HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE DE 1789 A 1799

TOME PREMIER

 

CHAPITRE QUATRIÈME.

 

 

L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE. - PRISE DE LA BASTILLE

28 juin-20 juillet 1789

 

L'effet fut grand sur le public de voir un membre du Tiers État, un savant bourgeois, Bailli, présider les prélats, les grands, un prince du sang et un cardinal, dans l'assemblée des Trois Ordres réunis.

La réunion n'était qu'apparente. Ce n'était pas seulement par peur que la cour l'avait décidée, mais aussi dans l'espoir d'entraver les travaux de l'Assemblée et de faire manquer ses projets, en introduisant dans son sein les défenseurs des privilèges.

Une grande partie de la noblesse et la minorité du clergé gardaient une attitude malveillante. Beaucoup affectaient de ne pas prendre place sur les bancs et de rester étrangers aux délibérations. Beaucoup déposaient des protestations fondées sur leurs mandats impératifs, qui leur interdisaient le vote en commun et par tête.

Plusieurs députés proposèrent d'annuler les mandats impératifs. L'Assemblée fit plus : sur la motion de Sieyès, qui fit observer que c'était à chaque député à savoir quels engagements il avait pris et que l'Assemblée n'avait point à s'en enquérir, l'Assemblée arrêta qu'il n'y avait pas lieu à délibérer là-dessus et passa outre.

Le sentiment dominant fut que les mandats impératifs rompaient l'unité de la Nation. En effet, attribuant la souveraineté à chacune des fractions de la Nation en particulier, ils sont la négation de la souveraineté nationale.

L'Assemblée sentait sa force. Elle recevait de toutes parts les adhésions des villes de France à ses premiers actes.

La présidence mensuelle de Bailli étant expirée, on offrit au duc d'Orléans de l'élire. Il refusa, se sentant incapable de ces grandes fonctions. On élut l'archevêque de Vienne, Lefranc de Pompignan, l'ancien président des patriotiques États du Dauphiné.

L'Assemblée nomma un comité pour préparer les travaux de la Constitution, en même temps qu'elle s'occupait de la grave question des subsistances, et que Necker lui communiquait les mesures prévoyantes qu'il continuait de prendre à cet égard ; il avait renouvelé ses achats de grains à l'étranger.

Paris ne se calmait pas. Le 1er juillet, des délégués parisiens vinrent réclamer l'intervention de l'Assemblée relativement à un fait qui s'était passé la veille. Le colonel des gardes françaises avait fait enfermer à la prison militaire de l'Abbaye onze des soldats qui avaient fraternisé avec le peuple, et voulait, de là, les envoyer, avec les voleurs et les malfaiteurs, à Bicêtre. Des milliers de citoyens allèrent forcer la prison de l'Abbaye, enlever les soldats détenus et les ramener au Palais-Royal, où on les garda et où l'on se tint prêt à les défendre.

L'Assemblée intervint auprès du roi pour le prier d'user de clémence, et le roi promit la grâce des soldats, dès que l'ordre serait rétabli. Les soldats rentrèrent en prison pour la forme, puis furent aussitôt élargis. Le roi, en cette occasion, avait agi sensément. Par malheur, sa femme, son jeune frère d'Artois et la plupart de son entourage le poussaient plus que jamais, contre son naturel, à des projets violents et téméraires. La cour conspirait contre la Nation. Le 8 juillet, Mirabeau dénonça énergiquement à l'Assemblée les mouvements de troupes qui s'opéraient de toutes parts sur Versailles et sur Paris. Il y a déjà, dit-il, trente-cinq mille hommes, en majorité régiments étrangers ; on en attend vingt mille ; des trains d'artillerie les suivent ; on s'assure de toutes les communications ; on intercepte tous les passages-, les préparatifs de la guerre frappent tous les yeux et remplissent d'indignation tous les cœurs.

Il montrait la probabilité de conflits terribles entre la population et l'armée, et entre les soldats français et les soldats étrangers, et il concluait à ce qu'on suppliât le roi d'éloigner les troupes et d'ordonner la formation de gardes bourgeoises à Paris et à Versailles.

L'Assemblée vota l'adresse au roi pour l'éloignement des troupes, mais ajourna la proposition des gardes bourgeoises.

Cet ajournement était une faiblesse et une faute. Il eût fallu adopter la motion de Mirabeau tout entière. Le ministre Necker lui-même souhaitait la garde bourgeoise, c'est-à-dire la garde nationale. Mirabeau, après un moment d'hésitation et de défaillance les 15 et 16 juin, avait repris, une fois la lutte engagée, toute la vigueur de son audacieux génie, et il était redevenu, comme le dit Bailli dans ses Mémoires, le principe de la force dans l'Assemblée nationale.

