Commencements de règne. — Le premier contact des grandeurs. — Prompte accoutumance à des satisfactions continuellement offertes. — L'ordre des grandes réceptions. — La présentation des dames. — Les bals officiels et leurs aspects brillants. — Quelques portraits des personnages en vue assistant à ces soirées de gala. — Après Pâques : la série des lundis de l'impératrice. — Détails curieux sur le caractère de ces réceptions plus intimes. — Dans les intermèdes du spectacle ; emploi des journées de l'impératrice. — Ses goûts, ses occupations. — Un moment d'extrême ferveur pour les mystères du spiritisme. — Ce que dura l'influence de l'Écossais Hume et la mode du table-moving. — Reprise des divertissements. — Leur prolongation pendant les années 1853 et 1854, et à travers les événements de la guerre de Crimée. — Histoires de bals, de représentations et d'étiquette. — Comment se montrait l'impératrice, en ses soirées, selon que prédominaient chez elle deux influences contraires : trop de fierté ou trop de laisser-aller insouciant. — De premières tendances politiques, dans les conversations de l'impératrice, mais subordonnées encore à son rôle de grande dame, la plus grande dame de sa cour. — La place qu'y tenait l'élément aristocratique. — Des alliages trop sensibles dans la composition de la société féminine. — En dépit de l'étiquette. — Il faut fermer les yeux. — Période d'entraînement mondain. — Les plus belles heures du règne. Des galas, des concerts, des festins, des réjouissances à toute occasion, entremêlés de voyages à grand apparat ou de fondations charitables opportunément signalées ; c'est en peu de mots l'histoire de ces heureux commencements. Le soir où, pour la première fois, Eugénie ouvrit les bals de la cour, en qualité d'impératrice, fut une date mondaine inoubliable. Tous les regards étaient fixés sur elle, l'interrogeant trait par trait, cherchant le point critiquable et s'étonnant de ne le trouver en nulle place. Le contentement des yeux était général. Tout au plus remarquait-on un semblant de mauvaise humeur, causée par l'excès de ses avantages, en de certains groupes féminins, dont les airs dédaigneux et le sourire contracté dénonçaient des transfuges mal convertis du noble faubourg. Là, des voix chuchotantes échangeaient leurs réflexions comme des murmures sur ce qu'elle avait osé un décolletage trop... espagnol. Il était de fait que le buste, la gorge et les épaules généreusement mis à découvert et d'autant plus apparents que la jeune impératrice était assise sur un siège très bas, avaient quelque chose de troublant pour les hommes debout en vis-à-vis ou qui passaient devant elle en s'inclinant. On' constata, en particulier, que le nonce du pape avait bien complaisamment prolongé sa révérence et son attitude penchée, ce qui poussa l'ambassadeur d'une puissance protestante à dire que le doyen du corps diplomatique lui faisait l'effet d'un cardinal plongeur[1]. Quel irrespect ! Quel abus de comparaison ! Mais le mot provenait d'un hérétique, et celui-ci n'avait pas appris des leçons de l'Église romaine que tout est saint pour un saint ! Sans être en la fleur première de la jeunesse, — vingt-sept à vingt-huit ans d'âge sont un chiffre dans la vie d'une femme, — Eugénie avait l'éclat et la fraîcheur du printemps de la vie. Il fallait admirer : la finesse d'expression de son profil de camée — que n'altérait pas encore légèrement une rondeur un peu trop accusée du bas du visage[2] — ; des détails exquis dans l'ensemble des traits ; des yeux bleus pleins de lumière et qui ne laissaient pas imaginer tout d'abord qu'ils pussent avoir aussi l'expression dure ; une bouche charmante et très petite avec des contours enveloppés de grâce[3] ! un épiderme délicat jusqu'à la transparence ; un teint brillant, des cheveux ni blonds ni roux, ni auburn[4], mais dont la teinte — aidée d'un secret artifice — n'était qu'à elle ; tout ce qu'on voyait enfin. A peine insinuait-on — l'éloge n'allant jamais sans accompagnement de critique — que la beauté de son buste paraissait diminuée par le raccourci de la taille, comme chez la plupart des Espagnoles. Mais on ne faisait que glisser là-dessus pour considérer davantage la perfection des bras et des épaules. Quelles que fussent sa fierté originelle et sa prompte inclination à estimer comme justes seulement les plus hautes avances de la fortune, elle n'avait pu se défendre, à la première approche des grandeurs, au premier contact du diadème, d'une intimidation causée par la soudaineté de la métamorphose. Transportée sur ces hauteurs, elle sentit le besoin qu'on aidât ses pas, afin de la préserver du vertige. L'expression de ses yeux d'habitude baignés de langueur avait pris un caractère de joie simple, de douceur étonnée qui plaisait. Doutant un peu de soi et de ses forces, elle triomphait avec modestie. Ce fut une hésitation charmante, mais de courte durée. Les gens de Cour n'eurent pas beaucoup à attendre pour se convaincre qu'elle entrerait vite dans son rôle et que, tout en y étant si neuve, elle remplissait déjà bien son métier de reine. L'observance des règles de l'étiquette lui avait été presque pénible, au début. Elle les imposait maintenant comme une nécessité, sans laquelle elle n'aurait pu respirer et marcher. Il semblait, au bout de cinq à six semaines d'expérience de son état de Majesté, qu'elle n'eût jamais été Mlle de Montijo. Que dis-je ? il lui fut secrètement reproché, soit par jalousie, soit par d'autres motifs, de ne pas s'en souvenir assez. Ce n'était plus, disait-on, la jeune mariée, la souveraine improvisée, dont la timidité s'ajoutait à la grâce naturelle, mais, désormais, la maîtresse de maison qui se sent et s'affirme par ses manières, par son geste, par les ordres donnés de haut, par la nouvelle expression du regard s'essayant à paraître blasé, sans être indifférent à rien de ce qui se passait sous sa surveillance. Comment ne se serait-elle pas laissée gagner à cette sensation d'enivrement mêlé d'orgueil, lorsque se répétaient devant elle des démonstrations à grands falbalas du genre de celle qui s'accomplissait, le 2 janvier, régulièrement, et qu'on appelait la présentation des dames ? A 9 heures du matin, le corps diplomatique se réunissait dans la salle de Louis XIV attenante à celle du Trône, où la cour avait à se rendre, sous les yeux des chefs de missions. L'empereur et l'impératrice se tenaient debout sur l'estrade surmontée d'un dais, ayant à leur droite les ministres, les maréchaux, les amiraux, les dignitaires des grandes charges, et, à leur gauche, l'essaim des dames du palais, tandis que, juste en face, était massé le corps diplomatique. Chacun étant en place et le cadre au complet, un cadre pompeux, solennel et de tous points conforme au cérémonial importé de la cour de Bavière par le comte Tascher de la Pagerie, alors commençait le défilé des femmes. Au nombre de quatre à cinq cents, ayant à leur tête Mme Fould, elles passaient, une par une, devant l'impératrice. La grande-maîtresse, princesse d'Essling, les nommait à l'épouse du chef de l'État, à mesure qu'elles se succédaient, tirant derrière elles des queues énormes et s'abîmant en des révérences profondes[5]. Toutes n'étaient pas irréprochables de distinction ; mais la magnificence de la salle, l'éclat dont l'imagination environnait les dépositaires du trône, le brillant des uniformes, la richesse des parures et des toilettes composaient un ensemble éblouissant. C'étaient pour l'empire