La journée des quatre souverains. — Complicité de la Prusse dans la coalition. — L'ambassade française mise à l'index à Berlin. — Le mensonge observé à Berlin depuis le trône jusqu'aux antichambres. — La mission de M. de Haugwitz au quartier impérial français. — Prétendue médiation de Frédéric-Guillaume. — Napoléon et Haugwitz à Brünn. — Stupeur de l'envoyé prussien quand il apprend le résultat de la bataille d'Austerlitz. — Haugwitz reçu par Napoléon à Schœnbrünn. — Un compliment dont la fortune a changé l'adresse. — Violente colère de l'Empereur. — Sang-froid et audace de Haugwitz. — Napoléon aperçoit le moyen de donner une solution pacifique à la mission belliqueuse de M. de Haugwitz. — Le tempérament militaire de l'Empereur en diplomatie comme sur le champ de bataille. — Traité de paix et d'alliance imposé à la Prusse. — La paix de Presbourg. — Napoléon instrument de la Révolution partout, excepté en France. — Les sentiments élevés de l'Empereur. — Retour de M. de Haugwitz à Berlin. — Inextricable situation de la Prusse. — Que le traité de Schœnbrünn soit ratifie ou rejeté, c'est la guerre. — Solution mixte destinée à ne pas offusquer l'Angleterre. — Difficulté de trouver un émissaire apte à proposer cette combinaison à la France. — Querelle excessive entre Napoléon et M. de Hardenberg. — L'Empereur et le ministre polémistes. — Nouvel appel au dévouement de M. de Haugwitz. — La fatuité de ce diplomate. — Napoléon à Munich. — Mariage d'Eugène de Beauharnais avec la fille du roi de Bavière. — Les soins attentifs de Napoléon à l'égard de son beau-fils. — Les fêtes de Strasbourg. — Soucis de Napoléon. — Un scandale financier. — Les ministres portiers d'un spéculateur. — Incurie du ministre du Trésor public. — Retour de l'Empereur à Paris. — Comparution orageuse du ministre et des banquiers devant Napoléon. — Indulgence finale de l'Empereur. — M. de Haugwitz arrive à Paris ; ses pressentiments ; son désappointement. — Audience impériale. — Apostrophe véhémente de Napoléon. — Causes du revirement complet de l'Empereur à l'égard de la Prusse. — Ou la guerre ou la soumission. — Les malchances de M. de Haugwitz : l'incident Fauche-Borel ; l'entrée de M. Fox dans le cabinet britannique. — Erreur d'appréciation de M. Thiers. — L'Empereur ne conviait que les grands intérêts de la France. — Haugwitz se résigne à signer le traité exigé par Napoléon. — La Prusse honnie par l'Europe. Généralement on appelle la bataille d'Austerlitz la Journée des trois empereurs. On entend dire par là que l'empereur des Français y battit les deux empereurs d'Autriche et de Russie. La date du 2 décembre 1805 pourrait être plus justement dénommée la Journée des quatre souverains, car, en plus d'Alexandre Ier de Russie et de François II d'Autriche, Napoléon y avait bel et bien vaincu Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse. La victoire complète des Français fut la seule cause qui empêcha les Prussiens de figurer un peu plus tard sur les champs de bataille ; que la journée d'Austerlitz se fût terminée sur un résultat indécis, sur un demi-succès de part et d'autre, et avant quinze jours les troupes prussiennes déjà en marche prenaient leur place dans les rangs de la coalition. Elles se préparaient, elles s'avançaient, jouant en quelque sorte le rôle d'une armée de réserve, et à ce titre elles étaient aussi bien battues que le gros des forces qui avait donné. La Prusse, c'est indéniable, faisait partie de la troisième coalition depuis le 3 novembre 1805, jour de la signature du traité de Potsdam. Pour ne pas déroger à ses habitudes de temporisation, le Roi avait seulement obtenu un délai d'un mois avant de pl cadre part aux hostilités effectives. Un mois fut accordé à la Prusse pour ses préparatifs ; le jour et même l'heure des hostilités avaient été fixés, dit le prince Czartoryski, l'un des signataires du traité de Potsdam[1]. Ce mois devait être employé à mettre l'armée prussienne sur le pied de guerre. Mais pendant ce temps, pour sauver les apparences, le Cabinet de Berlin ferait mine de porter à Napoléon une offre de médiation qu'on savait d'avance devoir être péremptoirement refusée. Cette médiation n'était en réalité qu'un ultimatum déguisé qu'on aurait à peine osé montrer à une nation vaincue. Or ce n'était point le cas de la France qui venait de triompher à Ulm et dans vingt combats. Pour être persuadé que la démarche de la Prusse n'était pas autre chose qu'une déclaration de guerre, il n'y a qu'à lire le traité de Potsdam[2]. Les articles VII, VIII et IX mentionnent que les mouvements des troupes prussiennes se feront aussitôt que leur contingent sera de quatre-vingt mille hommes ; que les subsides seront payés par l'Angleterre sur le taux admis par la Russie et l'Autriche, avec cette différence — car la Prusse ne néglige rien de ses intérêts pécuniaires — que l'indemnité comptera du jour on les Français ont traversé le territoire d'Anspach. Assurément ce n'était pas une mauvaise opération financière que de prendre les armes le 18 décembre et de faire payer son concours à partir du 25 septembre. Un article additionnel disait que la Prusse s'engageait à ne faire ni paix ni trêve sans l'assentiment de l'Angleterre, si celle-ci cédait le Hanovre à sa nouvelle alliée. D'on il résulte que, moyennant le Hanovre tant de fois refusé à la France qui pourtant n'exigeait pas un tel effort, le roi de Prusse enrichi, exhaussé au delà de ses espérances par Napoléon en 1803, adhérait sans vergogne au traité principal de coalition, autrement dit au complot de destruction de la puissance française. Après de tels engagements, l'intérêt de la Prusse voulait qu'ils ne fussent pas ébruités afin de ne pas provoquer prématurément le courroux de l'empereur des Français. Le Cabinet de Berlin y parvint à force de soins, de rouerie et d'hypocrisie ; il poussa la précaution jusqu'à ne pas en informer l'ambassadeur de Prusse à Paris : Vous auriez eu connaissance du traité signé à Potsdam, le 3 novembre, lui écrivait plus tard son ministre, si l'on n'avait préféré ne pas le communiquer même par courrier[3]. Le 16 novembre seulement, Napoléon eut la toute première notion de l'alliance de la Prusse avec ses ennemis. Le renseignement lui fut apporté par une proclamation de l'empereur d'Autriche à son armée. Ce souverain n'agissait évidemment pas par légèreté inconsciente ; il pensait, par cette publication, compromettre irrémissiblement la Prusse et l'empêcher de revenir sur sa parole. François II disait à ses soldats : Dans ces circonstances, il ne reste à l'empereur d'Autriche qu'à se conformer aux ressources puissantes qu'il trouve dans les cœurs, dans la prospérité, dans la fidélité et dans la force de ses peuples, à s'appuyer sur la puissance encore intacte de ses grands amis et alliés, l'empereur de Russie et le roi de Prusse, et de persévérer dans cette union étroite[4]. Ces paroles, lancées publiquement, furent un trait de
lumière qui éclaira les ténèbres dont l'entrevue de Potsdam était encore
enveloppée. A coup sûr Napoléon s'imaginait bien que l'empereur de Russie,
lorsqu'il se rendit à Berlin en un moment aussi critique, avait eu toute
autre pensée que de faire une visite de politesse. Qu'avait-il demandé ?
Qu'avait-il obtenu ? C'était surtout cette dernière interrogation qu'on se
posait avec inquiétude. Aujourd'hui, par le langage de l'empereur d'Autriche,
on possédait un indice certain. Il y avait un traité. Mais dans quelle mesure
la Prusse s'était-elle engagée ? Voilà ce qui restait à savoir. Tontes les
questions posées à notre ambassadeur depuis l'entrevue de Berlin étaient
demeurées vaines. Comme un lépreux, on l'avait mis en quarantaine. Afin d'éviter
les indiscrétions, il était défendu par ordre royal de lui adresser la
parole. Cet ambassadeur, M. Laforest, écrivait à Talleyrand : J'ai fait parvenir au Roi des plaintes sur l'isolement où
je me trouvais au milieu de sa Cour, sur l'éloignement où se tenaient de ma
maison les personnes que j'avais le mieux accueillies, sur les nuages qui
avaient été jetés sur mon caractère. En effet je ne pouvais jusqu'à présent
communiquer avec les entourages du Roi que par des intermédiaires qui
suppléaient mal à une action immédiate. M. de Knobelsdorff lui-même, à
Berlin, n'osait plus me voir pour ne pas se compromettre auprès d'une faction
triomphante qui avait égaré l'esprit de la Reine[5]. Laforest n'exagérait nullement la situation suspecte qui
lui était faite à Berlin. Voici en quel style l'ambassadeur de France en
était réduit à écrire au conseiller intime du Roi : Mon
cher conseiller, suis-je tellement réprouvé qu'il y ait du scandale à me
recevoir lorsque, vous sachant en ville, je désire vous voir ? Serait-ce vous
compromettre que de passer chez vous ? Vous allez peut-être vous moquer d'un
homme qui tient un pareil langage à Berlin ? Mais il est certain que depuis
deux mois tout me fuit, à l'exemple de la première autorité ministérielle, et
il est censé que c'est le bon plaisir du Roi. Je respecte profondément ses
volontés ; cependant est-ce le moyeu de juger sainement que d'entendre d'un
seuil bord ? Depuis lundi matin, 7 octobre, que de choses j'aurais à vous
dire, après que vous m'entes quitté ! Je regretterai, toute ma vie, qu'à
partir de ce moment tous les accès m'aient été fermés...[6] C'était la même
situation que Duroc et Laforest avaient signalée à Talleyrand en ces termes,
dès le 23 octobre : Votre Excellence aurait peine à
se faire une idée juste de la position isolée dans laquelle nous sommes
rejetés. Il semble que toutes les voies de communication et d'information nous soient fermées
rigoureusement[7]. Ainsi, du 7 octobre au 9 décembre, par
l'effet d'une volonté supérieure, notre ambassadeur avait été tenu à
l'écart et mis hors d'état de remplir ses fonctions I Non seulement on ne lui
disait rien, mais encore on cherchait de toutes manières à dérouter ses
soupçons. N'ayant plus que ce moyen d'informations, il portait naturellement
son attention sur les rumeurs qui circulaient autour de lui. C'est de la
sorte qu'il apprit un jour que différentes petites
Cours d'Allemagne avaient été avisées que, par un article du traité de
Potsdam, la Prusse s'était engagée à combattre la France[8]. Quoique Laforest
se refusât à y croire, il pria ses amis de s'enquérir sur ce qu'il y avait de
fondé dans ces bruits. Alors le premier ministre prussien n'hésita pas à lui
faire dire par le chevalier de Bray, chef de la légation de Bavière, cc qu'il
n'ait pas à s'étonner si on le tient à l'écart pendant quelques semaines
encore, mais qu'il peut être parfaitement tranquille sur les dispositions du
Roi. Cette mise à l'index de Laforest fut levée une seule fois : à l'occasion du départ de M. de Haugwitz pour le camp français, où le ministre de Prusse allait porter les conditions de la fameuse médiation de Frédéric-Guillaume. Laforest, très attentif à tout ce qui pouvait servir à son gouvernement, profita de cette visite obligatoire et toute de forme pour questionner le plénipotentiaire prussien. Il rapporte ainsi leur conversation : J'ai fait sentir à M. de Haugwitz que non seulement tous les papiers publiés, mais les ministres des Cours alliées répandent le bruit que le Roi s'est engagé dans la coalition ; qu'une lettre de l'empereur Alexandre, écrite de Pulawy, le 17 octobre, annonçait formellement qu'il partait pour signer le traité avec la Cour de Berlin. M. de Haugwitz m'a prié de croire que ces messieurs se vantaient beaucoup, qu'il était faux qu'il existât de traité ou de convention de ce genre entre les deux souverains...[9] Le même M. de Haugwitz avait emporté avec lui ce système de dénégations impudentes, car, le 1er décembre, veille de la bataille d'Austerlitz, il affirmait encore imperturbablement à Talleyrand que ce qu'on appelle faussement la convention du 3 novembre est une simple déclaration portant offre de bons offices et de médiation, mais sans mélange d'aucun engagement hostile ou même comminatoire contre qui ce soit[10]. Talleyrand fut si bien convaincu qu'après avoir mandé ce renseignement à l'Empereur il écrivit d'un autre côté à son ami Hauterive[11] : Le fait est que je suis content de M. Haugwitz. Il n'y a point eu de traité à Potsdam le 3 novembre. Il y a eu échange de déclarations. La déclaration de la Prusse a été qu'elle offrirait ses bons offices, sa médiation pour établir et garantir la paix du Continent ; voilà tout. On peut présumer que M. de Haugwitz dut dépenser un joli talent de persuasion pour en imposer à nu diplomate comme Talleyrand dont la candeur et la crédulité étaient certainement les moindres défauts. Enfin ce système de dénégations impudentes ne serait pas complet si l'on ne trouvait le Roi lui-même en flagrant délit d'altération de la vérité. Dans la lettre signée de sa main qu'il remet le 12 novembre à Haugwitz pour Napoléon, il dit : J'ai profité de la visite inattendue que l'empereur de Russie m'a faite et j'ai fait usage des droits que l'amitié donne pour lire dans ses intentions[12]. Le Roi avait-il donc oublié, à deux semaines d'intervalle, que c'était sur son invitation spéciale, formelle et pressante, portée par le prince Dolgorouki, que le Tsar s'était rendu à Berlin ? Le mot d'ordre, on le voit, était de mentir effrontément ; il fut religieusement observé, depuis le trône jusqu'aux antichambres, en passant par le conseil des ministres. Et même, quand la proclamation autrichienne, dénonciatrice enfin des projets de la Prusse, se répandit à Berlin comme dans l'Europe entière, Frédéric-Guillaume essaya encore de leurrer la France ; il résolut assez niaisement de ne pas permettre en Prusse l'impression de ce document. A Laforest qui s'agitait auprès des autres diplomates, le ministère faisait affirmer que cette proclamation est infâme... qu'on veut compromettre la Prusse... que jamais elle ne s'est engagée ainsi qu'on le dit[13]. Il ne faudrait pas croire que ces contre-vérités, ces dissimulations, ces tromperies fussent la reproduction de ce qui se passe nécessairement dans les coulisses de la diplomatie. Napoléon, en ce qui le concerne, ne se livra pas à ces expédients fallacieux. Nos archives sont au moins autant que celles de Prusse accessibles au public ; on peut y lire la volumineuse correspondance de l'Empereur avec ses ministres, celles des ambassadeurs avec leurs chefs respectifs ; un nombre de Mémoires contemporains égal et même supérieur a été publié chez nous ; nulle part, nous pouvons l'affirmer, on ne retrouvera la trace de machinations occultes entre l'Empereur et ses agents pour faire tomber dans un piège un souverain étranger. Loin qu'il s'abaisse à de semblables moyens, ses instructions au contraire sont d'une franchise invraisemblable tant il y met de simplicité et de hardiesse et tant elles reflètent fidèlement sa pensée. C'est le 14 novembre 1805, à cinq heures du matin, que le comte de Haugwitz avait quitté Berlin afin de rejoindre Napoléon qui était à la tête de son armée dans les plaines de la Moravie. Ostensiblement, l'envoyé du Roi allait offrir la médiation de la Prusse, mais en réalité sa mission consistait à endormir la vigilance de Napoléon pendant que la Prusse complétait ses armements. Signataire de la convention de Potsdam, annexe véritable du traité principal de coalition, la Prusse n'avait le droit de conclure la paix que du consentement de tous les alliés. C'était par conséquent et uniquement le programme de l'Angleterre, c'est-à-dire l'abaissement de la France, la restitution de ses conquêtes, le rehaussement de ses provocateurs incorrigibles, que la Prusse avait l'audace de soumettre à l'acceptation de l'empereur des Français. La Prusse, ni personne, ne pouvait sérieusement avoir la pensée qu'un chef d'Empire, victorieux à miracle, allait obtempérer à un ultimatum de ce genre. Aussi bien est-il permis de dire que la démarche du comte de Haugwitz n'était, par une véritable profanation, qu'une façon de se jouer des nobles sentiments qui devraient animer un prince à l'aspect de centaines de milliers d'hommes prêts à s'entr'égorger. Cependant l'initiative d'une intervention pacifique de la part de Frédéric-Guillaume parait si naturelle, soit au point de vue des intérêts du peuple prussien, soit au point de vue d'une simple pensée d'humanité, qu'il faut apporter ici la preuve formelle des intentions sournoises de la Prusse. Elle ne sera pas difficile à fournir. Le comte de Haugwitz d'abord va lui-même nous l'offrir par son propre témoignage donné, en 1806, quand il faisait ses confidences au chevalier de Gentz. S'il a jamais existé une puissance que nous ayons eu l'intention de tromper, c'est la France, a-t-il dit alors. La nécessité nous en avait fait une loi. Nous avons constamment voulu le bien des autres. Après tous les malheurs que nos amis avaient éprouvés autour de nous, il nous paraissait sage de ménager à l'Europe aux abois une dernière ressource intacte... Nous étions déterminés et préparés au combat et nous y serions infailliblement entrés si la bataille d'Austerlitz et ses suites, et surtout si la retraite et la volonté expresse de l'empereur de Russie n'en avaient pas détourné le Roi[14]. Il est à peine besoin de remarquer que l'hypothèse d'un accommodement avec la France n'entre même pas en ligue de compte, c'est infailliblement que la Prusse était déterminée à nous faire la guerre. Cela va être démontré de la façon la plus positive par les citations suivantes. Après ce qu'il disait, conformément à ses souvenirs, voici
ce que le comte de Haugwitz écrivait dans son Mémoire pour lui servir
d'instruction lors de son voyage près de l'empereur des Français, mémoire
que peu de jours avant son départ, il remit au Roi : Il
serait dangereux de s'exposer à la rupture avec Napoléon avant le 15
décembre. C'est la date où le duc de Brunswick — commandant en chef
des armées prussiennes — sera prêt. J'arriverai près
de l'empereur des Français le 25 novembre ; s'il refuse les propositions, je
ne vois d'autre moyen, pour éviter que la rupture ne s'ensuive sur-le-champ,
que d'écouter les idées de Napoléon et que je me charge de les porter
moi-même à la connaissance du Roi. De cette façon Napoléon n'apprendra la
