JOSÉPHINE RÉPUDIÉE 1809-1814

 

IX. — LA MORT DE JOSÉPHINE - Mars-mai 1814.

 

 

Le 29 mars au matin, elle part. Craignant de ne point trouver de relais aux postes, elle voyage avec ses chevaux qu'elle emmène tous avec toutes ses voitures. Sur elle, cousus dans un jupon ouaté, elle a ses diamants et ses perles ; les grandes parures, les objets les plus précieux sont dans les coffres : c'est tout ce qu'elle emporte ; comment songer à déménager Malmaison ? Elle va lentement. Elle s'arrête à Mantes pour coucher. Le 30 seulement, assez tard, elle arrive à Evreux où elle est très bien reçue. Les gardes nationale et départementale l'attendent à Navarre ; on lui offre un poste d'honneur qu'elle hésite à recevoir ; car elle n'a pas emmené les seize hommes de la Garde impériale que d'Ornano lui avait donnés.

A. Navarre, pas de nouvelles, rien d'Hortense, rien de Malmaison : Malmaison surtout : On a prétendu que le pont de Neuilly était occupé par les ennemis, c'est bien près de Malmaison, écrit-elle à sa fille. Pour sortir d'inquiétude, elle s'ingénie à établir une correspondance. Hortense, lui dit-on, est à Chartres ; de Chartres à Evreux, il n'y a que dix-huit lieues ; si les deux préfets s'entendaient, rien ne serait plus simple, car vivre ainsi, c'est dans un tombeau. Je ne puis te dire, écrit-elle à sa fille, combien je suis malheureuse. J'ai en du courage dans les positions douloureuses où je me suis trouvée ; j'en aurai pour supporter les revers de la fortune ; mais je n'en ai pas assez pour soutenir l'absence de mes enfants et l'incertitude de leur sort.

Pas un mot de l'Empereur ; elle ne pense qu'à elle-même, à Malmaison et à ses enfants. Lui, elle n'y pense pas, ou elle craint de se compromettre en en parlant.

A peine cette lettre écrite, voici, par un courrier d'Hortense, la nouvelle que Paris a capitulé, que l'Empereur est à Fontainebleau ; puis, tout à coup, Hortense elle-même arrive avec ses enfants.

Après bien des hésitations pour quitter Paris ou y rester, Hortense, sur la menace qu'a faite Louis d'emmener ses fils, s'est décidée, le 29, à neuf heures du soir, à partir et à rejoindre la Régente. Elle s'est arrêtée à Glatigny, près de Versailles, où elle a couché ; le 30, à la première heure, elle est venue à Trianon, d'où, sur un avis pressant du général Préval, elle a gagné Rambouillet. Là elle a retrouvé ses beaux-frères, Joseph et Jérôme, et elle a couché. Le lendemain matin (31), un courrier de Louis lui a apporté un ordre de la Régente lui enjoignant d'amener ses enfants à Blois. Elle a vu dans cet ordre des persécutions particulières notifié à Louis, à Marie-Louise, à l'Empereur, son refus d'obéir et, faisant mettre les chevaux, à tout risque, car les cosaques ont para dans la forêt, elle a pris la route de Navarre. A Maintenon, elle a requis une escorte et, dans la nuit, elle est arrivée au château de Lonye qui appartient à son chevalier d'honneur M. d'Arjuzon. A cinq heures du matin, le 1er avril, elle est repartie ; et à quatre lieues de Navarre, elle a trouvé M. de Pourtalès, venu au-devant d'elle avec les chevaux de sa mère. Enfin, la voici.

Si imprudente que soit cette démarche, si fort qu'elle doive compromettre Hortense, si graves qu'en soient les conséquences, elle n'a pas été préméditée. L'injonction que Marie-Louise lui a adressée, et qui, à coup sûr, n'excédait ni le droit dynastique de la part de la Régente, ni le droit paternel de la part de Louis ; lui a paru une injure suprême, la marque qu'on doutait d'elle, et, par une révolte ouverte, sa nature s'est plue à la braver ; mais ce n'est pas pour une trahison profitable qu'elle sépare à ce montent sa fortune de celle des Bonaparte. Peut-être même n'a-t-elle pas encore le propos délibéré de cette rupture et n'a-t-elle cédé qu'au désir de contrarier son mari et d'affirmer son droit sur ses fils. En tout cas, l'état d'esprit où elle est vis-à-vis de l'Empereur et la société où elle est habituée de vivre n'ont rien de commun avec les pensées où elle trouve sa mère et avec la société qu'elle rencontre à Navarre.

Il s'en faut que la Maison d'honneur y soit au complet, car beaucoup s'empressent déjà au service des alliés, et pourtant le château est plein. Ceux qui sont venus ont amené leurs femmes, leurs enfants, tout leur monde et se sont établis en maîtres. Ils voient d'un air contraint arriver Hortense et on l'y souffre avec peine. On se sépare nettement de ceux qui l'accompagnent : Restez-vous ? Partez-vous ? leur dit-on ; quant à nous, nous sommes bien tranquilles ; il ne nous arrivera rien. Aux nouvelles qui viennent de Paris, l'entrée des alliés, le Gouvernement provisoire, l'échauffourée royaliste, les rubans blancs, tout le reste, c'est une joie qu'on ne prend pas la peine de dissimuler. On s'enorgueillit de Mme de Rémusat qui distribue des cocardes blanches. Mme d'Audenarde qui n'a vécu que des bontés de Joséphine espère que le Roi lui en tiendra compte ; M. de Pourtalès attend un courrier du roi de Prusse ; M. de Turpin aspire à inspecter les Musées et M. de Lastic, les Haras, durant que M. de Viel-Castel commande la garde nationale de Versailles pour le compte des Alliés, que Montlivault se prépare à gouverner les Vosges et que M. Maillard de Liscourt, le fiancé de Mlle Caze sauve, chaque matin, Paris, dans le Journal des Débats de l'explosion de la poudrerie de Grenelle. Quel courage il eut de repousser les ordres sanguinaires que Buonaparte ne lui fit jamais donner ! Et cette menterie dont les Français — même Pasquier — ne veulent pas, est payée par les Russes d'un Saint-Alexandre-Newski en diamants.

Quant à la duchesse d'Arenberg peut-être rédige-t-elle déjà les requêtes au Roi et à l'Officialité sur lesquelles son premier mariage sera déclaré nul, pour qu'elle puisse en contracter un second avec M. de Chaumont-Guitry[1].

Joséphine n'aura donc que, pour la forme, à congédier sa Maison d'honneur. Hormis Mme d'Arberg qui, avec une extrême dignité, continue à remplir sa place de dame d'honneur, hormis la princesse Giedroyc et les van Berchem, — une Belge, une Polonaise et deux Suisses, — tout ce qui est français aspire aux Bourbons et s'y jette. Heureusement, .sur la nouvelle de la venue d'Hortense, d'autres fugitives qui pensent mieux, viennent demander un asile : la duchesse de Bassano, avec ses enfants et ses sœurs, se rendant à Alençon ; Mme Mollien revenant de Blois, et c'est Mme Gazzani, près d'accoucher, éplorée et toujours belle.

Rassurée qu'elle est un peu par la présence de sa fille, Joséphine, à présent, concentre toutes ses inquiétudes sur Malmaison ; elle y a laissé Bonpland qui, par Humboldt, est en bonne posture près des alliés, mais Bonpland saura-t-il agir ? Lavallette fera mieux, et voici d'abord une lettre pour le charger de demander une sauvegarde. Puis une autre lettre à Bonpland : Je ne vous recommande pas d'avoir soin de Malmaison, je m'en repose sur votre zèle et votre attachement pour moi. Si vous obtenez une sauvegarde, vous ferez manger l'officier avec vous et vous ferez nourrir les soldats (2 avril). Une autre lettre, le même jour, dictée à Deschamps, pour entrer dans plus de détails ; et, deux jours après, sur la nouvelle que la sauvegarde est obtenue et qu'un poste russe est établi à Malmaison, des ordres descendant à la minutie.

Pourtant, ses pensées pourraient être ailleurs. Dans la nuit du 2 au 3 avril, est arrivé un auditeur chargé par le duc de Bassano, de donner des nouvelles précises de Fontainebleau. Il raconte la trahison de Marmont, l'occupation de Paris, les incertitudes de l'Empereur[2], les difficultés de sa position, la négociation probable avec les alliés. Puis, on retombe dans l'incertitude, l'on reste sans nouvelles. Que pense pourtant Joséphine ? Voici d'elle, du 7, une lettre qu'elle écrit à une ancienne connaissance, la comtesse Caffarelli : Je suis bien touchée, Madame, de votre souvenir et de votre intérêt pour moi. C'est dans des moments comme ceux où nous sommes que l'on sent tout ce que vaut l'amitié. L'affliction eu double le prix. Je suis arrivée ici le 30, et la reine deux jours après, avec ses enfants. Elle est aussi souffrante et aussi douloureusement affectée que moi. Nous avons le cœur brisé de tout ce qui se passe et surtout de l'ingratitude des Français. Les journaux sont remplis des plus horribles injures. Si voue ne les avez pas lus n'en prenez pas la peine, ils vous feraient mal. Il parait que l'Empereur a envoyé à Paris les maréchaux Ney et Macdonald avec le due de Vicence, pour proposer d'abdiquer en faveur du roi de Rome et que la proposition n'a pas été acceptée jusqu'à présent. Évreux et Navarre sont tranquilles, mais on nous menace, aujourd'hui ou demain, de la visite de l'ennemi. Croiriez-vous que le général chargé de s'emparer du département au nom du gouvernement provisoire est le duc de Raguse qui a passé de leur côté avec le corps d'armée qu'il commandait. Remerciez pour moi le général Caffarelli de son souvenir et soyez bien convaincue des sentiments que je vous porte.