ses jours de triomphe, très pénibles à envisager de loin par ceux ou celles, que retenaient au logis les devoirs monotones de leur fidélité à la cause des princes en exil[6]. Les belles assemblées du soir revenaient à tout moment, offrant, chaque fois, un coup d'œil aussi divers et animé. L'or des aiguillettes et des galons se mêlait à la fraîcheur exquise des toilettes. De tous côtés passaient des habits chamarrés. Se réglant sur la tenue du maître, les généraux et les officiers de la maison de l'empereur portaient la culotte[7] de casimir blanc, les bas de soie de même couleur avec les escarpins à boucles. Et les fonctionnaires civils, qui circulaient constellés d'ordres et de décorations, peuvent n'avoir que peu de chose à envier aux chefs militaires, sous l'habit de cour, avec les collets et parements brodés, l'épée au côté, le claque sous le bras, et l'air si satisfait d'être là[8] ! Eugénie se plaisait à présider les grands bals, qui déployaient leurs élégances, depuis les premiers jours de janvier jusqu'au temps du Carême, réservé aux cérémonies d'église et aux concerts spirituels[9]. Napoléon, tout en y prêtant la main et les encourageant, n'en goûtait de bon cœur que les commencements ou les préparatifs. N'a-t-on pas dit de lui qu'il se levait ennuyé, qu'il passait sa journée ennuyé et qu'il se couchait ennuyé ? Il suivait d'un regard un peu plus vif les préludes de la fête ; puis, ce regard s'éteignait, le rêveur couronné reparaissait en lui, et s'il soutenait jusqu'au bout son rôle avec conscience, c'était sans contentement véritable. Par bonne intention, il secouait son apathie et songeait à se mettre en frais d'amabilité pour ses hôtes. Il allait à travers les groupes, tortillant les extrémités cirées de sa moustache, s'arrêtait de préférence, en maître de maison attentif, auprès des nouveaux venus, leur adressant la parole pour les mettre à leur aise, et trouvait le mot opportun sur un sujet susceptible de les intéresser. Malheureusement cette attention ne se fixait pas, et son éternelle distraction reprenait le dessus, qui gâtait les choses Ou bien il brouillait les noms et confondait les personnes, ou bien il posait des questions dont il n'attendait pas la réponse. L'interlocuteur, quel qu'il fût, a raconté la marquise de Taisey-Chastenoy, était immanquablement quitté, si une jolie femme passant[10] à la portée de Sa Majesté réveillait son regard endormi. L'impératrice quittait ces bals, d'ordinaire assez lasse. Souvent elle ne prenait pas le temps d'appeler ses femmes. Désireuse de soulager son front et ses épaules, elle détachait de ses mains le diadème et les colliers ; l'une de ses dames lui tendait le devant d'une robe de velours ou de satin ; et elle y laissait tomber pêle-mêle ces diamants, ces pierreries, avant d'entrer dans un cabinet de toilette et de se préparer au repos de la nuit. Mais, promptement se réveillait la musique de danse. Dona Eugenia, comme foules les femmes du Midi, aimait beaucoup à veiller. Les soirées de gala avaient pour théâtre la galerie de la Paix et celle des Maréchaux. Deux orchestres s'y faisaient face. Tous les appartements du premier étage ruisselaient de lumière. Les invités entraient par le vestibule du pavillon de l'Horloge. Lentement ils gravissaient l'escalier d'honneur, où. des deux côtés de chaque marche se tenait fixe et d roi t un cent-garde, superbe à voir sous la tunique bleue, les bottes vernies, la cuirasse et le casque. Dans le salon Louis XIV avaient lieu les présentations. L'empereur et l'impératrice y recevaient les hommages du corps diplomatique. Lui portait l'uniforme de général de division avec le grand-cordon et la plaque de la Légion d'honneur. Elle, on la voyait parée d'un diadème et des plus riches joyaux de la Couronne. Ces présentations finies, le cortège se formait. Précédés des grands officiers de leurs maisons, des dames d'honneur, des chambellans au frac écarlate. des préfets du palais avec l'habit amarante et or, des officiers d'ordonnance en tenue bleu pâle brodée d'argent et des maîtres de cérémonie en violet et or, Napoléon et Eugénie quittaient le salon Louis XIV, traversaient la salle du Trône, le salon d'Apollon, le salon du Premier Consul : et, au moment précis où le chef de l'État franchissait la limite de ce dernier salon à celui des Maréchaux, un huissier s'écriait : L'Empereur ! L'orchestre jouait l'air de la Reine Hortense. Les souverains allaient s'asseoir sur les fauteuils préparés pour eux, au fond de la salle : et le bal ensuite commençait. Ils en suivaient les évolutions brillantes. Au cours de la soirée, ils se levaient, sortaient de la galerie des Maréchaux, distribuaient aux alentours quelques paroles aimables, et enfin se rendaient dans la galerie de Diane, où l'on servait le souper. Il se prenait debout. Quatre à cinq mille invités causant, riant, consommant, trouvaient place aux buffets hospitalièrement chargés. Dans les intervalles des autres danses et des quadrilles, c'était l'intérêt des assistants, de se nommer les personnages en vue, parmi l'affluence de ceux qu'avaient introduits là soit le privilège du nom, soit les droits d'une condition officielle ou les honneurs attachés à des titres flambants neufs, soit la faveur d'invitations particulières s'adressant, pour une bonne part, à la beauté de leurs femmes. Les curiosités se plaisaient à tirer de la foule brillante les maîtres du jour, et surtout les Élyséens purs, ceux dont l'entreprenante ambition avait assuré le rétablissement de l'empire. C'était en première ligne Morny, la tête la plus sensée, l'intelligence la plus souple et en même temps la plus nette du groupe des gouvernants. Comment il confisqua les libertés républicaines au profit d'un régime césarien, dont la jouissance sans limitation de ses droits et l'exercice sans contrôle de ses actes auraient pour conséquence de rendre aussi large, aussi aisée que possible la distribution des places et des bénéfices : on n'a point à en rappeler l'histoire. Il avait eu la vision rapide et sûre du choix des hommes capables d'être les instruments d'une politique hardie, légère de scrupules, allant au but, sans s'embarrasser de la légitimité des moyens, mais flexible et ne demandant, après le succès, qu'à se montrer accessible et tolérante. C'est lui qui disait avant le coup d'État, en parlant des orléanistes doublement timorés : Ils n'osent mettre l'épée à la main, ni la main à la poche ; nous nous passerons de ces gens-là ! De tels mots — le général Estancelin, qui les entendit, chez la comtesse Le Hon, me les rappelait, cinquante années plus tard — classent les hommes et jugent les situations. A le voir, maintenant, traverser les salons, la figure placide, le sourire retenu au bord des lèvres, un peu fier, un peu infatué de sa chance, mais non pas au point de paraître présomptueux, d'ailleurs si courtois avec les hommes, tout en les méprisant au fond, si sûr de son ascendant auprès des femmes, si engageant enfin lorsque le désir de plaire remplace chez lui l'ambition de dominer ; à le voir ainsi, qui voudrait se souvenir qu'il fut le conseiller d'un parjure et la main qui guida les fusillades du boulevard ? Homme d'État, homme de salon, spéculateur effréné, jouisseur imperturbable, il aura rempli et au delà sa devise, qui était de faire rendre à la vie tout ce qu'elle peut contenir, pour un seul homme, de sensations obtenues par la puissance, par l'argent[11] et par le plaisir. Si Morny détient ici le sceptre