PARIS - E. PLON ET Cie - 1882
LA SAINT-BARTHÉLEMY.LA PRÉMÉDITATION DE LA SAINT-BARTHÉLEMY. Parties : I — II — III — IV — V — VI — VII — VIII — IX — X — XI — XII — XIII — XIV — XV — XVI — XVII — XVIII.LES NOUVELLES CONTROVERSES SUR LA SAINT-BARTHÉLEMY. Parties : I — II — III — IV — V — VI — VII — VIII — IX — X.L'AFFAIRE DES POISONS.Parties : I — II — III — IV — V — VI — VII.MADAME DE MONTESPAN ET L'AFFAIRE DES POISONS. Parties : I — II — III — IV — V — VI — VII — VIII — IX — X — XI.LE MASQUE DE FER.LE MASQUE DE FER DEVANT LA CRITIQUE MODERNE. Parties : I — II — III — IV — V — VI — VII — VIII.ET LES DERNIÈRES EXPLICATIONS DONNÉES À L'ÉNIGME DU PRISONNIER MASQUÉ.Parties : I — II — III.PRÉFACE.La question historique traitée au commencement de ce volume est de celles qui semblent pour toujours livrées aux disputes des hommes. Lorsque je l'examinai, il y a quelques années, dans le journal le Temps, feuille qu'on ne saurait suspecter de complaisance envers les idées d'intolérance, on put croire que le moment était enfin venu de l'envisager avec sang-froid, avec cette sereine impartialité qu'exigent les pures études d'histoire : aucune protestation ne s'éleva contre mes conclusions. Elles se résumaient dans cette idée, que les abominables auteurs de la Saint-Barthélemy n'eurent point de plan tramé longtemps à l'avance et suivi sans déviation ; qu'il y avait sans doute chez eux désir d'en finir avec leurs adversaires, projet éventuel même, mais non résolution arrêtée, et qu'ils se laissèrent entraîner par des circonstances impérieuses, résultat d'un premier crime. Ces conclusions, de bons esprits appartenant aux camps les plus opposés parurent s'accorder pour en louer l'équitable modération. Mais, comme Pollion, je marchais sur des feux recouverts d'une cendre trompeuse. Le débat n'a pas tardé à se ranimer. Divers travaux, dus à des écrivains de nationalité différente, au regrettable M. Wuttke, à lord Acton, à M. Combes, à M. Henri Bordier, ont rendu quelque vitalité à la vieille thèse de la préméditation. C'est à ce dernier surtout que je me suis attaché à répondre dans la courte étude intitulée : les Nouvelles Controverses sur la Saint-Barthélemy, étude qui a paru dans l'excellente Revue historique de MM. Monod et Fagniez. Les arguments de M. Bordier sont en effet les plus neufs qui aient été apportés depuis longtemps dans ce débat si souvent repris. Peut-être m'opposera-t-on les lettres récemment découvertes à Simancas par M. Combes, et qui sont antérieures de sept ans au massacre du 24 août 1572. Les quelques lignes qu'on pourra lire à ma page 7 me semblent suffire pour réduire ces documents à leur véritable valeur. Eussent-ils le sens qu'on leur attribue, que ma conviction n'en serait point ébranlée. Je n'y verrais toujours qu'un projet éventuel qu'un autre devait renverser. Un vaste plan d'extermination concerté avec l'Espagne, médité, préparé sans relâche pendant tant d'années, sans qu'il en perçât rien à l'extérieur, sans avoir laissé derrière lui aucune preuve irréfutable, voilà qui toucherait au miracle. « Nul conseil de si longue haleine ne se cèle à la Cour » , a dit un contemporain. Je ne vois pas bien, du reste, et je partage en cela l'avis des directeurs de la Revue historique dans une note par eux ajoutée à mon article, je ne vois pas bien pourquoi les catholiques tiennent tant à nier la préméditation, ni pourquoi les protestants tiennent tant à l'affirmer. Lés premiers s'exposent à s'entendre rappeler que le clergé et la papauté ont célébré ce crime comme un triomphe de la religion, et que nombre d'historiens italiens écrivant sous cette inspiration ont été unanimes à vanter la manière dont Catherine a conçu et préparé le massacre. Et quant aux protestants, ne craignent-ils pas de voir leurs exagérations et l'ardeur passionnée qu'ils mettent à noircir encore une action déjà trop noire, tourner au détriment de la cause qu'ils défendent et diminuer, loin de l'accroître, l'horreur du grand forfait ? Que les uns et les autres laissent donc l'histoire, j'entends celle qu'écrivent les esprits libres, non pas systématiquement incrédules, mais dégagés de toute passion religieuse ; qu'ils laissent l'équitable histoire vider ce grand procès, sans prendre conseil de leurs rancunes mutuelles. L'heure d'ailleurs n'est pas favorable aux disputes religieuses : le