LES ORIGINES DES CULTES RÉVOLUTIONNAIRES

DEUXIÈME PARTIE. — COMMENT S'EST FAITE LA RUPTURE ENTRE LA RELIGION ANCIENNE ET IA NOUVELLE ?

 

CHAPITRE II. — LE MOUVEMENT ANTICLÉRICAL SOUS. LA LEGISLATIVE.

 

 

I

Octobre-décembre 1791. — La Législative eut à s'occuper, dès ses premières séances, de la question religieuse. La Constitution civile du clergé avait provoqué des troubles graves dans toute la France, surtout dans les campagnes[1]. Les prêtres constitutionnels ne se maintenaient guère que dans les villes, et là même ils étaient molestés par les partisans des réfractaires[2]. Chargées d'appliquer la loi, la plupart des municipalités faiblissaient, quand elles ne favorisaient pas ouvertement les réfractaires. Se voyant sur le point d'être débordés, les Jacobins, qui étaient les meilleurs soutiens du clergé constitutionnel, demandèrent à l'Assemblée qu'ils venaient d'élire de nouvelles armes contre les prêtres rebelles. Il devenait évident que la Constitution civile avait manqué son but. Au lieu d'étayer l'institution politique nouvelle, elle la minait plutôt et préparait sa ruine. Devant le péril inattendu et devant le remède à trouver, les patriotes se divisèrent. Ceux qui avaient lié partie avec le clergé constitutionnel ne voulurent pas l'abandonner. S'imaginant peut-être que l'agitation religieuse n'était que superficielle et qu'elle disparaîtrait si on intimidait les véritables auteurs des troubles, les prêtres réfractaires, ils proposèrent de prendre contre eux toute une série, de mesures de coercition. D'autres patriotes, au contraire, plus clairvoyants ou moins engagés dans la cause du clergé constitutionnel, répugnèrent à recourir à la force et à la violence pour consolider ou imposer la nouvelle église officielle. Respectueux de la liberté des cultes inscrite dans la Déclaration des droits, ils combattirent les mesures d'exception proposées contre les réfractaires. Ils demandèrent que ceux-ci jouissent dans la pratique de leur culte des mêmes droits que ceux-là. Autrement dit, par esprit politique et par scrupule libéral, ils s'acheminèrent vers la conception de l'État laïque, vers cette séparation des Eglises et de l'Etat que les spéculatifs seuls, minorité de penseurs, d'irréguliers sans influence, avaient prônée jusque-là.

Le parti des séparationnistes s'enfla subitement, d'autant plus qu'aux « philosophes » purs se joignirent bientôt les partisans masqués des prêtres réfractaires, qui virent dans la séparation le moyen d'écarter de leur église la persécution imminente.

Godefroy. — Avant même que la Législative se réunit, un certain Godefroy, « maitre de mathématiques », réclamait la « suppression absolue » de la Constitution civile du clergé dans un écrit d'une logique serrée[3], Toute religion, disait Godefroy en substance, étant essentiellement affaire de conscience, l'Etat ne doit s'en occuper qu'au point de vue du bon ordre. En matière religieuse tout son droit consiste à taire des règlements de police. Or il y a beaucoup de Français qui ne se servent pas du tout des ministres des cultes et cependant on les oblige à contribuer à leur entretien. Le nombre des Français qui se servent des ministres du culte non officiel est plus considérable encore, et on les oblige à contribuer, eux aussi, aux frais du culte, l'ennemi du leur. « Que l'entretien des fonctionnaires publics, comme des juges civils, pèse sur tous les citoyens, personne n'a le droit de s'en plaindre, car si quelqu'un disait pour s'en défendre qu'il est bien résolu à n'intenter jamais aucun procès à personne, on lui répondrait avec raison qu'il n'est pas assuré que d'autres ne lui en intenteront pas mal à propos... Mais on ne peut pas dire la même chose à ceux qui ne suivent pas la religion dont l'Etat paye les ministres... » Qu'on n'essaie pas d'ailleurs de sauver la Constitution civile en invoquant l'intérêt de la morale : « Dira-t-on que les ministres constitutionnels sont nécessaires pour former et régler les mœurs des citoyens ? Mais il faudra donc dire aussi qu'il n'y aura de bonnes mœurs que parmi les citoyens enseignés par les ministres constitutionnels, que la morale des ministres des autres cultes ne peut produire que la corruption et conséquemment que la saine philosophie exige l'intolérance ! » Et Godefroy concluait : que ceux qui veulent des prêtres les paient. « C'est ainsi que furent entretenus les prêtres de la première église. Saint-Pierre et Saint-Paul, et leurs premiers successeurs n'étaient pas pensionnés par les souverains ». Ce n'est pas seulement la logique, à l'en croire, les principes qui réclament cette solution, mais la saine politique. « Cela détruira une des principales causes de la funeste division qui désole le royaume et qui met toute la Constitution en péril en cas d'invasion étrangère... »

Un anonyme. — Godefroy ne croyait peut-être pas si bien prédire. Un anonyme, qui pourrait bien être un député à la Législative, traitait à son tour la question de la séparation avec non moins de bon sens et plus de profondeur[4].

« Le gouvernement civil, posait-il en principe, tel surtout qu'il est constitué en France, ne doit pas plus se mêler de religion que de physique et d'astronomie ». La Constitution civile doit disparaître, une religion dominante supposant nécessairement des religions dominées. « Que le gouvernement fasse constater l'état des citoyens sans l'entremise des prêtres, que les naissances, les mariages, les morts, soient notés par d'autres que par eux !... » La laïcisation complète, de l'Etat n'est pas seulement réclamée par les principes, elle est exigée par la situation politique. « Des deux partis qui appellent aujourd'hui la pensée publique sur cette discussion, l'un [les Constitutionnels] demande qu'on l'aide à dominer et à persécuter ; l'autre [les Réfractaires], à qui ce rôle commode a été enlevé, demande au moins qu'on le persécute... » Qu'on n'objecte pas que l'Etat propagera l'irréligion s'il ne protège pas de culte. L'athéisme n'est pas à craindre, et, d'ailleurs, cette doctrine absurde exclut au moins le fanatisme.

André Chénier. — Ame païenne s'il en fut, André Chénier se rangea des premiers parmi les plus chauds partisans de la séparation et la prôna dans un remarquable article du Moniteur[5], tout en protestant contre les rigueurs qu'on destinait aux réfractaires : « ... Nous ne serons délivrés de l'influence de pareils hommes [les prêtres] que quand l'Assemblée nationale aura maintenu à chacun la liberté entière de suivre et d'inventer telle religion qui lui plaira ; quand 'chacun paiera le culte qu'il voudra suivre et n'en paiera point d'autre, et quand les tribunaux puniront avec rigueur les persécuteurs et les séditieux de tous les partis. Et si des membres de l'Assemblée nationale disent encore que tout le peuple français n'est pas assez mûr pour cette doctrine, il faut leur répondre cela se peut, mais c'est à vous a nous mûrir par votre conduite, par vos discours et par les lois ». Et pour conclure, il demandait, lui aussi, que les actes de l’état-civil fussent enlevés aux prêtres.

 

II

Discussion sur les prêtres à la Législative. — Au moment même où André Chénier écrivait cet article, s'ouvrait à la Législative une longue et orageuse discussion sur les prêtres réfractaires. Pendant plus d'un mois, les partisans de la rigueur et les partisans de la liberté, entrechoquèrent leurs arguments dans une mêlée âpre et confuse[6].

Finalement, les Girondins crurent trouver une solution mixte, et le décret du 29 décembre 1791[7] donna une satisfaction du moins apparente aux deux partis. Pour sauvegarder le principe de la liberté des cultes, tout en autorisant les mesures de coercition, les Girondins avaient eu l'idée d'exiger des prêtres réfractaires, à la place de l'ancien serment de la Constitution civile, le serment civique pur et simple. Si les réfractaires refusaient le nouveau serment, ils seraient frappés non plus comme prêtres, mais comme mauvais citoyens. Rousseau n'avait-il pas démontré dans le Contrat social que la Société avait le droit de rejeter ceux de ses membres qui refuseraient de reconnaître ses lois fondamentales ? En refusant de souscrire le pacte social, les réfractaires se mettraient eux-mêmes en dehors du droit commun. Quiconque ne veut pas reconnaître lu loi, « abdique volontairement les avantages que cette loi seule peut garantir[8] ».

Par ce biais, les Girondins tirent passer les motions des partisans de la manière forte. Les réfractaires qui ne prêteraient pas le serment civique seraient « réputés suspects de révolte contre la loi et de mauvaise intention contre la pairie[9] », et comme tels, on pourrait les priver de leur traitement et pension, leur refuser l'usage des églises[10], les éloigner de leur domicile[11], les interner au chef-lieu du département[12], etc.

A ne considérer les choses qu'en gros, il semblerait que les partisans de la liberté avaient été vaincus, puisqu'en fait la Constitution civile restait loi de l'Etat et que l'Etat mettait au service du culte officiel sa police et ses tribunaux. C'était une satisfaction bien dérisoire que celle d'avoir fait inscrire dans le préambule d'un décret persécuteur une déclaration de principe en faveur de la liberté des cultes. Et pourtant, si on y regarde d'un peu plus près, point n'est besoin de relire longtemps les débats pour s'apercevoir qu'en réalité la i Constitution civile sortait de la bataille plus que diminuée, frappée à mort.

Partisans et adversaires de la loi s'étaient trouvés presque unanimes à condamner l'œuvre religieuse de la Constituante. On sent chez les uns et les autres le même mépris des prêtres, la même irréligion foncière et s'ils diffèrent, c'est moins sur la question de principe que sur la question d'opportunité. Ceux-ci croient pouvoir revenir en arrière, ceux-là craignent qu'un recul ne soit fatal à la Révolution. Mais les uns et les autres sont intimement convaincus que la Révolution ne s'arrêterait pas à la Constitution civile. Déjà, plusieurs entrevoient le culte civique qui la remplacerait, et il est remarquable que les orateurs, qui demandent les mesures les plus rigoureuses contre les réfractaires, sont les premiers à réclamer la laïcisation progressive des services publics, à dénoncer l'ignorance et le fanatisme comme la véritable et Tunique cause des troubles et à proposer comme remède souverain l'organisation d'une instruction publique, et, en attendant, d'une propagande civique qui arrachera le peuple aux prestiges des prêtres, certains disent même de tous les prêtres.

Monneron de Nantes veut qu'on frappe durement les prêtres perturbateurs, qu'on les condamne même à l'exil, « mais, dit-il, il ne suffit pas aux législateurs d'un grand empire d'arrêter le désordre, ils doivent en extirper la racine. C'est l'ignorance des peuples qui sert de rondement aux triomphes de l'imposture sur la vérité, c'est cette ignorance qu'il faut faire disparaître... Hâtez-vous de détruire les prestiges d'une, aveugle idolâtrie, établissez promptement ces écoles primaires qu'a proposées M. de Talleyrand dans son sublime mémoire sur l'instruction publique, mais en attendant l'établissement des écoles primaires, je propose de faire le plus promptement possible et d'envoyer dans tous les départements un catéchisme de morale et de politique qui éclaire le peuple sur ses vrais intérêts...[13] ».

Baert, qui lui répondit, trouva, pour combattre les mesures de rigueur, un argument d'une grande force et qui fut applaudi : « Je ne connais pas de milieu : ou il faut laisser la liberté de conscience, ou il faut persécuter ; ou il faut oublier les prêtres et ne les regarder que comme de simples citoyens, ce que seulement' ils sont aux yeux de la loi, ou il faut renouveler la motion de dom Gerle, et déclarer bien vite une religion dominante, c'est-à-dire persécutrice. Gardons-nous de la domination des prêtres ; ne retombons point dans l'enfance après être parvenus à la maturité de l'âge et ne prolongeons point leurs scandaleuses querelles en leur donnant une importance qu'elles cesseront d'avoir, dès qu'elles seront couvertes du mépris qu'elles méritent[14] ». Personne sur les bancs des évêques constitutionnels, qui étaient pourtant en nombre dans l'Assemblée, n'osa protester contre ce langage ; aucun d'eux n'eut l'idée de relever le défi ou de reprendre à son compte la motion de dom Gerle, sûr de l'accueil qui l'aurait attendu.

Les évêques constitutionnels gardèrent le même silence impuissant et résigné, quand Hilaire, renchérissant sur Baert, proposa de décréter « que toutes charges et emplois civils seraient incompatibles avec le sacerdoce, que l'éducation publique ne serait confiée qu'a des personnes laïques, sauf l'étude de la théologie qui pourrait être professée par des ecclésiastiques ; enfin que les actes de mariage, baptême et mortuaire seraient enregistrés par devers le greffe de la municipalité, en présence d'un officier municipal et deux témoins. » Hilaire avait développé sa proposition en attaquant de front l'institution du clergé : « Nous savons tous par expérience que trop longtemps le clergé, quel qu'il soit, non content des fonctions sacerdotales, s'est toujours i immiscé dans les fonctions civiles... » L'influence des prêtres, à l'en croire, « est toujours dangereuse et leur opinion suspecte ». « Accoutumés à se croire au-dessus des hommes, ils veulent les maîtriser, et de cela seul qu'ils se croient plus parfaits, tout autre avis n'est que le diminutif des inspirations qu'ils appellent divines[15] ». L'évêque de Périgueux, Pontard, demanda bien que l'orateur fut rappelé à l'ordre et aux vrais principes de la Constitution, mais l'Assemblée passa à l'ordre du jour.

Les jours suivants, les mêmes opinions anti-sacerdotales furent apportées à la tribune. Huguet[16] fit cette profession de foi : « Pour un bon gouvernement, la religion n'est autre chose que l'exercice des vertus sociales : pour le particulier qui les professe, elle est sou opinion, son temple est dans son cœur, son culte est son préjugé, la liberté en est le prêtre[17]. »

Ducos réclama la laïcité complète de l'État : « Séparez de ce qui concerne l'État tout ce qui concerne la religion ; assimilez la manifestation des opinions religieuses a la manifestation de toutes les autres ; assimile/ les assemblées religieuses à toutes les autres réunions de citoyens ; que toutes les sectes aient la liberté de choisir un évêque ou un iman, un ministre ou un rabbin, comme les sociétés populaires, par exemple, ont la liberté d'élire dans leur sein un président et des secrétaires ; que la loi s'adresse toujours au citoyen et jamais au sectateur d'une religion quelconque ; enfin, que l'existence civile et politique soit absolument indépendante de l'existence religieuse[18]. »

Lequinio soutint que tous les cultes, au fond, se valaient et sembla les renvoyer dos à dos. Il rappela que, « dans toutes les religions, la multitude a toujours été victime de son ignorance et que des flots de sang ont coulé, que des millions d'hommes se sont déchirés parce qu'ils ne s'entendaient pas[19] ». Son discours parut si hardi que des murmures l'interrompirent. Sans doute, les députés ne voulaient pas encore avoir l'air devant le pays d'approuver la campagne antireligieuse. Mais, en dépit de leurs réserves calculées, ils laissaient percer de plus en plus leurs véritables opinions.

Deux jours après, dans un vigoureux discours, Ramond lit le procès à la Constitution civile, « au nom de la Philosophie ».