de l'élégance, du bon ton et des grandes manières, Fialin de Persigny, qu'on reconnaît à son port de tête, à ses favoris courts, à sa moustache effilée en pointe, à l'air ouvert et résolu à la fois de sa physionomie, s'impose, d'autre façon, par le relief de sa personnalité tranchante. Avec ses agitations, ses inquiétudes, ses excès d'ardeur poussés jusqu'à rendre son zèle incommode et son ingérence importune, il incarne le fanatisme de l'idée napoléonienne ; il est bien le Loyola de l'Empire. Sa parole pleine de fougue, ses traits lancés sans ménagement, — dirai-je aussi ses sorties extravagantes ? — lui ont valu des inimitiés vives, n'attendant que l'heure opportune pour le desservir et précipiter sa chute. N'importe : il commande l'attention par ses singularités mêmes. Tour à tour, il captive l'intelligence et déconcerte la raison. Tantôt distrait jusqu'à l'égarement, tantôt capable de s'emparer avec une véritable éloquence des sujets les plus élevés, on l'écoute toujours avec confiance et intérêt. Le prince Napoléon, lui, se laisse admirer en son coin et se réserve. Pâle, boudeur, la pensée absente, on sent qu'il voudrait tenir aux Tuileries, non pas le rôle d'une Altesse en visite, mais du maître qui reçoit. Détaché du présent, il semble poursuivre quelque visée lointaine : il songe peut-être que la France, un jour, sera trop heureuse de se réfugier en ses bras. Dans le cercle des hommes graves, dans le clan des diplomates, comment resteraient inaperçus un Drouyn de Lhuys, un Walewski ? Esprit clairvoyant et sagace, celui-là jouit de la considération d'un honnête et grand caractère. Avec la rare beauté de sa physionomie, dont le masque napoléonien trahirait aussitôt le secret de sa naissance, si c'en était un pour personne, celui-ci frappe et attire les yeux ; il les captiverait davantage s'il exprimait en son maintien moins de froideur et d'apparente sécheresse. Du reste, il passe pour avoir des qualités solides : de la ténacité dans les idées et une vraie connaissance des ressorts de la politique étrangère. Il a l'esprit des affaires et l'esprit de sa situation. Ministre de Napoléon III, qui volontiers ferait tenir toute la diplomatie dans l'art de désavouer et de se désavouer, trop souvent, devra-t-il éprouver à ses dépens qu'en ces matières captieuses et sous l'œil fuyant d'un tel maître, c'est chimère de vouloir appliquer des principes et maintenir une ligne de conduite. Des hommes de gouvernement comme Baroche, Billault, Fould, appellent encore le regard et la pensée. Mais l'attention des femmes recherche de préférence, parmi les représentants de la colonie étrangère, les d'Ottenfels, les Blomer, les Reuss, qui sont la jeunesse dorée de la diplomatie, et distingue, au passage, quelques grands d'Espagne, fort petits de taille : Medina-Cœli, Ossuna y Infantado, Alba. Enfin, du côté des uniformes, ce sont entre mille : le fantasque maréchal Vaillant, l'élégant Fleury, et, comme par une opposition malicieuse, à côté de lui, le valeureux Canrobert, — qui ne l'est pas, élégant — avec sa taille courte et trapue, mais qui n'aspire à rien autant qu'à le paraître. Car, en cela, le héros a des prétentions sur lesquelles ne permettent point de douter sa démarche, sa toilette, la frisure de ses longs cheveux, mais que gênent fort, à son grand désespoir, les inconvénients d'une stature dénuée d'élévation et de souplesse. Mais combien de figures originales seraient à détacher de cette profusion de personnages chamarrés et galonnés ! Puis, dans la corbeille fleurie des jeunes femmes, que de charmeuses seraient à décrire, une à une, avec une complaisance qui ne voudrait pas finir ! Il y a bien, dans le nombre, des physionomies dénuées de grâce, des prudes, des jansénistes d'une nouvelle espèce boudant au plaisir, produits ambigus de fausse aristocratie, de bourgeoisie et de finance. On en reconnaît, dont on s'éloigne, qui éventent avec un geste maussade un banal et lourd visage. Des figures sévères sont égarées là, qui déconcertent la gaîté. Si, par exemple, entre les dames de l'impératrice, la princesse de la Moskowa et d'autres aimables personnes incarnent fort agréablement l'élément mondain, d'autres, comme Mme de Rayneval et la comtesse de Latour-Maubourg, les pénitentes de l'abbé Deguerry, curé de la Madeleine, portent avec elles, partout où elles se montrent, les traits austères de la dévotion. Mais à part celles-ci, celles-là, que le coup d'œil d'ensemble, jeté de la porte du grand salon sur cette houle de hauts chignons, étoiles de diamants, de blanches épaules, de chairs satinées, a de séduction et d'éclat ! Des circonstances tout exceptionnelles ont produit cette éclosion spontanée de papillons brillants ! Parce qu'une telle Cour fut improvisée, parce que celles qui vinrent en embellir le cadre, chrysalides de la veille impatientes de prendre des ailes, n'avaient pas eu le temps d'y languir, il en était résulté, à la fois, des éléments de jeunesse et d'imprévu, comme il ne s'en trouva nulle autre part. A la suite de la brusque irruption au pouvoir des ambitieux cl des courtisans qu'attira derrière lui le coup d'Étal, large avait été la distribution des places et des honneurs. Les maisons s'étaient remontées sur un pied de fortune et d'élégance, que n'espéraient point connaître tant de chambellans, de sénateurs, de parvenus du jour. Beaucoup d'entre eux étaient libres de leur personne. Ils avaient pu contracter, à leur choix, des alliances heureuses. Les plus belles, les plus charmantes furent appelées au partage de ces faveurs. Elles étaient venues très parées à la fête, très en humeur d'y prendre part et de mordre au plaisir avec tout l'appétit de leurs dents fines et neuves. Elles se lancèrent dans le tourbillon, d'où se détachaient, en noblesse, en esprit, en distinction, des figures de grandes dames, appartenant au monde diplomatique ou sortant des rangs d'une aristocratie ralliée à la fortune du second Empire. Ce fut, pendant quelques années, comme nous l'avons ailleurs représenté, une réunion incomparable. En ses heures les plus radieuses, Eugénie aimait à s'entourer de jolis visages comme d'une fraîche parure seyant à ses toilettes. L'indéfinissable de sa grâce personnelle gagnait aux contrastes de cet assemblage harmonisé, reflet multiple de son élégance, de sa jeunesse épanouie, de son prestige. Beaucoup de ces éminentes ou attrayantes personnes se retrouvaient aux petits bals ou lundis de l'impératrice. Ceux-ci ne se rehaussaient point d'autant de solennité. Ils offraient plus de charme et comportaient plus de sélection. Ils se donnaient après Pâques, et par séries d'invitations, où se trouvaient compris, à tour de rôle : les titulaires d'un emploi à la cour, des diplomates, des écrivains en renom, enfin ceux que recommandait une sympathie directe de Napoléon ou d'Eugénie. Très recherchées, ces invitations n'excédaient pas les chiffres de cinq à six cents. L'empereur et les officiers de sa Maison portaient l'habit de drap bleu foncé à collet de velours avec pans doublés de satin blanc, boutons dorés et frappés d'un aigle. Pour les hommes en général simplement étaient de mise l'habit noir et la culotte courte ou collante. Les femmes, en revanche, pour n'en perdre point la douce habitude, rivalisaient entre elles de coquetterie et d'élégance raffinées. Chacun de ces bals, que précédait un dîner exclusivement réservé à la famille de l'empereur, avait lieu dans le salon du Premier Consul. On s'y rendait des