principe même de toutes les croyances est sapé par la base, et les coups qu'une Église porte à sa rivale retombent bientôt sur elle-même. Quand la maison brûle, les habitants des divers étages ont mieux à faire que de chercher au milieu des décombres quelques tisons pour se les lancer à la tête. La seconde des études qui composent ce volume a trait à l'affaire des poisons, cet obscur et lugubre épisode du règne de Louis XIV, qui pendant plus de vingt ans jeta la terreur dans Paris. J'ai essayé, dans une première partie, de fournir aux lecteurs un fil qui pût les conduire dans les dédales de l'immense procédure dont cette affaire fut l'objet, et de dresser un tableau d'ensemble des principales incriminations, sans me flatter toutefois d'y jeter une pleine lumière, car de puissantes volontés se sont ingéniées pour faire disparaître les pièces les plus compromettantes, et la critique la plus intensive ne saurait se flatter de suppléer entièrement à leur absence. J'ai cherché du moins, dans une seconde partie, à dégager le rôle joué par madame de Montespan dans ces ténébreuses manœuvres et préciser la part qu'elle prit à certains attentats médités ou accomplis contre ses rivales et contre Louis XIV lui-même. Je ne crois pas, quoi qu'on en ait dit, que le mystérieux personnage qu'on désigne sous le nom de l'Homme au masque de fer soit lié à ces attentats, ni qu'il ait été le chef d'un vaste complot menaçant systématiquement la vie des plus grands personnages et même de ceux qui touchaient au trône. Ce problème a des proportions plus modestes. Il est, à mon sens, beaucoup plus curieux qu'important, et l'histoire pourrait même le négliger, s'il n'éclairait d'une vive lumière les procédés de la police sous Louis XIV. L'étude qui termine ce livre a pour but principal d'appliquer à ce problème les procédés de la critique moderne. Si elle obtint, dès sa première publication, un certain succès de curiosité et d'assentiment, c'est peut-être qu'elle ne témoignait d'aucune idée préconçue, tandis que chacun de ceux qui ont voulu sonder ce mystère en a une qui est sienne, et que plusieurs autres contredisent. Pour M. Michelet, l'énigmatique prisonnier était un frère aîné de Louis XIV ; pour M. Paul Lacroix, c'est le surintendant Fouquet ; M. Marius Topin voit en lui le comte Mattioli, et M. Iung, l'un des chefs de la grande bande des empoisonneurs, une sorte de nihiliste anticipé, poursuivant d'une haine implacable les despotes et leurs suppôts. Toutes ces explications, et je ne parle ici que des plus récentes, sont contradictoires ; toutes sont faites pour corroborer mon scepticisme ; toutes croulent devant l'étude attentive des faits ; aucune ne satisfait à l'ensemble des conditions du problème. C'est qu'on s'évertue à chercher ce qui n'existe pas ; c'est qu'il n'y a pas là d'autre mystère que celui qui pesait indistinctement sur tous les prisonniers soumis au secret absolu. Stimulée par l'étrangeté de ce masque, précaution moins anormale qu'on ne le suppose généralement ; l'imagination populaire, cette féconde et inconsciente créatrice, en concentrant sur une seule tête des particularités propres à divers prisonniers, a revêtu du caractère légendaire un de ces drames obscurs si fréquents dans les anciennes prisons d'État. Il appartient à la critique de dégager cette histoire des ornements dont la légende l'a surchargée. Une légende brodée sur un événement vulgaire, cette explication modeste, mais neuve, de bons juges en matière de critique historique s'en sont déclarés satisfaits. M. Baudry, administrateur de la Bibliothèque Mazarine et membre de l'Institut, m'a fait l'honneur d'imprimer à ce sujet, dans la Revue de l'instruction publique, les lignes suivantes, que je demande la permission de reproduire, bien que trop flatteuses : Les démonstrations de M. Loiseleur, a-t-il dit, si claires, si lumineuses, si péremptoires, ont épuisé la question, et à moins de documents nouveaux, les esprits sérieux n'y reviendront plus. Ces documents nouveaux, les deux derniers historiens du Masque de fer, tous deux écrivant après moi, ont cru les avoir rencontrés. Je me permets de penser qu'ils se sont trompés : ceux qui voudront bien lire attentivement et sans parti pris l'étude sur Mattioli et la note complémentaire qui terminent ce volume, se rangeront, je l'espère du moins, à cette opinion. |