détermination du Roi qu'après le 15 décembre... Si Napoléon voulait prolonger les négociations au delà des
quatre semaines fixées par le traité de Potsdam, ou s'il apprenait
l'existence de ce traité, ou s'il s'alarmait de l'arrivée de lord Harrowby à
Berlin, rien, le 15 décembre, n'empêcherait le Roi de se regarder en état de
guerre avec la France, au moirent où les armées royales auraient atteint les
positions d'où elles pourraient commencer la guerre avec succès[15]. Tout était conduit dans ce sens à Berlin, pendant que M. de Haugwitz cheminait sur la route de Vienne. Et nous allons même voir des mesures réellement hostiles, prises par le Roi médiateur avant que son fondé de pouvoirs ait atteint le terme de son voyage. Le 23 novembre, Frédéric-Guillaume III écrivait à Alexandre Ier : Votre Majesté peut compter sur ma fermeté à suivre la marche que nous avons concertée ; elle sait qu'outre les motifs qui me l'ont fait adopter de préférence, l'éloignement de mes armées et le temps nécessaire pour les rassembler sont entrés nécessairement. Cependant, s'il est un mouvement qui puisse contribuer à attirer utilement l'attention des Français et diminuer le fardeau qui pèse sur nos troupes jusqu'à ce que les miennes le partagent avec elles, vous sentez avec quel plaisir je m'y prêterais... Je m'en occupe déjà et je m'empresse de vous donner la nouvelle que le gros de nos troupes va se concentrer du côté de la Franconie. Quatre jours plus tard, le 27 novembre, le roi de Prusse écrivait encore à Alexandre : J'ose me flatter que mes présages ne m'auront pas trompé et un des plus beaux moments de ma vie sera celui où je pourrai la féliciter sur le plus beau de la sienne — c'est-à-dire celui de la défaite des Français — !... Les mouvements de mes troupes se font avec toute la célérité possible en attendant l'issue de la négociation du comte de Haugwitz, qui cependant ne les paralyse en rien[16]. L'esprit public suivait les impulsions qui lui venaient d'en-haut : A Berlin, dit un contemporain[17], on voyait Napoléon prêt à être cerné de toutes parts pourvu qu'on eût la patience d'attendre la réunion des troupes dirigées contre lui... Tous les militaires attendaient avec impatience l'ordre de marcher contre les Français. Le prince Louis-Ferdinand, si brillant de courage, d'intelligence et d'ardeur, se réjouissait à l'idée d'avoir bientôt à se mesurer contre eux et formait hautement le vœu de lutter corps à corps avec un des assassins du malheureux duc d'Enghien. — Depuis le départ d'Alexandre Ier, dit un autre écrivain de l'époque[18], la Reine ne parlait plus que d'abattre le monstre Napoléon. — Il y a ici, rapportait de son côté notre ambassadeur à Berlin, une colonie entière de négociateurs anglais. Un général autrichien, M. de Crenneville, est spécialement chargé d'accompagner le roi de Prusse, lorsque Sa Majesté partira pour se mettre en campagne[19]. Après une course assez accidentée à la recherche de Napoléon et après l'avoir manqué en plusieurs endroits, parfois peut-être avec préméditation, M. de Haugwitz le joignit enfin à Brünn, le 28 novembre. Les retards du diplomate prussien avaient été remarqués par Talleyrand qui écrivait : M. de Haugwitz n'est pas encore arrivé. Sa marche ressemble à la politique de son Cabinet, et l'on petit croire qu'il ne serait pas fâché d'apprendre sur la route quelques événements militaires un peu définitifs... C'est une manière très commode que de se réserver de prendre son texte dans les circonstances du moment[20]. Arrivé de grand matin, le diplomate prussien était à peine installé dans son logement chez le chef de l'administration du pays qu'il écrivit à Duroc, maréchal du Palais, afin d'obtenir une audience de l'Empereur. Un quart d'heure après, il recevait des mains du grand écuyer, Caulaincourt, l'invitation de se rendre au quartier impérial. Il fut introduit aussitôt auprès de Napoléon. Ce n'était pas pour celui-ci une visite agréable au milieu des poignantes préoccupations d'une bataille formidable dans laquelle allaient se jouer son avenir, sa gloire, sa vie peut-être et, par-dessus tout, le sort de la France. L'Empereur n'avait aucun besoin de ce nouvel élément d'anxiété apporté par la présence de M. de Haugwitz. Il sentait bien que le messager prussien n'était pas de bon augure. Six jours avant, il avait écrit à Talleyrand : Si M. de Haugwitz passe à tienne avant que j'y sois, cherchez à savoir ce qu'il veut. Parlez d'une convention qui aurait été signée le 3 novembre, à ce que disent les Autrichiens, et qui serait pareille en tout à celle du partage de la Pologne ; mais la France n'est pas la Pologne. Cela mettra le continent en feu pour plusieurs années, mais personne n'a le droit de calculer pour qui sera le succès. Bref, tâchez de démêler ce qu'il veut[21]. Préparé, comme on le voit, un peu à tout, l'Empereur demanda d'un ton glacial à Haugwitz ce qu'il venait faire dans les camps. L'envoyé prussien répondit qu'il avait pour mission d'offrir la médiation de son souverain. Sans lui laisser le temps d'achever, Napoléon, s'échauffant au fur et à mesure qu'il parlait, répondit avec emportement : Je ne vois pas trop comment la Prusse pourrait se charger du rôle de médiateur quand elle a déjà conclu un traité avec les ennemis de la France ; quand elle s'est engagée par cc traité à leur fournir un secours de quatre-vingt mille hommes. La première qualité d'un médiateur n'est-elle pas d'être impartial ? Or, vous ne l'êtes pas et vous ne pouvez l'être. Pensez-vous du reste que je sois homme à accepter des propositions présentées sur la pointe de l'épée ou appuyées seulement sur des déclarations comminatoires ?... L'Empereur allant et venant dans la chambre, se livrait à l'explosion d'une colère bien légitime. Haugwitz était consterné. Au fond il se souciait peu de l'irritation probablement prévue de son interlocuteur, mais il se demandait ce que Napoléon savait exactement du traité de Potsdam. Se gardant bien d'interrompre, il laissait passer la bourrasque, espérant que, dans ce flot de paroles, il distinguerait la limite des révélations qui avaient été faites à la France. Bientôt il acquit la conviction, a-t-il dit lui-même, que Napoléon n'avait que des notions très vagues sur le traité de Potsdam et qu'on s'était borné en somme à lui faire connaître ce qui, dans les stipulations, se rapportait au concours de la Prusse et au nombre d'hommes qu'elle y destinait. Fort de cette découverte, Haugwitz, posément, s'appliqua à calmer les accès d'humeur de Napoléon. Il déroula les arguments qui, suivant sa propre expression, devaient lui servir de planche pour arriver aux autres plus épineux[22]. Il assura que les intentions de la Prusse n'étaient nullement hostiles à la France. Elles avaient pour but d'arriver à une garantie générale en faveur de la paix européenne. Et, si en dernier ressort la paix avec l'Angleterre devait être reculée encore, les puissances du continent garderaient une neutralité absolue tant que durerait la querelle entre les deux puissances maritimes rivales. C'était toucher le point faible de l'Empereur, Haugwitz le constata dans son rapport par ces mots : Dès ce moment, je fus écouté avec complaisance. Malgré sa violence apparente, Napoléon s'aperçut parfaitement de l'art avec lequel le négociateur prussien ramena l'entretien sur un terrain favorable, sans toutefois qu'il fût assez habile pour lui en imposer, complètement. M. de Haugwitz, écrivait l'Empereur le même soir à Talleyrand[23], a mis dans sa conversation avec moi beaucoup de finesse, je dirai même beaucoup de talent ; j'ai cependant conservé l'idée qu'on était incertain sur le parti à prendre. Heureux, comme il l'était chaque fois qu'il apercevait une lueur de pacification générale, Napoléon prolongea durant quatre heures cette conférence devenue presque amicale. Pourtant, d'autres soins appelant l'Empereur, il proposa
l'ajournement de la discussion qui avait lieu au milieu du tapage incessant
de tambours et fanfares des régiments en marche sous les fenêtres de la
maison. En le quittant, Napoléon se montra plein d'égards pour M. de
Haugwitz. Étant à pied, raconte ce dernier, j'aurais eu quelque difficulté à rentrer chez moi, si Sa
Majesté impériale n'avait eu l'attention de me faire précéder par un de ses
chambellans qui prit la peine d'écarter les troupes qui se rendaient en grand
nombre dans la direction d'Olmütz. Je n'étais pas depuis dix minutes de
retour chez moi, qu'on m'annonça M. de Caulaincourt. Il venait me conseiller
au nom de l'Empereur de me rendre à Vienne : Il y aura incessamment,
me dit-il, un engagement et Sa Majesté pense que, dans la bagarre qui
pourrait en résulter, la sûreté de votre personne risquerait d'être
compromise, elle désire vous proposer un séjour moins exposé que celui ou
elle se trouve maintenant. On prit sur-le-champ des dispositions pour me
faire avoir des chevaux, et la garde de l'Empereur m'escorta jusqu'à Vienne
ou je suis arrivé dans la nuit d'hier 31 novembre. M. de Haugwitz séjourna à Vienne, pendant que, dans les plaines de la Moravie, se décidait le sort des empires. Il errait, en quête de nouvelles, d'ambassade en ambassade où il comptait beaucoup de sympathies personnelles. Petit de taille, il avait une physionomie qui prévenait en sa faveur ; son regard doux, sa longue barbe soyeuse lui donnaient un peu la tête d'un Christ. Il affectait de compléter cette ressemblance par un certain air de penseur illuminé, qu'il était du reste car il aimait à rappeler ses anciennes relations avec Lavater dont il avait été le disciple et l'ami. Flairant, à certains signes de désaccord parmi les alliés, que le vent venait du côté de la France, il arborait, sans le quitter, le grand cordon de la Légion d'honneur par-dessus son habit[24]. Troublé par les intrigues qu'il entrevoyait autour de lui, il ne crut pouvoir mieux faire que de chercher à se glisser comme médiateur arbitre dans les pourparlers qui s'étaient engagés superficiellement entre l'Autriche et la France. Les ministres lui laissaient l'espoir de jouer ce rôle lorsque, le 5 décembre, Talleyrand lui annonça que les deux empereurs d'Autriche et de France s'étaient rencontrés après la bataille d'Austerlitz et qu'ils entendaient décliner toute intervention étrangère. En même temps Napoléon faisait savoir à M. de Haugwitz qu'il désirait le trouver à Vienne lors de sa prochaine arrivée dans cette ville. La foudre, en tombant, aurait effleuré M. de Haugwitz, qu'elle ne lui aurait pas causé plus d'épouvante que ces paroles. Combien en quelques jours s'était retournée la situation de l'envoyé extraordinaire du roi de Prusse ! Il n'était plus, ni aux yeux de la France, ni aux yeux de personne, le médiateur ou l'allié représentant l'appoint considérable de quatre-vingt mille hommes auxiliaires ou menaçants. Sa force faisait précisément sa faiblesse, car son armée, prête à marcher mais inutile maintenant à ses amis, le compromettait gravement vis-à-vis de Napoléon. Alors qu'au nom de trois armées combinées il avait pensé parler à un empereur des Français intimidé, inquiet, M. de Haugwitz se trouvait à présent tout seul en face du triomphateur d'Austerlitz, couvert d'une gloire sans pareille dans le monde. La Prusse n'avait plus le concours matériel des troupes autrichiennes et russes, pas même l'appui moral de la convention de Potsdam, celle-ci étant déchirée par le fait des négociations particulières de l'empereur d'Autriche et de la retraite de l'empereur de Russie. Il ne restait à M. de Haugwitz que l'injonction énigmatique de se tenir à la disposition de Napoléon afin de reprendre une conversation commencée sous de tout autres auspices. Les conciliabules dont il était exclu et qui avaient lieu entre Talleyrand et les plénipotentiaires autrichiens, la nouvelle d'une longue entrevue entre Napoléon et François Il, causaient de vives angoisses à M. de Haugwitz. L'un ou l'autre ne se laisserait-il pas aller à des indiscrétions dont les conséquences seraient affreuses pour la Prusse ? Cette dernière hypothèse, si vraisemblable d'ailleurs, ne manqua pas de se réaliser. M. de Haugwitz en eut la certitude dès qu'il eut franchi le seuil de la pièce où il fut reçu par Napoléon à Schœnbrünn. Les premiers mots de M. de Haugwitz furent, dit-on, de chaleureuses félicitations sur la victoire d'Austerlitz. Napoléon lui répondit sèchement : C'est un compliment dont la fortune a changé l'adresse[25]. Après un moment de silence, l'Empereur, ayant l'air de surmonter l'indignation qui le suffoquait, prit la parole et dit : Monsieur le comte, je vous ai accueilli à Brünn avec les égards dus au ministre d'un grand souverain qui m'avait fait croire autrefois que je pouvais compter sur son amitié... Mais aujourd'hui je connais le traité que vous avez conclu avec les ennemis de la France ; je sais que, d'après vos conventions avec eux, vos quatre-vingt mille hommes devaient me tomber dessus si je refusais les propositions que vous êtes chargé de me dicter ; je sais aussi qu'il ne vous a pas suffi de vous déclarer mon ennemi, mais que, dans votre acharnement contre la France, vous alliez entraîner avec vous les États qui sont sous votre dépendance et l'Europe entière, si vous pouviez y parvenir... Sortant ensuite de la modération relative dans laquelle il s'était jusqu'alors contenu, il s'écria avec impétuosité : Et vous, comte Haugwitz, je le sais aussi, vous avez signé ce traité ! Baissant un peu la voix, il fit un rapprochement entre le moment actuel et la visite de Dolgorouki, la veille d'Austerlitz ; il rappela ironiquement les détails de cette entrevue et s'appesantit de façon particulière sur la témérité qu'on avait eue de lui faire des propositions aussi déshonorantes. Enfin il ajouta qu'il s'expliquait à cette heure l'incroyable hardiesse des Russes qui s'appuyaient, à son insu, sur le traité de Potsdam ; et il revenait sans se lasser sur l'énormité des conditions qu'on avait prétendu lui imposer. Avec une subtilité rare, Haugwitz trouva dans l'exaspération de l'Empereur contre les Russes le thème qui allait lui servir pour excuser la Prusse. Il laissa encore s'exhaler les exclamations indignées que l'Empereur proférait en arpentant le salon en tous sens ; puis, profitant de l'instant où Napoléon l'interpellait de nouveau en lui disant : Comment vous, les Prussiens, avez-vous pu signer ce traité ? Et vous aussi vous l'avez signé, Haugwitz, à ces mots, paya d'une belle audace et répartit : Oui, je l'ai signé et, s'il était à signer aujourd'hui, je le signerais encore, Sire, avec la certitude que jamais la Prusse n'a pu donner un témoignage plus éclatant de son amour de la paix et de son amitié pour la France que par cette convention de Potsdam. Devant cette protestation impertinente, l'histoire, une fois de plus, va se trouver en défaut. Elle prête généralement à l'Empereur — et pour beaucoup moins que cela — des procédés violents à l'égard de ses contradicteurs ; Haugwitz cependant ne relate même pas qu'une interruption se soit produite quand il prononça ces paroles qui étaient fort imprudentes, vu surtout l'état d'agitation où se trouvait l'Empereur. Toutefois, entre un Napoléon bouillant de rage ou de fureur à la moindre offense et un autre indifférent à toutes les avanies, on peut eu admettre un troisième assez conforme à la réalité, pensons-nous : celui qui ne supportait pas la moindre offense sans la relever congrûment. S'il n'en fit rien en cette occasion, c'est probablement parce qu'il ne voulait à aucun prix de rupture définitive et bruyante avec l'ambassadeur prussien. C'eût été, croyait-il, précipiter la guerre avec la Prusse qui, selon les apparences, ne cherchait qu'un motif quelconque à la levée de boucliers qu'elle avait résolue depuis longtemps. D'autre part, grand dilettante des choses de l'intelligence, observateur compétent de ceux qui travaillaient sous ses yeux, il applaudit peut-être en lui-même à la présence d'esprit, à l'aplomb du diplomate qui était en assez fâcheuse posture vis-à-vis de lui. On se rappelle qu'après l'entrevue de Brünn, il n'avait pu s'empêcher de témoigner à Talleyrand son admiration pour l'habileté de M. de Haugwitz. Il mit sans doute une certaine curiosité à voir comment cet homme allait se tirer de ce mauvais pas. L'envoyé prussien put donc continuer son discours à son
aise. Il imagina alors d'affirmer que la Prusse s'était interposée justement
pour réduire les prétentions exagérées de la Russie. Et
le Roi, ajouta-t-il, en prenant ce rôle de
négociateur de la paix, voulait qu'après vous être couvert de toutes les
gloires vous eussiez encore celle de donner au monde un exemple de modération
qui porterait à son comble l'admiration qui vous est duc. Sceptique et
dédaigneux de la flatterie, Napoléon qui s'apaisait petit à petit fit deux ou
trois fois le tour de la chambre, puis, s'approchant du ministre prussien, il
lui dit : Comte Haugwitz, la Prusse en se joignant à
mes ennemis m'a jeté le gant ; il faut bien que je le relève. La conduite
qu'on a tenue chez vous envers mon ambassadeur m'a avili aux yeux de ma
nation. Mon cœur me dit tout cela et en même temps ma tête y répond et me
demande à quoi conduira cette guerre avec la Prusse ? Pourquoi deux nations
faites pour s'aimer et s'estimer réciproquement doivent-elles se combattre et
