Comment fut accueilli tout d'abord, dans l'opinion publique, le mariage de Louis-Napoléon et d'Eugénie de Montijo. — Critiques ouvertes et secrètes résistances. — Après une courte opposition. — Les premiers actes du nouveau règne. — Questions d'étiquette. — Organisation minutieuse du cérémonial de la Cour. — Répartition des titres et des dignités, dans le cortège. — La maison de l'empereur et de l'impératrice. — Services d'honneur ; dames du palais. — Apparente omission de la comtesse de Montijo dans le partage des hautes faveurs. — Le rang fait aux Altesses impériales, à la suite des souverains. — Par contraste, le réel des sentiments intimes. — Jalousies, rivalités de famille. — Le prince Jérôme, la princesse Mathilde et la princesse Clotilde, dans leurs rapports avec l'impératrice. — Aspect général de la Cour. — Les splendeurs officielles des Tuileries. Cet extraordinaire mariage, fruit du hasard, de l'intrigue et de l'amour, était chose accomplie. Habile à mettre d'accord l'obligation des circonstances et les raisons dont il lui convenait de colorer ses actes, Louis-Napoléon venait de justifier son choix devant le pays par une déclaration solennelle. Avant de s'y résoudre, et avec une insistance aussi tenace que mal récompensée, il avait fait mouvoir les ressorts les plus actifs de sa diplomatie secrète, afin de se lier conjugalement à quelqu'une des vieilles maisons de l'Europe monarchique. Il s'était heurté à des défiances invincibles. Les bases du trône, qu'il offrait en partage, avaient paru d'une assiette trop peu solide. On ne croyait point à la durée de ce pouvoir, issu d'un coup de force et saisi d'une main violente, au tournant d'une révolution. Volontiers on se fût entre-dit le mot de lady Blessington renvoyant à Napoléon III, qui lui demandait si elle était pour longtemps à Paris, cette autre question : Et vous, Sire ? A la place de l'infante ou de l'archiduchesse qu'on ne lui avait pas donnée, il avait pris par la main la fille d'un grand d'Espagne et l'avait conduite aux Tuileries impérialement. Malgré qu'il eût fait de nécessité vertu, il n'en annonça pas avec moins de hauteur ni d'assurance qu'il avait dédaigné ce qui n'était pas venu à lui. La raison forcée fut convertie en principe de gouvernement : Quand, en face de la vieille Europe, on est porté par la force d'un nouveau principe à la hauteur des anciennes dynasties, ce n'est point en vieillissant son blason et en cherchant à s'introduire à tout prix dans la famille des rois qu'on se fait accepter. La politique avait échoué où triomphait l'amour : ingénieusement il tourna l'obstacle en prononçant, au bon moment, les mots opportuns. De son côté, la nouvelle impératrice n'avait pas voulu se montrer en reste de générosité. Elle témoigna par des paroles bien senties de ces nobles dispositions d'âme, qui viennent aux lèvres de tous les princes et de toutes les princesses, en montant sur le trône : Je désire, disait-elle, que mon mariage ne soit l'occasion d'aucune charge nouvelle pour le pays auquel j'appartiens désormais, et la seule chose que j'ambitionne c'est de partager avec l'empereur l'amour et l'estime du peuple français. Paroles sincères, sans doute, comme le sentiment qui les dicta, à l'heure où elles se firent entendre, mais qui n'empêcheront pas de constater ensuite et bientôt que le luxe par-dessus tout plaisait à sa jeunesse. L'approbation nationale ne s'était pas traduite immédiate et chaleureuse. Il y avait eu dans l'opinion générale moins de sympathie que de surprise. Cet amour, qui remplissait le cœur de Napoléon III, ne s'était pas communiqué, ainsi qu'un fluide magnétique, au cœur des citoyens français qu'il avait conviés en masse à prendre leur part de sa joie. Avant les cérémonies officielles circulèrent dans le public des allusions désobligeantes, des équivoques malintentionnées au nom et à la personne de Mlle de Montijo. Los échos s'en étaient multipliés. A ce point que la police avait eu à s'en mêler. Prompts à saisir ce qui se murmurait d'offensant, soit dans les cafés du Boulevard, soit dans le plein air du Quartier Latin, les agents arrêtèrent un grand nombre de personnes, suspectes d'insinuations irrespectueuses à l'égard de la fiancée de l'empereur. Dans un estaminet du boulevard Beaumarchais furent cueillis d'une poigne rude deux personnages de mince acabit, qui échangeaient des propos malsonnants au sujet du prochain mariage. Certain auteur dramatique s'était flatté d'avoir eu l'occasion, dans une réunion dansante, de glisser un tendre aveu à l'oreille de la comtesse de Teba ; on l'envoya réfléchir entre quatre murs sur le mauvais goût de ce genre de réminiscences. Des journalistes, des gens de finances, des ouvriers eurent pareil sort pour avoir tenu des discours frivoles, où ils eussent mieux fait d'approuver ou de se taire. Il y eut des mécontentements partiels à cause de cela. La Bourse elle-même eut un accès de mauvaise humeur, dont les effets éclatèrent aussitôt qu'eut été