Duplessis-Mornay, Mémoires et correspondance (1571-1623), Paris, 1824-25, 12 vol. Garnier, Un scandale princier au XVIe siècle, Revue du XVIe siècle, t. I, 1913. Mémoires de Marguerite de Valois, suivis des Anecdotes inédites de l'Histoire de France pendant les XVIe et XVIIe siècles, tirées de la bouche de M. le Garde des Sceaux Du Vair et autres, p. avec notes par Ludovic Lalanne, Paris, Jannet, 1858. D. Devic et D. Vaissète, Histoire générale de Languedoc, éd. Privat, t. XI (1889). MARGUERITE
quitta la Mothe-Saint-Héraye, décidée à faire de son mieux pour remplir les
intentions de Catherine et d'Henri III et attirer à la Cour de France le chef
du parti protestant. Mais le rôle d'appât, où il allait de sa gloire et de
son intérêt de réussir, était difficile. Son mari, lors de leur séparation,
lui avait commandé de donner au Roi et à la Reine-mère l'assurance qu'il ne
s'en irait pas bien loin, étant résolu,
écrivait-il le 4 avril à M. de Scorbiac, de
séjourner en ces quartiers (Saint-Jean-d’Angély et La Rochelle) jusques à la fin du mois prochain (mois de mai), afin d'oster le
plus qu'il me sera possible les occasions de deffiance[1]. Et soudain, sous
prétexte d'une indisposition, il partit de La Rochelle le 21 avril (ou les
jours suivants) pour le Béarn et les Eaux-Chaudes[2]. La lettre où il
informait sa femme de ce manque de parole lui parvint en cours de route, par
delà Chenonceau, où elle avait séjourné du 11 au 21 avril. Elle lui en faisait
de douces remontrances. Je vous supplie tres
humblement, considérez quelle créance ils pourront prendre au reste de mes
paroles en ce qui vous concernera, car ils ne peuvent moins penser, sinon que
je suis très mal informée de vostre intention ou bien que je les veux
tromper. Ce n'est pour me donner moyen d'y faire bien vos affaires, ce qui
vous portera plus de préjudice qu'à moy. Je vous prie très humblement de
croire que c'est la seule raison qui m'en faict ainsy parler, car, pourveu
que vostre fortune soit bonne, estant obligée et résolue de la courre, je ne
me dois songer (soucier) de la mienne.
Aussy ne me metterai-je jamais en peine d'en bastir une à part, ne voulant
avoir bien, lorsque vous auriez du contraire[3]. Après cette
protestation de zèle conjugal, elle lui signalait les difficultés à prévoir. Il y avait autour du Roi des gens qui ne voyaient pas de bon œil l'arrivée de la sœur et du beau-frère d'Henri III. L'on a bien mis jusqu'icy toute la peine que l'on a peu à nous y faire de mauvais offices, pour faire croire que nostre intention estoit de ruyner les ducs — c'est-à-dire d'Epernon et Joyeuse, deux des mignons — ; que je metterois peine de les diviser, afin que les reculant, nous en fussions d'autant advancés, et que le Roy seroit importuné de nous ; que si (aussi) librement il ne pourroit faire ses petits voyages — sans grande suite, par exemple ses villégiatures en sa villa d'Ollainville — ; qu'il faudroit qu'il nous y menast. Ce sont, petits artifices qui, Dieu merci, ne sont pas dangereux[4]. Mais il fallait appréhender l'effet des désordres qui se produisaient ici et là. Du Languedoc venaient de grandes plaintes au Roi au sujet de Bacon et de Porcaire, deux capitaines protestants, dont l'un venait de s'emparer en pleine paix (8 février 1582) du château de Minerve, au diocèse de Saint-Pons, dont l'autre refusait de restituer Lunel, malgré les traités[5]. Cette violation des accords et le mépris de l'autorité royale risquaient d'entraîner le Roi à quelque parti décisif, comme d'aller lui-même, malgré qu'il en eût, rétablir l'ordre dans le Midi. La Reine-mère l'y poussait, et c'est probablement à cette fin, pour le rapprocher du roi de Navarre et du théâtre des opérations qu'elle s'efforça de le faire venir à Blois. Mais il n'avait consenti à s'avancer que jusqu'à Fontainebleau, où il attendait les deux voyageuses. Dans une lettre à sa mère que Marguerite avait vue, il reconnaissait que le seul remède aux troubles du Midi serait d'y aller, mais de l'aultre costé les affaires de Flandre ne luy peuvent permettre d'esloingner ses quartiers. Il n'esloingnera jamais Paris qu'à grant regret et à grant force. La tentative du duc d'Anjou sur les Pays-Bas tournait mal. Après quelques petits succès, il avait été obligé de reculer jusqu'au Câtelet (sept. 1580). De là il partit pour l'Angleterre où la reine Elisabeth, qui depuis tant d'années lui offrait et lui refusait sa main, parut un moment séduite par l'idée du mariage, et, rougissante comme une jeune vierge, malgré ses quarante-neuf ans, lui mit au doigt l'anneau nuptial. Mais au fond du cœur elle était résolue à rester fille et à ne pas s'embarrasser d'un mari. Ses avances et les quelques secours qu'elle lui accordait parcimonieusement ne tendaient qu'à l'opposer au duc de Parme, Alexandre Farnèse. Le successeur de D. Juan, aussi habile diplomate que grand capitaine, venait par d'heureuses concessions de ramener à l'obéissance les provinces catholiques du Sud, le point d'appui des opérations françaises. Une flotte anglaise accompagna jusqu'à la côte de Zélande le jeune fiancé que l'éternelle promise comptait bien ne jamais revoir. En même temps, pour obliger les Espagnols à desserrer leur étreinte aux Pays-Bas, Catherine invoquait de prétendus droits sur la couronne de Portugal et préparait une flotte pour les faire valoir[6]. Et toutefois elle soutenait le prétendant fugitif, D. Antonio, qui allait de France en Angleterre à la recherche de subsides et de secours. Son idée de derrière la tête, c'était comme toujours, en multipliant les embarras de Philippe II, de l'amener à estraindre l'amitié entre les deux couronnes par un mariage qui composerait le faict de Flandre et de Portugal. Pendant qu'elle négociait à Paris et à Madrid, elle amassait des forces destinées à exercer la pression nécessaire. Un de ses parents, Strozzi, colonel général de l'infanterie française transformé en amiral de France, rassemblait avec une imprudente lenteur, dans les ports de l'Océan et de la Manche, une flotte qui devait faire voile vers les Açores, où une île tenait encore pour D. Antonio, et y débarquer des troupes. L'archipel était un poste admirablement choisi pour guetter la route des Indes et le passage des galions qui, tous les ans, apportaient en Espagne l'or et l'argent du Nouveau-Monde, c'est-à-dire la solde des armées. L'escadre, forte de 55 navires grands ou petits que montaient, en outre des mariniers, 5.000 combattants, dont 1.200 gentilshommes. Elle partit de Belle-Ile le 18 juin 1582 et se renforça aux Sables-d'Olonne d'une huitaine de vaisseaux et de sept à huit cents hommes. Mais le retardement des préparatifs donna le temps au marquis de Santa-Cruz, le plus grand marin de l'Espagne, de la surprendre devant Tercère, de la battre et de la disperser (28 juillet 1582). C'en était fait des calculs de la Reine-mère. Henri III avait donc les plus justes raisons de regarder de près à la frontière du nord, où il pouvait craindre une attaque espagnole en représailles de l'invasion des Pays-Bas et de l'expédition des Açores. Mais tout de même, il ne fallait pas que les protestants du Midi le poussassent à bout, car se voyant tant importuné de ces plaintes (des catholiques du pays) et de la Royne aussy qui désire tousjours lui faire faire ce grant voyage, il est à craindre qu'il ne puisse pas longtemps reculer ; c'est chose qui importe à M. de Montmorency comme à vous. Le roi de Navarre, s'il n'empêchait pas les coups de main et les surprises de places, perdrait toutes ses chances de s'établir dans la confiance d'Henri III. Montmorency-Damville, qui, malgré sa conduite loyale dans la dernière guerre, n'avait pas cessé depuis sa rébellion de 1574 d'être suspect et de paraître dangereux, était, pour surcroît de griefs, le gouverneur de cette grande province du Languedoc que son lieutenant-général, Joyeuse, le père de l'un des grands favoris, convoitait. L'apparition du Roi avec une puissante armée le menaçait en cas de défaite d'une dépossession sans appel. Aussi Marguerite était-elle d'avis que pour cette cause le chef des protestants et le chef des politiques du midi devaient remédier aux désordres, oster aux catholiques l'occasion de se plaindre et au Roi d'intervenir[7]. A mesure qu'elle se rapprochait de la Cour, elle en découvrait mieux les tournants dangereux. Henri III s'estimait insuffisamment défendu contre l'audace des factions, et, incapable d'exercer avec suite un pouvoir qu'il voulait plus fort, il avait entrepris de le confier à des mains sûres et fidèles. Son frère était le plus désobéissant de ses sujets, et, à l'occasion, un ennemi redoutable. En temps de paix, comme en temps de guerre, il lui fallait compter avec l'opposition protestante, d'un bout du Midi à l'autre, que dirigeaient, quand ils ne l'excitaient pas, le roi de Navarre, et son cousin, Condé, un huguenot sectaire. Les grandes maisons d'origine étrangère ou française, que ses prédécesseurs avaient comblées de charges et de faveurs et, si l'on peut dire, créées pour contrebalancer le prestige des princes du sang, lui tenaient tête. Les principaux gouverneurs prétendaient agir et souvent agissaient en maîtres dans leurs provinces. Sa mère, dont il savait la fidélité et la tendresse, lui paraissait timide et, si préoccupée de maintenir l'union de la famille royale qu'elle l'obligeait à soutenir sous main le duc d'Anjou, ce frère détesté, aux Pays-Bas et à faire les frais d'une diversion navale en Portugal. Il continuait de la consulter et même, dans ses crises de- dévotion ou ses maladies, de lui déléguer le pouvoir. Mais il se défiait de ses compromissions et de ses atermoiements. Contre tous ses ennemis déclarés ou couverts, il n'imaginait d'autre recours que celui de serviteurs absolument dévoués à sa personne et intéressés à sa grandeur. C'est dans son entourage, parmi ses compagnons de plaisir, qu'il choisit les conseillers et les agents d'exécution de sa volonté souveraine. Entre tous ses mignons il en distingua plus particulièrement deux, d'Epernon et Joyeuse, en qui il chercha son appui et mit ses espérances. Il nomma celui-ci amiral de France et celui-là colonel-général de l'infanterie française. Il les fit ducs et pairs pour les égaler aux princes du sang. Il les traitait de fils comme des enfants d'adoption. Il les voulait riches et puissants. D'Epernon eut le gouvernement des Trois-Évêchés : Metz, Toul et Verdun, et son frère, celui de la Provence. Joyeuse obtint la Normandie, qui jusque-là était réservée à un prince du sang. Son père, déjà lieutenant-général en Languedoc, avait promesse de remplacer Montmorency-Damville ; son frère, en qualité d'archevêque de Narbonne, présidait les Etats de la Province. Si le Roi réussissait à déposséder Damville, comme il en avait la ferme intention, et à faire accepter au roi de Navarre une récompense en échange de la Guyenne, qu'il destinait à d'Epernon, tout le Midi de la France, où se concentrait la force du parti huguenot, aurait été dans les mains des favoris ou de leurs parents. Cette puissance qui s'annonçait si grande trouvait partout des complaisants et des flatteurs. Marguerite eut même impression de la figure nouvelle de la Cour, quand elle fut arrivée à Fontainebleau (28 avril), où Henri III les accueillit. Les premiers mots de sa lettre, qui est du commencement de mai[8], manquent, et l'on en est réduit à supposer que les personnages qui ont reçu la reine de Navarre avec assez de froideur, mais qui lui ont tenu beaucoup d'honneste langage pour elle et son mari, c'est probablement les archimignons, qui ne la voyaient pas arriver sans quelque appréhension. Le passage le plus intéressant concerne les Guise. Il s'en faut beaucoup qu'il soit ce que l'on nous avoit dit de Monsieur du Maine (Mayenne, frère puîné du duc de Guise). Il est si estrangement engraissé qu'il en est difforme[9]. Monsieur de Guise est fort enmaigri et vieilli. Ils sont pour l'humeur tels que les avez vus (avant sa fuite de la Cour, cinq ans auparavant), sinon qu'ils sont un peu plus estonnés. Ils sont peu suivis, et font souvent des parties de paume, de balle, de pale malle pour attirer la noblesse, mais ceux qui y vont deux fois se peuvent asseurer d'avoir la reprimande, qui faict congnoistre qu'il y a de la jalousie entre les ducs et eux. Elle tirait argument de cette rivalité pour le prier de venir. Si vous estiez ici, vous seriez celuy de qui les uns et les aultres dependroient, car chacun s'y offre ; et de craindre ceulx de Guise, croyez qu'ils n'ont nul crédit ny moyen de vous faire mal ; et du Roy je mettrai tousj ours ma vie en gage que vous n'en recevrez poinct de luy. Vous regagnerez les serviteurs que vous avez, par la longueur de ces troubles, perdus, et en acquerrez plus en huit jours, estant ici, que vous ne feriez en toute votre vie demeurant en Gascongne. Vous y pourrez avoir des dons du Roy pour accommoder vos affaires, et pourrez plus faire pour