Voilà peut-on croire, une des expressions de sa pensée : elle l'adresse à la femme d'un aide de camp du Consul, d'un ami d'Eugène, du ministre de la Guerre d'Italie, d'un fidèle. Autre est, sans doute, celle que, le même jour, elle adresse au prince de Bénévent pour lui demander ses bons offices pour elle et ses enfants ; et celle-ci doit se rapprocher singulièrement de cette troisième que, le lendemain, elle envoie à Alexandre Lenoir : Je suis venue à Navarre, écrit-elle, moins par crainte que par bienséance ; si vous croyez qu'il soit à propos que je retourne à Malmaison, mandez-le-moi. Pourtant, elle n'a plus rien à craindre pour Malmaison ; elle sait que, sauf le concierge un peu battu et quelques meubles brisés au pavillon d'entrée par les cosaques, tout a été respecté, mais il s'agit pour elle de savoir quel sera son sort et comme il sera fixé. Elle a la certitude que, en traitant avec les alliés, l'Empereur ne l'oubliera point, mais il ne dépend pas de l'Empereur qu'on la tolère à Malmaison, qu'elle obtienne un rang et une place dans la nouvelle organisation de l'État : c'est affaire aux vainqueurs et aux Bourbons ; donc, c'est d'eux qu'elle se prépare à les obtenir.

A Fontainebleau, dans ces jours d'angoisse suprême, de suprême convulsion, où, non plus l'Empire, mais l'Empereur même agonise, la pensée de Napoléon, d'une lucidité admirable et d'une admirable justice, le porte à régler, comme à la veille de la mort, la fortune de tous ceux qui l'entourent, sa femme et son fils, sa famille, les Beauharnais, enfin les derniers compagnons, les derniers fidèles, jusqu'aux mitrons de sa cuisine et aux valets de son écurie. Il pense à tous, — hélas ! la liste est brève ! — il donne à tous, mais n'est-ce pas aux Beauharnais qu'il fait la meilleure part ?

Dans ce traité du Il avril qui est le prix de son abdication, — ce traité revêtu des formes les plus solennelles, signé par tous les ministres dirigeants des puissances alliées, par les maréchaux au nom de l'Empereur et par tous les membres du gouvernement provisoire, — trois articles regardent les Beauharnais.

L'article VI attribue un revenu de 2 500.000 francs, soit en domaines, soit en rentes sur le grand-livre de France aux princes et aux princesses de la Famille, en dehors des biens meubles et immeubles qu'ils possèdent à titre particulier. Or, de ces 2.500.000 francs, 400.000 sont expressément réservés à la reine Hortense et à ses enfants[3]. Par cette simple rédaction, Hortense se trouve investie par l'Empereur de la tutelle et de la garde de ses fils et sa position est réglée au mieux des désirs qu'elle a pu former.

Par l'article VII : Le traitement annuel de l'Impératrice Joséphine sera réduit à un millier en domaines ou en inscriptions sur le grand-livre de France. Elle continuera de jouir de tous ses biens meubles et immeubles particuliers et-pourra es disposer conformément aux lois françaises.

Par l'article VIII : Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d'Italie, un établissement convenable hors de France.

Pour nul des siens l'empereur n'a fait autant, et c'est bien là son testament, car à peine l'a-t-ou signé qu'il Veut disparaître : puisque, dans les batailles suprêmes, la mort à qui il s'est tant de fois offert n'a pas voulu de lui, c'est lui qui l'ira chercher et qui la contraindra à le prendre. Mais quoi ! le poison non plus ! Allons ! Dieu ne le veut pas ! et, le 13 an matin, sur ce traité qui ouvre ses destinées nouvelles, il appose à son tour sa signature.

Ce même jour, le duc de Berry débarque à Cherbourg ; prenant de là sa route par Valognes, Saint-Lô, Caen et Lisieux, de Caen, le 15, il envoie à Navarre un des gentilshommes qui l'accompagnent, le comte de Mesnard, pour offrir à Joséphine une garde d'honneur et l'assurer qu'il sera charmé de faire tout ce qui pourra lui être agréable, ayant pour elle autant de respect que d'admiration. Mais, à quelques lieues de Navarre, M. de Mesnard apprend que Joséphine est partie pour Malmaison.

Si, dès le 8, elle était déjà si portée à y revenir qu'elle n'attendait qu'un mot de Lenoir, elle n'a pu-manquer de se décider sur les renseignements fournis par Mue Cochelet celle-ci, envoyée aux nouvelles par Hortense, est tombée dans un milieu où l'on désire ardemment voir rentrer à Paris tout ce qui est Beauharnais. Ce sent des Russes avec qui elle s'est liée intimement de 1801 à 4812, qui, alors, pour des causes diverses, ont assidûment fréquenté chez elle et qui étaient si men habitués que plusieurs, à leur départ, lui ont confié leurs diamants. Il plaît à la politique russe d'affecter la générosité vis-à-vis des Beauharnais et, en les séparant des Bonaparte, d'isoler davantage ceux-ci en leur faisant porter tout le poids de la haine européenne et en les présentant aux peuples comme les seuls auteurs de leurs désastres.

Ecrivez à l'instant à la reine pour qu'elle vienne ici, dit Nesselrode à Mlle Cochelet. Que peut-elle redouter ? Qui n'est pas rempli d'affection pour elle, pour sa mère, peur son frère ? La voix publique est toute en leur faveur... Tout ce qu'elle voudra sera fait. On parle de conserver l'Italie à Eugène dont la conduite inspire une admiration générale, mais, pour cela, il faut qu'Hortense vienne, car elle y peut grandement influer. Hortense résiste : au grand étonnement de la lectrice, elle prétend alors ne pas séparer sa cause de celle de la famille à laquelle elle est liée ; plus leur malheur est grand, plus elle veut le partager ; sou frère sera heureux, sa mère conservera sa patrie et ses biens ; mais, pour ses enfants, il faut qu'elle-même s'expatrie.

Quand elle est livrée à elle-même, hors de ses passions et de ses colères, Hortense pense droit et raisonne juste. Le remords lui est venu de sa conduite, de son départ de Rambouillet ; elle voit où serait le devoir, mais Mlle Cochelet insiste et persuade. Tous les étrangers, lui écrit-elle, parlent de vous avec un grand enthousiasme. M. de Metternich, qui se rappelle sans doute combien vous avez eu de bontés pour sa femme et pour ses enfants, s'est beaucoup informé de vous. Le prince Léopold est parfait pour vous et pour l'impératrice Joséphine : tout ce qu'il désire, c'est de pouvoir vous être utile à l'une et à l'autre. Quant à Nesselrode, point de jour où il ne presse pour que la reine rentre à Malmaison. Elle sera toujours bien lorsqu'elle se trouvera avec sa mère ; dans deux ou trois jours on ira la voir. Et la promesse de cette visite impériale dès l'arrivée, se fait chaque jour si pressante que les Russes ne sauraient comprendre qu'on ne se rende pas à un tel honneur. L'empereur Alexandre a un grand désir de vous connaître et vous lui devez déjà de la reconnaissance puisqu'il sert vos intérêts comme s'ils étaient les siens. Voici qu'à présent c'est Napoléon lui-même qui l'ordonne — du moins, le duc de Vicence qui se conduit si bien pour l'empereur Napoléon. Il me charge de vous dire de venir à Malmaison, que l'avenir de vos enfants en dépend.

Bien mieux, si elle ne vient pas, c'est Alexandre qui l'ira chercher à Navarre ; il n'y a point moyen de l'éviter. Quant au gouvernement provisoire, il n'a qu'une idée, c'est d'être agréable à la reine. Mme de Tascher, qui se montre si bonne parente, a été en visite chez le duc Dalberg et a amené la conversation sur la reine. On la regarde, a-t-il dit, comme étrangère à la famille Bonaparte puisqu'elle est séparée de son mari ; elle devient l'arbitre de ses enfants ; on les lui a laissés ; elle peut être fort heureuse ; elle est si aimée, si estimée ! Elle peut rester en France, faire tout ce qu'elle voudra ; il faut qu'elle revienne ici.

Et, pour mieux attirer Hortense, Mlle Cochelet énumère tous les hommes qui sont de sa société et qui reviennent de Fontainebleau où l'Empereur lui-même les a congédiés : M. de Lawœstine, M. de Lascours, M. de La Bédoyère, M. Anatole de Montesquiou, enfin M. de Flahaut !

Hortense résiste encore. Le conseil du duc de Vicence, écrit-elle le 12, peut être suivi par ma mère ; elle ira à Malmaison, mais moi, je reste ; je n'ai que de trop bonnes raisons, je ne puis séparer ma cause de celle de mes enfants. C'est eux, c'est leurs parents qui sont sacrifiés dans tout ce qui se fait, je ne veux donc pas me rapprocher de ceux qui renversent leur destinée. Et, durant qu'elle part pour Rambouillet afin de joindre Marie-Louise qui y est venue de Blois, Joséphine qui ne demandait qu'à se laisser persuader et qui n'a point un instant résisté à la pensée que tant de princes la désirent, part pour Malmaison. C'est pourquoi M. de Mesnard ne l'a plus trouvée à Navarre.