proclamé le vœu matrimonial de Napoléon. La rente baissa de plusieurs points. Mais ce grain passa vite. Les oppositions, les secrètes résistances s'évanouirent du jour au lendemain. On accepta le fait accompli comme si on l'eût désiré. Et le sentiment populaire vint à s'y intéresser ainsi qu'au dénouement d'une histoire romanesque ou d'une belle pièce de théâtre. Des poètes lyriques chantèrent les bienfaits de la Providence qui, sur la tète la plus charmante, avait posé la plus enviable des couronnes. Les flatteurs à gages, les aspirants à toutes les fonctions brodées de la cour, les quêteurs de brillants emplois sans responsabilité ni peine, accoururent, pressés de connaître la nature et le prix de leurs services, — ce qu'on ne tarda pas à leur faire connaître. En effet, dès l'instant où Eugénie s'était installée au palais de l'Elysée avec sa mère, on ne s'était occupé d'aucune question d'état ni de gouvernement avec autant de sollicitude que du soin de former la nouvelle cour. Et, comme base fondamentale de cette organisation de faste et de parade, Napoléon III, qui tenait à l'effet, avait décidé qu'on suivrait exactement les traditions à grand fracas du premier Empire. Des esprits mesurés auraient souhaité qu'on n'allât ni si haut ni si loin, qu'on se bornât à un entourage de service pour l'impératrice et que lui-même se contentât d'une importante maison militaire. Mais ces prudentes personnes ne furent pas appelées au Conseil. Par-dessus leur tête il avait été convenu qu'on ferait les choses grandement. On le pouvait d'autant plus à l'aise que les dépenses personnelles de l'empereur et toutes celles qu'il jugerait opportunes n'étaient pas soumises au contrôle des finances publiques. Napoléon avait assez médité l'histoire des grands ambitieux pour n'ignorer point de quelle force d'illusion agissant sur l'esprit des foules s'accompagne le déploiement des pompes souveraines. Par principe et par orgueil, par calcul et pour sa propre satisfaction, il s'était donc fixé à cette résolution qu'on approprierait à la seconde période napoléonienne la hiérarchie compliquée de la première, sa noblesse improvisée, ses titres ronflants et son fonctionnement solennel. Il en avait arrêté le dessein aussitôt qu'il eût fait son lit dans le palais des rois. N'y avait-il pas été préparé, dès l'enfance ? Ses sept premières années s'étaient vues environnées des privilèges d'une éducation princière. Au château d'Arenenberg, chez la reine Hortense sa mère, fort entichée des airs de représentation et dont c'était le besoin, l'excessive habitude de copier, fût-ce dans un cadre réduit, les gestes de la royauté, on avait conservé les derniers fastes d'une étiquette de cour, autant, du moins, que le permettait le budget d'une souveraine découronnée relisant les souvenirs de son ancienne splendeur sur les bords d'un lac helvétique. A mesure que les pays sont barbares et que les cœurs sont faibles, a dit Voltaire, le cérémonial est plus en vigueur. Napoléon III ne se rangeait pas à cette opinion du grand philosophe, lorsqu'il hâtait de ses désirs le rétablissement de formalités monarchiques, qu'on aurait crues mortes à tout jamais, en France, depuis que la Révolution les avait balayées de son souffle comme une vaine poussière. On en réveilla l'esprit et la lettre ; on en reprit l'accoutumance ; on se refit à des usages cérémoniels, comme celui-ci, ordonnant que, lorsqu'on était autorisé à pénétrer chez le souverain, on devait faire trois révérences égales, lui parler à la troisième personne et ôter ses gants des deux mains. Pendant des semaines et des mois fut dépensée une ardeur d'étude extraordinaire en ces questions d'apparat, qui sont l'occupation préférée des âmes oisives. On y comptait pour rien tout ce qui n'était pas détail de préséance et d'habillage, passementeries d'or ou d'argent, dessins de costumes, services d'honneur, distinctions et privilèges. Des théoriciens experts à classer, distribuer, dogmatiser toutes les futilités courtisanesques du protocole, s'employèrent, avec un merveilleux zèle, à compulser les textes du cérémonial en vigueur sous l'ancien régime, puis sous Napoléon Ier, qui s'en inspira. Ils en formèrent un véritable code par titres et par chapitres, dont les ordonnances nous semblent, en ces temps de républicanisme, étrangement surannées. L'application suivit de près les règlements. On avait commencé par abroger le décret égalitaire, aux termes duquel le gouvernement provisoire avait déclaré nuls et abolis[1] les titres de noblesse. Le 23 février 1852, se donna aux Tuileries une soirée dansante où passèrent une foule de gens recréés comtes, barons, marquis ou ducs. Déjà les intéressés avaient eu la satisfaction d'apprendre qu'il y aurait, désormais, un grand chambellan[2], un grand maître du palais[3], un grand maître de cérémonies[4], un grand veneur[5] et un grand écuyer[6]. Il fut dit à tous et à toutes qu'on tiendrait la main strictement à l'observance des rites nouveaux ou