QUESTIONS HISTORIQUES DU XVIIe SIÈCLE

 

MAZARIN ET LE DUC DE GUISE

LA POLITIQUE DE LA FRANCE DANS LA RÉVOLUTION DE NAPLES DE 1647, D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS.

 

 

La révolution qui, vers le milieu du XVIIe siècle, faillit enlever le royaume de Naples à l'Espagne nous est surtout connue par les écrits de deux hommes qui y prirent une part active : le duc de Guise et le comte de Modène, son mestre-de-camp. L'Histoire du tumulte de Naples de Tomasso de Santis[1], qui contient jour par jour le récit des principaux événements, les Mémoires du comte de Brienne, qui pendant les agitations des Deux-Siciles, occupait en France, sous la haute direction de Mazarin, le département des affaires étrangères, ceux de l'abbé Arnauld qui, à la même époque, était attaché à l'ambassade de l'abbé de Saint-Nicolas, son oncle. chargé des affaires de France à Rome, cette histoire et ces mémoires contiennent aussi sur la révolution napolitaine des révélations importantes. Grâce à cet ensemble de documents contemporains on peut se faire une idée assez exacte de la marche et des péripéties de ce grand mouvement populaire.

Les odieuses exactions des vice-rois espagnols, les impôts iniques qui enlevèrent à la classe pauvre ses dernières ressources et mirent le comble à son irritation, les émeutes facilement réprimées qui furent le prélude de la grande explosion du 7 juillet 1647, les concessions bientôt révoquées du dite d'Arcos, vice-roi en fonctions, la courte dictature de Mazaniello, l'anarchie qui suivit sa mort, le massacre du prince de Massa, son successeur, l'arrivée des troupes espagnoles commandées par don Juan, fils naturel de Philippe IV, et enfin la résolution que prirent les chefs du peuple de se constituer en république et de remettre la direction des affaires à l'armurier Gennaro Annèse, tous ces faits, qui forment ce qu'on peut appeler le premier acte de la révolte napolitaine, nous ont été transmis par des écrivains dignes de foi et dont il n'est pas. impossible de concilier les divergences.

On n'est pas moins édifié sur les difficultés que rencontra la république naissante et sur les partis qui la divisèrent. On sait comment le peuple napolitain après avoir, le 16 octobre, massacré trois hommes qui proposaient d'implorer le secours de la France, se convertit huit jours après à cette idée ; comment il envoya des députés aux ministres de France, à Rome, pour solliciter l'assistance de leur gouvernement ; comment ces députés offrirent au duc de Guise, qui le désirait ardemment, de venir tenir le premier emploi dans le drame qui se jouait à Naples, et comment ce prince, doué d'un esprit ardent et impressionnable, imagina de profiter de l'occasion pour faire revivre les droits très-problématiques de sa Maison au trône napolitain, et tenta tout à la fois d'abuser le gouvernement français, en alléguant un prétendu traité fait avec le peuple de Naples[2], et le peuple de Naples en se faisant fort de lui obtenir l'appui du gouvernement français.

A partir du moment où ce singulier personnage intervient dans l'action, et où la Cour de France essaye d'en prendre la direction, les faits qui, jusque-là, s'étaient développés avec l'emportement, mais aussi avec la logique de la passion, dominés maintenant par une politique flottante et irrésolue, en subissent tous les contrecoups et les fluctuations. Comme la main qui tient les fils est hésitante, ceux qu'elle fait mouvoir sont livrés à de brusques oscillations ; leur rencontre produit des conflits inattendus ; ils se contrarient et se heurtent au lieu de marcher vers un but commun. Les chefs militaires, les agents diplomatiques envoyés par Mazarin ne s'entendent pas avec le duc de Guise ; ils ne reconnaissent pas sa suprématie et prétendent ne traiter qu'avec Gennaro Annèse ; ils établissent ainsi entre le prince et le capitaine-général du peuple une lutte qui ne profite qu'aux Espagnols.

Ici, comme dans toute la première partie de cette grande tragédie révolutionnaire, ce qu'on peut appeler la charpente de l'action, les faits généraux, les événements décisifs sont éclairés d'une lumière suffisante. Mais la pensée inspiratrice, mais les ressorts secrets de la politique qui imprime le mouvement aux principaux acteurs, mais la cause des hésitations, des retards et des tergiversations dont cette politique fit preuve dans une affaire qui exigeait tant de promptitude et de décision, voilà ce qui, jusqu'à ce jour, n'a pas été suffisamment éclairci.

Il est impossible d'admettre qu'un esprit aussi lucide, qu'un diplomate aussi perspicace que l'était Mazarin n'ait pas compris tout le profit que la France pouvait retirer de l'affaire de Naples. Lui qui, depuis son entrée au pouvoir, soutenait contre Philippe IV une lutte où les avantages n'avaient pas toujours été du côté de la France, comment ne profita-t-il pas de ces désordres pour enlever à notre ennemi le plus beau fleuron de sa couronne ? Est-il croyable qu'il n'ait pas senti le poids dont cette révolte habilement menée et conduite à bonne fin devait être dans la balance diplomatique, dans les négociations qui se poursuivaient à Munster au milieu de tant de difficultés et de résistances ?

A quoi tinrent donc ses hésitations et ses revirements ? Faut-il les attribuer à la détresse financière, à l'opposition d'Anne d'Autriche qui se serait retrouvée espagnole en présence de la ruine imminente de sa Maison, aux défiances bien légitimes qu'inspirait le caractère du duc de Guise, à la crainte de s'embarquer dans une affaire dont il était impossible de prévoir l'issue et où notre intervention directe aurait pour effet de compromettre la conclusion ardemment désirée de la paix générale, ou bien à toutes ces causes à la fois ? En un mot quelle fut au juste la politique, la façon de voir du ministre français dans cette affaire ? C'est-là ce que les Mémoires ne nous disent pas et ce que sa correspondance ou celle de ses principaux agents peut seule nous apprendre.

Les papiers diplomatiques de Mazarin n'ont point encore été, comme ceux de Richelieu, livrés à la publicité. Un homme dont le nom est synonyme d'érudition, M. Chéruel, travaille, depuis longues années, à réunir les pièces de cette vaste correspondance, qui doit faire partie de la collection de Documents inédits sur l'histoire de France. dont l'État poursuit depuis trente ans la publication[3]. Mais la correspondance de Mazarin nous livrera-t-elle tous les secrets de sa politique dans l'affaire de Naples ? Il est permis d'en douter. Sous la régence de l'orgueilleuse et faible Anne d'Autriche, qu'il dominait autant par le génie que par une sorte d'autorité maritale, Mazarin fut plus qu'un premier ministre ; il fut un chef absolu, un roi, moins le titre, et, comme tel, il se borna souvent à imprimer aux affaires une direction générale, laissant aux ministres chargés des divers portefeuilles le soin de commenter sa pensée et de la transmettre à leurs agents. C'est donc bien moins dans sa correspondance que dans celle du secrétaire d'État auquel il avait confié le département des relations extérieures qu'il faut chercher l'explication de la conduite qu'il tint dans la révolte des Deux-Siciles.

Cette correspondance existe. La Bibliothèque publique d'Orléans possède, reliées en un volume in-folio, les dépêches originales écrites par le secrétaire d'État, Loménie de Brienne, au marquis de Fontenay-Mareuil, depuis le mois de mai 1647, époque où ce dernier fut envoyé à Rome en qualité d'ambassadeur extraordinaire, jusqu'à la fin d'avril 1648, c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on apprit en France la captivité du duc de Guise et la restauration espagnole. Divers Mémoires et Instructions signés d'Anne d'Autriche et du jeune Louis XIV sont mêlés à ces lettres, et achèvent de jeter une pleine lumière sur la politique de la France dans les affaires de Naples. Presque toutes ces dépêches contiennent un grand nombre de passages écrits en chiffres, mais partout se trouve la traduction interlinéaire, rédigée sans doute par l'attaché d'ambassade, dépositaire du secret du chiffre, au fur et à mesure de l'arrivée de chaque missive[4].

Nous l'avons dit en commençant, le comte de Brienne, le ministre dont Fontenay-Mareuil recevait l'impulsion, a laissé des Mémoires. A première vue, il paraît naturel de supposer qu'il a usé largement, pour leur rédaction, de ces dépêches que lui-même avait reçues. Il n'en est rien cependant. L'un des derniers éditeurs de cet ouvrage, M. Aimé Champollion, a remarqué avec raison que, bien que Brienne ne montre pas dans ses Mémoires les sentiments de commande que l'on est convenu d'appeler réserve diplomatique, il y garde un religieux silence sur les secrets d'État. Des négociations importantes, essayées à plusieurs époques, et qui furent longtemps l'objet de ses soins, y sont quelquefois à peine indiquées. Cela est vrai tout spécialement des affaires de Naples : le récit de cette révolte occupe à peine deux pages dans les Mémoires de cet homme d'État ; encore ce récit renferme-t-il des erreurs graves. C'est ainsi qu'on y trouve citée une lettre de Louis XIV, en date du 10 février 1648, par laquelle le roi autorise le duc de Guise à accepter les offres des Napolitains et à se rendre auprès d'eux. Cette pièce, a dit M. Henri Martin, est impossible à comprendre ; la date tout au moins est fausse. Et, en effet, Guise était parti pour Naples près de trois mois avant la date de cette dépêche, le 13 novembre, et l'on verra que le Gouvernement français avait, dès le 28 novembre, en vue des éventualités amenées par ce départ, indiqué la ligne de conduite qu'il entendait suivre et que ses agents devaient adopter.

Celui qui jugerait la révolution de Naples et le rôle qu'y joua la France d'après les Mémoires de Brienne, en concevrait donc une idée fausse en bien des points. En veut-on la preuve ? Qu'on ouvre le volume de la collection Michaud et Poujoulat qui contient ces Mémoires, à l'endroit où l'auteur raconte l'expédition du duc de Guise, on y trouvera, au bas de la page 96, cette note des éditeurs : L'expédition du duc de Guise à Naples perdra un peu de son caractère romanesque lorsque l'on verra que ce personnage ne l'entreprit qu'à la sollicitation du roi de France et sur la promesse formelle qu'on lui donna de lui fournir tous les secours nécessaires à l'accomplissement d'un projet auquel la France était intéressée : les ordres de Louis XIV déterminèrent seuls le duc de Guise à céder à la demande des Napolitains.

Certes, si les savants éditeurs des Mémoires de Brienne, MM. Champollion-Figeac et Aimé Champollion fils, avaient eu sous les yeux les dépêches officielles au moyen desquelles nous avons écrit l'étude qu'on va lire, ils y auraient regardé à deux fois avant de hasarder une telle proposition. C'est là un argument nouveau en faveur d'une thèse qui n'a plus d'ailleurs besoin d'être défendue, la nécessité de retremper l'histoire tout entière à la source des documents originaux. Si cette thèse est vraie même quand il s'agit d'événements qui se sont produits à la lumière du jour et qui ont eu des peuples entiers pour témoins, elle l'est, à plus forte raison, lorsque, comme dans le cas qui nous occupe, c'est la politique même qui a. inspiré les événements, la pensée directrice, le fil qui a fait mouvoir les acteurs qu'il s'agit de mettre en évidence.

 

I

Lorsqu'éclata la révolte des Deux-Siciles, la France était représentée à Rome par deux agents diplomatiques, l'abbé de Saint-Nicolas, frère du grand Arnauld, et le marquis de Fontenay-Mareuil. Ce dernier avait été envoyé, à titre d'ambassadeur extraordinaire, dans l'unique but de décider le Pape à accorder le chapeau à l'archevêque d'Aix, frère du cardinal Mazarin. Ce n'était pas chose facile.

Innocent X était dévoué à la causé de l'Espagne. Depuis trois ans qu'il était assis sur le trône de saint Pierre, il n'avait laissé échapper aucune occasion de desservir la France, soit en Catalogne, où ses agents faisaient une propagande hostile à l'occupation française, soit au Congrès de Munster, où ses ambassadeurs jouaient le rôle d'arbitres. C'était chose notoire que la haine qu'il portait à Mazarin, coupable d'avoir entravé son élection au trône pontifical et donné asile aux Barberini, ses ennemis. Il avait même tenté de l'arracher à la haute position qu'il occupait près d'Anne d'Autriche, en fulminant une bulle contre les cardinaux qui s'absenteraient de Rome sans la permission du Souverain-Pontife, et en les déclarant déchus du droit d'assister au conclave. La réponse à cette provocation ne s'était pas fait attendre. Non content de déférer la bulle. au Parlement, et de la faire déclarer abusive, Mazarin avait fait intervenir dans sa querelle privée l'épée de la France. Ne pouvant s'attaquer directement aux États du Saint-Père, il avait voulu du moins planter le drapeau français presque aux portes de Rome. C'est dans ce but que, après avoir vainement assiégé Orbetello, place forte de Toscane, dont les Espagnols étaient maîtres depuis un siècle, nos troupes s'étaient emparées de Piombino, ville située en face de l'île d'Elbe. La France était ainsi devenue. maîtresse du canal de Piombino, passage important qui lui permettait d'agir avec avantage contre les vaisseaux espagnols qui naviguaient dans ces parages, et au besoin, d'entreprendre contre le royaume de Naples.

A la suite de ce coup de vigueur, qui eut un énorme retentissement en Italie, le Pape s'était immédiatement adouci, et Mazarin profitant de son bon vouloir apparent, avait alors remis sur le tapis la question du chapeau réclamé depuis longtemps pour son frère. Il était d'usage que les promotions de cardinaux se fissent alternativement par l'initiative du Pape, ou sur la proposition des grands États catholiques. C'était cette fois le tour des Couronnes ; mais Innocent X alléguait sa crainte de mécontenter l'Espagne en conférant le chapeau au frère du plus redoutable ennemi de Philippe IV. En vain Mazarin avait-il trouvé un biais ingénieux, qui consistait à faire demander la nomination de son frère, non par la France, mais par le roi de Pologne : le Pape répondait que ce monarque n'avait pas le droit de proposer à son choix un autre qu'un Polonais.

C'est dans ces circonstances que le marquis de Fontenay-Mareuil fut envoyé à Rome en qualité d'ambassadeur extraordinaire[5]. Innocent X se plaignait depuis longtemps des mauvais procédés de l'abbé de Saint-Nicolas, qui, disait-il, lui manquait de respect, et s'oubliait jusqu'à l'outrager en sa personne et en sa famille[6]. Fontenay avait déjà rempli avec succès une mission à la Cour de Rome, et l'on comptait sur son habileté et sur son esprit conciliant pour calmer les ressentiments du Saint-Père et l'amener à se prêter aux désirs du chef du Cabinet français.

En partant pour l'Italie, le nouvel ambassadeur n'emportait aucune instruction relative à la révolte des Deux-Siciles, dont on ne prévoyait pas l'imminence. Deux lettres, en date toutes deux du 19 avril 1647, qui ouvrent la série des documents diplomatiques placés entre nos mains, et qui sont signées, l'une du jeune Louis XIV, l'autre du secrétaire d'État Brienne, bornent ces instructions à deux points principaux.

Le roi prévoit la mort du Saint-Père, qu'il croit prochaine, et, ce cas échéant, il prescrit à son ambassadeur de faire en sorte que l'élection du nouveau Pape soit retardée jusqu'à l'arrivée à Rome du cardinal Barberini. Il faut dire que cette perspective de la mort d'Innocent X fut, pendant douze ans, la plus douce illusion de Mazarin. Dans sa correspondance datée de 1647, il revient à plusieurs reprises sur cet événement désiré et qu'Innocent X lui fit attendre encore plus de huit ans[7]. La seconde lettre est signée de Brienne : elle roule tout entière sur les moyens d'assurer la promotion de l'archevêque d'Aix, laquelle était le principal but de la mission confiée au marquis de Fontenay.

En arrivant à Rome, le nouvel ambassadeur trouva le duc de Guise installé dans le palais des Quatre-Fontaines, qu'il comptait habiter, et qui appartenait à la légation française. Ce prince résidait alors depuis six mois dans la capitale du monde chrétien. Avant d'expliquer ce qu'il était venu y faire, disons un mot de ses antécédents et de son caractère.

Henri de Lorraine, duc de Guise, né à Blois en 1614, était le petit-fils du chef de la Ligue mis à mort par ordre de Henri III, l'arrière-petit-fils du vainqueur de Dreux, assassiné par Poltrot. Il appartenait à une famille où l'ambition du trône semblait héréditaire, et qui avait plus d'une fois essayé d'y monter. Déçus dans leurs prétentions à la couronne de France, les Guise s'étaient rabattus sur celle de Naples, à laquelle ils se croyaient des droits comme descendants du roi René d'Anjou, du testament duquel ils ne tenaient pas compte.

Destiné en naissant à l'Église, archevêque de Reims à treize ans, et pourvu de neuf abbayes ; Henri de Lorraine s'était de bonne heure jeté dans les aventures de cape et d'épée, avec une ardeur et une fougue de tempérament qui prouvaient assez son peu de vocation pour l'état ecclésiastique. Tallemant des Réaux nous a transmis le récit de ses exploits de jeunesse : ses débauches précoces, son esprit d'irréligion, la fureur de libertinage qu'il portait en tous lieux et jusque dans le couvent de Saint-Pierre de Reims, dont sa sœur était abbesse, tout cela a été peint sur le vif par le médisant annaliste. A dix-sept ans, il passa en Allemagne, où son brillant courage, sa témérité, ses exploits chevaleresques le signalèrent vite à l'attention publique. En 1640, devenu duc de Guise et chef de sa Maison par la mort de son père et de son frère aîné, il revint en France avec la réputation d'un paladin des anciens âges ; c'est le terme que Mm° de Motteville emploie pour le peindre.

Cette réputation était brillamment servie par les avantages extérieurs dont la nature s'était plu à douer Henri de Guise. C'était un cavalier accompli, beau, de grande taille, de haute et fière mine ; il avait la parole facile, des manières séduisantes. un don inné de charmer et d'attirer les cœurs. A ces qualités, il joignait des défauts, qui, à cette époque et chez un gentilhomme de sa naissance et de son rang, étaient encore des qualités : le besoin de briller et d'éblouir, la prodigalité, l'humeur batailleuse. Ajoutons, comme ombre à ce tableau, une extrême mobilité dans les idées et dans les sentiments, un esprit incapable de suite, un grand fonds de présomption, une étrange facilité à se jeter dans les entreprises les plus hasardeuses, sans savoir par quelle issue il en sortirait.

Ses débuts à la Cour furent brillants ; il voulait plaire et rencontra peu de cruelles. Mais, de toutes les liaisons qu'il forma, aucune ne fit plus de bruit que celle qu'il entretint longtemps avec la fille cadette du duc de Nevers, Anne de Gonzague, qui fut, depuis, la princesse palatine.

Tout archevêque de Reims qu'il étoit, dit Mlle de Montpensier, il la recherchoit comme s'il eût été dans l'état où il est maintenant, d'une manière tout extraordinaire ; il faisoit l'amour comme dans les romans. Ce n'était pas précisément l'affaire de Mlle de Nevers, qui, au dire de Retz, estimoit autant la galanterie qu'elle en aimoit le solide. Elle n'en donna pas moins à son amant les preuves d'un dévouement fort mal payé. Henri de Lorraine, compromis dans la conspiration du comte de Soissons contre Richelieu, ayant été contraint de se réfugier en Flandre et de prendre un commandement dans les armées de l'Empereur, Anne de Gonzague s'enfuit de Nevers, déguisée en homme, et brava toutes sortes de périls pour le rejoindre. La liaison des deux amants acquit alors une notoriété universelle et fut, en quelque sorte, consacrée par l'opinion. On parla même d'un mariage secret ; mais Tallemant prétend qu'il manquait quelque chose à sa validité. La princesse ayant demandé au chanoine qui avait consacré cette union, s'il n'était pas vrai que M. de Guise fût son mari : Ma foi, Madame, aurait répondu le bonhomme, vous étiez aussi aise que s'il y eût eu mariage. Toujours est-il que Mlle de Nevers agit comme si elle eût été unie à son amant par des liens indissolubles, qu'elle se fit appeler Mme de Guise et que personne ne lui refusa ce nom.

Mais, pour fixer Henri de Lorraine, il eût fallu ne jamais le quitter. Son cœur était aussi mobile que son esprit ; il s'éprenait facilement et se détachait de même ; chez lui, tout caprice devenait aussitôt une passion, et il avait beaucoup de caprices. Anne apprit subitement que l'homme qu'elle appelait son mari venait d'épouser, à Bruxelles, une femme qui lui était bien inférieure sous le rapport de l'esprit comme de la naissance, Honorée de Glimes, veuve du comte de Bossu. Elle prit héroïquement son parti de cette trahison, revint en France sous son nom de fille, et reparut à la Cour comme si de rien n'eût été[8].

Quant au duc de Guise, condamné à mort par arrêt du Parlement de Paris, il resta en Allemagne jusqu'après la mort de Richelieu. Il revint alors en France, sans autrement se soucier de sa femme, qu'il avait ruinée et qu'il laissa à Bruxelles. Il retrouva à la Cour la popularité de mode, de bruit et de scandale qui s'attachait à son nom, s'éprit de Mme de Montbazon, qui le jeta dans le parti des Importants, et conspira contre Mazarin comme il avait conspiré contre Richelieu. Son duel avec le comte de Coligny est raconté par tous les Mémoires du temps. Ce duel, motivé par des lettres que Mme de Montbazon prétendait avoir trouvées dans son salon, et qu'elle disait adressées, par Mme de Longueville, à Coligny, acheva de faire du duc de Guise le héros des ruelles et le modèle des Raffinés. Il eut pour conséquence l'exil de Mme de Montbazon. Guise s'endormit fou de désespoir et se réveilla amoureux de Suzanne de Pons, l'une des filles d'honneur de la reine[9]. Mais il trouva là une résistance à laquelle il n'était pas habitué, et, pour la vaincre, il n'imagina rien de mieux que de promettre à Mlle de Pons de l'épouser.