A peine arrivée, ce que le Journal des Débats du 16 annonce ainsi : La mère du prince Eugène est de retour à Malmaison, — Joséphine reçoit la visite de Czernicheff, chargé d'annoncer son maitre pour le lendemain. Et, en effet, à une heure et demie, Alexandre arrive. Ce n'est pas tant à la mère qu'il tient qu'à la fille ; néanmoins, il est d'une grande courtoisie, à une extrême déférence et ce n'est pas d'un ton de protection, mais d'égalité, qu'il donne à Joséphine tous ses titres. Après une longue visite, il se retirait lorsque Hortense arrive avec ses enfants. A Rambouillet, elle a senti tout de suite qu'elle gênait Marie-Louise et, sans pousser sa bonne résolution jusqu'à se réunir aux Bonaparte ou même à retourner à Navarre, elle a pris son parti de rejoindre sa mère. Mais, au premier coup, avec Alexandre, elle ne peut se vaincre. Elle qui est si aimable ordinairement, ne l'est guère avec lui ; elle reste froide, très digne, ne répond rien aux offres que lui fait l'empereur pour ses enfants. — Quant à l'impératrice Joséphine, sa douceur, sa bonté, son abandon l'ont charmé. Mais Joséphine ne compte point que ce soit assez ; elle pense bien que cet empereur reviendra et il faut qu'elle se présente à lui avec ses avantages. En mars, le mémoire de Leroy était tombé à 1.425 francs ; le voici qui, pour la seconde quinzaine d'avril, remonte à 6.209 fr. 75 centimes : et ce sont des robes blanches et claires, des batistes et des mousselines brodées, des robes de jeunesse, telles que jadis elle en portait aux beaux jours de Malmaison ; car, en elle, la coquetterie survit à tout et suffit à tout : au plaisir qu'elle trouve à se parer, qui sait si, en l'inconscience où elle vit, comme la plupart des femmes, de l'âge qu'elle a pris et des traces qu'il a laissées, elle n'ajoute pas la vague imagination d'une conquête possible ! Et n'est-elle pas plus excusable que toute autre, en l'atmosphère de flatterie où elle respire, dans ce concert d'adulations qui répète les louanges de sa beauté et de son éternelle jeunesse.

Comme elle l'a pensé, Alexandre revient, mais elle ne tarde pas à sentir que c'est pour Hortense, qui, loin de se livrer comme elle-même a fait banalement, se refuse, et, ainsi qu'elle dit, reçoit comme elle le doit les vainqueurs de son pays. L'empereur, qui porte en soi une haute dose de sentimentalisme, éprouve à un point extrême le désir de plaire par lui-même ; et cette résistance, loin de le contrarier, serait la meilleure tactique pour le prendre. Puisque le souverain est odieux, le triomphe de l'homme en sera bien plus flatteur et n'ira qu'à lui seul. Si Hortense n'éprouve point d'elle-même ces répugnances, elle serait habile en les simulant ; mais elle est sincère ; et si, peu à peu, elle est agréablement impressionnée par l'empressement qu'il marque à la rechercher, si elle comprend qu'elle pourrait profiter de son engouement, si elle approuve que sa mère en tire parti pour Eugène, pourtant, dit-elle, j'aurais aimé que nous n'eussions rien à demander à personne.

Aussi bien, quel fonds convient-il de faire à ces protestations, dès qu'il s'agit d'intérêts politiques, que l'on sort du vague des promesses oiseuses et des arrangements médiocres d'une vie privée ? Lorsqu'on apprend que deux officiers généraux ont été députés, près des souverains alliés, par l'armée italienne, pour demander que l'Italie reste, sous Eugène, un royaume indépendant, des ordres sévères sont donnés pour les arrêter dans leur marche, à l'approche de Paris. Cela, dit Alexandre, entre dans les arrangements généraux. Est-il dupe ou complice de l'Autriche ? En tout cas, l'Autriche, sans attendre, a pris les devants ; elle a résolu la question, et pour évincer Eugène, elle a employé les grands moyens.

Le 17 avril, sur la nouvelle des événements de Paris, Eugène qui, jusque-là s'était maintenu dans ses positions en repoussant victorieusement les attaques de Bellegarde, a signé avec lui une suspension d'armes et a mis en route vers les frontières les troupes françaises faisant partie de son armée. Dans la proclamation qu'il leur a adressée, — proclamation où le nom de l'Empereur n'est pas prononcé, où son souvenir n'est pas rappelé, mais où, par contre, il est parlé de la France cherchant un remède à ses maux sous son antique égide, — il a formellement invoqué les devoirs qui le retiennent en Italie : Un peuple bon, généreux, fidèle, a-t-il dit, a des droits sur le restant de mon existence que je lui ai consacrée depuis dix ans. Aussi longtemps qu'il me sera permis de m'occuper de son bonheur, qui fut toujours l'occupation la plus chère de ma vie, je ne demande pour moi aucune autre destination.

Le même jour, il a déterminé les troupes italiennes restées sous ses ordres à envoyer à Paris des députés, et il a provoqué, de la part du Sénat dé Milan, dont il se croit sûr, une semblable députation. Mais, à Milan, en son absence, les factions se sont développées à l'aise : une, d'abord muratiste, puis militaire avec Pino ; une seconde, italienne pure, refusant tout étranger ; une troisième, la plus forte et la plus riche, autrichienne. Le Sénat, en votant une députation près des souverains alliés, ne charge point ses représentants de demander que la couronne d'Italie soit dévolue à Eugène ; il nomme des députés dont aucun n'est dans les intérêts du vice-roi, et il se dégage de lui en saisissant avec empressement cette occasion de lui offrir l'assurance de sa parfaite estime et de son attachement sincère.

Pour les partis hostiles à Eugène c'est trop encore : il faut, sans perdre de temps, dissoudre le gouvernement, compromettre par des excès la population milanaise, de façon que les ponts soient coupés derrière elle et que l'intervention autrichienne se trouve justifiée. Une foule soudoyée s'assemble autour du palais du Sénat, exige la convocation des collèges électoraux et le rappel des députés ; puis, ayant obtenu le dispersement du Sénat, elle se porte sur le palais du Marino qu'habite le comte Prina, ministre des Finances. Sous les yeux de la troupe dont Pino a usurpé le commandement, c'est le pillage d'abord, puis le plus hideux massacre. En l'absence des pouvoirs établis, le Conseil communal nomme alors une régence provisoire, et, sauf deux membres, cette régence est composée d'Autrichiens purs.

Ces nouvelles arrivant à Mantoue y provoquent, de la part de l'armée, les plus vives démonstrations. On acclame roi Eugène, on veut marcher sur Milan ; mais quel moyen de lutter à la fois contre la capitale révoltée et contre l'Autriche qui va y faire marcher ses troupes ? Je ne veux pas, dit Eugène, m'imposer à un pays qui ne me désire pas. L'Italie est bien assez à plaindre ; elle l'est depuis longtemps, elle va l'être bien plus encore ; je ne dois pas augmenter ses souffrances en y ajoutant la guerre civile et tous les maux qui l'accompagnent. J'avais cru rester debout après la chute de l'Empereur et, cela dans l'espoir d'opérer le salut du pays qui m'a été confié. Le pays repousse mon appui. C'en est assez. Le 23 avril, il conclut donc avec les Autrichiens une nouvelle convention par laquelle il leur abandonne, outre Milan, outre les départements que ses troupes occupent encore, son armée même. La vice-reine n'est qu'au neuvième jour de ses couches. Elle part cependant avec son mari pour Vérone et de là elle gagne Munich.

Ainsi se trouve résolue, au profit de l'Autriche, sans que les autres puissances aient eu à donner leur avis, la question de l'Italie. Sans doute il faut encore que l'Empereur apostolique obtienne, de l'Europe, un titre de propriété, mais déjà il a la possession : Beati possidentes. Et, bien mieux, il peut affirmer, avec quelque apparence, qu'il a été appelé par le peuple et par l'armée : c'est là du droit démocratique.

Quant à Eugène, il comptait, le 20 avril, lorsqu'il était à la tête de ses troupes ; pour éviter une reprise des hostilités, on l'eût peut-être, grâce à Alexandre, laissé régner sur quelque partie de l'Italie ; à présent, il n'a pins à se réclamer que du traité de Fontainebleau et de la gratitude de l'Autriche ; que pèse-t-il ?

Il ne reste qu'Alexandre : aussi, pour profiter des bonnes dispositions où elle s'efforce de le maintenir, Joséphine, dès qu'elle a su son fils à Munich, lui a écrit de la façon la plus pressante, afin que sans aucun retard, il se rendit à Paris ; mais quelque diligence qu'il fasse, il ne peut y arriver que le 9 mai.

Durant ce temps, les rapports d'Alexandre avec Hortense et Joséphine se sont rendus encore plus fréquents et plus intimes. Ce sont de continuelles visites et sur le pied de l'amitié. L'Empereur s'occupe, avec un zèle extérieur dont il ne parait guère possible de mettre en doute la sincérité, de procurer à la reine, avec un établissement en France, une fortune indépendante et une position qui, en la séparant complètement des Bonaparte, lui assure la garde de ses enfants, quitte à lui enlever, au moins officiellement, le titre qu'elle porte. Dès qu'il s'agit en effet de l'érection d'un titre, le plus élevé que puisse conférer le roi ne France, tiendra à un duché et par suite, c'est l'abandon de toute autre prétention.

Rue Cerutti, Alexandre rencontre habituellement des jeunes officiers, les plus élégants de l'armée impériale, demeurés, sinon les partisans de l'Empereur, du moins les ennemis de ce que ramènent les Bourbons ; il y trouve, avec des femmes de dignitaires fraîchement ralliés, des dames, anciennes camarades d'Hortense que leur naissance et leurs habitudes de famille attachent à la nouvelle cour. Il parait médiocrement flatté de l'enthousiasme qu'elles lui témoignent ; il fuit les fêtes officielles où l'on se jette vraiment trop à sa tête, et il se réfugie volontiers dans ce petit cercle où il croit trouver, avec les agréments de l'intimité, un désintéressement qui le rassure, un ton qui lui agrée, et des mœurs sociales qui lui plaisent. On ne laisse pas de s'en inquiéter aux Tuileries où l'on a mal su le prendre. Louis XVIII, par un sentiment d'ailleurs fort noble, s'est donné à tâche de prouver à sa cour, à la France et surtout aux souverains alliés, qu'il ne doit son trône qu'à lui-même et au principe qu'il représente ; par suite, qu'il n'a nulle gratitude à marquer à qui que ce soit. En outre, il porte son orgueil à affirmer, en toute occasion, qu'étant le chef de la plus ancienne et de la plus glorieuse des Maisons royales, il est supérieur à tous les souverains présents à Paris. Il résulte de cet état d'esprit, si différent de celui d'Alexandre, des difficultés qui se traduisent, d'un côté, par des épigrammes, de l'autre, par des mauvais vouloirs, des soupçons et des surveillances. On va jusqu'à penser que l'empereur veut, en la personne d'Eugène, ménager un candidat possible pour le trône de France ; on s'étonne de l'intérêt soutenu qu'il porte à Hortense et, si l'on consent à la fin à octroyer à celle-ci le titre de duchesse, ce n'est pas au moins à Mme Louis Bonaparte, ni à la Princesse Louis, ni à la reine de Hollande, ni à la reine Hortense qu'on entend le donner, mais à Mademoiselle de Beauharnais. Louis XVIII, qui datera ces lettres patentes de la dix-huitième année de son règne, peut-il en effet s'infliger le démenti de reconnaître que, durant quinze au moins de ces dix-huit années, il a existé un usurpateur du nom de Bonaparte ? peut-il prononcer ce nom et donner une existence légale à quoi que ce soit qu'il ait fait ? Hortense de son côté, refuse d'accepter une telle formule : Je crois de mon devoir, dit-elle, de ne pas permettre qu'on oublie que j'ai été reine quoique je ne tienne pas à me faire nommer ainsi. On négocie donc pour trouver un texte qui satisfasse à la fois le Roi très chrétien et la ci-devant reine de Hollande, et Alexandre, qui rencontre ainsi plus de difficultés pour ériger un duché de parade que pour restaurer une dynastie, achève de se blesser d'une mesquinerie peu compatible, à son avis, avec la gratitude que lui doivent ceux qu'il a rétablis. A-t-il eu raison de le faire ? il se le demande à des moments.