rajeunis. On en put juger à l'expérience... Considérez les formalités de mariage de l'empereur, du prochain voyage de Leurs Majestés en Angleterre et plus tard de la reine d'Angleterre en France : c'est l'étiquette en action. Sur les égards dus à l'impératrice, sur les démonstrations de respect et de cérémonie, qui revenaient à son rang, sur le nombre et la qualité des personnes, qui étaient admises à accompagner ses pas, en ses appartements, en la chapelle des Tuileries, hors du palais, le règlement suprême institué à l'usage de la famille impériale dénonçait dans tous les détails une attention aussi méticuleuse qu'explicite. Ainsi les présentations, qui lui étaient réservées, suivaient-elles le même ordre que pour l'empereur. Elles devaient avoir lieu pareillement à son lever et après les grandes entrées. Hormis les réceptions des levers et sauf le droit acquis aux Altesses Impériales, personne ne pouvait être introduit auprès d'elle sans avoir sollicité une audience, dont avaient charge de s'entremettre des dignitaires de sa Maison. Aux jours et aux heures de cérémonies religieuses, le cortège de l'impératrice se rendait, le premier, à la chapelle, Sa Majesté étant précédée par ses pages. les écuyers et chambellans des princesses, et suivie par les princesses, les dames d'honneur, les dames du palais et les dames des princesses. Le grand maître devait marcher à trois pas en arrière, à sa droite, et la grande-maîtresse à sa gauche. Nous laisserons de côté la fastidieuse énumération des honneurs qu'on avait à lui rendre, aux circonstances diverses de ses journées, ou des prescriptions spéciales qui étaient affectées à son cercle, à ses réceptions officielles du soir, comme aux concerts et spectacles donnés en sa présence. Espagnole et tille de grand d'Espagne, ayant l'inclination tout aussi forte que Napoléon III pour les titres, personnellement éprise des signes apparents de la noblesse du nom, des armoiries qualifiées, des fiers écussons et du lustre attaché aux antiques généalogies — plus ou moins troublées en cours de route — Eugénie avait manifesté un intérêt extrême à voir figurer, dans le cortège de sa jeune gloire, non pas seulement des barons, des comtes ou des ducs de l'empire, anoblis de la veille pour les besoins de la cause, mais aussi des représentants véritables, des titulaires authentiques de l'aristocratie française. Lorsque l'entreprenant Fialin, créé comte de Persigny, en attendant qu'il fût duc, par le bon plaisir de l'empereur, s'écriait dans un mouvement d'orgueil ingénu : Nous autres des grandes maisons..., elle ne s'abusait pas sur la qualité de cette noblesse artificielle, et ne cachait pas la satisfaction qu'elle aurait eue à voir se rapprocher du trône des blasons moins frais de peinture. Tenant à faire reluire son entourage du double éclat qu'y pouvait ajouter la fusion du présent avec le passé, elle avait mis en évidence tout le prix qu'elle y attachait. Les premières charges de sa maison, quand on commençait seulement à l'instituer, furent offertes aux duchesses de Lesparre et de Vicence. Celles-ci déclinèrent d'un peu haut l'intérêt qu'on prenait à leur compagnie, et il avait fallu songer à d'autres choix. La duchesse de Bassano n'opposa point de ces façons ni de ces résistances, bien que le duc, son mari, peu de jours avant la cérémonie nuptiale à Notre-Dame, eût paru ne pas tenir extrêmement à la charge de grande-maîtresse pour elle ni de grand chambellan pour lui-même. Ils se firent légèrement prier, puis se rendirent à des intentions, qui les flattaient, et enfin se portèrent à l'accomplissement de leurs charges avec un zèle, un empressement, une sincérité d'attachement, qui ne devait plus se démentir ni un jour ni une heure. L'aristocratique faubourg ne se laissa pas charmer si aisément. On y affichait une intransigeance irréductible. De ces familles si orgueilleuses des mérites passés ou de la fortune acquise de leurs ancêtres il aurait semblé que pas une n'eût consenti à se mêler à une cour de parvenus et d'exotiques.... Ces fières attitudes, cependant, étaient condamnées à mollir. L'appât des honneurs faciles et des larges traitements allait provoquer bien des défections dans les rangs légitimistes, et aussi le désir de briller, de s'amuser, de vivre et d'aimer en belle compagnie, au lieu de se morfondre dans l'ennui d'un isolement boudeur et stérile. Tout doucement se détachèrent du clan des opiniâtres : le prince Charles de Beauveau, séduit aux promesses d'un siège de sénateur, et le duc de Crillon, le prince de Beauveau-Craon, le comte de Montalembert, gagnés à l'amorce d'une égale faveur. L'année suivante, les purs criaient au scandale et qualifiaient de véritable désertion le passage à l'ennemi du duc de Mouchy, des marquis de Pastoret et de la Rochejacquelein, du prince de Beauffremont ; mais leur indignation n'avait pas connu de bornes en apprenant que le duc de Guiche avait cédé, à son tour, aux avances de l'empereur et de l'impératrice