Ce projet, qu'il publia de suite avec sa légèreté ordinaire, trouva trois oppositions redoutables, celle de la duchesse douairière de Guise, mère de Henri de Lorraine, celle de la reine, déjà blessée par les airs glorieux qu'affectait la demoiselle d'honneur, et qui s'indignait à l'idée de la voir élevée au rang de princesse de la Maison de France, et enfin celle de Mm° de Bossu qui, tout abandonnée et ruinée qu'elle fût par son mari, n'entendait pas sacrifier ses droits d'épouse légitime. La malheureuse femme fit plusieurs voyages en France et essaya de reconquérir le cœur de son volage époux. Mais elle avait dans Suzanne de Pons une rivale adroite, audacieuse et que rien ne détournait de son but. A l'instigation de cette dernière, Guise s'adressa au Saint-Père pour obtenir la rupture des liens qui l'attachaient à Mme de Bossu. Bientôt, embrassant cette idée avec l'ardeur qu'il mettait à toute chose, il se rendit à Rome afin d'activer les lenteurs du tribunal de la rote et s'installa, comme nous l'avons dit, dans le palais de l'ambassade de France. Sa famille, depuis si longtemps dévouée à la cause catholique, avait des droits particuliers à la reconnaissance de la Cour de Rome. Guise les fit valoir avec habileté, fut bien reçu du pape et séduisit, par ses largesses autant que parle charme de ses manières, la signora Olympia, belle-sœur d'Innocent X, femme avide et astucieuse, qui avait le plus grand pouvoir sur l'esprit du Souverain-Pontife.

Les choses marchaient donc au gré des souhaits du Prince, lorsque la comtesse de Bossu vint se jeter à la traverse. En qualité de Flamande, elle réclama l'appui de l'Espagne, puissance qu'Innocent X avait bien plus à cœur de ménager que la France. L'affaire du divorce de de Guise prit ainsi les proportions d'une question politique. Le Saint-Père, fort perplexe, multipliait les difficultés et les lenteurs ; Mlle de Pons, connaissant le cœur inflammable et mobile de son amant, et craignant pour elle-même l'échec qu'elle avait fait subir à Mina de Bossu, l'accablait de lettres où elle le sommait d'emporter l'affaire d'assaut ou de revenir près d'elle, et Guise, à bout d'expédients, allait enfin prendre ce dernier parti, lorsqu'un événement inattendu vint donner un nouveau cours à ses idées et lui fournir, tout à la fois, un moyen de s'illustrer et de peser sur les décisions de la Cour de Rome.

Le comte de Modène, gentilhomme de la chambre du Duc, se promenant un jour sur les bords du Tibre, rencontra des mariniers de Procida qui venaient vendre des fruits à Rome et qui lui apprirent le soulèvement de Naples. Dès qu'ils surent qu'il y avait, tout près d'eux, un descendant de leurs anciens rois, ils demandèrent à lui être présentés, se jetèrent à ses pieds et lui dirent que Dieu l'avait amené à Rome tout exprès pour le salut de leur patrie. Guise fut comme saisi d'une subite illumination. Conquérir une couronne et la mettre pour présent de noces dans la corbeille de Mlle de Pons, emporter à la pointe de l'épée une décision que le Pape n'oserait pas refuser à un souverain victorieux et régnant aux portes de Rome, toutes ces idées bouillonnèrent immédiatement dans sa tête, et, comme il était dans sa nature de passer sans transition de la pensée à l'exécution, il se mit de suite à l'œuvre.

Après s'être concerté avec plusieurs Napolitains résidant à Rome, il dépêcha successivement plusieurs émissaires à Naples pour offrir ses services aux insurgés, espérant se rendre maître de la situation avant même que les puissances intéressées eussent connaissance de ses menées ; mais, tous ses agents ayant été arrêtés, il comprit qu'il devait, sinon ajourner ses projets, du moins prendre un biais pour arriver à leur réalisation. Persuadé, non sans raison, qu'il ne pouvait rien sans l'appui de la France, il s'ouvrit aux deux ambassadeurs français qui résidaient à Rome, ainsi qu'à Michel Mazarin, qui venait d'y arriver pour surveiller sa promotion au cardinalat. Son seul but, leur dit-il, était de servir glorieusement le roi ; il demandait pour toute faveur, en récompense des services qu'il allait rendre, qu'on lui laissât prendre à Naples, la position que le prince d'Orange avait dans les Provinces-Unies. C'est dans ce sens qu'il écrivit lui-même, le 16 septembre, à la reine et au cardinal Mazarin.

Les agents de la France n'avaient point attendu jusque-là pour instruire leur Cour de ce qui se passait à Naples[10]. Plusieurs historiens prétendent même que, dès avant le commencement des troubles, des ouvertures avaient été faites à l'abbé de Saint-Nicolas touchant le prince de Condé, dont les exploits frappaient partout l'imagination populaire et que beaucoup de Napolitains souhaitaient voir à la tête de leur pays. Ces avances, dit M. Henri Martin, avaient été négligées par la faute soit de Mazarin, soit plutôt de Condé lui-même, qui ne les prit pas au sérieux[11]. Cette assertion serait peu digne de foi si elle n'avait d'autre garant que le témoignage du duc de Guise, témoignage dicté par la haine et la rancune[12] ; mais elle est confirmée par l'abbé Arnauld. Parlant du vœu émis par quelques Napolitains, de voir le cabinet français mettre la couronne des Deux-Siciles sur la tête de Condé : Ce sera toujours, ajoute l'abbé Arnauld, une tache dans le ministère du cardinal Mazarin, d'avoir négligé de rendre un si grand service à l'État, pour satisfaire la folle ambition de son frère, qui s'était mis dans la tête de vouloir être vice-roi de ce riche et agréable royaume[13].

Les documents officiels que nous avons entre les mains sont absolument muets sur la demande que les Napolitains auraient faite au prince de Condé et sur le refus que cette demande aurait éprouvée ; mais ils témoignent que, lorsque Mazarin se fut enfin décidé à intervenir dans les affaires de Naples, ce ne fut point sur le jeune vainqueur de Rocroy qu'il jeta les yeux. On verra plus loin à qui il réservait cet honneur.

Nous l'avons dit, les deux premières émeutes de Naples avaient été réprimées sans grands efforts. Mazarin était fondé à croire que le duc d'Arcos aurait aussi facilement raison de la troisième. Il apprit presque en même temps le succès de Mazaniello, sa brusque démence et la catastrophe qui trancha sa vie. La dictature de ce héros populaire n'avait duré que huit jours (du 7 au 16 juillet). La mort du chef des insurgés n'allait-elle pas mettre fin à la révolte ? Le vice-roi, retiré au fort Saint-Elme, était maître aussi des deux autres châteaux qui commandent la ville ; tant que le peuple ne se serait pas emparé de ces trois forteresses, il n'aurait rien fait de solide ni de durable. L'émeute, abandonnée à elle-même, allait peut-être se consumer dans la confusion et le désordre, et la flamme populaire tomber peu à peu faute d'aliments.

Dans un tel état de choses, que devait, que pouvait faire le chef d'un grand pays, placé à vingt et un jours du théâtre des événements, car les nouvelles de Naples n'arrivaient à Paris que par la voie de Rome ? Fallait-il engager la flotte et l'armée, au risque de les exposer à trouver, en arrivant, les choses retournées et la populace napolitaine fraternisant avec les Espagnols ? D'ailleurs, jusqu'au 24 octobre, les chefs du peuple se montrèrent hostiles à l'intervention française : les gens sages de tous les partis voient toujours à regret de telles interventions. On risquait fort, en portant aux Napolitains des secours qu'ils ne demandaient pas, d'avoir, à la fois, contre soi ceux que l'on allait combattre et ceux que l'on allait secourir. Ces considérations si simples n'échappèrent point à Mazarin. Aussi se borna-t-il d'abord à recommander aux ministres de France à Rom e d'observer avec soin les événements, de pousser, par leurs agents, le peuple insurgé à rompre définitivement avec l'Espagne, en établissant un gouvernement régulier quelconque, monarchique, aristocratique ou populaire, à promettre même l'appui de la France, mais seulement après la constitution de ce gouvernement et quand on serait bien assuré qu'aucun accommodement avec l'Espagne n'était plus à craindre.

Le 16 août, rappelant des instructions déjà données, il faisait écrire par Brienne au marquis de Fontenay : Si ce qui se passe à Naples a des suites, et que l'appréhension du châtiment donne lieu aux coupables de songer à leur sûreté en se faisant un roi ou à establir un État, soit aristocratique ou populaire, Leurs Majestés, ainsi qu'il vous a été mandé, ne deffaudront point à les assister et seront bien aises de profiter de cette occasion pour diminuer la trop grande puissance d'Espagne. Mais jusques à ce que les peuples aient pris cette résolution, on estimera peu celle qu'ils font paraître pour obtenir la diminution de quelques gabelles[14].

 

II

Cependant, les choses à Naples ne marchent point selon les désirs et les prévisions du chef du cabinet français. A partir de la mort de Mazaniello. un grand mois s'écoule dans une anarchie inexprimable, sans qu'au milieu de l'immense confusion qui règne il soit possible de discerner quel est au juste le vœu, l'aspiration du plus grand nombre. Plus de chef : chaque capitaine est maître dans son quartier et s'y barricade par haine et défiance des chefs des quartiers voisins. Le blé menace de manquer ; la populace, toujours si redoutable quand elle a faim, se livre à d'effroyables excès ; le meurtre, le pillage, l'incendie, sont ses récréations journalières. Trois ou quatre cents jeunes lazzarones dictent des lois à cette grande capitale et impriment le mouvement aux bandes armées qui fourmillent dans les quartiers populeux.

La noblesse est, non sans raison, suspecte . au peuple, qui l'accuse d'être dévouée à l'Espagne, et il est facile de prévoir le moment où elle sera forcée de prendre les armes pour défendre sa vie et ses biens. Le clergé n'est pas plus favorable à la cause populaire. Les bourgeois, les marchands, les artisans aisés, tous ceux qu'on désigne sous le nom de capes noires, sont gardés à vue dans leurs maisons. Ces hommes, qui forment l'immense majorité de la population, et qui, en se concertant, pourraient dicter des lois à l'émeute, ne s'entendent pas entre eux : les uns, c'est le plus grand nombre, ne désirent point secouer le joug espagnol ; mais, sans pactiser avec la révolte, ils voudraient qu'elle eût pour résultat d'arracher des réformes et des concessions dont ils sentent la nécessité. D'autres, plus hardis et moins scrupuleux, se mêlent aux événements, font cause commune avec les révoltés, qu'ils trahissent et dont ils révèlent les projets ; d'autres enfin, franchement unis au peuple, repoussent toute transaction avec le vice-roi, tout arrangement avec une puissance étrangère et réclament nettement l'établissement d'un gouvernement républicain. Ceux-là seuls osent dire ouvertement ce qu'ils veulent ; seuls aussi, ils ont par cela même une action marquée sur la populace, dont la très-grande majorité partage leurs sentiments et repousse comme eux toute soumission à un prince étranger. Les choses ne sont pas encore arrivées à ce point de lassitude et d'affaissement où les plus patriotes appellent un sauveur quel qu'il soit. S'il y a des gens qui tournent les yeux vers la France, ils sont en petit nombre et ne forment point un parti.

Instruit de cette situation, Mazarin hésite. Après avoir, dans les premiers jours d'août, confié le commandement des forces de terre et de mer qui devaient opérer dans les Deux-Siciles au prince Thomas de Savoie, celui-là même qui, l'année précédente, avait dirigé le siège d'Orhetello, il revient subitement sur ses ordres. Le 23 août, il prescrit de ne pas engager l'armée avant qu'on ne voie clair dans les dispositions de la majorité et que l'intervention ait quelques chances d'être bien accueillie[15].

Ce jour-là même, les chefs des Ottines, d'accord avec le peuple, convenaient enfin d'élire un nouveau capitaine-général et de déférer la succession de Mazaniello au prince de Massa, qui ne l'acceptait que comme contraint et forcé. C'était un homme d'un esprit sage et modéré, une de ces digues impuissantes que les révolutions rencontrent souvent dans leur cours, qui les irritent loin de les arrêter, et qu'elles emportent en les brisant. Pendant trois mois qu'il exerça le commandement, il fut autant le prisonnier que le chef des révoltés. Il avait imaginé d'accabler le peuple de gardes et de corvées, et de le forcer enfin, par lassitude, à accepter un traité avec le vice-roi. Mazarin devina cette tactique : il supposa, non sans fondement, que le duc d'Arcos serait tôt ou tard amené à faire des concessions aux révoltés et à entrer en arrangement avec eux. Il fallait donc se déterminer à appuyer enfin ces derniers d'une manière efficace, afin que, se sentant soutenus, ils manifestassent des exigences qui rendissent tout accord impossible.

L'armée et la flotte reçoivent donc l'ordre d'appuyer les Napolitains, s'ils ont besoin d'elles pour se mettre en liberté, et le marquis de Fontenay est prévenu de cette disposition par dépêche du 30 août. Mais, presque aussitôt les hésitations de la Cour de France recommencent : on a appris de science certaine que notre armée n'est pas désirée à Naples, et que l'intervention française serait probablement mal accueillie[16]. Cependant on se décide à envoyer du blé à la ville révoltée, bien qu'il y en ait disette en France : on espère par là s'y créer un parti[17].

C'est à ce moment que le duc de Guise se mêle à l'action, et, par sa brusque intervention, vient compliquer les événements et redoubler les perplexités du cabinet français. La dépêche par laquelle il communiquait au cardinal Mazarin et à la régente les offres qui lui étaient adressées par l'un des chefs du peuple napolitain, offres que lui-même s'était fait faire, cette dépêche est datée du 16 septembre et dut parvenir à Paris dans les premiers jours d'octobre. Il n'est pas inutile de remarquer, et Guise le dit lui-même dans ses Mémoires[18], qu'au moment où il méditait ainsi la conquête d'un royaume auquel il parlait de décerner, de sa seule autorité, le titre de République, tout paraissait rentré dans l'ordre à Naples et la révolution semblait, sinon apaisée, du moins bien près de son terme : un traité fait entre le prince de Massa et le vice-roi avait été ratifié par les principaux chefs des Ottines ; en sorte que, pour réussir, ce singulier conquérant devait ou fomenter de nouveaux troubles, rôle odieux et peu sûr, ou compter sur l'éventualité incertaine, mais qui heureusement se réalisa, d'une violation par l'Espagne des concessions arrachées au duc d'Arcos.

En même temps que, pour établir son crédit près des Napolitains, Guise leur promettait les secours de la France que rien ne l'autorisait à leur offrir, il essayait de tromper Mazarin en arguant de prétendues conventions intervenues entre lui et les principaux capitaines des quartiers révoltés. L'existence de ce traité fantastique est formellement démentie par le comte de Modène, mestre-de-camp du prince, qui a laissé sur les mouvements de Naples des renseignements empreints d'un haut caractère de véracité. On n'osa jamais, dit-il, proposer publiquement d'appeler les Français pendant le gouvernement de Mazaniello ni durant celui du prince de Massa. Mazarin ne fut dupe ni du traité ni des prétendues facilités que Guise disait devoir trouver pour conquérir Naples, juste dans un moment où la réconciliation entre les révoltés et le vice-roi paraissait près de s'accomplir. Il me paraît difficile, écrivait-il à son frère, que tout le peuple de Naples, d'un commun accord, ait appelé M. de Guise dans la manière qu'il dit, d'autant que les derniers avis portent que les troubles s'étaient un peu apaisés dans cette ville.... Cependant, qu'il en soit ce que M. de Guise voudra. Peut-être aura-t-il un jour quelque peine à se tirer de la position où il se va mettre, mais à coup sûr la France ne peut y trouver que des avantages.

C'était là un simple acquiescement aux périlleux projets du prince ; mais dans quelle mesure la France interviendrait-elle dans l'aventure, quels secours le hardi condottiere devait-il en attendre ? Allait-on se lancer à l'aveugle dans une guerre dont le fruit pouvait être confisqué par celui-là même qui poussait à l'entreprendre ? Dans la réponse, en date du 7 octobre, qu'il adressa au duc de Guise, Mazarin s'appliqua à modérer son ardeur ; il lui montra les difficultés et les hasards de l'entreprise ; il le supplia de ne rien résoudre sans s'être concerté avec Fontenay-Mareuil, très-capable de l'éclairer, ayant, de son côté, des négociations sur le même fait. Toutefois, il lui promit d'entretenir à la mer quelques vaisseaux qu'on songeait à désarmer pendant l'hiver, et qui pourraient au besoin lui porter secours. A dire le vrai, ajoutait-il, il ne semble pas que le fruit soit encore mûr ; et, si la prudence veut qu'on prenne ses sûretés, c'est surtout avant de s'engager avec une populace inconstante, qui change du soir au matin. — Il vaut mieux, en toute affaire, ne point tenter les choses que de les hasarder et surtout de les manquer.

Une dépêche écrite deux jours avant la date de cette lettre, et adressée par Brienne à Fontenay-Mareuil, fait mieux connaitre le fond de la pensée du chef du Cabinet français. Le duc de Guise s'aveugle, y est-il dit. Son Altesse Royale, Madame sa mère et ses frères n'ont point approuvé son dessein ; mais, au contraire, ils ont tous résolu de l'en détourner, jugeant, ce me semble, avec beaucoup de prudence, qu'il est malaisé qu'un particulier conquière un État qui n'a de force qu'en celle qu'il espère d'un tiers ; mais s'il était appelé à cette grandeur de tous les grands et du peuple, et qu'il la possédât, il pourrait être assuré que nous ne manquerions pas à l'assister. Mais, pour lui faciliter la conquête d'un royaume, nous aurions de la peine à nous y résoudre, parce que la dépense serait assurée et le profit en resterait très-incertain.

Ainsi toute la pensée de Mazarin, à la date du 5 octobre, se résumait dans ces deux points : le fruit n'est pas encore mûr ; Guise ne sera assisté que s'il est appelé à la fois par la noblesse et par le peuple, et s'il parvient à remplir convenablement le rôle qu'il s'attribue. Le Cabinet, comme on voit, ne s'engageait pas beaucoup. C'était à peu près comme s'il eût dit : Nous ne ferons rien pour aider Guise à réussir ; mais, s'il réussit quand même, nous essayerons de le maintenir.

Le jour même où la dépêche dont nous venons de citer un extrait partait de Paris, un fait considérable se passait à Naples. La veille, 4 octobre, don Juan d'Autriche était arrivé en vue de la ville, à la tête d'une flotte espagnole. Le vice-roi, après avoir conféré avec le jeune prince, avait fait savoir que Philippe IV ratifiait le traité conclu avec le prince de Massa, rétablissait les anciens privilèges et accordait une amnistie générale. Le lendemain, profitant de la confiance et de la sécurité dans lesquelles cette annonce avait mis le peuple entier, don Juan ouvrit un feu terrible sur la ville, qu'il attaqua à la fois par terre et par mer. Cet acte de perfidie n'eut pas le succès que ses auteurs en attendaient : la cité tout entière courut aux armes ; trois attaques furent successivement repoussées. Les assaillants se virent obligés de se réfugier en désordre sur les vaisseaux et dans les trois forteresses. De ce moment, toute réconciliation avec l'Espagne était devenue impossible ; dans tous les quartiers à la fois on entendit prononcer le mot de république.

Cette fois, le fruit était mûr : le 8 novembre, Brienne fait savoir à nos ministres à Rome que la flotte française va faire voile pour Naples, sous le commandement du jeune duc de Richelieu[19], assisté du commandeur des Gouttes, grand-prieur d'Auvergne, et du bailli de Valençay. Ces trois officiers ont ordre d'aller secourir la place, assurer le peuple de l'affection du roi, combattre l'armée ennemie s'ils en trouvent la commodité et qu'ils aient sujet d'espérer de remporter la victoire, traiter avec le peuple des moyens d'assurer leur liberté ou de porter la couronne sur la tête de quelque prince qui puisse les soulager et les défendre. — Il faut que je vous confesse, ajoute le secrétaire d'État, que j'ai été un temps assez froid sur cette entreprise ; je craignais que la présence de don Juan changeât la face des affaires ; mais à présent, je change d'avis, apprenant par diverses dépêches qu'il n'a pas réussi dans sa première tentative, ayant donné juste sujet de défiance au peuple. Il y a toute raison de croire qu'ils se porteront aux dernières extrêmités.

Le cabinet français croyait si peu alors aux chances du duc de Guise et à la solidité des offres que ce prince disait lui avoir été faites dès le mois de septembre, que, dans cette même dépêche du 8 novembre, Brienne ajoutait : Ce serait une grande fortune à M. de Guise si les Napolitains l'appelaient pour les commander. Je vous éclairciray si on se pourroit porter à y envoyer l'un des deux qu'ils désirent, mais je juge que l'un refuseroit l'emploi, et qu'à l'autre on feroit difficulté de le lui donner. On verra plus loin quels sont les deux princes dont il s'agit ici.

Loin de regretter sa tardive intervention, le Cabinet se félicitait alors de sa prudence et de ses temporisations. Il faisait dire au jeune Louis XIV, dans un Mémoire adressé à ses ambassadeurs près là Cour de Rome : Les choses sont enfin venues au point où l'on avait toujours jugé qu'elles viendroient, pourvu que nous ne précipitassions pas à y vouloir prendre part hors de temps, c'est-à-dire avant que d'y être appelés par les peuples mesmes, ou qu'ils n'eussent mis les affaires dans les dernières extrémités et hors d'apparence de réconciliation avec les Espagnols. Le roi faisait ensuite ressortir le mauvais effet qu'aurait infailliblement produit notre intervention prématurée. Les Espagnols eussent été par là obligés de se rapprocher du peuple, sans oser jamais entreprendre de les réduire par la force, ce qui était seul capable de mettre les affaires hors de tout accommodement entre eux, et, par conséquent., ce que nous avions le plus à souhaiter.