appartements de l'impératrice par le salon d'Apollon. En attendant que se montrât la divinité du palais, les femmes se serraient en ligne, de l'un et de l'autre côté de la salle, comme pour former une double haie toute pimpante, de sorte que l'impératrice, lorsqu'elle apparaissait et traversait, saluant de droite et de gauche, souriant à celles qu'elle ne faisait qu'entrevoir, semblait passer en revue cet escadron volant de gracieuses mondaines. Pendant que s'enlaçaient les figures variées de la danse, elle s'installait, portes ouvertes, dans un salon, voisin, et s'entretenait avec ceux qu'il lui avait plu de distinguer ou qu'une certaine intimité avait autorisé à l'y suivre[12]. Volontiers recherchait-elle, entre autres, et d'une prédilection visible, la compagnie des gentilshommes étrangers, qui représentaient, en France, les intérêts des diverses puissances. Jusqu'à ce que l'atmosphère de la cour se rendît décidément anti-autrichienne, c'est-à-dire jusque vers les approches de la guerre d'Italie, elle avait montré de particulières dispositions à s'entretenir, et sur mille propos, avec le comte de Hübner. Ce premier ambassadeur de Vienne à Paris suivait régulièrement les soirées officielles et les lundis. Il était souvent prié aux déplacements de Fontainebleau, de Compiègne ou de Saint-Cloud. Le 13 octobre 1853, il faisait partie d'un dîner-party, à Saint-Cloud, qu'il avait jugé très select, bien qu'il se plaignît, par instants, du manque d'aristocratie de cette cour française. Il avait rencontré la princesse Mathilde, la grande-maîtresse princesse d'Essling, la vicomtesse Aguado, le maréchal Vaillant, grand-maître du palais, Fleury, et l'indispensable Bacciochi. Un peu maigre, un peu hâlée, grâce aux bains de mer de Dieppe, dont elle était fraîchement revenue, Eugénie se montrait fort causante. Elle glissait de sujets en sujets avec une vivacité toute méridionale. Étant venue à rappeler l'attentat de l'Opéra-Comique : La police, disait-elle, est là pour découvrir les complots. Contre des fanatiques comme les derniers régicides de Madrid et de Vienne, il n'y a pas de ressources, ni de remèdes. Ainsi, au petit bonheur ! Dans une autre occasion, le 25 mai 1854, un dîner de soixante-quatre couverts avait été servi dans la grande galerie de cette dernière résidence. L'impératrice avait désiré que le représentant d'Autriche-Hongrie fût placé à sa droite. On la vit rarement d'humeur si expansive et si gaie. Par aventure, elle avait porté la conversation sur le sens d'une légende espagnole, qui parlait à son goût romanesque : Todos me miran y yo miro a uno ; et elle s'était mise à l'interpréter avec la turbulence d'imagination, l'entrain et le sans gène, qui font le charme et l'inconvénient des femmes de Madrid ou de Grenade. Elle était redevenue Mlle de Montijo. Vers le même temps, elle le prenait à part, ayant à lui demander des explications d'une tout autre sorte : Mon culte pour vous, Madame, avait commencé par dire le galant diplomate, augmente chaque jour. — Mais, à votre cour, il diminue, répliqua-t-elle. Vous êtes trop aigre. A l'occasion de cette affaire du service funèbre de la princesse Théodolinde, à Stuttgart, M. de Buol a dit : Il est temps de mettre un ternie aux envahissements de la France. Vous êtes trop aigre dans les petites choses et nous ne nous entendons pas assez dans les grandes. Elle paraissait, dès lors, porter beaucoup d'intérêt aux questions de paix ou de guerre, d'alliances ou de rivalités internationales ; elle en abordait le sujet hardiment, en ses conversations novices ; c'était un terrain d'escarmouches, où elle commençait à se faire la main. Or, les relations entre les deux empereurs Napoléon et François-Joseph se tendaient de plus en plus. La crise, un moment conjurée, menaçait de se rouvrir, à chaque occasion, jusqu'à ce qu'elle éclatât fatalement. Maintes fois, à ses dîners, en ses réceptions, Eugénie avait assailli le comte de Hübner de ses questions pressantes, de ses apostrophes soudaines et vives comme des attaques. C'est ainsi qu'elle entreprendra plus tard — et avec quelle ardeur ! — le chevalier Nigra sur le compte de l'Italie et pour les intérêts du pape. A ces lundis de l'impératrice, ceux qui n'étaient pas admis dans son cercle intime, ceux qui non plus ne dansaient ou n'intriguaient, mais seulement observaient et suivaient de leurs yeux bien ouverts le tourbillon environnant, avaient assez à faire de promener leur attention sur les jolies personnes, qui circulaient de toutes parts. Ils admiraient la variété des costumes, que les exagérations de la mode n'empêchaient point d'avoir été choisis avec goût ; à loisir, ils pouvaient apprécier tant de décolletages généreusement épanouis. Et tout cela finissait par le cotillon, après lequel on servait à souper dans le salon Louis XIV. En temps ordinaire, l'empereur et l'impératrice faisaient danser, parfois, après le dîner. On n'y mettait pas de cérémonie. Il en résultait une particularité assez plaisante. Les femmes et les filles des hauts fonctionnaires étant seules invitées pour ces sauteries intimes, les danseurs : généraux, magistrats, académiciens étaient un peu mûrs. La plupart n'avaient ni le cœur ni les jambes à la danse, mais s'y dépensaient comme ils pouvaient. Eugénie s'amusait beaucoup des partis pris désespérés où s'échauffaient tous ces cavaliers grisonnants. Pour simplifier les choses, il était convenu qu'on s'en tiendrait à la simple et classique contre-danse, seule figure qui leur fût encore connue. On n'aurait pas eu la cruauté de leur imposer la mazurka, la redowa, les valses tourbillonnantes... Mais comme le spectacle, à la fin, se faisait monotone, elle n'y prenait plus plaisir et voulut qu'on lui redonnât du ton, de la chaleur en introduisant, peu à peu, dans ces petites réunions, l'élément jeune. Pendant les heures qui restaient libres, entre les grandes réceptions, les bals de printemps, les concerts spirituels, les apparitions en public ou les audiences privées, Eugénie se retirait en ses appartements et s'y tenait assez solitaire. Quand elle ne sortait pas matinalement en un landau de couleur sombre pour des visites charitables, visites qu'elle accomplissait avec mystère dans les quartiers pauvres de Paris : ou que, l'après-midi, en plus brillant équipage, elle ne révélait point sa présence au défilé du Bois de Boulogne, alors elle se plaisait en son cabinet de travail, dessinant, lisant ou écrivant, parcourant les journaux et se faisant un aperçu des œuvres les plus signalées du jour. Déjà s'était manifesté chez elle le goût de recueillir et de disposer avec méthode des autographes, des notes, des lettres, des papiers d'État, qu'elle savait devoir prendre, à la suite des ans, une valeur historique. Elle avait commencé par rassembler amoureusement une foule de pièces relatives à la famille des Bonaparte ; et plusieurs volumes reliés de cette collection allaient s'aligner en bel ordre au-dessus de sa tête. Incidemment, elle cédait à des curiosités d'esprit et d'imagination, qui n'étaient pas toujours si raisonnables. De nature mystique, pour ne pas dire superstitieuse, elle fut des premières à faire école de spiritisme. Grâce à ses encouragements, les tables tournantes eurent leur période de grand succès mondain. Elle-même en avait donné le signal et consacré la mode par la faveur qu'elle accordait aux expériences du fameux médium Hume, un Ecossais devenu citoyen américain qui subitement se révéla dans Paris, fit