Le roi répondit à l'adresse de l'Assemblée que les troupes n'étaient destinées qu'à rétablir et à maintenir l'ordre dans la capitale et aux environs, et à assurer la liberté des délibérations des États Généraux ; — que, toutefois, si l'on avait encore de l'ombrage, il consentirait à transférer les États Généraux à Noyon ou à Soissons, à distance des troupes (11 juillet).

La majorité de l'Assemblée ne parut pas suffisamment sentir tout ce que cette réponse avait d'alarmant. Transférer l'Assemblée loin de Paris son point d'appui, dans une petite ville où elle eût été à la merci du premier régiment venu, c'était une offre vraiment dérisoire.

L'Assemblée continua, cependant, la délibération qu'elle avait commencée sur le projet présenté par son comité relativement à l'ordre des matières de la Constitution. La Fayette, qui n'avait pas encore figuré activement dans l'Assemblée, parce qu'il s'était trouvé gêné par le mandat qu'il avait reçu de la noblesse d'Auvergne, débuta, ce jour-là, avec éclat en proposant de commencer par exprimer les vérités générales d'où doivent découler toutes les institutions, et par formuler, comme préambule de la Constitution, une DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN.

C'était la marche conseillée, réclamée par les publicistes et parles cahiers du Tiers Etat.

Tandis qu'on discutait sur les principes, le péril était aux portes ; les événements se précipitaient.

Le 10 juillet, dans une assemblée des électeurs de Paris à l'Hôtel de ville, on avait renouvelé la proposition d'établir la garde bourgeoise. Le 11 les électeurs parisiens arrêtèrent de supplier l'Assemblée nationale de procurer au plus tôt à la ville de Paris cette institution, déjà autorisée en Languedoc et sur d'autres points. Chacun sentait là l'unique moyen d'ordre au dedans et le meilleur moyen de défense contre le dehors.

L'attaque était imminente. Le roi était complètement dans les mains du parti de la cour, qui préparait en son nom la contre-révolution, Les troupes étrangères, sur lesquelles la cour comptait bien plus que sur les troupes nationales, formaient à elles seules tout un corps d'armée, composé surtout d'infanterie suisse et de cavalerie allemande. Il y en avait au moins dix régiments à Versailles, à Sèvres, à Issy, à Courbevoie, dans Paris même, à l'École militaire. D'autres forces occupaient Saint-Denis. Le plan des meneurs, qui étaient surtout les Polignac, les amis de la reine, étaient de faire arrêter les principaux députés, de mitrailler les Parisiens ou d'affamer Paris, si Paris essayait de défendre les représentants du peuple, d'imposer au reste de l'Assemblée l'acceptation des déclarations royales du 23 juin, et, si l'Assemblée refusait, de la dissoudre, de porter les déclarations royales au Parlement, puis de recommencer à gouverner au nom du roi seul.

Le parti de la Révolution s'apprêtait de son côté. Trois groupes très actifs veillaient et travaillaient pour lui : 1° les électeurs parisiens, qui s'étaient constitués d'eux-mêmes en corps ; 2° les amis du duc d'Orléans, hommes d'ambition et d'intrigue, qui remuaient et cabalaient pour tâcher de s'emparer de la Révolution sous le nom de leur prince ; 3° le club breton, réunion politique formée primitivement à Paris chez Duport, puis transférée à Versailles, où on lui donna ce nom de club breton, parce que les députés bretons y furent d'abord en majorité. Cette société devint plus tard le CLUB DES JACOBINS.

Le parti de la Révolution avait des intelligences jusque dans le château de Versailles. Les petits employés, les domestiques même du prince, faisaient pour lui la contre-police et l'avertissaient de tout ce qu'ils voyaient, de tout ce qu'ils entendaient.

Le 11 juillet, dans l'après-midi, le ministre, en dehors duquel se tramait la conspiration de la cour, Necker, reçut du roi l'ordre de quitter sur-le-champ, sans bruit, Versailles et le royaume. Necker obéit. Il fit, en s'en allant, une belle action. Il maintint la garantie qu'il avait donnée, sur son propre bien, aux créanciers de l'État, jusqu'à concurrence de deux millions.

Les ressources financières, la possibilité d'emprunter, s'en allaient avec Necker. Le conseil du roi décida l'émission de 100 millions de papier-monnaie. C'était la préface de la banqueroute, à laquelle était résolu le parti de la cour.

Comme Necker avait caché son départ, son renvoi né fut connu à Paris que le lendemain, dans la matinée. Une agitation croissante se répandit dans la ville entière. Vers trois heures, au Palais-Royal, un jeune homme monte sur une table, devant le café de Foy, le pistolet au poing. Citoyens, s'écrie-t-il, on a chassé Necker hier ; on prépare, pour cette nuit, une Saint-Barthélemy contre les patriotes !... Aux armes, citoyens ! Prenons des cocardes vertes, couleur de l'espérance. Aux armes !