lui, l'héritier favorisé de la duchesse d'Angoulême, et qu'auraient dû mettre à l'abri de la tentation les neuf cent mille livres de rente, qu'il devait à la munificence de celle-ci. Le comte de Chambord et ses fidèles s'en affectèrent profondément, pendant qu'on en témoignait une chaude allégresse à la Cour. Non sans raison : car ces éléments d'aristocratie relevaient de distinction et d'élégance bien française ce qu'avait d'un peu trouble et de disparate la société cosmopolite, qui s'était poussée sur les pas de la comtesse de Teba, au lendemain de son couronnement. Dans l'entrefaite, on continuait à composer son service d'honneur. Sans porter en ces questions l'absolutisme ombrageux, ni l'esprit de surveillance tyrannique du premier des Bonaparte, qui s'était arrogé le droit personnel de nommer, déplacer, morigéner, au besoin, les dames attachées à la personne de Joséphine ou de Marie-Louise, Napoléon III avait exprimé sa volonté qu'on formât promptement et diligemment la maison de l'impératrice. La duchesse de Bassano avait reçu le titre de dame d'honneur. La princesse d'Essling, belle-fille de Maret, duc de Bassano et fille du général Dobelle, fut créée grande maîtresse. Cette dernière était une personne un peu froide, tenant d'autant plus à avoir grand air qu'elle était de petite taille, très stricte sur les détails d'étiquette, n'y manquant pas elle-même, mais s'y conformant avec cette ponctualité qui faisait qu'on ne l'aurait jamais vue sortir autrement qu'en une solennelle berline, donnant l'exemple d'une correction impeccable, d'ailleurs ayant de l'intelligence et de la bonté, sauf une certaine roideur, qui ne séduisait pas au premier abord, ni peut-être au second. La princesse d'Essling et la duchesse de Bassano avaient à s'occuper des présentations, des audiences, et ne paraissaient pas dans les cérémonies : de plus, la première, comme grande maîtresse, réglait le service des dames du Palais, pour chaque semaine. Celles-ci furent, d'abord, au nombre de six, puis de douze. Des premières nommées se trouva la vicomtesse Aguado, marquise de Las Marismas. Elle avait épousé l'aîné de trois frères espagnols, connus à Paris par le luxe et l'élégance dont s'entourait leur personnalité mondaine. Elle avait l'une des maisons les plus appréciées de Paris[7] pour le charme et la qualité des réceptions. Son hôtel de la rue de l'Elysée devait être, pendant de longues années, le rendez-vous choisi de l'aristocratie étrangère et des habitués de la cour des Tuileries. Sur la liste se succédaient les noms de la comtesse Adrienne de Montebello, née de Villeneuve-Bargemont et petite-fille par sa mère de la duchesse de Vicence ; la comtesse de Lezay-Marnésia ; la baronne de Malaret, la marquise de Latour-Maubourg et la baronne de Pierre, chez qui l'on remarquait cette particularité contrastante qu'étant la femme de France peut être qui montait le mieux à cheval, elle était en même temps la plus timide personne qu'on pût voir, se troublant pour un mot, un rien, et se déconcertant pour très peu de chose Un peu plus tard, une deuxième liste viendra doubler celle-ci, élevant à douze, au lieu de six, le nombre des dames du palais. On y verra porter : Mme de Sancy-Parabère, née Lefèvre-Desnouettes, dont le marquis de Charnacé traça un si délicieux portrait sous le nom figuré d'Herminie ; — la comtesse de La Bédoyère, plus tard princesse de la Moskowa, spirituelle avec mesure, mais ayant de l' éclat et de la beauté ; — sa sœur, la comtesse de la Poëze, très attachée à son titre, à ses fonctions, et dont l'enjouement naturel, l'esprit vif apportaient de l'animation dans cet entourage féminin ; — Mme de Saulcy, sévère et mystérieuse avec, ses grands yeux noirs, assez belle, quoique l'expression du visage fût un peu dure, intéressante par la sûreté de son jugement, en un mot la digne compagne du membre de l'Institut, Louis de Saulcy, un fin causeur qui dépensait chez les princes et dans le monde le temps qu'il n'employait pas à la classification des monnaies byzantines ; — la comtesse de Lourmel, dont l' intelligence n'était pas très lumineuse ni la raison très solide : — la baronne de Viry-Cohendier, à laquelle ne se rattache aucun souvenir précis, sinon qu'elle avait de beaux yeux bruns, qu'elle aimait jalousement son mari et qu elle se montrait fanatique pour tout ce qui intéressait la Savoie, son pays d'origine ; — Mme Fera y d'Isly, fille du maréchal Bugeaud, qui ne demeura guère en la place, ne la trouvant pas digne d'elle autant qu'il aurait fallu, — surtout quand elle se rappelait qu'au temps où son père était gouverneur de l'Algérie, c'était pour sa voiture que les tambours battaient aux champs ; — enfin, pour remplacer Mme Lezay-Marnésia, Mme Carette, petite-fille de l'amiral Bouvet, et qui avait été attachée d'abord, comme seconde lectrice, à la personne de l'Impératrice. Toutes les dames du palais prenaient le service par deux à la fois. Elles n'habitaient point les Tuileries. Chaque