A Malmaison, ce n'est pas seulement Alexandre : par curiosité et par mode, tous les étrangers s'y portent, tous sont reçus à miracle, invités à dîner, gracieuses par la maîtresse en grâces ; tous sont ravis de l'accueil et sollicitent de revenir. Pas seulement les princes qui ont un lien d'alliance avec les Beauharnais, comme le grand-duc de Bade et le prince de Bavière ; pas seulement ceux qui, à Fontainebleau, furent les hôtes de l'impératrice, comme les princes de Prusse on de Mecklembourg ; mais tous, Anglais, Allemands, Russes, Prussiens ; c'est un empressement général. La cour est dix fois plus nombreuse et plus brillante qu'après le divorce ; car, comme c'est de bon ton, les Français viennent aussi ; ceux qui étaient tout à l'heure d'Empire et auxquels Joséphine fait le même accueil que s'ils étaient demeurés fidèles et ceux qui toujours ont été au Roi, mais qui, par quelque côté, ont eu affaire à l'Impératrice. C'est le salon à la mode, le seul presque où ce monde bigarré, venu à Paris de tous les points de l'Europe, et à travers quels champs de bataille ! se rencontre et fraternise — et c'est chez la femme de Napoléon.

Pourtant, malgré cette affluence, Malmaison n'inquiète pas comme la rue Cerutti. C'est sans contredit une étrangeté qu'une telle cour tenue en face de celle des Tuileries, avec plus de liberté, moins de raideur d'étiquette, une table somptueuse et toujours ouverte, l'agrément de ces jardins célèbres, cette profusion de statues, de tableaux, d'objets d'art qui provoque une admiration convenue ; mais l'on prend sans doute sur Joséphine, sur ses conversations et ses propos, des assurances qu'on ne reçoit pas sur Hortense. Si, aux premiers jours, elle a trouvé que les énormes cocardes blanches seyaient mal à ceux des officiers de sa maison qui venaient encore s'asseoir à sa table et si elle les a invités à les laisser chez son portier, elle s'est rendue moins farouche à mesure que les temps s'écoulent et, si elle n'échange point encore des visites avec les Princes de la Maison de France, au moins témoigne-t-elle, par des intermédiaires bien choisis, qu'elle n'est point insensible à l'attention qu'on a de ne lui contester en rien la possession de Navarre, et de lui laisser, sa vie durant, la jouissance des forêts qui l'entourent.

Faut-il croire même que les rapports avec les Bourbons ne se soient pas bornés à la démarche avortée dont M. de Mesnard avait été chargé par le duc de Berry ? Faut-il, sur la foi de la duchesse de Reggio, admettre que le Comte d'Artois est allé lui faire une visite et eût continué avec grand intérêt des relations avec celte excellente princesse ? En tout cas, par les gens les plus habitués à leur cour, dont plusieurs sont venus la remercier des bontés qu'elle leur a témoignées en d'autres temps, les Princes ne peuvent ignorer qu'elle est prête à toutes les démarches pour se faire une situation digne et convenable.

Qu'elle pense à solliciter la confirmation du titre de duchesse de Navarre, nul doute ; qu'elle en fasse formellement la demande à Louis XVIII, c'est moins probable. Napoléon plus tard citait, et toujours de la part de ceux qu'il avait comblés, une intrigue fort vilaine auprès de l'impératrice Joséphine qu'on voulait porter, pour s'en faire un mérite ailleurs sans doute, et sous prétexte de lui assurer, disait-on, son séjour et son repos en France, à signer une lettre qui ne pouvait que l'avilir. On lui faisait écrire au Roi qu'elle ne savait plus ce qu'elle était, ce qu'elle avait été, qu'elle le priait de fixer son existence, etc., etc. L'Impératrice, ajoutait-il, pleura beaucoup, résista, demanda du temps et consulta l'empereur Alexandre qui lui dit qu'une pareille lettre serait son opprobre, qu'elle envoyât promener les intrigants et les entremetteurs, qu'il était sûr qu'on ne lui demanderait rien de pareil, que personne ne songeait à la faire partir de France, ni à troubler son repos et que, au besoin, il se porterait son répondant. C'est là ce qu'on a raconté à Napoléon ; mais si, à cette lettre que lui présentait Mme de Rémusat, Joséphine n'a eu vraiment, ni le goût, ni le loisir de mettre sa signature, sans doute a-t-elle au moins pensé à en écrire-une autre où elle demanderait pour Eugène la dignité de connétable. C'est la place que jadis elle a souhaitée pour Bonaparte et, lors de ses conférences avec les Royalistes, c'est là qu'elle bornait ses ambitions. Rien de plus naturel, avec sa tournure d'esprit, que, sans comprendre la différence des temps, elle cherche pour son fils ce qu'elle eût souhaité pour son mari. — Car, s'il était plus agréable d'être la femme du connétable, cela avait encore son prix d'en être la mère.

Si telles eussent été les ambitions d'Eugène, Joséphine y eût peut-être réussi, car Eugène n'a rien négligé pour plaire aux Bourbons. A son départ de Munich, il s'est fait devancer par une lettre au roi de France, car je ne pouvais en aucune manière, écrit-il à sa femme, arriver ici sans me présenter d'abord à lui. A peine a-t-il, à Malmaison, embrassé sa mère et sa sœur, qu'il reçoit l'autorisation de venir aux Tuileries. J'ai, dit-il à sa femme, présenté mes hommages à Louis XVIII qui m'a parfaitement reçu et m'a demandé de tes nouvelles avec beaucoup d'intérêt. J'ai vu chez le Roi, Monsieur et le duc de Berry, son fils ; je compte demain les voir chez eux et me présenter aussi chez les empereurs et les rois alliés.

Est-il vrai, comme on l'a affirmé dans une publication officielle, que Eugène ayant été annoncé au Roi — certains ont dit s'étant fait annoncer — sous le titre de marquis de Beauharnais, Louis XVIII, se levant brusquement de son fauteuil et allant à sa rencontre, lui ait tendu affectueusement la main, puis, se retournant avec un mouvement de mauvaise humeur bien marquée vers la personne qui avait introduit le vice-roi, se soit écrié : Dites Son Altesse le prince Eugène, Monsieur, et ajoutez Grand connétable de France si tel est son bon plaisir !

Cette anecdote où l'impropriété des termes employés dénote l'origine allemande, quoiqu'elle soit garantie authentique par l'éditeur des Mémoires du prince Eugène sans doute d'après la vice-reine, est fausse, au moins en sa seconde partie ; quant à la première, Hortense l'a formellement démentie, mais te n'est pas une raison de croire qu'elle ne soit pas vraie.

Louis XVIII n'eût jamais, en cette forme, offert la plus haute dignité militaire du royaume, — moins encore celle de grand connétable qui n'a jamais existé en France, — mais il eut sans doute un moment l'idée d'attacher Eugène à son service. Le bruit courut même — et le Journal des Débats l'enregistra — qu'il l'avait nommé maréchal de France : Sa Majesté lui a dit qu'elle espérait la paix, ajoute le journal, mais que, dans l'occasion, elle l'emploierait avec la plus grande confiance. Si chaud pourtant qu'eût été l'accueil, puisque Louis XVIII lui avait ouvert franchement les bras en lui disant qu'il lui servirait de père en remplacement de celui qu'il avait eu le malheur de perdre dans le cours de la Révolution ; puisque les enfants de France avaient suivi l'exemple du Roi, que le duc de Berry avait dit à Eugène en l'embrassant avec effusion qu'il l'avait toujours suivi et admiré dans ses brillantes campagnes ; malgré les tendres embrassements du duc d'Orléans et son entretien amical pendant plusieurs heures ; malgré le murmure flatteur élevé à son entrée et à sa sortie du palais, ce n'était pas en France et dans une position subordonnée, si brillante qu'elle fût, qu'Eugène comptait fixer sa destinée, celle de sa femme et de ses enfants. Il voulait un trône, sinon royal, grand-ducal, et c'était ce trône qu'il était venu chercher. D'après tout ce que j'ai déjà appris, écrit-il à sa femme dès le jour de son arrivée, il ne faut pas nous attendre à être trop bien traités. Chacun veut se partager le gâteau ; c'est énorme ce que chacun a la prétention d'avoir et il est bien vrai de dire que les liens de famille les plus sacrés sont comptés pour rien en politique... On voulait nous donner Gènes, afin de n'avoir rien à nous donner sur le Rhin. Parle-t-on de Francfort, de Mayence, etc. ? celui-ci le réclame pour lui, Parle-t-on de Berg, de Cologne ? c'est celui-là Enfin je ne sais pas quel coin on prendra pour nous assurer un établissement et on ne sait par qui se faire appuyer puisqu'on lèse toujours des prétentions ou des intérêts. Gênes, au premier coup, lui a semblé singulièrement médiocre, et, si Napoléon a été bien informé, il l'a refusé à l'instigation d'un ministre dirigeant, qui le flattait faussement de quelque chose de mieux. Comment d'ailleurs n'y serait-il pas pris ? Dans toutes ses visites aux empereurs et aux rois, il a trouvé partout les figures les plus gracieuses. Ils lui ont promis de lui porter intérêt lorsqu'il s'agira de lui faire un sort ; mais, pour le moment, il faut attendre, on ne s'occupe que de régler et terminer la paix avec la France. Sans pouvoir encore dire où, on lui assure qu'il aura une principauté en Allemagne, et, déjà les Autrichiens vont faire lever le séquestre sur les biens d'Italie. Quant à la France, bien que les Français désirassent beaucoup qu'il fût encore utile à leur malheureux pays, car il est peut-être le seul hors des partis, il a tenu avant tout à rester indépendant. — J'espère bien, écrit-il à sa femme, que tu n'auras pas cru un seul moment à la nouvelle du journal sur ma nomination comme maréchal de France. Puisque je ne te l'ai pas mandé, c'était faux.