ceulx de vostre party par une parole, estant, comme vous y serez, bien auprès du Roy, que tous ceux qui s'y emploieront ne sauroient faire par leurs sollicitations. Il est tres-necessaire pour toutes ces raisons que vous y fassiez au moings un voyage, ce que vous pouvez sans hazard. Pour qu'il ne crût pas qu'elle obéissait à un mot d'ordre, elle ajoutait : Je vous supplie tres-humblement prendre cecy comme de la personne qui vous aime le plus et désire le plus votre bien, ce que j'espère que l'experience vous fera connoistre[10]. Il était d'autant plus opportun de multiplier les protestations de dévouement conjugal qu'elle lui ménageait une surprise désagréable. Fosseuse avait suivi les deux reines à Fontainebleau, mais sa présence gênait. Tout le monde savait qu'elle avait eu un enfant du roi de Navarre, et la morale du temps, indulgente aux fautes cachées, mais sévère à celles qui faisaient scandale, ne permettait pas à la femme légitime de garder à son service la maîtresse irrécusable de son mari. Catherine, chatouilleuse en matière d'honneur féminin quand l'intérêt des siens était d'accord avec ses principes, fit rayer de la liste des filles d'honneur cette belle beste, qui avait troublé le ménage de son gendre. Aussitôt que le roi de Navarre eut connaissance de ce renvoi, il s'en émut ou feignit de s'en émouvoir comme d'une injure personnelle. Etait-il sincère ou cherchait-il un prétexte pour se dégager de ses vagues promesses de La Mothe-Saint-Héraye. Avec cet habile homme on ne sait jamais. Il écrivit à Marguerite une lettre très vive, où il lui reprochait de vouloir l'attirer à la Cour sans souci de sa sécurité, d'avoir chassé Fosseuse qu'il appelait sa fille, et de ne pas s'entendre à la défense de ses intérêts. Elle riposta qu'en lui conseillant ce voyage, elle n'avait fait que suivre le conseil qu'on lui avait donné à l'assemblée de Montauban (avril 1581)[11]. Et vous en ai dit ce que j'en pensois pour vostre mieux et selon la resolution que je vous en avois souvent veue. Sans doute elle ne lui avait pas défendu en cette affaire, par surcroît de précaution, de s'accompagner autant de la prudence du feu Roy son grand-père (Henri d'Albret) que du courage de monsieur de Lautrec — Lautrec était de la maison de Foix, un oncle du roi de Navarre à la mode de Bretagne. Quant à Fosseuse elle lui en avait mandé ce qu'elle en avait entendu et entendait dire tous les jours. Si vous me commandiez de tenir une fille avec moi à qui vous eussiez faict un enfant au jugement de tout le monde, vous trouveriez que ce me seroit une honte double pour l'indignité que vous me feriez et pour la reputation que j'en acquerrois. Vous m'escrivez, Monsieur, que pour fermer la bouche au Roy, aux Reynes ou à ceux qui m'en parleront que je leur dise que vous l'aimez et que je l'aime pour cela. Oubliait-il à qui il demandait pareille complaisance et qu'elle n'était pas née indigne de l'honneur d'être sa femme. Elle se refusait à faire ce qui ne s'était jamais vu, car les Reynes en ont eu (des filles d'honneur) à qui cet accident est arrivé, mais elles les ont soudain ostées. Elle avait souffert ce [que], je ne dirai pas princesse, mais jamais simple damoiselle ne souffrit, l'ayant secourue, caché sa faute et tousjours depuis tenue avec moy. Que pouvait-il exiger de plus ? C'était à lui à s'accommoder avec les parents de la jeune fille qu'il avait mise à mal. Comme elle le savait avare, — d'Aubigné le qualifie de ladre vert — et pouvait craindre qu'il ne lésinât, elle se disait prête à lui faire du bien pour la marier. [J]'aurai soin qu'elle soit à son aise et qu'elle ne reçoive aucun desplaisir pour le desir que j'ay de servir à vos vollontés, non pour crainte que j'aye des menaces de vostre lettre où vous dictes que qui fera desplaisir à votre fille, vous en fera.... Dédaigneusement elle passait sur le reproche d'incapacité. En affaire d'Estat une femme ignorante et sotte comme moy y peut faire beaucoup d'erreurs. Qu'il envoyât donc l'un de ses serviteurs de la suffisance duquel il fut plus assuré. Aussi n'avait-elle que trop d'empeschement pour ses affaires particulières[12]. Le gentilhomme du roi de Navarre, Frontenac, qui apporta la lettre ou qui arriva immédiatement après avec des instructions verbales, alla en guise de commentaire dire des injures à Marguerite. Peut-être à cette occasion a-t-elle déclaré dans une crise de colère, comme le rapporte le florentin Busini, qu'elle ne voulait plus demeurer avec son mari tant qu'il serait huguenot (mentre e ugonoto)[13]. Catherine fut informée du ton du message par les larmes de sa fille. Outrée de ces nouvelles façons, elle riposta par une belle leçon de convenance et de politique. ...Vous n'êtes pas, écrivait-elle à son gendre, le premier mary jeune et non pas bien sage en telles chouses (choses), mais je vous trouve bien le premier et le seul qui face après un tel fet advenu tenir tel langage à sa femme. Henri II... ...La chouse de quoy yl estoit le plus mary (marri), c'estoit quand yl savoit que je seuse (susse) de ces nouveles la et quand madame de Flamin fut grosse[14], yl trouva tres bon quand on l'en envoya (la renvoya) et jeamès ne m'en feit semblant ny pire visage et moins mauvais (entendre bon) langage. Et avec qui le roi de Navarre prenait-il pareille licence ? Avec la fille d'Henri II, avec la seur de vostre roy qui (laquelle) vous sert quand l'aurès considéré plus que ne pensès, qui vous ayme et honore, corne s'ele avoit autant d'honneur de vous avoir espousé que si vous fusiès fils du roy de France et elle sa sugète. Ce n'est pas la façon de traiter les femmes de bien et de tele maison, de les injurier à l'apétit d'une p... publique. Elle exagérait sans doute l'amour conjugal de Marguerite et l'honneur que le Béarnais, ce roitelet, avait eu de l'épouser. Mais elle avait raison de donner sur la crête à ce jeune coq. Eh quoi ce suffisant personnage de Frontenac a dyt par tout Paris que si Foseuse s'en avoit, que vous ne vyendriès jeamès à la court ; a cela vous pouvès conestre corne yl est sage et affectionné à vostre honeur et réputation que d'une folye de jeunese en fayre une conséquence du bien et repos de ce royaume et de vous principalement... (12 juin 1582)[15]. Les protestations de Marguerite et les remontrances de la Reine-mère ont dû avoir leur effet, car la correspondance reprit entre les deux époux amicale, autant qu'on en peut juger d'après les lettres de la femme. Forte de son dévouement, elle revient sur ce voyage à la Cour qu'elle estime si opportun. Monsieur de Clerevan (Clervant, représentant du roi de Navarre) a eu du Roy (de France) la même réponse que M. de Ségur. Bien lui a-t-il commandé et à moy encore plus expressement de vous escrire l'envie que vous vinssiez, asseurant que vous feriez plus aisement vos affaires vous-mesme que par aultrui. Il s'en allait aux bains (de Bourbon-Lancy), où il ne veut avoir compaignie, mais il avait commandé à sa sœur d'écrire à son beau-frère qu'il trouverait la Reine-mère et toute la Cour à Saint-Maur[16]. Et soudain la correspondance s'espaça et peut-être s'interrompit. C'est que le retentissement du procès de Salcède tenait tous les milieux politiques en haleine et en alarme. Ce gentilhomme d'origine espagnole, mais né et jusque-là employé en France, fut arrêté à Bruges (juillet 1582), comme suspect d'attentat contre le duc d'Anjou. Mis à la torture, il se reconnut coupable et dénonça, comme l'instigateur du crime, Alexandre Farnèse, qui, désespérant de vaincre l'ennemi de Philippe II, s'était résolu à le faire assassiner. Il lui prêtait pour complices les Guise, chefs du parti catholique français, et beaucoup d'autres seigneurs de mêmes tendances. Henri III, qui avait intérêt à savoir la vérité, invita son frère à lui livrer le prisonnier, qu'il fit juger par le Parlement de Paris. Salcède, interrogé par le premier président de Thou, puis remis à la question, disculpa les Lorrains, les inculpa encore, et, pour finir, les disculpa. Il fut condamné à être écartelé, et, le 26 octobre 1582, exécuté. A Paris, devant ses nouveaux juges, le misérable, revenant sur ses dépositions de Bruges, accusa de les lui avoir suggérées, sous promesse de rémission, les serviteurs du duc d'Anjou, et plus particulièrement un certain Chartier[17]. C'était un parvenu autrefois secrétaire du maréchal de Bellegarde, le gouverneur rebelle du marquisat de Saluces, et depuis agent de liaison entre les huguenots et les politiques. Il passait pour si habile que le roi de Navarre, en le renvoyant au duc d'Anjou dans les Pays-Bas, recommandait à Duplessis-Mornay, son ambassadeur, de le croire de tout ce qu'il lui dirait de sa part, comme quelqu'un avec qui il avait traité confidemment et qu'il n'estimait moins son fidèle serviteur que de M. le duc d'Anjou[18]. Chartier, riche en ressources et pauvre de scrupules, était très capable de corser un complot et d'y englober, pour se faire valoir, tous les ennemis de son maître. Le roi de Navarre avait intérêt à le croire. Il allégua les premiers aveux de Salcède pour ne bouger de la Gascogne, ayant été averti, disait-il, que ceux de la maison de Guise cherchaient à le faire assommer (ammazzare)[19]. Marguerite ne dit rien de l'affaire de Salcède, bien qu'elle y fût à plus d'un titre intéressée. Elle faillit y perdre l'homme qu'elle a le plus aimé, cet amant qu'elle se réjouissait de retrouver ardent et fidèle à la Cour de France. De la douleur qu'elle avait éprouvée en se séparant de lui, on peut juger par les lettres qu'elle lui écrivit et qui du Cahier des Amours de la Reine ont passé dans les recueils de Conrart et de là à la Bibliothèque de l'Arsenal. Le duc d'Anjou et son grand écuyer avaient quitté le Midi pour marcher à la délivrance des Cambraisiens que les Espagnols tenaient comme investis. Elle tremblait à l'idée d'une bataille, d'où, écrivait-elle à son amant, despend l'heur ou la misere de ma vie en la conservation ou fin de la vostre. Si ceux qui en plusieurs choses ont mis leur affection, en pleignent une, la perdant, s'en faschent et la regrettent, combien plus d'apprehe nsion, de desplaisir et de douleur devroyent posseder mon am e, si, ayant à une seule mes desirs et mes volontés arrestées, je la voy en hazard de m'estre ravie. Son inquiétude avait été accrue par l'accident d'Atlas, — et probablement faut-il reconnaître, sous ce nom du gardien du Jardin des Hespérides, Turenne, son ancien serviteur, qui pour secourir le prince d'Orange et ses coreligionnaires des Pays-Bas, s'était joint au duc d'Anjou et qui avait été fait prisonnier dans une surprise d'avant-garde. J'aigris l'horreur de mes imaginations, me representant si, du temps qu'aveugle je luy voulois du bien, cette fortune luy fust avenue, quelle m'eust esté cette nou velle ; puis comparant à ses imperfections vos mérites, et à ces causes si différentes leurs effects differens en mes affections, je desespere, je meurs mille et mille fois[20]. Cambrai fut débloqué sans combat (7 août 1581). Elle éprouva bientôt une douleur d'une autre sorte. Elle était trompée et pour qui ? Quelle maîtresse — ne serait-ce pas l'ensorceleuse Mme de Sauves ?—avait débauché Champvallon de leurs belles et saintes amours, ou, comme dit encore Marguerite, incliné ses affections au cours d'où elles s'estoient si glorieusement relevées. Elle avait pensé d'abord céder au destin, recevoir patience, et se moquer de lui avec lui-même, mais le froid ordinaire à telle privation d'amour lui a tellement glacé le cœur et empierré la main que prenant la plume elle ne s'en est jamais pu servir à cet usage. Un ami commun est intervenu et il a fait ce miracle de la faire consentir à la seule vengeance que je veux prendre de votre inconstance, qui est d'opposer ma peinture (un portrait) l'erreur de vos yeux pour d'un immortel repentir faire eprouver à vostre cœur le tourment du misérable Promethée. Elle joint à ce portrait une écharpe, mais qu'il ne s'abuse pas, c'est le cadeau qu'elle lui avait promis, et seulement pour s'acquitter de sa promesse, que j'affectionne trop plus que ne me passionne l'offense de vostre manquement, à quoy ma beauté trouvera toujours assez de remedes, et précisant pour piquer sa jalousie : Si vous en doutez, j'ai prié le porteur de vous dire les preuves qu'il en a veues[21]. Mais pendant son voyage en France, ou même lors de son arrivée à la Cour, lui survint la nouvelle d'une trahison majeure, celle du prochain mariage de son amant. Champvallon avait de l'ambition. Il appartenait à une grande famille de robe, les Harlay, illustre dans la magistrature et la diplomatie, et il aspirait à une plus brillante fortune dans les armes. Sa charge de grand écuyer l'avait mis sans doute en rapport avec le duc de Bouillon, un calviniste mêlé à tous les complots des protestants et des catholiques unis, et qui lui offrit la main de sa sœur, Catherine de La Mark, dame de Breval. La fille n'était plus toute jeune, son père Robert IV de La Mark étant mort vingt-six ans auparavant, mais cette alliance avec le prince souverain de Sedan était si flatteuse que Champvallon, malgré sa liaison avec la reine de Navarre ne sut pas résister à l'appât. Marguerite en fut désespérée. Il n'y a donc plus de justice au ciel, ni de fidelité en la terre ! O Dieu, qu'est-ce qu'il faut que mon ame connaisse et que ma langue avoue ?.... Que restera-t-il plus, ô ciel cruel, pour m'accabler de tant de misères ? N'y ai-je espreuvé toutes sortes de maux pour qui, trop ingrat et cruel, les couronne d'une inconstance et de la plus grande vengeance que l'on pust prendre de son plus grand ennemy ? Triomphez, triomphez de ma sincère et trop ardente amour. Vantez-vous de m'avoir trompée ; riez-en et vous en moquez avec celle de qui je reçoy cette seule consolation que son peu de mérite vous sera un juste remors de vostre tort. Mais quelle autre qu'elle-même accuserait-elle de son mal ? C'est moy qui ay receu mon ennemy, qui l'ay mis en possession de l'empire de mon ame.... Elle s'en voulait d'être descendue du ciel pour, en la terre, rechercher la conqueste de quelque indigne et commune nouveauté. Le dédain avait banni son amour, et toutefois — ce qui prouve qu'elle aimait encore —, elle appelait la mort. Comment que ce soit qu'elle arrive, qu'elle hate ses pas ; je la desire, je la souhaite et supplie les Dieux m'avancer son trop lent secours[22]. Le mariage, qui la rendait si misérable, avait été fixé au