jour, à tour de rôle, une grande berline aux armes de l'Empire venait les cueillir à domicile et les conduisait d'une allure tranquille à leur douce occupation. Elles arrivaient généralement vers 2 heures et s'installaient dans le salon, qui leur était réservé. L'une d'entre elles en a retracé de mémoire, et non sans regret, les agréables détails : il était peint à fresques en camaïeu sur fond vert d'eau, rehaussé de fines arabesques de différents verts ; au plafond s'épanouissait une luxuriante corbeille de fleurs. Sur les panneaux des portes reparaissaient des fleurs et voletaient des oiseaux. D'une extrême élégance, les meubles, les bronzes, les tapisseries révélaient le plus pur Louis XVI. C'est là que se tenaient, lisant, brodant ou tapissant, les dames du palais toujours prêtes à communiquer à l'impératrice directement, ou par l'intermédiaire du chef des huissiers, les incidents, les questions dont il paraissait convenable qu'elle fût promptement avertie. A la suite de ce salon, il s'en voyait un autre de décoration rose, qui menait au salon bleu de l'impératrice, une merveille d'ornementation délicate, et où elle donnait audience. C'est là qu'Eugénie s'était plu à réunir en médaillons les portraits des beautés les plus rayonnantes de sa Cour, chacune personnifiant en son costume telle ou telle des nations de l'Europe. Deux chambellans : le marquis de Piennes et le comte de Cossé Brissac, et deux, écuyers : le baron de Pierre et le marquis de Legrange, jouissant l'un et l'autre d'une réputation de sportsmen émérites, complétaient la Maison de l'impératrice, moins surchargée de hauts dignitaires que celle de l'empereur, parce qu'on aurait eu peine à y trouver autant d'attributions justifiables, mais aussi très brillante. Lorsqu'il eut à répartir les honneurs et les places dont il avait la main pleine, Napoléon III avait satisfait largement les vœux d'anciens serviteurs de sa cause et, par obligation de famille, comblé sans l'assouvir toute la lignée avide des Bonaparte. À son exemple, Eugénie avait regardé autour de soi, désirant que son élévation se déversât en grâces sur les amis de son enfance et de sa jeunesse. L'un des premiers personnages auxquels songèrent à se manifester ses sympathies fut naturellement Mérimée, qui l'avait suivie, d'heure en heure, dans l'éclosion de sa jeunesse, jusqu'à la réalisation féerique de ses rêves. De sorte que lorsqu'il s'était surpris appelant : Votre Majesté, l'enfant d'autrefois, celle qu'il avait conduite par la main à travers les foules parisiennes, il s'était demandé si lui-même n'était pas le jouet de son imagination de conteur ou s'il ne donnait pas la comédie comme jadis, chez la comtesse de Montijo... Mais, quelles honorifiques attributions, qui ne lui eussent pas été à charge, offrir à cette nature d'homme de lettres nerveux, pessimiste, trop subtile ou trop indolent pour se plier à un joug régulier[8], pour s appliquer à une toute continuité d'efforts fastidieuse ? Mérimée ne demandait rien et paraissait ne rien désirer que d'être assis en bonne place pour bien voir et bien juger. On avait eu l'idée de le faire secrétaire des commandements. Il fut là-dessus pressenti : et, sans doute, avait-il trahi peu d'empressement pour l'obtention d'un titre, qui entraînait après soi un assujettissement de chaque jour ; car, on voulut trouver mieux. Le 23 juin 1833, il apprit sa nomination de sénateur, une situation facile, peu encombrante, qu'il remplirait à sa guise, absent ou présent, et qui lui permettrait d'être le spectateur favorisé à trente mille francs par an de la comédie politique de son temps. L'impératrice s'en montra plus réjouie que Mérimée lui-même Lorsque Napoléon fit connaître à Eugénie la nouvelle de cette nomination, qui satisfaisait son désir amical, elle en avait marqué son contentement d'une façon toute spontanée en embrassant son mari avec effusion. Elle s'était rappelé d'autres noms, d'autres figures, d'importance moindre. Tel l'abbé Boudinet, l'insinuant abbé, qui, par une sorte d'illumination heureuse, à Cognac, dans un dîner, lui avait prédit qu'elle serait l'élue d'un trône. Il fut mandé par télégramme aux Tuileries. On le nomma évêque au siège d'Amiens. Elle se souvint aussi d'un fervent ami des lettres espagnoles, né à Madrid ; elle s'attacha Damas-Hinard comme secrétaire de ses commandements. Un homme très circonspect, ce Damas-Hinard, très officiel, très révérencieux, et qui, bien qu'il fût amené à voir l'impératrice quotidiennement et que l'habitude eût dû simplifier ses attitudes, se tenait devant elle, toujours, plié en deux. L'élément hispanique, comme il était aisé de le prévoir, fut abondamment représenté dans le cercle de la nouvelle souveraine. Elle eut, du moins, le bon goût de ne pas souligner outre-mesure sa qualité d'étrangère on prétendant imposer, avec les personnes, les modes et les habitudes espagnoles. Elle se garda, par exemple, d'écouter l'avis de ceux qui pensaient lui plaire, lorsqu'ils