A défaut de l'épée de connétable dont Eugène ainsi n'avait pas l'air de se soucier plus que du bâton fleurdelysé, une principauté était un sort assez convenable et qui méritait qu'on fit effort pour se le procurer. Mais il convient de changer les batteries ; c'était des Alliés qu'il la faut tirer : aussi, Joséphine et Hortense ne négligent aucune occasion de rapprocher Eugène des souverains, surtout de l'empereur de Russie. Hortense étant allée s'établir à Saint-Leu et Alexandre y ayant annoncé sa visite pour le 14, toute la famille s'y réunit pour le recevoir. Il n'y a d'étrangers, en dehors des maisons fort réduites de l'Impératrice et de la reine, que la maréchale Ney et le duc de Vicence. Alexandre, qui est venu sans cérémonie, en petite calèche, avec le comte Czernicheff, est parfaitement bon et aimable. Durant la promenade qu'on fait en char-à-bancs, dans la forêt de Montmorency et au château de la Chasse, au milieu des bois qui formaient jadis l'apanage de Louis et qui déjà sont rendus au prince de Condé, il s'enquiert avec inquiétude, demandant sur quels biens alors sera placée la dotation du duché d'Hortense. Au retour, Eugène saisit l'occasion de l'entretenir de ses intérêts, et, écrit-il à sa femme, l'empereur m'assura avec une grâce parfaite qu'il se chargeait de notre sort, qu'il espérait qu'il serait beau, quoique, dit-il, il ne le serait jamais autant que nous le méritions.

Joséphine n'était venue à Saint-Leu que sur les instances de sa fille ; elle était triste, découragée. L'empereur de Russie, disait-elle, est certainement rempli d'égards et d'attentions pour nous, mais tout cela, ce sont des paroles. Que décide-t-il pour mon fils, pour ma fille et ses enfants ? N'est-il pas dans la position de vouloir quelque chose pour eux 4 Savez-vous ce qui arrivera quand il sera parti Y On ne fera rien de ce qu'on lui promettra ; je verrai mes enfants malheureux ; je ne puis supporter cette idée, elle me fait un mal affreux.

Certes, elle souffre pour eux, mais combien plus pour elle-même ! D'abord, elle s'était trouvée satisfaite de rester à Malmaison, de n'être point obligée de quitter la France, même de s'éloigner de Paris : mais bientôt, même avec le train qu'on la laisse mener et le salon qu'on lui laisse tenir, elle trouve que c'est trop peu, qu'on manque d'égards vis-à-vis d'elle, qu'on lui doit une position et un rang. Dans l'inconscience où elle est de sa situation, elle ne peut admettre que les Bourbons ne traitent point ses enfants en princes et elle surtout en impératrice. Ils m'ont pourtant assez d'obligations, dit-elle, et elle énumère tout ce qu'elle a fait pour les émigrés et pour les royalistes ; ce qu'elle a tenté et réalisé pour la duchesse d'Orléans et pour la duchesse de Bourbon ; elle se plaint que tous ceux à qui elle a rendu des services ne soient pas encore venus la voir. Elle parle de l'ingratitude des hommes, et elle pleure.

Et lorsque, dans le Journal des Débats du 17, elle lit cet article communiqué : L'empereur de Russie s'est rendu il y a deux jours au château de Saint-Leu, près de Montmorency ; S. M. I. y a dîné avec le prince Eugène, sa mère et sa sœur ; ses plaintes prennent un accent bien plus aigre. C'est donc un parti pris de la désigner ainsi la mère du prince Eugène ? Ne peut-on parler d'elle avec un peu plus de respect ? Doit-elle être ainsi placée à la suite de son fils ? J'ai eu un nom, dit-elle, je suis montée sur le trône ; j'ai été couronnée et sacrée ! Toute l'Europe assemblée dans ses salons la traite de Majesté ; de quel droit les Bourbons lui refusent-ils la qualification qui lui est due ? Et voici qu'on parle d'enlever, de Notre-Dame, le corps du petit Napoléon et de le mettre dans un cimetière ordinaire. On ose toucher aux tombeaux, s'écrie-t-elle, c'est comme au temps de la Révolution. Ah qui m'eût dit que cela me viendrait de gens que j'ai tant obligés !

Elle ne comprend pas ; ce qui la touche, elle, son fils, sa fille, son petit-fils, son titre, son rang, sa dignité, cela est acquis à jamais, cela est au-dessus de tous les événements. L'Empire a disparu et tout ce qui est de l'Empereur. Pas de jour où, contre Ruons-parte, on ne publie des insultes et des menaces de mort. Qui oserait dire de lui : l'Empereur ! Les Bourbons ont à peine amnistié la gloire, et parce qu'ils en ont eu peur. Ils ont, sur tout le reste de cette histoire, jeté le voile de leurs dix-neuf ans de règne. Mais, si l'Empereur est aboli, l'Impératrice demeure ; elle entend que, pour elle seule et ses enfants, on fasse exception, et qu'à Paris, aux Tuileries même, on la traite de Majesté, elle, la femme de l'Ogre de Corse. Il semble qu'elle a, elle aussi, banni de sa mémoire qu'il y eut un Bonaparte, un Napoléon, un Empereur : il n'y a eu que l'Impératrice — et c est elle.

Comme en réponse à ces gens qui ne veulent point d'elle, elle ouvre ses salons d'autant plus grands, et sans choix, sans enquête, y accueille quiconque sollicite d'y paraître. Aime de Staël arrive de Londres ; Paris retentit du Portrait d'Attila qu'elle a fait republier par Aimé Martin ; elle demande à venir à Malmaison ; elle y est reçue. Elle veut savoir si Joséphine aime encore l'Empereur ; elle prétend lui poser ces questions qu'elle médite depuis 1810 et qu'elle a préparées à Blois. Et, dans la galerie, c'est un tête-à-tête étrange où Mme de Staël la presse en juge instructeur, analyse l'état de son âme et en tire des conséquences. Joséphine, très agitée et très émue, se voit contrainte de congédier la baronne, qui traverse rapidement le salon, salue et sort. Ce devrait être une leçon ; mais elle ne sert à rien.

Sans qu'il y ait besoin d'une visite préalable, les Anglais qui en manifestent le désir sont invités à dîner. A la table de l'Impératrice, on entend la fille du duc de Gramont, la comtesse de Tankerville, faire le panégyrique de la duchesse d'Angoulême et, durant tout un repas, vanter sa piété, sa bienfaisance et le courage avec lequel elle a supporté ses malheurs, puis exalter la confiance que les Princes ont toujours conservée pour la bonté de leur cause ; Joséphine se rend si aimable et si brillante pour le roi de Prusse et pour ses jeunes fils que, cinquante ans plus tard, le second parlait d'elle encore avec admiration ; au prince de Cobourg, chargé par l'empereur d'Autriche de lui dire qu'il serait venu le voir s'il n'avait craint de lui faire de la peine, elle répond par cette invite directe : Pourquoi donc ? Pas du tout ! Ce n'est pas moi qu'il a détrônée, mais sa fille ! Pourtant, c'est toujours pour Alexandre que sont ses grâces les plus empressées et les plus attentives. Elle l'a constamment à dîner : elle lui offre le beau camée qu'elle a reçu du Pape au moment du Couronnement et, comme l'empereur se fait prier et semble désirer une tasse sur laquelle elle est peinte, elle le force d'accepter la tasse et le camée ; un autre jour, c'est le recueil des romances d'Hortense avec les dessins originaux qui les accompagnent et Hortense s'en fâche contre sa mère ; tout pour l'empereur, tout pour le grand-duc Constantin, pour les grands-ducs Nicolas et Michel, tardivement arrivés, des promenades, des dîners, des présents, on dit même des jeux de barres !

Pourtant, elle est souffrante ; le 14, dans la journée de Saint-Leu, elle a pris froid. Le jour, au milieu de toutes les visites qu'elle reçoit, elle parait la tête entortillée d'un grand schall d'Angleterre ; elle est rouge, oppressée, se plaint d'un catarrhe ; elle laisse sa fille et son fils, faire les honneurs, mener les souverains à la machine de Marly ou à quelque curiosité des environs ; mais, le soir venu, elle se tiendrait déshonorée si elle n'était décolletée dans la robe la plus élégamment légère, si elle abandonnait le soin de montrer les serres ou la galerie. On veut qu'elle reste couchée ; elle répond qu'elle n'a jamais soigné un rhume et ne fait qu'à sa guise.