Au moment où ces lignes étaient écrites (15 novembre), on ignorait encore à Paris les événements qui avaient suivi la trahison du duc d'Arcos et de don Juan, et l'énergique résistance opposée par le peuple à leurs odieuses attaques. Les choses marchaient à Naples avec une rapidité foudroyante, et semblaient prendre à tâche de justifier les prévisions de la Cour de France. Le 22 octobre, le prince de Massa, soupçonné d'avoir mis du sable au lieu de poudre dans une mine qu'on faisait jouer, avait été massacré, l'armurier Gennaro-Annèse proclamé capitaine général, et Naples s'était déclaré république. Le 24,1e même peuple, qui, huit jours auparavant, venait de mettre à mort trois hommes qui proposaient d'implorer le secours de la France, avait décidé d'envoyer des députés à nos ministres à Rome, pour demander l'assistance du roi et solliciter le duc de Guise de venir prendre, à la tête de la République naissante, la position que le prince d'Orange avait en Hollande[20].

Guise ne se l'était pas fait dire deux fois. Sans attendre la flotte française, par laquelle il craignait de voir entraver sa liberté d'action, il s'était embarqué le 13 novembre, à l'embouchure du Tibre, accompagné seulement de vingt-deux personnes, et muni, pour toutes ressources, de quatre mille pistoles et six milliers de poudre. Sa petite flottille se composait de trois brigantins et de huit felouques. Il avait remis, en partant, à son valet de chambre, ses dépêches pour la Cour, en le chargeant d'ajouter qu'on ne recevroit plus d'autres nouvelles que celle de sa mort ou de son entrée dans Naples[21]. La felouque qui le portait s'était glissée heureusement, à la faveur des ombres de la nuit, à travers les galères espagnoles, et, le 15 novembre, trente heures après son départ, il était débarqué seul, en plein jour, à une lieue au-dessous de Naples, au milieu de la mitraille des châteaux et de la flotte, et des acclamations de la foule, émerveillée de son audace. Les onze navires qui le suivaient, et qui s'était séparés de lui par son ordre pour donner le change à l'ennemi, abordèrent tous, un ou deux jours plus tard, avec le même bonheur.

Quand la flotte française quitta les côtes de Provence, Guise était déjà maître de Naples depuis onze jours.

 

III

Dans son Histoire du Traité de Westphalie, ouvrage recommandable à plus d'un titre, et qu'ont suivi avec confiance la plupart des historiens modernes qui ont traité de la révolution de Naples, le père Bougeant prétend que le marquis de Fontenay fut blâmé pour avoir reconnu la République napolitaine. Il cite à l'appui de ce fait une lettre, en date du 13 décembre 1647, adressée par le secrétaire d'État de Lyonne à Servien, alors représentant de la France au congrès de Munster. Cette affirmation et la prétendue lettre sur laquelle elle s'appuie sont en désaccord complet avec les documents officiels que nous avons sous les yeux[22].

Dès que l'établissement de la République napolitaine fût connu à Paris, et avant même qu'on eût appris le départ de Guise, Mazarin s'était hâté de reconnaître la nouvelle république et d'accréditer près d'elle le marquis de Fontenay-Mareuil. Le 26 novembre, Brienne écrit à ce dernier : Vous aurez les brevets et l'argent qu'on veut bien employer à cette affaire.... et, par les lettres que Sa Majesté écrit à la sérénissime République de Naples, vous aurez établi votre créance[23].

Toutefois, le Gouvernement français ne se faisait aucune illusion sur les périls qui menaçaient la nouvelle république et sur son peu de chance de durée. Il remarquait avec beaucoup de sens qu'elle allait avoir pour première ennemie la noblesse tout entière, laquelle était aussi détestée que les Espagnols, et qui, par l'état de suspicion dans lequel on la tenait, serait infailliblement portée à conspirer en faveur de ces derniers Cette division des grands et du peuple créerait sans doute de sérieux embarras à l'intervention française. Depuis quelque temps déjà, le Cabinet, convaincu des périls qu'entraînerait l'acceptation directe de la couronne des Deux-Siciles par Louis XIV, penchait à refuser ce don, au cas qu'il fût fait ; il préférait porter le choix des Napolitains sur un prince qu'on se bornerait à protéger, et qui, n'existant que par les secours de la France, lui serait un fidèle allié contre l'Espagne[24]. La proclamation de la république venait singulièrement contrarier ce plan. Il était impossible, ainsi que le remarquait judicieusement Brienne, de ménager ensemblement le Pape et les grands, dont pourtant on avait besoin pour l'établissement d'un roi[25]. De plus, n'allait-on pas se brouiller définitivement avec Innocent X ? Cela semblait fort à craindre. Le Pape était seigneur dominant de Naples, et, comme tel, il avait droit d'être blessé qu'on disposât sans son aveu d'un royaume dont il avait la suzeraineté, et cela dans un moment où il venait d'acquérir des titres particuliers à la bienveillance de la France, en accordant enfin le chapeau rouge au frère du premier ministre[26].

Pour résoudre ces difficultés, le Conseil royal fut convoqué, et de ses délibérations sortit un long factum dans lequel toutes les questions soulevées par la révolution de Naples étaient examinées et approfondies. L'exacte situation de ce royaume y était établie avec soin, les chances de dissolution de la république naissante signalées avec perspicacité, le programme à suivre indiqué. Ce curieux Mémoire, signé de Louis XIV, et qui n'occupe pas moins de quarante-deux pages, dut être l'objet de longues méditations, et l'on mit sans doute plusieurs jours à le rédiger ; car il offre, dans ses dernières pages, la trace d'un revirement d'idées dont nous aurons à rechercher les causes. De plus, il est facile d'établir que, bien qu'il soit daté du 28 novembre, il dut être terminé avant cette époque, car on s'aperçoit en le lisant que ses rédacteurs ignoraient le départ du duc de Guise, bien qu'une dépêche de Brienne, en date de ce même jour, 28 novembre, prouve qu'à cette date, la nouvelle de ce départ était parvenue à Paris[27].

Jusqu'à présent, la conduite des chefs de la flotte française et celle des agents de Mazarin envoyés à Naples, a été jugée presque uniquement sur les affirmations et les accusations passionnées du duc de Guise. Cet important et décisif document permet aujourd'hui de l'apprécier d'après les instructions mêmes émanées de Paris, et d'attribuer à chacun sa juste part de responsabilité dans les échecs entraînés par le conflit qui s'éleva entre le jeune prince et les émissaires de Mazarin.

Dans ce Mémoire, le Cabinet pose d'abord en principe que le seul but de la France, en favorisant la révolte de Naples, doit être de contraindre les Espagnols à la paix, non de s'agrandir. C'est là, en effet, le point de vue principal, le mobile qui détermina toute la conduite du ministère dans cette affaire pendant les sept premiers mois qui suivirent le soulèvement. Jusqu'à la fin de janvier 4648, Mazarin et les secrétaires d'État placés sous ses ordres ne virent, dans cette révolution qui menaçait de faire perdre à l'Espagne sa plus belle conquête, qu'un moyen de peser sur les négociations de Munster, et d'amener cette puissance à conclure la paix à des conditions avantageuses pour la France. Ils ne changèrent de vues qu'au moment où toute espérance d'arrangement fut perdue, et quand notre intervention directe et décisive ne leur sembla plus un empêchement à une paix regardée comme impossible.

Sans faire grand fonds sur les dispositions d'un peuple dont ils connaissaient la mobilité, les conseillers de Louis XIV pensaient donc, nous copions leurs expressions, qu'il y aurait beaucoup d'imprudence à ne pas apporter tout ce qui dépendrait de nos soins, tout ce qui serait en notre pouvoir pour essayer de faire perdre à nos ennemis le plus beau fleuron de leur monarchie, qu'ils nous détenaient injustement.... — C'est, disaient-ils, l'Inde véritable d'où ils ont tiré les hommes et l'argent pour faire tant de mal à la France et pour tenter l'oppression des autres princes, ayant toujours en tête leur grand dessein de monarchie universelle. Mais ils se hâtaient d'ajouter que Sa Majesté n'était portée en cela d'aucun dessein de s'agrandir ni d'étendre sa domination, mais que toute sa visée était d'ôter de plus en plus à ses ennemis les moyens de lui nuire à l'avenir, et de les forcer. de donner les mains à la paix, dont la chrétienté avait tant de besoin, et pour laquelle ils montraient une si manifeste aversion.

Le cabinet esquissait ensuite le plan général des opérations que notre armée aurait à accomplir après son arrivée à Naples. Les chefs devaient d'abord s'emparer de Baïa avec l'aide du peuple, afin d'avoir une retraite assurée pour nos vaisseaux, puis s'appliquer à nettoyer d'Espagnols Naples et les environs, et enfin essayer de venir à bout de Geta avec les forces populaires réunies à celles de nos troupes. Ce serait là le coup de partie et qui achèverait l'affaire de tout point.

Recommandation était faite de ne débarquer aucune soldatesque sans en être recherché par le peuple, et, ce cas échéant, de choisir les officiers et les soldats les plus sages et les mieux disciplinés, de les faire vivre en ordre et de châtier les fautes même légères ; car, si le peuple, voyant quelque désordre, se portait à en faire vengeance lui-même, deux batailles gagnées ne sauraient donner aux Espagnols tant d'avantages qu'un tel accident. — Cette vérité, ajoutaient les rédacteurs du Mémoire, n'est que trop justifiée par l'exemple de ce qui se passe en Sicile, où l'on n'appelle pas les Français par crainte de la vengeance des Vêpres siciliennes, et cette considération est la meilleure des citadelles des Espagnols dans cette île.

Le roi abordait ensuite la question brûlante, celle qui engageait le plus notre responsabilité. La République nouvelle avait-elle chance de vivre ? En cas de négative, sur quelle tête devait-on essayer de faire tomber la couronne de Naples ?

Le Mémoire tranche nettement la première question. La République est formellement jugée impraticable : l'humeur des Napolitains n'y a aucun rapport ; la division et les animosités qui sont entre le peuple et la noblesse la précipiteraient vite vers sa ruine. D'ailleurs, les autres grandes villes du royaume consentiraient-elles à s'assujettir à celle de Naples ? Pour asseoir la République, disaient avec un grand sens les rédacteurs de ces instructions, quand il faut combattre longtemps avant de gagner la liberté, il est comme impossible qu'on puisse jamais faire rien de bien si l'assiette du pays n'est pas favorable. Il faut que ce soit ou montagnes comme la Suisse, ou marécages comme la Hollande. La révolte des Pays-Bas commença par le Brabant ; et cependant le Brabant est encore en possession des Espagnols, parce que c'est un pays plat et ouvert.

A quelles mains la nouvelle République confierait-elle le commandement de ses armées de terre et de mer ? L'exemple de Fairfax, sa conduite envers le Parlement d'Angleterre, dont il commandait l'armée, ne lui ferait-il point de peur ? Choisirait-elle son général et ses autres officiers de guerre parmi le peuple, qui ne saurait en fournir de bien expérimentés ? Le fussent-ils, quelles garanties aurait-elle que l'argent de l'Espagne n'arriverait jamais à les corrompre ? Prendrait-elle enfin ce chef et ces officiers dans les rangs de la noblesse, après avoir déjà éprouvé à ses dépens le danger de mettre des gentilshommes à sa tête ?

Le cabinet français pensait donc que la République napolitaine n'était pas née viable, et que ses auteurs reconnaîtraient bientôt d'eux-mêmes la nécessité de choisir un hi, qui achevât, par sa valeur personnelle, ce que le peuple avait commencé, et qui parvînt, par sa sage conduite, à pacifier le royaume.

Il établissait ensuite les raisons qui portaient le souverain de la France à refuser l'offre qui lui serait très-probablement faite de la couronne des Deux-Siciles, et à préférer l'élection d'un roi placé sous sa protection. Ces raisons, il faut le dire, étaient pleines de force, et les historiens qui blâment durement Mazarin d'avoir négligé la chance d'agrandissement offerte à la France, feront bien de les méditer.

La première, quoique peu flatteuse pour notre amour-propre national, n'en pas moins très-sérieuse et l'événement en a plus d'une fois attesté l'exactitude.

En général, était-il dit, toutes conquêtes, quand elles sont éloignées, sont malaisées à conserver et la nation française, sur les autres, a toujours été accusée de savoir aussi mal garder au loin que bien acquérir partout. Si les Espagnols, dont l'humeur et les coutumes approchent bien plus de celles des Italiens que les nôtres, ont tant de peine à se maintenir dans la possession de ce royaume-là, quoy qu'ils y soient habituez depuis plus d'un siècle, la Fiance s'y conserveroit beaucoup moins, en des temps qui seront maintenant plus difficiles, après que les peuples auront reconnu par l'expérience qu'ils viendroient de faire qu'il est en leur pouvoir de se donner tels maîtres qu'ils veulent.

Le Mémoire passait ensuite à des considérations d'un intérêt moins général. Quel effet l'acceptation de la couronne de Naples par le roi produirait-elle sur les autres souverains, en particulier sur ceux d'Italie ? Combien de jalousies et de ligues cet accroissement de puissance n'allait-il pas exciter, et surtout quel obstacle n'apporterait-il pas à la conclusion de la paix qui était le but principal et le souhait le plus ardent du roi et de tout le pays ! Tous ces inconvénients disparaissaient si le choix des Napolitains se portait sur un prince autre que le roi de France, mais vivant sous sa protection.

Puisque la République n'avait aucune chance de durée, il arriverait infailliblement de deux choses l'une : ou bien, et c'était l'hypothèse la plus vraisemblable, les Napolitains se donneraient à la France en vue des puissants secours qu'ils pouvaient en attendre, et alors il serait facile, si on le jugeait plus avantageux à nos intérêts, de les déterminer à accepter de nos mains un roi particulier. Par là, la France recueillerait la gloire d'une modération dont il existe peu d'exemples, en même temps que l'avantage de s'attacher fortement un prince qui ne tiendrait sa couronne que notre généreux désintéressement ; ou bien Naples choisirait de suite, et d'elle-même, un roi autre que le souverain de la France, et, dans ce cas, le cabinet recommandait à nos ambassadeurs d'appuyer et de porter les intérêts des princes de la maison royale[28]. Que si, pour des raisons impossibles à prévoir, ce projet rencontrait des obstacles insurmontables, nos agents étaient invités à servir le duc Charles de Lorraine, afin que la juste acquisition que la France venait de faire de ses États fût de plus en plus affermie par le nouveau consentement que ce prince et ceux de sa maison donneraient par là à cette acquisition. Enfin, en cas quo les Napolitains préférassent un roi italien, le cabinet recommandait d'appuyer le prince Thomas de Savoie, notre allié, celui auquel, comme on l'a vu, l'on avait d'abord songé pour le commandement de l'armée navale.

Du reste, le gouvernement français gardait le silence le plus absolu sur les espérances secrètes du duc de Guise, qui ne pouvaient pourtant lui être inconnues. De ses prétendus droits, de son avènement au trône, il n'en était pas même question. Ce prince avait assuré qu'il n'irait à Naples que pour ranger ce royaume sous les lois de la France. On prenait, ou l'on feignait de prendre cette affirmation très au sérieux, et l'on n'admettait pas qu'il pût jouer un autre rôle que celui de général des armées de la nouvelle République. Encore ne le croyait-on pas apte à remplir cette charge difficile sans être entouré de conseillers expérimentés et dévoués à la France. Il faut citer en entier cette partie des instructions, qui explique la conduite que tint l'abbé Baschi à son arrivée à Naples. Elle fut la source des différends qui s'élevèrent entre cet agent de Mazarin et le duc de Guise, et l'origine du coup hardi par lequel ce dernier mit fin à la situation dépendante et équivoque où on le plaçait :

Si le peuple de Naples persiste à vouloir M. le duc de Guise pour général de ses armées, que ledit sieur duc soit en état d'y aller et en disposition de se hazarder parmi eux. ledit sieur ambassadeur prendra grand soin de le bien instruire de la conduite qu'il devra tenir. Sa Majesté désire aussi que l'abbé de Saint-Nicolas l'accompagne et que ledit sieur duc se conduise entièrement d'après ses conseils dans toutes les occurrences et affaires où le temps ne permettra pas de communiquer avec ledit sieur ambassadeur et d'en attendre la réponse. Et comme, pendant que l'armée navale séjournera à Naples, le bailly de Vallancey et l'abbé de Saint-Nicolas traiteront les affaires et prendront les résolutions conjointement, sous la direction dudit sieur ambassadeur quand il y aura temps de les lui communiquer, Sa Majesté entend qu'ils prennent aussi grand soin d'assister de leurs conseils ledit sieur duc de Guise, ne doutant point qu'il n'y défère beaucoup de son costé, soit pour le cas qu'il fera de leur suffisance et de leur affection, soit parce qu'il ne lui diront rien qu'il ne doive prendre pour estre l'intention de Sa Majesté, qu'elle fait entendre audit sieur ambassadeur par le présent Mémoire, afin qu'il la fasse savoir auxdits bailly et abbé et règle là-dessus leur conduite.

Le Mémoire ajoutait qu'on avait fait expédier deux pouvoirs pour traiter avec le peuple de Naples, l'un au marquis de Fontenay lui-même, l'autre au bailli de Valençay et à l'abbé de Saint-Nicolas, avec pouvoir à ces deux derniers d'agir conjointement ou séparément, mais, toutefois, sous la direction de Fontenay, aux sentiments duquel ils avaient ordre de se conformer[29].

Ainsi, le duc de Guise était d'avance placé en état de suspicion. On lui donnait des guides et des surveillants, on investissait ces derniers du droit de traiter avec les Napolitains, sans même prendre son avis. Il était impossible qu'une âme fière, bouill4nte et facile à irriter, comme était celle de Guise, ne fût pas indignée d'une si injurieuse défiance. Il y avait, certes, imprudence à ne pas traiter avec plus de ménagement l'homme qui disposait à son gré des volontés de la multitude, et l'on verra tout à l'heure quelles funestes conséquences entraîna cette méfiance du cabinet français. Disons de suite ici que le marquis de Fontenay, brouillé avec l'abbé de Saint-Nicolas, ne lui communiqua point les dépêches de sa Cour, en sorte que ce dernier ne se rendit point à Naples[30]. Il fut remplacé par un familier du cardinal Michel Mazarin, qui partageait, avec Fontenay-Mareuil, le secret des négociations diplomatiques relatives aux affaires des Deux-Siciles.

On avait prévu le cas, qui justement se réalisa, où les Napolitains ne seraient pas d'avis de se donner au roi et préfèreraient se former en République. Ce cas échéant, les ministres de France devaient leur persuader d'élire un Sénat composé de deux ou trois cents membres, afin, était-il dit, qu'un grand nombre de citoyens eût part à l'honneur et que le peuple eût ainsi plus de créance en eux, voyant qu'il serait malaisé aux ennemis d'en corrompre tant à la fois. Cette idée d'un Sénat fut une des armes les plus puissantes que les ennemis de Guise employèrent contre lui. Il dut la combattre par des raisons sérieuses et pratiques, et l'on va voir quelle peine il eut à éviter le coup mortel qu'une assemblée souveraine eût porté à son autorité encore si mal assise.

En résumé, intervention dans la Révolution napolitaine, non pour s'agrandir, mais en vue de contraindre l'Espagne à une paix avantageuse pour nous ; mise en œuvre de tous les .moyens propres à détacher Naples de cette couronne ; acceptation du trône par le roi de France, mais avec faculté, par lui réservée, d'y placer immédiatement un prince de son choix ; élection d'un Sénat dans le cas où la République naissante aurait la vie plus dure qu'on ne le supposait ; défiance envers le duc de Guise ; recommandation de ne pas le laisser sortir de son rôle de général des armées de la nouvelle République ; pouvoir donné aux agents de la France de traiter avec les révoltés sans sa participation, tels étaient les points principaux dans lesquels se résumaient les vues de Mazarin et des secrétaires d'État placés sous ses ordres à la fin de novembre 1647.

Emportés par la logique de la situation, ces hommes d'État avaient, comme on le voit, autorisé le marquis de Fontenay ou ses représentants à traiter avec le peuple de Naples, c'est-à-dire à régler la nature et l'importance des secours qui lui seraient donnés et à établir, d'un commun accord avec lui, la forme de gouvernement et le chef qu'il conviendrait à ce pays d'adopter. Toutefois, une recommandation bien curieuse avait été faite aux plénipotentiaires. C'était de ne point promettre aux Napolitains de les faire comprendre dans le traité de paix qui se négociait avec l'Espagne, et d'éviter soigneusement tout engagement sur ce point.

Au moment de faire apposer au bas de ces longues instructions la signature royale, Mazarin ne trouva point sans doute cette recommandation suffisante. Il ajouta au Mémoire une restriction qui en bouleversait toute l'économie et qui, trahissant les incertitudes du cabinet, devait jeter les plénipotentiaires dans la plus grande perplexité. Les termes mêmes dans lesquelles cette dernière réserve était formulée montrent clairement à quels doutes et à quelles irrésolutions l'esprit du premier ministre était en proie.

