué ». Les Saint-Simoniens, Auguste Comte rêveront le même rêve.

Mais comment, dans la pratique, supprimer l'opposition des deux royaumes, du spirituel et du temporel, rendre à l'État les attributions morales dont l'Église l'a dépouillé ? Rousseau répond : par la religion civile. Il ne s'agit pas du tout de constituer de toutes pièces une religion nouvelle. Nullement.

La religion civile de Rousseau n'est pas à créer, elle a toujours existé, elle est aussi ancienne que l'humanité, elle est le fond commun de toutes les religions et de toutes les sociétés. Une société ne peut pas vivre sans un minimum de postulats acceptés comme d'instinct par tous ses membres, et c'est là, pour le dire en passant, une vue très profonde. Pour établir la religion civile qui donnera à l'État la force morale qui lui est nécessaire, le Législateur n'aura qu'à dégager de la masse des superstitions et des préjugés qui les ont recouverts, ces quelques postulats simples, indiscutables qu'on retrouve à la base de l'humanité : « l'existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du Contrat social et des lois... ».

Rousseau espère bien, sans qu'il le dise ouvertement, que cette religion civile ou naturelle supplantera, peu à peu, en les rendant inutiles, les religions positives, toutes inciviles. Son État est à la fois religieux par la mission morale qui est sa raison d'être, et anti-religieux par son action nécessaire, quoique tolérante, contre les anciens cultes qui sont autant d'obstacles à l'accomplissement de sa mission.

Si cette interprétation du Contrat social est valable on comprend mieux, ce me semble, la place de la religion civile dans l'ensemble du système. La Loi est la volonté générale, dit Rousseau, mais pour que la Loi soit réellement la volonté générale, pour qu'elle n'opprime pas les individus, il faut qu'elle soit, autant que possible, acceptée par eux tous librement et sciemment. Comment en sera-t-il ainsi s'il n'y a pas accord préalable entre eux sur les principes mêmes de la société ? Tout se tient donc logiquement dans cette conception. Ôtez la religion civile à l'État de Rousseau et vous lui enlevez du même coup la possibilité, l'être.

Cette conception de l'État n'était ni originale ni singulière en son temps. Tous les philosophes du xviii' siècle l'ont admise plus ou moins implicitement, tous ont cru que la Loi pouvait et devait être un instrument de bonheur, tous ont proclamé que l'État avait une mission morale à remplir. De quel droit auraient-ils mis l'Église sous la surveillance de l'État, s'ils n'avaient pas attribué à ce dernier un idéal supérieur[33] ?

Écoutons, pour finir, l'abbé Raynal, l'auteur violemment anticlérical de l'Histoire philosophique des deux Indes, livre aujourd'hui bien oublié, mais dont le succès fut immense à son apparition.

En formules d'une netteté saisissante, Raynal a résumé et systématisé la pensée du siècle :

« L'État, ce me semble, n'est point fait pour la religion, mais la religion est faite pour l'État. Premier principe.

« L'intérêt général est la règle de tout ce qui doit subsister dans l'État. Second principe.

« Le peuple, ou l'autorité souveraine dépositaire de la sienne, a seul le droit de juger de la conformité de quelque institution que ce soit avec l'intérêt général. Troisième principe.

« Ces trois principes me paraissent d'une évidence incontestable, et les propositions qui suivent n'en sont que des corollaires.

« C'est donc à cette autorité et à cette autorité seule qu'il appartient d'examiner les dogmes et la discipline d'une religion ; les dogmes, pour s'assurer si, contraires au sens commun, ils n'exposeraient point la tranquillité à des troubles d'autant plus dangereux que les idées d'un bonheur à venir s'y compliqueront avec le zèle pour la gloire de Dieu et la soumission à des vérités qu'on regardera comme révélées ; la discipline, pour voir si elle ne choque pas les mœurs régnantes, n'éteint pas l'esprit patriotique, n'affaiblit pas le courage, ne dégoûte point de l'industrie, du mariage et des affaires publiques, ne nuit pas à la sociabilité, n'inspire pas le fanatisme et l'intolérance, ne sème point la division entre les proches de la même famille, entre les familles de la même cité, entre les cités du même royaume, entre les différents royaumes de la terre, ne diminue point le respect dû au souverain et aux magistrats, et ne prêche ni des maximes d'une austérité qui attriste, ni des conseils qui mènent à la folie.