C'est le 23, le lundi, jour où le roi de Prusse et quantité d'autres souverains doivent venir dîner qu'elle se sent vraiment malade[4]. Elle n'en parait pas moins durant toute la soirée ; mais elle passe une mauvaise nuit. Le 24, les grands-ducs dînent : elle a eu le matin une éruption miliaire sur tout le corps, principalement les bras et la poitrine, mais tout à fait fugitive ; elle laisse à Eugène le soin do mener les grands-ducs dans les environs, mais elle s'assied à table. Après le dîner, on danse. Elle ouvre le bal avec l'empereur de Russie ; puis ils passent tous deux dans le parc où ils se promènent longtemps. Elle y reprend froid. Le 25, elle est encore debout et reçoit. Ce n'est que le 26, au soir, que son médecin ordinaire, M. Horeau, lui trouvant la langue embarrassée et toute la tête entreprise, fait appliquer sur le cou un large vésicatoire.

Ce jour-là, a dit Alexandre Lenoir, elle était attendue aux Tuileries pour être présentée à Louis XVIII ; sa visite n'eut pas lieu ; je le sus, le même jour, par un huissier que je vis au château.

Le vendredi 27, l'empereur de Russie doit dîner : plus se rapproche l'époque de son départ pour Londres, plus il resserre son intime. Par ses platoniques prévenances, il semble s'excuser de n'avoir pu fournir de ses intentions une preuve plus manifeste et de n'avoir point encore apporté aux pieds de la reine ce fugitif duché qui, cent fois promis, reste toujours un leurre. On prierait volontiers l'empereur de remettre, car Eugène aussi est au lit, avec un violent accès de fièvre, mais Alexandre vient si vite qu'on n'a pas le temps de l'avertir. Il y a, comme de juste, grande compagnie, car, d'avance, pour huit jours au moins, les invitations sont lancées, sans parler de celles qu'on fait à l'heure même. Il y a, parmi les convives, un Anglais qui, trente-neuf années auparavant, a connu Joséphine à la Martinique et l'a aimée. Il a demandé à être reçu, a été invité à dîner et il se désole de ne pouvoir présenter ses hommages à l'Impératrice, car, dit-il, il l'aime toujours.

Après le dîner, quoique les médecins Horeau et Lamoureux ne se disent pas inquiets, Hortense remonte près de sa mère ; les invités ne tardent pas à demander leurs voitures ; la soirée est courte. Dans la nuit, Horeau remarque que l'arrière-bouche prend une couleur pourpre foncé, mais il n'en tire pas de conséquences : seulement, la fièvre monte et il craint que, de catarrhale, elle ne devienne maligne ; au matin, il demande en consultation Hourdais et Lasserre. Eugène, quoique troublé, n'a nulle idée d'us danger imminent : J'espère, écrit-il à sa femme, que, dans trois ou quatre jours, les plus forts accès de la maladie seront passés... Aussitôt que notre mère sera rétablie, je prendrai congé de tout le monde et je partirai pour Munich. Mais, dans la journée (28) l'aggravation est telle qu'Horeau réclame une seconde consultation. Alors, la maladie a dégénéré en fièvre putride. Pour les médecins, il n'y a plus aucun espoir ; les traits du visage s'altèrent à vue d'œil ; l'oppression augmente ; la couleur pourpre de l'arrière-bouche fonce encore ; le pouls devient presque insensible. On applique un nouveau vésicatoire sur la poitrine, mais, dès lors, l'agonie est commencée et la connaissance supprimée.

C'est alors qu'Hortense s'inquiète. Les médecins, en avouant que la maladie est grave, ont déclaré qu'elle serait très longue. La reine décide que, dans la maison, chacun veillera une nuit entière et elle dit qu'elle veut veiller cette première nuit. Comme de juste, l'on se récrie ; et ce n'est ni une reine, ni une dame d'honneur, ni même une lectrice, tout simplement une femme de Chambre qui ne lui appartient même pas, qui assiste Joséphine en cette nuit suprême : la nuit d'agonie. Le 29, à huit heures du matin, on reconnaît qu'elle va mourir. Le premier aumônier, M. de Barral est absent ; c'est l'abbé Bertrand, précepteur des jeunes princes, qui administre les derniers sacrements qu'elle reçoit, dira l'oraison- funèbre, dans les sentiments de la plus vive piété et de la plus touchante résignation... avec une connaissance qui lui a permis d'en apprécier les bienfaits. A midi, elle expire.

Rien de mystérieux dans cette mort. Nul indice, nul soupçon, nulle raison de poison. Pourtant, l'on a prétendu que Joséphine avait été empoisonnée et cela parce que, sachant que Louis XVII était vivant, elle était décidée à le déclarer à Louis XVIII, le jour même où elle tomba malade[5]. Le procès-verbal à autopsie ne peut laisser aucun doute sur l'origine, la cause et les progrès de la maladie : un rhume mal soigné, s'aggravant et trouvant, dans un corps où toutes les humeurs sont en mouvement, un terrain de culture approprié pour l'infection.

 

Deux heures après que Joséphine a expiré le prince et la reine pour se conformer sans doute à l'étiquette souveraine quittent Malmaison et partent pour Saint-Leu. Peut-être est-ce un hommage suprême qu'ils croient rendre à leur mère de préférer sa dignité impériale à leur filiale douleur. En tout cas, ils ne paraîtront plus : veillées funèbres, derniers adieux, cérémonie des obsèques tout va s'accomplir sans eux.

Après vingt-quatre heures, le corps, ouvert par M. Béclard, chef des travaux anatomiques de la Faculté[6], est embaumé, selon les règles de l'art, par l'illustre pharmacien Cadet-Gassicourt, qui reçoit pour ce 2.619 fr. 20 ; puis, il est placé dans un cercueil de plomb, enfermé lui-même dans une bière de chêne, et durant qu'on prépare l'antichambre des valets de pied en chapelle ardente, il est de nouveau, pour vingt-quatre heures, déposé dans la chambre mortuaire, où le public est admis. Mais la foule s'empressera surtout à la chapelle ardente : plus de vingt mille personnes, dit-on, y défilent : en pareil cas, combien sont attirées par la piété, combien par la curiosité, par ce goût des cérémonies qu'a le peuple de Paris et que double, chez la plupart des femmes, ce qu'on peut appeler les joies macabres ? Par surcroît, l'on a la visite du parc et de la grande serre et la vue des animaux rares. Il était difficile de pénétrer à Malmaison : c'est une occasion.

Il est de mode de venir au moins s'inscrire ; s'il ne se présente point en personne, l'empereur Alexandre envoie Czernicheff, et lui-même, avant de partir pour Londres, veut passer à Saint-Leu une dernière soirée avec Hortense et Eugène. A Hortense, il apporte enfin le fameux brevet de duchesse, arraché, peut-on dire, à Louis XVIII, le 30, le lendemain de la mort de Joséphine, le jour même où a été signé le traité de Paris. Qui peut dire s'il n'en est pas une des conditions ? Sur la formule d'ailleurs, le roi de France n'a pas cédé : au lieu de Mademoiselle de Beauharnais, il a écrit : Madame Hortense-Eugénie de Beauharnais, toute la concession a été l'adjonction de ces mots : désignée dans une convention faite le 11 avril dernier, sans qu'on dit entre qui cette convention a été signée, car le Roi ne veut pas prendre l'engagement de l'exécuter[7]. Hortense n'en accepte pas moins avec reconnaissance et, en sa petite robe de fleuret noir avec crêpe lisse au col et aux manches, que Leroy vient de lui bâtir pour 144 francs, elle accueille en sauveur l'empereur Alexandre. Pourvu qu'elle reste en France, qu'elle y vive indépendante, qu'elle soit à jamais séparée de son mari, qu'elle garde ses fils et les élève à son gré, elle renie l'Empereur déchu et proscrit, elle renie le nom de gloire qu'elle porte et qui appartient à ses enfants, elle se trouve heureuse et elle remercie.

A l'occasion des obsèques prochaines, Eugène et Hortense manœuvrent. Ils mettent de l'habileté où il faudrait de la droiture, et de la vanité où l'on voudrait de l'orgueil. La situation est difficile, mais ils se la sont faite : ils prétendent, à la fois, obtenir pour leur mère tous les titres qu'elle portait ci-devant, et ménager le gouvernement royal en restreignant à une forme privée les honneurs funèbres. Il y a là toute une suite de transactions fort adroites où le Roi et ses ministres s'emploient avec zèle et où, des deux côtés, on déploie toute la bonne volonté imaginable. Les Princes, d'abord, ont chacun envoyé un de leurs officiers porter leurs condoléances au prince Eugène et à celle-là qu'à présent les empressés, tels Mme Campan, ne traitent plus de reine, mais de duchesse. A la mairie de Rueil, sur la déclaration de M. André de la Bonninière, marquis de Beaumont, grand cordon des ordres de la Couronne civile de Bavière et de la Fidélité de Bade, membre de la Légion d'honneur, etc., et de M. Pierre-Louis de Busset, ancien maréchal des camps au service de France, on a dressé sans observation, le 2 juin, à six heures du matin, l'Acte de décès de l'impératrice Joséphine, née Marie-Joséphine-Rose Tascher de la Pagerie, le 24 juin 1768[8], mariée à Napoléon Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie le 8 mars 1796, sacrée et couronnée Impératrice le 2 décembre 1804, décédée dans son palais de la Malmaison, commune de Rueil, le 24 mai dernier, à midi. Par contre, le prince Eugène ne fait pas imprimer de billets de part, mais il en envoie à la main de fort modestes où il élude la difficulté de donner des titres à sa mère. On dresse, à Malmaison, une chapelle ardente et, à l'église de Rueil, l'entrepreneur des pompes funèbres, Labatte, prodigue les tentures, en sorte que son mémoire montera à 15.703 fr. 75 centimes ; mais, sur ces tentures, point d'armoiries, ni celles d'Empire, ni celles même du duché de Navarre, point de chiffre, ni de couronne.