merveille à la cour et non moins vite disparut. L'impératrice, Mme Kaledgi et, en particulier, les dames de la haute Pologne, faciles à s'exalter, raffolaient de cet habile faiseur. Très sincèrement, d'une voix encore frémissante, Eugénie racontait, au sortir d'une des séances de Hume, qu'elle avait senti, tantôt chaude, tantôt froide, une main qui saisissait la sienne sous la table et que même, cette main fantômale, elle l'avait vue ! L'empereur aussi s'en montrait fort impressionné. Elle s'était passionnée d'une singulière ferveur pour ce genre d'évocations. Aussitôt qu'elle croyait percevoir, autour d'elle, la présence d'une ou plusieurs à mes communicatives, sa résolution était prise : il fallait tenter quelque épreuve nouvelle sur la sensibilité d'un guéridon. II arrivait assez souvent qu'on se montrait distrait, inappliqué, malgré qu'elle eût fait la recommandation expresse de s'y comporter sérieusement. Quand il était visible que la foi manquait dans l'assistance, elle s'impatientait et rompait le jeu ; on remettait l'expérience à une meilleure occasion. Des courtisans industrieux se prêtaient à la comédie plus adroitement pour lui complaire. Un soir qu'il y avait petit cercle, chez elle, la conversation se porta sur le magnétisme. Le chambellan Bacciochi parut être le sujet désigné, il se laissa magnétiser par le docteur Hume. S'il ne dormit pas réellement, il joua très bien son rôle, transpira et pleura. Vous souffrez ? lui demanda l'opérateur. — Oh ! oui, beaucoup. — Où donc ? — Au cœur. — Vous ne dormez pas bien ici ? — Non. — Où voudriez-vous être ? Ici, l'impératrice interrompit vivement : Ne lui posez pas cette question-là. Il dit parfois des bêtises. Dans tous les salons, on s'amusait à faire tourner et parler les tables. Cette épidémie spirite et la table-moving n'eurent qu'un temps. Pour le bonheur des gens de la Cour, il était, aux Tuileries et autres lieux, des distractions plus durables. L'hiver et le printemps de 1833 s'étaient envolés dans l'étourdissement des fêtes. Les salons du vieux palais des rois avaient revêtu leurs plus neuves parures en l'honneur de la jeune épousée. La série des divertissements, organisés pour mettre en tout leur lustre ces heureuses circonstances, fut complète par l'abondance et l'éclat. On la croyait épuisée, au moins pour quelque temps. Cependant, vers l'automne, malgré qu'une succession de calamités, épidémies, inondations, eût désolé le pays, les réceptions impériales avaient repris leur train, pour se prolonger pendant tout l'hiver de 1854 et recommencer, dès la première chute des feuilles, de sorte qu'on eût dit, selon le mot de Pierre de la Corée, un carnaval perpétuel. Aussi bien ces aimables turbulences de la cour n'avaient-elles pas les meilleures raisons de se justifier ? Toutes ces pompes, toutes ces élégances officielles ne tournaient-elles pas finalement à l'avantage du commerce de la nation, de l'industrie, du travail, lorsque même elles ne se réclamaient point d'un dessein de bienfaisance ou de charité publique ? La guerre et ses ombres tragiques dérangèrent à peine cet enchaînement de plaisirs. Tandis que les ambassades de Paris, de Londres, de Vienne, de Saint-Pétersbourg, précipitaient l'échange des dépêches fiévreuses et que se rapprochait de minute en minute Tarage d'où sortirait la foudre, il y avait bal, grand bal aux Tuileries. L'impératrice était fort en train ; elle causait et riait beaucoup en agitant son éventail, ce soir-là. Elle avait dansé la première contredanse avec l'ambassadeur d'Autriche et jugé bon de le retenir pour converser : l'important personnage put savoir de sa bouche quelles raisons lui avaient fait renoncer à l'idée de paraître dans une toilette, que la reine Marie Antoinette avait portée en pareille occasion. La déclaration de guerre était imminente. Nicolas, dans sa lettre du 29 janvier, n'avait pas ménagé les termes de sa réponse, déclarant qu'il ne lui convenait point de prendre en considération les propositions de Napoléon III. Les arsenaux étaient en fièvre. Les Hottes armaient activement. Fallait-il, cependant, changer l'ordonnance du bal costumé, qui devait avoir lieu, à la cour, le 18 février ? Celui-ci fut superbe, comme d'habitude. L'impératrice, à nouveau, pria le ministre d'Autriche-Hongrie de s'asseoir, à côté d'elle, sur l'estrade, et de se prêter aux détails d'une longue, mais insignifiante causerie. Elle était costumée en grecque : perles et bijoux surchargeaient sa tête blonde, son cou, sa poitrine. Une apparence de mélancolie flottait gracieusement sur ses traits, sans qu'on pût assurer si cette tristesse, qui convenait si bien à l'air de son visage, était autre que superficielle et si la véritable cause en était une pensée profonde sur le sang et les larmes, qui allaient couler. Le comte de Hübner remarqua seulement, non sans malice, qu'après le cotillon final, les danses étant achevées, les tables mises, l'impératrice avait soupé de bon appétit. En vérité, celte brusque levée d'armes de la France contre la Russie, avec l'aide de l'Angleterre et de la Turquie, avait été pour elle, comme elle le fut pour l'opinion publique, une surprise. Elle n'avait pas vu venir, du milieu de son tourbillon mondain, les menaces de cette campagne longue et rude entamée sans motifs graves, et pour ne servir, tous comptes faits, qu'à l'accroissement de l'influence anglaise. Quoi qu'elle se préparât déjà par ses conversations, entre deux contredanses, avec les représentants des puissances étrangères, à pénétrer les oracles de la diplomatie, elle n'intervenait que discrètement en ces choses ; elle n'aspirait point à être écoutée, comme elle y tiendra tant, tout à l'heure, dans les conseils de l'État. Elle n'était, pour le moment, que la plus grande dame de la cour, et il ne paraissait point qu'elle eût une autre ambition définie. Les secrètes combinaisons de l'échiquier européen ne lui étaient pas indifférentes. Elle s'en informait, elle en parlait et en jugeait ; car, elle eût été trop fâchée qu'on lui refusât une intelligence et des capacités politiques ; mais elle n'était pas appelée à s'en occuper encore d'une façon directe et personnelle. En cette phase de sa domination mondaine, de telles questions s'imposaient moins à son esprit que l'importance des soins à donner pour une grande soirée dansante, aux Tuileries. On s'était lancé à pleines voiles sur les ondes du plaisir. Il se produisait, de temps en temps, quelques écarts de roule. De grandes libertés furent prises dans les bals costumés et les tableaux vivants. Ces libertés, néanmoins, étaient tenues en bride par l'obligation d'observer les règles du cérémonial, dont il n'était permis à personne de se croire exempté. L'étiquette, on la voulait d'autant plus stricte qu'elle était de date récente. L'impératrice y veillait plus jalousement que l'empereur. Napoléon, avec son air habituel d'indifférence, aurait fermé les yeux sur une infraction au respect de la formule, ou peut-être ne l'aurait-il pas seulement aperçue. Eugénie n'admettait pas d'omission, en un chapitre, qui lui tenait essentiellement à cœur par la triple raison qu'elle était femme, espagnole et princesse de fortune. Il ne manquerait pas d'exemples pour mettre en plein jour l'excessive importance qu'elle y attacherait. Nous nous contenterons d'une historiette bien saillante classée par Ludovic Halévy, en ses notes, et que nous relèverons, à cette place, bien qu'elle soit de plusieurs années postérieure au