TALLEYRAND ET LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE

Tome second : Vienne - Paris - Londres - Valençay

 

CHAPITRE QUATRIÈME. — L'HEURE DE LA RETRAITE.

 

 

Retour de Londres. — Ce qu'on avait souhaité, ce qui fut obtenu. — Talleyrand poursuivra-t-il sa mission, malgré son âge et malgré... Palmerston ? — Sur le conseil de Mme de Dino. — Déception à la Cour, en y recevant la lettre de démission du prince. — Les motifs qui l'ont dictée. — Instances pressantes du roi et de sa sœur Madame Adélaïde pour le décider à revenir sur sa détermination. — Persistance de Talleyrand à s'y maintenir. — Une conversation vive sur ce sujet, aux Tuileries. — Le tête-à-tête du diplomate en désir de repos et de la princesse femme d'État. — Raisons objectées de part et d'autre. — Talleyrand ne retournera pas à Londres. — Comment il emploiera les heures de cette retraite. — La suite de ses réceptions parisiennes. — Propos de table et d'intimité. — Rôle officieux de Talleyrand dans la politique du jour. — Visites et promenades. — A l'Institut. — Une séance mémorable. — Dernières mondanités.

 

On avait obtenu l'essentiel. Le rapprochement si longtemps retardé de la France et de l'Angleterre s'était réalisé, dans les termes que l'ambassadeur de Louis-Philippe avait souhaités et conclus. L'indépendance de la Belgique proclamée en face de l'Europe avait été, en grande partie, son œuvre. Aussi fermement que le lui prescrivaient les instructions reçues des Tuileries, il s'était opposé aux empiétements des influences germanisantes. Afin qu'elle ne pût être enlacée dans ces liens, il avait fait établir que la Belgique serait libre, entièrement libre et perpétuellement neutre. Enfin, par ses soins se trouvait ratifié le traité de la Quadruple Alliance, liguant — en principe, sinon d'une manière effective — les intérêts des puissances occidentales contre la poussée des peuples du Nord.

La Cour ne lui avait pas ménagé, pour avoir si bien secondé les intentions du roi, ses compliments et ses éloges. Il avait rendu viable une idée, dont Louis-Philippe se flattait d'être le père en lui laissant l'honneur d'en être le parrain. Le roi le lui répétait à plaisir : il avait fait merveilles pendant son ambassade, et il ajoutait. — ce qui dépassait les désirs de Talleyrand — qu'il espérait le voir continuer et parachever son œuvre.

En outre, la considération européenne dont le prince était environné, l'audience extraordinaire dont il jouissait dans le monde, avait encore grandi, s'augmentant de tout ce qu'y devait ajouter l'autorité de l'âge. On voyait en lui le doyen et l'arbitre de la diplomatie. Il ne pouvait aller ni plus haut ni plus loin. Et Palmerston n'aurait pas été d'humeur à l'y aider. Ce fut le moment qu'il choisit pour descendre de la scène politique.

Il l'eût retardé, cc moment-là, d'une année ou de deux peut-être, sans les exhortations concordantes de Mme de Dino, dont les instincts se trompaient rarement, quand il s'agissait de la renommée ou des véritables intérêts de son oncle et qui, tantôt de vive voix, tantôt sous la forme d'une lettre raisonnée, le pressait de ne point laisser passer l'heure de se retirer en plein succès, en pleine gloire. Or, elle en parlait d'un entier désintéressement. Elle avait d'autant plus de mérite à lui communiquer ces réflexions sages qu'elle se plaisait fort à Londres, qu'elle y était l'objet des attentions les plus flatteuses de la haute société, et qu'elle devait en emporter un réel et personnel regret.

Aux approches de l'hiver 1834, comme il se sentait plus las que d'habitude et qu'en surplus il voyait se former, du côté de la nouvelle politique anglaise, des causes de gênes et d'embarras qui, les eût-il écartées avec beaucoup de peine, ne se fussent pas retournées en avantages moraux équivalents pour lui, il prépara son abdication diplomatique[1].

Dès sa rentrée, à Paris, il avait rouvert ses salons à la haute société française et étrangère ; mais ceux qui connaissaient bien Talleyrand s'aperçurent qu'il y avait quelque chose de modifié dans la direction de son esprit.

Quoique parvenu à cette extrême limite des forces humaines, où l'on doit mesurer chacun de ses pas et chacun de ses efforts, il aurait entrevu, dans une époque moins agitée, les moyens de s'occuper encore utilement et sans sortir de France, des intérêts publics ; il y eût goûté de suprêmes douceurs. Mais, en des temps aussi troublés, où les luttes des partis revêtaient un caractère aussi âpre — et pour quelles solutions douteuses ! — il aurait eu à fournir des réserves d'énergie, qu'il savait ne posséder plus, au physique.

Depuis quelques mois, le fonctionnement de son cœur n'était rien moins que paisible et régulier. Des étouffements le surprenaient, tout à coup, pendant qu'il parlait ou marchait. Il était exposé à des syncopes. Se reprenait-il d'un impatient désir d'être et d'aller, comme autrefois : il considérait l'état décharné de ses jambes et leur dépérissement, qui l'obligeaient aux longues stations dans le fauteuil. Il devrait donc s'y résigner ! Ce serait, avant peu, l'assoupissement de la vie de château, majestueuse et calme, mais dont la sérénité apparente serait traversée de trop de souvenirs pour n'y pas inspirer de regrets.