« Cette autorité, et cette autorité seule peut donc proscrire le culte établi, en adopter un nouveau, ou même se passer de culte, si cela lui convient. La forme générale du gouvernement en étant toujours au premier instant de son adoption, comment la religion pourrait-elle prescrire par sa durée ?

« L'État a la suprématie en tout. La distinction d'une puissance temporelle et d'une puissance spirituelle est une absurdité palpable : et il ne peut y avoir qu'une seule et unique juridiction, partout où il ne convient qu'à l'utilité publique d'ordonner ou de défendre...

« Point d'autre concile que l'assemblée des ministres du souverain. Quand les administrateurs de l'État sont assemblés, l'Église est assemblée. Quand l'État a prononcé, l'Église n'a plus rien à dire.

« Point d'autres canons que les édits des princes et les arrêts des cours de judicature[34]. »

Sans doute la logique un peu sèche de l'abbé Raynal conduit par ses conséquences extrêmes à l'État laïque, mais elle ne conduit pas à l'État neutre et moins encore à la séparation de l'Église et de l'État. Elle conduit immédiatement à l'asservissement de l'Église, dans le lointain à la suppression de l'Église.

De cette revue rapide des principaux philosophes du XVIIIe siècle me paraît résulter cette conclusion remarquable. C'est que, malgré les divergences qui les séparent, ils s'entendent sur une conception commune. Tous sont persuadés qu'il peut exister une science politique et sociale, autrement dit que la raison humaine est capable de construire et de réaliser cette société idéale, juste et fraternelle, qu'ils appellent du nom de Patrie, nom magique qui leur sert de mot de ralliement, nom magique que les révolutionnaires adoreront à la lettre. Tous croient avec l'abbé de Saint-Pierre, qui ne fut pas aussi original en son temps qu'on l'a dit, que l'État a une mission Comme la Religion, celle d'assurer le bonheur terrestre, celle de faire régner de nouveau sur le globe l'âge d'or. L'abbé de Saint-Pierre demande la création d'une « Académie politique » pour former ces prêtres du bonheur social qui sont les bons législateurs, et cette Académie politique fait déjà songer au Conseil de Newton qu'imaginera un siècle plus tard le socialiste mystique Saint-Simon[35].

Tous ont la plus grande confiance dans la vertu des lois pour transformer les mœurs et conduire l’humanité à la régénération : « C'est le gouvernement qui fait les vertus et les vices des hommes, » écrit Voltaire[36] ; Helvétius dit de même : « C'est le bon législateur qui fait le bon citoyen[37] ». Mably considère que le législateur est proprement l'éducateur des sociétés et que sa tâche principale consiste à leur faire contracter de bonnes habitudes[38]. Pour Dupont (de Nemours), la loi a quelque chose de mystique. Elle participe à la justice éternelle. Les hommes ne la font pas, ils la « déclarent », comme l'expression de la raison suprême qui gouverne l'Univers[39], Turgot veut instituer une éducation d'État, animée d'un seul esprit et d'un esprit utile à la patrie[40]. Lui aussi est convaincu qu'une bonne Constitution fera le bonheur de la France.

Demandant beaucoup à l'État, le considérant comme une providence terrestre, les philosophes l'arment naturellement des pouvoirs les plus étendus et ils lui subordonnent la religion[41]. Ils réclament pour le Prince ou pour le Souverain, que cc souverain soit un homme ou une collectivité, non seulement le droit d'exiger du clergé le respect absolu des lois, de toutes les lois, mais encore le droit de contrôler jusqu'à l'enseignement de l'Église, jusqu'au dogme !