A la logique des orateurs « philosophes », les évêques et prêtres députés n'avaient rien à répondre. Audrein, l'un d'eux, se bornait à. demander à l'Assemblée d'écarter la religion de ses débats et de « reconnaître les services rendus à la Révolution par les prêtres assermentés »[20]. Prenant texte de l'annonce de la démission récente du métropolitain de Rouen, il lit craindre aux patriotes d'antres démissions de prêtres assermentés. Si le mouvement se généralisait, que deviendrait la Révolution ? En un mot, il eut l'air de plaider pour la Constitution civile les circonstances atténuantes. Il invoqua en sa laveur des raisons politiques, il ne prit pas corps à corps l'argumentation de ses adversaires.

Le fougueux Fauchet, ; qui parut plusieurs fois à la tribune, ne fit pas autre chose. Il prononça une véhémente philippique contre les réfractaires, qui « voudraient nager dans le sang des patriotes[21] », qui « travaillent à renverser l'édifice des lois », et il réclama la suppression de leurs pensions. Mais il n'essaya pas de répondre aux partisans de la laïcité de l'Etal.

Les autres évêques constitutionnels qui prirent la parole, Torné, Bertrand, etc., tout en désavouant la plupart le langage intolérant de leur collègue Fauchet, imitèrent son silence sur la question brûlante. Avec Audrein, ils estimaient, sans doute, que la Religion n'aurait rien eu à gagner à cette controverse. Sans provoquer leur riposte, Gensonné put, à son tour, dénoncer la Constitution civile, cette erreur politique qui troublait le royaume et mettait la Révolution en danger. « Séparons, disait-il, de la religion tout ce qui lient à l'ordre civil, et lorsque les ministres du culte, que la nation salarie, seront réduits à des fonctions purement religieuses, lorsqu'ils ne seront plus chargés des registres publics, de l'enseignement et des hôpitaux, lorsqu'ils ne seront plus dépositaires des secours que la nation destine à l'humanité souffrante, lorsque vous aurez détruit ces corporations religieuses de prêtres séculiers, absolument inutiles, et celle nuée de sœurs crises, qui s'occupent moins de soulager les malades que de répandre le poison du fanatisme, alors, les prêtres n'étant plus fonctionnaires publies, vous pourrez adoucir la rigueur des lois relatives au serment ecclésiastique...[22] » Ce n'étaient pas là des conceptions à longue échéance, des menaces vaincs, — Gensonné proposait par décret de charger le Comité de législation de présenter le plus loi possible un projet de loi sur « les moyens de constater civilement les naissances, décès et mariages », et un autre projet de loi sur la suppression des dernières corporations religieuses. Il demandait enfin la nomination d'une commission de douze membres, pour s'occuper « de l'examen et de la révision des lois faites par le corps constituant sur l'organisation civile du clergé... »

L'Assemblée entra dans les vues de Gensonné ; elle ordonna l'impression de son projet de décret, et chargea son Comité de législation de lui présenter un rapport sous huitaine.

Le Comité s'exécuta le 14 novembre. Le projet de décret qu'il présenta fit leur part aux réclamations des partisans de la laïcité, dans son article III, ainsi conçu : « Il sera incessamment fait une loi pour régler la manière de constater les actes de naissance, mariage et sépulture ». Le projet, cependant, fut mal accueilli, parce qu'il ne proposait que des mesures anodines contre les réfractaires. Isnard, dans un de ses beaux mouvements oratoires, proposa des mesures nouvelles. Son discours improvisé est peut-être le plus important de cette discussion, non seulement parce qu'il laisse percer à plusieurs moments l'arrière-pensée des philosophes, mais encore parce qu'il eut sur les événements une influence décisive.

Le discours d'Isnard du 14 novembre. — Pour justifier les mesures d'exception qu'il jugeait indispensables contre les réfractaires, Isnard posa la question sur un terrain nouveau. Jusque-là, le débat avait porté tout entier sur ce dilemme invoqué par les partisans de la liberté : « ou le prêtre n'est que fanatique ou il est perturbateur ; s'il n'est que fanatique, la loi ne doit pas l'atteindre, parce que la liberté des cultes est permise ; s'il est perturbateur, il existe contre lui des lois communes à tous les citoyens. »

Pour réfuter le dilemme, Isnard soutint que, par le caractère mémo dont il était revêtu, le prêtre était déjà en dehors du droit commun et que, par suite, il ne pouvait pas être soumis aux lois communes. Il dénonça l'influence du prêtre sur la société : « Le prêtre, dit Montesquieu, prend l'homme au berceau et l'accompagne jusqu'au tombeau ; donc jl n'est pas surprenant qu'il ait de si grands moyens de puissance. » Contre les mauvais prêtres, il n'y avait qu'un parti à prendre : l'exclusion du royaume ; et, aux applaudissements des tribunes et d'une partie, de l'Assemblée, Isnard s'écria : « Je dirai qu'il faut renvoyer ces pestiférés dans les lazarets de Rome et de l'Italie. » A aucun prix, il ne fallait leur permettre de continuer à prêcher, à messer, à confesser. Comme grisé par les applaudissements, Isnard continua en exhalant son mépris non seulement pour les mauvais prêtres, mais pour le prêtre : « Le prêtre n'est pas pervers à demi ; lorsqu'il cesse d'être vertueux, il devient le plus criminel des hommes ». Les applaudissements redoublèrent. Que l'Assemblée ne se laisse pas arrêter par de vains scrupules, qu'on ne parle pas ici du respect des consciences. Les réfractaires « ne pleurent sur le sort de la religion que pour recouvrer leurs privilèges ». Et, de nouveau, Isnard se reprenait à dire son mépris du prêtre, en termes de plus en plus véhéments, et les applaudissements recommençaient : « Chacun sait qu'en général le prêtre est aussi lâche que vindicatif, qu'il ne connaît d'autre arme que celle de la superstition, et qu'accoutumé à combattre dans l'arène mystérieuse de la confession, il est nul dans le champ de bataille. Les foudres de Rome s'éteindront sous le bouclier de la liberté.... mais passons là-dessus... » Sans s'expliquer clairement, Isnard laissa entrevoir que la Constitution civile ne serait pas le dernier mot de la Révolution. La Révolution, à l'en croire, n'était pas terminée. « Non, il faut un dénouement à la Révolution française, je dis que, sans le provoquer, il faut marcher vers lui avec courage ; plus vous larderez, plus votre triomphe sera pénible et arrosé de sang... » Quel était ce dénouement ?

Isnard ne s'expliquait pas. Mais les catholiques crurent comprendre. Le Moniteur note qu'il s'éleva des murmures dans une partie de l'Assemblée. Isnard lit l'ace aux interruptions et aux murmures, et sa parole ardente continua à prêcher l'action, l'énergie aux patriotes endormis. Il faut écraser les réfractaires, il faut employer les grands moyens. « Il faut couper la partie gangrenée pour sauver le reste du corps ». Sinon, « le parti des prêtres sermentés, qui comprend celui de tous les patriotes, c'est-à-dire des cinq-sixièmes de la nation, sera indigné de se voir abandonné. Lassés de combattre vos ennemis, ils deviendront peut-être les vôtres... », et, comme s'il prévoyait dans un avenir prochain que cette éventualité se réaliserait, que les prêtres jureurs abandonneraient la Révolution et se retourneraient contre elle, Isnard s'écriait : « Il faut que le Corps Législatif soit étayé du reste de la nation, si vous voulez résister aux attaques qui peut-être se préparent, et vous ne pouvez vous attacher la confiance qu'en châtiant avec sévérité les perturbateurs du repos public et tous les factieux. Je dis tous les factieux, parce que je suis déterminé à les combattre tous, parce que je ne suis d'aucun parti ; mon Dieu, c'est ta loi ; je n'en ai point d'autre. Le bien public, voilà ce qui m'embrase[23] ».

Cette violente diatribe contre les prêtres, cet appel à la force, ces menaces voilées contre le clergé constitutionnel, qu'Isnard ne défend si chaudement que pour des raisons politiques, et dont il n'est pas loin de suspecter déjà le patriotisme et, pour terminer, cotte profession de foi d'athéisme[24] , tout cela indique qu'à cette date la rupture entre la Révolution et la Religion ancienne, même épurée, était déjà consommée dans l'esprit de beaucoup de chefs patriotes. Ils n'osent pas encore dire tout haut leur pensée. Ils l'enveloppent de nuages ; mais il est évident que leur prudence toute de circonstance ne durera qu'un moment et que l'heure des résolutions franches et décisives sonnera bientôt.

Les évêques constitutionnels qui, jusque-là, n'avaient pas relevé les attaques indirectes dont la religion avait été l'objet, parurent s'émouvoir cette fois. Les applaudissements chaleureux qui avaient accueilli le discours d'Isnard, la demande d'impression que formulèrent un grand nombre de membres, leur montraient assez que la situation était grave. Au milieu de « grands murmures », Le Coz demanda la parole « comme citoyen et comme prêtre ». « Point de prêtres ! » s'écrièrent plusieurs voix. « Je dis, continua Le Coz, que demander l'impression du discours de M. Isnard, c'est demander l'impression d'un code de l'athéisme ». Les murmures redoublèrent. Pendant plusieurs minutes, Le Coz dut s'interrompre tant l'agitation était vive. L'énergie du Président lui permit de continuer. « .... Je soutiens et je prouverai que le discours de M. Isnard tend à détruire toute morale religieuse et sociale. Il est impossible qu'une société existe si elle n'a pas une morale immuable et éternelle... » A ces mots, ce fut une tempête ; les rires, les clameurs redoublèrent ; on demanda que Le Coz fut rappelé à l'ordre. Désespérant de se faire entendre, il descendit enfin de la tribune.

Sans doute, l'Assemblée se ressaisit et rejeta, après deux épreuves douteuses, l'impression du discours d'Isnard. Mais le coup était porté. Par son altitude précédente, l'Assemblée avait montré qu'elle partageait en majorité les opinions de l'orateur. Elle le montrait mieux encore en invitant son Comité de législation à lui présenter un nouveau projet de décret qui ne pourrait que s'en inspirer.

On comprend que de telles séances fussent bien laites pour encourager la campagne anticléricale commencée par une poignée de journalistes.

Le projet de François de Neufchâteau. — Le 16 novembre, François de Neufchâteau, rapporteur d'une des sections du Comité de législation, vint lire un projet de décret qui donnait entière satisfaction à Isnard et à ses amis. Les prêtres réfractaires qui ne prêteraient pas le serment civique verraient leur traitement supprimé, ils seraient mis en surveillance, ils pourraient être éloignés de leur domicile par un arrêté du directoire du département, etc. Chose plus significative, l'article XV du projet ordonnait la révision de la Constitution civile du clergé :

« Les décrets de l'Assemblée constituante des 12, >i\ juillet et 27 novembre 1790, continueront d'être suivis et exécutés, mais avec les modifications que l'achèvement de la Constitution rend aujourd'hui nécessaires.

« 1° La formule du serment civique portée en l'art. V du titre II de l'acte constitutionnel sera substituée au serment provisoire prescrit par les décrets. — 2° Le titre de Constitution civile du clergé, n'exprimant pas la véritable nature de ces lois et rappelant une corporation qui n'existe plus[25], sera supprimé et remplacé par celui de Loi concernant les rapports civils et les règles extérieures du culte catholique en France. — 3° Les évoques, curés et vicaires ne seront plus désignés sous le titre de fonctionnaires publics, mais sous celui de ministres du culte catholique salariés par la nation. »

Il était à prévoir que la révision de la Constitution civile ne se bornerait pas à ces changements dans les mots. La voie était ouverte à d'autres réformes plus profondes, d’autant plus que l'article XVI et dernier organisait une propagande civique pour contrebalancer la propagande des réfractaires : « Comme il importe d'éclairer le peuple des campagnes sur les pièges qu'on lui tend l'Assemblée regardera comme un bienfait public les bons ouvrages qui lui seront adressés sur cette matière, et, d'après le rapport qui lui en sera lait, elle les fera imprimer et distribuer aux Irais de l'Etat, et récompensera leurs auteurs ».

Ainsi l'Etat entreprendrait l'instruction du peuple, mais où s'arrêterait cette instruction ? La propagande civique serait forcément l'œuvre des écrivains « philosophes ». Se montreraient-ils longtemps respectueux du culte officiel ? Leurs attaques contre le culte papiste n'atteindraient-ellcs pas par ricochet la Religion elle-même ?

De toute manière, les deux derniers articles du projet de François (de Neufchâteau) étaient gros de conséquences.

Ces conséquences, l'Assemblée ne les soupçonna pas tout d'abord. Elle salua François (de Neufchâteau) d'applaudissements unanimes et réitérés, et, sur la proposition de Vergniaud, elle accorda la priorité à sa motion, dont elle adopta, séance tenante, plusieurs dispositions.

Mais, le lendemain, une vive opposition, qui ressembla à certains moments à de l'obstruction, faillit faire repousser le décret. On vit, spectacle à méditer, un évêque constitutionnel, Torné, prendre la défense indirecte des réfractaires et s'opposer vivement à la suppression de leurs traitements et pensions. Peut-être que les discours philosophiques des jours précédents lui avaient fait soupçonner confusément, que la cause des prêtres constitutionnels était au fond solidaire de celle des réfractaires, et que les rigueurs contre les uns seraient le prélude des rigueurs contre les autres ?

Inversement, les philosophes trouvèrent que le projet de François (de Neufchâteau) était encore trop doux. Isnard, soutenu par Duhem et Albitte, reprit sa proposition de déporter les réfractaires hors du royaume. Mais l'Assemblée refusa d'aller jusque-là.

Quand arriva en discussion l'article concernant la révision de la Constitution civile, des hésitations se manifestèrent parmi les philosophes. L'un d'eux, Albitte, pour des raisons d'opportunité, se prononça pour le maintien pur et simple de la Constitution civile : « Je crois qu'il ne faut pas mettre les prêtres constitutionnels en butte à leurs ennemis... J'aime la philosophie ; mais je crois qu'il n'en faut faire qu'un usage prudent et approprié aux circonstances[26]... »

L'évêque Lamourette, qui lui succéda à la tribune, plaida avec chaleur la cause de l'Eglise constitutionnelle. Priver les prêtres patriotes de leur caractère officiel, ce serait mécontenter la « multitude immense » des citoyens qui suivent leur culte et compromettre la Révolution. Le clergé réfractaire seul profitera de l'abaissement du clergé assermenté, et Lamourette montrait avec beaucoup de finesse et de force les inconvénients politiques de la séparation : « Ne croyez-vous pas que de cet acte solennel de séparation du ministère de la loi et du ministère du sacerdoce, vous donnez aux prêtres une tendance à se réunir en corporation et à chercher dans leur coalition un supplément du caractère que vous leur ôtez ? » Autrement dit, la séparation ne ferait que fortifier le clergé. Les philosophes de l'Assemblée devraient en prendre leur parti, eux qui ne visaient au fond qu'à détruire la Religion elle-même, sous prétexte de liberté ; et Lamourette, passant à l'offensive, dénonçait les arrière-pensées des auteurs du projet : « Je pourrais dire que la proposition qui vous est faite tient à un profond système dont on attend un effet à une époque plus éloignée. Je ne sais s'il est possible dans un grand empire, et si le peuple est assez mur pour le système que l'on regarde comme la perfection de la Révolution française, mais c'est une erreur que de croire à la destructibilité d'un système religieux qui comprend dans son sein toutes les bases de l'organisation sociale ». Que les philosophes prennent garde. S'ils placent le peuple entre la Religion et la Constitution, son choix n'est pas douteux ! Mais la Constitution elle-même n'est-elle pas sortie directement « de ce grand et immortel ouvrage qu'on appelle l'Evangile ? » Les prêtres constitutionnels ont toujours enseigné au peuple l'amour de la Constitution : « Si vous leur ôtez le titre qu'ils ont si bien mérité, si vous leur ôtez cette arme bien plus puissante que les baïonnettes, vous compromettez la tranquillité publique, vous licenciez tout à coup la plus grande force, qui a garanti la Révolution[27] ».