Nous le répétons, il n'était pas venu sans hésitation à écrire, le 13 novembre, la lettre datée de Valençay, réfléchie longuement, suspendue, retenue à plusieurs fois, avant d'être envoyée et enfin adressée au ministre des affaires étrangères, pour le prier de faire agréer au roi sa démission d'ambassadeur.

Cet acte de renonciation politique, on l'avait pensé, rédigé entre soi, dans l'intime. La duchesse de Dino tenait la plume ; Boyer-Collard y avait introduit quelques mots d'une impression profonde ; et Talleyrand, après avoir rappelé ses derniers services rendus, l'avait close sur un adieu définitif imposé par le devoir et la nécessité.

Tel, au mois de juillet de la même année, lord Grey avait prononcé solennellement, devant la Chambre haute, son renoncement à la politique active.

Talleyrand avait l'art de résumer les cas et les situations on il était engagé, de façon à ne se donner jamais le mauvais rôle. En quittant les affaires, il tint pour agréable de se persuader à lui-même qu'il n'y avait plus d'affaires, que la paix étant réalisée, l'alliance avec l'Angleterre accomplie, le continent tranquille, il n'aurait plus à pratiquer que la politique des bras croisés, et que mieux valait-il en abandonner à d'autres le profit sans éclat. Il l'exprimait, à ne pas s'y méprendre, dans une lettre qu'il avait envoyée des bords de la Loire aux bords du Mein, à son vieux complice en diplomatie, le baron de Gagern[2]. Il continuait sur ce ton avec la sincérité du diable devenant ermite, on sait quand et pourquoi. Ah ! combien regrettait-il que son contemporain d'âge eût planté sa tente si loin de la sienne ! Ensemble, ils eussent remonté le cours des ans révolus, en plein abandon et toute confiance ; ils auraient conversé, philosophé, voire sentimentalisé. Tant de souvenirs leur étaient communs ! Seulement, il était là-bas, et trop large était la distance qui les séparait l'un de l'autre.

Beatus ille, qui procul negotiis ! ... Il s'efforçait en conscience d'en imprimer la conviction dans son cœur, mais pas si complètement qu'il n'y gardât au doute une petite place, pour des retours éventuels, pour des acceptations possibles, comme d'une ambassade à Vienne, par exemple. Car, il en aura des velléités sérieuses, pendant cette année 1834 et la suivante.

Dernières indécisions, derniers tressaillements de la fibre ambitieuse, qui n'est pas encore tout à fait amortie. Tournerait-il, une seule dernière fois, ses vues vers le mouvement actif ! Ou se confinerait-il immédiatement dans la monotonie d'une existence de campagne ? Anxieux d'en décider, il ne se croyait pas mûr pour tant d'abnégation, quoiqu'il eut franchi le pas de sa quatre-vingtième année. Enfin, tous comptes faits, il s'était démis de ses charges — en ne retenant que les pensions.

Sa démission n'avait pas été acceptée aussi simplement qu'il l'avait donnée. Déjà fort peiné d'en apprendre la nouvelle, le roi s'était refusé à rompre les cachets de sa lettre, parce qu'il espérait bien qu'elle n'aurait pas de suites. Madame Adélaïde ne voulait pas en entendre parier ; elle se plaignait d'une retraite qui, dans les conditions où elle était annoncée, ressemblait à une défection. En de fréquentes missives, elle le pria de revenir sur une détermination fâcheuse pour tous. Avec beaucoup de force et d'insistance, elle l'exhortait, au nom de son souverain, pour son pays, d'oublier ce qu'il appelait le mauvais état de ses jambes et à faire taire ses antipathies de personnes. Elle le lui avait redit, maintes fois, depuis l'année précédente. Il connaissait les sentiments du cher roi, son frère. Elle ne lui dissimulait point qu'on attendait encore beaucoup de lui, dès que sa santé et ses affaires lui permettraient de reprendre un poste, où il lui restait à rendre de derniers et éminents services. Talleyrand n'en persévérait pas moins à demander qu'on le laissât se retirer d'une combinaison, qui ne convenait plus à son âge ni à ses dispositions d'esprit. Répondant à la princesse sans ambiguïté, clairement, poliment, lui parlant à la troisième personne en courtisan respectueux du cérémonial, il résistait et fournissait ses raisons. Les conditions de cette santé, à laquelle Mademoiselle daignait s'intéresser, la faiblesse de ses jambes, dont il était obligé de l'entretenir, les réflexions prévoyantes de Mme de Dino et la mort de son amie, la princesse Tyskiewicz, qui l'avait profondément impressionné, tant de causes réunies l'obligeaient à maintenir sa démission.

Non, je ne retournerai pas à Londres. J'y ai fait ce que je voulais, ce que je croyais utile, à l'époque où j'y ai été. A présent que cela est fait, non, décidément, il ne me convient plus d'y retourner.