mois d'août. Champvallon, en temps voulu, quitta le duc d'Anjou et gagna
Dunkerque, d'où il devait rejoindre sa fiancée. Là, il reçut, comme de la
part de Bodin, le fameux auteur de la République, alors au service du Duc,
une lettre sans signature, où on lui mandait qu'il avait été dénoncé par
Salcède et qu'il revint au plus vite pour se justifier : Il reprit le chemin
de Bruges, sans se douter que ce rappel fût une partie dressée pour le faire
assassiner au retour, mais il était si bien accompagné que les meurtriers
eurent peur de l'assaillir. Bodin, qu'il alla voir en arrivant, ne savait
rien de la lettre, et Monsieur, prévenant une explication, mit tout en riolle (plaisanterie), disant qu'il (Champvallon) pensoit aller jouir de sa maistresse, mais qu'il avoit
bien pris la baye (bourde)[23]. Pour un jeu princier, il eût dépassé la mesure, mais ce n'était pas un jeu. Du Vair, le futur chancelier de Louis XIII, alors tout jeune et attaché à la personne du duc d'Anjou, raconte que le procès de Salcède fournit à son maitre l'occasion de se débarrasser de quelques serviteurs qui ne lui estoient pas agréables[24]. Il ne dit pas pour quel motif Champvallon avait cessé de plaire. Il est possible que Fervaques, le favori en titre du moment, ait tramé le meurtre du grand écuyer pour avoir sa charge. Une autre hypothèse se présente à qui connaît l'affection du frère et de la sœur, c'est qu'il a voulu punir à la mode du temps l'outrage de la rupture. Peut-on croire qu'il eût par farce retardé les épousailles de Champvallon, au risque de blesser son allié d'hier et peut-être de demain, le duc de Bouillon, souverain de la place forte de Sedan ? mais la mort dispensait des excuses et des explications. Il y avait dans les Pays-Bas tant de bandes de diverses religions et même sans religion que ces professionnels du meurtre auraient été seuls suspects d'avoir dépêché, sciemment ou non, ce grand officier et qu'au prix de funérailles solennelles l'auteur ou le complice du crime passerait pour le meilleur ami de la victime. Depuis les dénonciations de Salcède, que le roi de Navarre invoquait pour se dispenser d'un voyage à la Cour, Marguerite avait cessé ses instances, attendant une meilleure occasion, qui ne manqua pas. Les sujets du duc d'Anjou, dont beaucoup étaient des calvinistes ardents, lui en voulaient d'être français et catholique et de n'être ni heureux ni habile. Il pouvait leur reprocher avec autant de raison de lui laisser presque toute la charge de les défendre et de l'en récompenser par une hargneuse méfiance. Il n'obtenait pas des Etats généraux, qui l'avaient proclamé duc de Brabant, les subsides nécessaires à l'entretien de sa maison et il n'avait nulle autorité dans les villes. De France, dit-on, lui vint le conseil de s'emparer des places fortes du pays pour parler en maître à ces bourgeois indociles. Catherine, ardente à pourvoir le plus jeune de ses fils aux dépens de l'Espagne et des libertés des Pays-Bas, parvint à se procurer de l'argent. Elle recruta dix ou douze mille hommes d'infanterie et quinze cents chevaux, et mit à leur tête le maréchal de Biron, qui passait pour le premier capitaine du royaume. Henri III laissa faire. Il avait appris avec indignation que le marquis de Santa-Cruz, vainqueur de la flotte française aux Açores (28 juillet 1582), avait fait achever de sang-froid l'amiral de France, Philippe Strozzi, décapiter les gentilshommes, pendre les soldats et les mariniers et qu'il avait publié de sa victoire et de ses exécutions un récit triomphal. J'ay l'escryst d'Espagne, disait Henri III dans un billet à Villeroy, il nous faut venger, avant l'an et jour s'il est possible, de l’Espagnol[25]. Aussi tout furieux qu'il fût de sacrifier ses finances et sa sécurité à son frère, manda-t-il expressément au sieur de Crèvecœur, son lieutenant-général en Picardie, de faciliter le ravitaillement de ces renforts. La masse des troupes françaises campait devant Anvers, où les magistrats, se défiant de la soldatesque, ne laissaient entrer que le Duc et ses gentilshommes. Un jour qu'il en sortait, sous prétexte d'une revue, des soldats, postés tout exprès aux abords de la porte, surprirent le corps de garde avant qu'il eût le temps de relever le pont-levis. Le reste de l'armée accourut et, pénétrant dans la ville dont elle se croyait déjà maîtresse, se dispersa pour piller. Mais les habitants barrèrent les rues, dont ils tendirent les chaînes, et, de derrière les barricades 'ou du haut des maisons, frappèrent ou assommèrent les agresseurs, dont un petit nombre échappa ou fut fait prisonnier (17 janvier 1583). Dans toutes les places des Pays-Bas où il y avait une force suffisante, le même coup de main fut tenté, mais il échoua partout, sauf à Dunkerque, Termonde et Dixmude. La Saint-Antoine d'Anvers, le plus honteux de ces guets-apens, souleva l'indignation, et, pour le malheur du duc d'Anjou, raviva le souvenir de la Saint-Barthélemy. Les villes fermèrent leurs portes à ce prince félon, froides ou hostiles. Les progrès du duc de Parme, la reculade des troupes françaises, d'Anvers à Dunkerque, la déposition par le pape et le chapitre de l'archevêque-électeur de Cologne, Gerhard de Truchsess, qui, pour épouser la belle chanoinesse Agnès, comtesse de Mansfeld (2 février 1583), s'était fait calviniste, la réaction catholique qui s'annonçait en Allemagne inquiétaient les puissances protestantes. Le roi de Navarre fit dire au prince d'Orange que si les Etats généraux peuvent faire trouver bon à Monseigneur (le duc d'Anjou) que le roy de Navarre pour plus grande assurance leur soit donné pour régent et lieutenant général, il acceptera volontiers cette charge pour le zèle et affection qu'il a à leur conservation et défense[26] (14 février 1583). Comme il lui importait beaucoup de savoir les nouvelles de la Cour de France et de resserrer ses rapports avec le duc d'Anjou, il reprit avec Marguerite la correspondance qu'il avait laissée tomber. Elle qui se piquait d'être une compagne dévouée, sinon une épouse fidèle, et qui s'intéressait au salut de son frère, accueillit avec bonne grâce les avances de son mari, louant Dieu de ce que par vostre dernière lettre, il vous plaist recongnoistre et avouer que le temps et la disposition des affaires font naistre infinies raisons pour me lier encore plus estroitement au service que je vous dois. Qu'il prît bien garde à satisfaire le Roi sur la question des places de sûreté. Avant même l'arrivée de son message explicatif, Henri III savait le refus des huguenots de rendre Mur-de-Barrez et les brigandages de certains de leurs capitaines. En bonne épouse elle a excusé le retard du courrier que l'on luy avoit voulu faire trouver mauvais. Il m'en fit, écrit-elle à son mari, une fort douce réponse, me disant qu'il congnoissoit ces artifices-là, qui venoient d'une part et d'aultre de personnes qui n'avoient envie de vous veoir près de luy, pour ce qu'ils congnoissoient bien qu'il estoit disposé à vous aimer et se servir de vous et qu'il eut bien voulu que le prisiez et connussiez comme luy, mais qu'il craignoit qu'ils auroient plus de force en votre endroit qu'ès sien et qu'ils vous empescheroient de venir. Je l'assurai fort que non.... Il était, affirmait-elle, mieux disposé que jamais pour lui ; il avait souhaité infiniment de le voir à la chasse où il était allé pour trois jours et à une musique, qui s'était faicte dans le Louvre, qui a duré toute la nuit et tout le monde aux fenestres à l'ouïr, et luy (Henri III) qui dansoit en sa chambre, se plaisant beaucoup plus à tels exercices qu'il n'a accoustumé. C'était à l'approche du mardi-gras et probablement se dédommageait-il à l'avance des pénitences du carême par les excès du carnaval. Le bal et la table ronde, continue Marguerite, se tiennent deux fois la semaine et semble que l'hyver et caresme prenant qui s'approche ramène le plaisir à la Cour ; et si j'osois dire, si vous estiez honneste homme, vous quitteriez l'agriculture et l'humeur de Timon pour venir vivre parmi les hommes. Le temps n'y fut jamais si propre pour les raisons que j'escris à M. de Ségur, de quoy je craindrois rendre cette lettre trop longue[27]. Sachant que son mari ne tenait pas en place et qu'il était incapable de délibérer, si ce n'est en se promenant, et même de lire une lettre un peu longue, elle se réservait d'exposer à l'ambassadeur les affaires dont elle n'écrivait pas, de peur d'être importune. Mais, après cette esquisse de la vie de la Cour et quelques indications sur les agissements des huguenots du Midi, que pouvait-elle représenter à un des principaux conseillers de son mari, prêt à partir pour l'Angleterre et l'Allemagne, en quête de secours contre la Maison d'Autriche, si ce n'est la situation désespérée de son frère et la gloire et le profit que le roi de Navarre aurait à le sauver ? Le roi de Navarre ne bougea pas, et elle, de dépit, ou de colère, ou peut-être absorbée par un renouveau d'amour cessa de lui écrire. Elle avait revu Champvallon, sans qu'on puisse dire précisément à quelle époque, et naturellement elle lui avait pardonné. Leur correspondance n'est pas datée et des faits qu'elle contient l'identification reste toujours conjecturale. La reine avait acheté à Paris, à la Couture Sainte-Catherine, la maison du chancelier de Birague, mais elle ne s'y installa pas jusqu'en novembre (1582) et villégiatura autour de la capitale à Fontainebleau, Saint-Maur-des-Fossés, Villers-Cotterêts, et Monceaux, ou séjourna au Louvre en octobre, attendant peut-être que l'Hôtel fût aménagé. Elle en prit possession le 2 novembre et y demeura jusqu'au 27. Le 28, elle se transporta au Louvre et y passa tout le mois de décembre, qui cette année-là (1582) par suite de la réforme du calendrier n'eut que 21 jours[28]. C'était sans aucun doute pour participer aux fêtes qu'Henri III donna en l'honneur des Suisses venus à Paris pour renouveler les anciennes alliances. Les délégués des cantons, arrivés le 28 novembre, restèrent dans la capitale jusqu'à la fin du mois de décembre, traités, caressés, choyés par le Roi, les Princes, l'Hôtel de Ville en une succession de banquets, de bals, de concerts. Or, si l'on peut ajouter quelque foi au Divorce satyrique, cet ignoble et merveilleux libelle que d'Aubigné a authentiqué de son génie, sans oser l'avouer de son nom, ce serait au Louvre que Champvallon allait rejoindre la reine de Navarre et, pour plus de secret, se faisoit porter dans un coffre de bois jusqu'en la chambre. Elle l'y attendait dans un lict esclairé de divers flambeaux, entre deux linceuls de taffetas noir, accompagnez de tant d'autres petites voluptez[29].... Peut-être ne faut-il retenir de ces embellissements d'une imagination sensuelle que les rendez-vous soigneusement cachés, et l'indication du Louvre. Comme Marguerite a résidé au château du 7 octobre au 3 novembre et du 28 novembre au ni décembre, c'est pendant ces séjours qu'il faut placer la réconciliation des amants, deux ou quatre mois après l'infidélité matrimoniale de Champvallon. Ils eurent plus de facilité pour se voir quand elle revint à l'Hôtel de Navarre, pour n'en plus sortir pendant les sept premiers mois de 1583, mais ils avaient des ménagements à garder. Il se plaignait, à ce qu'il semble, de son mariage, comme s'il y avait été contraint. Et elle, entrant dans ses peines, répondait : L'horreur de vostre misère m'a osté le pouvoir de la consoler ; car il est malaysé à celuy qui a besoin de secours d'en pouvoir donner à autruy. Cet accident ne m'estoit toutesfois nouveau, ayant reçeu du mariage tout le mal que j'ay jamais eu et le tenant pour le seul fléau de ma vie, mais il a cette fois tellement redoublé sa cruauté qu'il m'a rendue aussy troublée que si jamais je n'eusse éprouvé sa malice... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ha ! non ! que l'on ne die jamais que les mariages se tacent au ciel ; les Dieux ire commirent une si grande injustice. Mais c'est un estrange cas, mon beau cœur, comme de ce qui desplait la nouvelle est plus reditte ; car tout hier ma chambre ne résonna que de noces[30]. Je ne say comme je la pourray repurger de la malédiction qu'un si fascheux mot y aura laissée ; elle en a esté pour certain pollue, et n'y oserois faire nul sacrifice à Apollon qu'elle ne soit par vous redédiée. Avisez donc de dissiper, mon beau soleil, les nuages de ces importuns obstacles qui séparent nos corps, mais qui ne pourront jamais séparer nos ames unies d'un éternel destin et liées d'une éternel lien[31]. Il était jaloux et s'inquiétait de ses relations. Elle le rassurait. Ha ! non ! qui vous verra reconnoistra soudain cette celeste majesté que Mercure ne peut (put) deguiser à l'envieuse Aglore ; et s'il vouloit se montrer Vénus et Amour tout ensemble, qui luy pourroit de tant d'attraits, de graces, de feux, de liens, de beautez fournir, s'il ne prenoit ceux que le Ciel, choisissant de son plus parfait, a mis en vous pour bien-heurer le monde ? Elle se réjouissait de ces enfantins courroux comme d'une marque d'amour, et volontiers elle les provoquerait pour s'amuser à un si agréable jeu[32]. Un jeu qui n'était pas sans danger, comme on le vit. Elle avait beaucoup d'ennemis, attentifs à épier les imprudences, et parmi eux d'Epernon, qui possédait le Roi au sens le plus infamant du mot[33]. Ce mignon de couchette était si sûr de son empire et d'humeur si brutale que la Reine-mère appréhendait de l'attaquer en face. Marguerite était plus brave ou plus imprudente. Elle avait, dès son arrivée à la Cour de France, trouvé plusieurs personnes — elle veut dire d'Epernon et Joyeuse eslevées en des grandeurs qu'elle n'avoit veu ny pensé, et elle constatait avec colère son peu de crédit. Une camarilla de jeunes hommes disposait des dons, des pensions, des faveurs. Elle s'en vengeait, par des brocards. Cet esprit impatient, dit d'Aubigné, ne demeura guère sans offenser le roi son frère et ses mignons et faire parti dans la Cour avec ceux qui diffamoyent ce prince, en luy imputant de très sales voluptés auxquelles mesme il semble que les dames avoient intérest[34]. Sans doute comme à une concurrence déloyale. Sully, avec plus de discrétion dans la forme, raconte que sa parente, Béthune, la fameuse fille d'honneur de Marguerite, le dissuada de s'adresser à sa maîtresse pour se recommander à la bonne grâce d'Henri III, car le frère et la sœur étaient brouillés depuis deux mois s'entr'estant faits une infinité de reproches meilleures à taire qu'à dire ; ce qui l'avoit mise mal aussi avec la Reine sa mère[35]. Marguerite narguait les puissants du jour comme si elle
n'avait rien à craindre. Champvallon s'était installé à Paris. Quand elle ne
le voyait pas, elle lui écrivait. Si notre Mercure,
elle veut dire le porteur des lettres, est retourné
sans reponce, il ne m'a laissée sans regret de ne vous avoir peu donner par
luy ce contentement auquel j'ay trop de part pour n'en estre soigneuse[36]. Ecrire était sa
consolation. C'est trop, mon beau cœur, de se voir
privée tout d'un coup de la presence de son bien et du moyen de soulager sa
passion par l'escriture ; c'est estouffer une ame et luy oter le moyen non
seulement de soupirer, mais de respirer, pressant son cœur de tant
d'ennuyeuses contraintes[37]. Elle s'y résignait pourtant, crainte de pis. Lui s'impatientait de ne pas la voir aussi souvent qu'il l'eût voulu, et, n'ayant osé l'importuner durant qu'elle était plongée en ses dévotions, peut-être celles de la semaine sainte (4-11 avril 1583), il estimait qu'aussitôt après elle pourrait commencer à envoyer, comme l'on dit, Dieu en Galilée[38], c'est-à-dire, si je comprends bien, passer des tristesses de la Passion aux joies de la Résurrection. Elle avait, malgré sa promesse, manqué la veille à un rendez-vous, et il la suppliait de le voir le soir même, sans prétexter son mal, lequel je m'asseure, ne vous empeschera qu'autant qu'il vous plaira et puis ce tintamare fera que tout le monde se couchera de meilleure heure et sera plus assoupy de sommeil. Mais elle commençait à trembler pour lui, prévoyant l'attaque dont il voulait ignorer les apparences et rejeter tous les avertissements. ...Tant d'exemples nous apprennent le mal qu'apporte tel mespris que je ne saurois consentir d'en voir augmenter le nombre par la ruyne de ce que je tiens de plus cher, n'estimant, après la perte de nostre amour ou de vostre vie, devoir appréhender la privation de rien qui me put rester, estant ma vie, mon repos et mon heur attachés à ces deux. Ce serait peu de mourir elle-même pour chose si divine que sa passion pour lui, mais le mettre en danger ! Ha non, ma vie, protestait-elle, il n'y a gesne si cruelle à quoy je ne me soumette plustost. J'en rens une assez grande preuve m'interdisant le plaisir de vostre belle vue que je tiens m'estre aussi necessaire que le soleil aux printanières fleurs, qui ne se fanent plus prontement par son absence que, par celle de vos beaux yeux, ma vie et ma beauté perdent lustre et vigueur[39]. Quelle maîtresse et prête à tous les sacrifices, même à celui de son plaisir. Et il n'est pas douteux qu'elle l'aimât, et l'adorât, prise corps, âme et imagination. Mais ces parfaits amants n'ont pas connu que des joies sans mélange. La correspondance, qu'elle a certainement remaniée, ne garde trace que des grandes infidélités, où elle se donne le beau rôle de l'amoureuse trahie qui se lamente en haut style et qui enfin pardonne. Elle se défend d'exercer des représailles contre cet homme plus beau qu'un dieu. Mais les deux seules lettres de Champvallon, qui se soient conservées[40] prouvent qu'à l'occasion elle lui faisait payer le privilège de cette royale possession. Elle lui en voulait, presque, de cette beauté, l'objet de son culte ardent et qui pouvait attirer tant d'autres fidèles. Hautaine, orgueilleuse, violente, et plus que femme, reine, au moindre soupçon, elle refusait de le recevoir et profitait, comme il dit de tels subjects pour le gesner et le martyriser. Il la suppliait, à défaut de la récompense que méritaient sa foi et sa patience, de cesser ces tourmens insupportables, dont vous m'avez affligé depuis que vos perfections me rendirent votre esclave[41]. Ayez donc pityé de moi, mon cœur, et souffrez pour chose qui vous aime tant ce peu d'incommodité. Je baise très humblement vos belles mains. Le dieu se rabaissait jusqu'à n'être plus que le ver de terre amoureux d'une étoile. De cet amour dont les querelles ne faisaient qu'attiser le feu, les confidentes étaient deux dames de la reine, Mme de Duras, et Mlle de Béthune. Mme de Duras, Marguerite de Gramont, était la femme de Jean Durfort, vicomte de Duras, qui s'était battu avec Turenne sur le gravier d'Agen, la fille d'Hélène de Gramont, et d'Antoine d'Aure dit de Gramont, vicomte d'Aster, et la sœur de Philibert de Gramont, comte de Guiche, un mignon d'Henri III, mortellement blessé au siège de La Fère. Très grande dame, d'intelligence cultivée ou tout au moins d'esprit ouvert et curieux, elle se plaisait à la conversation de Montaigne et lui avait accordé la faveur de son amitié. A cette femme sans garçon ni fille, il a dédié (est-ce par ironie ?) le chapitre XXVIII du livre des Essais intitulé : De la ressemblance des enfans aux pères, et, bien qu'elle aimât à se droguer, il y raille impitoyablement la médecine et les médecins[42]. L'intérêt que prenait cette grande dame aux libres propos de Montaigne n'est pas un sûr garant de sa vertu, comme le voudrait un panégyriste de Marguerite de Valois, à seule fin de faire profiter la reine de Navarre de la bonne réputation de sa favorite. Une intellectuelle n'est pas nécessairement rigoriste, et même elle inclinerait plutôt à se montrer indulgente aux faiblesses des autres et aux siennes, pour avoir, ainsi que le moraliste, fait le tour des exigences de la nature humaine. La Duras et la Béthune ne se contentaient pas de favoriser les amours de leur maîtresse ; elles aimaient les plaisirs et en prenaient leur part. A l'Hôtel de Navarre se succédaient les visiteurs et ces compagnies qui ne laissaient pas le temps à Marguerite de recopier ses lettres et, suivant son expression, brouillaient son esprit et son papier. La vie inimitable recommença comme à la Cour de Nérac. Les fêtes allaient leur train et les commentaires aussi. Marguerite tomba malade, et, comme elle avait grossi, les uns, écrit le 27 juin l'ambassadeur florentin, veulent qu'elle soit enceinte et les autres hydropique. Sa liaison avec Champvallon était tellement publique qu'elle faisait scandale, ce que Busini exprime d'un mot expressif, qui, par bonheur n'a pas en italien le même sens que son équivalent français, un gran bordello[43]. Henri III n'avait que trop de raison d'en vouloir à cette sœur qu'il n'aimait pas. Elle n'était pas parvenue à ramener à la Cour le roi de Navarre, le seul service qu'elle pût lui rendre ; elle le diffamait, car il serait excessif de dire qu'elle le calomniait. Enfin elle affichait ses amours avec Champvallon à un moment où lui était en pleine crise de religiosité. Humiliations de la puissance royale, révoltes des huguenots et des politiques, désobéissances du duc d'Anjou, débauches, maladies consécutives aux débauches, toutes ces épreuves l'incitaient à se rapprocher d'un Dieu dont il pensait obtenir le pardon ou mériter les grâces par la multiplication des pratiques pieuses. Le nonce en France, Castelli, signalait avec trop de satisfaction dans une lettre au pape Grégoire XIII (juin ou juillet 1582) que Sa Majesté se trouve travaillée en son âme par la crainte de Dieu. La crainte de Dieu sans l'amour de Dieu, ce n'était pas assez pour comprimer les écarts d'une nature morbide. Il n'était jamais plus près d'une rechute que dans la ferveur d'une pénitence. Mais cette fois il se croyait sûr de sa conversion. Il inaugure en mars 1583 une confrérie de pénitents, celle de l'Annonciation Notre-Dame, ou, comme disait le populaire, des battus[44]. Il pèlerine pieds-nus, en habit de flagellant, à Chartres et à Notre-Dame de Cléry (avril 1583). Il médite de grandes réformes dans l'Etat pour la Saint-Michel, et, afin de s'y préparer (31 mai), se vêt en pénitent, communie tous les quinze jours, le vendredi, avec la Reine, porte au cou un collier d'ébène avec des têtes de mort en ivoire. Parmi tous les moines, dont il se fait comme un rempart contre la colère divine, il donne la préférence aux capucins, une réforme de l'ordre de saint François célèbre par la rigueur de ses mortifications. Il se place parmi eux dans le chœur, écoute l'office divin et psalmodie comme eux pendant quatre à cinq heures, à l'émerveillement, dit Busini, de tout le monde. Il a licencié ses musiciens et ne veut plus ni bals ni concerts[45]. Ce redoublement de dévotion était de mauvais augure pour les compagnons et les compagnes de plaisir de la reine de Navarre. Le 27 mai, le Roi partit avec sa femme pour Mézières où il allait prendre les eaux de Spa, et le 13 juin l'ambassadeur florentin annonçait au Grand-Duc la brouille du roi de France avec sa sœur. Henri III en voulait à Marguerite de ses brocards contre les mignons, mais surtout il s'irritait de son attachement pour le duc d'Anjou, ce frère détesté, ce magot, ce museau, comme il l'appelait, dont l'ambition sans effet risquait de faire perdre et royaume et honneur et tout[46]. Après l'échec de son coup de force contre Anvers, le Duc avait peu à peu reculé jusqu'à Dunkerque, où il était entré en litière, malade, disaient les Italiens, du mal français[47]. Catherine, qui avait accompagné le couple royal à Mézières, en partit le 7 juillet pour rejoindre son autre fils à Chaulnes et lui persuader de renoncer à l'entreprise des Pays-Bas, et toutefois de garder Cambrai. Il y avait en effet lieu de craindre que, furieux et désespéré, il ne vendît la place aux Espagnols, et qu'il ne revînt en France, aussitôt l'argent reçu, avec les moyens de brouiller. Le maréchal de Biron, rapporte Busini, le disait si mal conseillé qu'il le croyait capable de quelque folie qui troublerait le royaume — qualche scappata che turberà questo regno[48]. La première entrevue de la mère et du fils eut lieu le 11 juillet à Chaulnes[49]. Quelques jours leur suffirent pour régler l'évacuation des Pays-Bas et le ravitaillement de Cambrai. Catherine, fière d'avoir assuré la paix au dedans et au dehors, et voulant que toute la chrétienté