§ V. — Résumé et conclusions sommaires relativement aux antiquités de l’oppidum d'Alésia, appelé ensuite Izarndore ou Orindinse, et aujourd'hui Izarnore ou Izernore. Considérons maintenant d'un seul coup d’œil toutes ces antiquités du pays d'Alésia-Izernore, et concluons. Nous avons retrouvé tout près d'Izernore le nom primitif d'Alésia, sous ses deux formes anciennes, usitées encore aujourd'hui oralement Alex et Alès, qui correspondent aux deux formes latines, Alexia et Alésia des auteurs anciens. Nous avons remarqué que le nom actuel d’Izernore ou Izarnore, à peine différent de ce
même lieu, Isarndore ou Izernodore qui signifie Porte
de fer, si on le prend au figuré, est une tradition véridique des
événements qui ont eu lieu réellement à Alésia : tradition qui équivaut
précisément au récit du fait historique, politiquement dissimulé jusqu à un
certain point dans les Commentaires de César, confirmé par l’inscription
des Tables claudiennes et parle rapport de Tacite ; triple témoignage
constatant authentiquement que, de fait, à Alésia-Izernore, les Gaulois
barrèrent le chemin à Jules César qui tâchait de regagner facilement Nous avons reconnu positivement la barrière Nous avons reconnu dans l’oppidum d’Izernore, et même non loin des sources qui sortent de terre dans le village actuel, de grands et nombreux puits avec quelques ossements de troupeaux, traces qui concordent avec le séjour de l’armée de Vercingétorix en ce lieu, et la famine qu'elle y endura. Nous avons reconnu au versant oriental de la colline qui
constitue l’oppidum quelques traces peut-être du mur de pierres sèches élevé
là par Vercingétorix ; mais, à l'extrémité nord de l’oppidum, région où ce
mur aboutissait sur la plaine basse d'environ 3.000 pas de longueur, où il
fut si fatal aux cavaliers gaulois repoussés de cette plaine basse par les
cavaliers germains, région où presque tous les combats eurent lieu durant le
blocus, nous avons trouvé deux noms probablement commémoratifs et du mur de Vercingétorix
et de ce théâtre général de la guerre. Ce sont : 1° un village appelé Condamine-de-la-Belloire, c'est-à-dire : mur du
champ de bataille ; 2° et l'extrémité nord du plateau de l'oppidum appelée
elle-même Nous avons rencontré des ossements humains au milieu d'indices de combats, sur tous les points où l'on a dû combattre d'après le récit de César et la topographie des lieux. Mais surtout, au versant de la grande colline du septentrion, lieu où, d'après les Commentaires, Vergasillaune ne put réussir à s'approcher des retranchements des Romains, plus près qu'à la seconde ligne des pièges, c'est-à-dire, à la ligne des lilia, nous avons retrouvé ce même nom latin, Lilia, resté là sur deux points de la grande colline du septentrion assaillie intrépidement par Vergasillaune ; ce nom Lilia que César seul a employé pour désigner cette sorte de pièges et qu'il a employé uniquement à l'occasion du blocus d'Alésia. Nous avons reconnu dans tout le pays environnant des indices
variés de la population nouvelle qui
est venue occuper la place des malheureux Mandubiens, si douloureusement
expulsés de l'oppidum pour le salut de Dans ce même oppidum qui fut le théâtre de tant de souffrances et de tant de dévouement à la patrie gauloise, nous avons aperçu les ruines d’un splendide monument romain, auprès duquel s'est élevée une petite ville gallo-romaine, ville de luxe, qui a été saccagée avec son monument, une première fois probablement par les Huns d'Attila revenus d'outre-Rhin en 483, puis, une seconde fois, en 739, et détruite alors sans retour par les Sarrasins, les Vandales et les Goths, venus d'Espagne. Nous avons reconnu que ce monument était comme double ; que l'un des deux, intérieur, primitif, très-simple, composé de petits matériaux, avait pu et dû être établi là primitivement, promptement et en peu de jours ; que l'autre, l'extérieur, luxueux, a été tracé comme pour envelopper le premier partout et de très-près, mais sans le toucher et comme en le respectant religieusement : ce qui démontre que l’un et l’autre ont été érigés dans une même pensée de quelque glorieux et mémorable souvenir pour ceux qui en furent les auteurs. Qui a fait élever le premier ? Qui a fait élever le second ? Pour apprécier la réponse que nous allons présenter à cette double question, il convient au préalable de jeter un coup d'œil sur le champ de bataille d'Orgelet. Dans ce lieu, dans lés marais de D'après César et plusieurs autres auteurs anciens, la
bataille y fut acharnée ; César courut personnellement un grand danger et
perdit son épée dans la mêlée ; il fut même, à en croire Servius, enlevé de
son cheval et emporté quelques instants par un cavalier gaulois. Il ne faut
donc pas s'étonner qu'on ait trouvé dans ces marais de Mais n'est-il resté dans la mémoire de nos pères que des
souvenirs de l'ennemi ? Qu'est-ce que ce nom Orgelet, — Orgeletum, — dans les antiques chartes ?