C'était un jeune Picard, de Guise en Thiérache, Camille Desmoulins, déjà connu par des publications politiques remplies d'ardeur et de patriotisme, et surtout par son éclatant pamphlet, la France libre, le premier cri républicain qu'ait jeté la Révolution française.

Tout le monde, autour de Camille, prend la cocarde verte. Ceux qui ne trouvent pas de rubans mettent des feuilles d'arbre à leurs chapeaux. La foule sort du Palais-Royal en criant : Aux armes !

Une autre bande, pendant ce temps, promène dans les rues les bustes de Necker et du duc d'Orléans, couverts de crêpes noirs. Le parti d'Orléans avait, le matin, fait crier dans Paris une motion par laquelle le duc proposait qu'on se cotisât pour le soulagement-des pauvres, et s'inscrivait pour trois cent mille livres. A la place Vendôme, ce cortège rencontre des dragons allemands qui tirent sur lui. Un des porteurs des bustes est tué ; l'autre, blessé. La foule, toutefois, défend ses bustes, et pousse jusqu'à la place Louis-Quinze (place de la Concorde). Les troupes y étaient arrivées en force. Les dragons allemands chargent le peuple jusque dans le jardin des Tuileries. L'exaltation populaire n'a plus de bornes. On fait fermer les théâtres. On pille les boutiques des armuriers. Une clameur immense remplit la ville. Des gardes françaises font feu, dans une rue, sur les dragons allemands. Un gros détachement de gardes françaises marche, à la tête du peuple, vers la place Louis-Quinze, pour y attaquer l'infanterie suisse et les hussards hongrois. Mais la place était évacuée par les troupes, qui avaient reçu l'ordre de se replier.

Une multitude de citoyens, sentant le besoin d'ordre et de direction dans ce grand mouvement, avaient couru à l'Hôtel de ville pour demander la convocation des soixante districts et l'armement général. Ceux des électeurs qui étaient présents arrêtèrent que les districts seraient sur-le-champ convoqués, puis se dispersèrent dans Paris, afin d'inviter les groupes de citoyens armés à maintenir l'ordre. On ne put empêcher des bandes tumultueuses d'aller mettre le feu aux barrières du mur d'octroi récemment construit.

L'Assemblée nationale, qui avait semblé un moment faiblir, se releva devant le péril. Le 12 juillet, dans la journée, le curé Grégoire, un des secrétaires de l'Assemblée, avait mis en sûreté les procès-verbaux des séances, afin que la cour ne pût faire enlever de force ces monuments de la liberté naissante. Le soir, aux applaudissements des députés et du peuple, qui encombrait la salle des États, Grégoire rappela le Serment du Jeu de paume, que nous tiendrons tous, s'écria-t-il, quand nous devrions nous ensevelir sous les débris de cette salle !

Le 13 au matin, Mounier, le rédacteur du Serment du Jeu de paume, proposa une adresse au roi pour demander le rappel de Necker et le renvoi des nouveaux ministres qui venaient de remplacer Necker et plusieurs de ses collègues. Ces nouveaux ministres étaient le baron de Breteuil, l'homme de confiance de la reine ; le vieux maréchal de Broglie, celui qui avait figuré autrefois dans la guerre de Sept ans, et qui commandait l'armée réunie contre Paris ; l'ancien intendant Foulon, qui rappelait les souvenirs les plus odieux du temps de Louis XV ; et d'autres hommes également impopulaires.

Mounier ajoutait qu'il fallait déclarer au roi que l'Assemblée ne consentirait jamais à une banqueroute infâme.

— Déclarons les ministres responsables, ajoutaient les uns. — Continuons les travaux de la Constitution, disaient d'autres.

— La Constitution sera faite, ou nous ne serons plus ! dit un député noble, Clermont-Tonnerre.

Les nouvelles de Paris arrivant de plus en plus graves, l'Assemblée décida d'envoyer au roi une députation pour réclamer de nouveau le renvoi des troupes, et pour demander que la garde de Paris fût confiée à la milice bourgeoise.

Si le roi consentait, l'Assemblée enverrait des députés à Paris afin de s'employer à rétablir la tranquillité publique.

Le roi répondit que lui seul était juge des mesures que les désordres de Paris l'avaient forcé de prendre. Il ne consentait ni à la garde bourgeoise, ni à l'envoi d'une députation de l'Assemblée nationale à Paris.

La Fayette reprit la motion, déjà présentée, sur la responsabilité des ministres. L'Assemblée déclara que les ministres actuels et les conseillers de Sa Majesté, de quelque rang qu'ils pussent être, seraient personnellement responsables des malheurs présents et de tous ceux qui pourraient les suivre, et que nul pouvoir n'avait le droit de prononcer le mot infâme de banqueroute.

Les députés de la noblesse et du clergé adhérèrent ou ne s'opposèrent pas.