Ils sont des adversaires du catholicisme, qu'ils jugent anti-social, incivil, comme ils disent, mais ce ne sont pas des adversaires de l'idée religieuse. Même les plus rationalistes en apparence ne conçoivent pas un État sans religion, un État sans dogmes, au moins politiques et moraux, un État neutre, un État qui n'exigerait pas de tous ses membres la reconnaissance d'un credo.

Comprenons-nous maintenant pourquoi les hommes de 89 n'iront pas d'emblée à la solution de l'État laïque, à la séparation de l'Église et de l'État ?

En bons élèves des philosophes, ils essaieront d'abord de nationaliser le catholicisme, de le mettre au service de l'ordre nouveau. Cette tentative, c'est la Constitution civile du clergé, à laquelle auraient applaudi Montesquieu, Voltaire, tous les Encyclopédistes. Mais la constitution civile du clergé, qui faillit réussir, échoua pour des raisons diverses. Les révolutionnaires s'obstinent deux ans à la faire vivre et triompher. Ils refusent aux dissidents, restés fidèles à Rome, cette liberté et cette égalité des cultes qu'ils n'avaient pas inscrite dans leur déclaration des droits. Ils n'y avaient inscrit que la tolérance. Ils sont obligés cependant de se rendre à l'évidence et é la nécessité. Il leur est impossible d'imposer à toute la France leur catholicisme épuré. Leur déception se change en colère, quand ils s'aperçoivent que les prêtres jureurs eux-mêmes, que les prêtres de la Loi se montrent indociles à leurs directions. Ils décrètent alors la ruine de leur propre création. Ils enlèvent tout caractère officiel au clergé constitutionnel et le réduisent à son tour à se contenter de la tolérance. Ils cessent de le payer, le 2e jour sans-culottide an II (18 septembre 1794). Il semble qu'on puisse dater de ce jour-là le régime de la séparation de l'Église et de l'État. Sans doute, l'État fut ce jour-là séparé de l'ancienne Église, mais la séparation ainsi-accomplie ne fut qu'une séparation incomplète et boiteuse.

En abattant le catholicisme, les révolutionnaires n'ont pas renoncé à leur rêve d'unité morale et religieuse. Leur mentalité n'est pas devenue laïque. Au moment même où ils sécularisaient l'état civil, sous la pression de nécessités pratiques inéluctables, ils commençaient à organiser et à rendre officiel le culte de la patrie, éclos spontanément dans l'enthousiasme des Fédérations. Ce culte de la patrie grandit du même pas que déclinait le culte catholique constitutionnel. Quand celui-ci perdit son caractère de religion nationale, celui-là était adulte et apte à le remplacer. Le culte de la patrie durera autant que la séparation elle-même, à laquelle il est intimement lié, jusqu'au Concordat. Quels que soient les noms divers qu'on lui donne, culte de la Raison, culte de l'Être suprême, culte décadaire, il resta durant tout ce temps identique à lui-même, il fut essentiellement l'État culte et religion.

La politique religieuse de la Révolution française présente ainsi un double aspect, un aspect négatif, quand on la considère dans la guerre qu'elle fit aux anciennes Églises, un aspect positif, quand on l'examine dans ses nouvelles constructions cultuelles. Ces deux aspects sont aussi ceux de la philosophie du XVIIIe siècle.

Faute d'avoir compris cette philosophie, les historiens étrangers à l'esprit historique, le nombre en est plus grand qu'on ne pense, n'ont rien compris à l'histoire religieuse de la Révolution française. Ils l'ont tour à tour et parfois simultanément honnie et exaltée.

Dualité singulière de cette doctrine et de cette politique, dualité plus apparente que réelle. Ici et là se révèle la même mentalité. Philosophes et révolutionnaires ont été élevés par des prêtres, les seuls éducateurs d'alors, ne l'oublions pas ; leur formation est double, chrétienne et classique, catholique et antique. Ils ont vécu dans une société restée harmonique au moins dans ses principes. Ils ont construit leur cité future avec les éléments de la cité présente. Convaincus que la réforme politique et sociale ne pouvait se suffire à elle-même, ils voulurent la compléter par une réforme morale et religieuse correspondante. En un mot, ils eurent la passion de l'unité, passion romaine et catholique. On peut se demander si ce qui fit leur force ne fait pas notre faiblesse[42].