lui conseillaient d'introduire en France tout le tracas de couleurs, de cris et de sang des courses de taureaux. Napoléon inclinait à préconiser cette idée ; très enfoncé dans les études d'histoire romaine, le futur historien de César aurait vu là comme un réveil des jeux de gladiateurs. Les Français, avançait-il, aiment des jeux émouvants, et, en parlant ainsi, il confondait des jeux de vaillance avec les spectacles inutilement cruels, qui ne purent jamais se faire accepter dans la France du Nord et du Centre. Il ajoutait que ce serait là une excitation salutaire aux actes de hardiesse, de courage. Eugénie, qui s'égara souvent à suivre les impulsions de sa nature ardente, ne se laissa pas leurrer, cette fois, par de fausses imaginations, Elle comprit et fit comprendre que le projet n'avait aucune chance de réussir à Paris. Il ne fut plus question, dans son salon bleu, de courses de taureaux. Quand fut close la distribution des titres et des distinctions, quelques-uns remarquèrent qu'on n'avait rien trouvé pour la mère de l'impératrice. Elle ne fut pas Altesse, à la Cour de sa fille. Mme de Montijo préférait elle aux honneurs étrangers su propre indépendance et les habitudes de la mondanité espagnole ? Ou fallait-il chercher au fait, qui la tenait à l'écart, de plus secrètes explications ? On ne se priva pas d'insinuer, à ce propos, que Mme de Montijo avait toujours laissé voir une prédilection marquée pour sa fille aînée la duchesse d'Albe, d'une nature plus douce et plus tendre, et que de fréquentes discordes avaient éclaté entre elle et Eugénie, même après la conclusion d'un fortuné mariage, dont le succès, pour une bonne part, revenait à l'habileté de sa diplomatie. A très faible distance du jour de la cérémonie nuptiale, la comtesse de Montijo était repartie pour l'Espagne Son fidèle correspondant et son ami Prosper Mérimée l'escorta jusqu'à Poitiers ; et, quelques semaines plus tard, cet homme d'esprit lui écrivait, au souvenir des événements, qui venaient de se passer : C'est une terrible chose que d'avoir des filles et de lès marier. Que voulez-vous ? L'Écriture dit que la femme doit quitter ses parents pour suivre son mari. Maintenant que vos devoirs de mère sont accomplis — et, en vérité, personne ne vous contestera d'avoir fort bien marié vos filles —, il faut songer à vivre pour vous-même et à vous donner du bon temps. Tâchez de devenir un peu égoïste. Le conseil n'était pas mauvais à méditer. Il répondait trop bien aux goûts de personnalité franche et libre de la comtesse de Montijo pour qu'elle n'en appliquât point la leçon dans la mesure du possible. Elle se reprit à vivre sa propre existence, à Madrid, suivant de loin les débuts de la jeune impératrice, s'abstenant d'y faire sentir aucune intervention, qu'on eût pu juger importune et demeurant, en sa patrie, fidèle à son état et à ses aspirations de grande dame espagnole. Le rang souverain auquel la plus merveilleuse des aventures venait de hausser sa fille n'avait apporté aucun changement en ses manières ; elle ne s'en montrait ni plus infatuée de soi ni plus hautaine. Qu'elle le préférât de la sorte ou que l'empereur sciemment et à dessein eût écarté d'elle les occasions d'étendre son influence ou de grandir son rôle, la comtesse de Montijo ne devait jamais occuper, à la Cour impériale, la situation à laquelle les liens du sang la mettaient en droit de prétendre. On y vit presque de l'éloignement voulu. Plus rapprochés des yeux d'Eugénie, mais non de son cœur, étaient les membres de la famille napoléonienne, qui avaient participé aux avantages de son élévation, mais la subissaient jalousement. D'après le protocole faisant loi dans les us monarchiques, le rang suprême de Majesté veut après soi la suite des Altesses impériales ou royales, branches plus ou moins ramifiées d'une même souche. Napoléon III qu'enserraient âprement les exigences des Bonaparte, devait entretenir la tradition, ne fût-ce que pour relever de plus d'éclat extérieur l'importance de sa maison. Il en usa d'une façon tout arbitraire. On créa deux espèces d'Altesses. Il y eut, comme chez les grands d'Espagne, la première et la deuxième classe : la famille impériale et la famille civile, Jérôme et sa descendance européenne, à l'exclusion de l'américaine, c'est-à-dire des Paterson, furent seuls admis aux honneurs et aux émoluments de l'impérialat, tandis que les autres parents, au même degré, ne reçurent de ce plantureux gâteau de la liste civile que des tranches très amincies[9]. Comblés de titres et de dotations, de faveurs et d'argent, portés à un état de fortune, dont la possession dépassait toutes les espérances qu'ils auraient pu concevoir, le roi Jérôme et les siens, peu sensibles aux mouvements de la reconnaissance, ne s'étaient jamais attachés franchement et complètement à la personne de Napoléon III. Volontiers le considéraient-ils comme un usurpateur, qui occupait la place où ils auraient dû être ; et leur flamme était moindre encore à