La responsabilité des conseillers du roi, de quelque rang qu'ils pussent être, remontait, par-dessus la tête des ministres, jusqu'à la reine et au comte d'Artois.

L'Assemblée maintint tous ces précédents arrêtés et se déclara en permanence. Elle y devait rester trois jours. Le bon vieil archevêque de Vienne ne suffisant plus, comme président, à une telle situation, l'on nomma La Fayette vice-président.

A Paris, le tocsin sonnait ; la générale battait depuis le matin. Le peuple força le couvent des Lazaristes, qui avaient de grands approvisionnements de blé, ne pilla pas les grains, mais les porta à la Halle. Il délivra les prisonniers pour dettes, mais aida les geôliers du Châtelet à faire rentrer dans l'ordre les malfaiteurs qui essayaient de s'échapper de cette prison.

Une grande foule s'était portée à l'Hôtel de ville pour y demander des armes. Les électeurs, la seule autorité populaire, n'en avaient point à lui donner et n'avaient pas l'administration en main. On envoya chercher les anciennes autorités, prévôt des marchands et échevins. Ils n'étaient que les délégués du roi ; on les réélut par acclamation populaire, et on les obligea à constituer, avec quelques-uns des électeurs, un comité permanent. Le prévôt des marchands, Flesselles, qui était du parti de la cour, eût bien voulu entraver le mouvement ; mais il dut consentir à ce que le comité ordonnât la formation d'une milice parisienne de quarante-huit mille hommes. A la cocarde verte de la veille on substitua la cocarde bleue et rouge. C'étaient les couleurs du blason de la ville de Paris, les couleurs du temps d'Etienne Marcel et de la première tentative des Parisiens pour la liberté.

Les soixante districts adhérèrent au comité, ainsi que le régiment des gardes françaises et le guet ou garde municipale.

L'Assemblée nationale envoya son approbation.

Les deux points capitaux étaient l'armement et les subsistances. Le comité avait pris la charge des subsistances, si grave dans la pénurie où l'on était et quand Paris était bloqué de fait par les troupes. L'armement était pour lui une difficulté plus urgente et plus terrible encore. Le peuple venait de saisir un bateau chargé de poudre ; mais il n'avait pas de fusils, et il en réclamait avec emportement. On savait qu'il y en avait quelque part un grand dépôt dans Paris. Le prévôt les promit. Il fit venir une grande quantité de caisses et tâcha d'en faire retarder l'ouverture ; mais le peuple s'impatienta, les ouvrit et n'y trouva que du bois et des chiffons. On cria à la trahison. Le prévôt des marchands prétexta un malentendu et dit que les fusils étaient au couvent des Chartreux. On y alla ; il n'y avait pas une arme.

Le peuple soupçonna de plus en plus le prévôt, et, avec lui, le comité qui pourtant faisait de son mieux. Le comité ordonna de fabriquer cinquante mille piques. Elles furent faites en trente-six heures ; mais elles fussent arrivées trop tard et c'était une faible ressource.

Par bonheur, il n'y avait pas, dans les conseils de la contre révolution à Versailles, un homme qui vît clair et qui agit à propos. La cour laissa passer, sans attaquer, la nuit du 13 comme la nuit du 12.

On savait enfin où étaient les fusils. L'intendant de Paris, Berthier, les avait fait porter dans les caveaux du dôme des Invalides. Le 14 au matin, des milliers de Parisiens, ayant à leur tête un délégué du comité coururent aux Invalides. Plusieurs régiments, en majeure partie étrangers, étaient campés au Champ de Mars. Le peuple n'eût pu tenir contre de telles forces dans les larges boulevards et les espaces découverts qui entourent les Invalides.

Le commandant n'avait pas d'ordres et n'était pas sûr de toutes ses troupes, pas même de tous les soldats étrangers. Il hésita. Le peuple, sans perdre de temps, pénétra dans les Invalides, enleva vingt-huit mille fusils et des canons. Un grand nombre de soldats de divers corps, suivant l'exemple des gardes françaises, quittèrent leurs régiments avec armes et bagages, et vinrent offrir leurs services à l'Hôtel de ville.

Un cri général s'éleva dans Paris : A la Bastille !

La Bastille était à la fois, pour Paris, dont elle tenait une grande partie sous ses canons, un grand danger matériel, et, pour le monde entier, le symbole de la tyrannie, depuis la fameuse histoire de Latude et le livre si éloquent et si répandu de Mirabeau sur les Lettres de cachet.

La garnison de la Bastille était peu nombreuse ; quatre-vingt et quelques invalides et une trentaine de Suisses ; mais la place se défendait, pour ainsi dire, toute seule, par sa masse, par ses épaisses murailles et ses huit grosses, tours, qui dominaient, d'une part, le quartier Saint-Antoine et le marais, et, de l'autre, le faubourg Saint-Antoine, Elle semblait impossible à prendre sans artillerie de siège. Les Parisiens ne raisonnèrent pas ; ils agirent. Ils allèrent à la Bastille comme ils étaient allés aux Invalides.