charcuter dans leurs propres entrailles ? Haugwitz, appuyant sur cette corde, évoqua tout en forçant le ton les petits services occasionnels que la Prusse avait pu rendre à la France, surtout depuis que Napoléon tenait les rênes du gouvernement. Oui, reprit l'Empereur, le Roi a été le premier à reconnaître ma dynastie ; c'est un souvenir de nature à effacer beaucoup de griefs ; mais c'est trop tard. Je crains bien que ce ne soit trop tard car il faut que je vous dise qu'à la minute oui nous parlons, M. de Talleyrand a déjà peut-être signé le traité de paix avec l'Autriche. En ce cas j'ignore quelles seront nos relations futures. Ces dernières paroles seraient inintelligibles si l'on ne savait que les négociations avec l'Autriche roulaient également sur la propriété du Hanovre[26]. Les diplomates autrichiens, en compensation des pertes qui leur étaient infligées, sollicitaient la cession de l'Électorat au bénéfice d'un archiduc, parent de François II. Napoléon se demandait donc si cette attribution de l'Électorat, pour le cas où elle serait faite, ne lui vaudrait pas la guerre de la part de la Prusse. Après être resté un moment absorbé dans ces réflexions, il congédia M. de Haugwitz en lui disant : Au plaisir de vous revoir. Nous n'allons certes pas jusqu'à nous porter garant ici qu'il n'y eût rien de prémédité dans l'attitude et le langage de Napoléon. Il était doué d'une finesse suffisante pour avoir calculé d'avance les prises qu'il avait sur le diplomate prussien, et de quelle manière il conduirait la discussion afin d'arriver à une solution qui assurerait la tranquillité et la grandeur de la France. Cependant, d'après cc qu'il mandait l'avant-veille encore à l'Électeur de Wurtemberg, il semble qu'il eût été bien embarrassé de dire exactement où il en était avec la Prusse. Ni vous, ni moi, ni le cabinet de Berlin lui-même, écrivait-il[27], ne savons ce que veulent les armées prussiennes. Mais ce qui paraît péremptoirement démontré et sera confirmé par la suite, c'est qu'on chercherait en vain dans ces épisodes le chef d'armée impétueux toujours prêt à entreprendre la guerre et à provoquer les incidents qui doivent la rendre inévitable. On conviendra que l'occasion était favorable pour commencer les hostilités contre la Prusse. Et qu'avons-nous vu ? Qu'allons-nous voir ? C'est Napoléon empressé à trouver des solutions pacifiques aussi bien avec la Russie qu'il n'a pas poursuivie qu'avec l'Autriche avec laquelle il est en train de négocier, et qu'avec la Prusse à laquelle il va imposer l'alliance de la France, rêve suprême qui doit assurer la paix continentale. Après l'algarade véhémente qu'il venait de faire à M. de Haugwitz, l'Empereur ayant réfléchi quelques instants s'était pris à regretter sincèrement que la paix fût peut-être déjà signée avec l'Autriche et que les concessions accordées à celle-ci ne risquassent de devenir un sujet de querelle avec la Prusse ; alors son cerveau fut traversé par l'idée qu'il pouvait, si les circonstances le permettaient encore, tirer un grand parti de la présence de l'ambassadeur prussien et transformer en mission pacifique le voyage de M. de Haugwitz. Celui-ci, qui devait apporter la guerre, serait utilisé comme facteur important de la paix. Grâce à lui, Napoléon ferait concevoir à l'Autriche la crainte d'une alliance franco-prussienne et vice versa il influencerait la Prusse par la perspective d'une entente immédiate avec l'Autriche. Aussi un éclair de satisfaction brilla-t-il dans ses yeux quand, peu de temps après la sortie de M. de Haugwitz, il reçut de M. de Talleyrand un message lui annonçant que rien n'était encore conclu avec les plénipotentiaires autrichiens qui venaient de déclarer qu'avant de signer ils devaient envoyer une estafette à leur Cour, attendu que leurs pouvoirs n'étaient pas suffisants relativement à certains points du traité[28]. Au fond l'Autriche, autant qu'elle le pouvait, retardait la conclusion, dans l'espoir que l'intervention de la Russie et de la Prusse se produirait sous une forme quelconque[29]. Aussi prompt sur le terrain diplomatique que sur le champ de bataille à profiter des fausses manœuvres de ses adversaires, Napoléon, d'un coup d'œil, aperçut de quelle manière il prendrait avantage des hésitations des Autrichiens. C'était sa qualité maîtresse de dégager instantanément le côté pratique des questions qui nécessitaient une solution immédiate. Cette qualité s'alliait intimement à la tendance de son esprit qui l'attachait plutôt aux choses du présent qu'à celles de l'avenir. C'est ainsi qu'il ne parvenait ni à concevoir pour son propre compte, ni à pénétrer chez les autres les combinaisons lentes et sinueuses qui constituent ce qu'on appelle la politique étrangère. Soit qu'il y fût mal préparé par son éducation, soit que son désir de tout faire par lui-même lui en retirât le temps et les moyens, le fait est qu'il ne conduisit pas les affaires extérieures en vertu d'un système fixement orienté vers un but déterminé. C'est en ne reliant pas au programme formel des puissances tous leurs actes qui étaient cependant les anneaux d'une même chaîne, c'est en traitant chaque point isolément pour ainsi dire et en recherchant presque toujours des arrangements amiables, qu'il lui est arrivé si souvent de se laisser duper. Mais, quand une affaire d'une gravité patente se présentait soudain, il la résolvait avec son tempérament de soldat toujours prêt à faire face de tous côtés, à surmonter tous les obstacles et à briser toutes les résistances. Dans le sens que nous indiquons, il s'est défini lui-même en ces termes[30] : Je débutai en diplomatie comme j'ai fait ailleurs par les armes... Le vrai est que je n'ai jamais été le maitre de mes mouvements ; je n'ai jamais été réellement tout à fait moi... J'avais beau tenir le gouvernail, quelque forte que fût la main, les lames subites et nombreuses l'étaient bien plus encore... Quand de vrais amis, mes chauds partisans me demandaient, dans les meilleures intentions et pour leur gouverne, où je prétendais arriver, je répondais toujours que je n'en savais rien... Ils en demeuraient frappés, peut-être mécontents, et pourtant je leur disais vrai... Nous n'ignorons pas qu'en d'autres passages de ses confidences à Sainte-Hélène, il a parlé pompeusement de vastes projets à longues échéances, rêves grandioses communs à tous les mortels, mais qui n'impliquent nullement une direction ferme dans la pratique des choses. Et nous pensons que, dans une autobiographie, il faut retenir surtout les discours qui sont d'accord avec l'ensemble des actes que corroborent les instructions reçues par les agents au cours d'un règne. Or ces actes et ces instructions révèlent exclusivement, nous semble-t-il, un homme qui, dans la politique internationale, emploie sa force intellectuelle pour résoudre, au fur et à mesure qu'elles surgissent, les mille difficultés avec lesquelles son gouvernement est aux prises. Rendons la parole à M. de Haugwitz pour raconter de quelle façon Napoléon sut promptement faire tourner en sa faveur la présence de ce diplomate dans le camp français et les hésitations des Autrichiens à conclure la paix. J'étais rentré chez moi depuis quelques heures, relate M. de Haugwitz, lorsque je vis apparaître Duroc. Il m'informa que le courrier de Talleyrand était arrivé et que l'Empereur désirait m'entretenir immédiatement. Je partis avec Duroc pour Schœnbrünn et je fus conduit sur-le-champ dans le cabinet de Marie-Thérèse où se tenait Napoléon. Sans préambule et avec volubilité, d'un air radieux, celui-ci dit : — La paix n'est pas signée. On a élevé des difficultés sur des misères. C'est une chance. C'est peut-être le génie de la France et de la Prusse qui a arrêté la plume des Autrichiens. Cependant cette fois-ci ils pourraient bien s'en repentir. Voilà ce que c'est que la chance. Ce matin encore, je croyais que la guerre avec la Prusse était inévitable et maintenant, si vous le voulez, si vous pouvez signer avec moi le traité que je vous proposerai, vous aurez ce qui, au bout du compte, doit vous intéresser prodigieusement, et moi j'aurai un gage de l'amitié du Roi, et l'union entre la Prusse et la France sera établie à jamais. Haugwitz ne pouvait en croire ses oreilles. En une sorte d'état d'hébétude, il regardait alternativement Napoléon qui tournait à pas saccadés dans le salon et Duroc, personnage absolument muet, assis dans un coin à une table où, depuis le commencement de l'entretien, il jouait machinalement avec une plume et un encrier... Écrivez, Duroc, dit tout à coup l'Empereur. Alors, avec sa vivacité et sa lucidité naturelles, il dicta le traité dont voici le résumé : Alliance défensive et offensive entre les deux États. La Prusse cédait à la Bavière le pays d'Anspach et à la France, pour en disposer à son gré, Clèves et Neuchâtel. En revanche, la Bavière cédait à la Prusse un territoire de vingt mille âmes, pour arrondir le Margraviat de Bayreuth, et la France cédait à la Prusse le Hanovre avec tous les États allemands appartenant à l'Angleterre. La Prusse garantissait à nos alliés les résultats du traité de Presbourg à intervenir. La France garantissait à la Prusse toutes ses possessions tant anciennes que nouvelles. Les deux puissances, enfin, prenaient sous leur garantie l'intégrité de la Porte Ottomane[31]. Par ce traité et en raison de ses échanges avec la Bavière, la Prusse, il est vrai, perdait trente mille habitants, mais elle en regagnait neuf cent cinquante mille par la possession du Hanovre qu'elle avait tant convoité et que Napoléon n'avait jamais voulu céder que contre un traité d'alliance. En outre la Prusse passait au rang de nation maritime en devenant maitresse de la mer du Nord et l'une des principales riveraines de la Baltique. Enfin la disparition des Anglais d'entre les princes allemands lui assurait une influence sans égale sur la Basse-Allemagne[32]. En face d'une duplicité patente, presque d'une trahison accomplie, l'Empereur, on en conviendra, aurait pu trouver un châtiment plus sévère. De toute façon il faut avouer que, dans cet acte, rien ne décèle une arrière-pensée de faire la guerre à la Prusse. Ce seraient de singuliers préliminaires d'hostilité contre un royaume que d'augmenter sa puissance de près d'un million d'âmes, son armée de quatre-vingt mille hommes, ses revenus de plusieurs millions. Finalement, c'est indiscutable, Napoléon oubliait des ressentiments qu'il croyait justes et se vengeait de façon inattendue, en accordant à la Prusse des avantages qu'elle aurait à peine osé espérer après avoir rendu d'importants services. Voilà, comte Haugwitz, dit-il, le traité que je vous propose de signer séance tenante. Pour moi il n'y pas d'alternative ; je veux la paix du continent. Je la veux pour finir ma guerre avec l'Angleterre et me garantir que de sitôt au moins elle ne troublera pas le repos de l'Europe. J'ai le choix entre l'alliance de la Prusse, de l'Autriche et de la Russie. Vous pensez bien qu'il ne m'en coûterait pas beaucoup d'avoir celle de l'Autriche ; mais il me répugne de m'unir à une puissance que je viens d'abattre. Pour récompenser mes alliés du sud de l'Allemagne, la Bavière et le Wurtemberg, je dois rogner plus d'un morceau de ce bel empire, auquel malgré tout il restera encore assez de puissance. Néanmoins, après l'avoir maltraité de la sorte, après l'avoir déshabillé en partie, il me semble indécent de m'allier avec lui. Au surplus cette alliance ne serait pas du goût de mon peuple, et ce goût, croyez-le, j'en tiens plus compte qu'on ne le pense. Nos armées se trouveront bientôt et fatalement en présence. Cet état de choses ne peut durer. Ou je dois courir de nouveau les chances de la guerre, ou je dois m'arranger avec la Prusse, sous la garantie que pour longtemps le repos du continent ne sera pas troublé. Sans cette garantie, vous pensez bien que je ne me déterminerai jamais à conduire mes troupes sur les bords de l'Océan. Si vous n'acceptez pas je reprendrai ma conquête, je récupérerai le pays de Hanovre. Et alors qu'arrivera-t-il ? Le Roi reprendra une attitude menaçante vis-à-vis de moi. Il maintiendra ses armées sur le pied de guerre ne fût-ce que pour couvrir ses propres États. En attendant nous ruinerons nos finances, et la guerre éclatera tout de même un jour ou l'autre. D'ailleurs cette situation ne me convient pas ; elle ne convient nullement au caractère français. — Enfin, ajoute M. de Haugwitz après avoir rapporté à son Roi ce qui précède, Napoléon me laissa le choix ou de signer la convention qu'il me proposait ou de remporter la conviction que la guerre était inévitable, que la paix avec l'Autriche serait conclue sur-le-champ et que dès lors Napoléon ne tarderait pas de suivre son plan contre la Prusse. Le pauvre M. de Haugwitz était dans la situation la plus pénible où se soit peut-être jamais trouvé un diplomate. Dans ses instructions tout avait été prévu, hormis ce qui était arrivé. Qui pouvait supposer que les forces russes et autrichiennes seraient écrasées simultanément en quelques heures, que ces cieux puissances rompraient d'elles-mêmes le lieu formé à Potsdam, que la Prusse compromise demeurerait seule face à face avec Napoléon victorieux ? Partir pour déclarer la guerre pendant que les armements se complètent derrière soi et revenir avec un traité d'alliance dicté par celui qui devait se rendre à merci, c'était, il faut l'avouer, un dénouement fort inattendu. M. de Haugwitz savait mieux que personne combien de fois la Prusse, malgré tous ses désirs, avait refusé le Hanovre au prix d'une alliance. D'autre part l'orgueil prussien surexcité allait-il consentir à la cession de provinces depuis longtemps incorporées à la Couronne ? Certes, sur ce point, la compensation était considérable, mais il n'en était pas moins évident qu'on subissait la loi du vainqueur. Cependant que faire ? Fallait-il par ce refus se lancer dans une aventure aussi périlleuse qu'une lutte avec la France ? Il est bien vrai que la guerre, au moment du départ de M. de Haugwitz, était regardée comme inéluctable, qu'elle était acclamée à Berlin par les militaires et la population ; mais c'était la guerre conjointement avec les armées autrichienne et russe et non pas la guerre de la Prusse seule contre Napoléon, contre son armée en pleine effervescence de gloire après de prodigieux succès. Obligé de mettre fin aux tergiversations qu'il s'efforçait de dissimuler, Haugwitz fit ce que lui commandaient la prudence, le bon sens, l'intérêt immédiat de sa patrie. Le motif, se dit-il, qui devait primer tout autre était de gagner du temps ; or il atteignait ce but puisque Napoléon s'était déclaré prêt, aussitôt que le traité serait signé, à envoyer un courrier aux généraux pour leur interdire toute hostilité. La Prusse obtenait donc un véritable répit. Et le Roi, en dernière analyse, ne restait-il pas maître de choisir entre la ratification du traité et la guerre ? Haugwitz signa donc le traité en présence de Napoléon et de Duroc, le 16 décembre 1805. C'était le jour même où Frédéric-Guillaume III avait promis à l'empereur Alexandre et à Par-chitine Antoine d'entrer effectivement en hostilités contre la France. L'ambassadeur prussien se hâta de reprendre le chemin de Berlin, n'ayant obtenu qu'un délai de trois semaines pour transmettre la ratification de son maître[33]. Recevant la copie du traité si prestement enlevé au plénipotentiaire prussien, Talleyrand félicita Napoléon en lui disant[34] : Les conséquences de ce traité seront immenses soit pour la paix, soit pour la guerre, et surtout pour la paix. C'était admirablement comprendre les intentions de l'Empereur qui avait voulu avoir les mains libres pour la guerre britannique, tout en conservant les meilleures chances de paix sur le continent. Du côté de l'Autriche, la tâche de notre ministre des Relations Extérieures fut singulièrement facilitée par la mise hors de cause de la Prusse et par l'affectation à divers États de certains territoires dont il ne pouvait plus être question dans les pourparlers. La prévision de l'Empereur se réalisa ; il avait écrit le 14 décembre à Talleyrand[35] : Sûr de la Prusse, l'Autriche en passera par où je voudrai. En effet tout ce qui était en suspens fut promptement réglé. Après avoir discuté d'abord à Nikolsbourg, en Moravie, dans les lignes françaises, les ministres accrédités s'étaient transportés à Vienne. Enfin ils se rendirent à Presbourg où furent arrêtées définitivement les conditions qui clôturaient la guerre entre l'Autriche et la France. Par ce traité qu'on a appelé la paix de Presbourg, l'Autriche perdait moins de trois millions d'habitants, exactement deux millions sept cent quatre-vingt-cinq mille, c'est-à-dire environ le dixième de sa population et de ses revenus. Elle donnait à la France une indemnité de cent millions, inférieure probablement à la dépense nécessitée par cette expédition. Au total l'Autriche, après sa troisième campagne malheureuse contre la France, conservait une puissance de vingt-cinq millions d'habitants, tin revenu de cent dix millions de florins et une armée de trois cent trente-cinq mille hommes. Mais ce qui importait le plus à Napoléon, c'est que, par le découpage et la répartition de certains districts, les communications de l'Autriche étaient barrées avec la Suisse et l'Italie. Ici reparaît la préoccupation capitale, pour ne pas dire unique de Napoléon : refouler le plus loin possible de ses frontières, mettre en quelque sorte sous une surveillance facile les agresseurs de la France, les membres des coalitions sans cesse renaissantes depuis 1792. La paix fut signée le 26 décembre 1805. L'échange des ratifications eut lieu cinq jours après. Aujourd'hui, premier jour de l'an, à midi, écrit Talleyrand à Napoléon[36], j'ai fait avec messieurs les plénipotentiaires autrichiens l'échange des ratifications. Ainsi l'œuvre de paix a été complétée, comme Votre Majesté avait paru désirer, ce jour où les Français rentrant dans le calendrier grégorien semblent commencer une ère nouvelle. Talleyrand se trompait ; ce n'était point les Français qui entraient dans une ère nouvelle, mais les Allemands. La France continuera de vivre sous le régime qu'elle connaît depuis cinq ans ; il n'y aura rien de changé pour elle, tandis que la paix de Presbourg est le coup de glas du Saint-Empire germanique et règle ses funérailles. Vieille de dix-huit cent cinquante-huit ans, cette institution qui datait du jour où César en avait jeté les premiers fondements à Pharsale, va s'écrouler en ruine, morceau par morceau. Bientôt les rois de Bavière et de Wurtemberg, créés par Napoléon à Presbourg, vont se détacher du corps germanique et seront suivis de Bade et de seize autres États ; le titre impérial du Saint-Empire aura d'avance été résigné par la maison de Habsbourg. Contraste singulier ! Napoléon, fils de la Révolution, sera eu France le reconstructeur de l'édifice social bouleversé, le restaurateur du gouvernement monarchique qui semblait disparu pour jamais. Il établira un code et un système administratif que les Bourbons, eu le détrônant, seront heureux