Ses projets d'avenir étaient bien arrêtés. La vie de Paris y entrerait pour une faible part Il resterait beaucoup de temps à Valençay, un peu aussi à Rochecotte et très peu aux eaux. Il mènerait la vie ordonnée, sans secousse, qu'exigeait sa constitution délabrée.

Désespérant de lui faire entendre raison par lettre, Madame Adélaïde le manda aux Tuileries, une après-midi de 1834, comptant bien sur l'éloquence persuasive qu'elle pensait avoir, pour triompher enfin de ses craintes et de ses résistances. L'entrevue fut longue et agitée.

Il nous semble les voir, les entendre l'une et l'autre, attaquant et se défendant, éveillant en sens contraires les arguments, qu'ils se sont opposés, un mois durant, sur le même sujet.

Madame Adélaïde est d'esprit grave. On la sent passionnée pour la chose publique. Sa parole va droit au fort de la question. Elle a des côtés d'homme d'État et en fait montre. Elle a commencé par chapitrer Talleyrand sur l'obstination de son refus. Le roi lui a écrit en personne, deux et trois fois, pendant que le prince était à Valençay, lui répétant qu'il attendait son retour à Paris, pour annuler, en sa présence, sa lettre de démission encore cachetée. Qui pourrait, en effet, le remplacer dignement, à Londres ? N'était-ce point là sa véritable mission et le couronnement de sa vaste carrière ?

En vérité, j'avais plus de confiance en votre affection pour le meilleur, le plus honnête des hommes et des rois. Mon frère me disait, il y a peu de jours, que de toutes choses votre démission était ce qui lui faisait le plus de peine, ce qui pourrait lui faire le Plus de mal. Mais vous aggravez, pour un souci personnel, les déboires qui l'envahissent dans un moment où chacun l'abandonne, où l'intrigue, l'ambition et j'ajouterai le manque de courage se liguent pour l'isoler.

Le diplomate se dérobe, en ses explications :

Je serais, en effet, inconsolé, répond-il avec une sorte d'effacement modeste, que ma retraite pût être nuisible aux intérêts du roi ; mais, sous ce rapport, quoique Mademoiselle veuille bien en dire, je suis sans crainte. Si un malheureux concours de circonstances a paralysé le peu de bien que j'aurais pu faire, j'ai une opinion trop haute de son habileté et de ses lumières, pour ne pas croire qu'il saura bientôt y porter remède.

Madame Adélaïde n'accepte pas cette feinte. Il jure de sa sincérité, proteste de son dévouement à la cause du roi, de son attachement à la personne de Mademoiselle et prie seulement qu'on se contente des preuves qu'il en a données sans en exiger de nouvelles, qui ne seraient plus dans la mesure de ses forces.

Il y a nécessité pour moi, nécessité absolue de me reposer, avant de finir.

Et il expose une autre raison dont Mme de Dino pourrait indiquer la source : sa préoccupation très légitime de ne pas nuire à sa considération personnelle en prolongeant une action, désormais, sans objet.

Quelle nécessité Mademoiselle voit-elle donc à ce que je me rende, une dernière fois, à Londres ? Je suis bien vieux. Quiconque aura reçu de Sa Majesté des instructions précises s'y tiendra autant que lui-même. Mon amour-propre a peine à se persuader que je sois seul indispensable aux affaires actuelles un peu confuses, embarrassées à un certain point, mais qui se débrouilleront en détail, pourvu qu'on y apporte de la suite et de la méthode.

D'ailleurs, est-on si persuadé à la Cour qu'il soit l'homme irremplaçable ? Lors de son dernier séjour à Valençay, il lui semblait bien que le duc d'Orléans lui aurait plutôt laissé entendre qu'il ne pourrait plus être utile, à Londres.

Son Altesse avait raison, du reste, si telle était sa pensée, quoique ses paroles ne l'exprimassent point. Le poids de l'âge m'accable. Je suis infirme, et je m'attriste de la rapidité avec laquelle je vois ma propre génération disparaître. Homme d'un autre temps, je me sens devenir étranger à celui-ci.

Cependant, la princesse s'est étonnée de la précédente allégation ; elle la relève avec une certaine vivacité :

Le témoignage de Chartres est-il celui que cous supposez avoir pressenti ? S'il a reconnu, avec vous, que nous avons, depuis quatre années, tiré de l'Angleterre tout ce qu'elle trouvait nous donner d'utile, cela veut-il dire qu'on en ait conclu que vous ne soyez pas en mesure d'en maintenir les résultats et d'en écarter des éventualités préjudiciables ? Hier, vous déclariez qu'entre lord Palmerston et vous les rapports étaient malaisés, que vous ne vous plaisiez guère l'un l'autre, et que le service du roi souffrirait le cette mésintelligence. Mais les intrigues et l'esprit de division de Palmerston ne sont plus à craindre, pour l'instant. Ce ministère est clissons. Le roi a rappelé le duc de Wellington. Vous devez vous souvenir que j'ai été la première à vous en avertir, quand personne ne le savait encore. Il me semble qu'un tel et si radical change-nient aurait dit vous l'aire revenir de votre man valse idée.