commencement du règne, dont nous esquissons le tableau. Une représentation extraordinaire était offerte dans la salle de spectacle du château de Versailles, en l'honneur du roi d'Espagne[13], où l'on n'apercevait qu'uniformes reluisants d'or, habits brodés sur toutes les coutures, toilettes éblouissantes : que de promesses pour l'esprit, que d'attraits pour les yeux ! Dans le dessein de faire resplendir avec tout l'éclat imaginable la Psyché de Corneille et de Molière, on avait appelé à Versailles la Comédie-Française, les chœurs du Conservatoire et le corps de ballet de l'Opéra. Les invitations avaient été sollicitées avec un empressement inouï... Le spectacle commença. Les regards allaient de la scène, où les plus belles personnes de la Comédie jouaient les rôles principaux, au fond de la salle magnifiquement décorée, où l'empereur et l'impératrice apparaissaient dans une grande loge construite de face. L'impératrice laissait voir sur ses traits un rayonnement de triomphe, qui n'échappait point à l'attention. Il était visible qu'elle éprouvait une joie sans seconde à faire, en souveraine, les honneurs de Versailles à celui qui avait été son roi, lorsqu'elle était Mlle de Montijo, et qui n'était, ce soir-là, que son invité, son hôte. Ludovic Halévy, qui était entré avec Auber et Emile Perrin, alors directeur de l'Opéra, dans une baignoire, à gauche de la scène, n'en perdait pas un signe. Il avait les yeux tournés vers les trois grands fauteuils, presque trois trônes, qu'on avait installés sur le devant de la loge, lorsqu'il crut s'apercevoir que, tout à coup, l'impératrice n'avait pu réprimer un mouvement d'impatience contre quelqu'un du service d'honneur, et pour une faute qui, sans doute, l'avait choquée. En effet, elle a voulu qu'on appelle-le chambellan de service. Et celui-ci s'est présenté révérencieux, courbé, plié en deux sous son habit rouge, la croix d'or au côté, et portant le cordon espagnol bleu de ciel autour du cou. Sur quelle pointe d'aiguille a vacillé l'étiquette sacro-sainte ? Quel oubli de détail ridicule et grave a pu commettre l'infortuné chambellan ? Il rougit, balbutie ; mais sa contenance basse et humiliée n'arrête pas le flux de paroles sévères qui lui tombe sur la tête comme une averse. Enfin l'empereur intervient doucement pour apaiser l'agitation de l'impératrice ; le roi d'Espagne, avec des mouvements embarrassés, des gestes un peu gauches, indique qu'il n'attache à la chose aucune importance ; et la salle fort intriguée a oublié Corneille et Molière pour suivre ce qui se passe de mystérieux dans le groupe des trois Majestés. Enfin, le calme est revenu sur les traits de la souveraine offensée ; on s'est repris à sourire, l'incident n'a pas d'autres conséquences ; l'attention générale n'est plus qu'à la représentation, qui fera concevoir l'idée de la perfection même dans l'art dramatique. C'est une observation à établir en passant : il y eut toujours, aux Tuileries, tant qu'y dura la présence de ses hôtes improvisés du second Empire, il y eut toujours là, sous des dehors pleins de magnificence, un mélange de raideur gourmée et de laisser-aller insouciant, dont les signes se retrouvaient chez les courtisans comme chez les maîtres. Ce rôle souverain, à travers ces splendeurs inattendues, les avaient surpris par sa nouveauté de miracle. Et la crainte d'en déroger, de s'y perdre, de s'y oublier, les portait à en exagérer les attitudes par trop de formalisme après trop de familière étourderie. C'est ainsi, a remarqué Pierre de la Gorce en parlant de l'impératrice, que, par une imparfaite possession de son personnage, il lui arriva — surtout plus tard — de donner deux exemples également mauvais : celui d'une condescendance, qui autorisait presque l'oubli de toutes les règles, et celui d'une sévérité, qui inopportunément les rappelait. Tantôt elle cédait au plaisir environnant avec une bonté gracieuse et avec un ravissement de son être qui, tout en essayant de se couvrir de gravité, avait des échappées presque enfantines ; tantôt, sous l'effet d'un revirement soudain, dont le motif était la crainte que cet abandon même nuisit à l'étiquette, elle en resserrait les liens d'un mouvement brusque, presque dur, et qui souvent froissait. D'autres fois, des airs de singularité, des caprices de maîtresse despotique, traversaient son cerveau, qui, dans le moment de sa toute-puissance, trouvaient grâce devant la troupe prosternée de ses adorateurs, mais qu'une opinion moins servile eût plus sévèrement jugés. Je n'en citerai qu'un trait. Il fut représenté sous l'aspect d'un enfantillage de femme et de souveraine, aussitôt suivi d'un beau geste de générosité. L'impulsion n'en avait pas été des plus nobles, cependant. Un jour donc, accompagnée du colonel Verly, elle traversait ses appartements ; et, par hasard, jetant les yeux sur l'un des cent-gardes, qui montaient régulièrement la faction au logis impérial, elle se mit à sourire de son immobilité de statue — c'était une des premières conditions de leur service. — Avouez, colonel, que cette fixité imperturbable de vos hommes est un trompe-l'œil, et qu'il ne faudrait pas grand'chose pour les en faire se départir. — Que Votre Majesté s'en assure, répondit le colonel. — Et si je lui adressais un outrage ? — Un outrage ? Votre Majesté en est la maîtresse. Qu'elle agisse à sa convenance ; mais je réponds de cet homme. Instantanément, elle veut en tirer expérience ; fronçant les sourcils, durcissant l'expression de ses yeux, elle avance d'un pas et s'arrête devant la sentinelle pour lui adresser un blâme très vif sur une question de discipline. Elle pouvait être surprise par la soudaineté de l'averse : elle n'en témoigna pas le moindre signe. Ces reproches immérités avaient glissé sur sa tunique. Elle demeurait l'arme en position, droite et immobile comme une figure de pierre. Ne parviendra-t-elle pas à l'émouvoir ? Piquée au jeu, et semblant offensée de son silence même, elle la soufflette, et passe. Le lendemain, désireuse de faire oublier au cent-garde l'injure toute gratuite qu'elle lui avait infligée, elle s'enquit de son nom, et donna l'ordre de lui envoyer une gratification de cinq cents francs. Mais elle avait eu affaire, décidément, à un soldat modèle ; il exprima le désir que l'argent fût retourné à l'impératrice, trop heureux, disait-il, d'avoir eu sur le visage la main de sa bien-aimée souveraine. Sous l'uniforme du cent-garde se nichait une âme de courtisan. Avec moins d'adulation et plus de dignité humaine, il eût refusé l'argent pour des raisons meilleures. Il préféra remercier et garder l'impression du soufflet comme un souvenir plein de douceur pour le restant de son existence. Des incartades passagères, des éclats de voix ou de rire, qui passaient tout à coup, chez elle, ne l'empêchaient pas de reparaître, devant sa cour, volontairement digne et cérémonieuse. Pour se rendre bien compte des barrières qu'elle opposait à des familiarités possibles d'entourage, on n'avait qu'à considérer le cercle de froideur, où il semblait qu'elle s'enfermât et se gardât, d'ordinaire, à ses réceptions du lundi. Dès que le dîner de famille était achevé, vers 10 heures, elle faisait son entrée au salon et allait se placer dans un fauteuil[14], qui était une sorte d'épouvantail pour les gens de sa suite, nulle personne n'ayant le droit d'en approcher au delà d'une certaine limite permise sans une invitation directe transmise par le chambellan. Pendant que le reste du