de pouvoir conserver. A l'étranger, partout et principalement en Allemagne, il est le véritable instrument de la Révolution. Les armées ne semblent faire des trouées que pour ouvrir un passage aux souffles violents de liberté et d'émancipation humaine. Comme un chef de bandes révolutionnaires, il ne conquiert que pour détruire : régime féodal, glèbe, corvées, juridictions seigneuriales, iniquités subies par les misérables vilains, monopoles des grades supérieurs militaires et civils réservés jusqu'ici à la noblesse, tout va disparaître au rayonnement des couleurs du drapeau de la France. Ce fut la mission certaine de Napoléon de renverser en Allemagne et en Italie l'abominable système des petits princes, de réveiller l'esprit du peuple, de balayer les débris d'une féodalité épuisée et de laisser le champ libre au développement des formes nouvelles et meilleures de la vie publique[37]. M. de Haugwitz rentra à Berlin le 25 décembre 1805. Il y apportait le traité d'alliance franco-prussienne et de plus, pour Frédéric-Guillaume Ill, une lettre de Napoléon ainsi conçue : Monsieur mon frère, j'ai vu M. le comte de Haugwitz ; je l'ai longtemps entretenu de mes sentiments, de mes projets et de nies vues. Il a lu dans mon âme, il l'a vue à nu. C'était une situation si nouvelle pour mon cœur d'avoir eu à se plaindre de Votre Majesté, qu'il n'a pu se couvrir d'aucun artifice. Je désire fort que M. le comte de Haugwitz ne cache rien à Votre Majesté de tout ce que je lui ai dit ; et, si Elle a à se plaindre de quelque chose, je me flatte qu'Elle verra que si Elle avait été pour moi un simple personnage de politique, mon cœur n'eût pas été aussi sensiblement affecté. M. le comte de Haugwitz est porteur d'un traité où Votre Majesté jugera que rien n'a pu me faire oublier six ans d'amitié et surtout la preuve qu'Elle m'a donnée de l'intérêt qu'Elle me portait, ayant été la première à reconnaître ma dynastie. Il ne tiendra qu'à Votre Majesté que je sois constamment le même pour Elle. Si Elle veut, par la pensée, se placer exactement dans ma position et apprécier dans cette circonstance ce que j'ai fait pour l'amour d'Elle, Elle se convaincra de toute la vérité de mes sentiments. Un des plus grands bienfaits que je veux devoir aux succès que j'ai obtenus, c'est de reconnaître qu'ils m'ont mis au-dessus des préjugés ordinaires et dans le cas de ne consulter que mou cœur et cette tendre amitié que je lui ai vouée depuis longtemps. Il m'a été bien pénible de penser nui instant que nos ennemis communs me l'avaient fait perdre ; mais je sens aujourd'hui que, dans quelque situation que la politique place désormais nos couronnes, il n'appartient plus à moi de ne pas me livrer à un sentiment qui m'a constamment guidé dans tant de circonstances importantes[38]. Ainsi parlait l'homme qui venait d'indemniser, par un accroissement de puissance et de richesse considérable, ce Roi qui traîtreusement, petit à petit, avançait son armée pour lui porter le coup de grâce, lui faire perdre sa couronne, lui infliger le déshonneur d'avoir conduit sa patrie au démembrement, à la ruine. Si pour dénier la sincérité des sentiments élevés et rares, exprimés et mis en pratique par Napoléon, on veut prétendre que ses mobiles en la conclusion de cette affaire ont été d'ordre purement politique, nous n'en arriverons pas moins à cette constatation qu'il a su ne pas pousser à une guerre dont le résultat n'était pas douteux, alors qu'avec une armée merveilleusement entraînée par des succès inouïs, il pouvait tomber sur la Prusse démoralisée par les revers de ses alliés et niai préparée par une mobilisation mollement conduite. Cependant lorsque M. de Haugwitz, de retour à Berlin, donna lecture du traité de Schœnbrünn, il eut à essuyer des reproches violents de la part du Roi et de ses conseillers. Bien qu'on l'accusât d'avoir outrepassé ses instructions, il ne se troubla point ; il s'efforça de mettre en évidence la situation extraordinaire où il s'était trouvé au lendemain d'Austerlitz. Il avait la conviction d'avoir accompli son devoir de patriote et de serviteur fidèle du Roi. Il restait convaincu, malgré les récriminations de ses collègues, que nul autre à sa place n'eût mieux fait que lui ; et puis il s'empressait d'ajouter qu'on avait encore le choix entre l'alliance et la guerre ; que, si l'on voulait la guerre, rien n'était plus facile : il n'y avait qu'à refuser de sanctionner le traité. Par des motifs ignorés encore de M. de Haugwitz, le Conseil royal tomba tout de suite d'accord sur le principe du rejet de la convention. Ce refus de la Prusse est de prime abord des plus difficiles à comprendre. Comment une nation qui a encouru des châtiments terribles auxquels elle a échappé par la modération presque invraisemblable de celui qu'elle voulait abattre, comment cette nation peut-elle repousser dédaigneusement un traité qui lui épargne toutes représai.les et lui assure une augmentation de territoire et de revenus ? Les promoteurs du rejet mettaient en avant que l'amour-propre national ne supporterait pas qu'on lui dictât une loi alors que l'année n'avait pas brûlé une seule amorce ; ils alléguaient ensuite que le Roi et son peuple éprouveraient un trop grand déchirement de cœur à se séparer de sujets et de concitoyens depuis si longtemps attachés à la monarchie prussienne et qui devaient être cédés à la Bavière. Certes, voilà de nobles, d'irréfutables raisons. Étaient-elles sincères ? C'est douteux. On n'était pas assez naïf à Berlin pour ignorer les moyens propres à calmer facilement les susceptibilités d'amour-propre, si toutefois elles venaient à se faire jour autrement que sous l'excitation du parti de la Cour, et ce n'était pas selon toute apparence une besogne ardue que de présenter comme une victoire un arrangement qui en définitive était des plus profitables à la Couronne et qui réalisait un rêve caressé depuis longtemps par la politique prussienne. Quant aux regrets éventuels provenant du fuit de détacher de la mère-patrie des lambeaux de principautés, on pouvait s'en consoler par la pensée que la Prusse elle-même avait absorbé de nombreuses populations sans se soucier beaucoup du chagrin des annexés, ni du désespoir des princes dépossédés. Le gouvernement prussien n'avait enfin qu'à songer à la Pologne, aux traités de Bâle et de Lunéville, aux abus commis dans le partage des indemnités germaniques. N'omettons pas de dire que, par une objection plus spécieuse, la Prusse constatait qu'elle cédait ce qui lui appartenait en propre, tandis que Napoléon donnait simplement, disait-elle, cc qui était la propriété de l'Angleterre. Cette remarque eût été juste s'il s'était agi d'un échange de territoire discuté en pleine paix et motivé par les convenances réciproques de deux pays voisins et amis. Mais il n'en était point ainsi. La Prusse avait été virtuellement vaincue à Austerlitz avec ses alliés ; elle devait subir des pertes si telle était la volonté du vainqueur, et c'est bien de ce nom qu'il faut appeler Napoléon puisque la Prusse en réalité déposait les armes devant lui. On ne pouvait donc établir une comparaison entre ce qu'il prenait en vertu du droit de la guerre et ce que, sous sa responsabilité et sa garantie armée, il offrait sans y être obligé d'aucune manière. Au lieu de se retrancher derrière des arguments plus sonores que fondés, la Prusse avait à choisir entre trois façons de se montrer loyale en cette circonstance : 1° Considérer connue valable l'acte signé par M. de Haugwitz,
son plénipotentiaire ; 2° déchirer cet acte et continuer la guerre dont elle
était la collaboratrice ; enfin, puisqu'elle repliait ses troupes vers leurs
garnisons, comme le faisait du reste la Russie, la Prusse pouvait, eu
troisième lieu, tenir à la France le langage suivant : Je succombe avec mes alliés ; je ne puis seule soutenir
l'œuvre de la coalition à laquelle je m'étais dévouée. Je n'espère pas, moi
qui suis encore dans la période de mobilisation, vaincre là où ont échoué des
armées préparées depuis plus d'une année. Vous m'imposez une rançon de territoire,
soit, je ; mais je n'accepte point le Hanovre en échange ; je vous le laisse.
Vous l'occuperez si bon vous semble, ainsi que vous le faisiez avant la
campagne d'Autriche. Hormis ces trois points, tout dans la discussion prussienne n'était que confusion, renversement des rôles, prétexte de vaine chicane. La vérité qui, selon BOUS, ressort de l'étude des documents officiels, c'est que la Prusse s'est placée entre deux feux aussi dangereux l'un que l'autre. Qu'elle prenne le Hanovre ou qu'elle le refuse, elle s'expose également à la guerre, soit avec la France, soit peut-être avec le reste de l'Europe, en tout cas avec l'Angleterre. Voici par quelle fausse manœuvre elle s'était acculée à cette situation presque inextricable. Aussitôt après avoir expédié à Napoléon son projet de médiation, véritable ultimatum, et sans attendre des nouvelles de M. de Haugwitz son mandataire la Cour de Prusse, sûre de la défaite des Français, avait fait un pas énorme vers la coalition. Imprudemment zélée pour la cause des alliés, elle venait de garantir en quelque sorte à l'Angleterre la restitution du Hanovre. Elle avait déclaré et répété que, s'il le fallait, elle s'opposerait par la force à la rentrée des Français dans l'Électorat. Par cette déclaration elle entendait dépouiller ni plus ni moins la France d'une conquête faite il y avait trois ans bientôt, conquête qu'elle avait soutenue alors de son assentiment, voire de son concours puisqu'elle avait marqué elle-même, à travers ses provinces, la ligue d'étapes de la frontière française à la frontière hanovrienne. Et cette attitude déloyale prise par la Prusse à l'égard de la France est attestée par des pièces irrécusables et se précise par des dates certaines. Le 14 novembre 1805, une proclamation du roi d'Angleterre annonçait qu'en attendant les troupes russes, requises pour occuper l'Électorat, le roi de Prusse avait bien voulu prendre la ville de Hanovre sous sa protection ; que dorénavant le duc de Cambridge serait chargé de la direction des affaires militaires et le comte de Munster du gouvernement civil du pays[39]. Les paroles du roi d'Angleterre accusent nettement une entente avec la Cour de Berlin et d'ailleurs les papiers prussiens confirment suffisamment le langage britannique. Le 19 décembre, six jours avant que l'on sût quoi que ce frit du traité de Schœnbrünn, le premier ministre Hardenberg avertissait complaisamment lord Harrowby qu'un officier prussien se rendait au quartier général français afin de prévenir Napoléon que la Prusse regarderait la réoccupation du pays de Hanovre commue une mesure hostile contre elle. Ajoutons que l'Empereur n'eut pas à se demander ce qu'il avait à faire devant cette signification hautaine et pour ainsi dire agressive, elle n'arriva pas jusqu'à lui. L'officier qui en était chargé n'atteignit jamais sa destination, car il fut rencontré en route par M. de Haugwitz qui le ramena à Berlin[40]. Un dernier témoignage plus décisif encore se trouve dans le manifeste royal prussien publié au moment de la campagne de 1806. Il y est dit textuellement : A quelque prix que ce fut, la Prusse était résolue à ne pas permettre que les Français rentrassent dans le Hanovre[41]. Au moment où M. de Haugwitz rapportait le traité de Schœnbrünn, la Prusse, par l'invasion du Hanovre, venait donc d'en exproprier publiquement les Français. Comment Frédéric-Guillaume, si fortement engagé à Londres, allait-il pouvoir huit jours plus tard accepter l'Électorat des mains de Napoléon ? Les promesses faites parle cabinet de Berlin au gouvernement britannique étaient si récentes que les renier c'était tomber dans l'abjection, sans grande chance d'éviter les représailles anglaises. C'est sous l'empire de ces préoccupations que les conseillers de Frédéric-Guillaume s'évertuèrent à chercher les moyens de ne pas ratifier le traité de Schœnbrünn, en s'efforçant toutefois de ne pas s'attirer une déclaration de guerre de Napoléon. On résolut alors de présenter au cabinet des Tuileries une solution mixte : on proposerait de prendre le Hanovre en dépôt jusqu'à la pacification générale. Cela pouvait permettre de continuer à dire à l'Angleterre qu'on était le gardien provisoire de son domaine et de laisser croire d'autre part à Napoléon qu'on entrait dans ses vues, avec un peu moins de brusquerie seulement pour ne pas trop effrayer l'Europe. Enfin, de sophismes en sophismes, on en arriva à croire à Berlin que Napoléon, travaillé depuis de longues années par cette sorte d'obsession superstitieuse qui s'appelait l'alliance prussienne, se contenterait de tout ce qu'on lui offrirait pourvu que ces deux mots magiques figurassent dans le. traité. Partant de cette conception, ou affecta des allures de petite maitresse qui se donne, puis se reprend ; on décida, puisque Napoléon le désirait si vivement, de ratifier la convention mais en y annexant des articles additionnels qui en annulaient les clauses principales. C'est par cette combinaison qu'on espérait sauver l'honneur de la Prusse. Une fois cette décision arrêtée, on s'aperçut qu'on n'avait personne sous la main pour rouvrir la discussion avec le gouvernement français. Lucchesini, l'ambassadeur à Paris, était tombé en discrédit depuis quelque temps. Sans demander expressément son rappel, Talleyrand avait fait savoir à plusieurs reprises que l'Empereur verrait avec plaisir venir à Paris un vrai Prussien, M. de Knobelsdorff par exemple, en remplacement de M. de Lucchesini qui était Italien de naissance. Il ajoutait comme réflexion générale que les intérêts d'un État dans ses relations avec les autres États sont mieux entendus et mieux ménagés par ses sujets naturels que par des sujets adoptifs[42]. La Cour de Berlin ne pouvait donc songer à son ambassadeur actuel. Encore moins fallait-il compter sur le premier ministre Hardenberg. Celui-ci était disqualifié en tout et pour tout aux yeux de Napoléon. Les choses en étaient arrivées au point qu'il était impossible que son nom fût prononcé dans aucune communication faite au Cabinet des Tuileries. La querelle excessive qui eut lieu entre l'Empereur et ce ministre prussien eut une influence néfaste sur les relations entre les deux États. Elle est assez intimement liée aux événements qui vont suivre, pour que nous en rapportions ici les principaux incidents. Napoléon, ayant appris par les papiers publics et par diverses indiscrétions, le rôle que M. de Hardenberg avait joué dans les manœuvres hostiles de la Prusse, considérait, non sans raison du reste, ce ministre comme un des principaux artisans de la défection du gouvernement prussien. Il avait été saisi d'une fureur extrême lorsqu'il avait eu connaissance de l'ostracisme dont son ambassadeur avait été frappé pendant près de deux mois, et il ne pardonnait pas l'offense que le ministre d'État prussien avait faite à la dignité impériale en refusant à plusieurs reprises de recevoir M. Laforest. En outre il voyait une corrélation évidente entre la conduite anti-française de M. de Hardenberg et ses conférences journalières avec les émissaires anglais, autrichiens et russes qui encombraient les antichambres ministérielles à Berlin. Partant de ces faits, il prit contre Hardenberg des mesures violentes dont une au moins est regrettable car, se laissant entraîner dans un Bulletin de la Grande Armée à stigmatiser ce simple secrétaire d'État, il l'accusa de concussion avec les Anglais, sans preuves à l'appui d'ailleurs. Ce qui rendait l'injure plus pénible encore pour ce ministre, c'est qu'elle était précédée immédiatement du panégyrique de Haugwitz, son rival. Le trente-quatrième Bulletin à l'armée disait : Sa Majesté a reçu à Brünn M. de Haugwitz et a paru très satisfaite de tout ce que lui a dit ce plénipotentiaire, qu'elle a accueilli d'une manière d'autant plus distinguée qu'il s'est toujours défendu de la dépendance de l'Angleterre et que c'est à ses conseils qu'on doit attribuer la grande considération et la prospérité dont jouit la Prusse. On ne pourrait en dire autant d'un ministre qui, né en Hanovre, n'a pas été inaccessible à la pluie d'or. Mais toutes les intrigues ont été et sont impuissantes contre le bon esprit et la haute sagesse du roi de Prusse. Au reste la nation française ne dépend de personne, et cent cinquante mille ennemis de plus n'auraient fait autre chose que de rendre la guerre plus longue...[43] Comme conséquence de cette algarade, Napoléon faisait
prescrire à son ambassadeur à Berlin les ordres suivants : Vous direz à M. de Haugwitz que l'Empereur, en traitant
avec lui, a toujours supposé que M. de Hardenberg se retirerait ; que la
Prusse voulût ou ne voulût pas la guerre, M. de Hardenberg a insulté la
France. Le droit de faire la guerre appartient à chaque Couronne. La
puissance à qui on la fait n'est pas pour cela insultée ; mais il y a de la
lâcheté à refuser des audiences aux ministres d'un grand prince. Ni vous, ni
personne de votre légation, ni aucun Français ne devez avoir de communication
avec ce ministre qui s'est montré l'ennemi de la France. Vous ne devez pas
paraître avec lui, même en société, et s'il vous indiquait un rendez-vous, il
faudrait décliner sa proposition sous prétexte de maladie. Cependant vous
devez mettre dans votre conduite envers lui assez de circonspection et de
mesure pour que le Roi ne se croie pas obligé de lui être utile[44]. Napoléon n'eut
de cesse que M. de Hardenberg fût éloigné des affaires. Après le
rétablissement de l'accord entre la Prusse et la France, Talleyrand écrivit
encore à Laforest : Un des torts de la Cour de
Berlin qui n'est pas encore réparé, c'est celui d'avoir conservé en place M.
de Hardenberg qui, non content de s'être signalé parmi les ennemis de la
France, s'est conduit envers les ministres de Sa Majesté de la manière la
plus impardonnable et la plus odieuse. Aussi Sa Majesté espère-t-elle que le
roi de Prusse, en formant avec la France des liens étroits, sentira ce qu'il
doit à ces liens mêmes et à la dignité de son allié... L'acte de ratification ne doit pas être contresigné par M.
de Hardenberg sur le compte duquel vous ne pouvez parler avec trop d'amertume.