Surprise et fâchée de son peu de succès, Madame Adélaïde en arrivait aux reproches. Le débat s'échauffait ; il en vint à prendre un caractère acerbe et opiniâtre. Des paroles regrettables s'étaient échappées des lèvres de la princesse, tournant sa plainte, — comme l'exprime une lettre inédite de Cousen, que nous avons sous les yeux — en prévision de traîtrise. Qu'avait-elle insinué ? Où tendait la fin de cette mercuriale ? Talleyrand voulut se lever et gagner la porte. Les jambes lui manquèrent ; il n'avait plus la force de faire un pas. On dut le ramener chez lui et le mettre au lit. L'excès d'une colère contenue lui avait donné la fièvre.

Heureusement, cette émotion vive devait être de courte durée. La brouille entre Talleyrand et la sœur du roi fut suivie d'un prompt raccommodement. Avec sa franchise habituelle, Madame Adélaïde reconnut qu'une partie, au moins, des empêchements objectés par le prince était fondée. Elle lui rendit son amitié sans condition. On ne lui parla plus d'aller à Londres, ni dans la cité impériale chère à M. de Metternich. Vienne aurait plu à Mme de Dino, que sa raison seule avait pu consoler de quitter Londres, où elle était environnée de tant d'égards et, d'estime. Mais l'heure était passée d'y songer. Une telle perspective était, maintenant, hors de question.

§

A travers ces conjonctures, Talleyrand n'avait pas suspendu ses réceptions parisiennes. Comme auparavant, ses soirées se signalaient, au premier titre, par l'excellence du goût et par une abondance vraiment magnifique. Qui n'envierait la faveur de pénétrer dans les salons de cet entresol historique où, tout à l'heure, se préparaient les partages de l'Europe ? Les personnages de distinction s'y empressent, à l'envi. Lui-même s'en détache et s'impose aux regards, se tournant tous vers lui. La belle parvenue du temps passé, qui s'est appelée la princesse de Bénévent, n'est plus à sa place accoutumée, les pieds sur le coussin brodé de ses armes et recevant avec un air de grandeur nouvellement acquis, les hommages qui s'adressaient, par-dessus sa tête, à son illustre époux. Mais une autre la remplace, que nous connaissons bien, une véritable grande dame celle-là, distribuant et nuançant, selon l'âge ou la qualité des personnes, ses grâces prévenantes.

Les propos, qui s'échangent en ces lieux, vont, de prédilection, à des sujets sans frivolité. On converse avec feu, dans le coin des hommes politiques. Là doit se nouer plus d'une intrigue pour ou contre telle combinaison ministérielle. Et le comte Molé le sait bien, lui qui s'en plaindra, après en avoir été l'observateur intéressé. À surprendre des mots qui volent, des espérances qui se lèvent, des retours imprévus de Talleyrand, que la chaleur de la discussion galvanise, à considérer ce spectacle et ces personnages, il ne semblerait pas, vraiment, que le principal d'entre ceux-là se soit, la veille, retiré du grand théâtre.

D'une santé trébuchante, le prince avait gardé intacte la fermeté de son esprit. Il observait avec une attention non exempte d'inquiétude les troubles de la situation intérieure, les mouvements criminels tentés contre la vie du roi, l'état d'esprit qui les avait suscités, et les premiers symptômes d'événements, qui comporteraient des menaces prochaines contre la stabilité du trône.

quels soubresauts imprévus, à quels attentats répétés et sans raison se voyait exposé l'accord intervenu, depuis les barricades de juillet 1830, entre le trône et la rue ! Parmi ces honnêtes gens, que leur sort conduisit aux Tuileries, en ce temps de la monarchie constitutionnelle, qui fut vraiment un temps de liberté, n'était-on pas en droit de se demander d'oie venaient tant de colères et de haines contre eux ameutées ? Ils n'avaient que le souci du bon et du juste et, cependant ils avaient à se garder comme des tyrans[3]. L'autre jour encore, n'avait-on pas tiré sur les ducs de Chartres et de Nemours, si populaires, pendant une promenade qu'ils faisaient, au centre de la ville ? Des armes sont dirigées, des détonations éclatent, visant la poitrine du plus tranquille des monarques. Après l'attentat de Fieschi, Talleyrand n'avait pas négligé de se rendre, accompagné de Mm de Dino, chez la reine. Une profonde tristesse habitait les cœurs de la famille royale. L'impression était lugubre, au Château, et contrastait avec l'animation des rues. Ils abrégèrent leur visite autant que le permettaient les convenances.

Cependant, on parlait toujours de l'influence conseillère de M. de Talleyrand. Dans ses déplacements entre Paris, Rochecotte, Valençay, ne faisait-il que traverser le champ de bataille des partis, on bâtissait des imaginations, aussitôt, sur le seul fait de sa présence. Lors de la constitution du ministère de 1836, Thiers en tête, tous les journaux le désigneront comme l'auteur de la combinaison ; et, conséquence logique, mais, pour lui, fort désobligeante, le public lui en renverra toutes les responsabilités.

Sa mauvaise humeur s'en accroissait contre Paris, contre, les publicistes parisiens et un, peu aussi contre les inconvénients de son grand âge, et plus encore contre la position douteuse, que lui infligeaient des gens mal informés.