Depuis ce Mémoire achevé, on a considéré que peut-être il seroit plus à propos que lesdits sieurs ambassadeur, bailly et abbé différassent sous divers prétextes de faire aucun traité avec les Napolitains, attendant que les affaires fussent plus advancées, si ce n'est que, dès à présent, ils voulussent eslire un roy particulier. Hors de cela, le peuple persistant dans sa pensée de république, ils pourraient remettre ledit traité aux ambassadeurs que le peuple a dit vouloir envoyer à la Cour dès que notre armée navale serait arrivée, d'autant que, voyant plus clair dans la suite, on pourrait prendre après des mesures plus certaines, et faire toutes choses avec plus de fondement et sans courir fortune de rien gater en la négociation de la paix ; parce que, dans cet intervalle de temps, on verra si la crainte de perdre ce royaume pourra porter les Espagnols à la conclure ; au lieu qu'autrement, les Napolitains se donnant à nous, il seroit malaisé que nous pussions nous empescher de nous engager à les défendre, et notamment s'ils nous remettaient les chasteaux entre les mains.

En transmettant au marquis de Fontenay le long Mémoire que nous venons d'analyser, Brienne découvrait le fond de la pensée du cabinet avec une franchise dépouillée de tout voile et qui frisait le cynisme. Il renouvelait la recommandation de temporiser et de laisser à la France, avant qu'elle reçut en sa protection les Napolitains, le temps de voir leur sort se fixer ; car, ajoutait-il, si la paix se pouvait conclure pendant que leur fortune est incertaine, nous aurions tiré le fruit de leur révolte et nous éviterions le blâme auquel nous demeurerions exposés si, après les avoir reçus sous notre protection, nous les abandonnions.

Certes, la politique dont ces lignes témoignent n'était ni franche ni loyale. Il est même douteux qu'elle fut habile. C'est surtout quand on a affaire aux révolutions qu'il faut se décider vite et que le temps perdu ne se retrouve pas. Mais les historiens étui reprochent sévèrement à Mazarin ses temporisations dans cette grave occurrence oublient trop les embarras et les complications de toutes sortes au milieu desquels il se débattait alors.

Après trente ans d'une guerre qui avait dévoré toutes nos ressources, la paix était devenue le vœu général, un de ces besoins publics auxquels un gouvernement ne résiste pas impunément. La France était épuisée ; l'argent manquait pour l'entretien des troupes ; les pays mêmes sur lesquels vivaient nos armées étaient ruinés à ce point que le pillage y était devenu une ressource illusoire. Nos échecs répétés devant Lérida ; la mort de Gassion ; les Catalans, qui se tournaient contre nous, sachant qu'au congrès de Munster, Mazarin offrait de les vendre ; l'Aragon qui armait pour les aider ; la défection imminente de nos alliés qui menaçaient, si nous ne nous prêtions à un arrangement général, de conclure des traités de paix particuliers et de nous laisser seuls en face de l'Espagne ; les insolences de Condé, plus exigeant après chaque victoire et qui, sans la paix, devenait un maître insupportable ; les discordes intérieures ; la Fronde à son début et déjà menaçante, c'étaient là sans contredit de graves considérations et qui devaient faire hésiter le chef du gouvernement à intervenir à la légère dans une affaire trouble et pleine d'incertitudes comme était la révolte de Naples, au risque d'être contraint à se retirer honteusement en abandonnant aux vengeances de l'Espagne les malheureux que leur foi dans nos promesses aurait compromis.

 

IV

La nouvelle de l'heureux débarquement du duc de Guise sous le feu de la flotte espagnole parvint à Paris le 9 décembre ; elle y causa plus de mécontentement encore que de surprise. Il s'en fallut peu que le marquis de. Fontenay ne fut blâmé pour avoir prêté les mains à cette entreprise, qui pouvait précipiter les événements et forcer le gouvernement français à sortir plus tôt qu'il ne l'aurait voulu de l'état d'expectative où il s'était placé. On lui savait surtout mauvais gré d'avoir hâté par ses efforts et ses représentations le départ du prince, et Brienne, qui lui était dévoué, dut s'employer pour faire agréer sa justification au chef du cabinet[31]. Guise était parti seul, sans aucun des conseils qu'on prétendait lui imposer pour tempérer sa fougue et les capricieux écarts de son esprit aventureux. Cette révolution, qu'on s'était flatté de modérer et de diriger, allait maintenant obéir à un courant nouveau, dont il était impossible de mesurer la force et la direction, car Mazarin était trop peu sincère lui-même pour croire à la sincérité des autres et trop peu désintéressé pour admettre qu'un homme aussi ambitieux que le duc de Guise se fût allé jeter en de tels périls sans arrière-pensée et dans l'unique dessein de servir les intérêts du roi. Aussi, refusa-t-il d'abord de ratifier les promesses que le marquis de Fontenay avait faites au jeune prince au moment du départ de ce dernier, et même de l'aider d'aucun subside.

Le 16 décembre, Brienne écrivait à cet ambassadeur : J'avais bien prévu qu'il serait à propos de disposer le roi à assister M. de Guise, et j'en avois fait l'ouverture, mais j'ai trouvé les plus sages dans un autre sentiment, leur semblant qu'il devoit suffire de prier madame sa mère de s'y porter, ce qui sera pour réussir.

Il était impossible de mieux marquer que l'entreprise du jeune conquérant était considérée comme une affaire privée, qui n'intéressait que sa famille et où l'État n'avait rien à voir. C'était là, il faut le dire, une appréciation très-fausse de la situation. Que Guise eût trop précipité les choses, qu'il nourrit ou non des desseins ambitieux, contre lesquels du reste il protestait, il n'en était pas moins vrai qu'il était parti encouragé et stimulé par les représentants de la France à Rome et après en avoir obtenu la permission de Mazarin lui-même. D'ailleurs les événements marchaient ; le prince déployait, dans les premières mesures par lesquelles il chercha, aussitôt après son arrivée, à asseoir son autorité et à ramener l'ordre, une capacité militaire et même un esprit politique qu'on était loin d'attendre de lui. Il semble donc que la Cour de France n'avait rien de mieux à faire que de l'aider de tout son pouvoir, au moins tant qu'il resterait dans les limites tracées par ses propres engagements et par les instructions de notre cabinet. Mais il était écrit que, dans cette malheureuse affaire, l'irrésolution, les demi-mesures, la duplicité, le manque de netteté dans les vues, paralyseraient les tentatives en apparence les plus rationnelles et les plus faciles à réaliser.

Retardée par une tempête, la flotte française n'apparut dans les eaux de Naples que le 18 décembre, un mois après Guise, et quand ce prince était déjà aux prises avec les difficultés inséparables de l'établissement de tout gouvernement nouveau. Chose plus malheureuse encore, cette flotte, attendue par toute la population avec une impatience fébrile, n'apportait presque rien de ce qu'on comptait recevoir, rien de ce qui était nécessaire pour faire prendre patience à un peuple affamé et manquant de tout. Loin d'être en état de fournir des vivres aux révoltés, elle n'avait pas même ceux qui étaient nécessaires à sa propre subsistance, et Brienne l'avoue dans une dépêche[32].

Quelle était la cause d'une telle incurie ? Comment Mazarin qui, au mois d'octobre, promettait de fournir des grains aux peuples de Naples et en faisait faire des approvisionnements dans les villes du littoral de la Méditerranée[33] ; put-il laisser partir la flotte sans provisions, au risque de perdre tous les avantages qu'on devait attendre de son intervention ? Cette faute lui a été bien des fois reprochée et elle vaut la peine qu'on s'y arrête.

Il faut dire d'abord que l'équipement de notre flotte se fit fort à la hâte, par le désir qu'on avait de joindre celle d'Espagne avant qu'elle fût en état de combattre. On partit si vite que personne n'eut le temps de se pourvoir d'argent, chose alors beaucoup plus difficile qu'aujourd'hui. En mettant tout le monde à contribution, disait l'abbé Baschi, on n'eût pas réuni cent pistoles[34]. Voilà pour les ressources des particuliers. Les fonds envoyés par le Gouvernement consistaient en cinq cent mille francs de lettres de change sur Gènes, qu'on n'eut pas le temps d'escompter dans cette ville et qu'il fut impossible de placer à Naples. Quant aux grains, le duc de Richelieu, en partant, se borna à laisser l'ordre d'en charger en Provence quelques vaisseaux, lesquels n'arrivèrent pas même à temps pour sauver l'armée de la famine[35]. On s'était dit qu'on en trouverait à Naples.

Tout le monde, les ministres aussi bien que les chefs de la flottes se faisait illusion sur les forces de l'insurrection, ainsi que sur les ressources dont elle disposait, et cette erreur, qui devait avoir de si fatales conséquences, provenait du fait de Guise lui-même. Ce prince avait cru sur parole les envoyés napolitains affirmant que la nouvelle République comptait cent cinquante mille hommes sous les armes et était abondamment pourvue de munitions de toute espèce ; il avait fait partager ces illusions aux ambassadeurs de France à Rome, qui les avait communiquées à leur Gouvernement.

Le ministère croyait si bien aux dires du prince touchant les abondantes provisions qu'on trouverait à Naples, que, le 16 décembre, il recommandait à ses agents de faire en sorte que les Napolitains fournissent l'armée navale pendant tout l'hiver de ce qui était nécessaire à son entretien[36]. C'était Naples, au contraire, qu'il eût fallu nourrir et pourvoir de toute espèce de munitions. Lorsque le duc de Guise y arriva, il n'y trouva que pour quinze jours de pain ; il n'y avait d'autre poudre que les quelques barils qu'il apportait, et à peine restait-il cinq mille hommes sous les armes ; le reste du peuple, harassé de fatigue, refusait le service. La ville, affamée et presque sans défense, attendait avec impatience les vivres, la poudre, les armes et les troupes que Guise avait promis, et que la flotte, disait-il, devait apporter.

Ainsi le prince avait trompé les Napolitains en même temps que ceux-ci l'abusaient lui-même, en sorte que les insurgés et leur chef souffraient, en fin de compte, de ce double mensonge, que le ministère français ne sut pas ou ne voulut pas apercevoir.

Toutefois, ni la confiance qu'on put accorder aux dires mensongers du duc de Guise, ni l'empressement qu'on mit à faire partir la flotte n'expliquent suffisamment l'incurie de Mazarin dans une circonstance si grave. Il pouvait se faire, en effet, que notre armée, en arrivant à Naples, trouvât les habitants hostiles à notre intervention : ces sortes de revirements ne sont pas rares dans les révolutions, et la plus vulgaire prudence exige qu'on les prévoie. Il pouvait se faire encore qu'on arrivât après le triomphe des Espagnols et la réduction des rebelles, et, dès lors, l'armée n'ayant plus à compter sur les ressources fournies par les territoires envahis, on devait se mettre en mesure de la faire vivre pendant tout le temps que durerait l'occupation. La véritable explication de la conduite du ministère français et du peu de soin qu'il prit de pourvoir la flotte de tout ce qui était nécessaire tant à sa propre subsistance qu'à celle des insurgés, nous est fournie par l'étude attentive du Mémoire signé de Louis XIV, que nous analysions tout à l'heure, et par les dépêches de Brienne, qui lui sont immédiatement postérieures.

Mazarin, on l'a vu, croyait peu à la possibilité d'arracher Naples au joug de l'Espagne, encore moins à l'utilité d'y fonder un établissement durable. Persuadé, non sans raison, que la noblesse napolitaine était hostile à l'insurrection, convaincu que, sans son concours, on ne parviendrait pas plus à faire vivre la République qu'à établir une royauté nouvelle, il répugnait à prodiguer l'or et le sang de la France dans une expédition dont l'heureuse issue lui semblait plus que problématique.

Sans doute, il eût vu avec plaisir l'Espagne perdant les Deux-Siciles, comme elle avait déjà perdu le Portugal et la Catalogne, mais le soin de la pacification générale passait dans son esprit bien avant cette douteuse éventualité. Il tenait moins à ruiner la domination espagnole qu'à la mettre assez en péril pour que Philippe IV, contraint d'employer ses troupes dans les pays insurgés, fût amené à accepter la paix, qu'il repoussait depuis si longtemps. Pour ce but important, mais limité, il n'était pas besoin d'une occupation durable ; un coup de main heureux suffisait. Que la flotte française arrivât à joindre celle d'Espagne ; qu'elle parvînt à la défaire ou seulement à la disperser ; que le peuple de Naples, aidé de deux mille hommes bien disciplinés qu'on mettrait à terre, réussît à emporter les châteaux[37], et l'on pouvait être assuré que l'Espagne, obligée de concentrer dans ces contrées une forte partie des troupes, déjà trop peu nombreuses, disséminées en Catalogne, en Flandre et en Italie, se montrerait moins hostile aux propositions des plénipotentiaires français réunis à Munster. Le 24 janvier 1648, Brienne mandait ce qui suit au marquis de Fontenay :

Messieurs les plénipotentiaires ont charge, s'ils ne concluent la paix en peu de jours, de faire connaître que Sa Majesté sera embarquée en la protection des Napolitains. et, si la fortune nous en dit de ce côté-lit avant la conclusion du traité et la ratification d'iceluy. de déclarer que nous ne serons point obligés à ce que nous promettons à présent.... Ainsi la paix ou la continuation de la guerre sera déclarée en peu de jours....

Je ne m'explique pas davantage avec vous sur cette matière, parce que je vous ai déjà donné information de ce qui se passe à Munster, et avec toute sorte d'ouverture d'esprit, parce que je suis bien assuré que vous n'en donnez coignoissance à qui que ce soit, et vous jugez bien qnel mauvais effect cela feroit sur les Napolitains s'ils avoient pénétré que nous sommes en pensée de les abandonner ; mais j'ay jugé qu'il ne falloit pas vous desguiser nostre sentiment, de crainte que vous ne vous engageassiez, avec ces mesmes Napolitains, au delà de ce qui seroit à désirer et au delà de ce qui est porté par le Mémoire qui vous a esté adressé pour régler votre conduite avec eux[38].

Ainsi les secours promis aux Napolitains n'étaient qu'un leurre. Les amuser par un semblant de traité dont on retarderait autant que possible la conclusion, les lancer en avant sans s'engager avec eux, rester maitre de leur retirer tout appui sans qu'ils eussent même le droit de se plaindre d'un manque de foi, tel était le plan du cabinet français. Avec une indifférence cynique, sans se soucier autrement de ce qu'il adviendrait du duc de Guise, Mazarin méditait de les abandonner aux vengeances de Philippe IV, si l'effroi de notre intervention était suffisant pour pousser ce prince à conclure promptement la paix. Cette secrète et déloyale intention paraîtra sans doute hors de toute contestation si l'on a lu avec soin les documents authentiques que nous venons de produire. Elle est la clef de toute la politique de Mazarin dans la première période de la révolte de Naples, clans celle qui s'étend jusqu'au commencement de février 1648.

Cette politique pouvait se résumer en deux points : faire perdre, s'il était possible, la couronne de Naples à l'Espagne par le fait seul des Napolitains, en ne nous mêlant à l'événement que dans la moindre mesure possible, sans nous lier envers eux et de façon à pouvoir toujours leur retirer notre concours. Puis, s'il nous fallait absolument agir d'une façon directe et décisive, mettre tout en œuvre pour persuader aux insurgés de renoncer à l'état républicain, et d'offrir la couronne de leur pays au roi de France, qui en disposerait à son gré. Par suite et comme conséquence naturelle de ce plan, miner souterrainement le duc de Guise, s'il manifestait des vues ambitieuses contraires à nos desseins. Sans doute, et nous l'avons indiqué déjà, cette politique ne faisait preuve ni de loyauté, ni de hardiesse, mais elle était, sinon commandée, au moins excusée par les circonstances difficiles où se trouvait le gouvernement français. Il reste à montrer quels tristes fruits elle porta.

 

V

La flotte française en arrivant à Naples, portait à son bord un Romain embarqué pendant le passage, l'abbé Baschi, familier de 3lichel Mazarin, son domestique, comme on disait alors. Mis au courant, par son maitre et par Fontenay-Mareuil. des secrètes instructions du cabinet français, il était fort capable de les exécuter dans ce qu'elles avaient de subtil et de tortueux, mais trop peu osé pour se permettre des modifications appropriées aux circonstances. L'abbé Baschi était accrédité auprès de Messieurs de la République de Naples. Quant à Guise, considéré comme général des armées de cette République, l'envoyé des plénipotentiaires français était simplement chargé de lui communiquer les pensées du roi et de l'assister de ses conseils. Il ne devait traiter qu'avec le Chef du peuple.

Dès la première entrevue qu'il eut avec le prince, ce dernier ayant manifesté l'intention de prendre le commandement des troupes qu'on allait débarquer, l'abbé répondit froidement que l'armée et tous les secours étaient envoyés au peuple de Naples et devaient obéir à son principal chef. Le duc répliqua, avec une grande apparence de raison, que les secours et le commandement de l'armée étant chose qui regardaient la guerre , c'était à lui, général des armées de la République, qu'il appartenait d'en disposer. Gennaro Annèse, repartit l'abbé, est, ici, le seul chef et le généralissime ; jusqu'à présent, toutes les communications officielles ont eu lieu avec lui ; c'est donc à lui seul que je dois m'adresser. Tout ce que le prince put dire de l'incapacité, de l'ignorance, de la grossièreté, du peu de crédit d'Annèse, ne parvint point à ébranler la résolution du diplomate romain. Guise, dans le but sans doute de justifier le parti violent qu'il adopta, prétend que l'abbé lui aurait dit en terminant : Quand vous aurez fait voir votre autorité absolue dans la ville, que vous en êtes le maître et que l'on n'obéit qu'à vos ordres, l'on ne s'adressera plus qu'à vous ; mais, jusque-là, je ne puis m'empêcher de traiter, de la part du roi, avec celui qui a paru, jusqu'ici, avoir le principal commandement.

Que ce langage perfide ait été tenu ou non, les faits restent, et il est certain qu'on mettait le duc de Guise dans une situation humiliante, dont il ne pouvait sortir que par un coup hardi. N'eût-il pas perdu tout prestige aux yeux des Napolitains, n'eût-il pas accepté le rôle le plus honteux et le plus ridicule, s'il eût laissé passer sous les ordres d'un autre les secours que lui-même avait promis et dont il s'était d'avance représenté comme le maître ? Et, puisque l'armée devait obéir au Chef de Naples, ne devait-il pas être tenté de se faire immédiatement décerner ce titre ?

C'est ce qu'il fit dès le lendemain de sa première entrevue avec l'abbé Baschi. L'armurier Gennaro Annèse, menacé de la potence, signa lui-même sa déchéance et se contenta de la seconde place dans le gouvernement. Quant à Guise, il se fit proclamer duc de la République pour cinq ans, et prit immédiatement possession de cette dignité (21 décembre 1647). Si l'agent français avait eu pour but de le forcer à dévoiler ses desseins, il y avait réussi au delà même de ses vœux. Le prince venait de brûler ses vaisseaux, car il était bien évident que le titre qu'il avait pris et qui lui conférait une véritable dictature, n'était qu'un acheminement à celui de roi, que d'imprudents amis parlaient déjà de lui décerner. Il avait désormais, pour adversaires, le parti républicain tout entier, tous ceux qui tenaient pour l'Espagne, Gennaro Annèse, qu'il avait mortellement offensé, et enfin le gouvernement français, dont sa promotion contrariait les plans.

Peut-être que si, au lieu d'un agent secondaire et à courte vue comme était l'abbé Baschi, la France avait eu pour représentant à Naples un diplomate d'un esprit mûr et élevé, tel que l'abbé de Saint-Nicolas, les choses auraient pris une marche toute différente de celle qu'on leur vit suivre. On eût compris qu'après tout, le coup d'État du duc faisait assez bien les affaires de la France. Peu importait, en effet, qui aurait Naples, pourvu que ce royaume échappât à l'Espagne. Au lieu donc de travailler à détruire l'autorité mal établie du nouveau -chef de la République napolitaine, on se fut appliqué à la consolider en le dirigeant bien et en lui inspirant des mesures prudentes et conciliatrices. Loin de s'aliéner l'esprit du prince, on l'eût ménagé ; on se fût servi de lui, sauf, plus tard, à substituer à sa dictature un gouvernement plus stable et mieux en harmonie avec les desseins de la Cour de France. Telle fut en effet, comme on le verra, la pensée de Mazarin lors. qu'il apprit la révolution gouvernementale accomplie par le duc de Guise, et tel fut aussi le plan qu'il adopta à la fin, mais trop tard. Malheureusement, il fallait trois semaines pour que cette nouvelle parvînt à Paris, il en fallait autant pour que les résolutions qu'elle inspirerait au ministre arrivassent à Naples. L'échec que subit la politique française dans cette affaire fut dû surtout à ces délais inévitables.

Initié et dévoué aux secrets desseins du cardinal de Sainte-Cécile, l'abbé Baschi savait que ce frère de Mazarin nourrissait l'espérance de se faire attribuer la vice-royauté de Naples, aux lieu et place de celle de Catalogne, dont il refusait d'aller prendre possession. Guise assure même qu'une ouverture lui avait été faite dans ce sens. L'abbé l'aurait engagé à offrir la protection du royaume de Naples au nouveau cardinal, proposition que le prince aurait rejetée bien loin, comme une idée folle et risible[39]. Baschi devait donc, pour servir les vues de son maître , nuire à l'homme qui s'attribuait la place que le frère de ce dernier ambitionnait. En agissant de la sorte, il croyait, d'ailleurs, entrer pleinement dans les idées de son gouvernement, dont l'intention était de mettre la couronne des Deux-Siciles à la disposition du roi de France. Le premier soin du diplomate romain fut donc de ruiner l'autorité du dictateur en relevant celle de Gennaro Annèse. Loin de chercher à réconcilier le duc avec son compétiteur, comme l'intérêt de la chose publique l'eût exigé, il s'appliqua à fomenter leur mésintelligence et à envenimer leurs rapports. Le terrain n'était que trop bien préparé.