Vous êtes autorisé à dire que la confiance entre les deux gouvernements ne
saurait exister tant qu'il sera ministre[45]. On voit que Napoléon éprouvait plus de rancune d'une insulte à la dignité impériale dont il était revêtu que d'une offense personnelle. Cette susceptibilité aiguë, exagérée, qu'on n'eût sans doute pas rencontrée chez un autre monarque, s'explique aisément par la situation particulière de l'Empereur, discuté, si ce n'est vilipendé dans sa qualité de souverain par les Cours européennes. Comme tous ceux qui ont le besoin d'affermir une autorité nouvelle et qui peuvent douter encore de leur prestige personnel, il entendait être dans sa fonction impériale l'objet d'un respect élevé et universel. Toute infraction à cette exigence lui apparaissait comme un crime de lèse-majesté qu'il avait le devoir de réprimer avec la dernière sévérité. Napoléon, novice parmi les princes régnants, se conformait-il aux usages en prenant pour lui les injures faites à ses ministres ? A cette interrogation c'est M. de Hardenberg qui va lui-même, et à l'occasion du différend actuel, nous donner une réponse bien affirmative ; il écrivait à l'envoyé de Prusse à Paris : Comme la sortie hasardée et calomnieuse du trente-quatrième Bulletin coïncide avec l'ordre singulier donné à Laforest de ne pas traiter et même d'éviter tout commerce avec moi, la chose prend un caractère offensant pour le Roi et porte atteinte à la dignité de son service[46]. Le roi de Prusse résista assez longtemps aux objurgations qui lui venaient de Paris. Amateur invétéré des demi-mesures qui mécontentent tout le monde, il avait cru résoudre la difficulté en prenant cieux ministres d'État au lieu d'un : Hardenberg et Haugwitz ; celui-ci, pour figurer dans les affaires françaises, l'autre, dans les relations générales. Cette combinaison ne faisait pas le compte de l'Empereur ; ce qu'il voulait, c'était pour sa victime l'exclusion radicale des conseils du Roi. Il ne lâcha pas sa proie jusqu'à ce qu'il eût satisfaction complète ; il lui donna le coup de grâce le jour où le ministère anglais, s'étant aperçu de la duplicité prussienne et voulant la dénoncer à l'Europe, fit publier dans les gazettes britanniques la lettre par laquelle, le 22 décembre, M. de Hardenberg avait informé l'Angleterre que la Prusse s'opposerait par la force à la réoccupation du Hanovre par les troupes françaises. Ayant lu ce document qui remontait à trois mois et qui pour la première fois lui apportait la preuve indubitable de la trahison de la Prusse, Napoléon ne voulut point approfondir la question ni rechercher si la responsabilité n'en revenait peut-être pas au Roi lui-même. Il affecta de ne voir que le signataire de la lettre et donna bruyamment carrière à sa véhémente colère. Le polémiste virulent qui sommeillait toujours en lui se réveilla et écrivit dans le Moniteur du 21 mars 1806 : La note qu'on vient de lire a été
imprimée officiellement dans les journaux anglais. Est-elle véritable ?
Est-elle supposée ? C'est ce que M. de Hardenberg peut dire... M. de Hardenberg insulte au caractère du roi de Prusse eu
supposant qu'il n'ait signé le traité conclu à Vienne avant la paix de
Presbourg- que pour se donner les moyens de tromper. Cette pensée ne
déshonore uniquement que le ministre qui pense aussi bassement... Cependant il est sans exemple dans l'histoire des nations
qu'un gouvernement ait assez manqué de politique pour ménager si peu ses amis
et sacrifier, comme le fait l'Angleterre et d'une manière aussi éclatante,
des hommes qui ont trahi leur conscience et leur conviction pour le servir.
Voila M. de Hardenberg bien récompensé de s'être prostitué aux éternels
ennemis du Continent !... Après avoir lu une
pareille note, après l'avoir vue publiée dans tous les journaux anglais, il
n'est personne qui ne juge un homme plus complètement déshonoré en Europe que
M. de Hardenberg. Le nom prussien ne peut recevoir aucune atteinte puisque M.
de Hardenberg n'est point Prussien. Le militaire ne peut non plus s'en
affliger puisque M. de Hardenberg n'est point soldat ; s'il l'était, il
saurait que les soldats du grand Frédéric se battent pour soutenir les
principes de sa politique mais ne sont point traitres ni parjures[47]. Après le scandale de cette avanie, M. de Hardenberg ne pouvait rester ministre ; il supplia le Roi de le relever de ses fonctions, cc qui eut lieu le 5 avril. M. de Hardenberg ne demeura pas sous le coup qui lui avait été asséné par le Moniteur. Il eut a cœur de montrer qu'à Berlin on savait manier la plume du journaliste aussi bien qu'à Paris, et certes, dans sa réplique, il ne se montra pas inférieur à son illustre provocateur. Imprimée dans la Gazette de la Cour, sa réponse débute par l'affirmation de l'authenticité de la note publiée en Angleterre, puis, découvrant la personne du Roi, Hardenberg déclare que c'est par ordre de son maitre que la communication incriminée a été faite à lord Harrowby. Mais il se bide de démontrer qu'à la date du 22 décembre, on n'avait à la Cour aucune connaissance du traité signé le 15 par M. de Haugwitz. Relativement aux attaques du Moniteur il s'exprime en ces termes : Je m'honore de l'estime et de la confiance de mon souverain et de la nation prussienne. Je m'honore des sentiments des étrangers estimables avec lesquels j'ai été en relations, et c'est avec satisfaction que je compte aussi des Français parmi eux. Je ne suis pas né en Prusse mais je ne le cède eu patriotisme à aucun indigène et j'en ai obtenu les droits tant par mes services qu'en y transférant mon patrimoine et en y devenant propriétaire. Si je ne suis pas soldat je sens que je n'aurais pas été indigne de l'être, si le sort m'avait destiné à défendre, les armes à la main, mou souverain et ses droits, et la dignité, la sûreté et l'honneur de l'État[48]. Napoléon ne répondit rien ; il laissa tomber le dialogue, soit qu'il bornât sa satisfaction à la retraite de Hardenberg, soit plutôt qu'il jugeât que le silence était nécessaire après la révélation chi rôle du Roi cri cette affaire. C'était Frédéric-Guillaume III lui-même qu'il s'agissait maintenant de mettre en demeure de s'expliquer. Que pouvait-il en résulter, si ce n'est l'aveu de la défection odieuse de la Prusse ? Mieux valait ne pas remuer les eaux troubles de la Cour de Berlin sous peine de se voir dans la nécessité de lui déclarer la guerre. La démission de M. de Hardenberg ne fut qu'un simulacre. En même temps qu'on fermait à ce ministre la porte de la Chambre du Conseil, on lui ouvrait les petits appartements du palais. Nous le verrons bientôt président du comité où s'organisaient les intrigues de la Reine, les complots de la famille royale et de la Cour pour entrainer le Roi à tirer l'épée contre la France. Née de leur duel de plume, son inimitié personnelle contre Napoléon, jointe à des talents réels d'homme politique, fut un appoint considérable pour la faction qui ne rêvait que l'abaissement de la France. C'est au début de ce célèbre conflit entre Napoléon et Hardenberg que la Cour de Berlin cherchait un diplomate qui connût dans toutes leurs complications les affaires françaises et fût apte à reprendre sur de nouvelles bases les négociations qui avaient été closes par la convention de Schœnbrünn. M. de Lucchesini et M. de Hardenberg- étant aussi impossibles l'un que l'autre, on se vit dans la nécessité de faire appel, cette fois encore, à M. de Haugwitz. Ou lui exposa dans quelle impasse pleine d'embûches et de périls on se trouvait, attendu qu'on ne pouvait en aucune manière approuver la convention qu'il avait rapportée. Si gênante que fût pour lui sa position de signataire d'un acte qu'il devait maintenant déclarer inacceptable, Haugwitz n'hésita pas à se comporter en serviteur modèle de la Couronne. Le rôle de personnage indispensable, de sauveur unique, excitait sans doute son orgueil et, dans la crainte que ce rôle ne lui échappât, il se plut à faire parade des facilités toutes particulières qu'il aurait pour remplir la tâche qui lui était dévolue. Il alla jusqu'à proposer de se rendre lui-même à Paris où il ne redouterait nullement d'affronter derechef la discussion avec l'Empereur. Il se portait fort d'obtenir sans trop de peine que Napoléon revînt sur ses exigences. M. de Haugwitz, semble-t-il, avait pris un peu trop au sérieux les marques d'estime que l'Empereur lui avait témoignées naguère en le félicitant de ses talents diplomatiques. Il se croyait le don prestigieux de charnier le vainqueur de l'Europe et quand il parlait de Napoléon il ne craignait pas, dans sa vanité, de se flatter d'avoir cet homme dans sa poche. Et il ajoutait d'un air important : Soyez tranquille ; aussitôt que je l'aurai vu, tout s'arrangera. Je sais ce qu'il m'a dit à Vienne[49]. Cette superbe assurance réconfortait l'aine du Roi et de ses conseillers. On commença par revêtir de l'adhésion royale le traité de Schœnbrünn, puis on se mit à élaborer les articles additionnels qui allaient l'annuler. Les numéros 2 et 3 de ce travail complémentaire suffisent à montrer que le traité de Schœnbrunn était réduit à néant : Article additionnel 2. — L'acquisition de l'Électorat de Hanovre est pour le repos et la sûreté de la monarchie prussienne d'un prix que le Roi sent mieux tous les jours. Il accepte en conséquence la cession que Sa Majesté l'Empereur compte lui en faire. En attendant, le Roi prendra possession de l'Électorat et répondra à la France de la tranquillité du nord de l'Allemagne. Article additionnel 3. — Dès que la possession du Hanovre sera devenue propriété par les dispositions de la paix entre la France et l'Angleterre, le Roi cédera sur-le-champ à la Bavière, à un prince du Saint-Empire désigné par Sa Majesté l'empereur Napoléon, et à la France elle-même les trois objets stipulés dans les actes III, IV et V de la convention[50]. En outre, la cupidité ne perdant jamais ses droits en Prusse, on avait pensé qu'il n'en coûtait pas beaucoup plus de s'adjuger par la même occasion Brême et Hambourg. Le 3 janvier 1806, le Roi signait cet ouvrage étonnant, par lequel la Prusse — du consentement de la France — était mise immédiatement en jouissance du Hanovre, s'y installerait, y demeurerait, en toucherait les revenus, mais ne rétrocéderait rien du tout avant que la paix fût signée entre la France et l'Angleterre. Cette échéance, vague s'il eu fût, ne gênait nullement la Prusse et cela se comprend ; son intérêt était même d'employer tous les moyens pour la retarder le plus possible puisqu'en attendant elle gardait le Hanovre et eu plus les États qu'elle devait donner en échange. Il fallait qu'on fût doué à Berlin d'une candeur peu ordinaire, pour s'imaginer que Napoléon serait aveugle au point de ne pas voir l'audace d'une telle proposition émanant d'un État qui n'avait en réalité à son actif que son alliance de Potsdam avec les ennemis de la France. Avant de partir pour Paris, M. de Haugwitz se rendit chez M. Laforest pour lui remettre, selon l'usage, copie du nouveau traité qui ressemblait davantage à une fantaisie improvisée qu'à un protocole de chancellerie. L'interdit qui pesait depuis si longtemps sur notre ambassadeur avait été levé le 12 décembre, parce que le 11 était arrivée à Berlin la nouvelle du désastre d'Austerlitz. A cette occasion, la société berlinoise passa aux extrêmes du jour au lendemain. Au récit de la défaite produisant une stupeur générale succéda le bruit que la bataille avait été reprise par les Russes et l'on se releva plus orgueilleux que jamais. Toutefois les chants de victoire ne durèrent pas longtemps ; ils se turent quand vint la confirmation de la triste réalité[51]. Cet événement, terrible pour les Alliés, secoua l'indifférence que la mode de bon ton prescrivait à l'égard de nos compatriotes. M. Laforest n'eut plus besoin de chercher à s'infiltrer timidement dans les groupes des hauts personnages de la Cour pour y glaner des renseignements. C'est chez lui qu'on venait maintenant pour plaider les circonstances atténuantes en faveur du gouvernement prussien. Le secret du traité de Potsdam ayant été éventé par toute la presse européenne, ou pouvait en parler ; volontiers on attirait la conversation sur ce chapitre et l'on s'ingéniait à convaincre notre envoyé que c'était une simple peccadille ; pour un peu on l'eût persuadé que c'était la Russie qu'on avait voulu tromper à cette époque. L'affaire de Potsdam, lui disait-on, était une machination irrésistible par laquelle la convention avait été arrachée au Roi. Même en la signant et même dans la scène jouée sur le tombeau de Frédéric II, le Roi ne cessait de penser aux moyens d'échapper à l'oppression des Russes. — Jamais, affirmait un autre, le Roi n'avait pensé à se jeter dans un système opposé à celui que l'intérêt de la Prusse et de la France recommande. — Pensez-vous, insinuait un troisième, que depuis longtemps on n'aurait pu trouver des jointures par lesquelles on aurait porté des coups à la France, si le Roi n'avait pas toujours été de sa personne l'ami de Napoléon ?[52] Un peu tout le monde, sur un ton de badinage, convenait de l'influence féminine qui se faisait sentir et qui avait été inconnue sous le règne actuel jusqu'en ces derniers temps. La Russie, on en convenait, avait trouvé un puissant levier dans les affections passagères que son empereur avait su inspirer. Mais il n'y avait pas lieu de s'inquiéter de tout ce qui a été échafaudé sur des bases de ce genre ; cela aura bientôt disparu[53]. Il avait été convenu que les ratifications seraient échangées à Berlin avec notre ambassadeur ; M. de Haugwitz les lui présenta avec beaucoup d'innocence. C'est d'un ton fort dégagé qu'il parla des corrections demandées par le Roi : Que de choses, c'était facile à comprendre, paraissaient à Sa Majesté trop brièvement écrites ! Que de choses lui semblaient, de l'avis de tous ses conseillers, devoir être ajoutées pour former un ensemble cohérent ! Par exemple, dès que la France et la Prusse font en quelque sorte bourse commune et que les ressources de l'une deviennent les intérêts de l'autre, il tombe sous le sens que la nouvelle combinaison doit porter le Roi à demander à l'Empereur de lui faciliter l'acquisition de Brème et de Hambourg[54]. Notre ambassadeur, quoique doué de rares et grands mérites, se laissa gagner, c'est incontestable, par les brillantes qualités de persuasion qui distinguaient M. de Haugwitz. Il fut vertement réprimandé pour n'avoir pas opposé une fin de non-recevoir formelle à cette sorte de parodie du traité de Schœnbrünn. La plus grave discussion qui semble avoir eu lieu entre les deux diplomates fut sur les termes employés pour spécifier l'alliance franco-prussienne. En collationnant les textes, Laforest s'aperçut que les mots offensive et défensive étaient supprimés dans la nouvelle formule ; M. de Haugwitz, qui n'était pas à court d'arguments insidieux, s'évertua à démontrer que alliance sans qualificatif était beaucoup mieux ; que cette expression plus large embrassait tout et qu'il s'agissait au demeurant de ne pas dévoiler à la Russie le lien étroit qu'on nouait avec la France. Sur un traité définitif conclu en 1800 avec la Russie figurait la promesse de n'en faire avec personne autre. Dès lors, ajoutait sentencieusement Haugwitz, il allait de soi que la conscience scrupuleuse de la Prusse ne lui permettait pas d'écrire les mots offensif ou défensif sur n'importe quel acte. Converti ou non par cette dialectique peu solide, soucieux toutefois de ne pas prendre la responsabilité d'une rupture complète, M. Laforest, après bien des hésitations, consentit à recevoir, mais seulement ad referendum, ce que par antiphrase sans doute on appelait la ratification du traité. Cette réserve ne l'empêcha nullement d'être blâmé quand à Paris on eut connaissance de cet étrange document. L'Empereur n'étant pas encore rentré dans la capitale, M. de Haugwitz avait une quinzaine de jours pour faire les préparatifs de son voyage. Ayant