Le discours de Lamourette lit une grande impression. Faisant trêve à leurs secrets désirs, bon nombre de philosophes se rallièrent à la proposition d'Albitte et ajournèrent pour d'autres temps la révision et la suppression du culte officiel. En vain, Gohier essaya de répondre à Lamourette : « Je réponds que si quelque chose est dangereux, c'est de l'aire des lois qui présentent au peuple, des idées vagues et des principes arbitraires. Je réponds que corriger une épreuve, ce n'est pas rétrograder, mais avancer à grands pas dans la carrière de la Législation. Il n'y a plus de corporation du clergé, il n'y a donc plus de Constitution civile du clergé ; il ne doit donc plus y avoir de serment particulier pour les prêtres... » Gohier fut applaudi, l'Assemblée ordonna l'impression de son discours, comme elle avait ordonné l'impression du discours de Lamourette. Mais Cambon, d'un mot bref, trancha le débat : « Vous allez mettre le feu dans le royaume. La Constitution est perdue, tout est annulé ! » Un grand tumulte s'éleva. Merlin et Vergniaud approuvèrent l'observation de Cambon : « Vous perdez les prêtres assermentés, sans espoir de regagner les autres », dit le premier, et le second ajouta : « Il n'est pas question de raisonner sur les principes et je ne crois pas qu'il s'élève dans la raison d'aucun de nous aucun nuage à leur égard. Mais il s'élève une grande question de fait, c'est de savoir si l'application actuelle du principe ne serait pas une occasion donnée au fanatisme de secouer ses torches[28]... » La Législative se rangea à cet avis et la réforme de la Constitution civile du clergé' fut « indéfiniment » ajournée.

Les jours suivants, les philosophes lancèrent encore quelques attaques à la Constitution civile et même à la Religion. Le 24 novembre, Guadet, répliquant à Lamourette, s'écriait : « Ce n'est pas aux yeux de la théologie qu'il faut examiner cette question de savoir si le culte des assermentés est le même que celui des réfractaires], c'est aux yeux de la philosophie et de la raison, car la théologie passera et la raison est éternelle '[29]. » La phrase était applaudie à plusieurs reprises. Mais comprenant enfin le danger de cette discussion qui durait depuis trop longtemps, l'Assemblée clôtura brusquement le débat, le 29 novembre 1791.

 

III

Les résultats. La propagande civique. — Ce grand débat n'en eut pas moins une portée considérable. D'abord il était apparu très clairement que la Constitution civile du clergé n'était plus maintenue que provisoirement, faute de mieux, par simple nécessité politique. La question de la laïcité de l'État avait été posée devant le pays, et si la Législative ne l'avait pas résolue de suite, ce n'était pas qu'elle fût hostile au principe, mais qu'elle tenait seulement son application pour prématurée.

L'œuvre religieuse de la Constituante était donc condamnée. Mais avant de la détruire, la Législative pensait à la remplacer. Puisque le clergé constitutionnel s'était montré impuissant par ses seules forces à faire aimer la Révolution, puisqu'il n'avait pas suffi à sa tâche, on organiserait parallèlement à sa prédication une propagande civique dont le Comité d'instruction publique de l'Assemblée aurait la direction, et dont les clubs fourniraient les agents. Cette propagande, civique affecta les formes les plus diverses. Elle se lit par le livre, par les conférences, par le théâtre. Elle se lit aussi par les fêtes civiques, et par là elle rejoignit les systèmes de fêtes nationales déjà élaborés par Mirabeau et Talleyrand. Le jour devait venir où les révolutionnaires philosophes croiraient, à l'aide de cette propagande civique, pouvoir se passer du clergé constitutionnel, et, ce jour-là, la religion révolutionnaire se détacha du catholicisme, la propagande civique devint, le culte de la Raison.

Les brochures patriotiques. — La Législative avait exhorté « tous les bons esprits à renouveler leurs efforts, et à multiplier leurs instructions contre le fanatisme ». Elle avait promis de récompenser les auteurs de « bons i ouvrages à la portée des citoyens des campagnes[30] ». Les écrivains patriotes répondirent en foule à l'appel qui leur était adressé.

À la fin de 1791 et au commencement de 1792, les écrits philosophiques, les catéchismes patriotiques se succèdent sans interruption : l’Anti-fanatisme ou Étrennes aux bonnes gens de Marius Duval, le Dialogue entre un curé de campagne et un vigneron sur ta Constitution, par Deverac, le Catéchisme des Droits de l'Homme, par Duverneuil, le Gardien de la liberté française, par Fleury, le Catéchisme du genre humain, par Roissel, et surtout le plus populaire et le modèle du genre, l’Almanach du père Gérard, de Collot-d'Herbois, et bien d'autres encore[31]...

Les conférences populaires. — Toutes ces brochures étaient répandues par les soins des Jacobins et de leurs sociétés affiliées. Le 27 février 1792, au moment où la guerre étrangère paraissait imminente, la société-mère invita les sociétés affiliées à organiser partout, surtout dans les campagnes, des conférences populaires pour répandre les bons principes et faire l'éducation politique du peuple. « Comment s'est établie la religion chrétienne ? lisait-on dans la circulaire. Par les missions des apôtres de l'Evangile. Comment pouvons-nous établir solidement la Constitution ? Par les apôtres de la liberté et de l'égalité... » Tous les dimanches, les missionnaires civiques se rendraient dans les villages, distribueraient la Déclaration des Droits, la Constitution, l’Almanach du père Gérard, la Lettre de Creuzé-Latouche[32], et accompagneraient la distribution d'un prône approprié.

Les Jacobins se promettaient, avec raison, le meilleur effet de ces conférences : « Ces missionnaires envoyés par vous, frères et amis, contracteraient l'alliance la plus auguste et la plus formidable qui ait jamais existé : l'alliance de tout le peuple français. Ils seraient les précurseurs des maîtres «(n'enverra un jour l'Assemblée nationale pour la nouvelle éducation publique... Cette première instruction serait, dans la crise qui se prépare, un remède efficace à nos maux ; elle suppléerait à l'institution que l'Assemblée nationale n'a pas encore eu le temps d'établir, institution sans laquelle il n'y a point de bonnes mœurs, d'amour de la patrie, de respect pour les lois et, par conséquent, ni Constitution, ni liberté... »

Beaucoup de sociétés et de simples particuliers n'avaient pas attendu, pour agir, l'invitation venue de Paris. Dès la fin de 1791, à Strasbourg, l'ancien libraire Salzmann, aidé d'un curé patriote, commentait, tous les dimanches, les événements politiques de la semaine. Ces jours-là, trois à quatre mille personnes de toutes les classes de la société, « soldats, domestiques, ouvriers, femmes, etc., » remplissaient l'immense salle de la maison commune, où Salzmann tenait son prêche patriotique. « La foule était si grande, dit le voyageur allemand Reichardt, que nous avions peine à avancer, et le bruit assourdissant. Aussitôt que Salzmann cul gagné une petite estrade adossée a une colonne et que, d'un signe de main, il eût réclamé le silence, tout bruit cessa ; on aurait entendu voler une mouche ! Sur les physionomies, on lisait un vif désir d'être renseigné au sujet des bruits inquiétants mis en circulation par les journaux ou parla rumeur publique. L'allocution de Salzmann, pratique et tout à l'ait appropriée, fui accueillie par des témoignages de sympathie qui, m'ont fait plaisir[33].... »

Vers le même temps, La Réveillière-Légaux et ses amis du club d'Angers organisaient une série de missions patriotiques dans les Mauges et en Vendée. « L'objet de ces missions était de détruire les calomnies qu'on répandait contre les patriotes, les fausses idées que l'on donnait, aux habitants des campagne.}, de la Révolution et des principes d'après lesquels elle s'était opérée ; de leur faire sentir les avantages qui en devaient résulter, surtout pour eux.... » A Chemillé, la mission patriotique dirigée par La Réveillière, promena par la ville le drapeau tricolore en grand cortège. « Un vieillard à cheveux blancs portait le drapeau, escorte de jeunes Mlles qui tenaient en leurs mains des rubans aux trois couleurs[34]. »

Lanthenas et les sociétés populaires. — Dès les premiers mois de 170/2, le girondin Lanthenas, ami de Guadet et de Roland, projetait de faire des conférences civiques une institution permanente et quasi-officielle, une sorte d'école île dressage des citoyens aux vertus constitutionnelles et sociales[35]. « Puisqu'il est reconnu, disait-il, qu'on ne peut compter sur tes prêtres d'aucune secte pour l'instruction la plus essentielle dont les peuples aient besoin, il faut que la morale, la première, des sciences, la politique, qui n'est qu'une branche de la morale, et notre Constitution, fondée sur les véritables principes de celle-ci, aient un enseignement convenable à leur importance et aux circonstances où nous nous trouvons ».

Et Lanthenas traçait hardiment le plan d'une sorte de culte civique, du culte de la liaison et de la Loi[36], comme il l'appelait, qui aurait peu h peu remplacé, et provisoirement tenu en respect tous les autres. Dans chaque canton, la Législative instituerait par décret une société populaire, dont tous les citoyens sans distinction seraient libres de l'aire partie, mais où les fonctionnaires publics, les juges de paix entre autres, joueraient obligatoirement un rôle actif. A la voix des « missionnaires patriotes », les gens de bien feraient partout « renaître les magnifiques amphithéâtres des peuples libres de l'antiquité ». On donnera des fêtes, des conférences, qui imprimeront au peuple le sentiment de sa majesté, et qui le conduiront peu à peu à la Fraternité universelle. En attendant, « dans chaque lieu d'assemblée primaire », la société populaire du canton expliquera la loi, donnera lecture des meilleurs journaux, enseignera la morale et la politique. Les diverses sociétés populaires se fédéreront par districts, par départements, dans la France entière. Elles formeront comme une « église universelle » qui opérera enfin la régénération.

De plus en plus, surtout après la déclaration de guerre à l'Autriche, l'idée s'imposait que la Révolution ne serait sauvée que par l'organisation d'une vaste propagande civique. Le 10 mai 1792, une députation du faubourg Saint-Antoine venait demander aux Jacobins l'institution de conférences patriotiques dans les églises après le service divin[37].

Le ministre Roland exhortait les sociétés patriotiques à ne pas ralentir leur zèle pour l'instruction du peuple[38]. Il leur parlait déjà le même langage que leur tiendra plus tard le Comité de salut public, Les clubs n'étaient pas seuls à répondre à l'appel du ministre. Beaucoup de municipalités prêchaient la vérité au peuple tous les dimanches, et nommaient des lecteurs pour propager les bons principes[39].

Les propagateurs de la raison. — Gréées d'abord pour défendre la Constitution civile du clergé, ces conférences populaires ne tardèrent pas à sortir de leur cadre primitif. Après s'être attaqués d'abord aux seuls réfractaires, leurs orateurs ou lecteurs s'en prirent peu à peu à tous les prêtres sans distinction.

Dans un discours sur les sociétés populaires[40], prononcé dans une mission patriotique, le 10 juin 1792, le collaborateur de la Feuille Villageoise, Etienne-Marie Siauve, remarquait déjà que tous les prêtres constitutionnels n'étaient pas, hélas ! des lévites-citoyens, et qu'il y en avait beaucoup parmi eux qui ne voulaient être que prêtres et qui dédaignaient la qualité de citoyens.

Les prêtres-jureurs étaient devenus suspects ; il était inévitable que les orateurs populaires, les « propagateurs de la raison », comme Siauve les appelle, déjà, songeassent à les remplacer dans ce rôle de prédicateurs civiques, d’officiers de morale, que la Constitution civile leur avait assigné. Il était inévitable aussi que les conférences populaires se transformassent peu à peu en cérémonies religieuses ; il suffisait pour cela de les mélanger aux fêtes civiques. Cette réunion, ce mélange des fêtes civiques et des conférences populaires constituera, à proprement parler, le culte révolutionnaire, qui s'adressera aux sens autant qu'à l'intelligence.

 

IV

Divisions parmi les Jacobins. P. Manuel et Robespierre. — Tous les Jacobins, cependant, n'assistèrent pas avec une joie sans mélange au développement de cette propagande patriotique qui remplit la fin de l'année 1791 et le commencement de l'année suivante. Les opportunistes, les prudents, tous ceux qui jugeaient impolitique et prématurée une rupture avec le clergé constitutionnel, ne lardèrent pas à s'alarmer du progrès du parti anticlérical, dont les chefs redoublaient de hardiesse et perdaient toute mesure. Le club parisien se trouva partagé, travaillé, entre deux tendances, dont Tune, la modérée, était surtout représentée par Robespierre, et l'autre, l'intransigeante, par P. Manuel, l'ancien rédacteur de la Feuille Villageoise, élevé depuis peu au poste important de procureur de la Commune de Paris[41].

Au moment même où la Législative votait le décret contre les réfractaires, Manuel demandait aux Jacobins d'organiser une prédication anticléricale : « Pour commencer l'empire de la Raison, je demande que la Société-mère [des Jacobins], appuyant ses préceptes de ses exemples, nomme dans son sein, tous les trois mois, de ces patriotes éclairés qui, dans les sections, deux fois par semaine, feront à des enfants de tous les cultes, présentés par leurs parents et inscrits sur un registre civique, le catéchisme de la liberté. Ces officiers de morale qui, sans mystères comme sans dogmes, prouveraient que des vertus sont utiles au bonheur commun, et que la première de toutes, puisque sans elle on ne peut en avoir d'autres, est l'amour de la patrie, avanceront plus la régénération des mœurs que des prédicateurs de carême qui, pour vouloir faire des saints, ne font pas même des hommes[42] ».