Dès avant l'arrivée du duc, Annèse, prévoyant l'amoindrissement dont sa propre autorité était menacée, s'était efforcé de le desservir près des ministres de France à Rome et de le ruiner dans l'esprit de la populace. Il disait tout bas que l'ambition, plus que les ordres du roi, poussait ce prince à Naples ; que sa Maison était suspecte et même odieuse à la France, qui songeait plus à l'abaisser qu'à l'agrandir et ne favoriserait point un parti à la tête duquel il paraîtrait[40]. Lorsque Guise l'eut dépouillé de l'autorité suprême, l'armurier parut se soumettre et accepter le fait accompli. A ce prix, il conserva le gouvernement du tourjon des Carmes, position importante, qui pouvait, à un moment donné, le rendre maître des événements. Mais il ne renonça point à l'espoir de se venger, et l'autorité qu'il conservait sur les dernières classes du peuple lui était un sûr garant que, tôt ou tard, il en trouverait l'occasion. Le marquis de Fontenay-Mareuil, mis au courant de ses projets, eut le tort de les favoriser[41].

Annèse accueillit donc avec empressement les ouvertures de l'abbé Baschi, et tous deux complotèrent les moyens de perdre le dictateur. Oh peut lire, dans les Mémoires de Guise, le détail des intrigues et des complots qui furent alors dirigés contre son autorité et même contre sa vie. L'illustre narrateur impute formellement à l'émissaire de Mazarin d'avoir essayé de le faire tuer dans une émeute populaire, en l'accusant d'être le tyran de Naples et non le restaurateur de sa liberté, puis d'avoir tenté de le faire poignarder par une conjuration formée de dix-sept personnes, auxquelles l'abbé persuada que Naples n'avait point de secours à attendre de la cour de France tant que le prince serait à la tête de son gouvernement[42], et que, s'il restait dans cette ville, la flotte avait ordre de se retirer et d'abandonner les Napolitains à leurs seules ressources. Sans doute, il ne faut p. as accueillir aveuglément des accusations dictées par le ressentiment et par le désir qu'éprouvait le prince de décliner la responsabilité de l'échec qui mit fin à son entreprise ; il est difficile, toutefois. de n'y pas reconnaître un certain fonds de vérité. Il en est une au moins qui paraît bien établie.

Le parti républicain, par l'organe de Vincenzo d'Andrea, son chef principal, vint demander au duc de Naples la création d'un Sénat, sans l'avis duquel le dictateur ne pourrait rien entreprendre, demande embarrassante et grosse de périls. Si l'on se rappelle que cette élection d'un Sénat était l'une des recommandations faites par la cour de France dans le Mémoire dont nous avons donné l'analyse, on admettra volontiers que l'abbé Baschi ne fut point étranger à cette requête perfide et qui, chose singulière, paraît avoir été inspirée par l'Espagne en même temps que par la France. C'était une véritable arme à deux tranchants. En l'accueillant, le prince se liait les mains et abdiquait l'autorité absolue dans un moment où la dictature était une nécessité de salut public ; en la rejetant, comme il le fit, il donnait un beau champ à ses ennemis ; il les autorisait, en quelque sorte, à publier qu'il aspirait à la royauté et nourrissait plutôt le dessein d'opprimer la ville et le royaume que de les tirer de captivité[43].

Les défiances et le mauvais vouloir que le coup d'État accompli par le duc de Guise inspirèrent à l'abbé Baschi, ainsi qu'aux chefs de la flotte, la rivalité que cet événement fit naître entre le prince et l'ancien chef de la République, eurent, sur l'issue de la Révolution napolitaine, l'influence la plus funeste. Le duc avait demandé quatre-vingts milliers de poudre ; on lui en promit trente-six : mais, sur cette quantité, six milliers seulement lui furent remis ; le reste fut envoyé au tourjon des Carmes, où commandait son ennemi. Il avait fait faire des pontons pour recevoir dix pièces de canon qu'on s'était engagé à lui livrer ; les officiers de l'armée les trouvèrent mal construits, et l'artillerie ne fut pas débarquée. Bien plus, le prince lui-même se vit forcé de refuser dix-huit cents hommes d'infanterie et deux compagnies de cavalerie, dont il avait pourtant grand besoin, parce qu'on ne lui donnait ni argent pour les soudoyer. ni provisions pour les nourrir, ce qui était les contraindre au pillage et attirer sur le duc le contrecoup des animosités que leurs déprédations n'eussent pas manqué de soulever.

On comprend, à la rigueur, que l'agent de Mazarin ait refusé de fournir des secours qui devaient être employés à consolider un pouvoir que son gouvernement désirait plutôt renverser qu'établir. Ce qu'il est moins facile d'expliquer, c'est la conduite de la flotte.

L'intention formelle du cabinet français, on l'a vu par les dépêches que nous avons analysées, était qu'elle cherchât, par tous les moyens en son pouvoir, à joindre l'escadre espagnole, à la forcer d'accepter le combat et à la détruire s'il était possible. Cela ne pouvait avoir qu'une influence indirecte sur la consolidation de l'autorité absolue que Guise s'était arrogée, et devait être singulièrement utile au but que Mazarin poursuivait et qui était de contraindre l'Espagne à conclure la paix qu'elle repoussait depuis si longtemps. Comment donc expliquer le rôle expectant et presque négatif dans lequel les chefs de notre armée navale se renfermèrent ? Leurs hésitations, le peu d'avantages qu'ils tirèrent des forces considérables mises à leur disposition, et surtout leur prompt retour ont été, de la part des écrivains espagnols et des amis du duc de Guise, l'objet d'insinuations malveillantes et même d'accusations que beaucoup d'historiens français ont eu le tort d'accueillir sans preuves suffisantes. On a dit que, selon toute vraisemblance, les Français n'avaient point eu d'autre ordre que de paraître vers Naples, sans s'engager à une descente ou à un combat général ; que leur dessein secret n'avait été que d'exécuter l'entreprise qu'ils pratiquèrent sur le château de Baya, et que l'impunité des chefs de l'armée de France, après leur retour, faisait assez connaître que, s'ils n'avaient point combattu l'armée d'Espagne ni débarqué de secours pour les Napolitains, ils n'avaient point failli contre leurs ordres[44].

Précisant ces accusations, les Espagnols ont imputé aux chefs français d'avoir, le jour de leur arrivée, quand le vent était favorable, perdu le temps en vaines délibérations et laissé échapper l'occasion unique de détruire la flotte ennemie, encore hors de défense. Les partisans de Guise, et Guise lui-même ont reproduit cette accusation avec une grande force. Suivant les premiers, le prince, dès la première nouvelle qu'il eut de l'arrivée des Français dans le golfe de Naples, envoya une felouque pour faire savoir au duc de Richelieu que la flotte d'Espagne était alors dispersée par les rades de Castel-Novo, de Castel-del-Ovo. de Castellamare, de Nisida et du port de Baya, et que, s'il le voulait, il en pourrait brûler la plus grande partie et se rendre maître de l'autre. Les chefs de, l'armée française s'amusèrent à tenir conseil alors qu'il fallait combattre et négligèrent ce jour-là une occasion qu'ils ne devaient plus retrouver, en perdant la faveur des vents et l'avantage de surprendre des vaisseaux encore sur le fer et dénués de soldats et de matelots[45].

Le duc de Guise dans ses Mémoires, ne mentionne point l'envoi de la felouque dont il vient d'être question, et l'on verra tout à l'heure qu'il ne put faire cet envoi ; il se borne à dire : La flotte d'Espagne étoit sur le fer, tous les vaisseaux démâtés et n'ayant personne dessus, de sorte que la nôtre, qui venait avec un vent frais, pouvait. sans nul péril, la brûler et la prendre quasi toute, sans qu'il pût échapper que fort peu de vaisseaux, lesquels auraient été inutiles, n'osant pas tenir la mer devant une armée puissante et victorieuse comme auroit été la nôtre. Je ne sais par quelle raison ce coup, si important et si facile, ne fut pas entrepris, dont les Espagnols ne se seraient jamais relevés ; mais au moins puis-je dire qu'ils m'ont avoué, dans ma prison, qu'ils n'ont jamais été si près de leur perte, qu'ils n'auroient jamais pu éviter si on refit voulu. Tous ceux qui montoient l'armée sont demeurés d'accord de cette vérité, sans que personne puisse donner ni de raison ni d'excuse de cette faute, ni savoir à quoi l'attribuer[46].

Le rapport officiel, adressé par le duc de Richelieu au cardinal de Mazarin répond en partie à ces accusations, mais, avant tout examen de ce document, on peut affirmer que la mission de la flotte ne se bornait pas, comme l'ont prétendu les écrivains espagnols, à une simple apparition dans les eaux de Naples.

Sur ce point important, les instructions, datées du 28 novembre 1647 , dont nous avons donné l'analyse et qui sont signées de Louis XIV, répondent avec une entière précision. On y lit : Il semble que la principale application de ceux qui commandent l'armée navale de Sa Majesté, en arrivant, devra estre de s'emparer de Raya avec l'aide du peuple, afin d'avoir une retraite assurée pour nos vaisseaux ; qu'après cela, ils doivent tacher de bien nettoyer Naples d'Espagnols et tous les environs, assistant le peuple de tout leur pouvoir, mais en la manière seulement qu'il voudra l'être. Il faudra voir aussi s'il y auroit moyen de venir à bout de Gaête, avec les forces du peuple et l'assistance de notre armée. Ce seroit là le coup de partie et qui acheveroit l'affaire de tout point ; c'est pourquoy Sa Majesté y recommande une extraordinaire application et qu'il n'y soit rien obmis de possible.

Voilà pour les instructions données aux chefs de l'armée navale : ces chefs n'avaient pas seulement pour mission de s'emparer de Baya ; ils devaient, s'ils en étaient requis par les insurgés, expulser les Espagnols de Naples et des environs, et même, s'il était possible, se rendre maîtres de Gaëte, avec l'aide du peuple et l'assistance de notre armée. Rien. de plus positif que ces ordres. Essayons de découvrir, en usant surtout des documents officiels, et, en particulier, du rapport écrit par le duc de Richelieu, pourquoi ils ne furent point exécutés.

 

VI

Après une traversée des plus pénibles, accomplie par un mauvais temps presque continuel, l'armée navale française parut dans le golfe de Naples le 18 décembre. Elle se composait de vingt-quatre vaisseaux de guerre et de cinq brûlots. En passant devant l'île d'Ischia, elle apprit que les ennemis tenaient toutes les forteresses du golfe, qu'ils avaient quarante-deux vaisseaux et vingt et une galères[47], que la plus grande partie des vaisseaux était mouillée sous les forts du château de l'Œuf et du Château-Neuf ; le reste se tenait dans la rade de Baya, dans le port de Nisida et dans celui de Castellamare, tous situés dans le golfe de Naples. Une felouque de la marine de Pausilippe aborda l'amiral et fit connaître que le duc de Guise était sorti de Naples avec une armée de neuf mille hommes, afin de prendre quelques petites places à dix ou douze milles de la ville. Elle réclama de la poudre pour les insurgés, et il lui en fut remis dix-huit barils ; c'était tout ce qu'elle pouvait porter.

Cette felouque n'était point envoyée par le duc de Guise, puisqu'il était alors absent de Naples. C'est seulement le soir, et quand la nuit ne permettait plus de combattre, que le P. Tomaso de Juliis apporta une lettre du prince, lequel venait de rentrer à Naples, et priait qu'on lui expédiât de suite de la poudre et quatre pièces de canon.

L'escadre française vint mouiller à une portée de canon de celle d'Espagne et des châteaux.. Il était alors deux heures du soir. Nous laissons ici la parole au duc de Richelieu :

L'armée ne fut pas plutôt à l'ancre que le duc de Richelieu fit assembler le Conseil de guerre, où, après plusieurs propositions faites, le combat fut résolu d'une commune voix, le long du bassin de Naples, pour le lendemain matin, si le même vent continuait.

Il fut résolu encore : que l'on n'irait que par le vent qu'il faisait pour lors, et qui, en nous portant sur l'armée ennemie, nous en pourrait retirer, afin de ne demeurer pas exposés sous les canons des forteresses où il y en avoit quarante pièces en batterie. Les ordres furent donnés pour le combat. Le sieur Dumez, vice-amiral, et le sieur Garnier devaient tenir la droite de l'amiral avec leurs escadres, et le sieur de Montade, contre-amiral, et le sieur Duquesne, aussi avec leurs escadres, la gauche.

Qu'on n'oublie pas qu'on était au 18 décembre et qu'il était deux heures quand l'armée navale jeta l'ancre au lieu de son mouillage. En admettant que le transport des principaux chefs à bord de l'amiral, le Conseil qu'ils tinrent et où plusieurs avis furent discutés, le retour de chacun d'eux à son bord et les préparatifs du combat n'eussent absorbé que deux heures, on n'eût été prêt qu'à la tombée de la nuit qui, dans cette saison, arrive dès quatre heures. Était-il prudent, était-il possible de hasarder un combat de nuit dans une nier aussi dangereuse, où l'on n'avait aucun port pour se retirer en cas d'échec, et contre une armée navale protégée par le feu des châteaux, et plus forte que la nôtre sous le rapport du nombre des bâtiments ?

Il est vrai que la flotte espagnole était, en ce moment, dégarnie de matelots et de soldats. Cette nouvelle, comme on vient de l'établir, n'avait point été transmise par le duc de Guise ; toutefois, les marins de Pausilippe, qui, le matin, avaient abordé l'amiral, n'avaient pu lui laisser ignorer un détail si important. Mais quelle foi pouvait-on prêter au dire de ces gens ? N'avaient-ils pas singulièrement exagéré le prétendu état d'abandon où étaient les vaisseaux ennemis ? Pouvait-on admettre que les chefs de cette flotte qui, depuis si longtemps, devaient être informés du départ de celle de France, eussent fait preuve d'une telle incurie ? Voilà, certes, plus de motifs qu'il n'en faut pour justifier la résolution que prit le Conseil de guerre français, et l'on ne doit pas oublier que, si ce Conseil était présidé par un jeune homme de dix-huit ans, il comptait aussi des gens de guerre expérimentés, des hommes tels que Duquesne et le chevalier Garnier, qui ne sauraient être soupçonnés d'avoir manqué de courage et décision.

Par malheur, le vent changea dans la nuit : celui qui soufflait dans la matinée du 19 décembre portait vers la terre, et, comme le dit le rapport officiel, il n'était pas bon pour se pouvoir dégager de dessous les forts après le combat. Même vent contraire le 20 décembre. Ce jour-là, pour utiliser ses instants, la flotte française alla brûler cinq vaisseaux espagnols mouillés sous Castellamare. Bref, l'occasion perdue ne se retrouva plus. Les ennemis, d'ailleurs, avaient en hâte remis le gros de leur flotte en état de combattre. Pendant treize jours que les Français passèrent encore dans le golfe de Naples, de continuelles tempêtes absorbèrent tout leur temps et tous leurs efforts. Ils durent bien plus songer à se défendre des bourrasques qu'à attaquer l'ennemi, qui, du reste, les évita toujours. Ils n'avaient ni galères, ni retraites, ni port, ni même aucun terrain, ami ou ennemi, où ils pussent mouiller ou faire de l'eau ; il leur fallait rester toujours à la voile dans un golfe l'un des plus dangereux de la Méditerranée, et où le moindre accident qui fût arrivé à nos vaisseaux les faisait perdre sans ressource[48]. L'ennemi sentait bien que, dans une telle saison et sur une côte aussi périlleuse, la tempête était son meilleur auxiliaire. Aussi, toute sa tactique se borna-t-elle à éviter un engagement général, et, quand il se voyait serré de trop près, à se réfugier sous le feu des forteresses. Tout se réduisit donc à des rencontres particulières et sans importance décisive.

Ainsi tombe la principale accusation portée contre les chefs de l'armée navale de France. Ils n'eurent qu'une seule fois l'occasion propice pour détruire la flotte ennemie, et cette occasion, l'heure avancée ne leur permit pas d'en profiter.

Une accusation non moins grave, et plus fondée en apparence, est celle que ces chefs eux-mêmes et les ambassadeurs de France à Rome dirigèrent contre le duc de Guise et qu'on lit dans plusieurs écrits du temps, relatifs à cette affaire.

Les Espagnols, on l'a vu, contraints de pourvoir en hâte à l'équipement de leur flotte, avaient été forcés de dégarnir tous les postes de la ville occupés par leurs soldats et leurs matelots. Il semble donc que le nouveau duc de Naples pouvait et devait profiter de cette circonstance pour se rendre maître de ces postes, et les documents les plus authentiques prouvent que tel fut en effet son projet. Le 27 décembre, il fit notifier à l'amiral le titre que le peuple venait de lui donner : en même temps, il priait ce dernier de faire une diversion pendant qu'il attaquerait les postes[49]. Le duc de Richelieu se prêta à ce désir, trop conforme, en effet, aux secrets desseins de son gouvernement pour qu'il pût s'y refuser. On avait ainsi le moyen de nuire aux Espagnols sans donner ouvertement assistance au mouvement révolutionnaire, sans s'y mêler, sans y engager nos soldats. Pendant six jours, du 28 décembre au 2 janvier, l'amiral français maintint continuellement la flotte ennemie en mer ; il lui offrit même la bataille, que cette dernière refusa d'accepter[50].

Le 2 janvier, dit le duc de Richelieu dans son rapport, le sieur abbé de Basqui et le P. Tomaso de Juliis retournèrent de Naples à l'amiral, et rapportèrent qu'il y avait grande division entre M. de Guise et le seigneur Gennaro (Annèse) ; que leur mauvaise intelligence avait été cause qu'on n'avait rien entrepris dans la ville pendant les six jours que nous avions tenu l'ennemi à la mer ; que les Espagnols fomentaient cette division ; que, pour tâcher de se remettre avec le peuple, ils avaient fait couper la tête aux partisans des gabelles de Naples, et publiaient partout qu'ils tenaient le vice-roi prisonnier pour lui faire rendre compte des injustices qu'il aurait pu commettre contre le peuple. Le P. Tomaso et le sieur abbé de Basqui dirent qu'ils étaient résolus de quitter Naples et de s'en aller à Rome pour chercher quelque remède à ce désordre[51].

Ainsi, selon l'amiral français, Guise était seul responsable de l'insuccès. C'étaient les divisions nées de son coup d'État qui avaient paralysé l'effet de la diversion tentée par notre armée navale. Non-seulement le prince n'avait point profité de cette diversion, mais il avait publié hautement qu'il n'avait aucun besoin des Français. Au lieu de réclamer le débarquement des troupes qui lui étaient destinées, il s'était borné à demander de l'argent, des munitions, des vivres et quelques officiers français pour la conduite du populaire. Bien plus afin de rendre la protection et le secours de la France inutiles ou plutôt suspects au peuple, il avait feint d'avoir avis que, s'il fût alle voir le duc de Richelieu, on l'eût arrêté prisonnier, et que notre armée était venue pour introduire les Français dans le royaume plutôt que pour secourir les Napolitains. Ainsi, ce prince témoignant de n'avoir pour but que de rendre sa nation odieuse à ces peuples et de se faire roi de Naples sans la participation du ministère, les commandants de l'armée navale avaient cru n'être pas obligés de concourir à ses desseins sans un ordre exprès de la Cour, lequel ils n'avaient pu attendre dans une côte sans ports, sans rades, et où, à tous moments, ils étaient menacés d'un naufrage[52].

Telles furent les graves imputations au moyen desquelles les commandants de l'armée navale essayèrent de colorer, aux yeux de l'opinion, l'insuccès de nos efforts et le prompt retour de notre flotte. La vérité est que les discordes qui firent manquer l'effet de la diversion tentée par nos vaisseaux furent l'œuvre des agents français bien plus encore que celle des Espagnols. En refusant de reconnaître l'autorité absolue du nouveau dictateur, en continuant de traiter avec son rival, en minant souterrainement son influence, ces agents le poussaient aux résolutions suprêmes, et il semble que telle fut en effet leur intention.

Il avait beau protester de sa soumission aux ordres de la Cour, qu'il ne travaillait que pour la France, qu'il ne voulait conquérir la couronne de Naples que pour la mettre à la disposition du roi, on refusait de croire à la droiture de ses intentions, et, par là, on le poussait, en effet, à la révolte. Il n'avait refusé le débarquement des troupes qu'on lui offrait que parce qu'on ne lui donnait ni argent, ni munitions pour les payer et les nourrir. En prêtant à ce refus des vues intéressées, on l'incitait à les concevoir. Enfin, on l'accusait de s'être défié de l'accueil que notre amiral lui réservait, d'avoir feint de savoir que, s'il était allé faire visite au duc de Richelieu, on l'aurait retenu prisonnier, et l'on va voir, par un document incontestable, que rien n'était plus fondé que cette crainte, et que, dès les premiers jours de janvier, l'ambassadeur de France à Rome qui, comme on le sait, avait carte blanche pour la direction de notre intervention à Naples, ratifiait cet odieux projet, à la seule condition de n'entreprendre d'arrêter le jeune prince que lorsqu'on serait assuré de réussir[53].

 

VII

Après dix-sept jours de croisière dans le golfe de Naples, la flotte française était repartie pour la Provence (3 janvier 1648), autant parce qu'elle manquait d'eau et de munitions de bouche que pour ne pas prêter au duc de Guise l'appui, désormais tout moral, il est vrai, mais considérable encore, qui résultait de sa présence[54]. L'abbé Baschi, qu'elle portait à son bord, se rendit aussitôt à Paris, où il arriva au commencement de février[55]. Guise, comprenant qu'il allait être, de la part de cet agent, l'objet des dénonciations les plus perfides et les plus passionnées, se hâta d'expédier à la Cour un de ses gentilshommes, le sieur de Taillade, lequel fit tant de diligence, qu'il était à Paris dix ou douze jours après l'abbé[56]. Mazarin entendit donc en même temps l'accusateur et l'avocat du prince ; il put se faire une juste idée des fautes commises tant par ce dernier que par les agents de la France, et mesurer les conséquences fatales qu'avaient eues ses irrésolutions et ses demi-mesures.