salon était le foyer d'une animation franche et gaie, autour du fauteuil de l'impératrice le froid de l'étiquette glaçait et paralysait les esprits. Par bonheur elle ne s'y confinait pas chaque fois. Comme l'empereur savait être charmant, lorsqu'il voulait bien sortir de sa taciturnité habituelle, de même, quand elle en avait la disposition, elle savait être avenante à l'égard de ceux qu'il lui convenait d'attirer vers elle. Pour ceux-là elle élargissait le cercle de la causerie : elle s'y portait à son tour, intéressée, séduite. Un Mérimée jetait-il dans l'entretien une note vive et une chaleur de ton, qui le ravivaient aussitôt, elle ne s'en refusait pas le plaisir. Son naturel revenait promptement et l'entraînait. Elle prenait la parole, rappelant des souvenirs de sa patrie, de son éducation de jeunesse, de ses voyages à travers l'Estramadure, ou se lançait, à l'aventure, dans le feu d'une discussion. Alors, elle était Eugénie de Montijo, comme nous le disions précédemment, et laissait reparaître une vivacité d'allures, qui était sienne, avec toute la turbulence de son imagination méridionale. Elle se révélait ainsi, de préférence, soit en la compagnie des personnes amies, qui l'avaient connue avant qu'elle montât sur le trône, ou, selon son expression, quand elle était dans le monde, soit en un groupe choisi d'envoyés d'ambassade, dont la présence aux Tuileries était fort appréciée. A défaut de l'ancienne noblesse, qui, par amour dos vieilles institutions, tenait rigueur aux mœurs nouvelles, ces derniers n'étaient-ils pas l'élément aristocratique de la cour ? Elle le sentait et l'appréciait, non sans raison. En réalité, l'élite du faubourg Saint-Germain, malgré des adhésions précieuses, demeurait à l'écart du monde officiel. Des La Rochefoucauld se fussent étonnés de s'y voir en personne ou de s'y rencontrer avec des La Trémoïlle, bien qu'on dût y annoncer prochainement un Montmorency. On ne disait point que, pour s'y rendre, la duchesse de Polignac, eût quitté son admirable hôtel de la place Louis XV. On y eût cherché, en pure perte de temps, la duchesse de la Ferté ou la comtesse Pozzo di Borgo, ou Mme de Beaufort, née de Châteaubriand, ou les comtesses de Blacas et de Navailles. Ni les sentiments presque religieux, que reportait ostensiblement à la mémoire de la reine Marie-Antoinette l'impératrice Eugénie, ni les aimables reproches que lui adressait à haute voix l'empereur d'être moins bonapartiste que légitimiste, ni des promesses faites du plus séduisant accueil n'étaient parvenues à détacher de leur obstination les royalistes de vieille essence vivant sur l'héritage du passé et bâillant à l'avenir, dans l'espoir de réparations, qui ne se réaliseraient jamais. On remarquera vers le même temps, à l'une des réceptions de Fontainebleau, que, dans le grand nombre des invités, il n'y aura, pour représenter la noblesse du pays, que le seul prince de Bauffremont. Par compensation le monde diplomatique, recherché des cours et des aristocraties, élégant, spirituel, distingué, était là pour maintenir, à propos, le lien international de la bonne compagnie. De ces assemblées de fête, est-il besoin de le dire ? l'élément démocratique avait été pourchassé avec une extrême rigueur, quoiqu'il n'en fût pas complètement absent, si l'on entend par là ce qui reste d'inélégant dans l'esprit et les manières, chez les parvenus de la politique. Elles comportaient surtout, dans la composition de la société féminine, des alliages dont le spectacle choquait certaines délicatesses. Beaucoup d'entre les femmes invitées à la cour, et non les moins belles ni les moins spirituelles, provenaient de la colonie étrangère particulièrement accréditée chez la princesse Mathilde, ou qui, par d'autres intermédiaires, avaient trouve le chemin des Tuileries. En leurs rangs s'était glissée plus d'une princesse douteuse. Telles beautés arrivaient des pays du Nord, dont l'aspect hardi, les goûts singuliers, le ton et les façons infligeaient de vives atteintes au décorum. Qu'elles eussent puisé à bonne école les règles de leur conduite et les principes de leur éducation : c'est ce qu'on n'aurait osé garantir. Il en était plus d'une, des étrangères ou des Françaises, qui se fussent trouvées fort mal que des informations trop précises eussent porté d'indiscrètes lueurs sur les origines de leur condition, de leur fortune. L'en-dehors, chez d'autres, trahissait un manque de correction, qui n'échappait point à des regards minutieux et sensibles. Ainsi, lord Malmesbury, l'ambassadeur d'Angleterre, n'en parlait pas avec une extrême faveur, lorsqu'il écrivait d'elles, le 1er octobre 1862 : Toutes les femmes, qui entourent l'impératrice, excepté Mme Walewska, ont bien mauvais ton. Elles ont leurs cheveux relevés à la chinoise et si bien tirés qu'elles peuvent à peine fermer les yeux, et portent des jaquettes et des manteaux écarlates qui leur vont très mal, étant toutes — naturellement ou non — très blondes[15]. Maintes fois, le laisser-aller cosmopolite de cette cour, que ne suffisaient pas à maîtriser les barrages du protocole, incommoda l'impératrice. Elle tenta, à plusieurs reprises, d'épurer la liste des invitations ; mais trop de recommandations, trop d'influences indirectes entraient en jeu, pour qu'elle pût maintenir un rigorisme, que l'exemple de l'empereur et de ses liaisons faciles n'était pas de nature à fortifier. Il fallait bien se résigner à souffrir ce qui ne pouvait pas être évité. On se résigna à élargir de plus en plus les mailles du filet, par où se glissaient bien des personnalités équivoques, sous les apparences flatteuses du titre, de l'élégance extérieure et de la beauté. Le pli en était pris. Les éléments de jeunesse dominaient autour de l'impératrice ; elle se laissa emporter par le flot. A tout prendre, en cette période de sa vie, elle n'était d'âge ni de caractère à haïr d'une haine vigoureuse les plaisirs mondains. Elle s'en lit un entraînement d'habitude. Tout allait au mieux, en ces heures fortunées. Elle n'avait pas blessé ses mains aux épines de la politique. La dévotion ne lui était pas encore devenue cette conseillère importune, dont elle voudra faire intervenir les inspirations périlleuses dans le champ des réalités humaines. Elle avait su se faire accepter des foules. On disait ses générosités. On rappelait le beau sacrifice dont elle avait donné l'exemple, dès le lendemain de son mariage, lorsque la ville de Paris lui ayant offert un merveilleux collier, elle en avait abandonné la valeur à la population pauvre de la capitale. Sacrifice méritoire opportunément consenti, qui ne l'empêcha pas de recevoir de l'empereur, un peu plus lard, l'analogue bijou estimé un million de francs. La presse officielle et la voix de l'opinion réunissaient leurs éloges sur l'active sollicitude avec laquelle on la voyait s'appliquer sans cesse à la création de nouvelles œuvres philanthropiques, sur le zèle que déployait l'auguste souveraine à multiplier les crèches, les ouvroirs, les sociétés d'assistance, les maisons de convalescence, les asiles de tous genres, dirigeant, inspectant elle-même toute celte grande organisation de charité sociale et poussant chacun à l'imiter autour d'elle. C'était la rançon populaire de son luxe d'impératrice, des bals et réjouissances qu'elle donnait à ses yeux, presque l'année entière. |
[1] Par allusion à l'oiseau d'Amérique appelé cardinal et dont le plumage, telle la pourpre cardinalice, est d'un rouge magnifique.