le sût, écrivit à M. de Maisse, qui représentait la France à Venise, ce grand centre international d'informations, qu'elle avait laissé le Duc très disposé de se unir plus qu'il n'a jamais faict avecques le Roy... pour la conservation de la paix en ce royaume[50]. Des engagements qu'il avait pris, l'essentiel se trouve dans une lettre bien postérieure, où la négociatrice charge Pibrac de rappeler à son fils, dont il était devenu le chancelier, la promesse et asseurance qu'il m'a donnée, dit-elle, en vostre présence et de ses autres serviteurs de faire casser et révocquer toutes les levées qu'il avoit envoyé faire, excepté ce qui sera besoing pour la garnison raisonnable de Cambrai. S'il n'exécutait pas au plus tard en deux mois ce qu'il lui avait si expressément promis, il la mettrait en grande peine et lui ôterait le moyen de pouvoir jamais rien faire pour luy[51]. Henri III, en passant à Monceaux (21 juillet) au retour de Mézières, avait été si content de l'accord de Chaulnes qu'il décida d'accompagner sa femme à Bourbon-Lancy et de laisser sa mère à Paris avec des pouvoirs de régente[52]. Il écrivit à son frère comme pour prendre acte de ses promesses (22 juillet) et le prier de se retirer d'une entreprise cause de la ruyne de la France[53]. Aussi fut-il surpris par la nouvelle, troublante, on peut le croire, que le duc d'Anjou, résolu de rentrer aux Pays-Bas, donnait rendez-vous à ses troupes le 25 juillet à Ribemont. Avait-il à Chaulnes trompé sa mère ou, depuis leur entrevue, changé d'avis ? On prétend que Balagny, le gouverneur de Cambrai, ranima son orgueil et ses espérances[54]. Peut-être aussi fut-il pris de peur quand il sut la mésaventure de Chartier, son confident, dépêché à Elisabeth pour demander un secours d'argent. Le sieur de La Motte, gouverneur de Gravelines, avait été l'un des premiers parmi les seigneurs des Pays-Bas à négocier avec Farnèse, par haine des calvinistes du Nord, la réconciliation des catholiques du Sud et de Philippe II. Il guetta et fit prisonnier à son retour cet homme, qui passait pour savoir le plus des secrets du ducq d'Alençon et de toutes ses menées et praticques[55]. On le fera parler, dit Busini, sur les intrigues de la reine d'Angleterre, de Montmorency-Damville, du roi de Navarre et de Monsieur[56]. Mais Chartier, que l'ambassadeur d'Espagne à Paris, Taxis, qualifie de très grand ingenie d'affaires et d'Estat[57], tenait en réserve cent mille inventions. Par aveux, révélations et promesses, il convainquit si bien les' Espagnols de son empire sur le duc d'Anjou, que Philippe le fit mettre en liberté et lui offrit une récompense proportionnée à son service s'il parvenait à détourner son maître de la mauvaise voie, c'est-à-dire de l'entreprise des Pays-Bas[58]. Il résultait de son interrogatoire que le Duc avait conçu les plus mauvais desseins contre le Roi son frère[59]. Catherine feignait de n'en vouloir rien croire, mais elle était inquiète. Elle avait une bonne police et des intelligences dans tous les milieux ; elle surveillait les allées et venues des amis et des émissaires du Duc. Elle apprit ainsi, comme elle l'écrivait à Bellièvre le 31 juillet, que Marguerite avait envoyé ung homme expres devers mon fils pour le gagner et destourner, s'il est possible, de la bonne volunté qu'il monstre avoir de se conformer aux intentions du Roy monsieur mon filz et luy faire prendre quelque mauvaise résolution. Catherine ne tenait pas pour certain tel advertissement, et surtout elle ne pouvait se persuader que le Duc manquât aux assurances qu'il lui avait données, mais toutefois elle jugeait bon de lui écrire et de lui faire représenter à l'occasion par Bellièvre qu'il ne devait pas prester l'oreille et se laisser aller à telles persuasions et conseils qui ne lui peuvent apporter que tout malheur et à ce royaume aussi[60]. Cette lettre du 31 juillet, une date à retenir, est, malgré la réserve sur la vérité de l'avis, claire et précise. Catherine ne doute pas que sa fille soit capable et coupable d'exciter le Duc à poursuivre, contrairement aux accords de Chaulnes, l'aventure des Pays-Bas. Elle lui en veut d'induire l'un de ses fils par haine de l'autre en tentation de révolte et d'exposer le royaume aux risques d'une guerre civile ou d'une guerre étrangère. Habituée à déférer en tout à Henri III, qu'elle aime comme mère par-dessus tous ses autres enfants, et qu'elle craint et révère comme roi, elle condamne l'esprit de désobéissance. Elle a dû se repentir d'avoir ramené de Gascogne en France cette fille ingrate et si indocile, qui contrecarre sa volonté et celle du Roi. Avant ou après la brouille que Busini signale dans la dépêche du 13 juin, Henri III avait chargé sa mère de dire à sa sœur de renvoyer la Duras et la Béthune, dont la mauvaise vie la compromettait. Marguerite riposta que la Reine-mère gardait bien Mme de Sauves. De colère elle protesta qu'elle s'en irait en Navarre et réclama l'argent du voyage. Catherine, heureuse de cette menace, lui offrit de s'acquitter de cinquante mille livres qu'elle lui devait, soit en lui cédant des terres à vendre ou 4000 livres de rentes à réaliser. Elle chargea Bellièvre (25 juin 1583), comme l'un de ses bien affectionnez secretaires de presser les expéditions pour la mettre hors de peine[61]. Marguerite espérait sans doute qu'aliénation et liquidation lui feraient gagner du temps et permettraient au duc d'Anjou d'intervenir en sa faveur. Mais le Roi, à qui Catherine n'avait pas dû cacher sa lettre du 31 juillet, voulut, avant de quitter Paris, en finir avec toutes ces intrigues amoureuses et politiques. Il enjoignit à sa sœur de chasser la Duras et la Béthune, ces entremetteuses qu'il soupçonnait de jouer au besoin un tout autre rôle. Son intention était aussi, sans doute d'accord avec sa mère, que Marguerite partît pour la Gascogne par une autre route que les deux dames. Catherine, de retour de Monceaux, s'était installée le 3 août à Paris, et lui au château de Madrid (au bois de Boulogne), assez près d'elle pour la voir au besoin tous les jours. C'est de là que le 4 août, ou peut-être même le 3, il écrivit au roi de Navarre : qu'ayant découvert la scandaleuse vie de ..... (la Duras et Béthune) il s'était résolu de les chasser d'auprès de la reine sa sœur comme une vermine très pernicieuse et non supportable auprès de princesse de tel lieu[62]. La lettre était toute de sa main et il la fit porter par un de ses valets de garde-robe. Le destinataire la reçut à Sainte-Foy-la-Grande (entre Libourne et Bergerac) et il y répondit le 12 août, probablement le jour même de l'arrivée du courrier[63]. Il remerciait cordialement Henri III du soing singulier, disait-il, qu'il vous plaist avoir de chose qui me touche tant et de si près. Il y a ja longtemps que le bruit de la mauvaise et scandaleuse vie de madame de Duras et de Béthune estoit venu jusques à moy... mais je considerois que ma femme ayant cet honneur de vous estre ce qu'elle est et même d'estre près de Vos Majestés (Henri III et Catherine), je ferois quelque tort à vostre bon naturel si j'entreprenois d'en estre plus soigneux de loin que Vos Majestés de près[64]. Le mari et le frère affectaient de ne croire Marguerite coupable que du mauvais gouvernement de sa maison. Mais soudain, Henri III donna et, après refus d'obéir, réitéra impérativement le 7 août à sa sœur l'ordre de quitter elle-même Paris sans retard. Il envoya les sergents du guet fouiller ce soir-là le logis de Champvallon, ils ne trouvèrent pas d'ailleurs celui qu'ils cherchaient. Si grande qu'ait été l'humiliation, l'histoire romanesque et le roman historique l'ont à plaisir amplifiée. Ce soir-là au grand bal du Louvre que présidait Marguerite à la place des deux Reines, le roi de France, flanqué des deux archimignons, se serait avancé vers elle, et, l'interpellant devant toute la Cour, il aurait énuméré ses galants, flétri sa conduite, et conclu cette cruelle algarade en la chassant de sa présence[65]. Rien de plus faux que ce récit. Il n'y avait plus de bal au Louvre, et si Henri III en avait voulu donner un, fait invraisemblable, en l'absence de la Reine-mère et de la Reine régnante, il ne serait pas allé chercher pour y trôner Marguerite, avec qui il était brouillé depuis deux mois. Veut-on dire qu'il l'élevait très haut pour la rabaisser d'autant et la ravaler ? Il la détestait mortellement, mais il avait, ce qui n'est pas contradictoire, un grand souci des convenances, beaucoup d'esprit et de finesse. Il n'aurait pas injurié sa sœur publiquement de peur de s'offenser lui-même et la famille royale avec elle. Ses vengeances moins ouvertes étaient d'une perfidie plus raffinée. Seul l'ambassadeur impérial, Busbecq, parle d'une scène du Roi à la reine de Navarre, mais il ne dit pas qu'il y ait assisté. Et assurément s'il en avait été le témoin le 7 août, il n'aurait pas manqué d'en informer la Cour de Vienne dans sa dépêche du Io, sans attendre comme il a fait jusqu'au 22[66]. Ni L'Estoile empressé à recueillir les moindres racontages, ni Busini[67], curieux par profession, et qui écrit le lendemain (8 août), ne font allusion à ce scandale du. Louvre. Il n'en est question ni dans les explications que demanda le roi de Navarre, ni dans celles que lui fournit Henri III. Certes il y a eu outrage, car c'en était un, sans les dénaturations de la légende, que le commandement sans réplique de sortir sur le champ de Paris, et qui fut encore aggravé par les incidents du départ. Henri III n'avait pas vu Marguerite depuis son retour de Mézières, et le lendemain de ce congé brutal, le 8 août, il partit pour Bourbon-Lancy sans lui dire adieu. A Bourg-la-Reine son escorte croisa celle de la reine de Navarre, qui s'y était arrêtée pour dîner. Il feignit, quoique les fenestres de son carrosse fussent abattues, de ne pas voir sa sœur. Le jour suivant, ce fut pire. Entre Palaiseau, où elle avait couché, et Saint-Clerc, où elle allait, survint une troupe d'arquebusiers commandée par un capitaine ou un exempt des gardes du Roi[68], qui arresta toute sa suite et sa litière propre, lui fit lever le masque, disant en avoir commandement du Roi, et se saisit en sa présence de quelques-uns de ses serviteurs, qu'il emmena prisonniers, nommeement l'escuer Tuti. En même temps, sur une autre route, le chevalier du guet arrêta Mmes de Duras et de Béthune, et une femme de chambre, Barbe. Henri III se fit ammener toutes ces personnes en l'abbaye de Ferrières, près Montargis, les mit en différentes chambres, les interrogea chacung à part, voulleut avoir leur deposition écrite et signée de leur main ; au partir de là en renvoya aulcuns à la Bastille où ils ont mesme esté examinées par le lieutenant du prévost. Il s'enquit de sa propre bouche de la conversation (relations), des mœurs, de la vie et de l'honneur de la royne sa sœur[69]. L'Estoile précise qu'il les interrogea mesmes sur l'enfant qu'il estoit bruit qu'elle avoit faict depuis sa venue en Cour, de la façon duquel estoit soubçonné le jeune Chanvallon qui de faict à ceste occasion s'en estoit allé et absenté de la Cour. Même s'il est vrai qu'il ne put rien descouvrir par la bouche des dits prisonniers et prisonnières ne autrement, il ne l'est pas, comme le nouvelliste semble le croire, qu'il les remeist tous et toutes en liberté immédiatement, avec défense d'ailleurs de rejoindre la reine de Navarre. Marguerite, après avoir attendu presque seule toute la journée du 9 à Palaiseau, reprit sa route vers la Gascogne. Catherine préparait, comme on l'a vu, depuis plus d'un mois le viatique du retour. Peut-être fut-elle surprise par la résolution d'Henri III de précipiter le départ, et s'en est-elle allée à Passy, d'où le 8 août elle écrivit à Matignon[70], afin de se soustraire aux prières et aux larmes de la bannie. Il n'était pas dans ses habitudes de s'opposer aux volontés du souverain, surtout en une affaire où elle ne pouvait le blâmer que d'impatience. Même le manque d'égards de Bourg-la-Reine, qu'elle a su le jour même ou le lendemain en rentrant à Paris, n'ajoutait qu'une blessure d'amour-propre à la sommation du départ. Mais l'arrestation de la reine de Navarre à Palaiseau, cette recherche de police dans tout son train, l'ordre de se démasquer, et enfin l'interrogatoire des prisonniers et des prisonnières par le Roi en personne, c'étaient des aggravations qu'elle n'avait ni prévues, ni imaginées, ni permises. La preuve en est que son fils lui expédia le duc d'Epernon, qui arrivait tout droit de Lorraine, pour l'informer des faits ; sinon pour les justifier. Le choix du messager était étrange, à moins qu'il ne fût voulu. L'archimignon haineux et brutal, et qui avait à venger l'injure des brocards, a bien pu suggérer à son maître, à leur première rencontre, l'idée d'humilier plus cruellement cette sœur ennemie. Marguerite l'en a toujours cru capable, et avec une conviction si entière et si douloureuse que, forcée pour des raisons politiques, de