Quelques jours après, le 29 novembre 1791, Palissot donnait lecture au club des passages les plus significatifs d'un pamphlet anticlérical, qu'il venait de composer[43]. S'adressant a la Législative, il l'invitait « à opposer aux catéchismes d'erreur des prêtres, des catéchismes d'une morale saine et épurée, a leurs fêtes superstitieuses des fêtes civiques... »

L'Église romaine, continuait-il, est incompatible avec un État fondé sur la liberté et l'égalité. Ses dogmes sont intolérants et immoraux. Ses prêtres, placés hors de la nature par l'obligation du célibat, doivent être surveillés, d'autant plus (pic leur puissance, reposant sur la confession, est plus redoutable. La Législative devrait supprimer la confession, « cette institution monstrueuse, qui blesse la morale et la pudeur, et qui fait les Jacques Clément et les Ravaillac... »

Palissot ne put achever sa lecture. Le « législateur incorruptible » lui coupa la parole ' : « Nous ne devons pas, s'écria Robespierre, aux applaudissements de la majorité du club, sortir de la ligne de démarcation que nous a prescrite l'Assemblée constituante. Je crois donc que la société ne peut entendre cet ouvrage sans danger. Il ne faut pas heurter de front les préjugés religieux que le peuple adore. Il faut (pic le temps mûrisse le peuple et le mette insensiblement au-dessus des préjugés. Je demande (pic la société passe a l'ordre du jour et qu'elle s'occupe des objets que les circonstances rendent plus pressants... ». En vain, 1\ Manuel prit la défense de Palissot, demanda qu'il fût entendu jusqu'au bout, car le temps était arrivé où on pouvait parler des prêtres et des rois. La majorité se prononça pour Robespierre et passa a l'ordre du jour, en témoignant toutefois à Palissot sa reconnaissance pour les réflexions philosophiques qu'il lui avait communiquées[44].

Cette première escarmouche fut suivie d'autres rencontres. Durant toute l’année 1702, la tribune des Jacobins fut le champ clos des philosophes intransigeants et des philosophes opportunistes.

Le 3 février, Manuel annonça au club la mort de Cérutti, le fondateur de la Feuille Villageoise, qui avait donné l'élan à la campagne anticléricale. Ayant prononcé l'éloge du défunt, il demanda que la Société envoyât des commissaires à ses obsèques, « qui se feront^ sans doute, poursuivit-il, dans une église, car nous sommes si libres que la philosophie n'a pas encore de cimetière. » — Encore une Ibis, Manuel retrouva en face de lui Robespierre : « Il est des morts, dit celui-ci avec dédain, qui méritent indulgence. » Et, désavouant la campagne de déchristianisation, il lit passer à l'ordre du jour, sous prétexte que Cérutti n'était pas jacobin[45].

Robespierre et Guadet. — Mais, à aucun moment, l'antagonisme n'éclata mieux entre ; les deux partis philosophiques qu'à la grande séance du 26 mars 1792[46]. Ce jour-là, Robespierre donna lecture d'un projet d'adresse aux sociétés affiliées pour stimuler leur propagande patriotique. Il y parlait, à plusieurs reprises, de la Providence, qui avait protégé la Révolution contre ses ennemis et qui la ferait triompher encore des nouveaux périls que la guerre menaçante, pourrait lui faire courir. « Mais craignons, disait-il, de lasser la bonté céleste, qui, jusqu'ici, s'est obstinée à nous sauver malgré nous ! » Les anticléricaux du club ne purent y tenir. Ils firent un tel tumulte que l'évêque Gobel, qui présidait, fut réduit à se couvrir pour ramener le silence. L'impression de l'adresse de Robespierre, réclamée à grands cris, fut repoussée ; puis Guadet, montant à la tribune, répondit à Robespierre et lit le procès de la Providence : «... J'ai entendu souvent dans cette adresse répéter le mot de Providence, je crois même qu'il y est dit que la Providence nous a sauvés malgré nous ; j'avoue que, ne voyant aucun sens à cette idée, je n'aurais jamais cru qu'un homme, qui a travaillé avec tant de courage pendant trois ans pour tirer le peuple de l'esclavage du despotisme, pût concourir à le remettre ensuite sous l'esclavage de la superstition... » Le brouhaha recommença, le club parut partagé en deux partis presque d'égale force. — Sentant la majorité lui échapper, Robespierre quitta dans sa réplique le ton dédaigneux avec lequel il avait jusque-là combattu les déchristianisateurs. Il couvrit de Heurs Guadet, « législateur distingué par ses talents ». Il s'efforça seulement de lui prouver qu'il s'était mépris sur sa véritable pensée : a je ne viens pas combattre des principes communs de M. Guadet et de moi. Car je soutiens que tous les patriotes ont mes principes, et il est impossible que l'on puisse combattre les principes éternels que j'ai énoncés. Quand j'aurai terminé ma courte réponse, je suis sûr que M. Guadet se rendra lui-même à mon opinion... » Et Robespierre proteste qu'il « abhorrait autant que personne toutes ces sectes impies qui se sont répandues dans l'univers pour favoriser l'ambition, le fanatisme et toutes les passions en se couvrant du pouvoir secret de l'Eternel, qui a créé la Nature et l'Humanité... » Mais, d'accord en principe avec les anticléricaux et aussi ennemi des prêtres qu'ils pouvaient l'être, Robespierre explique, dans un langage d'une belle sincérité et d'une grande noblesse, qu'il ne pouvait pas confondre la cause de la divinité avec celle de « ces imbéciles dont le despotisme s'était armé », qu'il croyait à la Providence, que cette croyance lui était nécessaire, comme elle était nécessaire au Peuple[47]. Quand il eut Uni, le tumulte recommença. Gobel s'efforça en vain de mettre aux voix plusieurs motions. En désespoir de cause, il dut lever la séance.

 

V

Progrès des idées philosophiques. — En dépit de la résistance des opportunistes, le parti anticlérical gagnait chaque jour du terrain. Robespierre parvenait encore et non sans peine à le tenir en respect aux Jacobins, mais il paraissait dominer de plus en plus à la Législative, où les amis de Guadet et d'Isnard, les Brissotins, formaient la majorité. Le 12 mai 1792, l'Assemblée fut le théâtre d'une scène qui annonce déjà 1793. Le vicaire de Sainte-Marguerite, l'abbé Aubert, l'un de ces prêtres philosophes qui des premiers avaient violé le célibat, se présenta à la barre accompagné de son épouse. Le Président lui accorda la parole et Aubert put se glorifier d'avoir donné l'exemple à suivre aux curés patriotes : « Il est temps que les ministres du culte romain se rapprochent de leur sainte origine ; il est temps qu'ils rentrent dans la classe des citoyens ; il est temps enfin qu'ils réparent par l'exemple des vertus chrétiennes et sociales tous les scandales, tous' les maux que le célibat des prêtres a causés... ».

Non seulement ces déclarations, outrageantes pour les évoques et les prêtres constitutionnels qui siégeaient là en grand nombre, furent applaudies, à la presque unanimité, dit le Moniteur[48], mais Aubert fut invité aux honneurs de la séance avec son épouse et les parents qui l'accompagnaient.

Vers le même temps, la Feuille Villageoise, dont la campagne anticléricale redoublait de violence, notait avec satisfaction les progrès que faisait la tolérance. A Liancourt, le curé consentait à recevoir dans le cimetière catholique, en terre sainte, le corps d'un protestant. A Pignan, près de Montpellier, à Valence (Drôme), à Jallieu près Bourgoin (Isère), les ministres protestants et catholiques s'embrassaient à la fête d'inauguration du buste de Mirabeau[49]. Thévenet, curé de Salagnon, près Bourgoin (Isère), protestait dans le journal contre l'emploi de la langue latine dans le culte, et son confrère Dupuis, curé de Droyes, imitait son exemple[50].

Les Révolutions de Paris vitupéraient sans relâche contre la « corporation des théophages ». Dans leur numéro 144[51], elles citaient avec éloge, comme un exemple à suivre, la conduite philosophique des habitants de Vaudreuil, près d'Epernay, qui, après la suppression de leur paroisse, s'étaient assemblés et avaient nommé curé l'un d'eux, un manouvrier du nom de Pierre Bonnet. Dans un numéro suivant[52], elles donnaient à un article anticlérical cette conclusion : « Pourquoi ne pas le dire ? n'en est-il pas bien temps ? Tout prêtre est sot ou fourbe, il n'y a point d'intermédiaire ». Il était difficile de déclarer au clergé, à tout le clergé, une guerre plus implacable.

La Fête-Dieu à Paris en 1792. — Encouragé par l'attitude de la Législative, par les nouvelles venues des départements et par le ton de la presse, P. Manuel résolut de frapper un grand coup le jour de la Fête-Dieu. Sur son réquisitoire, la municipalité parisienne prit, le 1er juin 1792, un arrêté destiné à enlever à l'Eglise constitutionnelle le caractère officiel dont elle était encore revêtue[53]. Jusque-là, les autorités, escortées de la garde nationale, avaient figuré au premier rang des cortèges religieux, les joins de grandes fêtes. Désormais, les autorités s'abstiendraient d'y paraître en corps. Les citoyens ne seraient plus forcés de tendre ou de tapisser l'extérieur de leurs maisons, « cette dépense devant être purement volontaire et ne devant gêner en aucune manière la liberté des opinions religieuses ». La garde nationale ne pourrait plus être requise pour le service du culte, « les citoyens soldats ne devant se mettre sous les armes que pour l'exécution de la loi et la sûreté publique ». Enfin, la circulation cesserait d'être interdite sur le passage des processions, « la prospérité publique et l'intérêt individuel ne permettant pas de suspendre la liberté et l'activité du commerce ».

Dans une circulaire aux quarante-huit sections, Manuel se chargea de préciser le sens et la portée de l'arrêté municipal[54]. Après avoir dénoncé « les maximes intolérantes et superstitieuses des siècles d'ignorance et de tyrannie », « le temps, sans doute, prédisait-il, n'est pas éloigné où chaque secte religieuse, se renfermant dans l'enceinte de son temple, n'obstruera plus, à certaines époques de l'année, par des cérémonies extérieures, la voie publique, qui appartient à tous et dont nul ne peut disposer pour son usage particulier. » Et Manuel entrevoyait même dans le lointain « l'anéantissement de tous les préjugés sous le joug desquels les hommes ont été courbés pendant longtemps ».

L'initiative de la municipalité parisienne ne fut pas perdue. Quelques jours après, ayant reçu l'invitation du clergé de Saint-Germain-l'Auxerrois, la Législative eut à examiner si elle assisterait en corps, à la procession du Saint-Sacrement. Sur la proposition de Duquesnoy, elle avait déjà décidé qu'elle accepterait l'invitation. -Mais des protestations s'élevèrent. Pa6toret reprit à la tribune les arguments de Manuel sur la neutralité de l'Etat et, finalement, obtint le rapport du décret[55]. Il fut seulement décidé que l'Assemblée ne siégerait pas le matin de la Fête-Dieu pour permettre à ses membres de se rendre à la procession à titre individuel. La Législative se solidarisait donc en principe avec la municipalité parisienne, et les journaux brissotins ne manquèrent pas de s'en féliciter[56].

Les Jacobins eux-mêmes parurent se ranger du côté de P. Manuel. Déjà, à la séance du 8 juin, Delacroix avait demandé la suppression des traitements ecclésiastiques. « Pourquoi salarier exclusivement certains prêtres ? » Préludant à la propagande hébertiste, il avait proposé « d'envoyer dans les fournaises nationales des monnaies toutes ces cloches qui ne servent qu'à troubler votre repos. » « Détruisez, continuait-il, ces signes d'esclavage et d'idolâtrie qui ne servent qu'à entretenir l'ignorance et la superstition. Remplacez-les par les images des Rousseau, des Franklin, de tous ces hommes anciens et modernes qui rempliront le peuple d'un noble enthousiasme pour la liberté. Laissez à leurs immortels écrits le soin d'instruire vos concitoyens, au lieu de cette horde de gens à préjugés dont ils peuvent sans doute se passer... » L'impression de ce discours était demandée par une partie du club et combattue par l'autre. Pour couper court à toute opposition, Delacroix déclarait qu'il ferait imprimer son discours à ses frais[57].

A la séance du lendemain, un autre Jacobin, Mathieu, vint approuver l'arrêté de la municipalité parisienne et exhorter les bons citoyens, surtout ceux des tribunes, à redoubler d'activité pour assurer son exécution[58]. Et le surlendemain, les Jacobins firent un très mauvais accueil à une pétition de « fanatiques » qui venaient protester contre l'arrêté de Manuel.

L'événement montra cependant que le parti anticlérical, s'il dominait à la mairie, à la Législative, et parfois aux Jacobins, n'était pas encore maître de la rue, tant s'en fallait ! Les processions se déroulèrent comme d'habitude, escortées par un grand nombre de gardes nationaux en armes, venus à litre individuel. Les juges des tribunaux en corps occupèrent dans le cortège leur place habituelle. Le curé de Saint-Séverin, dans une lettre insolente, avertit Manuel que sa procession serait escortée de cinquante grenadiers, et il l'invita a venir la disperser avec son écharpe. Plusieurs anticléricaux, qui n'avaient pas pavoisé ou qui refusèrent de se découvrir sur le passage du Saint-Sacrement, furent injuriés, molestés. Le boucher cordelier Legendre, qui allait dans sa voiture à Poissy pour ses affaires, n'ayant pas voulu céder la place à la procession de Saint-Germain-des-Prés, provoqua une bagarre dans laquelle il eut le dessous.

Les philosophes durent convenir en eux-mêmes que l'anéantissement des préjugés religieux n'était pas si proche qu'ils l'avaient espéré. Le soir même de la fête, P. Manuel gémissait aux Jacobins, qui l'avaient nommé leur Président, sur l'insubordination d'une partie de la garde nationale / parisienne. « Les magistrats du peuple, disait-il, ont été méprisés pour obéir à des prêtres ! »

Les Robespierristes ne manquèrent pas de tirer de l'événement la leçon qu'il comportait et de proclamer bien haut qu'il justifiait leurs craintes et leurs conseils de prudence. Ne se souvenant plus qu'il avait applaudi l'année précédente au défi porté par Cloots à Fauchet, Camille Desmoulins donnait tort à Manuel dans un article de la Tribune des Patriotes[59]. « Je crains bien que le jacobin Manuel n'ait fait une grande faute en provoquant les mesures contre la procession de la Fête-Dieu. Mon cher Manuel, les rois sont mûrs, mais le bon Dieu ne l'est pas encore. Si j'avais été membre du Comité municipal, j'aurais combattu cette mesure avec autant de chaleur qu'eût pu faire un marguillier... A Paris même, comme dans les départements, le réquisitoire du patriote Manuel a le grand inconvénient de soulever contre la Constitution les prêtres constitutionnels qui ont rendu de si grands services, qui ne peuvent voir dans un semblable arrêté que le plus sinistre présage pour leur marmite, et c'est toujours, par le renversement des marmites que s'opèrent les révolutions et les contre-révolutions. »

Mais le mouvement anticlérical était déjà trop fort pour que ces conseils de prudence pussent être écoutés. La leçon de la Fête-Dieu ne 1U que démontrer à P. Manuel et à ses amis la nécessité de redoubler d'énergie, et leur campagne continua plus vigoureuse que jamais. Les journaux brissotins donnèrent avec ensemble, suivis par les journaux cordeliers, qui seront bientôt les journaux hébertistes : le Patriote Français, la Chronique de Paris, à côté des Révolutions de Paris et du Père Duchesne. « Va toujours, brave Manuel, s'écriait le Père Duchesne[60], va et nous te soutiendrons, tais pénétrer le flambeau de la raison dans la caverne des préjugés, et fous-moi l'Ame à l'envers à tous les fanatiques... » Et la Chronique de Paris reprenait : « Ô peuple français, que tu es encore loin d'être libre ! Ô prêtres de toutes les religions, jusques à quand n'empêcherez-vous plus les hommes de marcher librement et tranquillement ?[61] »

La campagne philosophique continua plus ardente que jamais, avivée encore par les premières défaites sur les frontières. P. Manuel put poursuivre sans obstacle sa prédication aux Jacobins. A la séance du 29 juillet, il annonçait au club qu'il allait convoquer les électeurs parisiens pour la nomination à deux cures vacantes, et à cette occasion, il recommandait aux suffrages des patriotes « les prêtres les plus dignes, ceux qui sont époux et pères ». « Loin de nous, s'écriait-il, ces prêtres qui croient que l'usufruit des femmes est bon et non pas la propriété, qui ne veulent pas en avoir à eux pour user de celles des autres[62],.. »

On peut dire qu'a la veille du 10 août, l'Eglise constitutionnelle, minée par cette propagande philosophique, perdait de jour en jour son action sur les patriotes. La majorité des évêques et des prêtres jureurs, indignés de ce qu'ils appelaient de l'ingratitude, n'étaient pas loin déjà de se retirer du combat politique. Dès ce moment, ils se détachent peu à peu de la Révolution et rentrent sous la tente. Certains même n'espèrent plus qu'en une réconciliation honorable avec les réfractaires[63]. Inversement, la petite minorité des prêtres philosophes, groupés autour de la Feuille Villageoise, rompent de plus en plus ouvertement avec le catholicisme, se marient, se laïcisent, fréquemment le club aussi souvent que l'église. Ils seront demain les prêtres du nouveau culte civique, à l'organisation duquel les hommes politiques travaillent 'maintenant en plein jour.