Au dire du duc de Guise, M. de Taillade était chargé de se plaindre de la méchante conduite de l'abbé Baschi, des émeutes qu'il avait suscitées, de la conjuration dont on le disait l'instigateur et dans laquelle Guise devait périr, de la proposition ridicule qu'il lui avait faite relativement au cardinal de Saint-Cécile, frère de Mazarin. Il devait aussi dénoncer au chef du cabinet les fautes imputées aux commandants de l'armée navale, le manquement qu'ils avaient faits, à leur arrivée, de ne pas faire périr toute la flotte d'Espagne, leur refus de secourir efficacement le prince en lui donnant une part du blé qu'ils avaient pris sur deux vaisseaux ennemis capturés à sa vue.

Jusque-là, les instructions que Guise prétend avoir données à son agent sont d'une parfaite vraisemblance et en harmonie avec les ressentiments qu'il devait nourrir. Mais voici où cette vraisemblance s'arrête et où les dires du prince se trouvent en contradiction avec les documents officiels. Suivant lui, Taillade devait conjurer le cardinal Mazarin de renvoyer promptement à Naples un puissant secours de blé, d'hommes, d'argent, d'artillerie et de munitions de guerre, sans lequel le prince avouait qu'il lui serait impossible de se soutenir plus longtemps. Je le chargeai surtout, ajoute-il, de m'obtenir de M. le cardinal des instructions sur la manière dont j'avais à me gouverner, afin de ne point manquer en suivant ses ordres et de témoigner, par mon obéissance aveugle, la fidélité, le respect et le zèle que j'aurois toujours pour la couronne de France[57].

Si telles furent, en effet, les instructions données par le prince à son représentant, il faut croire que ce dernier n'en tint aucun compte, car il agit dans un sens absolument contraire à la teneur de ces instructions. Il avait dû, pour obéir à ses ordres, s'aboucher, en passant à Rome, avec le marquis de Fontenay[58]. Peut-être les dispositions dans lesquelles il trouva cet ambassadeur et celles que lui manifesta Anne d'Autriche le déterminèrent-elles à changer complètement ses batteries, à prendre le contre-pied des ordres qu'il avait reçus et, au lieu d'implorer des secours, à représenter son maître comme très-disposé à s'en passer et à agir désormais pour son propre compte et avec ses seules ressources.

La régente n'avait jamais été favorable au duc de Guise. Elle ne voyait en lui qu'un écervelé et ne laissait guère échapper l'occasion de protester contre ce qu'elle appelait ses folles visées. Elle agissait ainsi autant par haine contre le duc d'Orléans, qui le protégeait, que par fierté naturelle et esprit de famille. On lui avait entendu dire que, si les Napolitains voulaient son second fils pour leur roi, elles les soutiendrait de toute sa puissance, mais qu'elle aimait mieux Naples entre les mains de son frère que du duc de Guise[59]. La conduite de Mlle de Pons n'était pas étrangère au mauvais vouloir dont Anne d'Autriche était animée envers le prince.

C'était, on s'en souvient, le désir d'épouser cette fille d'honneur qui avait poussé Guise à se rendre à Rome pour solliciter la rupture des liens qui l'unissaient à Mme de Bossu ; l'amour qu'il lui portait avait été le principal mobile de son audacieuse entreprise. Les hauts faits de son amant n'avaient pas peu enflé l'orgueil de Suzanne de Pons, et la reine, blessée de ses façons glorieuses, l'avait fait entrer dans un couvent irrégulier, celui de la Visitation. Vivant là aux frais du duc, servie par les officiers de ce dernier[60], elle tenait une espèce de cour et distribuait d'avance à ses amis les hautes dignités de son royaume.

Elle se mettoit déjà, dit Mme de Motteville, au rang des plus grandes reines de l'Europe ; mais celà ne l'empêchoit pas de songer à se divertir. Cette âme, gloutonne de plaisirs, n'étoit pas satisfaite d'un amant absent qui l'adoroit et d'un héros qui, pour la mériter, vouloit se faire souverain et mettre à ses pieds toutes ses victoires. L'ambition et l'amour ensemble n'étoient pas des charmes assez puissants pour occuper son cœur entièrement ; il falloit, pour la satisfaire, qu'elle allât se promener au Cours, qu'elle fût de quelques cadeaux qui se tirent pour elle et qu'elle reçût de l'encens de toutes ses nouvelles conquêtes. Me° de Guise, craignant qu'elle n'allât trouver le duc de Guise, son fils, supplia la reine de la faire enfermer dans une religion plus réformée que celle où elle étoit, car elle ne trouvoit pas à propos de la laisser espérer être reine, ni même duchesse de Guise, et la vie qu'elle menoit de toute manière ne lui plaisoit pas[61].

Mlle de Pons fut donc contrainte d'entrer aux Filles Sainte-Marie, près la Bastille, couvent que la reine affectionnait et qui était une religion plus réformée que la Visitation. Elle s'en plaignit aussitôt à son amant, qui prit fait et cause pour elle et adressa bientôt après d'énergiques représentations à la reine et à Mazarin. Le premier soin de Taillade, en arrivant à Paris, fut naturellement d'aller déposer ses hommages aux pieds de celle qui, dans la pensée des amis de Guise, devait bientôt partager avec ce dernier la couronne de Naples. Mlle de Pons ne put manquer de lui communiquer ses griefs, de lui représenter la reine hostile au prince et à ses projets.

Taillade eut-il le tort d'entrer trop facilement dans les idées de la belle offensée, ou bien faut-il croire qu'après avoir pris l'air de la Cour, il crut voir qu'on le leurrait de vaines promesses, qu'on n'avait pas l'intention d'aider Guise d'une manière efficace, et qu'il avait plus à gagner par les rodomontades que par les prières ? Toujours est-il qu'il affecta de dire que son maître n'avait nul besoin de secours et qu'avec ou sans la France, il était assuré de chasser de Naples les Espagnols. Ce fier et présomptueux langage donna à réfléchir à Mazarin. Il se dit qu'après tout le duc n'était peut-être pas si dépourvu et si impuissant qu'on le supposait, que la fortune, qui, jusque-là, avait si ouvertement secondé son aventure, lui gardait peut-être encore des faveurs imprévues et qu'il faut tout attendre d'un peuple en révolution[62].

La situation du cabinet français était difficile. Il se trouvait en présence de deux partis à prendre également tranchés, et qui pouvaient être également fertiles en embarras. Devait-on seconder enfin le duc de Guise ouvertement, au risque de ne travailler que pour lui et de le voir profiter seul des faits accomplis ? Outre qu'un tel dénouement infligerait au gouvernement français une véritable humiliation, on n'aurait pas même la consolation d'avoir nui à l'Espagne d'une manière durable et efficace, car on n'admettait pas que Guise, vu son caractère frivole et inconsistant, fondât rien de viable. Ou bien fallait-il se défaire de lui et suivre la politique de Fontenay-Mareuil, qui, depuis plus d'un mois, déférant aux sommations réitérées de Gennaro Annèse et du parti républicain, avait consenti qu'on arrêtât le jeune prince aussitôt qu'on pourrait le faire sans crainte d'échec ?

Selon son habitude, Mazarin s'arrêta à un terme moyen. Il s'appliqua d'abord à gagner Taillade, et il n'eut pas grand'peine à le convaincre de la vanité des espérances de son maître. Il résolut ensuite de dépêcher à Naples un homme habile, le sieur Duplessis-Besançon, conseiller d'État, maréchal de camp et gouverneur d'Auxonne, muni des pleins pouvoirs du roi ; pour agir en son nom aux circonstances qui pourraient se présenter pour le bien de la ville de Naples et du royaume[63].

On avait adjoint à Duplessis le cardinal génois Grimaldi, diplomate habile, alors engagé au service de la France. Les deux envoyés devaient s'aboucher avec Gennaro aussi bien qu'avec le duc de Guise, apaiser les rancunes du premier. ménager le second, modérer sa fougue et lui faire bien comprendre qu'il ne pouvait rien sans le secours de la France. Ils annonceraient en même temps l'arrivée prochaine d'une armée navale importante qu'on allait équiper avec activité, et qui, cette fois, serait pourvue de galères. Toutes ces résolutions furent exposées dans deux dépêches de Brienne à Fontenay-Mareuil. Ces deux documents inédits sont trop importants, ils mettent trop bien à nu la politique du cabinet français : pour que nous n'en donnions pas quelques extraits textuels.

Le 14 février, Brienne écrivait :

Il n'y a eu que la reine et M. le cardinal à qui j'aie communiqué l'une de vos lettres, en date du XXe du passé, et il ne leur sembla pas à propos qu'elle le fût à d'autres, de crainte que M. le duc d'Orléans ne se trouve offensé de ce que vous aviez répondu à Gennaro. Car, bien que M. de Guise, en s'oubliant de son devoir, expose les affaires de Naples à de grand périls, le consentement que vous donniez qu'on s'assurdt de luy et le conseil de ne l'entreprendre que lorsqu'on serait assuré de réussir pouvoient recevoir des interprétations auxquelles vous n'auriez eu garde de consentir, qui pourroient d'autant plus facilement être embrassées par le Gennaro qu'il est offensé dudit duc, lequel à la vérité, a esté bien viste et à accepter des honneurs et à faire des actes d'autorité. Et il se pourroit dire qu'en l'une et l'autre de ces choses, il s'est abandonné à son ambition sans avoir consulté sa prudence, laquelle sans doute luy aurait fait remarquer qu'il ne peut espérer d'avantage que celuy qu'il recevra par la France....

Quand celuy qu'on destine de dépescher vers luy, qui est le Plessis-Besançon, y sera arrivé, il y aura lieu d'espérer qu'il modérera sa fougue. Sa présence fera cognoistre au peuple que c'est de la France qu'il peut attendre son bien, et sur ses lettres, on pourra asseoir un jugement solide des intentions du dit duc, auquel cette justice est due de ne pas croire légèrement ce qui luy peut estre imputé par Gennaro, lequel il a offensé et qui peut bien s'emporter en l'espérance de donner de si sinistres interprétations à sa conduite, que cela pourroit obliger Sa Majesté à prendre des résolutions conformes à sa passion...

Le peu d'intelligence qu'on remarque entre vous et le duc de Guise ne peut pas faire qu'on se porte à vous priver de l'honneur que vous devez prétendre en la suite de la chose.. Je soubligneray dans votre dépesche l'endroit qui fait mention de ce qui devrait estre entrepris contre le duc de Guise, lequel, selon ce qui m'est rapporté, n'a pas plus de confiance au bailli qu'en vous.

Cette dépêche, comme on voit, confirme pleinement ce que nous avons dit des sentiments que notre ambassadeur à Rome nourrissait contre le duc de Guise : son hostilité était telle qu'il allait jusqu'à consentir à l'arrestation du jeune prince.

La missive importante dont on vient de lire des extraits était écrite le jour même de l'arrivée de Taillade à Paris. Le 28 février, Brienne faisait connaître à notre ambassadeur le langage tenu par ce gentilhomme, et les résolutions auxquelles le gouvernement s'était arrêté :

Vous aurez à savoir que bien que Taillade ait faict cognoistre que les espérances de M. de Guise ne sont pas petites, qu'il présume mesme si pouvoir passer de l'assistance de cette couronne pour en faire perdre une au roy d'Espagne, on a en sorte mesnagé ce gentilhomme et son secrétaire qui s'en va le trouver (il s'agit du sieur Tilla, secrétaire du duc de Guise, lequel accompagnait M. de Taillade[64]), qu'on croit qu'il (le duc) sera persuadé qu'il peut espérer toutes sortes de choses, demeurant dans le service de Sa Majesté, et que, sans l'assistance de la France, ni Naples ne peut estre enlevé aux Espagnols, ni luy y prendre aucun aven-taie. Comme l'on juge que le solide ne se peut espérer que par la force, on travaille pour remettre la flotte en estat de partir, et le général des galères serait trompé si nous n'en mettions au moins vingt à la mer. L'ordre qui sera donné à celui qui commandera l'armée sera de faire le possible et même l'impossible pour ruiner la flotte d'Espagne ; mais, tant qu'elle aura abry soubz les châteaux, cela recevra de grandes difficultés. Il est vrai que les galères donneront des facilités qui laisseront espérer d'y pouvoir réussir, puisqu'après qu'on auroit faict l'effet contre l'armée ennemie, à leur aide les vaisseaux pourront âtre tirés du golfe ; où, au moins, éloignés des endroits où le canon des châteaux les pourroit incommoder, ce qu'ils ne pouvoient espérer si le vent eût cessé ou continué à tirer de la mer, lorsqu'ils y ont combattu, et ç'a été une des raisons que ceux qui l'ont commandée nous ont dite pour s'excuser de s'estre si promptement retirés du golfe, ayant bien ordre de défaire l'armée ennemie, mais de ne pas exposer celle de Sa Majesté à un péril assuré. Les autres raisons de leur retraite vous ont si souvent esté mandées qu'il seroit inutile d'en plus parler.

Ainsi le cabinet français était cette fois résolu à agir promptement et énergiquement. La paix avec l'Espagne était regardée comme impossible, et toute hésitation avait disparu avec l'espoir de la conclure[65]. Le cabinet avait acquis la certitude que le pape n'entraverait pas ses plans et ne ferait point valoir le droit de suzeraineté qu'il possédait sur le royaume qu'on allait conquérir. Sa nièce, la signora Olympia, qui avait tout pouvoir sur lui, et dont l'avidité était la passion dominante, n'entendait pas qu'il s'engageât à son âge dans une affaire aussi difficile que coûteuse[66].

Mazarin, il faut lui rendre cette justice, déploya autant de zèle, d'activité et de résolution pour préparer cette seconde expédition, qu'il avait montré de lenteur et d'hésitation lors de la première. Dès le 7 février, il avait autorisé le transport des blés français vers la côte de Naples[67]. Ses dépêches témoignent des soins qu'il prit pour hâter l'armement de la nouvelle flotte et la mettre sur un pied respectable.

Placée sous les ordres du chevalier de Garnier, elle fut successivement portée à douze vaisseaux, dont sept ou huit devaient partir dès le commencement d'avril. Vingt galères, commandées par le chevalier de Châtel, avaient ordre de les accompagner[68]. Les meilleures troupes, le vieux régiment de Sault, celui de Vervins, le régiment Colonel, étaient dirigées en grande hâte vers la Provence, afin d'être embarqués sur six vaisseaux qui partiraient peu de temps après les premiers[69].

Mais il fallait, de plus, des matelots pour monter tous ces vaisseaux, et des forçats pour ramer sur les galères. Deux mois étaient à peine suffisants pour réunir les uns et les autres. A cette époque, les chiourmes étaient loin d'avoir reçu la forte organisation que Colbert leur imprima quelques années après, et qui assura à notre marine une action prépondérante dans la Méditerranée. Rien n'était plus difficile que de réunir des forçats valides, de les dresser, de les plier à leur rude métier, et l'on n'y parvenait qu'au moyen des iniquités les plus révoltantes[70]. Mazarin se flattait néanmoins que les galères françaises seraient en état de prendre la mer le 20 avril ; mais, dès le 8 de ce mois, il s'aperçut qu'il faudrait remettre au 5 mai le départ de la flotte entière[71]

De leur côté, les Espagnols, nous l'avons dit, faisaient les plus grands efforts pour équiper une armée navale capable de lutter avec la nôtre. N'ayant pas, dans l'arsenal de Naples, les objets nécessaires pour réparer leur flotte, ils avaient été contraints de l'envoyer hiverner à Port-Mahon, dans l'île de Minorque. Il n'était demeuré, dans le golfe de Naples, que six petits vaisseaux fort maltraités par les bourrasques si fréquentes en hiver sur cette côte. Les Espagnols les radoubèrent en hâte, et leur adjoignirent bientôt deux vaisseaux neufs de huit cents tonneaux chacun.

On fait en Espagne, écrivait Mazarin le 3 avril, tous les efforts imaginables pour envoyer à Naples deux mille hommes de pied, dont ils puissent se servir à terre.... On croit bien qu'ils pourront en peu de temps apprêter quelques vaisseaux ; mais avant que tous soient en état, il leur faut au moins jusqu'au mois de mai, de sorte que, si l'armée peut mettre à la voile à la fin de celui-ci, personne ne met en doute que les avantages ne soient infaillibles pour cette couronne. Tous ceux qui s'occupent des affaires de Naples tombent unanimement d'accord que leur décision dépend de celle qui arrivera la première. — Le royaume de Naples, écrivait Brienne de son côté, à la même époque, sera le prix de la diligence et appartiendra à celui des deux adversaires qui sera prêt le premier.

Tel n'était pas tout à fait l'avis du gouvernement espagnol : il comptait moins sur ses forces navales, dont il ne se dissimulait pas l'infériorité, que sur l'effet des discordes qu'il avait soin d'entretenir à Naples. Aigrir les esprits, fomenter les mécontentements, surexciter les meneurs du parti populaire, entretenir les regrets et les haines de Gennaro Annèse et de ses partisans, entourer son heureux compétiteur d'un cercle d'embûches et de conspirations, le pousser aux extrémités, l'engager dans cette voie de sévérités et de violences sanglantes où les dictateurs entrent si volontiers et qui les mène infailliblement aux abîmes, user ainsi le peu de popularité qui lui restait à Naples, ramener en même temps par d'adroites concessions ce peuple mobile, tel fut le plan du gouvernement espagnol. Il ne se dit pas, comme Mazarin, que la couronne de Naples serait le prix de la diligence ; il pensa qu'elle serait le prix de l'intrigue, et qu'il fallait que la ruse l'eût rendue à ses anciens maîtres avant même que la nouvelle flotte envoyée par la France eût quitté les côtes de Provence.

 

VIII

La première pensée du cabinet de Madrid, aussitôt après le départ de la flotte française, avait été d'accorder quelques satisfactions à l'esprit public. Don Juan d'Autriche, malgré la perfidie dont il avait fait preuve, n'était point enveloppé dans le ressentiment populaire. Le gouvernement espagnol avait pris soin de ne pas laisser cette haine s'attacher à tous ses agents ; il avait fait en sorte qu'elle se concentrât sur une seule tête qu'on sacrifierait au besoin, et qui jouerait le rôle de bouc émissaire. Un plein succès avait couronné cette politique. C'était au seul duc d'Arcos que le peuple imputait les mesures fiscales d'où était sorti le soulèvement, bien qu'en réalité elles fussent le résultat des exigences iniques de son gouvernement. C'était aussi sur ce vice-roi que la noblesse faisait porter la responsabilité des misères qui l'accablaient : elle lui reprochait de l'avoir sacrifiée dans les capitulations qu'il avait accordées au populaire. Le duc d'Arcos fut rappelé. Fidèle jusqu'au bout au rôle odieux qu'on lui imposait, il laissa de sinistres adieux à la ville qu'il avait si durement gouvernée. Par ses ordres, le frère de Masaniello et deux des élus du peuple, depuis longtemps prisonniers, furent étranglés et leurs corps jetés dans les fossés du château (26 janvier 1648).

Don Juan lui succéda provisoirement, en attendant l'arrivée du comte d'Ognate, alors ambassadeur à Rome. En prenant possession de la vice-royauté, le jeune prince publia un manifeste adroit, dans lequel il exhortait les peuples soulevés à retourner à l'obéissance de leurs anciens maîtres, leur offrant un pardon général, le rétablissement des anciens privilèges et l'abolition de tous les droits extraordinaires mis sur les subsistances. Il s'appliqua en même temps à satisfaire les griefs de la noblesse, à la rapprocher du peuple, à prêcher aux deux partis le pardon de. leurs injures réciproques, et à les confondre dans un sentiment commun de haine contre la domination française.

Le comte d'Ognate, qui lui succéda le 2 mars, était un diplomate vieilli sous le harnais ; il n'eut pas de peine à développer les heureux germes de réconciliation semés par le jeune prince. C'était la misère qui avait mis les armes aux mains des pauvres gens de Naples, et, comme il arrive trop souvent, la révolution avait aggravé le mal au lieu de le guérir. Le nouveau vice-roi se fit précéder d'une galère chargée d'argent et de provisions de bouche, avant-garde qui lui gagna bien des gens. Aussitôt après son arrivée, il entama, avec les principaux familiers du duc de Guise, ainsi qu'avec les meneurs du parti populaire des négociations secrètes qui rencontrèrent chez presque tous un accueil empressé. Il trouva un auxiliaire influent dans un Génois de haute qualité, le duc de Tursi, qui, au moyen d'une feinte imprudence, eut l'art de se faire arrêter par les Napolitains. Guise, avec l'aveugle générosité qu'il montrait pour quiconque était revêtu d'un grand nom, adoucit par toutes sortes de moyens la captivité de ce gentilhomme, et Tursi profita de la demi-liberté qu'on lui laissait pour lier des intrigues et former des cabales avec les membres du parti révolutionnaire qui penchaient secrètement vers l'Espagne[72].

Depuis longtemps déjà, la plupart des conseillers napolitains en qui Guise avait mis sa confiance étaient acquis à cette puissance. Deux hommes surtout, le docteur Agostino Mollo et l'avocat Aniello Portio, avaient accepté la tâche de le ruiner dans l'esprit du peuple. Tous deux maintenaient le malheureux prince dans un état perpétuel de défiance et d'irritation, lui montrant partout des embûches et des conspirations, et le poussant aux sévérités et aux représailles. Portio, nommé juge criminel, avait empli de suspects les prisons de la Vicairie, et il ne se passait pas de jour qu'il n'en jugeât sommairement et n'en fit exécuter quelques-uns. C'était dans les dernières classes de la population qu'il choisissait de préférence ses victimes, afin de faire perdre au dictateur les derniers restes de sa popularité.