le recevoir l'année suivante à Nérac, elle assimilait sa condition à celle des esclaves. Catherine blâmait au fond du cœur ces écarts de passion qui risquaient de rompre l'accord avec le duc d'Anjou et d'aigrir les rapports avec le roi de Navarre. Mais le mal n'était pas facile à réparer. Elle savait Henri III infatué de sa toute-puissance et incapable de retour, surtout en une affaire où ses sentiments et ceux des mignons étaient intéressés. Il trouva mauvaise[71] la lettre qu'elle lui écrivit de Noyon le 13 ou le 14 et qu'elle lui fit porter par l'évêque de Langres, Charles II de Perusse d'Escars, pour lui demander la mise en liberté des dames de Duras et de Béthune. Ce qu'il fit d'ailleurs, mais comme de lui-même, un peu plus tard. Le voyant si susceptible et les choses... passées si avant, elle estima meilleur de remectre... à son jugement et discrétion la conduite d'une affaire si délicate[72]. Elle avait tellement peur de se compromettre qu'elle se défendit de recevoir Clervant, l'agent du roi de Navarre à la Cour de France, avant le retour de Henri III à Paris[73]. A La Fère, où elle s'était hâtée de rejoindre le duc d'Anjou pour presser le licenciement des troupes des Pays-Bas, elle s'enquit curieusement, pendant le séjour qu'elle y fit (13-22 août), des relations de Marguerite avec son frère. On lui avait dit que l'écuyer Tosti (ou Tutti), pris à Palaiseau, puis relâché, avait remis à Henri III une lettre de Mme de Gramont, mère de Mme de Duras, au duc d'Anjou. Son fils lui en a lui-même parlé avec détachement, car yl (le roi) savet bien qu'il (lui, le duc) n'avoyt neule yntelligence aveques ele (Mme de Duras). Elle n'est qu'à moitié rassurée par cette déclaration, et elle ajoute : Toutefoys cet (si) je pouvès savoyr s'il et vray (s'il dit vrai) et cet qu'ele (la lettre) portoiyt, je an serè bien ayse[74]. C'est à la Duras qu'elle en veut. Elle sait que cette grande coupable — la seule coupable pour cette mère indulgente — est revenue à Paris et l'idée de l'y rencontrer lui est pénible. Je voldres, écrit-elle à Bellièvre, qu'el en feust dehors. Et cependant elle hésite à en donner l'ordre et ne veut rien décider sans l'aveu de ce confident.... Je vous prie, cet (si) trouvé qu'il souyt bon, de dyre à sa mère (la mère de Mme de Duras) que fera bien de l'en fere enn aler, et que je serés marrye de l'y trover, et elle répète : Vous voyré s'il é bon d'ynsin le faire[75]. Mais le 30 août elle a pris son parti et elle charge Bellièvre de dire à Mme de Gramont de faire partir sa fille de Paris, car elle y sera elle-même dans trois ou quatre jours, et ne veut pas l'y trouver. Je ne la luy (l'y) sorès (saurais) endurer. Elle menace, si la Duras reste, de la faire en aller ou peult aystre pis. Je luy prye que s'an alle car (c'est moi qui souligne) je veulx ayvyster le scandale ; nous n'en avons heu que trop et voldrès (je voudrais) que tout cet que peult faire sovenyr de cela ne set vys janzès[76]. Parlerait-elle de cette façon si elle avait conseillé la violence de Palaiseau et l'interrogatoire de Ferrières. Ces raisons de sentiment ne sont pas les seules peut-être. Elle s'inquiète de voir si près des Pays-Bas une intrigante, qui, pour venger ses injures et celles de sa maîtresse est capable de pousser le Duc à quelque résolution désespérée. Aussi presse-t-elle ce fils si peu sûr de casser et révocquer sans retard, conformément à ses promesses de Chaulnes toutes les levées qu'il avait ordonnées[77]. Elle a hâte de le désarmer et de n'avoir plus rien à craindre de ce côté quand le moment sera venu pour le Roi son fils d'entrer en conversation avec le mari de sa fille. Aussitôt qu'il sut l'affront fait à sa femme, le roi de Navarre fit partir le plus autorisé des membres de son conseil, Du Plessis-Mornay, (17 août) pour demander des explications. Il avait trouvé bon qu'Henri III éloignât de Marguerite la Duras et la Béthune, femmes de mauvais renom, mais il ne pensait pas que le roi de France commanderait à la reine de Navarre de sortir de Paris, sans lui dire adieu, qu'il affecterait de ne pas la connaître, quand ils s'étaient croisés à Bourg-la-Reine, et enfin qu'il la ferait arrêter en route par les archers et se ferait amener les personnes de sa suite pour les interroger sur ses déportements. Il lui importait de savoir au plus vite la raison de ces procédés injurieux. Du Plessis alla droit à Paris er n'y trouvant pas Henri III, il reprit la poste et le rejoignit le 30 ou le 31 août[78] à Lyon — et non le 20 ou le 21 comme dit contre toute vraisemblance le texte. Aux questions qu'il lui posa, il eut pour réponse que, comme bon prince et homme de bien, il avait voulu repurger tout ce qui était autour de lui et surtout ce qui le touchait de si près et qui y pouvait apporter tache ou blâme. Mais l'ambassadeur répliqua que le roi de Navarre l'avait envoyé vers Sa Majesté, non pour l'affaire des dames de Duras et Béthune, mais pour le fait de la reine sa femme. Si elle a commis une faulte digne de l'affront qui lui a esté faict, il vous en demande justice, comme au maistre de la maison et au père de la famille. Sinon, Sire, comme il ne le croira que le plus tard qu'il pourra, il la vous demande, comme à un prince qui en faict profession, des calomniateurs sur le rapport desquels une telle injure auroit esté précipitée. Le Roi objecta l'incertitude des bruits publics, et s'excusa de ne pouvoir prendre une décision sans l'avis de la Reine sa mère, femme de prudence, sagesse, vie incoulpée. Il serait auprès d'elle à Paris au commencement d'octobre et peut-être y verrait-il son frère. Aussitôt après, il dépescheroit personnage de qualité qui donneroit contentement au roy de Navarre. Duplessis repartit que cependant la reine s'acheminait vers le roi son mari. Que dirait la Chrétienté s'il la reçoit ainsi, par manière de dire, toute barbouillée[79]. — Ne vaut-il pas mieux que l'injure soit satisfaite premier qu'elle (la reine) passe plus oultre. — Que sçauroit-on dire, reprit Henri III, quand il la recevra, sinon que c'est la sœur de son Roy. Duplessis n'en put rien tirer que la promesse d'écrire à son beau-frère. Pour finir, au regret que l'autre témoignait de ne jamais voir le roi de Navarre, il opposa l'impossibilité où était son maître, quelque désir qu'il en eût, d'aller baiser les mains de Sa Majesté. — Dès qu'il tournoit la teste vers la France pour s'en approcher, il sembloit qu'on prist plaisir de le mordre par derrière, pour le faire tourner ailleurs, comme tout fraischement se seroit veu qu'estant à Sainte-Foy pour passer en Xaintonge on surprit Aleth avec grand carnage de ceulx de la religion, dont le voisinage est troublé, en danger s'il n'y eust pourveu en se rapprochant, de remettre par-là toute la province et conséquemment tout l'estat en trouble. — Ce propos et quelques autres laissaient voir que l'humiliation de la reine de Navarre, si on ne se hâtait de la réparer, ferait bloc avec les autres griefs du parti protestant. Cependant Bellièvre avait causé avec Clervant, et comme lui il pensait que le roi de Navarre ne se déciderait pas à reprendre sa femme sans quelque honneste satisfaction qui le deschargeast envers le munde[80]. La Reine-mère le croyait aussi et le Roi, de Lyon, se déclarait fort ayze d'une lettre du secrétaire d'Etat et de ses prudents conseils. Mais il ne se pressait pas de les suivre. Il poursuivit tranquillement son voyage et sa cure et ajourna tout parti jusqu'à son retour. Il était perplexe et comptait sur le temps pour le tirer d'embarras. Il trouvait dangereux d'affirmer l'inconduite et humiliant de reconnaître l'innocence de sa sœur. Il lui fallait ou punir l'adultère et rompre le mariage de Navarre, ou s'avouer lui-même coupable d'une effroyable légèreté. Il aurait voulu que son beau-frère se contentât de quelques assurances d'amitié, en guise de réparation. Même après sa rentrée à Paris, le 5 octobre, il négligea de dépêcher, comme il l'avait promis à Duplessis-Mornay, un personnage qualifié au roy de Navarre. Il y avait bien du calcul dans son indécision. Marguerite se dirigeait à petites journées vers la Gascogne. Le roi de Navarre devinait le jeu du Roi, qui était de ramener sa femme dans ses Etats et de la lui imposer sans qu'il prît garde. Il y allait de son honneur et de sa dignité de ne pas recevoir une épouse diffamée, contre qui le Roi avait procédé si juridiquement et si criminellement, avant que ce juge souverain l'eût déchargée de l'inculpation. A Jarnac, où elle arriva le 23 septembre, elle reçut de lui l'ordre de ne pas pousser plus loin. Mais son frère lui commanda de repartir, et elle avança jusqu'à Coutras où elle fit un nouvel arrêt et plus long encore (22 oct.-26 nov.). De là elle écrivit à son mari qu'elle s'était mise en marche, nonobstant son commandement, pour obéir aux ordres d'Henri III. La malheureuse, prise entre ces deux volontés contraires, bannie de France par l'une, repoussée de Gascogne par l'autre, se torturait dans l'attente du lendemain. Le roi de Navarre, impatient du silence du Roi, députa en France un diplomate d'occasion, Agrippa d'Aubigné poète, historien, soldat et son serviteur passionnément fidèle, dont il savait, pour l'avoir éprouvé à ses dépens, qu'il parlerait haut et clair[81]. Il eut audience d'Henri III le 19 octobre et hardiment le harangua sur les intérests que portoient les injures des princes, et qu'il serait imprudent de laisser accumuler. Il y avait eu des promesses faites qu'on ne se hâtait pas de tenir — allusion évidente à l'ambassade de Du Plessis-Mornay. — Tant y a que non sur le refus de justice, mais sur le délai qui sen toit le refus, le messager (d'Aubigné) remit entre les mains du roi de France l'honneur de son alliance (l'alliance du roi de Navarre) et celui de son amitié. Le Roi, blessé de cette sommation, menaça de mettre sur les bras de son beau-frère, s'il s'oubliait, un fardeau qui feroit ployer les épaules du Grand Seigneur. L'ambassadeur répliqua : Sire, le roy de Navarre, mon maistre, a esté (à son grand regret) eslevé sous ce fardeau ; sans menaces, il hommagera toujours sous Vostre Majesté sa vie et ses conditions ; mais de son honneur il n'en rendra hommage à prince du monde, tant qu'il aura une goutte de sang et un pied d'espée[82]. Henri III porta la main à son poignard, mais il se contint. Catherine survenant déclara qu'on feroit mourir de ces coquins et marauds qui avoyent offensé sa fille. D'Aubigné riposta qu'on ne sacrifioit point de pourceaux et de sang vil à Diane et qu'il falloit des testes plus nobles pour expiation[83]. A ce contempteur des puissances souveraines, Crillon et Antraguet fournirent les chevaux les plus rapides pour le mettre à l'abri au delà de la Loire. La mission de d'Aubigné ranima le différend de Navarre. Bellièvre fut chargé à titre de spécialiste des affaires du Midi, d'aller négocier. Ses instructions portent la date du 18 octobre, mais elles ont été peut-être antidatées à dessein de faire croire qu'on les avait arrêtées avant le vif assaut du 19. Au lieu des concessions que Bellièvre recommandait, elles étonnent par le parti-pris d'esquiver toute justification. L'idée de fond, c'est que la Reine-mère a inspiré les mesures prises par le Roi son fils ; que ces mesures n'avaient d'autre objet que d'éloigner de la reine de Navarre deux dames de mœurs diffamées. La vertu de Marguerite n'étant pas en cause, il n'y avait pas lieu à réparation, puisqu'il n'y avait pas eu d'outrage. En attendant, le roi de Navarre agit. Depuis trois ans il réclamait une des villes de son domaine, Mont-de-Marsan, dont la population catholique en révolte avait chassé ses soldats, et il n'obtenait pas du nouveau lieutenant-général du Roi en Guyenne, le maréchal de Matignon, qu'il la lui restituât. Dans la nuit du 20 au 21 novembre, il l'enleva par surprise. Ce fut dans cette place où il rentrait en maître, les armes à la main, que Bellièvre, qui avait perdu beaucoup de temps en route, finit par le rejoindre ; un moment et un lieu bien mal choisis pour lui faire admettre l'échappatoire du roi de France[84]. Avant tout pourparler, le vainqueur exigea le retrait d'une garnison introduite par Matignon dans Bazas. Bellièvre partit à cette fin pour Bordeaux, mais le Maréchal, loin d'évacuer Bazas, cantonna des troupes à Dax et à Saint-Sever, qui étaient encore plus proches de Mont-de-Marsan. Un peu plus tard il en mit à Condom et à Agen, dans le voisinage de Nérac, la capitale du duché d'Albret. Le roi de Navarre, qu'on bloquait dans ses maisons, refusa de discuter avec Bellièvre, revenu à Mont-de-Marsan, l'affaire de la reine sa femme, tant qu'il y aurait une garnison à Bazas. Et comme Matignon la renforça, il rompit la négociation (7 décembre). Mais il ne lui convenait pas de pousser le Roi à bout et il envoya Yolet lui expliquer les raisons de son refus. Il liait maintenant à la réception de sa femme la question des places de sûreté. D'une