Néanmoins, il continuait à recevoir, plusieurs fois la semaine, pendant l'hiver, dans les salons en enfilade, dont les fenêtres donnaient sur la rue de Rivoli. Depuis qu'il avait signifié sa retraite, l'aspect de ses dîners n'avait guère changé, quant au choix des convives et à l'esprit général de la conversation. Comme autrefois, la politique y détenait la place prépondérante, animée de ton, prompte à se passionner sons le couvert des mots polis. C'est ainsi qu'à l'une de ces réunions dînatoires, le 20 avril 1836, s'étaient pris de paroles deux adversaires déterminés : Armand Bertin et Thiers. La discussion avait monté de ton rapidement, entre ces jouteurs. Oubliant et les vins vieux et la chair exquise, ils se croyaient sur la brèche ; l'un à l'autre ils se renvoyaient de fiers défis. Par un malin plaisir Talleyrand ne faisait rien pour ralentir leur humeur combative. Mme de Dino, qui ne savait plus quelle contenance garder, dut s'interposer, tout d'un trait, pour rompre le combat.

Aux heures tranquilles du jour, le prince lisait dictait, ou simplement s'entretenait avec Mme de Dino sur ce qui vivait et passait.

Les sujets ne manquent point à leurs intimes causeries.

Que font les Flahaut ? C'est une des questions qu'ils se posent, entre temps. Naguère la maladie est entrée chez ceux-là. Leur seconde fille est au plus mal[4], ce qui n'empêche Mme de Flahaut de recevoir une infinité de monde et de s'affairer plus que jamais dans les coulisses de la politique. Mme de Liéven, une amie de Talleyrand, s'en étonne devant lui ; elle en exprime tout haut sa surprise, accompagnée d'une moue de réprobation, comme si vraiment cette entreprenante personne ne se connaissait pas elle-même. D'ailleurs qu'il s'agisse de la femme ou du mari, Mme de Dino n'en échauffe ni plus ni moins le froid de ses sentiments, à leur endroit[5]. En voudrait-elle au général de Flahaut, fils supposé de Talleyrand — au temps où le diplomate était évêque d'Autun —, d'être rapproché par les liens secrets du sang, c'est-à-dire plus qu'elle-même, de celui dont elle avait fait l'idole, sinon de son cœur, du moins de son intelligence et de sa raison ? Le certain est qu'elle ne l'aime pas, qu'elle souligne de préférence ses côtés faibles et note avec plus de satisfaction ses échecs que ses succès. Il lui aura été particulièrement agréable d'apprendre, coup sur coup, que ni le ministère des Affaires étrangères ni l'ambassade de Londres n'étaient allés entre ses mains, quoiqu'il eût convoité l'un et l'autre.

Mais combien d'autres réflexions à échanger sur le spectacle contemporain, les rivalités de salons, ou les aigreurs de polémiques divisant les groupes ministériels en autant de fractions ennemies, sous les bannières de leurs chefs : les Molé, les de Broglie, les Thiers, les Dupin même ! De divergences profondes, il n'en existe point, à proprement dire ; des nuances légères les séparent, quant aux doctrines ; mais, que les intérêts personnels élargissent le fossé ! Comme ils se haïssent, comme ils se jalousent et se déchirent !

A la Cour, on n'a jamais témoigné tant de considération au prince que depuis qu'il a cessé d'y venir, sous une désignation officielle. Le roi ne sait quelles attentions lui prodiguer. Il a commandé, naguère, pour embellir sa demeure de Valençay, un portrait en pied de François Ier, sous le règne duquel Jacques d'Estampes édifia le château ; il a voulu aussi qu'on y fit parvenir, telle une relique royale, le fauteuil qui servit à rouler Louis XVIII dans les appartements des Tuileries. Sans tarder, il lui enverra son propre portrait, l'un des meilleurs qui soient sortis de la palette de ses peintres[6]. Une correspondance régulière s'est établie entre l'homme d'État au repos et Madame Adélaïde ; elle l'instruit de mille détails intéressant la vie intérieure du palais ou les rapports mutuels des princes et princesses des différentes cours. Il répond sur ces nouvelles officieuses et les commente par la plume de la duchesse, qui reçoit avec résignation le surcroît de besogne. Gazette épistolaire appréciable que celle-là, et lui venant d'une si noble source ! Comment se portent et se comportent les princes ; quelles inquiétudes a données, récemment, la santé de Chartres, comme on continue d'appeler, dans la famille royale, le cher duc d'Orléans ; quels espoirs sont fondés sur les nouveaux arrangements ministériels jusqu'à ce que ces cinq têtes raisonnables, heureuses, aujourd'hui, de travailler de concert au bien commun, soient fatiguées de se voir ; ce qui se mène ou se projette d'essentiel au Conseil, ou à la Chambre : il en est informé le plus exactement du monde, sans qu'il ait besoin de se mettre en frais pour le savoir.