prescrit pour son armée les dispositions conformes aux stipulations de la paix de Presbourg, Napoléon avait repris le chemin de la France et s'arrêta quelques jours à Munich afin d'assister à la célébration du mariage de son beau-fils, Eugène de Beauharnais, avec la fille du nouveau roi de Bavière. Ainsi se réalisait un des plus chers désirs de Napoléon : la fusion de sa famille avec celles des maisons régnantes d'Europe. Dans cet ordre d'idées, le début était un coup de maitre, car la Cour de Bavière faisait remonter ses prétentions nobiliaires au neuvième siècle. Acte de simple convenance politique, accepté aveuglément par le fiancé, consenti avec appréhension par la future et par ses parents, ce mariage cependant assura le bonheur parfait des deux époux. Sans exagération, on a pu dire d'eux que leur existence s'écoula dans une idylle de tous les jours. C'est un charme délicieux, quand on suit la vie de l'Empereur, de le voir, au sortir de la mêlée de la bataille et des luttes diplomatiques, se livrer tout entier aux soins tranquilles de la vie familiale. Nul plus que lui n'a montré de tendre sollicitude, d'exquise ingéniosité, ajoutons même de cordiale bonhomie, dans les préoccupations de l'avenir de tous ceux qui l'entouraient. Pour le fils de sa femme, il épuisa en cette circonstance solennelle tout ce que la puissance impériale pouvait mettre au service de son affection. Il fit d'Eugène son fils adoptif, il le proclama vice-roi d'Italie et héritier de ce royaume. Il ne fut pas moins zélé dans son rôle de père doublé de celui d'instigateur du mariage. Il voulut être averti, par un courrier, de l'arrivée du Prince, car il aurait cru manquer à son devoir s'il ne l'eût attendu au Palais[55] afin de lui épargner tout embarras au moment de faire les premiers pas à la Cour bavaroise. Selon la tendance habituelle des gens qui s'intéressent à mi mariage, il est fier de son œuvre, il vante la beauté de la fiancée ; à Joseph il écrit : La princesse est une très jolie personne ; il le répète à Berthier en ajoutant : Ce sera, j'espère, un joli couple. Cependant un doute lui reste, car il exprime le désir qu'on ne parle pas publiquement de ce mariage[56]. Il semble appréhender que le jeune homme se soit forgé un idéal en désaccord avec la réalité. Dans ce cas il conviendrait d'éviter le fâcheux effet d'une désillusion et le meilleur moyen aurait été assurément d'envoyer un portrait si cet objet n'eût pas été des plus difficiles à se procurer à cette époque où les artistes porcelainiers étaient presque les seuls à rehausser de figures connues les modèles de leur composition. L'Empereur se mit en quête et se contenta bravement d'une tasse décorée d'une miniature qui, tant bien que mal, pouvait donner une idée des attraits de la fiancée. Eugène partit de Milan pour Munich aussitôt après avoir reçu cette image fragile et le billet suivant[57] : J'ai arrangé votre mariage avec la princesse Auguste. Il a été publié. Ce matin, cette princesse m'a fait une visite et je l'ai entretenue fort longtemps. Elle est très jolie, vous trouverez ci-joint son portrait sur une tasse mais elle est beaucoup mieux. Désireux de connaître tout de suite les impressions d'Eugène, l'Empereur le prend au débotté. Tout en plaisantant sur l'entrevue qui va avoir lieu, il lui donne des conseils sur son attitude, lui trace ce qu'il aura à dire et à faire, l'examine sur toutes les coutures, le raille sur ses longues moustaches que finalement il lui fait abattre dans la crainte que son air trop martial n'effrayât la princesse Auguste[58]. Toute sa vie l'Empereur couvrit de son amour paternel Eugène et sa femme. Il n'est pas de père à l'âme attendrie et anxieuse, ayant pour unique aspiration le bien-être de ses enfants, qui puisse le disputer à Napoléon pour la vigilance affectueuse, les attentions délicates dont il entoura constamment le ménage de son fils adoptif et de la princesse Auguste. Le jour du mariage du prince Eugène de Beauharnais fut sans doute le moment le plus heureux de Joséphine. A Munich, où elle s'était rendue en passant par Stuttgart, elle voyait le bonheur et l'élévation de ce fils qui avait partagé avec elle la misère et les angoisses de la Terreur ; elle retrouvait son mari dans toute la gloire des prodigieux succès qu'il avait remportés sur la Coalition. Aussitôt les fêtes de la Cour terminées, l'Empereur et l'Impératrice partirent ensemble pour Paris. En incitant le pied sur le sol de cette France devenue invincible grâce à ses exploits, le triomphateur d'Austerlitz eut à subir le spectacle touchant, mais fastidieux, d'une mise en scène d'opéra pastoral ingénument composée en son honneur. Depuis le pont de Kehl jusqu'à Strasbourg les habitants s'étaient formés en groupes, par corps de métier. Ils avaient improvisé les costumes les plus variés et s'étaient munis d'accessoires et d'outils propres à leurs professions. Les tonneliers et les brasseurs vêtus de vestes bleues et de gilets blancs, coiffés de bonnets en velours, agitaient des cerceaux enrubannés en chantant et dansant autour du carrosse de Leurs Majestés. Les jardiniers vêtus de casimir vert avaient dressé une pyramide de fleurs haute de cinq mètres, autour de laquelle étaient placés avec leurs charrues, les agriculteurs fiers de leur costume national au large gilet rouge et au chapeau noir orné de larges bords. Plus loin, les bouchers en veste écarlate avaient amené un superbe taureau aux cornes dorées el les jeunes filles conduisaient des brebis immaculées. Les boulangers tout habillés de blanc avaient élevé une montagne de brioches festonnées de branches de laurier. Les serruriers et les maréchaux ferrants, avec leurs tabliers de cuir, les bras nus, forgeaient une couronne de laurier dans un immense fer à cheval. Enfin, les pêcheurs avaient tenu à montrer, garnie de verdure et de rubans, une nacelle dans laquelle nageaient deux grands brochets et une énorme carpe du Rhin[59]. L'Empereur dut s'arrêter deux jours à Strasbourg afin de satisfaire l'enthousiasme des populations accourues de tous les points de l'Alsace pour acclamer le héros de la merveilleuse campagne d'Autriche. Tout en s'efforçant de paraitre heureux et souriant, il avait l'esprit ailleurs qu'à ces fêtes bruyantes qui sont en quelque sorte la rançon de la victoire. Il avait hâte de rentrer à Paris, ou s'était déclarée une crise financière à laquelle il entendait mettre bon ordre en arrivant. C'est ainsi que par opposition aux arcs de triomphe chargés de trophées éclatants, aux bals resplendissants de lumières, aux illuminations étincelantes de Strasbourg, on put voir, le 26 janvier à onze heures du soir, une toute petite lueur à travers les rideaux des Tuileries. Elle éclairait le cabinet de l'Empereur qui, rentré incognito à neuf heures et demie à travers la ville noire et déserte, travaillait avec le ministre du Trésor public qu'il avait mandé sur-le-champ[60]. C'est à Vienne que Napoléon avait été instruit par son frère Joseph qu'un déficit — avoué alors de quatre-vingts millions, mais qui était eu réalité de cent quarante et un millions — avait été constaté dans le portefeuille du Trésor. En apprenant cette nouvelle, l'Empereur s'était écrié[61] : Si j'avais été battu, la Coalition n'avait pas d'allié plus puissant que le ministre du Trésor public. Pour comprendre l'état d'esprit de l'Empereur, ou doit se rendre compte de la valeur, il y a cent ans, des sommes dont il est question ici. Le déficit annoncé était presque égal il était en réalité supérieur — à l'indemnité de guerre exigée de l'Autriche après une campagne fort dispendieuse ; enfin cette première faute pouvait amener la découverte de beaucoup d'autres plus graves encore. Si l'on songe qu'il n'y eut peut-être jamais un homme plus pointilleux que Napoléon en matière de désordre ou de malversation dans les finances, on comprendra quels soucis le hantaient et avec quelle impatience il attendait l'heure de son retour à Paris. Il avait pressé de tout son pouvoir le dénouement des contestations politiques de Schœnbrünn, de Tienne et de Presbourg. Là, comme au milieu des tètes données à Munich et sur son parcours, il devait dissimuler l'inquiétude qu'il éprouvait et conserver l'air de l'homme satisfait sous tous rapports, nullement préoccupé des bruits qui couraient sur la mauvaise situation du Trésor. La dilapidation des finances de l'État avait eu lieu par l'incurie et l'excès de confiance du ministre M. de Barbé-Marbois. Celui-ci s'était laissé jouer par des faiseurs qui opéraient de connivence avec le fonctionnaire chargé du dépôt des titres. Chaque génération, chaque règne voit surgir trois ou quatre fortunes colossales, réalisées, comme en des miracles éblouissants, par des spéculateurs dont on soupçonnait à peine l'existence quelque temps auparavant. Ces hommes habiles, rehaussés par le prestige d'une admirable réussite, ne tardent pas à en imposer aux gens les plus méfiants. Les membres du gouvernement eux-mêmes en arrivent aisément à les croire doués de vertus magiques quand ils les voient réaliser des bénéfices fabuleux dans des combinaisons extraordinaires qui, en d'autres mains, sembleraient vouées d'avance à la stérilité et à la débâcle. Le protagoniste de l'entreprise sur le Trésor public était un richissime munitionnaire, J. Ouvrard. Obscur fournisseur des armées, mais servi par une conscience exempte de scrupules, il avait su sous le Directoire édifier une fortune énorme sur la ruine générale et la détresse de la patrie. Nul mieux que lui n'a connu les délices de la considération qui s'attache de tout temps à l'opulence bien ou mal acquise. Il a pu dire, en un jour d'orgueil, qu'il avait pour portiers trois ministres d'État[62]. Le fait n'était pas tout à fait dénué de vérité. Propriétaire du Raincy, ancien domaine du duc d'Orléans, Ouvrard y pratiquait une hospitalité somptueuse. Occupant lui-même le château sur la hauteur, il mettait à la disposition de ses invités des pavillons situés eu avant de sa demeure. Trois de ces résidences furent un moment habitées par Talleyrand, ministre des Relations Extérieures, Berthier, ministre de la Guerre, et Décrès, ministre de la Marine. Le ministre du Trésor public subit à son tour l'invincible attraction d'une magnificence qui réalisait les fictions orientales les plus chatoyantes. M. de Marbois, fort honnête homme — à la droiture duquel l'Empereur ne tarda pas à rendre justice — fut ensorcelé par Ouvrard et trois autres tripoteurs émérites. Ils l'avaient étourdi par leurs projets fantasmagoriques qui ne consistaient en rien moins qu'à affermer toute l'Espagne. Ce n'était selon eux qu'une affaire de temps. Ils faisaient grand étalage de toutes les pièces relatives à l'achat de ce monopole peu banal et ils apportaient la preuve positive qu'en attendant mieux ils avaient obtenu du ministère espagnol le privilège des fournitures d'alimentation de tous les objets nécessaires à la consommation du Mexique. C'est au moyeu du mirage des galions d'or existant réellement dans ce pays qu'ils captèrent la confiance du ministre français, qui avait besoin d'or pour le service des caisses publiques. Il s'était laissé tenter d'abord par une diminution de trois pour cent que cette société lui accordait sur l'escompte des bons du Trésor ; mais petit à petit les rôles s'intervertirent et ce furent les escompteurs de la veille qui empruntèrent à contre le dépôt de leurs valeurs mexicaines. Il faut rendre cette justice à M. de Barbé-Marbois qu'il avait vérifié minutieusement les titres des créances et les patentes de ces hardis spéculateurs. Il avait reconnu, ce qui était tout à fait vrai, à l'actif de ces financiers, la possession de grandes richesses et de grandes espérances de revenus situés au Mexique. Après cet examen, il leur ouvrit un crédit considérable et accepta leur papier de commerce tellement et si bien que le portefeuille se trouva un jour garni de traites espagnoles représentant un total de cent quarante millions payables en galions du Mexique, c'est-à-dire absolument irrécouvrables. Le ministre n'avait perdu de vue qu'une chose, cependant capitale en l'espèce, c'est que jamais les Anglais ne laisseraient passer, sans les confisquer, des vaisseaux espagnols ni français chargés de matières précieuses. Le ministre du Trésor public et ses complices furent appelés à comparaître devant l'Empereur, à huit heures du matin, le lendemain de son arrivée à Paris. Les banquiers étaient Ouvrard, Vanlerberghe et Després. Le commis du ministère, accusé d'avoir présenté au ministre de fausses situations du portefeuille et qui, dit-on, avait reçu un million pour ses services[63], se nommait Roger. La scène fut terrible. Il me semblait, rapporte Mollien[64], que la foudre tombait du plus haut du ciel sur des individus sans abri. Cet ouragan n'eut pas les dures conséquences que pouvaient redouter les coupables. L'Empereur n'ordonna aucune poursuite ; il exigea seulement, de la part des financiers, le versement au Trésor de tout ce qu'ils possédaient jusqu'à concurrence de quatre-vingt-sept millions de francs[65]. Il révoqua le commis aux finances qui rendit son million ; enfin M. de Marbois fut invité à prendre sa retraite[66]. Disons en passant que ce dernier fut bientôt relevé de sa disgrâce, car on le vit sénateur de l'Empire et président de la Cour des comptes[67]. Il serait ridicule de penser que l'Empereur s'était promis d'être indulgent envers les misérables qui avaient fait courir à la France le danger effroyable d'être sans ressources pour se défendre contre l'Europe coalisée. Comme tout autre, à sa place, qui aurait appris un pareil méfait, il était entré dans une fureur extrême. Durant le trajet de Vienne à Paris, il roulait dans sa tête les mesures les plus violentes, allant jusqu'à faire fusiller les criminels sans procès. Il en fait la confidence à son frère Joseph en même temps qu'il lui raconte l'épilogue de cet incident : Il m'a fallu, dit-il[68], beaucoup de temps pour arranger les affaires d'ici et pour faire rendre gorge à une douzaine de fripons à la tête desquels est Ouvrard, qui ont dupé Barbé-Marbois à peu près comme le cardinal de Rohan l'a été dans l'Affaire du Collier, avec cette différence qu'ici il ne s'agissait pas moins de quatre-vingt-dix millions. J'étais bien résolu à les faire fusiller sans procès. Grâce à Dieu, je suis remboursé. Cela n'a pas laissé que de me donner beaucoup d'humeur. Je vous dis cela pour vous faire voir combien les hommes sont coquins. Vous avez besoin de savoir cela, vous qui êtes à la tête d'une grande armée et bientôt d'une grande administration. Les malheurs de la France sont toujours venus de ces misérables. Les mesures relativement bénignes prises par l'Empereur peuvent surprendre car, en une telle conjoncture, c'eût été pour lui une belle occasion d'exercer cette rigueur dont il aurait été coutumier, au dire de ses biographes ordinaires. Eh bien, selon ceux qui, à l'instar de Mollien, ne furent pas des courtisans, ce tyran ne sévissait que le jour où la nécessité de gouverner lui en faisait un devoir. Dans le cas présent, il se croyait désintéressé par le remboursement de quatre-vingt-sept millions puisqu'on lui avait caché le surplus du déficit ; c'était pour lui l'essentiel ; et les idées vindicatives l'abandonnèrent aussitôt. La réflexion, l'étude plus approfondie de l'affaire lui montrèrent qu'il ne pourrait châtier Ouvrard et les autres sans frapper d'une punition exemplaire le parfait honnête homme qu'était Barbé-Marbois. Alors il se demanda s'il avait bien fait lui-même tout ce qui lui appartenait pour prévenir de tels malheurs ; si, par manque de surveillance, il ne lui incombait pas une part de responsabilité dans les exactions qui avaient été commises. Avec une loyauté assez rare il reconnut que la mauvaise organisation des services ne permettait pas un contrôle efficace et que par conséquent if y avait de sa t'ante personnelle. Cette pensée suffit à désarmer sa sévérité. Et, s'il avait agi de la sorte avant la campagne de 1805, ou supposerait qu'il le fit par crainte de discréditer plus qu'elles ne l'étaient les finances françaises. Mais eu vérité, au lendemain de ses triomphes, son gouvernement offrait assez de garanties pour le dispenser de scrupules de ce genre. On doit toutefois tenir compte de ce fait que, soit par nature, soit par appréhension des critiques de l'Europe, il était ennemi de tout scandale dans les affaires intérieures de l'État. Cette remarque ne serait pas encore pour renforcer les jugements défavorables qui ont été portés coutre lui. Après un conseil qui dura neuf heures, il nomma M. Mollien ministre du Trésor publie. Les jours suivants furent employés, sans désemparer, à perfectionner les rouages administratifs du ministère afin qu'aucun abus, si petit fût-il, ne pût dorénavant passer inaperçu. Les efforts de Napoléon et de son nouveau ministre du Trésor public ne furent pas infructueux ; le cours de la rente 5 pour 100, qui était à 56 francs au mois de mars, atteignit 73 francs à la fin de l'année[69]. C'est pendant que l'Empereur était aux prises avec ces préoccupations financières que M. de Haugwitz, envoyé par le roi de Prusse pour appuyer ses nouvelles revendications, arriva à Paris, le février. M. de Haugwitz, dans sa fatuité, ne doutait point de l'accueil empressé qui l'attendait et il se flattait probablement du plaisir que Napoléon aurait à le revoir. Il éprouva déjà un très vif désappointement quand il dut constater qu'il n'obtenait pas nue audience immédiate. Sou désenchantement perce dans les premières lignes qu'il écrit au Roi : Ce ne fut, dit-il, que le 3 février que je pus arriver à voir M. de Talleyrand. Il me reçut avec politesse mais avec peu d'empressement de rue faire obtenir une audience de l'Empereur. Cette froideur ne lui appartenait pas. Connue j'ai en lieu de m'eu convaincre par la suite, elle lui avait été prescrite[70]. Un avenir très rapproché allait compléter la désillusion de M. de Haugwitz. Le surlendemain, M. de Talleyrand remit au ministre,