l'égard de l'impératrice, dont ils avaient combattu l'avènement avec la dernière vivacité. C'était, avons-nous dit, chez la princesse Mathilde que Louis-Napoléon, son cousin, avait rencontré, pour la première fois, Mlle de Montijo. Ce fut elle, qui, la première, reçut confidence d'un projet d'union auquel, par des raisons qu'elle ne disait pas toutes, elle avait opposé une désapprobation absolue. Comme les paroles étaient restées impuissantes à le faire revenir sur son dessein, elle y avait joint les démonstrations les plus capables d'émouvoir une âme, qu'elle supposait partagée entre le sentiment et l'ambition, se jetant à ses genoux, le conjurant de renoncer à un mariage, qui ne pouvait que l'amoindrir. Mais que sont les mots, que peuvent être les raisons tirées des mots contre les puissants effets de l'amour ?... La princesse Mathilde non seulement ne fut pas écoutée, mais elle fut contrainte à prendre, en sa qualité d'Altesse impériale, une part essentielle au cérémonial du grand jour, et dut vaincre, sous un sourire de commande, ses répugnances intimes. Des premières elle se vit invitée aux Tuileries, après la solennité, dînant en face de celle dont elle aurait pu tenir la place si, dans le passé, elle eût accepté, ou plutôt si son père l'eût laissée libre d'accepter la main du prétendant encore obscur. En réalité, l'antithèse était trop absolue entre les deux femmes, tant par le caractère que par les idées, pour qu'une harmonie parfaite régnât jamais dans leurs échanges d'âmes. Elles s'aimèrent faiblement, au début des jours de prospérité, risquèrent même, parfois, de se brouiller et ne furent amenées à se rapprocher étroitement que dans l'adversité. Telles étaient les dispositions réciproques d'Eugénie et de Mathilde. Une certaine contrainte accompagnait les rapports, qui les tenaient vis-à-vis l'une de l'autre sur un ton d'étiquette et de cérémonie[10]. Il n'en allait pas mieux du côté du prince Jérôme-Napoléon. Très au contraire. C'était presque une inimitié déclarée et qui avait été sensible tout aussitôt. Elle réprouvait en lui le libertin sans scrupules, le démocrate turbulent, le libre-penseur osé, et redoutait aussi, sans doute, les visées du politique ambitieux. De retour, il condamnait en elle l'ultramontaine tenace, dévouée corps et âme aux intérêts de la papauté ; il la disait étourdie, dépensière, inconséquente, grossissait les imperfections qu'elle était susceptible d'avoir et réduisait à rien ses qualités. Il avait pu rechercher l'approche de sa beauté quand elle n'était qu'une élégante étrangère, des mieux accueillies dans les salons parisiens. Lorsqu'elle eut fait le pas décisif, qui la porta si haut, il ne vit plus en elle que l'Espagnole, l'ennemie dont le mariage, envisagé dans ses suites présumables, avait élargi la distance, qui le séparait du pouvoir, objet de ses ardentes convoitises ; et, cédant à la franchise hardie, brutale, cynique même, dont les écarts en paroles furent si préjudiciables à son intelligence supérieure, il jetait au vent ses colères, ses impatiences, ses rancunes, sans se soucier de ce que les échos en rapporteraient de fâcheux aux oreilles de l'impératrice. C'était trop pour qu'elle penchât à beaucoup de complaisance envers le prince Jérôme-Napoléon. Il était à prévoir déjà que les efforts des coteries ne seraient pas trop désavoués par elle lorsqu'ils travailleraient à amoindrir la situation du cousin de l'empereur. Quelques années plus tard, la venue de la princesse Clotilde, fille de Victor-Emmanuel et mariée par raison d'État au fils de l'ancien roi de Westphalie, pourra tempérer de sagesse, de convenance, le caractère de ces relations sans aménité entre les Tuileries et le Palais-Royal, mais en réchauffer les échanges ne sera pas en la mesure d'une aussi froide et cérémonieuse princesse. Et l'impératrice aura lieu de s'en apercevoir avec déplaisir, dès le début des fêtes données en l'honneur de Jérôme et de Clotilde, nouvellement unis. C'était le 3 février 1859. On n'avait rien ménagé pour donner tout l'éclat possible à la cérémonie de présentation. La princesse Mathilde était allée recevoir Leurs Altesses à la gare de Fontainebleau ; et à la descente du wagon les attendaient un maréchal de France, le maréchal Magnan, commandant en chef de l'armée de Paris, le général de Löwœstein, le préfet de police, la légation de Sardaigne, maints et maints fonctionnaires d'un rang élevé. Un régiment de ligne avait été placé en ligne de bataille à la sortie de la gare de Lyon. Et lorsqu'une voiture de la Cour eut conduit les nouveaux époux aux Tuileries, l'empereur était prêt à les accueillir, debout au bas du grand escalier, et entouré des dignitaires du palais. L'impératrice, suivie de ses dames d'honneur, s'était avancée au-devant de la princesse Clotilde jusqu'à l'entrée de la galerie, et l'avait embrassée avec la cordialité la plus gracieuse. Mais la reconnaissance de Clotilde fut courte. A la soirée, prenant pour de la timidité chez