Les cloches, mises en branle par Roty, le sacristain de Rueil, sonnent nuit et jour, mais leur sonnerie est anonyme. Cela va ainsi jusqu'au jour de l'enterrement ; alors les garanties qu'Eugène a données ont sans doute semblé plus que suffisantes, car les obsèques prennent un caractère semi-officiel qui marque sinon la participation, au moins les égards du gouvernement.

Le 2 juin, à midi, le cortège part du château. En tête marchent les bannières des diverses confréries de la paroisse, puis un fort détachement de la garde impériale russe dans la plus grande tenue et les gardes nationales du canton. Une pareille haie est formée, de Malmaison à Rueil. Au-devant du cercueil, deux valets de chambre, en manteau de deuil, portent sur des coussins de velours noir, dans des bottes de vermeil, l'un le cœur, l'autre les entrailles. Le deuil est conduit par les petits princes que guide M°' d'Arberg et qu'assistent le général Sacken représentant l'empereur Alexandre, le prince de Mecklembourg, le grand-duc de Bade, le marquis et le comte de Beauharnais et le comte Tascher. Les invités viennent ensuite : maréchaux, officiers généraux tant français qu'étrangers, aides de camp des souverains alliés, les curés et lei maires des communes voisines. Au milieu d'une foule accourue de tous les points du canton et de Paris on se rend à pied, processionnellement, à l'église où quelques dames de la famille — entre autres Mme Lavallette et la duchesse d'Arenberg — attendent. La maîtrise de la Madeleine chante une grand'messe en musique que célèbre Mgr de Barral, archevêque de Tours, ci-devant premier aumônier, assisté de Mgr Bourlier, évêque d'Évreux et de Mgr Charrier de la Roche, évêque de Versailles. Mgr de Barral prononce l'oraison funèbre et, après l'absoute, le corps, par autorisation spéciale du ministre de l'Intérieur, est descendu dans un caveau pratiqué dans l'église même par le maçon Deyras. A cinq heures du soir, la cérémonie est terminée.

Les Bourbons ont ici donné une preuve singulière de complaisance, mais qu'ont-ils à craindre ? Ils s'attribuent le beau rôle vis-à-vis de Joséphine et, si ce n'eût été par bienséance, ils auraient dû le faire par politique. N'est-ce pas réclamer pour eux, par les honneurs rendus, quelque chose de sa popularité et flatter ceux-là qui, ayant abandonné l'Empereur, se retranchent volontiers sur l'exemple de l'Impératrice pour justifier leur défection ? Nulle crainte d'une démonstration bonapartiste autour de ce cercueil l'Empire écroulé ne semble plus avoir un partisan. De tous les serviteurs de Napoléon dans le civil ou le militaire, à peine en citerait-on deux ou trois qui boudent, ne sollicitent pas des emplois, ne s'empressent pas à servir. Gens de la cour et gens du monde, fonctionnaires de tous ordres, militaires dans les hauts grades ou attachés à des états-majors, tous animés, sinon d'un zèle royaliste intransigeant, au moins d'une bonne volonté très marquée, ont accepté résolument la Restauration, pourvu qu'ils gardent leurs places et qu'on ne leur préfère point ceux qu'ils tiennent pour des intrus.

Le seul danger — si c'en est un — est dans l'oraison funèbre : mais le Discours prononcé par M. l'Archevêque de Tours dans l'église paroissiale de Ruelles aux obsèques de S. M. l'Impératrice Joséphine, le 2 juin 1814, a été pour contenter tout le monde. Les enfants de l'Impératrice en louent à l'envi l'extrême convenance ; à gouvernement ne trouve rien à y redire et comme M. de Barral a presque osé faire allusion à Napoléon, on s'étonne du courage qu'il a montré. Voici pourtant comme il s'est exprimé : Un homme parut alors sur la scène du monde avec tous les caractères de force et de grandeur qui permettaient de faire reposer sur lui de grandes espérances. Il promettait le retour de l'ordre, il promettait le rétablissement des autels. Il ne disait pas qu'il s'était réservé l'immortel honneur de ramener les Bourbons sur à trône de leurs ancêtres, mais, plus on observait ses premiers pas, plus on se croyait autorisé à l'espérer. Cet homme intéressa le cœur de Joséphine ; il sollicita sa main et l'obtint...

Son époux reconnaissant des services qu'elle lui avait déjà rendus, la conduisit aux pieds des autels pour y recevoir le couronne impériale des mains vénérables du chef de l' use ; jour mémorable où tons ceux qui assistèrent au couronnement de Joséphine purent lire dans les traits de son visage qu'elle ne, marchait, pas vers le trône, mais qu'elle s'y laissait entrainé, espérant au gond de son cœur que sa dignité, inutile à elle-même, ne le serait pas aux autres.

C'est fini de Napoléon, mais les services rendus aux royalistes tiennent une bien autre place : Combien de malheureux, dit M. de Barral, que leur fidélité à l'auguste sang de Bourbons condamnait à vivre éloignés de leur patrie, sont redevables à son opiniâtre et touchante intercession d'avoir été rendus à leurs familles, au sol qui les avait vus naître ? Combien ont vu s'ouvrir par ses soins, les portes des prisons, que des imprudences et, le plus souvent, des préventions injustes avaient fermées sur eux ! Combien arrachés au glaive de la loi au moment où il était près de les atteindre !

Et que serait-ce si, après avoir rappelé les obstacles dont son infatigable bienveillance a triomphé, il m'était permis d'indiquer quelques-uns de ceux qu'elle n'a pu vaincre et qui ont d'autant plus affligé sou cœur que, ne les rencontrant pas toujours dans le caractère ou la situation de celui qu'elle intercédait, elle était vainement-descendue à la prière chez les instruments de sa puissance !

Cette allusion directe au duc d'Enghien eût pu terminer le discours : il ne restait plus un mensonge à faire. Pourtant, M. de Barral continue ; il s'étend sur les qualités mondaines de l'Impératrice, et il est impossible de méconnaître la finesse de cette remarque : Sur le trône, Joséphine n'a pas cessé d'être une personne privée ; puis, il passe à Eugène et à Hortense : à celle-ci, il évite de donner aucun titre : L'objet le plus constant des pensées de Joséphine, dit-il, est aujourd'hui cette fille chérie, si digne de l'être, si distinguée par le courage avec lequel elle a supporté ses propres malheurs et partagé ceux de sa mère ; mais à Eugène, il donne toutes ses qualités et en parlant de lui, il s'élève au lyrisme : Brave et honorable prince ! s'écrie-t-il, qu'il soit permis à un Français de dire une fois de vous, ce que disent si hautement les plus respectables étrangers. L'Italie et la France n'oublieront jamais, Prince, ni la sagesse et la force de votre administration, ni votre marche rapide et glorieuse jusqu'au Simmering, ni l'éclatante journée de Raab, ni votre lente et inconcevable retraite depuis la Wartha jusqu'à l'Elbe, ni votre générosité pour les vaincus, ni la fermeté avec laquelle vous sûtes maintenir la discipline, ni enfin cette dernière campagne si remarquable par des succès toujours inattendus, et par ce grand caractère de noblesse qui vous a déterminé à défendre l'Italie aussi longtemps que vous l'avez dû, comme à poser les armes au moment où de nouvelles circonstances nous ont imposé de nouveaux devoirs !

Cela est d'un bon parent ; mais il faut juger selon les temps, et ce qui démontre à quel point M. de Barral s'est trouvé avoir exprimé l'opinion publique, c'est que tous les autres témoignages qu'on en rencontre, correspondent directement à quelque partie de son discours. Ainsi, le Journal des Débats en annonçant la mort de la mère du prince Eugène ajoute : Quelques heures avant sa mort, elle se plaisait à compter sur les regrets des nombreuses familles qu'elle a eu le bonheur d'obliger et il a paru que cette espérance a de beaucoup adouci ses douleurs. Ainsi, le ministre qui, par une correspondance quotidienne, renseigne Louis XVIII sur l'état des esprits, écrit : Mme de Beauharnais a excité généralement des regrets... Le public était instruit des combats qu'elle livrait pour arracher des victimes à Bonaparte et lui avait su gré d'avoir embrassé ses genoux pour sauver le duc d'Enghien. Seule au milieu de ces Corses fastueux, elle parlait la langue des Français et devinait leur cœur. La bonne compagnie lui donna des regrets ; le peuple qui ne veut pas permettre aux personnages un peu fameux de mourir de leur mort naturelle, vent qu'elle ait été empoisonnée. Et c'est le texte repris dans ces canards qui, selon l'usage couru depuis deux mois, neigent chaque matin sur Paris, feuilles à deux sols dont les titres, criés par les camelots, portent aux profondeurs des maisons les insultes contre le tyran tombé et qui, le 30 mai, annoncent : la Vie et la mort de feue l'Impératrice Joséphine, première femme de Napoléon Bonaparte ; le Testament de l'impératrice Joséphine trouvé ce matin dans son château de Malmaison ; les Anecdotes curieuses et inédites sur la vie de l'impératrice Joséphine ; le Précis historique sur la vie et la mort de l'impératrice Joséphine. Mais, dans ces pamphlets populaires, au moins autant que des émigrés et du duc d'Enghien, il est parlé d'Eugène : Ô France ! France ! C'est au lit de la mort que Joséphine t'en supplie, estime et chéris son Hortense, son Eugène ; quoiqu'ils fussent étrangers à la cause de Les rois légitimes, ils sont tous deux dignes de la France et de toi ! Et c'est, à des milliers d'exemplaires, une romance : Le prince Eugène au tombeau de sa mère ; c'est, en une estampe cent fois contrefaite, Eugène, debout, enveloppé de son traditionnel manteau, près d'une colonne sur laquelle est posée une urne portant la lettre J. De cette gravure, le succès est immense, tel que l'on aurait peine à en citer un analogue. Mais à ce mouvement qui, traduit uniquement sous les formes démocratiques de l'image, de la chanson et du canard, n'en peut devenir que plus sérieux, s'il est encouragé et s'il rencontre un homme qui le dirige, Eugène se dérobe. En réalité d'ailleurs, Eugène n'en est que le prétexte. C'est ici la forme détournée que le peuple a saisie pour attester son constant amour pour le vaincu, et, durant que les grands la trahissent, la fidélité des petits envers leur Empereur.