 

 

 



[1] Lettre 117.

[2] Esprit des lois, livre XXV, ch. V.

[3] Livre XXV, ch. XIII.

[4] Il ajoute en note cette restriction prudente et ironique : « Je ne parle point, dans tout ce chapitre, de la religion chrétienne, parce que, comme j'ai dit ailleurs, la religion chrétienne est le premier bien ».

[5] Esprit des lois, liv. XXV, ch. XII.

[6] Livre XXIV, ch. XXIV.

[7] Livre XXIV, ch. XXIV.

[8] Esprit des lois, liv. XXIV, ch. II.

[9] Livre XXIV, ch. VIII.

[10] Liv. XXIV, ch. XIX.

[11] Liv. XXVI, ch. VII.

[12] Liv. XXVI, ch. VIII, IX, X, XI.

[13] Livre XXVI, chap. X.

[14] M. Rothenbücher porte sur la politique religieuse de Montesquieu le même jugement dans des termes équivalents (Karl Rothenbücher, Die Trennung von Staat und Kirche, München, 1908, p. 64). J'ignorais le livre de M. Rothenbücher, qui n'était pas encore paru quand je rédigeais cette étude.

[15] Cette citation et les suivantes sont empruntées à l'excellente anthologie de MM. Albert Bayet et François Albert, Les écrivains politiques du XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, 1004. — Traité sur la tolérance, p. 79 de l'anthologie citée.

[16] Les écrivains politiques du XVIIIe siècle, p. 117 (extrait des Idées républicaines).

[17] Les écrivains politiques du XVIIIe siècle, p. 117 (extrait de La voix du Sage et du Peuple).

[18] M. Rothenbücher a bien vu que Voltaire fondait la tolérance sur la raison d'État, sur l'utilité sociale, et non pas, comme les Anglais et les Américains, sur les droits de l'homme (Op. cit., p. 65.)

[19] Voltaire ajoute « et leur faire mériter les bontés de Dieu par la vertu », mais l'addition, on le sent, est de style. (Les Écrivains politiques..., p. 120, extrait de l'article DROIT CANONIQUE du Dictionnaire philosophique.)

[20] Les Écrivains politiques..., p. 214 (extrait de La Contagion sacrée).

[21] Cf. ce qu'il dit de la violence et de son inutilité, les Écrivains politiques, p. 221 (extrait du Système social).

[22] Les Écrivains politiques..., p. 228 (extrait du Système social). J'éprouve, il est vrai, quelque surprise quand je lis ensuite le commentaire, dont MM. Albert Bayet et François Albert font suivre cet extrait de d'Holbach : « D'Holbach estime donc, disent-ils, que non seulement l'enseignement de la morale, mais les principes mêmes de la moulé, doivent venir du gouvernement. Il est bien entendu que ces principes seraient ceux d'une morale laïque » (p. 228, note). En quoi la morale émanée d'un tel gouvernement sera-t-elle laïque ? En cela sans doute qu'elle sera enseignée par des laïques ? Mais c'est le cas de le redire, l'habit ne fait pas le moine. Des fonctionnaires enseignant une morale d'État et ayant à leur disposition des moyens coercitifs, en dépit de leur costume, ne sont plus des laïques, au sens où nous l'entendons, c'est-à-dire des esprits indépendants et libres.

[23] Albert Keim, Helvétius. Paris, Alcan, 1907, p. 192.

[24] A. Keim, p. 569.

[25] A. Keim, p. 574.

[26] A. Keim, p. 569.

[27] Etrépigny, dép. des Ardennes, arr. de Mézières, cant. Flize.