prussien une note qui lui produisit l'effet d'un coup de massue. Le ministre des Relations Extérieures, disait cette
note, a reçu l'ordre exprès de Sa Majesté l'Empereur
de faire connaître à M. de Haugwitz. à la première entrevue, que par défaut
de ratification dans le temps prévu Sa Majesté ne saurait regarder le traité
conclu à Vienne comme existant ; que Sa Majesté ne reconnaitra à aucune
puissance et moins à la Prusse qu'à toute autre parce que l'expérience a
prouvé qu'il fallait parler clairement et salis détour, le droit de modifier
les différents articles d'un traité ; que ce n'est pas échanger des
ratifications que d'avoir deux textes différents d'un même traité et que
l'irrégularité parait encore plus grande si l'on considère les trois ou
quatre pages du mémoire ajoutées aux ratifications de la Prusse... Mais en même temps le soussigné est chargé d'ajouter que
Sa Majesté l'Empereur désire toujours que les différends survenus dans ces
dernières circonstances entre la France et la Prusse se terminent à l'amiable
et que l'ancienne amitié qui avait existé entre elles continue à subsister
comme par le passé. Sa Majesté désire même que le traité d'alliance offensif
et défensif, s'il est compatible avec les autres arrangements de la Prusse,
soit maintenue et assure les liaisons entre ces deux États[71]. Cette note,
l'Empereur avait recommandé de la rédiger nette et
sévère. On voit qu'il avait été servi à souhait. Toutefois, pour en
pallier l'effet, pour éviter par exemple que l'envoyé prussien ne repartît
sans explications, il avait dit à Talleyrand : Vous
ajouterez de vive voix tous les adoucissements, toutes les modifications, les
allusions qui puissent faire croire à M. de Haugwitz que cela est une suite
de mon caractère ; qu'on est piqué de la forme mais qu'au fond on est dans
les mêmes sentiments pour la Prusse[72]. Ces paroles n'avaient certainement d'autre but que de rendre moins sensible chez M. de Haugwitz le choc d'une cruelle déception. Napoléon ne voulait ni tromper, ni gagner du temps, car il était déterminé à donner dès le lendemain la preuve que ses dispositions pour la Prusse avaient varié considérablement depuis l'entrevue de Schœnbrünn. Donc, le lendemain qui était le 9 février, l'Empereur reçut en audience M. de Haugwitz. C'est à celui-ci que nous empruntons le détail de l'entretien. Son premier soin dans son rapport au Roi est de sauver son amour-propre. Il n'a pas oublié qu'il a donna Berlin l'assurance fort hasardeuse qu'il ferait de Napoléon cc qu'il voudrait ; aussi ne croit-il pas du tout dépasser les limites de la modestie, en mettant dans la bouche de l'Empereur des phrases comme celles-ci : Si un autre que moi avait négocié avec vous à Schœnbrunn j'aurais cru que vous l'aviez acheté. Mais, il faut bien que j'en convienne, le résultat n'a été dit qu'à vos talents et à votre mérite. Vous étiez à mes yeux le premier homme d'État de l'Europe et vous vous étiez couvert d'une gloire immortelle... D'où vient que vous, comte Haugwitz, qui êtes fait pour inspirer de la confiance à tout le monde, vous n'ayez pas celle de votre maître ?[73] Ces petits airs de flûte, que M. de Haugwitz notait avec tant de complaisance, exagéraient peut-être les flatteries de l'Empereur. Mais, sous la plume de l'ambassadeur, ils avaient pour objet de justifier sa vantardise et aussi de rappeler à Berlin combien on avait eu tort de ne pas accepter d'enthousiasme ses combinaisons géniales de Schœnbrünn. Aussitôt après les quelques compliments courtois dont on
peut laisser le bénéfice à M. de Haugwitz, et exprimés probablement pour
mieux préparer son auditeur à entendre la suite qui allait être beaucoup
Moins agréable, Napoléon entra dans le vif du sujet : Après la bataille d'Austerlitz, dit-il avec animation, je me trouvais dans la situation la plus favorable pour
vous faire la guerre avec succès et vous êtes parvenu à me faire faire en
faveur de la Prusse une chose à laquelle elle ne pouvait prétendre, même à la
suite d'une guerre dont tous les avantages eussent été pour elle... Je m'attendais à de la reconnaissance ; voyons ce qui
m'est revenu. Je n'ignore pas l'effet qu'a produit à Berlin votre traité, ni
le mal que vous avez eu pour amener le Roi à cette soi-disant ratification
qui n'en est pas une. M. de Hardenberg conserve toujours la direction des
affaires ; il est mieux que jamais dans l'esprit du Roi et, avec ce ministre,
le parti anglais lève la tête. N'a-t-on pas décommandé une soirée parce qu'on
était forcé d'y inviter mon ambassadeur et qu'on voulait épargner aux Russes
et aux ennemis de la France le chagrin de se rencontrer avec lui ? Personne à
Berlin ne s'est mépris sur le motif de la suppression de cette fête. Vos
gazettes sont remplies de sottises contre la France, principalement celle de
Bayreuth — cette feuille avait menacé tout récemment la France de l'arrivée
de deux cent mille Russes[74] —. Je croyais avoir mérité du Roi d'autres marques de confiance. M. de Haugwitz confesse qu'il resta muet tant que dura cette apostrophe courroucée. Elle touchait à sa fin lorsque M. de Talleyrand fit son entrée dans le cabinet de l'Empereur. Celui-ci réitéra alors sa volonté formelle de regarder le traité de Schœnbrünn comme nul ; il ajouta qu'il pourrait se considérer en état de guerre avec la Prusse, mais qu'il préférait cependant terminer à l'amiable avec elle. A cet effet on rétablirait toutes choses sur le pied où elles étaient avant que la guerre éclatât entre l'Autriche et la France, et telles qu'elles avaient duré trois ans, avant que s'évanouit le songe d'une alliance entre la France et la Prusse. Cette déclaration impliquait naturellement le maintien de l'occupation du Hanovre par les troupes françaises. Enfin M. de Haugwitz était invité à se concerter avec M. de Talleyrand sur les mesures à prendre pour se conformer à cette décision. D'un geste, l'Empereur avait déjà congédié M. de Haugwitz, lorsque celui-ci rompit le silence dans lequel il s'était maintenu. Il observa humblement que le retour à la situation ante bellum ne serait peut-être pas aussi facile qu'on le croyait parce que, se fiant à la validité de la ratification, la Prusse avait sans doute déjà, à l'heure où l'on parlait, pris possession du Hanovre. Sur ces mots eut lieu une nouvelle explosion de colère de Napoléon ; il s'éleva avec indignation contre ce procédé audacieux et vexant d'exécuter une convention mutilée, dénaturée, qui n'avait reçu en son nouvel état aucune sanction de l'autre partie contractante. Alors, s'écria-t-il, si les troupes du roi de Prusse ont occupé le Hanovre, les miennes s'empareront immédiatement à leur tour des pays d'Anspach, de Clèves et de Neuchâtel, et, si maintenant la Prusse veut conserver le Hanovre, elle sera obligée de payer cher cette acquisition. Bien autre eût été la colère de l'Empereur s'il avait su qu'avec une témérité inouïe la Prusse s'était hâtée de prévenir le gouvernement anglais que l'occupation de l'Électorat n'était que provisoire, un simple dépôt, disait M. de Hardenberg à M. Jackson[75], un simple dépôt dont Sa Majesté Prussienne voulait bien se charger jusqu'à la paix ; s'il avait su aussi que le duc de Brunswick était déjà parti pour porter à Saint-Pétersbourg les mènes assurances[76]. L'Empereur termina son discours en réitérant qu'il n'était plus disposé à faire aujourd'hui en faveur de la Prusse ce qu'il avait fait précédemment à Vienne. Il me renvoya à M. de Talleyrand, ajoute M. de Haugwitz[77], pour déterminer ce que nous croirions le plus convenable pour prévenir un éclat entre les deux puissances. Le gros mot avait été lâché ; pour des raisons actuelles ou qui ne s'étaient pas présentées à l'esprit de l'Empereur à Schœnbrünn, il ne voulait plus céder le Hanovre aux conditions primitives. D'où venait ce revirement complet de Napoléon ? Pourquoi ne pas maintenir intégralement le traité de Schœnbrünn et en exiger la ratification pure et simple au lieu d'élever des prétentions plus rigoureuses ? Pourquoi profiter d'une faute qui paraissait légère, en somme, auprès de ce qu'il avait absous ? Éprouvait-il donc réellement d'infernales jouissances dans l'abus de sa force ? Napoléon n'étant pas homme à se faire un jeu de la faiblesse de ses adversaires ni, quoi qu'on en pense, à faire jaillir pour sa satisfaction personnelle la guerre d'un incident futile, il convient de voir à quelles inspirations il obéissait en cette circonstance. Pour cela, nous devons chercher à établir dans quel état d'esprit il pouvait être aux deux époques différentes de ses contestations avec la Prusse, c'est-à-dire à Schœnbrünn et à Paris. A Schœnbrunn, ses intérêts se combinaient avec ses sentiments. Voici quels étaient ses intérêts : 1° n'avoir pas une nouvelle guerre, ce qui ne dénote pas, répétons-le en passant, un homme dont toutes les pensées seraient tournées vers les émotions des batailles ; 2° conclure au plus vite afin de mettre l'Autriche en face d'un traité avec la Prusse et afin de peser sur les plénipotentiaires autrichiens qui se montreraient plus coulants dès qu'ils sentiraient la France libérée de joute anxiété du côté de la Prusse ; 3° avoir dans son système, par le fait de l'alliance, un grand royaume comme la Prusse qui surveillerait la Russie et l'Autriche pendant qu'il combattrait l'Angleterre. Telle était la part de ses intérêts à Schœnbrünn ; voyons quelle était celle de ses sentiments. Ses désirs sont comblés par l'alliance tant souhaitée, si longtemps rêvée. Ses sympathies, fidèles depuis six ans à la Prusse, sa gratitude pour l'empressement qu'elle a mis à lui reconnaître la dignité impériale, s'affirment une fois de plus par la façon chevaleresque dont il pardonne à Frédéric-Guillaume la trahison de Potsdam, qu'à vrai dire il se figure moins grave qu'elle n'a été. Pouvait-il subsister quelque chose de ces sentiments amicaux lorsque M. de Haugwitz revient à Paris avec le traité de Schœnbrünn dénaturé, annulé en quelque sorte par la prétention d'en subordonner la validité à une date aussi indéterminée que la paix anglaise ? Assurément non. Enfin, et après tant de rebuffades, l'Empereur fait son deuil de l'alliance cordiale. Nulle illusion ne lui est plus possible, la Prusse n'ayant aucune raison plausible de refuser ses offres généreuses si ce n'est une répugnance invincible à faire cause commune avec lui. Elle ne pouvait en effet douter de sa sincérité puisqu'il insistait pour la rendre plus puissante en lui donnant le Hanovre qui valait, a dit un homme politique prussien[78], cinq fois par sa population et son étendue, mille fois par son importance relative, les pertes qu'elle aurait à consentir ; puisque par une vraie frontière, par les forteresses de Nieuburg, de Hammeln et par le Weser, il la constituait plus indépendante, plus inattaquable. — On ne fortifie cependant pas qui l'on se propose de combattre ! L'énigme du refus de la Prusse était apparue plus claire quand, mieux instruit à Paris qu'à Schœnbrunn, Napoléon eut connu l'importance des obligations contractées par le Roi avec les alliés, quand il eut la certitude que ce souverain avait contresigné le pacte des coalisés, le programme de l'Angleterre qui ne visait à rien moins qu'au démembrement de la France. Alors il avait compris pourquoi on lui apportait de pseudo-ratifications dans lesquelles on ne craignait pas de déposséder effrontément la France de sa conquête du Hanovre, en même temps qu'ou s'efforçait de ne rien insérer qui pût être désagréable aux Anglais. Ainsi se confirmait que tout, dans la conduite de Frédéric-Guillaume, de son entourage et de son cabinet, tout n'avait été qu'insultes, ruses et perfidies envers la France. A Paris donc, l'Empereur, désabusé après avoir essuyé tant de déceptions et de dédains, ne pouvait plus considérer que son intérêt, rien que son intérêt. Son intérêt primordial était que ne se reformât pas plus près de la France, à Berlin, sur les bords de la Sprée, le foyer d'intrigues coalitionnaires qu'il avait été obligé d'aller éteindre à Vienne, sur les bords du Danube. La démonstration était faite ; ou n'avait à Berlin de penchants, de ménagements, de complaisances que pour les Russes, pour les Anglais et pour tout ce qui était hostile à la France. Refuge des haines, des jalousies contre Napoléon, la Cour de Berlin, ce n'était pas douteux, deviendrait le centre des conjurations européennes si on lui laissait sa liberté d'action. Il n'y avait plus à balancer. En ce qui regardait la Prusse, c'était ou la guerre ou la soumission. Cette soumission, il la fallait immédiate et sans attendre qu'une nouvelle coalition se fût reformée. Donc la Prusse se déclarera pour ou contre lui. Napoléon ne réclame plus d'elle une amitié hors de saison. Elle se brouillera radicalement avec l'Angleterre ou avec la France. Il l'exige ; et tout d'abord il entend lui imposer l'obligation de prendre militairement possession de tout le Hanovre. Mais il faut qu'elle le reçoive des mains de la France et par un traité régulier, afin que l'Angleterre n'en ignore pas. Il fera beau voir maintenant contester à l'Empereur quelqu'un des pays conquis par lui ! La réponse est tonte prête. Est-ce que le Hanovre ne lui appartient pas aussi bien qu'auraient pu appartenir aux coalisés les provinces françaises dont ils disposaient si prématurément dans les articles secrets de leurs conventions ? Quand on est, comme la Prusse, signataire du traité de Potsdam, quand on a souscrit au dépècement de la France encore invaincue, de quel front oserait-on parler de scrupules et se permettre de demander à autrui s'il a le droit de transférer la propriété d'un territoire qu'il occupe depuis trois ans ? En outre il est bon que tout le monde apprenne ce qu'on gagne à être l'allié de la France et ce qu'on perd à la dédaigner. Cela constitue une des règles de la conduite de Napoléon.