Le comité permanent, qui sentait sa grande responsabilité et le mal affreux que la Bastille pouvait faire à Paris, avait essayé de transiger. Il avait envoyé des délégués au gouverneur de la Bastille pour lui promettre qu'on ne l'attaquerait pas, s'il s'engageait à ne pas tirer sur la ville. Le gouverneur Delauney, qui n'avait pas d'ordres, promit tout ce qu'on voulut ; mais on n'avait aucune garantie qu'il tiendrait parole si les troupes attaquaient Paris.

Le comité s'était trop avancé en promettant de ne pas attaquer. Il ne dépendait plus de lui d'arrêter le peuple. Un nouveau député se présenta au nom du district Saint-Louis, voisin de la forteresse. C'était un avocat nommé Thuriot, homme fort et hardi, que nous retrouverons dans d'autres grandes journées de la Révolution. Thuriot le prit de haut lvec le gouverneur et l'intimida si bien, que celui-ci le laissa entrer dans la cour intérieure, haranguer la garnison et la nommer de se rendre.

Le gouverneur et la garnison renouvelèrent seulement la promesse de ne pas tirer, si l'on ne les attaquait. Thuriot leur lit qu'il espérait que le peuple se contenterait de fournir me garde pour occuper la Bastille avec eux.

Thuriot sortit afin d'aller faire son rapport au comité ; nais le peuple était si animé, que, lorsqu'il vit qu'on l'ouvrait pas tout de suite les portes, il ne voulut plus rien entendre.

Il commença l'attaque, força, sous la fusillade de la garnison, le premier pont-levis et la première cour, qui étaient su dehors de la forteresse, puis courut au second pont-levis ; nais, là, il fut arrêté par une terrible décharge. Les soldats iraient à couvert, par des meurtrières et des barbacanes, sur :ette foule exaspérée dont les balles allaient s'aplatir contre es murailles.

Le peuple s'obstina furieusement à cette lutte inégale : cent soixante ou cent quatre-vingts des siens tombèrent morts ou hors de combat ; les assiégés n'eurent qu'un seul homme tué. Deux députations du comité tentèrent inutilement de s'entremettre. Les invalides postés sur les tours, apercevant le drapeau blanc que portait la seconde députation, mirent la crosse en l'air. Le peuple avança, croyant qu'on allait ouvrir. Les Suisses le fusillèrent à bout portant.

Devant ce malentendu qu'il prit pour une trahison, le peuple ne cria plus que vengeance. Les gardes françaises étaient arrivés avec du canon. Ce n'était pas de la grosse artillerie, et la place pouvait tenir encore ; mais les invalides ne versaient qu'à regret le sang de leurs concitoyens et, malgré les Suisses, sommaient le gouverneur de se rendre. Ce gouverneur, Delauney, se savait fort haï ; il avait la réputation d'un homme dur et avide, qui spéculait sur ses malheureux prisonniers. Se sentant perdu, dans un désespoir farouche, il descendit, avec une mèche allumée, au magasin à poudre. Il y avait là cent trente-cinq barils, qui eussent fait sauter la Bastille et tous les environs. Deux invalides se jetèrent entre lui et les barils, et croisèrent sur lui la baïonnette. Il consentit enfin à signer un billet par lequel il offrait de capituler.

Deux des chefs des bandes populaires et les gardes françaises promirent aux assiégés la vie sauve ; on baissa le pont. Le peuple se précipita en avant. La Bastille était prise.

C'était là une petite action de guerre, mais un bien grand événement dans l'histoire, plus grand qu'une grande bataille.

Sur la proposition de ce Thuriot, qui avait adressé la première sommation au gouverneur, le peuple commença, le soir même, la démolition de la Bastille. Le comité permanent, puis l'assemblée des électeurs, sanctionnèrent, le lendemain, l'œuvre que le peuple était déjà en train d'exécuter.

Deux choses, dit Bailli dans ses Mémoires, marqueront éternellement cette fameuse journée du 14 JUILLET : l'une, l'établissement de la garde nationale, qui devait être imitée dans toute la France et opposait une barrière au rétablissement du despotisme ; l'autre, la prise et la démolition de la Bastille, qui était pour le peuple une image matérielle de la chute de l'ancien gouvernement et de la destruction du pouvoir arbitraire.