Cherchons-en le radical ; ôtons d'abord la terminaison latine ; puis, la
syllabe intermédiaire, ce diminutif qui peut y avoir été introduit par un
sentiment d'un souvenir affectueux ; il reste Orget.
Déplaçons les deux syllabes, comme l'archéologie en fournit tant d'exemples,
ce radical Orget devient Getor ; c'est le radical même du nom de Vercingétorix.
C'est ce nom vénérable de l'héroïque défenseur de C'est une bien grande décadence que celle d'ORGELET, ville sainte à l’époque celtique ; poste militaire important sous les Romains, centre de l'une des plus vastes baronnies de la province au moyen âge... De son passé, il ne lui reste rien que ses souvenirs et ses légendes. Considérons le promontoire qui porte le nom de Bois d'Italie, inscrit sur toutes les cartes. C'est évidemment là que César dut se placer pour bien voir l’ensemble du terrain et diriger la bataille, avant de s'engager lui-même dans la mêlée. Regardons aussi le mont qui est en face : Vercingétorix, de son côté, dut se placer au pied de cet autre mont. Il porte le nom de Mont d'Orgier. Or, ce mont d'Orgier joue un grand rôle dans les récits populaires des habitants de ces montagnes, pendant les longues veillées de l’hiver ; son nom traditionnel a donc dû être transmis parmi eux de bouche en bouche longtemps avant que personne songeât à le représenter par l'écriture. Et comme, en y remplaçant dans l'écriture la dernière lettre, R, par la lettre T, l'on ne change rien à la prononciation du nom, ce changement nous semble avoir pu être fait sans motif positif. On aurait ainsi Orgiet, et, en renversant les syllabes, Getori et Vercingétorix ; c'est-à-dire qu'on pourrait avoir dans le nom traditionnel de ce mont légendaire un second souvenir du noble Gaulois qui combattit là pour la patrie contre Jules César et ses légions. Regardons maintenant sur le territoire d'Izernore, exactement en face du monument romain qui est là, tourné à l'est. Nous y voyons, face à face, de l'autre côté de la vallée
de l'Anconnans, deux promontoires abrupts qui étaient compris dans l’intervalle
des lignes romaines. C'est précisément là, d'après le récit de César et
l'orientation des lieux, que Vercingétorix fit un dernier et suprême effort
pour sauver son armée épuisée parla famine ; c'est par là que vainement il
tenta de s*ouvrir un chemin pour gagner les montagnes d'Apremont avec cette
armée réduite à la dernière extrémité ; et c'est là, hélas ! que Or, entre ces deux promontoires que nous venons d'indiquer, on voit déboucher une petite vallée du fond de laquelle arrive au dehors un tout petit ruisseau qui va se jeter dans l'Anconnans ; et, sur la rive gauche de ce ruisseau, le bois qui couvre ce versant dans la petite vallée, garde le nom traditionnel de bois d'Orgevet, où l'on reconnaît de même Vegetor et Vercingétorix. Ainsi, en résumé : Orgelet, Orgier ou Orgiet et Orgevet, voilà sur trois points de la traversée des monts Jura ce grand nom de Vercingétorix plus ou moins reconnaissable, et inscrit là par nos pères, aux endroits mêmes où l'héroïque chef des Gaulois combattit si vaillamment pour la liberté nationale. Mais ce qui nous parait confirmer notre opinion bien plus encore que l'examen archéologique de ce grand nom trois fois répété, c*est que, de fait, il se trouve répété précisément sur les trois points où les événements ont dû le graver ; et que, nulle part ailleurs dans ces contrées, on n'aperçoit aucun autre nom analogue à ces trois noms similaires, Orgelet, Orgiet, Orgevet, qui se succèdent pour amener l'historien à la place fatale où César condamna et immola Vercingétorix. Nous venons de dire que c'est directement en face du ravin d'Orgevet qu'est tourné le monument d’Izernore ; c'est là, pour ainsi dire, qu'il regarde, et cette orientation est pour nous un nouvel indice qui, joint à tout ce que nous avons dit plus haut et du monument primitif et du riche monument élevé ensuite, nous porte à considérer comme très-probable que : 1° Le monument primitif a été élevé là par les légions de César, hâtivement et à l'époque même de leur triomphe, et que ce monument, dédié à Mars, devait être la consécration de ce triomphe, ainsi que l'atteste ce bloc de pierre grossièrement taillé qui en a été arraché, et dont ni le temps, ni les eaux de l’Ognin n'ont pu effacer ce mot significatif : OVANTES ; 2° Que le monument élevé ensuite autour du premier, dans des conditions particulières de richesse et de magnificence, a été probablement l'œuvre d'Auguste, après la bataille d'Actium, lorsqu'il se vit seul maître du monde. Le neveu, devenu tout-puissant, devait bien cet honneur à l'oncle, qui avait frayé devant lui la route du pouvoir despotique. Quoi de plus naturel, pendant que, d'une part, à l'entrée
du golfe d'Ambracie et en face du promontoire d'Actium, Auguste se glorifiait
lui-même en se faisant élever sa ville de FIN DE CÉSAR EN GAULE |