Il y avait un homme que le comte d'Ognate avait surtout à cœur de gagner, à cause de la haute estime dans laquelle tout le monde le tenait. C'était Vincenzo d'Andréa, le principal chef de cette fraction des Capes noires, qui, d'accord avec les lazzarones, aspirait à la république. Esprit affable, doux, conciliant, nullement entier ni absolu, Vincenzo était aimé du peuple, dont il défendait en toute occasion les intérêts, particulièrement ceux qui avaient trait à son bien-être et à sa subsistance. C'était lui, on se le rappelle, qui avait demandé la création d'un Sénat destiné à partager et à modérer l'autorité du duc de Naples[73]. Le refus de Guise, la rancune mal dissimulée qu'il conservait de cette requête, le soin qu'il prit d'éloigner son auteur de toute participation aux affaires, tous ces indices ne permettaient pas à Vincenzo de s'abuser sur les intentions secrètes du prince. Le comte d'Ognate lui persuada que sa vie n'était pas à l'abri de tout danger, et peut-être n'avait-il pas tort : Guise, dans ce moment-là même, faisait emprisonner et juger le meilleur et le plus. utile de ses amis, le comte de Modène, coupable d'avoir contrecarré ses desseins[74]. Vincenzo prêta donc l'oreille aux propositions et aux raisonnements captieux du vice-roi. Puisqu'il fallait renoncer à rétablissement de cette république, objet de tous ses vœux, n'était-il pas plus avantageux pour son pays de retourner sous le joug antique et légitime, que de subir une domination nouvelle, d'autant plus rude qu'elle se sentait plus faible et plus menacée[75] ?

L'avocat s'entendit donc avec Gennaro Annèse. Il apercevait aisément le mobile intéressé de cet ambitieux vulgaire, et il ne se dissimulait pas ce qu'il y avait de grossièrement personnel dans ses projets. Aussi ne prenait-il aucune pet aux rapports presque toujours mensongers et exagérés que Gennaro adressait régulièrement aux ministres de France à nome. Mais le péril commun, la haine que l'un et l'autre portaient au duc de Naples, une certaine communauté de but et de principes les réunirent, et ces deux hommes, dont l'influence était grande sur les classes inférieures, se mirent, de concert avec le vice-roi, à organiser les pièges dans lesquels devaient infailliblement se prendre l'imprudent et présomptueux dictateur.

Leur première machination échoua misérablement. Le 10 mars, à l'instigation de Vincenzo d'Andréa et d'Antonio Mazello, élu du peuple, Gennaro sortit de son terrier, de cette forteresse des Carmes, où, depuis l'élection du duc de Naples, il se tenait enfermé. Il s'avança vers le palais du duc, suivi d'une bande de lazzarones et de fainéants de toute couleur et de toute opinion, ramassés dans les quartiers du marché et du Lavinaro. Guise écrivait quand on vint lui apprendre ce qui se passait : il acheva tranquillement sa correspondance ; puis, montant à cheval, il marcha à la rencontre de Gennaro. L'armurier prit la fuite dès qu'il l'aperçut, et l'émeute se dissipa comme par enchantement[76].

Ce facile succès, dont les courtisans enflèrent le mérite, augmenta le dédain que le prince avait naturellement pour son grossier rival. Il le fit venir, le tint longtemps prosterné à ses pieds, et, l'ayant humilié, il crut l'avoir vaincu ; il ne fit que le rendre plus prudent et plus dangereux. Lui qui, peu de temps auparavant, voyait la main de Gennaro dans tous les complots qu'on lui dénonçait et qui cherchait même à s'emparer de cet homme par la ruse et par la violence[77], il en vint à le dédaigner au point de ne plus surveiller ses trames. C'est à cette époque qu'il écrivit, tant à Rome qu'à la cour de France, des lettres qui firent impression sur Mazarin et où il représentait le parti de Gennaro comme anéanti[78]. Il sentait bien qu'il était entouré d'ennemis, qu'il marchait sur un terrain miné de toutes parts, mais il refusait de faire à l'obscur armurier l'honneur de le compter pour quelque chose dans les périls qui le menaçaient.

L'orage grossissait cependant ; le temps de l'enthousiasme et des succès faciles était passé ; celui des déboires et des revers commençait. A la fois léger et présomptueux, Guise ne savait ni faire respecter ses ordres ni exécuter un plan qui exigeât du temps et de la suite. Il se précipitait sans réflexion dans les entreprises les plus épineuses et les abandonnait avec la même facilité. Chacun commandait chez lui ; chacun cherchait à se rendre indépendant ; chacun, parmi ses familiers, considérait Naples comme une proie qu'il fallait dévorer au plus vite, afin de n'être pas devancé par d'autres affamés.

Réduit à se défier de ses meilleurs serviteurs, vivant isolé dans son palais, n'écoutant que les intrigants qui flattaient son amour-propre, jaloux des succès de ses lieutenants, jaloux surtout de ceux du comte de Modène, le seul de ses amis qui tentât de lui ouvrir les yeux et de l'arracher à la voie fatale qu'il suivait, le malheureux prince se sentait incapable de débrouiller ou de briser les fils des intrigues nombreuses où il était enlacé. Il fermait les yeux sur les désordres de son intérieur et n'accordait pas beaucoup plus d'attention à ceux de la place publique. Il croyait naïvement que sa seule présence devait calmer les tempêtes et imposer silence aux mutins.

Sa grande mine, son air délibéré, la grâce et la hauteur de ses paroles, les coups de canne dont il les assaisonnait souvent, l'admiration mêlée de respect qu'inspirait son audace, tout cela lui avait en effet suffi, dans les premiers temps, pour rétablir l'ordre. Mais tout s'use à la longue, même les moyens persuasifs dont Guise appuyait ses discours : des coups de bâton paraissent un médiocre argument à des gens qui demandent du pain. Or, la misère et la famine décimaient les quartiers populeux ; les grains n'arrivaient plus à Naples, la cavalerie ennemie ravageant les campagnes et fermant tous les passages ; les bandits, qui pullulaient par tout le royaume, mettaient la main sur le peu qui échappait aux Espagnols. Aussi, le meurtre, le pillage, l'incendie étaient-ils, comme aux temps de Mazaniello, des événements quotidiens. Les partis qui divisaient la ville avaient sans cesse les armes à la main. Un jour, c'étaient les lazzarones qui coupaient la tête de l'élu du peuple, auquel ils imputaient la famine[79]. Le lendemain, c'étaient les habitants du faubourg delle Vergini qui s'armaient contre les nobles et pillaient leurs demeures[80]. A chaque émeute, il fallait que le duc de Guise descendît sur la place publique et se jetât au milieu des furieux. Il usait ainsi le peu de prestige qui s'attachait encore à sa personne.

On en vint bientôt à conspirer contre sa vie. Des moines et des prêtres séculiers lui révélèrent de sinistres projets, dont le tribunal de la pénitence leur avait livré le secret. Il sut ainsi qu'un limonadier devait l'empoisonner dans une boisson à la glace, poussé au crime par Pépé Palombo, le chef le plus populaire du quartier de la Conciarie, homme influent et redoutable, que Guise s'appliquait pourtant à gagner. L'acquarolo fut mis à la torture ; mais, quelques jours après, le duc, passant devant la porte de Palombo, lui fit demander à boire et vida d'un trait le verre qui lui fut présenté, en présence de la foule, qui applaudit à cet acte de courage[81]. A quelque temps de là, des officiers, à la tête desquels était un certain Ciccio de Regina, capitaine d'infanterie, résolurent de le tuer, pendant l'office, dans l'église de l'Annonciade. Cette fois, le prince se montra moins débonnaire ; il fit décapiter Ciccio[82]. D'autres supplices suivirent celui-là, et, comme il arrive toujours, loin de mettre un terme aux conspirations, ils en firent éclore de nouvelles.

 

IX

Guise ouvrit enfin les yeux sur sa situation. Renonçant un peu tard à l'idée chimérique d'expulser les Espagnols avec ses seules ressources, il humilia son orgueil et jeta vers la France un cri d'alarme. Le 10 mars[83], son capitaine des gardes, Agostino de Liéto, fut envoyé à Rome près du marquis de Fontenay, qui convoqua, pour l'entendre, un conseil composé de l'abbé de Saint-Nicolas, du cardinal Grimaldi et de quelques autres prélats dévoués à la France. Devant cette assemblée, Liéto exposa l'état précaire où le duc était réduit ; il dit qu'il lui fallait des troupes le plus tôt possible et de l'argent immédiatement ; que, si les Napolitains n'étaient promptement secourus, ils retourneraient sous l'obéissance de l'Espagne, la faim ayant plus d'empire que la crainte des supplices. Il ajouta que, d'ailleurs, les Espagnols étaient disposés à laisser Naples se constituer en république, pourvu que leur roi fut déclaré protecteur du nouvel État.

Fontenay, de plus en plus hostile au duc de Guise, disposé à mettre en doute tout ce qui venait de lui, et prévenu par les rapports envenimés que Gennaro lui adressait journellement, Fontenay répliqua qu'il ne croyait ni à un changement SI prompt dans les intentions de l'Espagne, ni à la résolution qu'on prêtait aux insurgés. Là-dessus, Liéto tira de sa poche et jeta sur la table du Conseil une protestation que Guise lui avait remise toute préparée, et dans laquelle il mettait à la charge des ambassadeurs de France la responsabilité des événements qu'allait entraîner leur refus. Après quoi, il se retira fièrement.

Cette conduite donna à réfléchir aux deux ambassadeurs ; ils inventèrent une combinaison savante, d'après laquelle, sans bourse délier, ils trouvaient le moyen de fournir des blés à Naples[84]. Peu confiant dans le succès des négociations confiées à son capitaine des gardes, Guise avait d'ailleurs, en même temps qu'il l'envoyait à Rome, expédié à la cour de France un homme habile, le sieur Lambert, chargé d'une dépêche où le prince, renonçant enfin à toute vaine forfanterie, mettait à nu les difficultés de sa situation et réclamait l'envoi immédiat d'argent, de blés et de troupes. Cette lettre parvint à Paris dans les premiers jours d'avril ; elle n'eut d'autre résultat que de faire imprimer une activité nouvelle aux préparatifs de l'expédition et ne changea rien à la politique désormais bien arrêtée de Mazarin.

Instruit des intelligences pratiquées par les Espagnols dans l'entourage du duc de Guise, des fautes de ce prince, de son impopularité croissante, le ministre n'avait plus qu'une crainte, c'était, que cette dictature, si mal assise, ne croulât avant l'arrivée des troupes envoyées à son secours. Il y a plus de sujet de craindre les ruses et les artifices des Espagnols que leurs forces, écrivait-il à cette époque au duc de Guise. J'apprends de tous côtés que leur plus forte application est de les pratiquer tous pour vous perdre[85]. Bien qu'il crût ou qu'il feignît de croire à ce que lui avait dit le sieur Lambert de l'anéantissement du parti de Gennaro Annèse[86], Mazarin n'en recommandait pas moins à ses agents de ménager ce parti et même d'assurer son chef de la bonne volonté du roi, mais à l'insu de Guise et en prenant grand soin qu'il ignorât cette démarche[87].

Il se réservait évidemment, en cas de succès éclatant remporté par nos armes, d'opposer l'armurier au prince et de les ruiner l'un par l'autre, après avoir renversé la domination espagnole. Ainsi s'explique l'étrange contradiction qu'on remarque entre le langage bienveillant et même flatteur qu'il tenait au duc dans ses lettres et les termes sévères dans lesquels Brienne et lui, dans leurs dépêches secrètes, appréciaient, à la même époque, la conduite de l'illustre aventurier. Non content de le complimenter sur ses succès militaires, de le féliciter d'avoir détruit le parti de Gennaro, fait dont il avait les plus graves raisons de douter, Mazarin allait jusqu'à lui faire des excuses au sujet des sévérités exercées contre sa maîtresse. Il lui donnait même clairement à entendre que l'étroite claustration à laquelle Mlle de Pons avait été condamnée par la reine n'avait eu d'autre but que de la garantir contre de trop faciles entraînements et de sauvegarder ainsi les intérêts de cœur de son amant[88].

A la même époque, il faisait écrire par Brienne des lettres où la conduite du duc de Naples était vigoureusement blâmée[89], et où la folle passion qu'il portait à Mlle de Pons était représentée comme la principale cause de son aveuglement et de ses mésaventures[90].

Ainsi, Mazarin ne se faisait point illusion sur l'échec qui menaçait le représentant des intérêts français à Naples. Il se flattait, toutefois, que cette dictature de hasard durerait assez pour permettre à notre armée d'arriver et d'emporter les

châteaux. Le langage qu'il tint après la catastrophe qui termina l'odyssée du duc de Guise donne même lieu de croire qu'il considérait ce prince plutôt comme un obstacle que comme un appui, et, qu'une fois maitre des forteresses qui commandent Naples, il l'eût immédiatement sacrifié[91]. L'habileté du comte d'Ognate, qui mit tout en œuvre pour précipiter le dénouement avant l'intervention des armes françaises, épargna cette honte à notre diplomatie. Quelques lignes suffiront maintenant pour rappeler ce que fut ce dénouement.

La défiance continuelle, l'inquiétude fiévreuse dans lesquelles Guise vivait, étaient antipathiques à sa nature ouverte et audacieuse. Il se dit qu'il serait plus à l'abri du fer et du poison dans un camp qu'au milieu d'une ville insurgée, et que rien n'est plus propre à apaiser les émeutes qu'un grand succès militaire. Il résolut donc de saisir la première occasion qui se présenterait pour sortir de Naples et frapper les esprits par une action d'éclat. Il avait d'ailleurs à prendre sa revanche d'un échec qu'il avait éprouvé le 12 février, lorsque, ayant tenté un assaut contre les postes occupés par les Espagnols, il s'était vu repoussé sur tous les points[92].

Ce projet cadrait à merveille avec les secrets désirs du comte d'Ognate. Le temps pressait : encore une quinzaine, et la flotte française ferait voile pour Naples. Il fallait qu'à son arrivée elle trouvât cette ville rendue à ses anciens maîtres. Or, pour tenter ce coup hardi, on devait préalablement en faire sortir le duc de Guise.

On apprit un jour que les Espagnols venaient de s'emparer de l'île de Nisida. Les familiers du prince lui représentèrent aussitôt que ce point était justement celui qui convenait le mieux au débarquement de la flotte, et qu'ainsi il avait grand intérêt à le reprendre. Le malheureux prince sortit de Naples le 3 avril, à la tête de six mille hommes et de huit pièces de canon. Dans la nuit du 5 au 6, Gennaro Annèse et ses complices livrèrent aux Espagnols la grosse tour de l'Arsenal et une des portes de la ville. Les troupes pénétrèrent sans difficulté jusqu'au cœur de la cité en criant : la paix ! la paix ! plus de gabelles ! En même temps on répandit le bruit que Guise avait traité avec l'Espagne. Il n'y eut pas même de sang répandu. Quand don Juan et le comte d'Osrnate arrivèrent au milieu de la place du marché, s'avançant en cavalcade et comme en partie de plaisir, et suivis de Gennaro et de la noblesse, tous les lazzarones jetèrent leur bonnet en l'air aux cris de : vive le roi ! vive don Juan d'Autriche ! En quelques heures, la ville entière se retrouva espagnole.

Guise essaya d'y rentrer. Mais ce mouvement avait été prévu ; tous les passages étaient fermés. Il tenta alors de s'enfuir dans les Abruzzes et fut pris près de Capoue. Le comte d'Ognate voulait qu'on le traitât comme Conradin et qu'on dressât immédiatement son échafaud. Il dut la vie à la générosité de don Juan, qui ne voulut pas souffler d'un sang illustre sa facile victoire. Transféré en Espagne, il y resta quatre ans prisonnier.

Ce fut seulement le vingt-sept avril, vingt et un jours après l'événement, que Mazarin connut ce qui venait de se passer à Naples. C'est un malheur qui ne me surprend pas, écrivit-il aussitôt. Il y a longtemps que je crois qu'il fallait un perpétuel miracle pour faire durer les affaires au même point, d'après la conduite que tenait le duc de Guise. On n'a rien oublié pour le redresser et pour lui faire connaître que lui-même se creusait un précipice infaillible s'il ne prenait d'autres maximes que celles qui l'ont aveuglé. Peut-être l'eût-on remis dans le bon chemin si notre armée eût eu le temps d'arriver[93].

Mazarin prit donc bien vite son parti de cet échec. Il semble même qu'au fond il ne fût pas fâché d'un événement qui satisfaisait la reine en humiliant Mlle de Pons, et qui le débarrassait d'un homme qui eût singulièrement contrarié ses projets sur Naples. Il le fait clairement entendre dans une dépêche adressée à Du Plessis-Besançon : Pourvu que nous trouvions dans le royaume quelqu'un qui nous tende la main, les affaires sont en meilleur état que quand M. de Guise en avait la direction avec les idées chimériques dont il se repaissait, et qu'il nous eût été impossible de lui ôter jamais[94].

Mazarin se trompait. Il ne se trouva personne à Naples pour nous tendre la main, et l'armée française reparut une seconde fois devant cette côte fatale sans exciter le moindre mouvement parmi le peuple. Le seul résultat que produisit sa présence fut de fournir aux Espagnols un prétexte pour mettre à mort Gennaro Annèse, comme coupable d'avoir continué ses intelligences avec la France. Le ministre put mesurer alors l'étendue de la faute qu'il avait faite en n'aidant pas loyalement et sans arrière-pensée le jeune conquérant dès la première expédition de la flotte française, quand il était possible de le faire utilement, et que Guise n'avait point encore perdu le prestige et l'autorité morale qui seuls le soutinrent près de cinq mois dans la position glissante où il s'était placé. La préoccupation de la pacification générale impérieusement nécessitée par l'état de la France, la détresse de nos finances, l'opposition de la reine, le peu de confiance qu'il avait dans le caractère du hardi condottiere qu'il s'agissait de maintenir sur le trône de Naples excusent sans doute le chef du cabinet français. Mais, dit Monglat, si le cardinal de Richelieu eût été vivant, cette révolte eût eu une tout autre suite.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Historia del tumulto di Napoli, Elzevir, 1652. On peut consulter aussi les nombreux écrits sur la révolution de Naples, cités par Soria dans ses Memorie storico-critiche de gli storici Napolitani, Naples, 1781-82, 2 vol. in-4°.

[2] Lettre de Mazarin à son frère, Michel Mazarin, archevêque d'Aix, en date du 17 octobre 1647. On y lit : J'avois déjà vu, le mois dernier, un homme à lui (au duc de Guise), qui m'étoit venu rendre compte, en son nom, du traité qu'il dit avoir avec le peuple.

[3] Depuis que cette étude a paru dans la Revue contemporaine, le premier volume des Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministère a été publié par M. Chéruel ; mais il s'arrête à juin 1644.

[4] Ce secrétaire était André Félibien, célèbre architecte et historiographe du roi, mort le 4 juin 1695. Il est probable qu'il conserva ces lettres et les laissa à son fils Michel, qui se fit bénédictin et qui est auteur de l'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis. C'est par ce dernier sans doute que ces documents auront passé dans la bibliothèque des Bénédictins de Bonne-Nouvelle d'Orléans et, de là, dans la bibliothèque de cette ville.

Ces lettres vont être imprimées, et j'espère pouvoir les livrer au public en 1874. Sur la demande de la Société archéologique de l'Orléanais et sur le rapport favorable du Comité des travaux historiques, M. le Ministre de l'instruction publique a alloué un crédit pour couvrir une partie des frais de la publication et la Société archéologique a libéralement décidé, dans sa séance du 10 janvier 1873, qu'elle compléterait la somme nécessaire : elle a ainsi acquis un titre de plus à la juste estime que lui accordent les érudits et que le futur éditeur de ces lettres est heureux de constater ici.

[5] Il a laissé le récit de cette ambassade, et l'on y trouve tout au long l'exposé des négociations qui décidèrent enfin le Pape à accorder le chapeau à Michel Mazarin. Malheureusement, ce récit n'est pas terminé et n'embrasse pas les événements de Naples. Il a été publié au tome LI, 1re série de la collection Petitot.

[6] Mémoires du duc de Guise, col. Petitot, 2e série, t. LV, p. 70.

[7] Il y a même une dépêche de Brienne où ce ministre annonce le prochain embarquement des cardinaux français dirigés sur Rome, dans le but d'assister au prochain conclave.

[8] Mémoires de Mademoiselle de Montpensier.

[9] Elle était fille de Jean-Jacques de Pons, marquis de La Case, et n'appartenait point à la Maison d'Albret, comme le dit à tort l'éditeur des Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 168.

[10] Il est bon de remarquer que le cabinet français, n'ayant pas de représentant dans les Deux-Siciles, lesquelles dépendaient de l'Espagne, avec qui il était en guerre, c'était de Rome que lui venaient les informations touchant ce qui se passait à Naples. Ainsi s'explique pourquoi ce furent ses ambassadeurs à Rome qu'il chargea de transmettre et de diriger l'action qu'il entendait imprimer au mouvement napolitain.

[11] Histoire de France, t. XII, p, 247.

[12] Déclaration du duc de Guise faite à Bordeaux après sa délivrance, en 1652, ap., coll. Petitot, 2e série, t. LV, p. 49.

[13] Mémoires de l'abbé Arnauld, coll. Petitot, 2e série, t. XXXIV, p. 251.