Des incidents sinistres attristèrent la victoire du peuple. Dans l’immense foule armée fermentaient les passions les plus sauvages à côté des plus généreuses. Une partie des assaillants de la Bastille étaient comme forcenés d'avoir vu tomber à leurs côtés tant de leurs camarades. Le gouverneur Delauney n'arriva pas jusqu'à l'Hôtel de ville où on le conduisait prisonnier. Un de ceux qui lui avaient promis la vie, très vaillant homme, qui fut depuis le général Hullin, aidé d'autres braves gens, fit des efforts inouïs pour le protéger. Ce fut en vain. Delauney, arraché de leurs mains, fut massacré, et sa tête mise au bout d'une pique. Plusieurs autres officiers et soldats furent tués. Les gardes françaises obtinrent du peuple la grâce du reste de la garnison. L'on apprit, le lendemain, qu'un des malheureux cruellement mis à mort était précisément celui qui avait empêché Delauney de faire sauter la Bastille et le quartier Saint-Antoine. Ce fut une désolation publique. Les femmes des vainqueurs de la Bastille adoptèrent sa famille.

Il y eut encore, ce soir-là, une autre victime, plus considérable que Delauney.

Depuis la veille, le cri public s'était élevé avec une violence croissante contre le prévôt des marchands Flesselles ; il semblait avoir fait tout ce qui dépendait de lui pour retarder et entraver l'armement populaire. Le peuple était convaincu qu'il était d'accord avec la cour et avec le gouverneur de la Bastille. Ses précédents n'étaient pas favorables ; sa conduite avait été fort suspecte lors de l'affaire de Réveillon. Sommé par ceux qui l'accusaient de trahison de venir se justifier devant l'assemblée populaire du Palais-Royal, il se laissa emmener. Au milieu de la place de Grève, un homme lui cassa la tête d'un coup de pistolet.

Dès les premiers moments de la lutte matérielle, des actes de vengeance implacable furent ainsi mêlés à une foule d'actes de courage et de dévouement, et l'on put pressentir qu'il viendrait de terribles jours.

Le peuple avait prévenu la cour. C'était dans la nuit du 14 au 15 qu'on avait eu le projet d'attaquer Paris sur sept points à la fois. Les préparatifs avaient été dirigés, à Versailles, par le maréchal de Broglie et le nouveau ministre Foulon ; à l'École militaire, par le commandant du camp du Champ de Mars et par l'intendant Berthier, gendre de Foulon. La reine et son amie, la duchesse de Polignac, avaient elles-mêmes animé, à l'Orangerie de Versailles, officiers et soldats. C'était dans cette même nuit qu'on devait enlever les principaux membres de l'Assemblée nationale.

La cour avait compté sans l'audace des Parisiens et ne sut pas changer ses plans devant les événements. Le commandant du Champ de Mars, Besenval, avait donné au gouverneur de la Bastille l'ordre de la défendre jusqu'à la dernière extrémité, et ne s'imaginait pas qu'elle serait prise avant la nuit. Il ne fit rien pour la secourir. Lui et les autres perdirent tous la tête.

L'Assemblée nationale, prévenue de ce qui se passait à Paris par des délégués du comité permanent, avait envoyé coup sur coup deux députations au roi, pour réclamer instamment la retraite des troupes. Le roi, fort troublé, approuva la formation de la garde bourgeoise, qu'il avait refusée la veille, et dit qu'il avait ordonné aux troupes du Champ de Mars de s'écarter de Paris.

Ce n'était là qu'une demi-concession. L'Assemblée exigeait la retraite entière et absolue des troupes de la capitale et des environs. Quand les nouvelles devinrent décisives, qu'on sut la Bastille prise, Paris dépavé et barricadé, et les Parisiens établis sur Montmartre avec du canon pour attendre les troupes postées à Saint-Denis, l'arrogance de la cour tomba tout à plat. Le roi était déjà rentré dans son apathie. Un grand seigneur de la minorité libérale de la noblesse, le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, entra de nuit chez Louis XVI et lui montra sa couronne en danger, s'il ne se rapprochait de l'Assemblée.

C'est donc une révolte ? dit le roi.

Sire, c'est une révolution !

Le lendemain matin, le comte d'Artois lui-même, pris de terreur, pressa le roi de céder. Le danger, en effet, était imminent et ne venait pas seulement du peuple. Mirabeau, voyant, d'une part, Louis XVI redevenu l'instrument des contre-révolutionnaires, et, de l'autre part, le peuple soulevé, avait songé à sauver la royauté aux dépens du roi et à obliger Louis XVI d'abdiquer au profit de son fils, le petit dauphin, avec le duc d'Orléans pour lieutenant général du royaume. Il s'était entendu avec le duc, afin que celui-ci commençât par aller au château, le 15 au matin, offrir sa médiation entre la royauté et l'insurrection.

Le duc d'Orléans y alla, resta piteusement à la porte du Conseil du roi, sans oser entrer, et finit par offrir par écrit au roi, comme gage de sa fidélité, de passer en Angleterre, si les choses empiraient. Il avait perdu la tête, lui aussi, tout comme ses ennemis de la cour. Mirabeau dut reconnaître qu'il n'y avait absolument rien à faire de lui.