Ses avis sont recherchés et du plus haut qu'ils puissent l'être. Comment a-t-il trouvé dernièrement, les adresses des Chambres au roi et les réponses que Sa Majesté leur a transmises ? En tout cas d'importance, on tient à recueillir son appréciation personnelle, au Château. Et la très écrivante Madame Adélaïde ne cesse point de lui réitérer les assurances du prix qu'on y attache, autour d'elle. Lui-même est-il en humeur de causer[7], la plume en main, il prend sur soi de répondre à la femme d'État qu'est la sœur du roi, l'éclairant par des considérations précises sur ce qu'il y aurait de mieux à faire, ici ou là, sur la conduite qu'il serait sage de tenir, vis-à-vis de telle ou telle puissance étrangère, ou le sens qu'il faudrait accorder à de certaines finesses de chancellerie ; et le temps qu'il a passé à l'écrire n'aura pas été perdu pour ses correspondants. Mais il ne voudra toujours pas retourner à Londres ; il n'aura plus envie d'aller à Vienne ; et c'est le point noir de ses relations avec la famille royale, malgré qu'on eût l'air de n'y plus penser.

Dans les entrefaites, et suivant l'ordre naturel des choses, se produisent nécessairement, des naissances ou des morts affectant la haute société, qui est la sienne et celle de la duchesse. On en prend note, on en écrit, selon la règle et les convenances. Il n'y a guère, Talleyrand a fait tenir des condoléances à lord Wellington, sur la perte de sa mère : lady Mornington s'était éteinte, en sa quatre-vingt-dixième année. Un grand deuil, mais dont la tristesse fut courte, presque légère, au cœur du héros. En général, Talleyrand et sa nièce témoignent d'une sensibilité d'âme très faible pour les disparitions, qui ne les touchent pas en propre, dans leur famille ou dans les relations coutumières devenues un des besoins de leur vie.

Il réapparaissait, de loin en loin, en l'hôtel de la rue de l'Union, où avait élu résidence Flahaut, lieutenant général du roi, pair de France et le souvenir vivant — quoique Talleyrand n'en soufflât mot — de sa liaison avec la comtesse de Flahaut, quand il portait des bas violets. Le salon de l'ancien aide de camp de Napoléon avait été le rendez-vous de la noblesse militaire du premier Empire. Les visiteurs changèrent d'insignes sous la monarchie constitutionnelle. Ils y venaient en aussi grand nombre qu'autrefois, avec une cocarde différente ; et Mme de Flahaut très agissante ne laissait inemployées ni l'influence personnelle[8] ni les ambitions diplomatiques de son mari. Le prince ne semblait pas attaché au général de Flahaut par un rappel du cœur bien puissant. Il permettait qu'à sa table Mme de Dino, en particulier, ne le ménageât guère, lorsque ce nom revenait dans la conversation. Mais il se devait à lui-même de se montrer dans la maison où, de ses petits yeux gris scrutateurs, il voyait poindre l'étoile d'Auguste de Morny, son petit-fils.

Par hasard, si l'état du ciel et de sa santé n'y mettait pas obstacle, il faisait atteler, emmenant avec lui sa petite-fille Pauline de Périgord. De préférence, il dirigeait la promenade vers les quartiers de Paris, qui lui remémoraient ses plus anciens souvenirs. Son cœur desséché s'y réchauffait. A sa jeune compagne il indiquait en passant la maison du faubourg Saint-Jacques où de vivre il eut permission, pendant les quatre premières années de son enfance, dans le logis d'une femme du peuple, sa nourrice. Le vieux collège d'Harcourt aussi l'attirait ; volontiers son équipage en frôlait les murailles, quand une impulsion plus forte ne le ramenait point aux alentours de Saint-Sulpice. Tout l'intéressait, en ces parages : la rue Garancière où il était né, la rue Férou où il avait aimé, pour la première ou deuxième fois, — ce qu'il ne disait point à Pauline, — et l'austère façade du séminaire, qui lui fut une prison, quand il s'y voyait enfermé, et qui lui devint une chère image, lorsqu'il en fut sorti. Là s'élevait la chapelle, où il fut baptisé. D'ici l'on apercevait la fenêtre de sa cellule de séminariste. Il la reconnaissait bien ; souvent, il s'y était penché, l'esprit songeur, ou guettant le passage de sa tendre voisine de la rue Férou, Mlle Luzy.

La politique en chambre, les réceptions, la promenade, la lecture et les choses d'Académie se partageaient ses heures. Aux débuts de l'an 1836, une question du jour l'occupe fortement : c'est de faire recevoir Molé à l'Académie française. Heureux Molé ! Talleyrand et Royer-Collard n'ont qu'une seule vue en sa faveur. Les partis politiques les plus contraires s'harmonisent dans le désir de l'y pousser. Déjà Villemain s'apprête à lui donner la bienvenue[9].

Pareille sollicitude animera le prince à l'égard d'Alexis de Tocqueville, qu'il souhaitera vivement avoir pour collègue à l'Académie des Sciences morales et politiques. Il se rendra tout exprès à la séance du vote, afin de lui assurer sa voix. L'élection souffrira des difficultés. Talleyrand en recevra quelque dépit et Tocqueville plus encore. Mais ce dernier est philosophe ; il trouvera des raisons majeures pour se consoler de son échec du moment. A lui, petit-fils de M. de Mailles-herbes, était-ce une perspective si flatteuse et si douce que d'aller siéger, parmi d'anciens conventionnels, au sein d'une assemblée encore entachée de jacobinisme, et qu'il jugera mal composée, tant qu'il n'en fera point partie ?