 

VI

Les projets de fêtes civiques sous la Législative. — Pendant ces premiers mois de 1792, la propagande philosophique n'avait pas été purement négative, elle avait pris de bonne heure une forme positive.

Détruire le catholicisme, c'était bien ; le remplacer c'était mieux. Les projets de culte civique, déjà esquissés par Mirabeau et Talleyrand, sont alors repris, étendus, approfondis, et ouvertement dressés contre le catholicisme.

De Moÿ. — A deux reprises différentes[64], P. Manuel avait signalé aux Jacobins, avec force éloges, la brochure qu'un curé de Paris lit paraître dans les premiers jours de 1792, Accord de la Religion et des Cultes chez une nation libre[65]. Par l'effort de logique qui s'y manifeste, aussi bien que par la hardiesse des vues, la brochure méritait tout-à-fait l'honneur que lui faisait Manuel, et ce n'est pas exagéré de dire qu'elle fournit aux philosophes plus d'une arme excellente contre le catholicisme et qu'elle leur suggéra l'idée de certaines de leurs créations civico-religieuses.

De Moÿ s'attachait d'abord à montrer la nécessité d'une prompte suppression de la Constitution civile du clergé, « cette tâche qui souille la Constitution de l'Empire, cette monstruosité dans le code sublime de nos lois[66] ». A l'en croire, la Constitution civile, œuvre de cette sottise « appelée Jansénisme », était capable d'ébranler l'institution politique nouvelle et même de l'anéantir, car où s'arrêterait la guerre religieuse ? Le meilleur, le seul moyen de ramener le calme, c'était de laïciser l'Etat. Cette solution avait déjà été préconisée par André Chénier, Lemontey, Ramond et beaucoup d'autres, quelques mois auparavant. Mais le curé de Saint-Laurent lui donnait une portée tout autre. Il n'entendait pas que l'Etat, au lendemain de la séparation, restât désarmé devant les religions. La laïcité, telle qu'il la concevait, n'était pas une laïcité morte, mais une laïcité active. Il réservait à l'Etat un droit de contrôle et de censure sur tous les cultes, et, au-dessus des religions particulières, il élevait la religion nationale.

La nation, disait-il, a le droit de proscrire des cultes tout ce qu'ils auraient de contraire aux bonnes mœurs et aux lois. Par exemple, elle devra en proscrire le célibat, qui est contraire à la nature et aux mœurs (p. 15). La nation n'a pas seulement un droit de surveillance morale sur les ministres des cultes, elle est aussi revêtue d'un droit d'inspection sur leurs rites, sur leur liturgie, sur leurs missels. Qu'on ne dise pas que l'exercice de ce dernier droit viole la liberté de la presse ! Les livres religieux ne seront pas examinés comme livres, mais comme formulaires obligatoires, comme des règlements particuliers qui « font la loi pour une certaine portion de citoyens, dont ils dirigent conséquemment non seulement les opinions, mais aussi les actions (p. 16) ». « Or, une seule loi doit commander à tous, la loi nationale, et nulle loi particulière ne peut, n'a le droit de soustraire le moindre citoyen à l'empire légitime de celle de la nation. » En conséquence, l'Etat peut et doit supprimer ces excommunications, ces anathèmes, lancés contre les citoyens qui vendent ou achètent les biens nationaux.

A la nation revient aussi légitimement le droit de régler les manifestations extérieures des cultes : « La voie publique, comme place, carrefour, chemin, appartient au public, c'est-à-dire également et en tout temps à tous les citoyens ; elle doit donc toujours être libre à tous et pour tous ; mais elle cesserait de l'être, si un particulier ou une société partielle avait le droit d'en détourner même momentanément la destination à des usages particuliers et qui lui seraient propres. » Autrement, ce serait permettre aux cultes particuliers de transformer la voie publique en temple[67].

Il n'est pas jusqu'au costume des ministres des cultes que la nation ne puisse pas réglementer. « Il ne doit y avoir d'autres distinctions dans la société et parmi les citoyens que celle que la loi elle-même y aura introduite ». Permettre aux prêtres de porter des costumes particuliers, ce serait leur laisser « autant de signes de ralliement contre la grande société », sans compter que, sur le peuple, « le costume est la recommandation la plus imposante qu'on puisse supposer... ». « Le peuple confond l'habit avec l'individu, e cet habit devient l’épouvantail ou l'idole, que tantôt il révère et tantôt il encense... L'esprit de Saint-François est dans sa robe, l'esprit de Saint-Dominique est dans son babil, l'esprit de Saint-Bernard est dans son froc...[68] ». Pour des raisons analogues, l'Etat réglementera la sonnerie des cloches : « un son aussi bruyant et qui se propage à des distances aussi considérables que celui des cloches, devra être réservé uniquement pour les objets généraux de police et lorsqu'il s'agirait de convoquer, de réunir les citoyens pour quelques intérêts de la chose commune... (p. 46) »

Les sépultures enfin ne peuvent échapper à la surveillance de la nation. Sans doute, chaque citoyen est propriétaire de son corps et peut en disposer, choisir et désigner le lieu de son dernier repos. « Mais si nous n'avons rien prévu, rien déterminé à l'égard de notre corps, lorsque nous ne serons plus, et si notre volonté ne s'est point expliquée par rapport à notre sépulture, alors c'est à la société elle-même à y pourvoir et à s'en occuper... » Il y aurait un véritable danger social à confier aux religions particulières le soin d'ensevelir leurs fidèles. Dans ce cas, en effet, « les inhumations seront toutes liturgiques, toutes dans l'esprit particulier de tel ou tel culte respectivement, et elles n'offriront, par conséquent, aux yeux du peuple, rien de civique, rien qui ait trait à la société ; on ne pourra pas dire : « C'est un citoyen qu'on enterre ; » on dira : « C'est un catholique romain, c'est un luthérien, c'est un juif, etc. (p. 62) » S'il en était ainsi, s'il y avait autant de formes différentes d'inhumations qu'il y a de cultes différents dans le royaume, « la société cesserait d'être une ; une ligne absolue de démarcation serait tirée dès lors entre la société des morts et la société des vivants.... Le citoyen, en mourant, semblerait s'isoler et faire schisme avec la grande société[69] » Il était difficile de pousser plus loin la passion de l'unité. Toujours logique, De Moÿ poursuivait en demandant la création d'un service public des funérailles, .* et il décrivait les symboles naturalistes qu'il proposait pour décorer les cérémonies funèbres. « Peignez-nous le sommeil ; mourir, c'est s'endormir pour la dernière fois, s'endormir sans espoir de réveil, sans espoir de retour à cette longue veille qu'on appelle la vie...[70] »

Mais, réunir tous les Français dans le même cérémonial funèbre n'est pas suffisant. Il faut que, dès cette vie, ils se sentent concitoyens et frères, qu'ils communient certains jours dans le culte commun de la Patrie. « Aussi bien que chaque culte, la Nation a aussi ses fêtes, c'est-à-dire ses fastes, ses événements à jamais mémorables qu'elle célèbre... », et De Moÿ traçait à grands traits le plan de cette religion nationale, à laquelle il voulait subordonner toutes les autres. A l'en croire, la Religion nationale des Français était née le jour de la Fédération. Avant ce jour-là, « déjà le peuple français avait osé s'intituler Nation, mais la nation n'existait point encore ; jusque-là point de pactes de famille entre les citoyens, point de nœuds qui les unissent ensemble, point de serments jurés entre les mains des uns des autres en signe d'union, en signe d'égalité, en témoignage, en garantie d'une sincère et éternelle fraternité (p. 96). » La Religion nationale existe, il n'y a qu'à la perfectionner et qu'a la compléter. Il faudra tout d'abord la dégager de l'alliage impur des autres religions, la rendre tout à fait laïque : « Cet autel, au liant duquel vous bissez le prêtre romain avec son diacre, son sous-diacre, et toute sa suite de lévites en tuniques et en aubes, pour y messer[71], nous appelons cela l'autel de la Patrie. Quoi ! La France est donc un pays d'obédience et totalement sous la dépendance du Pontife romain, de ses cardinaux et de ses prélats ! (p. 100) » Arrière donc le prêtre ! Les cérémonies civiques seront présidées à l'avenir par le magistrat, ou le vieillard le plus vénérable, par le patriarche de la cité, qui ouvrira la cérémonie par un cantique à la Liberté recouvrée. La jeunesse chantera ensuite le respect dû a la famille et à la cité. Des orateurs liront au peuple l'histoire des événements mémorables qui ont fondé la Liberté. Ainsi, la Nation aura aussi son culte, sa bannière, une bannière sous laquelle tous les Français, sans distinction de culte, viendront se ranger ! Le culte national, De Moÿ l'espère bien, remplacera peu à peu tous les autres. « Les faquirs et les bonzes, cette nuée d'individus stériles et hypocrites, avares et malfaisants » disparaîtront enfin devant la Philosophie et la liaison, et la régénération sera accomplie !

La portée du livre de De Moÿ fut considérable[72]. Jamais on n'avait encore formulé avec cette netteté et cette ampleur le projet de détruire le catholicisme en le remplaçant. Les philosophes s'approprièrent les propositions du curé de Saint-Laurent et jusqu'à ses arguments et jusqu'à «es exemples. La Législative ne se séparera pas sans réaliser une partie de son programme, qui devait être appliqué en entier par la Convention et par le Directoire.

Les journaux philosophiques s'appliquèrent immédiatement à l'aire connaître l'écrit du curé de Saint-Laurent., La Feuille Villageoise en donna de longs extraits dans son numéro du i5 mars 1792. Les Révolutions de Paris, après avoir félicité l'auteur, tirèrent cette conclusion[73] : « Seulement trois curés de cette trempe dans charmé département et le vœu de Mirabeau ne tarderait pas à être accompli, la France serait bientôt décatholicisée. Si cette bonne fortune nous arrive, nous en devrons de la reconnaissance à ce député suppléant qui consolerait bien vite l'Assemblée nationale de la perte qu'elle dit avoir' faite dans la personne du défunt Cerutti ». Et le journal de Prud'homme ajoutait ensuite une réflexion, dont plus d'un lecteur dut sentir la justesse : « Ce que nous ne concevons pas bien, c'est de voir M. De Moÿ, après la profession de foi qu'il vient de publier hautement et avec succès dans son livre De l'Accord de la Religion et des Cultes, affublé encore d'une étole, d'une chasuble, chantant oremus au lutrin, et de le voir messer encore à l'autel... »

Les idées de De Moÿ ne tardèrent pas à être portées à la tribune de la Législative.

Le rapport de Français (de Nantes) du 26 avril 1792. — Le 26 avril 1792, Français (de Nantes), au nom du Comité des Douze, donna lecture d'un grand rapport sur les moyens de ramener la tranquillité dans l'intérieur du royaume[74]. Esquissant à sa manière l'histoire des religions, il dénonça les crimes des prêtres, qui avaient altéré la belle simplicité du culte des premiers hommes, pour asservir et abrutir le peuple : « Nous sommes arrivés au point où il faut que l'Etat soit écrasé par cette faction, ou que cette faction soit écrasée par l'État... » Mais, comment écraser les réfractaires ? On leur interdira d'abord l'usage du confessionnal, puis on les internera au chef-lieu du département, et enfin on les déportera. Seuls, les prêtres constitutionnels pourront dorénavant enseigner le peuple dans la chaire publique et dans la chaire secrète. Est-ce à dire qu'il faudra se borner à faire triompher ces derniers ? Français (de Nantes) ne le pense pas. Les prêtres constitutionnels, malgré tout, sont des prêtres. Ils auraient grand besoin de se réformer eux-mêmes, et Français (de Nantes) veut espérer qu'« un jour, délivrés de leurs adversaires, environnés de plus de lumières et de moins de périls, ils diront avec Thomas Paine : « Tous les cultes qui rendent les hommes bons, sont bons ». Autrement dit, il les voit déjà rejeter le catholicisme pour adhérer à la religion naturelle. Les applaudissements unanimes de l'Assemblée et des tribunes qui saluèrent ce vœu montrèrent qu'il était partagé par la plupart des patriotes.

Mais Français (de Nantes) ne compte pas seulement sur les bons prêtres pour ramener le peuple à la Constitution, il propose toute une série d'autres remèdes. Il voudrait qu'une fois par mois, la Législative adressât officiellement aux citoyens des instructions, des conseils et des monitoires. Ainsi, les Législateurs deviendraient aussi les « précepteurs du peuple ». Leurs instructions périodiques seraient lues avec avidité dans toutes les communes, dans toutes les écoles, dans tous les clubs. Elles serviraient de point de ralliement à la divergence des opinions, et de contre-poison aux productions de l'esprit de parti. » En même temps, on obligerait les municipalités « à rassembler leurs concitoyens tous les dimanches à la maison commune, pour leur lire les lois qui auront été décrétées durant la semaine et leur donner des instructions relatives a la situation des affaires en général, et à leur position en particulier ». — N'était-ce pas tracer six ans d'avance le programme des réunions décadaires du Directoire ?

Le rapport de Français (de Nantes) fut accueilli par une « acclamation unanime », et l'Assemblée en ordonna l'envoi aux quatre-vingt-trois départements[75].