Dans la matinée, comme une nouvelle députation s'apprêtait à partir de l'Assemblée pour le château, le roi entra sans gardes, avec ses deux frères, et, debout et découvert, il protesta contre le bruit qu'on avait osé répandre que les personnes des députés étaient menacées. Il déclara qu'il n'était qu'un avec la Nation ; qu'il venait se confier à ses représentants et qu'il attendait de l'Assemblée nationale qu'elle l'aidât à assurer le salut de l'État. Il avait, dit-il, ordonné aux troupes de s'éloigner de Paris et de Versailles, et il invitait l'Assemblée à faire connaître ses dispositions à la capitale.

Accueilli d'abord en silence, il fut vivement applaudi quand on l'entendit prononcer enfin le nom d'Assemblée nationale, au lieu de celui d'États Généraux. C'était reconnaître la Révolution.

L'Assemblée tout entière le reconduisit à pied jusqu'au château. La foule cria : Vive le roi ! La musique joua l'air : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ? et la reine, d'un balcon du château, présenta le dauphin au peuple, comme elle l'avait présenté naguère à la noblesse, mais avec des sentiments bien différents dans le cœur, et cachant mal son humiliation, sa colère et son effroi.

Une grande députation, plus de quatre-vingts membres de l'Assemblée, partirent aussitôt pour Paris. On fit aux représentants du peuple une entrée comme on en faisait aux rois. Tout Paris en armes les reçut au cri de : Vive la Nation ! Dans la rue Saint-Honoré, Un cortège vint à leur rencontre, menant en triomphe un garde française couronné de lauriers. On le présenta aux députés comme un des vainqueurs de la Bastille.

A l'Hôtel de ville, La Fayette, en qualité de vice-président de l'Assemblée, rapporta aux électeurs et au peuple les paroles de paix qu'avait prononcées le roi.

La Fayette, très populaire à Paris — son buste était dans la grand'salle de l'Hôtel de ville, en face de celui de son illustre ami Washington —, fut élu par acclamation commandant général de la milice parisienne. Bailli, le premier des présidents de l'Assemblée nationale, fut proclamé maire de Paris. On ne voulait plus du vieux titre de prévôt des marchands. Il fallait un titre nouveau pour une situation nouvelle. Les soixante districts de Paris, puis l'Assemblée nationale, confirmèrent la nomination de Bailli et de La Fayette. On ne demanda pas la confirmation du roi pour l'élection du maire de Paris : l'opinion publique entendait que le peuple devait être libre de nommer ses magistrats, et que le pouvoir exécutif ne devait pas intervenir ; on n'avait pas alors l'idée qu'un maire élu de Paris pouvait devenir une trop grande puissance dans l'État.

Sur la proposition de La Fayette, les noms de garde bourgeoise et de milice parisienne furent remplacés par celui de GARDE NATIONALE.

La Fayette et Bailli s'occupèrent avec le plus grand zèle des hautes fonctions qui venaient de leur être confiées ; mais, avant eux, le comité permanent avait montré, pendant cette terrible crise, une activité et un dévouement admirables. Il s'était trouvé avec trois jours de subsistances seulement dans Paris et tous les travaux arrêtés. Il avait fait face à tout : envoyé chercher des blés jusqu'au Havre, ouvert des ateliers, fait reprendre le paiement des rentes de l'Hôtel de ville, ordonné le rétablissement de l'octroi, sans lequel la ville n'eût su où prendre des ressources, et décrété un impôt pour secourir les pauvres et faire vivre les citoyens armés qui veillaient à la défense de Paris.

Le roi était allé à l'Assemblée ; il fallait qu'il vint à Paris : sa première démarche entraînait l'autre. La reine et son parti tentèrent de l'en empêcher et de le décider à quitter Versailles avec les troupes.

C'eût été la guerre civile. La majorité du Conseil du roi fut contre. Les ministres donnèrent leurs démissions. Le roi, le 16 au soir, écrivit à Necker pour le rappeler et, sur les instances de Bailli, il partit, le 17 au matin, pour Paris, après avoir communié et comme un homme qui marche à la mort. Il n'emmenait que quelques seigneurs de la cour et point de garde. Trois cents membres de l'Assemblée nationale lui servaient d'escorte. Bailli, comme maire de Paris, le reçut à l'entrée de la capitale, près de la pompe à feu de Chaillot.

Sire, lui dit-il, j'apporte à Votre Majesté les clefs de sa bonne ville de Paris. Ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV. Il avait reconquis son peuple ; ici, c'est le peuple qui a reconquis son roi.

Cent mille hommes en armes faisaient la haie depuis Chaillot jusqu'à l'Hôtel de ville. Un long cri de : Vive la Nation ! roulait comme le tonnerre sur le passage du cortège. Le sang des victimes de la Bastille était chaud encore, et Paris ne criait pas : Vive le roi ! comme l'avait crié Versailles.