Lui-même Talleyrand, fréquentait les réunions de l'Institut aussi souvent que lui permettaient la fréquence de ses déplacements ou les vicissitudes d'une santé, qui se rendait de plus en plus fragile. Il y fit une apparition sensationnelle, très annoncée d'avance, le 3 mai 1838, lorsqu'il vint lire à l'Académie des Sciences morales, bien peu de temps avant sa mort, son fameux Éloge de Reinhardt, qui, sous les traits embellis d'un personnage de second ordre, tendait à l'idéalisation transparente de sa propre image. Ce fut son dernier triomphe. Tous les personnages d'importance, dans la politique, dans la diplomatie, dans les arts, avaient recherché l'honneur d'assister à cette séance inoubliable. Pas une seule place n'aura pu être réservée à l'élite de la société féminine si curieuse de ce genre de spectacle, l'espace étant déjà trop réduit pour y recevoir tant d'illustrations, tant de personnalités avides d'entendre la suprême manifestation en public du génie de Talleyrand. L'illustre vieillard est arrivé jusqu'au seuil de l'enceinte, porté par deux domestiques en livrée. L'huissier, d'une voix forte annonce : le Prince ! Tous les assistants se sont levés et l'acclament, debout. Il parle ; on l'applaudit, d'enthousiasme, de l'exode à la péroraison. Voltaire ne se fût pas mieux exprimé, a dit Victor Cousin. Oui, c'est du pur Voltaire répétera le fondateur de l'éclectisme. Et, quand il aura terminé, à la louange de l'incolore Reinhardt, son propre et discret panégyrique, quand il aura repris, appuyé sur sa béquille, le court chemin menant à la porte où l'attendent ses serviteurs, tous les fronts se courberont, respectueux de son grand âge, de sa gloire, de ses vertus régénérées.

Quelques rares et derniers salons l'attiraient. On le revoyait aux Tuileries. Il allait en visite chez le roi et surtout chez sa sœur Madame Adélaïde. Il assistait à des réceptions de la Cour, tout embourgeoisées qu'elles lui parussent[10]. Et puis, il n'avait pas perdu complètement le goût de dîner en ville. Il y accédait avec une certaine fréquence et jusqu'à l'imprudence même, comme le lui représentait en vain la prudence alarmée de sa chère nièce.

En effet, la chose lui réussissait mal, parfois. Il en rapportait de la fatigue ou du malaise, quand n'en résultaient point les suites à craindre d'un accident, d'une chute. Plusieurs désagréments de cette sorte lui advinrent, en assez peu de temps, et qui eurent un retentissement malheureux sur l'état général de sa santé. Nous pourrions en noter jusqu'à trois.

Ce fut, d'abord, pendant l'hiver de 1834. Le prince était revenu fiévreux de sa visite à Madame Adélaïde, au cours de laquelle avait eu lieu la discussion vive, dont nous avons exposé la scène, précédemment. Mme de Dino lui conseillait de garder le lit, de ne pas sortir de sa chambre, de vingt-quatre heures, et d'y goûter les bienfaits d'un apaisement complet, d'un calme absolu. Mais il ne l'avait pas écoutée. Il tenait à aller, le soir même, diner chez la duchesse de Montmorency, qui donnait, à son intention, un banquet superbe. Il s'y rendit seul. Comme il pénétrait dans une seconde antichambre, son pied glissa ; sa canne lui échappa de la main, le chapeau lui tomba de la tête et lui-même fut renversé. Dans le désordre de la chute, sa haute cravate lui était remontée sur le visage, au point qu'elle l'avait empêché de rien voir en se relevant. M. de Talleyrand venait de tomber ! Ce fut une grosse émotion parmi les invités. Mme de Valençay en prit une attaque de nerfs. M. de Valençay, son mari, quitta la chambre. M. de Talleyrand fut étendu sur un canapé du salon. Mme de Montmorency, dans son bouleversement, déclara qu'elle ne se mettrait pas à table. Et tout le monde mangea du bout des dents.

On fut, à cette occasion, pendant plusieurs jours, anxieux de la chronique médicale de M. de Talleyrand. Quelques-uns répandaient le bruit déjà qu'il ne s'en relèverait pas. Il ne fut pas si éprouvé. La semaine suivante, on apprit qu'il parlait sérieusement de se rendre à Vienne[11].

Le 17 juin 1836, l'alarme n'avait pas été moins forte, à Valençay. Cette fois, il n'était pas hors de chez lui. L'accident lui était arrivé, au cours d'une promenade tardive, en son domaine. La petite voiture, dans laquelle il se faisait rouler à travers les jardins et les allées du parc s'était renversée, à la suite d'un ordre capricieux qu'il avait donné de la pousser plus vite ; et le cahot avait été assez violent pour le rejeter, la tête la première et le visage par terre, sur le gravier de la cour de l'Orangerie. Il en eut la figure extrêmement meurtrie. On dut attendre neuf jours pour être pleinement rassuré qu'un tel ébranlement, à son âge, avec son poids, ne produirait pas un choc intérieur dangereux.