Nouveau débat sur les réfractaires. — Le 15 mai, la discussion s'ouvrit sur le projet de décret qu'il avait présenté au nom du Comité des Douze. Isnard déplora, une fois de plus, l'erreur de la Constitution civile du clergé, il dénonça les intrigues et les trahisons de la Cour, et conclut, comme Français, en demandant la déportation des réfractaires. Le lendemain, Lecointe-Puyraveau, Vergniaud, venaient de conclure dans le même sens, quand le curé de Saint-Laurent, De Moÿ monta à son tour à la tribune[76]. Alors que les précédents orateurs n'avaient regretté l'erreur de la Constitution civile qu'en passant et sans y insister, De Moÿ en fit le centre de son discours. Avec une grande force, il montra que la Constitution civile était en contradiction formelle avec la Déclaration des Droits, puisqu'elle créait en France, un clergé privilégié. « Autrefois, s'écriait-il, on poursuivait comme hérétique, on au moins comme schismatique, quiconque redisait de communiquer avec le clergé romain, aujourd'hui celui qui refuse de reconnaître le prêtre constitutionnel est suspecté, noté d'incivisme ou d'aristocratie. Je vous demande, Messieurs, si vous aviez dans le sein d'un empire une société religieuse qui, à ce titre, regarderait le grand Lama comme son légitime et unique souverain, la nation se chargerait-elle, s'amuserait-elle à en nommer les ministres ? Diviserez-vous tout exprès pour eux la France comme un échiquier ?[77] ». Et De Moÿ conclut en demandant l'abrogation pure et simple de la Constitution civile, et en proposant pour la remplacer une loi sur la police des cultes, qui donnerait aux citoyens la liberté de choisir leurs prêtres. Interrompu par les évêques constitutionnels[78], De Moÿ fut applaudi par la grande majorité de l'Assemblée qui ordonna l'impression de son discours. Ramond vint proposer d'accorder la priorité à son projet de décret, mais alors se produisit un de ces brusques revirements, dont la Législative fut assez coutumière. Un député, dont le nom n'est pas connu, appela l'attention de ses collègues sur les dangers de la motion qu'ils allaient voter : « On a cherché à insinuer au peuple qu'il était dans le système de l'Assemblée constituante d'abolir la religion et qu'après avoir paralysé l'ancien clergé, on proposait d'abolir le reste. Eloignons-nous de toutes les mesures qui tendraient à accréditer cette opinion ; car nous pourrions nous attendre à avoir la guerre civile en même temps que la guerre étrangère[79]. » Comme au mois de novembre de l'année précédente, l'Assemblée recula, effrayée devant la crainte que le peuple pût croire qu'elle voulait abolir la Religion, et elle se résigna à maintenir la Constitution civile. Sur la proposition de Delacroix, la motion de De Moÿ fut écartée par la question préalable.

Le débat se rouvrit le 24 mai[80] ; le prêtre constitutionnel Ichon présenta la défense de son église et montra que la séparation réclamée par Ramond et De Moÿ ne profiterait qu'aux réfractaires, c'est-à-dire aux ennemis de la Révolution. Becquet lui opposa la thèse de la séparation. Pour légitimer les mesures d'exception contre les réfractaires, Larivière invoqua l'autorité de Rousseau et donna lecture de son chapitre sur la religion civile. Ramond répliqua que le Contrat social ne « s'entend point comme tous les livres », et il s'éleva avec force contre la déportation des prêtres par autorité administrative. « C'est ainsi qu'en usait Louis XIV contre les Jansénistes. » Guadet dénonça les « sophismes » de Ramond, montra « l'insurrection générale des réfractaires », parla de la « voix du peuple ». Ramond voulut répondre, mais la majorité avait son siège fait, la discussion fut fermée et votée la déportation des prêtres insermentés[81].

Encore une fois la Constitution civile du clergé, condamnée en principe par la majorité des députés, n'avait été maintenue que pour des considérations politiques. Mais, chaque jour, le fossé se creusait un peu plus profond entre les philosophes et le clergé constitutionnel, car, chaque jour, s'accusait plus évidente l'impuissance de ce clergé à défendre la Révolution.

Le Comité d'instruction publique et la propagande civique. Condorcet. — Le Comité d'instruction publique de l'Assemblée avait reçu mission de reprendre l'œuvre où le clergé constitutionnel avait échoué, d'organiser en même temps que l'éducation des enfants, l'instruction civique du peuple. Au moment même où le débat sur les prêtres allait s'ouvrir, les 20 et 21 avril 1792, Condorcet donna lecture au nom de ce Comité de son célèbre rapport sur « l'organisation générale de l'instruction publique[82] ». Il s'était bien gardé d'oublier que les fêtes nationales étaient une branche de l'éducation du peuple : « Les fêtes nationales, en rappelant aux habitants des campagnes, aux citoyens des villes, les époques glorieuses de la liberté, en consacrant la mémoire des hommes dont les vertus ont honoré leur séjour, en célébrant les actions de dévouement ou de courage dont il a été le théâtre, leur apprendront à chérir des devoirs qu'on leur aura fait connaître[83]. » Plus encore que sur les fêtes civiques, Condorcet comptait sur les conférences populaires pour détromper les citoyens et leur enseigner les vertus patriotiques. Mais alors que Lanthenas s'adressait pour organiser ces conférences aux sociétés populaires et Français (de Nantes) aux municipalités, Condorcet réclamait le même service, des instituteurs. Son projet de décret contenait un article ainsi conçu :

« Tous les dimanches, l'instituteur donnera une instruction publique, à laquelle les citoyens de tout âge, et surtout les jeunes gens qui n'ont pas encore prêté le serment civique, seront invités d'assister.

Ces instructions auront pour objet :

1° De rappeler les connaissances acquises dans les écoles :

2° De développer les principes de la morale et du droit naturel ;

3° D'enseigner la Constitution et les lois dont la connaissance est nécessaire à tous les citoyens, et en' particulier celles qui sont utiles aux jurés, juges de paix, officiers municipaux, d'annoncer et d'expliquer les lois nouvelles qu'il leur importait de connaître[84] ».

Quand il réimprimera son rapport en 1793, Condorcet donnera a sa pensée une forme plus précise. Il écrira j alors que les conférences hebdomadaires, faites par les instituteurs, auront surtout cette utilité de préserver le peuple « des sorciers et des raconteurs de miracles ». — « Je voudrais même, dit-il, que les maîtres en fissent de temps en temps quelques-uns [des miracles] dans les leçons hebdomadaires et publiques : un canard de verre qui vient chercher le morceau de pain qu'on lui présente avec un couteau, la réponse à une question que l'on fait trouver dans un livre tout blanc, le feu qui se montre au bout d'une pique, le bûcher qui s'allume en arrosant la victime, le sang qui se liquéfie, les miracles d'Élie ou de saint Janvier et mille autres de cette espèce ne seraient ni coûteux ni difficiles à répéter. Ce moyen de détruire la superstition est des plus simples et des plus efficaces[85] ».

Ainsi, la propagande civique par les conférences populaires ne tarderait pas à devenir une arme aux mains des déchristianisateurs.

Projets de fêtes civiques émanés de simples particuliers. — La Législative se sépara avant que son Comité d'instruction publique lui eût soumis un projet de décret pour organiser les fêtes nationales. Mais l'idée faisait son chemin que la Patrie devait avoir ses solennités particulières, distinctes de celles des religions, et que ces solennités seraient une école de civisme et de fraternité.

Dès avril 1792, les simples citoyens adressent à l'Assemblée des projets de fêtes patriotiques, tel ce Duport-Roux, citoyen actif de Romans, qui écrivait ceci au Président de la Législative, le 27 avril 1792 :

« ... La tolérance religieuse, dont la raison fait un précepte, est un des articles de la charte constitutionnelle.

Le Luthérien, le Calviniste, ne peuvent pas être obligés à quitter leurs temples, ni le juif a sortir de sa synagogue pour se parjurer dans les églises.

Le non-conformiste ne mêlera-t-il point sa joie à celle du conformiste, parce que leurs opinions religieuses ont quelque différence ?

L'Assemblée Nationale a, ce semble, à s'occuper d'un mode de jubilation et d'actions de grâces qui puisse être commun à tous les citoyens, qui ne laisse pas apercevoir la diversité des croyances ou l'uniformité exclusive d'un culte, qui, en respectant la liberté des, consciences, excite le patriotisme à prendre tout son essor.

Voici celui que vient soumettre à l'Assemblée législative un citoyen qui aime véritablement sa patrie, et qui, redoutant tout ce qui peut diviser les esprits, désire avec passion ce qui tend à unir les sentiments.

Les directoires des districts indiqueront a chaque fête nationale un lieu de rassemblement dans chaque canton.

Les municipalités s'y rendraient avec l'écharpe, au milieu de leurs gardes nationales respectives sous les armes.

Un feu de fagots qui aurait été dressé, serait allumé par les maires et par les officiers municipaux de chaque commune.

Cette cérémonie serait précédée de cette invocation qu'adresserait à l'Être suprême le maire doyen d'âge, qui ne serait lé ministre d'aucun culte.

« Père commun des hommes, qui les avez créés frères, recevez l'hommage de vos enfants, et répandez sur eux l'esprit de vérité, de justice et de paix. »

Pendant que le feu brûlerait, les citoyens formés en chœurs, accompagnés d'instruments de musique, chanteraient les dix-sept articles de la Déclaration des Droits[86]... »

Vers le même temps, le « sieur Poyet, architecte de la ville de Paris », dans un Projet de cirque national, et de fêtes annuelles[87], demandait à son tour à l'institution des fêtes civiques la sauvegarde du nouveau régime :

« Il faut que l'empire des mœurs s'unisse à celui des lois, il faut que l'homme apprenne à chérir autant qu'à connaître les bienfaits d'une bonne législation ; il faut que l'esprit public se forme et détermine avec autant de rapidité que d'énergie le sentiment du bien commun et le général amour de la prospérité publique. Si nos mœurs restent les mêmes, si le peuple ne s'instruit pas, nous aurons bâti sur le sable un édifice imposant mais peu solide... Rien ne tend mieux à ce but que l'institution îles fêtes publiques. Au sein des grands rassemblements qu'elles produisent, les citoyens s'unissent, se jugent, se connaissent, une bienveillance commune les anime, l'imagination s'exalte, le courage s'élève, l'âme s'ouvre à l'amour de la chose publique et à celui de ses semblables... »

Un curé philosophe, qui Unira dans la Théophilanthropie, Charles Chaisneau, curé de Plombières, près Dijon, proposait, pour faire naître les bons citoyens, les héros, d'organiser tout un système gradué de récompenses nationales, qui leur seraient décernées dans des cérémonies solennelles[88]. Dans le Panthéon de ses rêves, il dispose un dyptique national, catalogue raisonné des grands hommes que la France a produits depuis le commencement de la monarchie et pendant la Révolution. Près du dyptique, sur l'autel de la Patrie, il met « une statue qui foule à ses pieds le monstre du fanatisme et de la superstition. D'une main, elle tient des chaînes brisées, de l'autre elle distribue des couronnes civiques... »

Chaisneau, Poyet, Duport-Houx, ne furent certainement pas les seuls à appeler de leurs vœux l'organisation définitive de ce culte civique dont les éléments existaient déjà à l'état spontané. Leur exemple nous montre à quelles profondeurs les conceptions des hommes politiques avaient pénétré. Il est déjà à prévoir que si ceux-ci hésitent à aller jusqu'au bout, à dresser contre le catholicisme la religion révolutionnaire, le peuple patriote se passera d'eux et ira de l'avant quand même.

Projet de Gohier sur l'état-civil. — Mais au moment où nous sommes, les législateurs n'ont pas encore appris à se délier de l'opinion publique. Ils la précèdent plutôt et lui servent de guides. Le 19 juin 1J92, lors de la discussion sur la laïcisation des actes de l'état-civil, le député Gohier, dans un discours très étudié, proposa d'entourer d'un cérémonial civique la constatation des baptêmes, des mariages et des décès. Si son projet de décret avait été adopté et mis en pratique, la religion révolutionnaire aurait été pourvue d'un culte officiel dès 1792.

A l'autel de l'ancienne religion, Gohier oppose l'autel de la religion nouvelle, l'autel de la Patrie, que chaque commune serait tenue de construire sur un modèle uniforme. Devant l'autel de la Patrie, sur lequel on lira la Déclaration des Droits, le citoyen « sera traduit à chaque époque intéressante de sa vie ». Il y sera porté à sa naissance, il y viendra recevoir des armes à 18 ans, se faire inscrire sur la liste des citoyens à 21 ans, il s'y mariera, son cadavre enfin y sera conduit pour de civiques funérailles. Bref, la Patrie aura ses sacrements comme la Religion. Tout rappellera au citoyen « qu'il nait pour sa patrie, qu'il doit vivre, qu'il doit mourir pour elle. » La Patrie, comme autrefois la Religion, prendra l'homme tout entier, le pétrira corps et âme. « Le spectacle d'un enfant, explique Gohier, intéresse l'âme la moins sensible, celui qu'offre l'union de deux époux qui se jurent mutuellement amour et fidélité n'inspire pas moins d'intérêt, et le plus barbare s'attendrit à la vue d'un ennemi même qui expire. La cérémonie lugubre d'un convoi, en rappelant à l'homme sa fin dernière, l'associe, pour ainsi dire, au deuil de la famille du décédé. Anoblissons toutes les sensations que le cœur éprouve dans ces positions diverses ; empreignons-le, s'il est permis de s'exprimer ainsi, d'une teinte civique ; profitons de l'instant où l'âme est ainsi agitée, pour la pénétrer des vertus qui doivent l'agrandir, qui doivent l'élever au-dessus d'elle-même[89]. »

Gohier ne se bornait pas à émettre des vues générales ; il esquissait pour chacun des actes principaux de la vie du citoyen tout un cérémonial civique calqué sur le cérémonial catholique.

Pour les naissances, les « magistrats du peuple », faisant fonctions de prêtres, n'inscriraient pas l'enfant sur les registres de l'état-civil sans prendre rengagement solennel, au nom de la Patrie, de l'affranchir de la servitude, de l'ignorance en lui procurant une instruction digne d'un homme libre. A son tour, le père de l'enfant, ou son parrain, prendrait l'engagement, au nom du nouveau citoyen, d'être fidèle à la Nation, soumis à la Loi et respectueux des autorités constituées. La cérémonie se (ennuierait par le cri de : « Vivre libre ou mourir ! »

A dix-huit ans, le jeune homme serait armé garde national et ferait comme une première communion civique. Tous les ans, à l'époque mémorable du 14 juillet, les vétérans conduiraient à l'autel de la Patrie les jeunes citoyens ayant l'âge requis. Là, les magistrats leur rappelleraient que la force armée n'est établie qu'en aide à la loi, qu'« ils ne reçoivent des armes que pour la défendre », etc. Ils joindraient à leurs exhortations patriotiques des conseils de morale. La même cérémonie serait renouvelée à ai ans, au moment de l'inscription civique. Tous les assistants répéteraient le serinent de vivre libres ou de mourir.

Pour les mariages, les publications seraient laites devant l'autel de la Patrie. Devant l'autel de la Patrie encore, les époux seraient unis par les magistrats. Ils annonceraient eux-mêmes « que les plus doux sentiments de la nature ne leur font point oublier qu'avant d'être l'un à l'autre, ils appartenaient à la Patrie », et ils scelleraient leur « vœu matrimonial » du cri de vivre libre ou mourir.

La Patrie enfin décernerait aux ' morts les honneurs funèbres. Tout citoyen après son décès serait présenté à son autel. Le cortège serait digne d'un homme libre. Des discours retraceraient la vie du défunt et rappelleraient les litres qu'il peut avoir à la reconnaissance publique.