celte dernière la réserve excessive qui lui était naturelle, Eugénie voudra lui donner des conseils, encourager son inexpérience, lui prêter la main, en bonne parente ; alors, elle recevra d'elle, en guise de remercîment, une sèche réponse qu'on ne devait pas oublier : Madame, vous oubliez que je suis née à la cour. Cérémonieuse, nulle ne l'était foncièrement comme cette austère princesse de la maison de Savoie. Il faut avoir entendu dire comment se passait, au Palais-Royal, l'embarrassante obligation de lui être présenté en audience pour s'en faire une juste idée. Elle était froide, de contenance embarrassée, et sans effusion. On en ressentait l'impression glaçante tout aussitôt. Une audience chez la princesse Clotilde — nous en parlons ici par anticipation de date — c'était court et peu réjouissant. A l'heure fixée, la personne attendue devait se trouver dans un des salons du palais, où la recevaient Mme Barbier et le chevalier d'honneur. Après quelques mots échangés à voix basse, comme dans un temple, on conduisait ladite personne jusqu'à la porte du salon de Son Altesse. Une pièce immense en longueur, en largeur, en hauteur, somptueuse et réfrigérante. Tout à l'extrémité, devant la cheminée et près d'un guéridon surmonté d'un double flambeau à abat-jour, à la mode du premier Empire, se tenait Clotilde. Elle se levait à l'entrée de la personne introduite. Celle-ci, dès le seuil, devait s'incliner dans une révérence profonde, que la princesse rendait d'une inclinaison de tête, en gardant les bras croisés sur la poitrine. On avançait, à pas comptés, et au milieu du salon, nouvel arrêt, nouvelle révérence et nouveau salut de la princesse. Enfin, on l'a rejointe : troisième révérence, baisemain respectueux et désignation par Clotilde d'un fauteuil où l'on peut s'asseoir, de l'autre côté du guéridon. L'entretien, en de pareilles conditions, ne s'engageait pas sans peine ; mais il allait être fini presque aussitôt que commencé. Sans regarder son interlocuteur ou son interlocutrice, elle débitait sur un ton assez rapide et monotone une suite de phrases répondant à la situation ou à l'objet de la visite, écoutait la réponse, puis, après dix minutes, rarement un quart d'heure, se levait pour indiquer que la conversation touchait à son terme, et, d'une même voix basse, donnait l'adieu ; on reprenait le même chemin en se retournant pour les deux révérences de rigueur. La porte s'ouvrait ; et, avant qu'elle se refermât sur vous, on avait eu le temps d'apercevoir, dans une dernière vision, la royale Clotilde debout, les bras croisés, comme figée ; c'était l'impression finale qu'on emportait d'une audience privée chez celte princesse de Savoie. Aucun lien de véritable amitié n'était destiné à s'établir entre celle-ci et sa cousine, pendant toute la durée de l'empire. Elle connaissait ses devoirs envers l'impératrice, mais les accomplissait sans élan, sans chaleur comme tous les actes qui émanaient de sa nature fuyante et voilée autant que le regard de ses yeux pâles. Ses apparitions, du reste, se rendaient aussi rares que possible, à la Cour. Comme nous l'avons pu constater suffisamment, les rapports entre les membres de la famille impériale, si bien réglés qu'ils fussent aux yeux du monde par une étiquette irréprochable, restaient, au fond, dépourvus de cordialité. Il était réservé à des temps prochains de voir se former, à la Cour, deux partis rivaux, dont Napoléon III aurait à subir, tour à tour, l'influence contradictoire et entre lesquels il oscillerait pendant toute la suite de son règne. Pour le moment, il n'était pas encore question de ces rivalités, d'une manière ouverte. La politique n'occupait que la moindre part des pensées de la gracieuse souveraine, toute à son rêve accompli, à ses étonnements charmés, à ses succès du jour, à ses triomphes du soir. Les effets du retour aux conventions monarchiques, sous un ordre nouveau, avaient dépassé les promesses d'un état de représentation constant et magnifique. Les femmes, qui entouraient l'impératrice, rivalisaient de luxe et d'imagination pour en embellir le cadre, tandis que les bénéficiaires des grandes charges de cour, restaurées de la veille, les écuyers, les chambellans, les préfets du palais, rivalisaient de zèle à en remplir les attributions vaines et brillantes. Les Tuileries ne virent jamais tant de lustres allumés. Sous Napoléon Ier, il n'y avait rien de plus éclatant que la Cour, quand on avait le loisir de s'y rassembler ; mais, en dépit d'un cérémonial pompeux, les événements extraordinaires, qui se succédaient sans interruption, ne permettaient d'y fixer aucun usage. Sous la Restauration, une influence essentielle manquait au salon du Roi : la femme, la reine en était comme absente. Enfin, on avait encore la mémoire toute fraîche des goûts simples et épargnants de Louis-Philippe. Avec Napoléon III et Eugénie, pendant les années de prospérité, la mise en scène fut sans pareille pour la richesse et l'agrément du spectacle. |