affaire particulière il en fit une générale qui intéressait tout le parti protestant. La Cour de France s'éleva contre cette prétention. Catherine répétait à Bellièvre ce que le Roi et elle avaient dit à Yolet.... Le faict de ma fille la royne de Navarre... n'avoit rien de commung avecques la prise de Mont-de-Marsan et les garnisons mises à Bazas et aillieurs... partant que nous désirons qu'il reçoipve sa femme sans s'arrester aux difficultez qu'il a faictes... l'asseurant que pour le regard du reste le Roy mondict sieur et fils aura tousjours très agréable que toutes choses soient remises et exécutées, ainsy qu'il est ordonné par ses Edicts de paix, y satisfaisant (le roi de Navarre) de sa part comme il est tenu de le faire[85]. Mais le roi de Navarre savait la valeur de ces billets conditionnels à échéance lointaine. Il présentait en bloc tous ses griefs, et il avait le talent de mettre Marguerite de son côté. Il lui avait fait porter de bonnes paroles par Frontenac, comme pour lui faire réparation, et par le même porteur, des insultes du passé. Quand il rompit avec Bellièvre, il se retourna aimablement vers elle et tint à lui prouver qu'il n'était pas intraitable (déc. 1583)[86]. Son attitude tranchait avec celle du roi de France, qui laissait à sa mère le soin de régler ce différend, comme s'il n'y était pas directement intéressé. Catherine aurait voulu qu'il intervînt pour avoir plus d'action sur son beau-frère. Mais il s'y refusait ; il n'avait pas pardonné et le faisait bien sentir. L'idée même que sa sœur s'adressât à lui pour demander grâce lui répugnait. Un jour de novembre, Catherine, jugeant l'occasion opportune, s'avisa de lui dire que Marguerite luy eult volontyer ayscript pour le remercier de tent d'honneur qui ly fesouyt (qu'il lui faisait), désignant par là l'ambassade de Bellièvre, mes qu'ele (Marguerite) avoyt eu creynte qu'il ne voleut recevoyr ces (ses) letres, yl (le Roi) m'a dyst — et l'on peut croire avec quelque ironie — mès qu'ele souyt bien (pourvu qu'elle soit bien) avecques son mary, se (ce) sera plus à propos[87]. La Reine-mère, ne sachant trop que conclure de cette réponse ambiguë, s'en remit à Bellièvre de décider s'il serait mieux d'écrire ou non, et, sur le conseil du diplomate, Marguerite implora le persécuteur. Elle prévint sa mère de ce recours, qui devait lui être pénible.... Puisqu'il ne m'a peu aimer par les merites de mon service et de ma très humble affection, j'espère, Madame, qu'ores que je suis accablée de tant de maux et d'ennuis, qu'il m'aimera par pitié, et si les roys, comme l'on dit, sont semblables aux dieux qui aiment les cœurs affligés, le mien lui devra estre fort agréable[88]. Elle disait à son frère : Quittez la passion et vous plaise de considérer ce que, pour vous obéir, m'a fallu endurer.... Encores que je sois vostre sœur et servante et vous mon seul confort, j'espèrerois en la bonté de vous comme roy chrestien, et que Dieu, lequel vous servez si bien, conservera en vous la pitié que vous debvez à tous, et par plus forte raison à moy comme mon roy, auquel je la demande en fléchissant le genou de mon cœur[89].... L'orgueil parla plus haut que la pitié. Henri III voulait que le roi de Navarre reçût sa sœur sans condition. Mais il avait affaire à un habile homme qui, tout en le ménageant, disposait Marguerite à la défense de leur commune dignité. Il importe et pour vous et pour moy qu'on veoye quand nous nous reassemblerons que ce soit de plein gré et sans aulcune apparence du contraire et vous doit suffire de ce qui s'est passé à vostre partement de Paris sans que je veoye rien à vostre arrivée qui lui ressemble. Aussi exigeait-il que les choses fussent remises en l'état qu'elles devaient avant de rentrer en pourparler avec Bellièvre. Elle fera bien de lui en faire instance... Et lors je feroy paroistre à tous que comme je ne fais rien par force, aussy je ne crois rien sur des calompnies[90] (17 déc.). Il lui faisait dire et redire par monsieur de Lusignan de ne s'ennuyer point de ces longeurs et ne les prandre en mauvesse part ; que ce n'est faute de bonne voulonté ni d'amitié, et qu'elle doit désirer pour leur bien et honneur à tous deux qu'il en soit ainsi[91]. Marguerite n'avait pas d'illusions. Elle savait son mari résolu à la recevoir, mais pour un bon prix. Il ne voulait pas qu'on pût dire que sa femme lui avait été imposée de force, ce qu'on ferait nécessairement s'il ne réclamait rien, et n'obtenait rien en échange. Il faut, recommande-t-elle à Bellièvre, que le Roy mon frère fournisse au roy mon mary des raisons de céder[92]. La Cour de France renoua officiellement les négociations[93], mais dans ce même esprit d'intransigeance où l'on sent la hauteur superbe d'Henri III et sa haineuse insouciance des tourments de sa sœur. Bellièvre, qui en fut encore chargé, spécifia, dans sa demande d'audience au roi de Navarre, comme l'unique objet de sa mission, le retour de la reine auprès de lui[94]. Marguerite n'avait jusque-là obtenu que d'avancer jusqu'à Agen, ou elle arriva le 7 décembre et s'installa en attendant mieux. La reprise des débats où son sort était en jeu l'émouvait d'espérance et de crainte. Elle s'adressait à Bellièvre pour avoir des nouvelles. Où était-il ? Avait-il vu son mari ? Quelles instructions apportait Prallon, un des courriers d'Henri III ? ...Je ne puis avoir repos que je ne me voie hors de ce purgatoire que je puis bien nonmer ainsy, ne sachant si vous me mesterés en paradis ou an enfer, mès quoi que ce soit il lest (est) très malaisé que ce soit pis que ce que despuis si (six) mois l'on m'a fait esprouver[95]. Bellièvre avait rejoint le roi de Navarre et pendant trois jours (13-14-15 janvier 1584), il l'engagea vainement à reprendre sa femme sans excuse ni compensation. A cette fin, il fit du renvoi de Marguerite un récit où Henri III apparaissait à peine et comme au second plan. C'est la Reine-mère qui avait invité les dames de Duras et de Béthune à s'en retourner et obtenu de Marguerite qu'elle consentît à leur départ, et c'est elle aussi qui conseilla au Roi de dépêcher après elles pour s'enquérir de leur itinéraire[96]. Bellièvre nia une autre fois que l'exempt des gardes eût dit à la reine de se démasquer[97]. Il parlait avec l'assurance d'un homme qui ne craint pas de démenti, Catherine ayant à cœur de décharger son fils de toute responsabilité, et Marguerite, intérêt à se taire. Le roi de Navarre voyait où tendait cette altération des faits. Il se récria, usant plusieurs fois de ces mots : Oh ! la maigre satisfaction ! Si le roy de France, reprit-il, avoit bonne opinion de la royne sa sœur, il ne l'eust pas laissée partir avec cette escorne de ne luy dire point à Dieu ; ce n'est pas la fasson comme l'on renvoie les sœurs de roy. Bellièvre, avec une belle audace, se dit surpris d'apprendre que le Roi eût refusé d'ouïr la reine de Navarre quand elle lui voulut dire adieu. C'est, riposta le roi de Navarre, une réponse de sophiste. Bon serviteur, mais diplomate timoré, esclave à la lettre de sa consigne, Bellièvre laissa échapper l'occasion de conclure au meilleur marché possible. En effet le roi de Navarre déclara que : bien qu'il n'apparût aucune satisfaction dans ce qu'on lui offrait, toutefois pour faire apparoir à Sa Majesté qu'il luy vouloit obéir et se conformer à sa volonté, il estoit contant de revoir et de se remettre avec la royne sa femme pourveu qu'il pleust à Sa Majesté de faire oster toutes les garnisons qui ont esté mises à dix lieues de Nérac où est sa principale demeure, estimant que pour son honneur et pour sa seureté il ne se peult remettre avec ladicte royne sa femme jusqu'à ce qu'on aye osté les dictes garnisons par lesquelles il pouvoit estre pris et emmené à Paris pour luy estre tranché la teste sur un eschafault ; que si on vouloit avoir sa vie, il la vouloit conserver[98]. Au lieu de le prendre au mot, Bellièvre en référa à Henri III. Son adversaire tira argument de cette indécision. L'Instruction de M. de Clervant allant trouver le roi de France de la part du roi de Navarre, et qui est datée du i8 janvier 1584, est une longue critique du double jeu de Bellièvre dans ces deux négociations, en même temps qu'elle indique les dernières concessions du roi de Navarre. Premier prince du sang, mari de la sœur du roi de France, et même souverain de Béarn et de Navarre, il s'est demis jusque là que de soumettre la satisfaction de son honneur au respect des commandemens de son beau-frère pour le désir qu'il a eu plus de satisfaire à Sa Majesté que d'estre satisfaict en soy mesmes[99]. Henri III et Catherine étaient aussi impatients d'en finir. La Reine-mère trouvait que le scandale avait assez duré ; le Roi n'était intraitable que sur la question d'excuses ; mais, sa dignité ou son orgueil sauf, le retrait des garnisons lui paraissait d'ordre secondaire[100]. Bien qu'il n'en voulût pas convenir, les allées et venues d'émissaires entre les Pays-Bas et le Midi le préoccupaient. Le duc d'Anjou tardait à désarmer ; il avait refuser d'assister à l'assemblée de Saint-Germain, une assemblée de notables, prétextant qu'elle était dirigée contre lui. Sa mère, accourue à Château-Thierry à sa prière, le trouva au lit, brûlant de fièvre, consumé par la phtisie qui, six mois plus tard, le tua. Il lui laissa entendre qu'il serait forcé de vendre Cambrai aux Espagnols si le Roi ne lui donnait pas les moyens d'en payer la garnison. Un mois après elle y retourna pour le calmer. Il accusait Philippe II, les Guise et beaucoup d'autres d'avoir voulu le faire assassiner. On lui avait fait accroire que son frère profiterait de la rupture de son mariage avec la reine d'Angleterre et de ses échecs aux Pays-Bas pour le dépouiller de ses apanages. Et sela le tormente, écrit Catherine, plus que chause qui souyt. Il lui promettait de ne rien faire qui trouble le royaume ni puyse depleyre au Roy, mais, disait-elle, (ce) sont paroles[101]. Il s'intéressait au sort de Marguerite. Le roi de Navarre lui envoya son grand favori, Lavardin, (20 janvier 1584) pour incriminer les atermoiements de Bellièvre et se justifier lui-même de ne pas consentir à recevoir sa femme, en maison empruntée, autrement dit bloquée par le voisinage des garnisons royales. Le Duc lui fit porter la réponse par Fervaques, un de ses mignons. La Cour de France n'avait-elle pas lieu d'appréhender, si elle s'obstinait en son intransigeance, une nouvelle coalition du chef des politiques et de celui des huguenots. Le règlement de l'affaire de Marguerite et le retrait des garnisons devaient les contenter tous deux. Pendant que son ambassadeur tergiversait, Henri III, sans souci de ses instructions, lui expédia l'ordre de faire évacuer les places (janvier 1584)[102]. Le mois d'après, le duc d'Anjou accourait à Paris et, se jetant aux genoux de son frère, jura de lui être toujours fidèle sujet (11 février 1584). La Reine-mère pleurait d'attendrissement de voir ses fils embrassés. C'était l'annonce d'une autre réconciliation qu'elle appelait de tous ses vœux et reprochait à son gendre et aussi au maréchal de Matignon de retarder[103]. Le veuvage ne pesait pas au roi de Navarre. La belle Corisande, comme il appelait Diane d'Andouyns, comtesse de Guiche, d'un nom emprunté à l'Amadis, le consolait de l'absence de Marguerite, mais les nouvelles toujours plus alarmantes de la santé du duc d'Anjou le portaient à se rapprocher de la Cour de France. Premier prince du sang, et, d'après la loi salique, héritier présomptif, si Monsieur venait à mourir, mais hérétique relaps, et à ce titre odieux à la nation catholique, il avait intérêt à ménager le Roi régnant, comme son suprême recours, et à lui résister sans rompre. Marguerite désespérait de joindre ce mari aimable et fuyant. Lui à qui un mensonge politico-sentimental parut toujours peccadille écrivait à sa femme que le temps lui durait autant qu'à elle[104]. Le différend provoqué par le scandale de l'expulsion se termina par un compromis. Henri III consentit à retirer les garnisons d'Agen et de Condom et ne laissa que 50 hommes dans Bazas. Le roi de Navarre garda Mont-de-Marsan, et délivra ses maisons du voisinage des troupes royales. Il fit ajourner encore une fois les questions relatives aux places de sûreté. Au fond, les deux Rois se réconciliaient aux dépens de Marguerite. Le frère avait humilié sa sœur et ne s'en excusait pas. Le mari, sans insister sur la réparation d'honneur, acceptait de reprendre sa femme, quoique barbouillée, en faveur de compensations matérielles pour lui et son parti. Marguerite rentrait en Navarre, après un marchandage de sept mois, amoindrie, déconsidérée, incertaine de son avenir. Que pouvait-elle attendre d'une réconciliation ravalée par tant de calculs d'intérêt, le jour où le roi de Navarre n'y aurait plus intérêt ? |
[1] Lettres missives,
Melle, t. I, p. 446. A comparer avec la lettre de Marguerite qui fait allusion
à ses engagements (Guessard, p. 279).