La Législative écouta sans broncher le projet de Gohier, l'accueillit par « de nombreux applaudissements » et en ordonna l'impression. Huit jours plus tard, le a6 juin 1792, elle en adoptait l'article essentiel et décrétait que « dans toutes les communes de l'Empire, il serait élevé un autel de la Patrie, sur lequel serait gravée la Déclaration des Droits, avec l'inscription : le citoyen naît, vit et meurt pour la Patrie ». Par le même décret, le Comité d'instruction publique était saisi des autres articles du projet et chargé d'en rechercher les moyens d'exécution.

Le décret du 20 septembre 1792. — Le Comité d'instruction publique ne donna aucune suite à la motion qui lui était renvoyée, mais, dans sa dernière séance,' la Législative prononça la laïcisation des actes de l'état-civil, en même temps qu'elle instituait le divorce. Ces deux grands décrets, qui se complétaient, portaient le coup le plus sensible au clergé constitutionnel. La séparation de l'Eglise et de l'Etat, si souvent ajournée pour des raisons d'opportunité, s'opérait quand même en détail, et le fossé se faisait plus profond entre la Patrie et la Religion. Enlever les actes de l'état-civil aux prêtres, a dit justement M. Jaurès[90], c'était « une des mesures les plus profondément révolutionnaires qui aient été décrétées. Elle atteignait jusqu'en son fond la vie sociale. Elle changeait, si je puis dire, la base même de la vie. Et quel puissant symbole de cette grande rénovation civile dans le transport en masse de tous les registres enlevés à l'église et portés à la maison commune, dans cette clôture générale des registres anciens et dans l'ouverture des registres i nouveaux où les nouvelles générations seraient " comme affranchies de tout contact du prêtre ! »

 

VII

Le 10 août et la déchristianisation. — Depuis le 10 août, le mouvement anticlérical avait pris une force et une largeur croissantes.

A. La Commune. — La Commune révolutionnaire commençait obliquement l'œuvre de la déchristianisation et l'Assemblée suivait.

Au lendemain de l'émeute, « sur les plaintes faites par plusieurs citoyens d’exactions exercées par le clergé constitutionnel[91] », elle arrêtait la suppression du casuel. Elle instituait par le même arrêté l'égalité des funérailles et supprimait les marguilliers et leurs bancs, etc. Ce n'était là qu'un prélude. Un des considérants de l'arrêté laissait percer l'arrière-pensée déchristianisatrice : « Considérant que dans un pays libre, toute idée de superstition et de fanatisme doit être détruite et remplacée par les sentiments d'une saine philosophie et d'une pure morale... » Le 17 août, par un nouvel arrêté, la Commune réquisitionnait le bronze des églises « pour la défense de la patrie ». « Tous les simulacres bizarres qui ne doivent leur existence qu'à la fourberie des prêtres et à la bonhomie du peuple..., tous les crucifix, lutrins, anges, diables, séraphins, chérubins de bronze, seront employés à faire des canons. Les grilles des églises serviront à faire des piques[92] ». Le 30 septembre, la section de Mirabeau changeait les noms des rues qui rappelaient l'aristocratie ou le fanatisme. La rue d'Artois devenait la rue Cérutti ; la rue de Provence, la rue Franklin ; la rue de Taitbout, la rue Brutus ; la rue Chantereine, la rue de la Liberté ; la rue Saint-Georges, la rue Guillaume-Tell ; la rue Saint-Lazare, la rue des Belges ; la rue des Martyrs, la rue Régulus, etc.[93]

B. La Législative. — L'Assemblée ne restait pas en arrière de la Commune. Avec moins de violence dans la forme, elle accomplissait au fond la même besogne.

Déjà, le 19 juillet 1792, elle avait enlevé aux évêques constitutionnels leurs palais épiscopaux, qui étaient mis en vente au profit de la nation[94].

Le 14 août, sur la proposition de Delacroix et de Thuriot, elle chargea la Commune de Paris de convertir en canons le bronze des temples et des monuments nationaux. Le même jour elle révoqua l'édit de Louis XIII pour la procession du i5 août. Le même jour encore, elle entendait un de ses membres, Lejosne, dénoncer avec véhémence les obstacles apportés par certains évêques au mariage des prêtres[95].

Le 18 août, elle supprima les dernières congrégations encore existantes et renouvela à cette occasion la prohibition du costume ecclésiastique déjà décrétée le 6 avril[96].

Le 28 août, elle admettait à la barre une députation des Jacobins, qui venait offrir à la Patrie une statue de Saint-Roch en argent, et elle entendait de l'orateur de la députation ce discours hébertiste : « Les diverses confréries formaient dans l'empire des anneaux de cette chaîne sacerdotale par laquelle le peuple était esclave ; nous les avons brisés et nous nous sommes associés à la grande confrérie des hommes libres'. Nous avons invoqué notre Saint-Roch contre la peste politique, qui a fait tant de ravages en France. Il ne nous a pas exaucés. Nous avons pensé que son silence tenait à sa forme. Nous vous l'apportons pour qu'il soit converti en numéraire. Il concourra, sans doute, sous cette forme nouvelle, à détruire la race pestiférée de nos ennemis[97]. »

Le 7 septembre, enfin, la Législative convertissait en décret l'arrêté de la Commune de Paris et faisait défense aux ecclésiastiques salariés par l'Etal de recevoir un casuel, sous quelque dénomination que ce fût[98].

Dans le même temps, le ministre de l'intérieur, Roland,) organisait un bureau d'esprit public pour répandre dans toute la France la bonne parole philosophique, et l'Assemblée mettait à sa disposition cent mille livres pour cette propagande[99]. Dans toute la France, conformément aux instructions du ministre, les municipalités patriotes et les clubs redoublaient d'ardeur à catéchiser le peuple[100].

La situation à la fin de la législative. — Bref, quand la Législative se sépara, la rupture définitive entre l'Eglise et l'Etat semblait chaque jour plus imminente. Mais il apparaissait aussi que cette rupture ne serait pas purement négative. En se séparant de la Religion, l'Etat révolutionnaire entendait garder le caractère religieux, et chaque jour il s'efforçait davantage de dériver vers le nouvel ordre social la foi qui allait autrefois à l'ancien. Depuis Varennes, la religion de la Patrie s'était singulièrement fortifiée et précisée. Lanthenas, De Moÿ, Condorcet, Français (de Nantes), Gohier, dans leurs projets de propagande, d'instructions, de fêtes civiques avaient en réalité esquissé le plan d'un organisme civico-religieux destiné à défendre et à faire aimer l'institution politique nouvelle. Cet organisme était partout en voie de formation. Le clergé constitutionnel, battu en brèche, découragé, amoindri, se retirait de la Révolution ; les orateurs des clubs, « les propagateurs de la raison » prenaient la place qu'il abandonnait, et leurs fêtes civiques, leurs conférences populaires, leurs missions patriotiques devenaient autant d'assemblées religieuses, où la foule venait communier en la Patrie.

Robespierre lui-même, qui avait tant résisté au courant philosophique, semblait à cette heure vouloir lui aussi apporter sa contribution au culte patriotique. Le 14 août 1792, à la tête d'une députation de la section de la place Vendôme, il vint demander à la Législative l'érection d'une pyramide aux morts du 10 août : « Hâtez-vous, s'écria-t-il, d'honorer les vertus dont nous avons besoin en immortalisant les martyrs de la Liberté. Ce ne sont pas des honneurs seulement, c'est une apothéose que nous leur devons[101].... »

La fête funèbre aux morts du 10 août, qui fut célébrée le 26 du même mois dans le jardin des Tuileries, attira une foule immense[102].

Le 4 novembre encore, la section du Théâtre-Français célébrait dans le local des Cordeliers une « cérémonie républicaine en mémoire des braves citoyens, des généreux Marseillais et des fédérés des départements morts glorieusement à la journée mémorable du 10 août 1792[103] ». Momoro présidait ; Anaxagore Chaumet (sic), qui prononça l'éloge funèbre, le termina par une invocation finale à la Nature d'allure toute panthéiste : « Ils sont entrés dans le sein maternel de la terre, ceux dont nous couronnons aujourd'hui là tombe. Ô Nature ! que ne puis-je ici dérouler le volume immense de tes sublimes mystères !... Ô Nature ! Ô Mère ! reçois en ce moment le tribut d'hommages que je te dois... Terre libre ! terre natale ! prépare tes plus douces odeurs, réchauffe dans ton sein le germe des fleurs nouvelles, afin qu'au retour des zéphyrs, nous puissions en joncher la tombe de nos frères ; mais en attendant cette heureuse époque, amis, formons des chœurs ; c'est par des chants d'allégresse qu'on célèbre la mémoire des défenseurs de la patrie... »

A lire de pareils morceaux, on sent que les temps du culte de la Raison sont proches.

Et pourtant il s'écoulera un an encore avant que le culte révolutionnaire s'élance au grand jour, et, avec Chaumette et Fouché et les représentants en mission, s'efforce d'abolir le catholicisme. C'est que les Révolutionnaires, unis en principe sur la nécessité d'instituer autour de la Patrie un organisme de nature à la protéger et à la faire aimer, ne sont pas encore tous convaincus de la nécessité de substituer entièrement ce culte civique à la religion ancienne, qui serait radicalement abolie. Les opportunistes, les hommes d'Etat, avec Robespierre, Danton, Desmoulins, par crainte de commotions populaires, s'opposent, autant qu'ils le peuvent, à la déchristianisation violente et ménagent le clergé constitutionnel dont ils retardent la chute définitive. Ce n'est qu'après le 3i mai, quand ils trouveront la main des prêtres constitutionnels dans le soulèvement girondin, que les Montagnards n'hésiteront plus.

Alors, comme l'a très bien dit M. Aulard, « l'expérience a prouvé que la république « montagnarde » ne pouvait pas compter sur l'Eglise constitutionnelle, dont beaucoup de ministres ont pris fait et cause pour les Girondins, pour les fédéralistes. Tout le clergé constitutionnel semble hostile à la politique unitaire de la Montagne ; tout le clergé constitutionnel devient, aux yeux des sans-culottes, l'ennemi, et décidément le peuple trouve que ce clergé ne vaut pas mieux que l'autre, et que les fureurs girondinisés sont aussi dangereux pour la patrie que les non-jureurs complices des rois et des émigrés. Hier, on opposait les bons prêtres aux mauvais, aujourd'hui on croit voir qu'il n'y a pas, qu'il n'y a plus de bons prêtres. La religion catholique en est discréditée dans l'esprit des patriotes militants. Si le culte est l'obstacle à la défense nationale, eh bien ! abolissons le culte ![104] ».

 

 

 



[1] Voir le rapport de Gensonné et Gallois, envoyés comme commissaires en Vendée et dons les Deux-Sèvres (publié dans le Moniteur du 10 novembre 1791)

[2] Comme à Caen. Voir Robinet, op. cit., t. II, p. 78.

[3] La Nation grevée constitutionnellement pour une Religion, s. l. n. d., in-8° (Bib. Nat., Lb³⁹ 4576). Signée à la fin : « M. Godefroy, maître de mathématiques, cul de sac de la Brasserie, rue Traversière, chez le Maréchal, de l'imprimerie de Tremblay, rue Bosse St-Denis, 11 ». La date de la brochure est indiquée par son contenu. L'auteur s'adresse à la Législative comme à une assemblée qui va se réunir.

[4] Dans une Opinion sur les cultes religieux et sur leurs rapports avec le Gouvernement, 1791i, de l'imprimerie de Calixte Volland, rue des Noyers, n° 38, in-8°, 16 p. (Bibl. Nat., Ld⁴ 3555).

[5] N° du 22 octobre 1791. Moniteur, réimp., t. X, p. 166.

[6] Voir cette discussion dans le Moniteur.

[7] Non sanctionné par le Roi.

[8] Préambule de l'arrêté dans Duvergier.

[9] Art. 6.

[10] Art. 13.

[11] Art. 7.

[12] Art. 8.

[13] Moniteur, réimp., t. X, p. 188, Séance du 21 octobre.

[14] Moniteur, réimp., t. X, p. 189. Séance du 21 octobre.

[15] Moniteur, réimp., t. X, p. 189. Séance du 21 octobre.

[16] Le Moniteur dit Huret. Il y avait deux Huguet, l'un député de la Creuse, l'autre des Ardennes. Voir Kuscinski, Les députés à l'Assemblée Législative, 1900, in-8°.

[17] Moniteur, réimp., t. X, p. 199. Séance du 24 octobre.

[18] Moniteur, réimp., t. X, p. 216. Séance du 26 octobre.

[19] Moniteur, réimp., t. X, p. 227. Séance du 27 octobre.

[20] Moniteur, réimp., t. X, p. 284, Séance du 3 novembre.

[21] Moniteur, réimp., t. X, p. 218. Séance du 26 octobre.

[22] Moniteur, réimp., t. X, p. 287, Séance du 3 novembre.

[23] Moniteur, réimp., t. X, p. 374-37ô.

[24] Sans doute, Isnard protesta dans le Moniteur qu'il n'était pas athée, mais on sent que cette protestation après coup lui fut dictée par la politique. Moniteur, réimp., t. X, p. 515.

[25] Le Moniteur note qu'au moment où il donna lecture de cet article, des applaudissements éclatèrent. Moniteur, réimp., t. X, p. 388.

[26] Moniteur, réimp., t. X, p. 434, Séance du 21 novembre.

[27] Moniteur, réimp., t. X, p. 435, Séance du 21 novembre.

[28] Moniteur, réimp., t. X, p. 436.

[29] Moniteur, réimp., t. X, p. 471. Séance du 24 novembre.

[30] Décret du 23 novembre 1791, art. 17.

[31] La plupart de ces brochures furent envoyées au Comité d'Instruction publique. On en trouvera l'indication dans le recueil de M. J. Guillaume.

[32] Lettre de J. A. Creusé-Latouche, député de Châtellerault, à l'Assemblée Nationale, aux municipalités et aux habitants des campagnes du département do la Vienne. Imp. du Cercle social, 3e édition, 1791, in-8°. (Bibl. Nat., Ld⁴ 3484).

[33] F. Reichardt, Lettres intimes, traduites par A. Laquiante, 1892, in-8°. — Lettre du 30 janvier 1793.

[34] La Réveillière, Mémoires, t. Ier, p. 93 et suiv.

[35] Des sociétés populaires considérées comme une branche essentielle de l'Instruction publique, par F. Lanthenas. Imp. du Cercle social, 1792 in-8°. Daté à la fin du 28 février 1792. L'étude de Lanthenas avait d'abord, paru dans la Chronique du Mois.

[36] Souligné dans le texte.

[37] Aulard, Société des Jacobins, t. III, p. 577.

[38] Voir son adresse au Moniteur du 22 mai 1792, supplém., réimp. t. XII, p. 449. « Faites par vos exemples et vos discours que les grains circulent librement, que les impositions s'acquittent, que le fanatisme soit désarmé. Que des lectures souvent répétées, que des conférences explicatives dans des assemblées où vous réunirez le plus grand nombre de personnes de tout Age et de tout sexe, rendent familiers a tous nos frères et ces instructions immortelles si souvent adressées au peuple français, et les bons ouvrages où respirent les sentiments de justice et de bienfaisance qui honorent l'humanité... »

[39] Par exemple celle de Fécamp : « A Fécamp, ce 4 octobre 1792, l'an Ier de la République. « Au citoyen Roland, ministre de l'Intérieur. Citoyen, Le peuple assemblé a nommé un lecteur dans chacune de nos sections, pour, aux termes île votre lettre, propager les systèmes de la Révolution. Ce sont les citoyens Rousselet, notable pour la section de la Trinité, et Le Borgne, juge du tribunal de commerce pour la section de Saint-Étienne. Nous vous engageons à correspondre directement avec eux. En conseil municipal permanent. » Suivent les signatures des municipaux. (Arch. Nat., F1CIII, Seine-Inférieure, 15).