[2] L'ovale de la figure n'était pas absolument parlait et n'allait pas en s'adoucissant vers la partie inférieure du visage d'une façon aussi pure qu'on l'aurait désiré ; le profil était irréprochable.
[3] Cf. LOLIÉE, Women of the Second Empire,
The Empress's Circle.
[4] En 1856, le baron de Moltke remarquait, dans le détail d'une lettre à sa femme, que l'impératrice des Français était plutôt brunette.
[5] Dans cet exercice presque gymnastique se distinguait la comtesse Charles Tascher de la Pagerie par la majesté de son port, la lenteur de ses mouvements et la profondeur de ses inclinaisons. Son mari nous disait que cela se passait ainsi à la cour de Bavière. (Hübner, loc. cit.)
[6]
Les réceptions à Frohsdorf, chez le comte de Chambord, sous l'œil pur et calme
de Madame, n'avaient rien de folâtre. En voici, par comparaison, une légère
esquisse, représentant l'emploi des journées, en la maison du Roi. Le repas avait été
conduit rapidement. En rentrant dans le salon, Madame travaillait à un ouvrage
de broderie, de tapisserie, et les autres femmes assises autour d'elle se
livraient à quelque travail à l'aiguille, en général insignifiant. On apportait
le courrier ; vous étiez autorisé à lire vos lettres. Monseigneur et les messieurs
de service jetaient un coup d'œil sur les gazettes ; puis, quand 11 heures
sonnaient, les princes se levaient, faisaient un signe de côté, auquel on
répondait par des saluts, et rentraient chez eux.
La soirée était dure ; elle se
traînait péniblement jusqu'à neuf heures 'précises ; cependant, quand il n'y
avait pas d'étrangers et qu'il était sur que ses paroles ne seraient pas
l'occasion d'un article de journal, Monseigneur égayait les après-dîner par les
saillies de son esprit si éminemment français et souvent nous finissions par
rire de bon cœur.
La séance au salon terminée, les hommes quittaient leur habit, endossaient leurs vêtements de fumoir, et les femmes avaient la triste ressource, si elles ne voulaient pas rentrer chez elles, de se rendre dans le salon de la très excellente comtesse de Chabannes, où l'on prenait une tasse de thé insipide, au milieu d'une conversation, qui ne l'était pas moins.
[7] La culotte, un costume qu'on n'avait pas revu depuis la Restauration.
[8] Seul s'en différenciait l'écuyer de service, avec la culotte de peau de daim et les bottes à l'écuyère en cuir verni.
[9] Durant cette période pénitentielle, l'empereur et l'impératrice considéraient comme un devoir de leur étal de ne manquer pas un des concerts spirituels ; ils les subissaient tous et jusqu'au terme avec une dignité stoïque. Elle baillait derrière son éventail ; lui, par des mouvements de tête qui semblaient accompagner les mesures, se défendait contre les atteintes du sommeil. Mais, toutes choses finies, l'un et l'autre comblaient d'éloges les artistes, choisis entre les meilleurs, qui venaient de jouer sous la direction d'Auber.
[10] Toutes celles qui connaissaient ce faible du souverain — et bien peu l'ignoraient — mettaient en œuvre les moyens les plus osés pour l'obliger à s'approcher. C'était chose amusante que les évolutions faites, en pareil cas, par les grandes coquettes. Ce soir-là, Mmes de Neuwied et de Saint-Brieuc changèrent de place plus de dix fois sans raison, sans prétexte, traversant un salon, en long, en large, en biais, pour passer devant l'empereur et recevoir de lui quelques compliments. (Marquise de Taisey-Chatenoy, A la Cour de Napoléon III.)
[11] Le pouvoir de l'argent en politique nul n'en comprit mieux la force et l'opportunité que cet homme d'Étal, qui eut toujours l'œil fixé sur la Bourse.
[12] Un mémorialiste du second Empire nomme quelques-uns de ces privilégiés. C'étaient, parmi les diplomates : lord Cowley, Hübner, puis Metternich, Nigra ; et parmi les familiers : Mérimée, Edouard Delessert, Onésyme Aguado, Hidalgo, Guël y Rente.
[13] 30 août 1864.
[14] De cette place d'observation, la maîtresse du château s'attachait à suivre la physionomie et le mouvement de la réunion. On raconte, là-dessus, que lorsque la princesse Mathilde cédait à la nécessité de se montrer là, de temps en temps, on ne voyait pas toujours d'un bon crû qu'elle se prodiguât avec tant d'aisance et d'enjouement, Causant à qui lui plaisait, riant quand elle en avait envie et ne se demandant pas si, en cédant à son naturel, elle ne sortait pas des convenances imposées à la tenue d'une Altesse Impériale. Aussi, arrivait-il que, deux ou trois fois dans la soirée. Eugénie lui fit dire de venir prendre place à ses côtés, ce qui mettait un frein aussitôt à son humeur expansive.
[15] Le même jour, il notait cette remarque sur son mémento : Je suis retourné à Paris, dans la voilure impériale, avec M. et Mme de Morny, M. Valewski et sa femme et les deux dames d'honneur de service, dont l'une Mme de Pierre, née Thorne, une Américaine, n'a cessé, pendant tout le trajet, ainsi que Mme de Morny, qui est Russe, de fumer au nez de l'impératrice. Celle-ci est beaucoup trop indulgente pour son entourage.