[14] Entre autres faits intéressants, cette lettre fait connaître qu'une ouverture avait été faite au marquis de Fontenay par Mazaniello, quelques jours avant la mort de ce dernier.

[15] Lettre inédite de Brienne au marquis de Fontenay, en date du 23 août 1647.

[16] Dépêche de Brienne au marquis de Fontenay, en date du 6 septembre 1647. On y lit : L'après-disnée, Sa Majesté fut informée de ce qui estoit porté dans votre lettre. Il n'a pas déplu d'apprendre que l'armée n'étoit pas désirée des Napolitains. On voit combien Anne d'Autriche était peu favorable à l'expédition de Naples ; les événements seuls purent lui forcer la main.

[17] Dépêche de Brienne du 28 septembre.

[18] Mémoires, coll. Petitot, 2. série, t. LV, p. 90.

[19] C'était le neveu de la duchesse d'Aiguillon. Il avait à peine dix-huit uns et venait de faire, sur les côtes de Catalogne, sa première campagne maritime.

[20] La lettre qui contenait la demande adressée au duc de Guise était signée : La République de Naples ; Gennaro Annèse, généralissime du Peuple. Cette lettre porte la date du 3 novembre 1647. Voir Mémoires de Guise, coll. Petitot, t. LV, p. 144.

[21] Mémoires du duc de Guise, p. 168.

[22] C'est en s'appuyant sur le dire du P. Bougeant, que M. Henri Martin prétend (t. XII, p. 250 de son Histoire de France) qu'on avait jugé à Paris que l'ambassadeur de France était allé trop vite en reconnaissant la République napolitaine. Ce n'est pas pour avoir reconnu cette république, mais pour avoir prêté les mains au départ précipité du duc de Guise, que Fontenay, comme on le verra plus loin, s'attira des reproches de son Gouvernement.

[23] On trouve parmi les documents publiés en tête des Mémoires du comte de Modène, édition de 1827, deux lettres du roi de France au peuple de Naples, datées l'une et l'autre du 29 novembre 1647. La date de la seconde est certainement erronée. Le roi parle, dans cette lettre, d'une tempête qui assaillit la flotte française après son départ, et qui força le duc de Richelieu de laisser à Livourne et à Porto-Longone ceux de ses vaisseaux qui avaient été le plus maltraités. La flotte française n'ayant quitté les côtes de Provence que le 26 novembre, la nouvelle de ce sinistre ne pouvait être parvenue à Paris le 29.

[24] Ce sont les termes d'une dépêche de Brienne au marquis de Fontenay, en date du 20 novembre 1647.

[25] Dépêche de Brienne à Fontenay, en date du 26 novembre.

[26] Il fut élu le 7 octobre et prit le titre de cardinal de Sainte-Cécile.

[27] Nous parlons du départ et non du débarquement, qui ne fut connu que onze jours plus tard.

[28] Que croire, après ces instructions st précises, des affirmations, si souvent copiées et reproduites, du duc de Guise, qui prétend (Mémoires, coll. Petitot, t. LV, p. 350) qu'ayant offert à l'abbé Baschi, envoyé de France, de faire tomber la couronne de Naples entre les mains de Louis XIV, où, si ce prince ne l'agréait pas pour lui, de la mettre sur la tête de Monsieur, frère du roi, ou du duc d'Orléans, il lui fut répondu qu'on n'avait aucune instruction particulière sur ce sujet, et que, pourvu que les Espagnols perdissent le royaume de Naples, il était indifférent à qui il tombât ?

[29] Ces pouvoirs ont été publiés en tête des Mémoires du comte de Modène, édition de 1827, t. In, p. 131. Ils portent la date du 30 novembre.

[30] Mémoires de l'abbé Arnauld, coll. Petitot, 2e série, t. XXXIV, p. 262.

[31] Brienne répondit aux justifications présentées par le marquis de Fontenay : On convient avec vous de cette vérité, que la présence du prince était nécessaire pour conforter les bons et empescher que les mal affectionnez ne retirassent les peuples de l'engagement qu'ils ont pris. (Dépêche du 16 décembre 1647.)

[32] Dépêche de Brienne, du 17 janvier 1648.

[33] Dépêche du même, en date du 18 octobre 1647. On y lit : Elle (Sa Majesté) a ordonné qu'il en fût faict achapt (de grains), et qu'on dressast des magasina ez villes d'où plus commodément on leur en pouroit fournir.

[34] Mémoires de Guise, coll. Petitot, 2e série, LV, p. 327.

[35] Mémoires de Guise, coll. Petitot, 2e série, LV, p. 307.

[36] Deuxième dépêche de Brienne, en date du 16 décembre.

[37] C'est là une recommandation sur laquelle le cabinet français revient avec insistance, et notamment dans une dépêche de Brienne, en date du 10 janvier 1648.

[38] Dans cette même dépêche, Brienne constate l'entier dévouement que le Pape et son entourage manifestaient pour la cause de l'Espagne. Notre ambassadeur n'avait pu obtenir la traite des grains du Ferrarais, qui était nécessaire pour faire vivre les troupes que la France avait alors en Lombardie. En même temps qu'il nous refusait cette faveur, Innocent X permettait à Philippe IV de faire des levées dans l'État ecclésiastique, et d'en tirer tout ce qu'exigeait la défense du royaume de Naples.

[39] Mémoires de Guise, col. Petitot, t. LV, p. 330.

[40] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 277.

[41] C'est ce qui résulte de deux dépêches de Brienne, en date des 14 et 28 février 1648, que nous citons plus loin ; c'est aussi ce dont Guise accuse notre ambassadeur en plusieurs endroits de ses Mémoires.

[42] Mémoires de Guise, col. Petitot, t. LV, p. 336.

[43] Mémoires de Guise, loc. cit.

[44] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 298.

[45] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 301.

[46] Mémoires du duc de Guise, coll. Petitot, t. LV, p. 305-306.

[47] Le comte de Modène dit cinquante deux vaisseaux et vingt-trois galères. Nous suivons le rapport officiel.

[48] Termes du rapport officiel. Voir le tome Ier des Mémoires du comte de Modène, p.160 et 161.

[49] Rapport du duc de Richelieu, p. 150 et 151.

[50] Rapport, p. 152.

[51] Rapport, p. 155.

[52] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 312.

[53] Dans ses Mémoires (coll. Petitot, t. LV, p. 329), Guise parle de ce projet de l'arrêter sans paraître y ajouter foi. Il prétend que l'abbé Baschi eut la malice de lui faire dire en confidence, par le Père de Juliis, qu'il se gardât bien d'aller sur l'armée navale, parce qu'on avait l'ordre et le dessein de l'arrêter. Il est bien difficile de s'expliquer comment l'abbé Baschi, qui avait effectivement obtenu de Fontenay-Mareuil la permission d'arrêter le prince, pût commettre une telle indiscrétion et le dissuader d'une démarche qui devait favoriser ce projet. Faut-il croire qu'il ait préféré lui laisser le temps de compromettre assez les affaires pour que Mazarin n'hésitât pas à ratifier cette arrestation ?

[54] Guise prétend en effet, et cela paraît vraisemblable, qu'ayant su par le duc de Richelieu que la flotte manquait d'eau, et se verrait contrainte de se retirer s'il n'y remédiait, Il lui envoya dix-huit felouques pour en faire ; mais, ajoute-t-il, ce nombre n'ayant pas été jugé sufilsant, sous ce méchant prétexte, elle se mit à la voile. (Mémoires, t. LV, p. 351.) Dans une dépêche, en date du 16 janvier 1648, Brienne constate que ce fut le manque de munitions de bouche qui força la flotte à retourner en Provence. Il revient sur ce sujet dans une dépêche datée du 24 du même mois, où l'on lit : Pour les avoir battus (les Espagnols), ils ne laissent d'avoir le bon de leur côté, et, pour les avoir souvent recherchés d'un second combat, ils n'ont pas perdu l'avantage qui leur reste de nous avoir empêchés de débarquer à Naples des hommes et des munitions. J'entends celles de guerre, car, de bouche, nous avions plus tost besoin d'en astre secourus que nous n'étions en estat d'en distribuer, et le manque qu'il est assez difficile de remédier nous a forcés de revenir en Provence.

[55] Dépêche de Brienne à Fontenay-Mareuil, du 2 février 1648, in fine.

[56] Dépêche de Brienne à Fontenay-Mareuil, du 14 février 1648, in fine.

[57] Mémoires, coll. Petitot, t. LV, p. 359.

[58] Mémoires, coll. Petitot, t. LV, p. 360.

[59] Mémoires de Monglat, col. Petitot, 2e série, t. L, p. 107.

[60] Mémoires de Mme de Motteville, col. Petitot, 2e série, t. XXXVII, p. 307.

[61] Mémoires de Mme de Motteville, p. 311.

[62] Il est digne de remarque que, dans la lettre émue et fort éloquente qu'il écrivit à Mazarin, pour se plaindre du traitement infligé à Mlle de Pons, Guise, tout en avouant qu'il ne subsiste que par son courage et sa résolution, ne réclame aucun secours nouveau et n'implore d'autre faveur que l'amélioration du sort de sa maîtresse :

J'ai hasardé ma vie dans le passage sur la mer ; j'ai réduit dans le parti quasi toutes les provinces de ce royaume ; j'ai maintenu la guerre quatre mois sans poudre et sans argent, et réduit dans l'obéissance un peuple affamé, sans lui avoir pu donner en tout ce temps que deux jours de paix ; j'ai cent fois évité la mort, et par le poison et par les révoltes : tout le monde m'a trahi ; mes domestiques mêmes ont été les premiers à lécher de me détruire ; l'armée n'a paru que pour m'ôter la créance parmi les peuples, et, par conséquent, le moyen de servir. Et, parmi tous ces embarras, ne subsistant que par mon courage et par ma résolution, au lieu de m'en savoir gré, et de me donner le courage de continuer ce que j'ai si heureusement commencé, et où je puis dire sans vanité que tout autre que moi aurait échoué, l'on me persécute en ce qui m'est la plus sensible ; l'on tire avec violence une personne que j'aime, d'un couvent où je l'avais priée de se retirer, et, durant le temps que je bazarde ma vie, l'on m'ôte la seule récompense que je prétendais de tous mes travaux ; on la renferme, on la maltraite, et l'on me donne le plus grand et le plus sensible témoignage de haine que l'on put donner. Ah ! Monsieur, s'il reste à votre Éminence quelques sentiments de l'amitié qu'elle m'a promise, et du service que je lui ait voué, remédiez à ce déplaisir ; faites-moi connoître en ce point seul quelle est son amitié et son estime pour moi, et, en toute autre chose, je lui ferai voir que jamais homme ne lui fut si véritablement acquis. Sans cela, ni fortune, ni grandeurs, ni même vie ne me sont pas considérables ; je me donne tout. à fait au désespoir ; et, si je vois qu'il ne me reste plus d'espérance d'être heureux un jour, renonçant, à tous les sentiments, et d'honneur et d'ambition, je n'aurai d'autre pensée au monde que celle de périr et de ne pas survivre à une telle affliction, qui me fait perdre et le repos et la raison....

On lit dans l'Introduction mise en tête des Mémoires de Guise, par MM. Petitot et Monmerqué, que cette lettre et celle à la reine furent écrites au commencement d'avril. C'est une erreur ; leur date véritable a été donnée dans les Mémoires de Modène ; elles sont des 27 et 28 février 1648.

[63] Lettre de Louis XIV aux chefs du peuple napolitain, en date du 21 février 1648. Elle est citée en tête des Mémoires de Modène, t. Ier, p. 163.

[64] Il y a ici une amphibologie ; son se rapporte à Guise et non à Taillade. Le sieur Tilla est qualifié secrétaire du duc de Guise, dans une lettre du roi à ce prince, datée du 27 février 1648, et publiée en tête des Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 167.

[65] Désormais, cette affaire sera soutenue avec plus de chaleur qu'on ne l'a fait du passé ; l'espérance de la paix est passée, à mesure que les Espagnols se sont résolus à prétendre des conditions exorbitantes pour le duc Charles. (Lettre de Brienne, en date du 14 février 1648.)

[66] Sa Majesté a eu plaisir de voir avec quelle adresse vous avez essayé d'empescher le pape de s'entremettre des affaires de Naples, et il lui a semblé que c'est beaucoup faire quand on le retient d'agir, y ayant toujours lieu de craindre qu'il est plus Espagnol que Français, et ceux-lit sont en puissance de luy remettre les chasteaux et le mettre en possession de divers advantages que nous pouvons bien offrir, mais qui dépendent de l'événement des choses. Contre ces appréhensions, son humeur irrésolue et lente nous assure et la cognoissance que nous avons, que sa passion dominante c'est d'amasser de l'argent qui ne peut estre mesnagé en de semblables rencontres, et la signora Olympia y a un double intérêt, l'un qu'il continue à en amasser, et l'autre qu'il vive. Il y a toute apparence qu'elle continuera ses offices pour le détourner de s'embarrasser d'une affaire si épineuse. (Même dépêche du 14 février 1648).

[67] Ordonnance pour l'approvisionnement de Naples, dans les Mémoires de Modène, t. Ier, p. 161.

[68] Lettre du cardinal Mazarin à Duplessis-Besançon, en date du 5 avril 1648, dans les Mémoires de Modène, t. Ier, p. 186, et lettre de Mazarin au duc de Guise, même volume, p. 197.

[69] Même lettre, p. 192.

[70] On ne mettait en liberté que les invalides ; on retenait les autres bien au delà du temps fixé par leur sentence, et cela même au temps de Colbert. C'était, parmi les magistrats, à qui fournirait le plus de bons forçats aux galères de Sa Majesté. Voyez, pour ces détails horribles et si peu connus, le chapitre X de notre ouvrage intitulé : les Crimes et les Peines dans l'antiquité et dans les temps modernes, Hachette, 1863. On y trouvera d'importantes révélations sur l'état des galères sous Louis XIV. Ces iniquités avaient pour conséquence des révoltes Incessantes qu'il fallait noyer dans le sang. Pendant la révolution de Naples, les forçats des galères espagnoles, soumis à un régime non moins dur que ceux de France, se rébellionnèrent contre Gianettino Doria, leur général, et se rendirent maîtres de trois galères qu'ils livrèrent aux Napolitains. (Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 376.) — (Voir aussi dans la Revue contemporaine : La Justice et les Galères, par M. E. Dotain, 26 série, t. XXIX, p. 464, liv. du 15 octobre 1862.)

[71] Lettre de Mazarin au duc de Guise, dans les Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 187.

[72] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 350 et suiv.

[73] Mémoires du duc de Guise, coll. Petitot, t. LV, p. 337. Au même endroit, Guise accuse Vincenzo d'avoir concerté avec l'abbé Baschi de le faire tuer dans une émeute.

[74] Guise avoue lui-même, dans ses Mémoires, qu'il avait donné ordre de prendre Vincenzo mort ou vif, comme ayant eu part à la conspiration de Ciccio, dont nous parlons plus loin. Il l'accuse encore d'avoir malicieusement, étant provéditeur général, fait faire, au poids de quarante-cinq onces, du pain qui n'en devait peser que vingt-cinq, afin d'épuiser plus tôt les blés. (Mémoires de Guise, coll. Petitot, t. LV, p. 109.)

[75] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 446 et 448.

[76] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 458.

[77] Méritoires de Modène, t. II, p. 444. — Guise avoue même qu'il consentit à ce qu'Agostino Mollo empoisonnât Gennaro, lequel ne dut la vie qu'à sa forte constitution. (Mémoires de Guise, coll. Petitot, t. LVI, p. 109.)

[78] Lettre inédite de Brienne du 10 avril 1648, et lettre de Mazarin au duc de Guise, du 8 du même mois, dans les Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 196.

[79] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 358.

[80] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 462. Les déclarations du comte de Modène sur ce point si grave de la disette qui régnait alors à Naples, sont en désaccord avec ce que dit Guise (t. LVI, p. 100, de ses Mémoires, coll. Petitot.) Mais le récit de Modène offre bien plus de vraisemblance, n'étant pas, comme celui de Guise, écrit sous l'influence de l'intérêt personnel. Il est d'ailleurs confirmé par tous les écrits contemporains.

[81] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 463.

[82] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 463, et Mémoires de Guise, coll. Petitot, t. LVI. p. 117 et suiv.

[83] C'est Guise qui donne cette date, même vol., p. 87.

[84] Lettre de Brienne au marquis de Fontenay, du 24 avril 1648. Le ministre y accuse réception d'une dépêche de l'ambassadeur, en date du 30 mars, et approuve la combinaison qu'il a adoptée pour assister le peuple de Naples sans nous exposer à aucune dépense. Nous expliquerons plus loin en note ce qu'était cette combinaison.

[85] Lettre de Mazarin au duc de Guise, en date du 8 avril.

[86] Même lettre.

[87] Après le refus fait à Liéto, le marquis de Fontenay, sur les ordres de Mazarin, s'était résolu à envoyer à Naples l'un de ses agents, le sieur Penautier, porteur d'argent destiné à acheter des blés qu'il devait revendre au peuple à prix coûtant. Telle était la combinaison inventée par le marquis de Fontenay, pour assister Naples sans qu'il nous en coûtât rien. Les premiers blés une fois vendus et payés, on en aurait acheté d'autres avec l'argent en provenant, et ainsi de suite. La difficulté était de les revendre à des gens qui n'avaient pas un son vaillant.

Voici un extrait des instructions données à Penautier :

Il (Penautier) se conduira de telle sorte avec Gennaro et autres, que M. de Guise ne puisse prendre soupçon ni croire qu'il soit allé là pour faire aucune cabale contre lui ; afin que M. du Plessis-Besançon trouve à son arrivée toutes choses en bon état.

Si toutefois il peut, sans donner ombrage audit sieur duc, tenir Gennaro et ses amis avertis de la bonne volonté de Leurs Majestés, il ne manquera pas de le faire, afin qu'ils continuent à servir comme ils ont fait jusqu'ici.

Ces instructions sont des derniers jours de mai. Penautier n'arriva à Naples qu'après la chute du duc de Guise.

[88] Quand votre secrétaire vous aura entretenu, vous reconnaîtrez que je n'ai rien oublié pour servir ladite demoiselle. Que si la reine a fait quelque chose qui ne lui a pas plu entièrement, je ne doute pas que vous n'en soyez bien aise sous beaucoup de rapports, lorsque voua saurez comme quoi la chose s'est passée. (Lettre de Mazarin au duc de Guise, en date du 8 avril 1648, dans les Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 200.)

[89] Lettre de Brienne à Fontenay, du 3 avril 1648. Cette lettre est inédite, comme toutes celles de Brienne que nous citons. Le ministre y attribue le mauvais train que suivent les affaires de Naples au peu de conduite de M. de Guise, qu'il fault néantmoins mesnager, de crainte que, s'emportant à quelque extravagance, le peuple, qui tesmoigne toujours de l'affection à la France, ne soit accablé par les Espagnols.

[90] On lit ce qui suit dans une lettre de Brienne à Fontenay, du 24 avril 1648 ; à cette date, on ignorait encore à Paris la captivité du duc de Guise :

Deux jours avant que l'ordinaire ne m'eût rendu votre dépesche, un baigneur de cette ville, dépesché à M. de Guyse par la damoiselle de Pons, y arriva (y revint) chargé de lettres tant à la reine qu'à M. le cardinal, à l'avantage de cette damoiselle.

Il arrivera du mal à M. de Guyse de la continuation de l'amour qu'il porte à cette damoiselle.... J'aurais cru que, s'embarquant en une affaire de la nature et de la conséquence de celle de Naples, qu'emporté par son ambition, il n'aurait plus d'autre passion ; mais la suite de sa conduite fait bien voir le contraire, et, au peu d'application qu'il a aux choses, joignez-y encore qu'il est distrait par les idées qu'il se conserve de ce qu'il aime. Il reste tout sujet de dire qu'il faut avoir les soins qu'il devrait prendre, pour maintenir le peuple de Naples en la haine qu'il a témoignée jusqu'ici aux Espagnols, et l'affection de ceux qui veulent contribuer à sa liberté.

[91] Dans l'Introduction que les éditeurs de la collection Petitot ont placée en tête des Mémoires du duc de Guise, on lit la note suivante : On prétend qu'il (le duc) écrivit à plusieurs personnes de la Cour pour les engager à aller à Naples, les assurant qu'il pouvait disposer de marquisats et de duchés de plus de 20.000 écus de rente. On ajoute qu'il chargea le duc de Brancas d'épouser Mus de Pons par procuration, et que cette pièce était faite au nom de Henri, par la grâce de Dieu, roi de Naples. Ce ne sont là que des bruits de Cour, dont aucun document authentique ne certifie le juste fondement, du moins à notre connaissance. Mais il est certain que Guise fit frapper monnaie à son nom, et qu'il reprit les armes des anciens rois de Sicile. n nous parait donc hors de doute, malgré qu'il dise le contraire en maint endroit de ses Mémoires, qu'il aspirait à se faire, à Naples, une situation indépendante de la France, et c'est ce que Mazarin, qui voulait placer ce royaume sous la domination ou tout au moins sous le protectorat de Louis XIV, n'eût certes pas toléré. Toute la correspondance que nous avons entre les mains, et dont nous extrayons cette étude, l'atteste hautement.

[92] Mémoires du comte de Modène, t. II, p. 418 à 424.

[93] Lettre, en date du 27 avril 1648, adressée au duc de Choiseul, maréchal Du Plessis-Praslin, qui commandait l'armée française en Lombardie, sous le duc de Modène. Cette lettre a été publiée en tête des Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 210.

[94] Dépêche du 5 mai 1648, publiée dans les Mémoires du comte de Modène, t. Ier, p. 213.