[2] Lettres missives, p.
449, 21 avril.
[3] Guessard, pp. 279-280, dont je
rectifie la chronologie toutes les fois qu'il le faut.
[4] Guessard, p. 281.
[5] D. Vaissète, Histoire
générale de Languedoc, t. XI, pp. 699-700 et les notes.
[6] Mariéjol, Catherine de
Médicis, pp. 331-333.
[7] Guessard, p. 282.
[8] Et non de mars, comme le dit
Guessard, p. 284 note 1. — Itinéraire, p. 200.
[9] En sa jeunesse, Mayenne était
mince de la tête aux pieds.
[10] Guessard, p. 285.
[11] Et non à la fin de 1578,
Guessard, p. 288, note 2. Voir Anquez, Histoire des assemblées politiques
des réformés, (1573-1622), Paris, 1859, pp. 30-31.
[12] Guessard, pp. 289-291.
[13] Dépêche du 4 juin 1582,
Desjardins, IV, p. 421.
[14] Lady Fleming, une grande dame
écossaise, qui eut d'Henri II un fils, Henri de Valois-Angoulême.
[15] Lettres de Catherine,
VIII, pp. 36-37.
[16] Guessard, pp. 286-287, Henri
III partit pour Bourbon-Lancy, le 11 août 1582.
[17] Desjardins, IV, p. 424.
[18] Duplessis-Mornay, II, p. 119,
23 novembre 1581.
[19] Desjardins, IV, p. 431.
[20] Guessard, p. 453, cf. Lettres
inédites (Bibliothèque de Saint-Pétersbourg), publiées par p. Lauzun, pp.
25 et 27.
[21] Guessard, pp. 454-455.
[22] Guessard, pp. 456-458, même
plainte désespérée, p. 455.
[23] Lalanne, Anecdotes de
l'Histoire de France, pp. 225-226. Ce recueil d'Ana est justement suspect,
comme fait de racontages recueillis çà et là et de paternités douteuses. Mais
quand il s'agit de propos authentiques de Du Vair, certifiés par Peiresc, c'est
un témoignage qui mérite d'être retenu.
[24] Voir Anecdotes de
l'Histoire de France, pp. 211-212, les trames criminelles du Duc contre les
serviteurs qui lui étaient déplaisants ou à charge, Seymer, Vitteaux,
Saint-Luc, Crèvecœur, etc.
[25] Mariéjol, Catherine de
Médicis, pp. 350-351.
[26] Groën van Prinsterer, VIII, p. 167.
[27] Guessard, pp. 290-293. Lettre du commencement du mois de février sans doute, le
carême prenant dont il est question tombant en 1583 le 20 février.
[28] L'Estoile, II, p. 96.
[29] Réaume, Œuvres complètes,
II, pp. 662-663.
[30] Quelles noces ? Est-ce le
mariage qui fut célébré au Louvre le 20 février du comte de Brienne avec une sœur
du duc d'Epernon. L'Estoile, II, pp. 105-106.
[31] Guessard, pp. 470-471.
[32] Guessard, pp. 469-470.
[33] Deux lettres, dont certains
termes sont significatifs, ont été publiées par M. L. Mouton, Un demi-roi.
Le Duc d'Epernon, Paris, 1922, pp. 213 et 216-217.
[34] Histoire universelle,
VI, pp. 169-170.
[35] Œconomies, I, p. 39.
[36] Guessard, p. 473.
[37] Guessard, p. 475.
[38] Guessard, p. 477.
[39] Guessard, pp. 473-475.
[40] Guessard, pp. 477-478.
[41] Guessard, p. 478.
[42] L. II, chap. XXXVII,
éd. Strowski, pp. 609-611.
[43] Desjardins, IV, p. 466, 27
juin 1583 et p. 468 note.
[44] Desjardins, IV, p. 459.
[45] Desjardins, IV, pp. 462-464.
[46] Lettres de Catherine de
Médicis, t. VIII, p. 5, note 5.
[47] Négociations Diplomatiques,
t. IV, p. 463 et p. 464, note 1.
[48] Négociations Diplomatiques,
t. IV, p. 466, 26 juillet 1583.
[49] Chaulnes à 20 k. environ à
l'est d'Amiens.
[50] Lettres, VIII, p. 114,
23 juillet 1583.
[51] 2 septembre 1583, Lettres,
VIII, p. 131.
[52] Négociations Diplomatiques,
t. IV, p. 466.
[53] Kervyn de Lettenhove, t. VI,
p. 468.
[54] Kervyn de Lettenhove, t. VI,
p. 470.
[55] Lettre du duc de Parme du 26
septembre 1583, dans K. de Lettenhove, p. 418. Hors de France le duc d'Anjou
est le plus souvent désigné sous son ancien titre de duc d'Alençon.
[56] Desjardins, IV, p. 466, 27
juin.
[57] K. de Lettenhove, VI, p. 411.
[58] K. de Lettenhove, VI, p. 419,
15 juillet 1583.
[59] Desjardins, IV, p. 466, Lettre
de Busini, 25 juillet.
[60] Lettres, VIII, pp.
116-117.
[61] Lettres, VIII, pp.
107-108.
[62] Duplessis-Mornay, t. II, p. 364.
[63] Il fallait au XVIe siècle sept
à huit jours pour aller du château de Madrid à Sainte-Foy-la-Grande. Lauzun, Itinéraire
de Marguerite, p. 247, oubliant que les messagers n'allaient pas aussi vite
alors que de notre temps, imagine que le roi de Navarre aurait pu savoir le 12
l'affront fait à sa femme le 8 et qui va être raconté.
[64] Lettres missives, t. I,
p. 574. Lauzun conteste sans raison l'authenticité de cette lettre.
[65] Lauzun adopte comme vérité
historique cette scène à l'Alexandre Dumas, Itinéraire, pp. 239-240.
[66] Archives curieuses, t.
X, lettre XXIII, pp. 94-95.
[67] Desjardins, IV, p. 467, 8
août.
[68] Sur cette arrestation,
comparer Duplessis-Mornay, II, p. 369 ; D'Aubigné, VI, p. 171 ; L'Estoile, II,
p. 131 ; Desjardins, IV, pp. 468-469.
[69] Duplessis-Mornay, II, 369.
[70] Lettres, VIII, p. 118.
[71] Lettres, VIII, p. 126,
note 1, 21 août.
[72] A Bellièvre, 21 août 1583, Lettres,
p. 126.
[73] Lettres, VIII, p. 129,
29-30 août.
[74] A Bellièvre, Lettres,
p. 126. Catherine s'adresse à un secrétaire d'Etat très au courant des choses
et des personnes, elle emploie vaguement les pronoms, il, elle, et les
adjectifs possessifs, mais je ne crois pas qu'il puisse y avoir de doute sur
les identifications que je fais.
[75] A Bellièvre, 21 août 1583, Lettres,
VIII, p. 126.
[76] Gaillon, 30 août, Lettres,
VIII, p. 130.
[77] Au chancelier Pibrac, 2
septembre, Lettres, VIII, p. 131.
[78] Duplessis-Mornay, II, p. 367.
[79] Duplessis-Mornay, II, pp. 372-373.
[80] 29 août 1583. Bellièvre à la
Reine-mère, Lettres, VIII, app., pp. 428-429.
[81] A. Garnier, Un scandale
princier au XVIe siècle, Revue du XVIe siècle, t. I, p. 184-186, a établi
que cette ambassade n'est pas, comme quelques-uns l'avaient pensé, une
invention de ce génie orgueilleux. — S'il a vu le Roi à Saint-Germain, sa
réception se place nécessairement après le retour de Bourbon-Lancy, et très
probablement le 19 octobre.
Le
récit de l'audience se trouve dans l'Histoire universelle, t. VI, pp.
171-172, et avec quelques différences de style dans la Confession... de
Sancy, Réaume, II, 350.
[82] Réaume, II, p. 350.
[83] Histoire universelle,
VI, 172.
[84] Garnier, p. 372. Voir les précisions
et les rectifications de Garnier (p. 376 et la note). Les historiens de
Marguerite ont confondu cette première négociation avec la seconde (car il y en
a eu deux), et ils ont l'air de croire que tout s'est passé en un jour.
[85] Lettres, VIII, pp. 164-165,
26 décembre 1583.
[86] Annales du Midi, t. IX,
1897, pp. 143-144.
[87] Catherine à Bellièvre, Lettres,
VIII, p. 155, 21 novembre 1583.
[88] Guessard, pp. 295-296.
[89] Guessard, p. 297.
[90] Guadet, Lettres missives,
Suppl., t. IX, p. 191.
[91] Annales du Midi, t. IX,
1897, lettre VIII.
[92] Annales du Midi, t. IX,
lettre V, p. 14.
[93] Il y en avait eu une
d'officieuse, celle du capitaine Caries (Charles de Birague, cousin du
chancelier). Annales du Midi, t. IX, lettres VII et VIII.
[94] 3 janvier 1584, Garnier, p.
166. Cette seconde négociation de Bellièvre, qu'il ne faut pas confondre avec
la précédente, a été pour la première fois étudiée par M. Garnier, d'après les
mémoires manuscrits du fonds Brienne, vol. 295, f° 247-256.
[95] Annales du Midi, IX,
1897, lettre XII.
[96] Garnier, p. 574.
[97] Garnier, p. 586.
[98] Garnier, p. 586.
[99] Du Plessis-Mornay, II, p.
475-486. L'Instruction de Clervant a été publiée sous le titre de Harangue de
M. de Pibrac pour le roi de Navarre. Il suffit de la lire pour se rendre compte
qu'elle n'est pas un plaidoyer et qu'elle n'est point de Pibrac, mais un
document diplomatique dressé pour un ambassadeur du roi de Navarre allant à la
Cour de France. On la trouvera dans les Mémoires de Deplessis-Mornay,
avec quelques petits changements imaginés par un éditeur ignorant ou un
faussaire pour autoriser la substitution de Pibrac à M. de Clervant. M. A.
Garnier l'a restituée à qui de droit. L'abbé Alban Cabos (thèse de Toulouse,
1922, pp. 436-499) tient pour l'authenticité sans autre raison que de faire
mourir Pibrac, après ce plaidoyer, dans la bonne grâce de la belle reine. Mais
Marguerite a toujours gardé, à tort sans doute, le plus mauvais souvenir de son
ancien chancelier qui jouoit au double, comme
elle le dit dans ses Mémoires écrits en 1599 ou 1600, quinze ans après
la mort de Pibrac (Guessard, p.161).
[100] Garnier, p. 592.
[101] Lettres de Catherine,
VIII, p. 169, 2 janvier 1584.
[102] Henri III à Bellièvre (janvier
1584), Garnier, pp. 592-593.
[103] Lettres de Catherine,
11 mars 1584, à Bellièvre, VIII, p. 176.
[104] Garnier, pp. 597-598, et la note 2 de la p. 598.