[40] Discours sur les sociétés populaires, prononcé dans une mission patriotique, le 10 juin, l'an 4 de la liberté, par Étienne-Marie Siauve, Lyon, Imp. J. Ant. Revol, 1792, in-8° (Bib. Nat., Lb³⁹ 10616).

[41] Le 2 décembre 1791, d'après S. Lacroix, Actes de la Commune de Paris. Pétion avait été nommé maire, peu de temps auparavant le 10 novembre ; Danton enfin fut élu substitut du procureur de la Commune le 7 décembre.

[42] La Chronique de Paris du 1er novembre 1790, dans Robinet, op. vit., t. II, p. 995.

[43] Questions importantes sur quelques opinions religieuses présentées par Charles Palissot à l'Assemblée Nationale, 1791, in-8° (Bib. Nat., Ld⁴ 3768), daté à la dernière page : Paris, ce 1er décembre. Le pamphlet fut réédité en l'on IV et dédié aux Théophilanthropes.

[44] Aulard, Société des Jacobins, t. III, p. 67.

Dans une lettre à un de ses amis, publiée à la fin de son pamphlet, Palissot fait suivre le récit de l'incident de réflexions amères : « Ma foi, les prêtres doivent leur [aux Jacobins] voter des remerciements. Ils nous ont fait rétrograder d'un siècle au moins devant eux... Combien les prêtres vont se croire redoutables, lorsqu'ils apprendront qu'on 1rs redoute encore au point de n'oser éclairer le peuple ! M. Robesp (sic) dit qu'il faut s'en remettre au temps ; mais c'est tout ce que veulent les prêtres, ils ne demandent que du temps, ils eu connaissent toute l'importance... Le brave Manuel a parlé comme un héros, il s'est élevé avec force contre Robesp (sic), a été vivement applaudi, je l'ai été moi-même, mais nous n'en avons pas moins été sacrifiés aux prêtres, et c'est chez les Jacobins que s'est fait, ce dernier sacrifice de victimes humaines... »

[45] Aulard, Société des Jacobins, t. III, p. 36t.

[46] Voir le Compte-rendu du Journal des Débats et de la correspondance de la Société des amis de la Constitution, n° du 28 mars 1792, dans Aulard, Société des Jacobins, t. III, p. 451-452.

[47] Comme l’a très bien dit M. Jaurès, on sent dans le déisme de Robespierre « une sorte de tendre respect pour l'unie du peuple, pour l'humble conscience du pauvre ». A l'inverse des autres révolutionnaires qui « tolèrent de haut les préjugés du peuple », ses erreurs... Robespierre « s'accommode à elles et semble se mettre à leur niveau. ». Jean Jaurès, Histoire Socialiste, La Convention, t. Ier, p. 244.

[48] Réimp., t. XII, p. 369.

[49] Feuille Villageoise du jeudi 3 mai 1792, article sur « les progrès de la tolérance ».

[50] Feuille Villageoise, n° 30. 31 mai 1792.

[51] 7 à 14 avril 1792.

[52] N° 151, 26 mai-2 juin 1792.

[53] Voir l'arrêté dans Robinet, op. cit., t. II, p. 203 et suiv.

[54] Voir sa circulaire dans Robinet, op. cit., t. II, p. 304-305.

[55] D'après les textes publiés par Robinet, op. cit., t. II, p. 206-207. — L'évêque constitutionnel Le Coz se montra très peiné de la décision de l'Assemblée. Dans une lettre particulière du 6 juin 1792, il proteste avec amertume contre les calomnies et les outrages dont le catholicisme constitutionnel était devenu l'objet de la part de « ceux-là mêmes qui se prétendent ses plus zélés défenseurs ». Le Coz, Correspondance publiée par le P. Roussel, t. Ier, 1900, in-8°, p. 34.

[56] Par exemple le Patriote français du 7 juin, article de Condorcet.

[57] Aulard, Société des Jacobins, t. III, p. 649 et suiv.

[58] D'après le Journal de la société. Robinet, op. cit., t. II, p. 204, note 1.

[59] N° 3. Cité par Robinet, op. cit., t. II, p. 219-230.

[60] N° du 9 juin 1792, dons Robinet, op. cit., t. II, p. 219.

[61] N° du 10 juin 1792. Lettre signée F. J. Ozanne, dans Robinet, op. cit., t. II, p. 214.

[62] Aulard, Société des Jacobins, t. IV, p. 155.

[63] M. Jaurès a bien indiqué cet état d'esprit du clergé révolutionnaire à la fin de la Législative : « Il pressent que la logique de la Révolution la conduira à abolir tout culte officiel. Il commence à craindre que l'ébranlement des habitudes anciennes dans l'ordre de la discipline ecclésiastique et des cérémonies ne s'étende à la foi elle-même, et que le peuple, ne s'arrêtant pas plus longtemps à cette combinaison un peu équivoque de la constitution civile, ne rompe enfin tout lien religieux... » J. Jaurès, Histoire socialiste, La Convention, t. Ier, p. 218.

[64] Le 20 janvier et le 14 février 1792. Aulard, Société des Jacobins, t. III, p. 345 et 374.

[65] Accord de la Religion et des Cultes chez une nation libre, par Charles Alexandre De Moÿ, député suppléant à l'Assemblée Nationale. A Paris, l'an IV de la Liberté, au presbytère de Saint-Laurent et chez les libraires qui vendent des nouveautés, in-8°, 144 p. (Bib. nat., Ld⁴ 3871). La première édition sur papier à chandelle fut suivie presque immédiatement d'une seconde édition sur beau papier et en caractères plus fins (110 p.). publiée chez J.-B. Garnery, libraire, rue Serpente, n° 17. Faisant droit a une observation des Révolutions de Paris, De Moÿ signa dans la seconde édition « curé de Saint-Laurent ». Les extraits qui suivent sont empruntés à la seconde édition.

[66] P. 7.

[67] P. 34. On voit que P. Manuel, dans son arrêté sur les processions de la Fête-Dieu, ne lit que mettre en pratique les principes de De Moÿ.

[68] P. 37. Le décret qui supprimera le costume ecclésiastique, le 6 avril, ne sera que la mise en pratique des principes posés par De Moÿ.

[69] P. 67. La Commune de Paris appliquera ce programme après le 10 août.

[70] P. 85. Fouché ne fera que réaliser le vœu de De, Moÿ dans son fameux arrêté sur les cimetières.

[71] Isnard avait déjà employé ce néologisme. Voir plus haut.

[72] Il eut immédiatement une seconde édition. Le ministre de l'Intérieur, Roland, le lit distribuer, paraît-il, dans les départements (Révolutions de Paris, n° 135, p. 280). Les catholiques constitutionnels essayèrent de réfuter le libelle, et couvrirent l'auteur d'injures. Voir : Lettre d'un vicaire de Paris à Charles-Alexandre de Moÿ ou réflexions sur sa brochure intitulée : De l'Accord de la Religion avec les cultes, s. d. (datée à tort à la main sur l'exemplaire de la Bib. Nat. : 1791) in-8°, 47 p. (Bib. nat., Ld⁴ 3834). Réfutation du libelle de Al. De Moÿ, curé de Saint-Laurent de Paris, par Jean Duffay, vicaire de la paroisse de Saint-Germain-des-Prés. Paris, l'an IV de la Liberté, l'an de grâce 1792, in-8° (Bib. Nat., Ld⁴ 3835) ; Profession de foi de Ch. Alex De Moÿ, député suppléant A l'Assemblée Nationale, et curé de la paroisse de Saint-Laurent à Paris, rédigée en forme de catéchisme et suivie d'un entretien d'un Paroissien de Saint-Laurent, avec approbation à l'usage de l’Église constitutionnelle de France. A Paris, Crapart, 1792, in-8°, 60 p. (Bib. Nat.. Ld⁴ 3836).

[73] Dans leur numéro 135, p. 377 et suiv.

[74] Le rapport est publié in-extenso dans le Moniteur du 28 avril 1793, réimp., t. XII, p. 229 et suiv.

[75] Moniteur, réimp., t. XII, p. 225.

[76] Il était venu siéger en remplacement de Gouvion, le 17 avril 1792.

[77] Discours et projet de décret concernant les ministres des cultes, par M. Demoy {sic), député du département de Paris, le 15 [erreur : le 16 mai 1792], l'an IV de la Liberté, imprimé par ordre de l'Assemblée nationale. Dans un recueil factice n° 13 (Bibl. Nat., Le³²3N). Le compte-rendu du Moniteur (réimp., t. XII, p. 407) ne diffère du texte officiel que par des variantes peu importantes.

[78] Le Coz l'interrompit en ces termes : « Il est impossible que l'Assemblée entende de sang-froid de pareils principes. L'opinant parle contre la Constitution. »

[79] Moniteur, réimp., t. XII. p. 408.

[80] Je le résume d'après le Moniteur.

[81] Le roi opposa son veto à ce décret, comme à celui de novembre, — Les séparationnistes continuèrent leur propagande par la presse et par les pamphlets. Les Révolutions de Paris analysèrent avec éloges la « sage motion du curé Moÿ » (n° 149, 12-19 juillet 1793). — Un certain Philippe Raynal, de Toulouse, reprit son argumentation dans une brochure intitulée Opinions d'un citoyen français sur la liberté religieuse et sur tes moyens de l’affermir sans danger, adressée à l'Assemblée nationale, s. d. (L'exemplaire de la Bib. Nat. porte à tort à la main la date de 1791, in-8°. Bib. Nat., Lb³⁹ 4574). Les mêmes idées sont développées dans La Religion du souverain que Barbier attribue à De Moÿ lui-même (Paris, 1790, ln-8°, 29 p., Bib. Nat., Ld⁴ 7431).

[82] J. Guillaume. Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Législative, 1889, in-8°, p. 188 et suiv.

[83] J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Législative, p. 193. — Le Comité d'instruction publique décida le même jour, ai avril, de soumettre à la Législative un projet de décret concernant les fêtes nationales (J. Guillaume, p. 250). — Lors de sa réorganisation, le 11 mai 1792, une des sections du Comité devait s'occuper spécialement des fêtes nationales (id., p. 391, note 3). — Le lendemain la mai, le rapporteur du Comité, Quatremère, en soumettant à la Législative un projet de décret sur la fête de Simoneau, ajoutait : « Chargé par vous de vous présenter un code d'instruction universelle, le Comité d'instruction publique n'a pas oublié que les cérémonies civiques sont la leçon de tous les hommes et de tous tes âges ; que des fêtes périodiques, instituées dans tout l'empire à des époques consacrées par tes grands événements, sont les plus forts instrument qu'on puisse employer sur l'Ame pour la porter à l'amour et n l'imitation de tout ce qui est beau. Il sait que ces périodes solennels doivent devenir avec le temps les plus forts appuis de la Constitution, que c'est surtout dans la morale de cette Constitution que doivent se puiser les éléments de ces nobles institutions. Il vous proposera donc des fêtes en l'honneur de la Liberté, et d'autres en l'honneur de la Loi, véritable divinité de l'homme libre... » J. Guillaume, ibid., p. 384.

[84] Art. VII du titre II. J. Guillaume, op. cit., p. 228.

[85] J. Guillaume, op. cit., p. 194, note. Déjà, dans son projet de 1792, Condorcet avait écarté absolument de l'école l'enseignement religieux.

[86] Arch. Nat., F¹⁷ 1065.

[87] Projet de cirque national et de fêtes annuelles proposé par le sieur Poyet, architecte delà ville de Paris, Paris, 1792, 24 p. (Bib. de la Ville de Paris, 12.272).

[88] Le Panthéon français ou discours sur les honneurs publics décernés par la Nation à la mémoire des grands hommes, Dijon, 159a, ln-8°, 15 p. (Bib. nat., Lb³⁹ 5958).

[89] Discours de Gohier, d'après le Moniteur, réimp., t. XII, p. 708.

[90] J. Jaurès, Histoire socialiste, La Convention, t. Ier, p. 227.

[91] Je ne connais l'arrêté que par Jaurès, La Convention, t. Ier, p. 14. Je n'ai pu mettre la main sur le texte officiel.

[92] J. Jaurès, La Convention, t. Ier, p. 15.

[93] Voir l'arrêté dans les Révolutions de Paris du 10 au 17 novembre 1792.

[94] Décret du 19-25 juillet 1792.

[95] « Je dénonce un libelle intitulé : Instruction pastorale sur la continence des ministres de la religion, par M. Gratien, évêque du département de la Seine-Inférieure. Il est déjà parvenu à fanatiser un grand nombre de citoyens, surtout d'habitants îles campagnes. Un curé de ce département a manqué d'être victime de la fureur de ses paroissiens, parce qu'il avait été assez vertueux pour prendre une femme, je demande que le ministre de la justice ordonne aux tribunaux de poursuivre l'évêque du département de la Seine-Inférieure. Je demande, de plus, que tous les ministres qui publieront des écrits contraires aux Droits de l'Homme et aux lois soient privés de leur traitement. » L'Assemblée renvoya au Comité de législation les propositions de Lejosne. Moniteur, réimp., t. XIII, p. 420.

[96] Décret du 18 août 1792, tit. Ier, art. 9.

[97] D'après le Journal des Débats et décrets, cité par Ludovic Sciout, Histoire de la Constitution civile du clergé, t. III, p. 223.

[98] Décret du 7-14 septembre 1792.

[99] Décret du 18 août 1792. Les Montagnards accuseront plus tard Roland de subventionner avec cet argent les écrivains girondins. Le 13 décembre 1792, aux Jacobins, Châles dénoncera le bureau de la formation de l'esprit public, crée pour capter l'opinion, Basire s'écriera qu'une pareille institution « était contraire à la liberté des opinions religieuses, car former un tel bureau avec l'argent des citoyens, c'était forcer les citoyens à payer des ouvrages qu'ils n'approuvent pas ». Aulard, Société des Jacobins.

[100] Le 16 septembre 1792, les municipaux de Neufchâtel (Seine-Inférieure) écrivaient à Roland que, la journée du 10 ayant causé une fermentation terrible dans tes esprits, ils avaient décidé de faire tous les jours, à sept heures du soir, des instructions au peuple dans l'Église de l'Hôpital Saint-Thomas, pour l'éclairer sur ses devoirs et pour le rassurer sur tous les mensonges dont on se sert pour le tromper et lui susciter des craintes. » (Arch. Nat., F¹ III, Seine-Inférieure, 15).

[101] Moniteur, réimp., t. XIII, p. 425.

[102] Voir dans Tourneux, Bibliographie, t. Ier, p. 286, l'indication de toute une série de documents concernant cette cérémonie.

[103] On en trouvera le procès-verbal imprimé dans un recueil factice de la Bibl. de la Ville de Paris, 13.272.

[104] Aulard, Histoire politique de la Révolution, p. 168-169.