Quand le roi descendit de voiture à l'Hôtel de ville, Bailli lui présenta la cocarde bleue et rouge des Parisiens. Le roi la mit à son chapeau, comme autrefois le régent, qui fut Charles V, avait reçu le chaperon bleu et rouge des mains d'Étienne Marcel.

Alors, enfin, le cri de : Vive le roi ! éclata, et quand le roi monta l'escalier de l'Hôtel de ville, les gardes nationaux échelonnés sur les degrés firent, pour lui rendre honneur, en croisant leurs épées, la voûte d'acier au-dessus de sa tête. C'est la manière dont les francs-maçons reçoivent leurs dignitaires. Les francs-maçons accueillaient le roi qui venait rendre hommage à la liberté.

On mena le roi à un trône élevé dans la grand'salle, et, là, sur la motion du procureur de la commune de Paris, on vota par acclamation une statue à Louis XVI, restaurateur de la liberté publique, sur l'emplacement de la Bastille. C'était, nous l'avons vu, un des vœux des Cahiers.

Au milieu de ces scènes émouvantes, le roi, incertain, embarrassé, ne trouva rien à dire à la foule. Il chargea Bailli de dire pour lui qu'il était bien aise que M. Bailli fût maire et M. de La Fayette commandant général. On tira de lui enfin à grand'peine ces mots : Vous pouvez toujours compter sur mon amour.

La foule l'applaudit au départ et durant le trajet du retour. Sur le grand escalier de Versailles, la reine vint se jeter dans ses bras avec leurs enfants. Elle avait tremblé pour lui toute la journée.

Ce même jour, le comte d'Artois, les princes de la branche de Condé, les Polignac et quelques autres des chefs du parti de l'Ancien Régime quittèrent la France. Les meneurs des réunions populaires du Palais-Royal leur avaient signifié qu'ils étaient condamnés à mort par le peuple comme Delauney et Flesselles.

Ce furent ainsi le comte d'Artois et les Polignac qui commencèrent l'émigration, et ce fut, quarante ans après, par ce même comte d'Artois, devenu Charles X, et par cette même famille de Polignac, que tomba définitivement la monarchie de droit divin, c'est-à-dire prétendant tenir son droit immédiatement de Dieu et non de la volonté nationale.

Tandis que les contre-révolutionnaires s'en fuyaient, la Révolution continuait de s'organiser à Paris. Il se formait soixante bataillons de garde nationale, composés chacun de six compagnies de volontaires et d'une compagnie soldée. La portion soldée se composait des anciens gardes françaises et de six mille soldats de toutes armes qui avaient quitté leurs corps pour joindre les Parisiens. Le roi les autorisa à rester à Paris. La garde nationale de Paris avait une artillerie de cent quarante canons.

Toute la France suivit l'exemple de Paris dans l'organisation de la garde nationale. On adopta, au lieu de l'ancien habit blanc de l'infanterie, l'uniforme bleu aux revers blancs et aux parements rouges, qui devait briller sur tant de champs de bataille, et, d'après la proposition de La Fayette, on ajouta, sur la nouvelle cocarde nationale, aux couleurs bleue et rouge de la ville de Paris, la couleur blanche, qui avait été celle du drapeau de la France depuis Jeanne d'Arc.

Je vous apporte, dit La Fayette à la nouvelle municipalité parisienne, une cocarde qui fera le tour du monde et une institution à la fois civique et militaire, qui doit triompher des vieilles tactiques de l'Europe et qui réduira les gouvernements arbitraires à l'alternative d'être battus, s'ils ne l'imitent pas, et renversés, s'ils osent l'imiter.

Ce que disait La Fayette, l'Europe, comme la France, en eut alors le vif sentiment. Je ne saurais, écrivait un Allemand qui voyageait en France, je ne saurais rendre les impressions qui s'emparèrent de moi, lorsque, pour la première fois, je vis la cocarde française aux chapeaux et aux bonnets de ceux que nous rencontrions, bourgeois et paysans, enfants et vieillards, prêtres et mendiants, et que je pus lire la fierté sur leurs fronts joyeux, en présence d'hommes d'autres pays. J'aurais voulu pouvoir serrer dans mes bras les premiers qui se présentèrent à moi. Ce n'étaient plus des Français pour nous, et, mes compagnons et moi, nous avions cessé un instant d'être des Allemands. — Je suis homme, disait chacun de nous, et rien de ce qui concerne l'humanité ne m'est étranger.

Dans ces beaux jours de fraternité européenne, à présent si loin de nous, nul ne prévoyait que la France retomberait sous le despotisme militaire ; qu'une monarchie militaire allemande retournerait contre la France l'institution de l'armement universel perfectionnée par la science, et que la France de la Révolution serait réduite, pour se relever, à imiter à son tour son ennemi.