[28] Le bon sens du curé Meslier, éd. Brevet, Corbeil, 1898, p. 38.

[29] Le bon sens du curé Meslier, p. 146.

[30] Le bon sens du curé Meslier, p. 126.

[31] Le bon sens du curé Meslier, p. 161-163.

[32] A. Aulard, Le Culte de la Raison, Paris, Alcan, 1892, p. 257 et passim.

[33] M. Rothenbücher range avec raison Mably parmi les partisans d'une Église d'État. Mably veut réaliser par la législation l'union entre la Philosophie et la Religion, afin que l'une ne tombe pas dans l'athéisme et l'autre dans la superstition. Les Physiocrates, qui réclament pour l'individu la liberté économique, le maintiennent en politique sous la tutelle du despotisme éclairé. Quesnay semble bien s'être prononcé pour l'unité religieuse et pour la liaison de la religion avec la législation. Turgot seul dans l'école, sous l'influence des idées américaines, a défendu la liberté de conscience et la liberté des cultes (Rothenbücher, p. 65 et 66). J'ajouterai que Dupont (de Nemours) pensait comme Turgot, mais que ni l'un ni l'autre ne songeaient à la Séparation de l'Église et de l'État.

[34] Histoire des deux Indes, XIX, n, dans Les Écrivains politiques..., p. 387-390.

[35] D'après M. Rothenbücher (p. 71-72), Condorcet aurait été une exception parmi les philosophes. Il se serait élevé à l'idée de l'État neutre et laïque. — Dans l'écrit même où il critiqua la Constitution civile du clergé, Condorcet se résigne à la situation privilégiée faite au catholicisme et excuse ce privilège par des raisons d'opportunité, d'ordre et de paix. (Condorcet, par Alengry, Paris, Giard et Brière, 1004, p. 66 ; Condorcet, par Cahen, Paris, Alcan, 1004, p. 234.) 11 demanda sans doute la sécularisation de l'état civil, de la morale et de l'éducation, mais cette réforme de la Constitution civile était imposée par les circonstances. La séparation de l'Église et de l'État ne fut jamais présentée par lui que comme un idéal lointain et ce n'était peut-être pas une séparation véritable. Il réclame en principe pour les différentes églises la liberté et l'égalité entières, mais il les subordonne très étroitement à l'État, puisqu'il veut que l'État impose aux futurs prêtres l'éducation commune à tous les citoyens et interdise toute réunion ecclésiastique quelconque. Il combat la Constitution civile du clergé, beaucoup moins encore au nom de la liberté naturelle à l'homme qu'au nom de l'intérêt de la société qui lui parait compromis par une réforme trop favorable, à l'en, croire, au catholicisme.

[36] Commentaire sur l'Esprit des lois, recueil cité, p. 106.

[37] Système social, III, I, recueil cité, p. 226.

[38] De l'étude de l'histoire, I, II. Système social, III, I, recueil cité, p. 308-310.

[39] Maximes du docteur Quesnay Système social, III, I, recueil cité, p. 332.

[40] Mémoire au roi sur les municipalités, Système social, III, I, recueil cité, p. 360 et suiv.

[41] M. L. Ducros, dans son excellent livre sur les Encyclopédistes (Paris, Champion, 1000), a déjà dénoncé la manie des Encyclopédistes de tout rapporter à l'État : « Leur législateur idéal, dit-il très justement, a le devoir de rendre les hommes non seulement heureux, mais vertueux. » (p. 159-160). M. E. Faguet a fait sien ce jugement de M. Ducros sur les Encyclopédistes : « ... Ils se détachent bien moins qu'on ne pourrait le croire de l'antique conception de l’État... (Revue des Deux Mondes, 15 février 1901.)

[42] M. J. Jaurès résout la question comme les hommes du XVIIIe siècle. « Bien loin que l'humanité doive tendre comme à un idéal à la séparation du spirituel et du temporel, c'est leur fusion au contraire qu'elle doit désirer. » (Histoire socialiste. La Constituante, p. 534.)