La troisième disgrâce lui arriva, le 28 janvier 1838, à un dîner chez lord Granville. Le repas étant achevé, il passait de la salle à manger au premier salon, donnant le bras à la princesse de Liéven. Par malheur, son pied s'embarrassa dans les plis de la robe traînante. Il faillit mesurer le sol. S'il n'y eut pas chute, il y eut entorse de son pied malade, qui se ressentit pendant une quinzaine, de la foulure. Sa nièce en fut affectée comme d'un sombre pressentiment. Sans doute, il ne s'agissait point d'une calamité publique. Toujours fut-il qu'elle en resta mal impressionnée. Décidément, songea-t-elle, rien n'allait plus ; tout était noir dans le monde.

Mais, entre ces défaillances de sa nature physique, dont la dernière eut lieu l'année même de sa mort, Talleyrand avait eu le temps de passer plusieurs saisons longues et pleines dans son château du Berry. Et c'est là que nous allons le retrouver, pour l'y considérer, en détail, dans son existence intime de grand seigneur.

 

 

 



[1] Aujourd'hui que l'Angleterre a, peut-être, un besoin égal au nôtre de notre alliance mutuelle, et que la route qu'elle parait vouloir suivre doit lui faire préférer un esprit à traditions moins ancienne que le mien... (Lettre du prince de Talleyrand au ministre des Affaires étrangères, Valençay, 13 novembre 1834.)

[2] Ne croyez pas, lui disait-il, — étant en veine d'épanchement, — que si j'ai quitté les affaires ce suit par caprice. Je ne les ai quittées que lorsqu'il n'y en avait plus. J'avais voulu prévenir la guerre, je croyais que la France liée à l'Angleterre la rendrait impossible ; j'avais voulu, de plus, obtenir pour la révolution française du mois de juillet 1830 le droit de bourgeoisie en Europe et tranquilliser le monde sur l'esprit de propagandisme que l'on supposait à notre gouvernement. Tout cela était effectué : que nie restait-il à faire sinon de ne pas attendre qu'avec le solve senescentem d'Horace, quelqu'un vint me dire que j'avais trop tardé ? La difficulté est d'en sortir heureusement et à propos. Vous devez donc me féliciter d'y avoir réussi ; et non pas m'en faire une sorte de reproche, quelque obligeance qu'il y ait dans les reproches que vous savez faire.

[3] Expressions de Madame Adélaïde.

[4] Clémentine de Flahaut. Elle allait mourir n'ayant que seize ans.

[5] Le duc d'Orléans était en visite chez Mme de Dino. Légèrement indiscret, il lui rapportait un commérage de de Flahaut. Et la duchesse de répondre, fière et mesurée : Les propos de de Flahaut sur moi ne sauraient m'atteindre, je n'y regarde pas ; il n'y a pas chance que des personnes de mondes, d'habitudes et de situations si différents qu'elle et moi puissions jamais nous combattre, ni moi être heurtée par elle. Je ne lui en veux que du tort qu'elle vous fait à sous,  Monseigneur. — Mais, ma principale raison pour l'aimer est qu'elle ne l'est par personne. — Ah ! si c'est comme calcul de proportion, Monseigneur, vous devez l'adorer !

[6] Déjà, pendant son ambassade à Londres, Talleyrand l'en avait très humblement prié, par l'entremise de Madame Adélaïde :

Je voudrais bien que Mademoiselle eût la bonté d'envoyer un portrait du roi, à la légation de France, en Angleterre. Je lui ferai plus lard la même demande pour Valençay ; mais là je ne pourrai pas ne plus oser demander un portrait de Mademoiselle. (Talleyrand, Lettre à Madame Adélaïde, Londres, 13 décembre 1830.)

[7] Je vous remercie encore de cotre bonne longue lettre, qui est une véritable causerie ; tout, soyez-en bien certain, restera entre nous. (Madame Adélaïde, Lettre au prince de Talleyrand, 20 mai 1834.)

[8] Cette influence faisait le désespoir de Mme de Dino, qui la jugeait déplorable.

[9] Nous avons vu que, pendant l'ambassade de Londres, le prince goûtait beaucoup moins Molé ministre ; il ne s'en cachait point à ses intimes ou le faisait lire sous la forme plus élégante et plus libre de sa nièce. Si vous aviez été à la place de M. Molé, écrivait-elle de Londres, le 8 janvier 1831, au général Sébastiani, vous n'auriez pas perdu, il y a trois mois, quinze jours en petites finesses et en petites perfidies et nous aurions évité les mille et un embarras du moment.

[10] Les fils du roi, quand ils ne bataillaient pas en Afrique, les d'Orléans, les Nemours, relevaient de leur prestige les lacunes et les disparates de cette Cour, que Mme de Dino jugeait si près de ses pièces, en fait de beau monde.

[11] Lettre inédite de Cousen à Mme la comtesse de C***, en son château de Mouchy, par Compiègne. (Communiquée par Mme d'Arjuzon.)