Ont-ils pensé à lui Hortense et Eugène ? Ont-ils songé seulement à l'instruire de la mort de Joséphine ? Ils ont eu le loisir de rédiger des billets de part à la satisfaction de la police ; de recevoir les envoyés des princes bourbons ; de faire accueil à l'empereur Alexandre ; mais sans doute ont-ils craint de se compromettre en écrivant au proscrit de l'île d'Elbe. Nulle trace, nul indice d'une telle lettre. C'est par un journal que lui envoie de Gênes un valet de chambre qui rentre en France, chargé de commissions pour diverses personnes et pour Joséphine elle-même que, sans autre préparation, l'Empereur est averti. A la nouvelle de cette mort, dit le témoin le mieux placé, il parut profondément affligé ; il se renferma dans son intérieur et ne vit que le grand maréchal. Toutefois, il ne prit pas le deuil, ne le fit pas prendre à sa maison et, lorsque Madame et Pauline arrivèrent, elles ne le portèrent point. Eugène et Hortense le gardèrent six mois : Six semaines, très grand deuil en étoffes de laine, six semaines, grand deuil soie et crêpe et trois mois de deuil en diminuant. Tel était alors l'usage pour les deuils particuliers de père et de mère. Pour l'Impératrice, l'étiquette du Palais impériale n'ordonnait que deux mois.

 

 

 



[1] Stéphanie Tascher a certainement, dès la première Restauration, commencé à ce sujet des démarches qui, interrompues par les Cent Jours, seront reprises par elle avec ardeur dès le retour de Gand. Par la protection de Decazes, elle obtiendra celle du comte de Pradel et la bienveillance du Roi. Dans les mémoires qu'elle fera mettre sous les yeux de Louis XVIII, elle s'attachera, presque autant qu'à la nullité de son mariage, à la conservation de son rang et de sa fortune. Elle demandera qu'on lui confirme, avec le titre de princesse, la donation de un million qu'elle tient de Buonaparte et qu'on consente que cette donation soit exécutée quel que soit le jugement sur la cassation du mariage. Elle pourrait alors provoquer avec sécurité la dissolution de son mariage et trouver dans la restitution de sa dot que lui ferait le duc d'Arenberg une existence assurée pour l'avenir. Elle obtiendra, le 29 août 1816, un jugement du tribunal de la Seine déclarant le mariage nul sur le fait de la contrainte, et, le 27 mars 1817, une sentence de l'officialité de Paris déclarant le mariage nul comme non consommé. Elle prendra alors le nom de princesse Stéphanie de Tascher : c'est sous ces qualités qu'elle obtiendra une ordonnance du Roi portant création d'une dotation de 750.000 francs en considération, est-il dit, du mariage qu'elle est sur le point de contracter avec M. le comte de Quitry, — un fidèle serviteur du Roi, qui en toute occasion a donné des preuves de son zèle et qui est maintenant officier dans la garde de Sa Majesté. Elle exercera sur le due d'Arenberg la reprise de sa dot dans des conditions de rigueur, ruineuses pour lui et le 8 novembre 1817, en robe blanche que Leroy fournira pour 580 francs, elle épousera, enfin, M. de Quitry, qui la rendra très malheureuse et qui, huit mois après sa mort arrivée le 26 octobre 1832, épousera Mme de Rully, fille naturelle du duc de Bourbon. Je suis obligé de résumer ici extrêmement, mais cette vie serait intéressante à retrouver par le détail.

[2] Peut-il, comme le dit Mlle Cochelet, unique témoin, parler déjà de l'île d'Elbe ? Cela ne semble guère possible. Cet auditeur, M. de Maussion, en admettant qu'il soit parti le 2 de Fontainebleau pour arriver dans la nuit du 2 au 3 à Navarre, n'a pu raconter ce qui s'est passé à Fontainebleau dans cette même nuit du 2 au 3 où seulement est arrivé le duc de Vicence. Dès lors, la scène où Joséphine, d'après Mlle Cochelet, s'écrie : Comment, il est confiné à l'île d'Elbe ? Ah ! sans sa femme, j'irais m'y enfermer avec lui ! est inadmissible. Ou il y a erreur de dates, ce qui n'est pas probable, ou il y a témoignage supposé pour les besoins de la légende.

[3] Madame a 300.000 francs ; Joseph et Jérôme chacun 500.000 ; Elisa et Pauline 300.000 ; Louis 200.000. L'Empereur porte donc à 600.000 francs la part de la branche de Louis et la rend supérieure de 100.000 francs à celle des autres frères.

[4] Le baron Darnay si bien informé d'ordinaire dit qu'à ce dîner assistaient outre le roi de Prusse et ses fils, les empereurs d'Autriche et de Russie. Sa Majesté, dit-il, également touchée et flattée de visites aussi honorables oublia son mal pour recevoir les trois illustres monarques avec la distinction convenable... mais... quarante-huit heures après ce jour de bonheur !...

[5] Nulle part, j'affirme qu'il ne se trouve le moindre indice que Joséphine ait, d'une façon quelconque, exprimé une opinion sur l'existence d'un fils de Louis XVI. En fait de faux dauphin, on ne connaissait d'ailleurs en ce temps qu'Hervagault dont le jeu était percé depuis dix ans ; mais Joséphine seule, parait-il, avait le secret à t'existence de Naundorff. Bien qu'il semble inutile de réfuter point par point une histoire à laquelle seuls des hallucinés peuvent s'attacher, et qu'il ne reste rien à faire après les travaux de MM. de la Sicotière et Chautelauze, il convient d'indiquer de quelle façon on a voulu faire intervenir Joséphine dans cette affaire. Il suffira, sans entrer dans les détails ajoutés postérieurement par les divers défenseurs de cette étrange cause, de relever dans les Mémoires d'un contemporain que la Révolution fît orphelin en 1793 et qu'elle raya du nombre des vivants en 1795, pour servir de pièces à l'appui de la demande en reconnaissance d'état qu'il se propose de présenter les divers passages où il est question de Joséphine. C'est là la suprême version, authentique et complète, qui se trouve donnée de la vie du prince, version dont évidemment, le Cimetière de la Madeleine et les Prisonniers du Temple, publiés en 1800 par Regnault-Warin, ont fourni les premières données :

Au sortir de la prison (du Temple) Ojardias transporte dans un cheval de carton, le jeune Louis XVII dans une maison de la rue Phelippeaux où le comte de Frotté l'attendait en compagnie de deux dames dont l'une, d'après ce qu'on lui a dit, depuis, était Mme de Beauharnais qui devint plus tard l'impératrice Joséphine (p. 55). Ceci se passe le 19 janvier 1794 (p. 136). Plus tard, sous le Consulat, elle s'intéresse à Hervagault, mais Fouché lui révèle qu'Hervagault n'est point l'enfant qu'elle a vu rue Phélippeaux et il la met en rapport avec le véritable dauphin (p. 131 et suivantes). A l'appui de cette assertion est produit un certificat délivré par Marie-Françoise Duplessis, femme Richard, demeurant rue Saint-Jacques 126, attestant, que, après le divorce, Joséphine se rendit en Suisse où elle passa quelques semaines à Montchoisy, près de la petite ville d'Orbe, canton de Vaud, chez Mme Duplessis, née comtesse d'Aumale qu'elle connaissait beaucoup. Là devant la déclarante alors âgée de dix ans, l'Impératrice aurait raconté en détails l'histoire du fils de Louis XVI et affirmé son existence (p. 138). Le Contemporain ne va pas plus loin et ne dit rien quant à la mort de Joséphine : La première assertion relative à l'empoisonnement se rencontre dans les apocryphes Mémoires d'une femme de qualité ; elle fut reprise dans les apocryphes Mémoires d'un Pair de France, développée dans les Révélations sur l'existence de Louis XVII de M. Labrelie de Fontaine et dans la 10e livraison de la Voix d'un proscrit, mémoire historique et judiciaire paraissant une fois par mois ; en dernier lieu par le docteur Cabanes dans un feuilleton du Supplément Littéraire du Figaro, sous le titre : Les morts mystérieuses de l'histoire. Il faudrait plusieurs pages pour citer seulement les titres des brochures de propagande où, d'après les mêmes autorités, est relaté le rôle de Joséphine dans l'affaire de Naundorff ; mais c'est sans doute assez.

[6] On trouva tout l'intérieur de la trachée-artère dans un état d'inflammation extrêmement prononcé ; la membrane qui tapisse la surface interne de ce conduit était de couleur pourpre et se déchirait facilement ; le milieu de la face antérieure de la cavité du larynx présentait un point gangreneux large de quatre à cinq lignes : les bronches, jusque dans leurs dernières ramifications, étaient remplies d'un liquide écumeux et sanguinolent ; les poumons, fortement gorgés de sang, étaient adhérents à la plèvre ; tous les autres organes étaient parfaitement sains.

[7] Le texte renferme bien d'autres singularités : Eu égard, dit le Roi, à la situation de Mme Eugénie-Hortense de Beauharnais désignée dans une convention faite le 11 avril et aux invitations qui nous ont été adressées par les hautes puissances contractantes pour donner effet à ladite convention, nous lui avons confirmé et lui confirmons par ces présentes, le rang et le titre de duchesse, érigeant pour elle la terre de Saint-Leu en duché qui passera à ses enfants de mâle en mâle par ordre de primogéniture... Au duché est attaché un revenu de 400.000 francs en domaines ou rentes sur l'Etat pour qu'elle puisse en jouir en toute propriété avec faculté de l'aliéner et d'en disposer sans avoir besoin de l'autorisation de son époux qui, sous aucun prétexte, ne pourra jamais rien y prétendre.

[8] C'est la date fausse donnée par l'acte de mariage.