Parlant de ses trois alliés dans la dernière guerre : le Wurtemberg, la
Bavière et le Bade, il s'exprime ainsi : La France a
un réel intérêt à ce que les trois seuls princes qui, depuis la Révolution, ont
franchement fait cause commune avec elle en soient amplement récompensés[79]. Afin de
consacrer une fois de plus ce principe, l'Empereur est déterminé à retrancher
du traité de Schœnbrunn ce que la Bavière devait rétrocéder à la Prusse. Il
ne trouve plus maintenant qu'il serait juste d'affaiblir en quoi que ce fût
un allié fidèle pour renforcer une puissance qui méprise l'amitié de la
France. Selon lui, la Prusse devra encore s'estimer heureuse en retirant de
l'aventure un accroissement de trois cent cinquante mille âmes. C'est donc
par la suppression de l'indemnité bavaroise dont aurait profité la Prusse que
les nouvelles conditions différaient de celles de Schœnbrünn. Ce plan était
arrêté dans l'esprit de l'Empereur quand il leva l'audience qu'il avait
accordée à M. de Haugwitz. Au sortir de cette audience, M. de Haugwitz se sentit Pâme envahie d'un sombre pressentiment. En attendant que M. de Talleyrand le convoquât pour lui notifier la résolution définitive de l'Empereur à l'égard de la Prusse, il cherchait à surmonter le chagrin de son insuccès personnel et son affliction de patriote. Il promenait sa tristesse dans Paris où il était l'objet d'une surveillance que l'Empereur lui-même jugea excessive : Je suis bien surpris, écrivait celui-ci au ministre de la police[80], que vous m'entreteniez de choses aussi ridicules sur M. de Haugwitz que de le faire dîner chez un restaurateur et de le faire aller au théâtre de la Montausier. Il ne faudrait pas mettre des choses aussi ridicules dans vos rapports. Le diplomate prussien avait peine à contenir le dépit de sa vanité blessée ; dans une lettre à son rival Hardenberg, il s'écriait : Pourquoi a-t-il fallu que je me rende ici ? Je ne vous accuse pas puisque finalement la chose dépendait de moi ; mais jamais, jamais vous ne concevrez cc que ce séjour me coûte ! De fait la fortune ne souriait pas à M. de Haugwitz. Toutes les occurrences défavorables semblaient se réunir pour rendre ses démarches plus infructueuses. Depuis quelque temps on savait à Paris qu'un bureau de propagande internationale en faveur de Louis XVIII avait été établi à Berlin. Le directeur de cette agence d'intrigues hostiles au gouvernement français était un nominé Fauche-Borel, ardent royaliste, jadis impliqué dans le procès Moreau et Pichegru et expulsé de France après une détention de dix-huit mois. Un soir, pendant que Haugwitz était à Paris, le maréchal Lefebvre apporta à Napoléon un exemplaire d'un appel par lequel le prétendant promettait à ses fidèles sujets le pardon et l'oubli pour le jour où il remonterait sur le trône. Ce factum avait été remis au maréchal par le simple intermédiaire de la poste. L'Empereur irrité appela tout de suite au palais Fouché, ministre de la police et Desmarest, chef de la division secrète. Aux vifs reproches dont ils furent l'objet, ces fonctionnaires répondirent qu'il leur avait été, impossible d'arrêter ces imprimés sous peine d'intercepter tous les courriers attendu qu'il en arrivait par toutes les malles et sous les enveloppes les plus variées. Cependant ils croyaient en avoir découvert l'expéditeur, car sur un grand nombre d'adresses ils avaient pu reconnaître l'écriture de Fauche-Borel. Et où est ce Fauche-Borel ? demanda Napoléon. — A Berlin, répondit Fouché. Cette déclaration n'était pas faite pour calmer les ressentiments de l'Empereur contre la politique berlinoise. Il donna l'ordre à Talleyrand de mander M. de Haugwitz et de lui montrer tout ce que ce nouvel indice ajouté à tant d'autres avait de contradictoire avec les assurances dévouées de la Prusse. Celle-ci n'avait cessé d'affirmer que, depuis sa prétendue ratification du traité de Schœnbrünn, elle s'était considérée comme l'alliée de la France. Et même ne disait-elle pas qu'elle avait désarmé uniquement en raison de sa confiance pleine et entière dans ce rapprochement intime ? Son plénipotentiaire, M. de Haugwitz, ne prodiguait-il pas hier encore les attestations les plus chaleureuses dans ce sens ? Comment expliquait-il alors qu'un conspirateur, signalé maintes fois au gouvernement prussien pour ses manœuvres coupables envers la France, pouvait encore trouver asile et protection i Berlin ? Fauche-Borel n'était pas en effet un personnage qui pût passer inaperçu dans cette ville. Il raconte lui-même que, depuis 1798, il était en correspondance avec la reine Louise ; que plus récemment, grâce à l'appui de de Hardenberg et de cette princesse, il avait fait imprimer chez Deker, imprimeur du Roi, des pamphlets contre Napoléon. Il précise plusieurs audiences secrètes qu'il eut avec la souveraine de la Prusse. 11 relate aussi des communications qu'il reçut d'elle à différentes époques de sa carrière d'émissaire de Louis XVIII. Le discours de Talleyrand fut des plus pénibles pour M. de Haugwitz qui, tout consterné, écrivit au Roi : Votre dignité, Sire, autant que vos intérêts exige que, par son arrestation, cet homme léger et turbulent soit mis hors d'état de retomber dans le crime de lèse-État[81]. Le cabinet de Berlin fit semblant de procéder à l'arrestation de Fauche-Borel, mais assez tardivement pour que celui-ci eût le temps de décamper, prévenu, dit-il[82], par la meilleure comme la plus belle des reines, qu'il courait le risque d'être enlevé. A cette première malchance vint s'en ajouter pour M. de Haugwitz une bien autrement sérieuse. Durant son séjour à Paris, il se produisit en Angleterre un événement considérable dont la nouvelle, quand elle parvint aux Tuileries, eut pour premier résultat non seulement de raffermir Napoléon dans ses exigences vis-à-vis de la Prusse, mais encore de l'engager à les surélever. Cet événement était la formation d'un nouveau ministère à Londres par suite de la mort de M. Pitt, l'homme qui avait juré à la Révolution d'abord, au général Bonaparte ensuite, une guerre perpétuelle jusqu'à l'extermination finale. Les successeurs de M. Pitt étaient, y compris leur chef, lord Grenville, en majorité des partisans de la guerre. Néanmoins se trouvait parmi eux M. Fox que l'on savait fort enclin à une solution pacifique. Ses penchants pour l'arrangement amiable des dissidences entre les deux pays s'étaient déjà affirmés en 1792, époque où il avait en vain offert à M. Pitt de se rendre en personne à Paris si ce ministre voulait lui donner le pouvoir de chercher à aplanir les difficultés et causes de plaintes[83]. En apprenant la présence de M. Fox au ministère des Affaires Étrangères, Napoléon en éprouva une grande joie et entrevit aussitôt la possibilité de conclure la paix avec le gouvernement britannique. Il était lié personnellement avec M. Fox, qui, sous prétexte de recherches pour une histoire de Marie Stuart, était venu à Paris aussitôt après la paix d'Amiens ; une sympathie réciproque n'avait pas tardé à s'établir entre lui et Napoléon. Celui-ci en a fixé le souvenir dans son Mémorial. M. Fox, pour ses travaux, dit-il[84], me fit demander à fouiller dans nos archives diplomatiques. J'ordonnai que tout fût mis à sa disposition. Je le recevais souvent ; la renommée m'avait entretenu de ses talents. Je reconnus bientôt en lui une belle ante, un bon cœur, des vues larges, généreuses, libérales, un ornement de l'humanité. Je l'aimais... Avec un tel homme je me serais toujours entendu, nous eussions été bientôt d'accord ; non seulement nous aurions eu la paix avec une nation foncièrement très estimable, mais encore nous aurions fait ensemble de très bonne besogne. Ces sentiments, qui avaient pris racine dans le cœur de Napoléon trois ans avant que M. Fox entrât dans le ministère, devaient certainement faciliter les relations entre les deux nations rivales. La place choisie par M. Fox aux Affaires Étrangères pouvait passer pour l'indication d'une autre orientation de la politique continentale de l'Angleterre et l'Empereur fut dès lors influencé dans ses intentions envers la Prusse par la perspective d'une amélioration des rapports de la France avec le Cabinet britannique. Il écrivait à Talleyrand le 14 février[85] : Mon opinion est que si véritablement M. Fox est à la tête des Affaires Étrangères d'Angleterre, nous ne pouvons céder le Hanovre à la Prusse que par suite d'un grand système, tel qu'il puisse nous garantir de la crainte d'une continuation d'hostilités. Quel était ce nouveau et grand système dont le Hanovre devenait maintenant la clef ? Comment l'affectation de ce pays à la Prusse pouvait-elle garantir la France d'une continuation d'hostilités ? Pour pénétrer la pensée de l'Empereur — pensée évidemment sincère puisqu'elle n'est formulée qu'à l'usage de son ministre — il faut s'attacher à la situation de l'Angleterre. A Londres, les collègues de M. Fox seront rebelles à ses conseils pacifiques tant qu'ils sentiront en Europe un point d'appui qui ne peut plus exister qu'en Prusse, maintenant que l'Autriche et la Russie ont été mises hors de cause à Austerlitz. Il importe donc que la défection de la Cour de Berlin à l'égard du Cabinet britannique soit rendue éclatante par un traité effectif, public, immédiatement suivi d'actes hostiles dictés à la Prusse par la France, et dirigés contre l'Angleterre. Convaincus de leur isolement, les partisans de la guerre prêteront sans doute une oreille plus attentive aux exhortations de Fox. On pouvait faire à Paris cette supposition et la suite prouvera qu'elle était parfaitement justifiée. Décidé à tenter cette expérience, l'Empereur se concerta avec Talleyrand, et M. de Haugwitz fut appelé à choisir entre les deux propositions suivantes : 1° remettre toutes choses en l'état, comme avant la campagne de 1805 ; 2° signer à Paris un traité phis onéreux que celui de Schœnbrunn. L'envoyé prussien élimina sur-le-champ la première proposition qui, selon nous, était de la part de Napoléon plutôt une sorte de défi qu'une offre sérieuse. L'Empereur devait parfaitement concevoir que la Prusse, étant déjà dans le Hanovre, ne consentirait pas facilement à Licher sa proie et ne ramènerait pas honteusement ses soldats les mains vides. Il devait également sentir ce que M. de Haugwitz exprimait dans sa correspondance par cette formule : Qu'avons-nous à gagner à voir le Hanovre dévolu à bref délai à un prince français, à Murat par exemple dont on prononce déjà le nom ? Par conséquent la première des deux propositions soumises à M. de Haugwitz, celle qui comportait l'abandon du Hanovre se trouvait virtuellement écartée. Restait la seconde proposition qui prévoyait une cession tant à la Bavière qu'à la France de trois cent quatre-vingt-dix mille sujets en échange du Hanovre dont la population se montait à un million. Très exactement, la Prusse gagnait six cent dix mille habitants. Mais, en dehors de ce qu'elle donnait et de ce que ses préférences fort naturelles eussent désiré garder, il y avait au traité une obligation plus lourde à remplir : il fallait qu'immédiatement le gouvernement prussien fermât au pavillon britannique les fleuves de la mer du Nord, c'est-à-dire qu'il trahit les belles assurances de dévouement qu'il avait données aux Anglais alors qu'il cherchait à duper la France. D'une main de fer l'Empereur contraignait la Prusse à subir devant l'Europe la honte de sa déloyauté, car l'obstruction fluviale équivalait à une déclaration de guerre à l'Angleterre. C'était précisément ce que voulait Napoléon. Autant qu'il est en notre pouvoir, nous nous efforçons d'exposer ce grand débat sous toutes ses faces et de n'en laisser aucune partie dans l'ombre. Plusieurs historiens, les uns allemands, les autres français, ont voulu insinuer que l'Empereur s'était montré autoritaire, implacable, parce qu'il savait que la Prusse avait contremande ses armements. On a été plus loin, ou a cherché à poser le Roi eu victime de son entière confiance et pour soutenir cette thèse, on a en recours à l'argumentation suivante : du moment que le cabinet des Tuileries avait consenti à recevoir M. de Haugwitz, c'est qu'il acceptait les modifications qui plaisaient à la Prusse ; dès lors celle-ci, croyant toutes choses arrangées, avait ordonné la retraite de ses troupes. Oui, la Prusse avait commencé son désarmement, mais ce n'était nullement parce qu'elle avait mis une parcelle de sa confiance en l'Empereur ; c'était au contraire pour mieux le tromper. Ce n'est nullement le retour de M. de Haugwitz à Berlin qui a fait décider la dislocation des armées prussiennes. La marche en arrière a commencé dès que fut connue à Berlin la bataille d'Austerlitz, exactement le 11 décembre au soir[86]. A cette date, le ministre Hardenberg, dans une lettre affolée, écrivait au Roi : Vos armées, Sire, ne peuvent atteindre les frontières de Bohème avant que Votre Majesté ne puisse les arrêter dans leur marche...[87] Et, deux jours après, notre ambassadeur, M. Laforest, mentionne dans sa dépêche que les troupes prussiennes en marche ont reçu l'ordre de s'arrêter...[88] Ces prescriptions étaient le résultat d'une clairvoyance fort avisée. Quel était le thème essentiel de la Prusse pour dissimuler son ingérence dans la coalition ? C'était le prétexte d'unie médiation équitable entre les belligérants. Impossible, sans se compromettre gravement, de ne pas donner cette explication de la marche des armées prussiennes. Or, ainsi que dans le récit célèbre, le combat avait cessé faute de combattants. Par conséquent, plus de prétexte à intervention. Il ne restait qu'à faire demi-tour. Toute autre mesure que la rentrée immédiate dans les garnisons de l'intérieur n'aurait pu être interprétée que comme une menace ou comme le prélude d'hostilités. C'est donc à juste raison, et parce qu'il n'y avait guère moyen de faire différemment, que la reculade des troupes prussiennes s'était effectuée le 13 décembre, deux jours avant que fût signé le traité de Schœnbrünn, trois semaines avant qu'il fût rectifié par le Roi. Reste à juger si lorsque toutes choses sont remises en question, lorsqu'on lui rapporte à corrections un traité qu'il suffisait de garder pour le rendre valable, Napoléon, désabusé des espérances fondées par lui sur la Cour de Berlin, devait sacrifier les intérêts de la France parce que la Prusse s'était affaiblie uniquement pour se conformer à la logique de ses mensonges. Cette interrogation peut à notre avis se passer de réponse. Et même, si le roi de Prusse s'était formé des chimères, même s'il avait fait une bévue, quel eût été pour la France le motif de ne pas en tirer le plus grand avantage ? Enfin, toujours à propos de la conclusion du traité de Paris avec la Prusse, nous croyons devoir relater l'opinion de l'éminent historien du Consulat et l'Empire. Il est persuadé que Napoléon, arrêté d'abord à l'idée de replacer les choses sur l'ancien pied, se serait laissé fléchir par M. de Haugwitz. Ce diplomate, avec tout l'art dont il était doué, et cet art était grand, dit M. Thiers[89], se peignit si bien comme l'homme qui luttait seul à Berlin pour ramener la Prusse à la France, et comme ayant droit, à ce titre, d'être aidé par la bienveillance de Napoléon, que ce dernier céda et consentit malheureusement à renouer le traité de Schœnbrünn. Il nous paraît impossible d'adopter cette manière de voir. Si peu rebelle que nous soyons ici à reconnaitre les sentiments de bonté de l'Empereur, surtout quand ils sont mis en relief par une plume autorisée, nous ne pensons pas qu'il était de caractère à faire plier par pure amabilité les intérêts majeurs et complexes dont il avait la charge en cette circonstance. Tenons-nous à croire qu'il n'agissait que par souci de la sécurité de la France. Son estime pour M. de Haugwitz ne fut d'aucun poids dans ses décisions et, si ce diplomate écarta sans discussion l'offre de remettre les choses sur le pied du statu quo ante bellum, c'est vraisemblablement, nous l'avons dit, parce qu'il avait des ordres positifs de ne renoncer à aucun prix à l'Électorat du Hanovre. C'est peut-être bien ce dont Napoléon s'était aperçu dès son premier entretien avec l'ambassadeur prussien, et ce qui l'avait enhardi à se montrer partisan d'une combinaison qui restituerait à chacun sa position du commencement de l'année 1805. On pourra dire qu'imposer un traité excessif à une puissance, c'est simplement retarder la guerre ; que la Prusse contrainte de signer aujourd'hui armera demain, emploiera tous ses efforts à venger sa dignité froissée. Cette objection, très juste en soi, n'est cependant pas applicable aux situations respectives des deux parties actuellement en présence. D'abord la Prusse avait un moyen bien simple de ne pas subir de vexations de la France, c'était de rentrer franchement dans la ligue droite en abandonnant le Hanovre, fût-ce au risque d'irriter l'Angleterre qui se serait vue nettement isolée en Europe ; c'était d'adopter la proposition — sincère ou non — du statu quo ante bellum. Et si Napoléon avait néanmoins soulevé d'autres chicanes, la duplicité aurait été alors, et de façon indéniable, entièrement à sa charge. Cependant tout le passé autorise à croire que, si la Prusse était venue à résipiscence avec sincérité et surtout avec quelque amabilité, Napoléon ne lui dit refusé aucune des garanties qu'elle aurait désirées, car ou ne doit pas perdre de vue qu'il n'avait qu'un but : la paix générale pour laquelle rien ne lui eût conté. Et ses préférences tant de fois affirmées auraient été, ce n'est pas douteux, d'y parvenir au moyen d'un accord public, cordial avec la Cour de Berlin. Mais ce n'était plus pour lui l'heure de faire des avances et tous les procédés étaient bons, à ses yeux, pour amener l'Angleterre à négocier et à conclure la paix. S'il y réussissait, les guerres seraient finies eu Europe puisque le trésor britannique avait été de tout temps l'aliment indispensable des coalitions. Au surplus qui oserait lever la tête devant l'union des formidables forces maritimes anglaises et des armées invincibles de la France ? Enfin le congrès où se résoudraient toutes les questions pendantes, ce congrès tant de fois préconisé par Napoléon, restait toujours dans ses calculs. Alors que pouvaient peser, en regard de ce grand but, les récriminations ou les rancunes passagères d'une nation comme la Prusse qui n'avait droit à aucune espèce de ménagements ? Loin d'avoir été aussi satisfait que le croit M. Thiers, M. de Haugwitz était accablé de chagrin. Il a écrit lui-même que, le 15 février, le jour où il a signé, il n'y avait pas de milieu, les esprits s'exaspéraient ; chaque matin, Napoléon se montrait de plus en plus difficile ; il fallait en passer par là, car demain on aurait refusé ce qui avait été accordé aujourd'hui. Quand M. de Haugwitz adresse au Roi le texte de la convention, il y joint une lettre qui est une longue lamentation de désespoir. Cependant il s'efforce de consoler son souverain en faisant remarquer que finalement la guerre était évitée ; que la couronne augmentait ses États ; que tout était préférable à la perspective de voir le Hanovre devenir propriété française où serait installé nu membre de la famille impériale. En outre, sachant que ceci ne manquera pas d'être agréable à Frédéric-Guillaume, il lui fait soigneusement observer que les mots offensive et défensive ont été omis après alliance. Est-ce inadvertance ou dédain de la part de l'Empereur ? Nous pencherions pour la seconde hypothèse attendu qu'il est difficile d'admettre un oubli semblable. M. de Haugwitz, en terminant, insiste particulièrement sur l'importance qu'il y aurait à déraciner le soupçon qui règne à Paris où l'on y est convaincu que le Roi a toujours éprouvé une extrême répugnance à s'allier avec le gouvernement français . Il faut que dorénavant rien ne porte ombrage au Cabinet des Tuileries, et que la plus grande souplesse se fasse sentir dans les relations journalières. Il sera bon aussi de se conformer en la circonstance actuelle à l'usage de faire des cadeaux aux chancelleries après les ratifications d'un traité. Le plénipotentiaire prussien prend même le soin de spécifier en quoi doivent consister ces libéralités : pour Talleyrand, en plus d'un beau présent en espèces, un crachat en diamants de l'Ordre que le Roi lui a conféré ; pour le général Duroc, un beau solitaire ; pour le premier commis, une somme convenable, et mille louis pour la chancellerie[90]. Soit qu'il ne voulût pas affronter une seconde fois les imprécations qui l'avaient accueilli à son retour de Schœnbrünn, soit qu'il préférât rester à Paris pour surveiller de près son œuvre et avoir la certitude qu'il n'y aurait plus d'à-coups, M. de Haugwitz fit partir M. de Lucchesini pour Berlin avec mission d'en rapporter la ratification royale. Tous les détails que M. de Haugwitz n'avait pu écrire, Lucchesini les raconta. La stupeur s'empara du Roi et de ses conseillers. Si humiliant qu'il fût de s'assujettir aux volontés de Napoléon, on ne pouvait éviter de se parjurer vis-à-vis de l'Angleterre ; il fallait se résigner. Tous, effarés, consternés, se déclarèrent pour la ratification du traité de Paris. Il est parfaitement inutile de chercher dans les délibérations des conseils quelle était la pensée du Roi quand il signa la convention. Il l'a révélée clairement dans son manifeste à l'Europe, le jour où, en 1806, il a déclaré la guerre à la France : La guerre, dit-il, qui n'est pas toujours la plus grande des calamités, pouvait le devenir dans les circonstances où l'on se trouvait. Le Roi résolut de ne pas sortir encore de son rôle pacifique. Voulant conserver intacte pour une époque facile à prévoir la masse de ses forces dont l'Europe avait le plus grand besoin et assurer au moins pour l'instant le repos du Nord, il ratifia le nouveau traité[91]. Au premier moment, l'Angleterre ne vit pas la conduite du Roi de Prusse sous ce jour favorable. Dès que les fleuves du Nord eurent été fermés à son pavillon, le gouvernement britannique unit l'embargo sur tous les bâtiments prussiens qui se trouvaient dans les ports d'Angleterre. A la Chambre des Communes, la Cour de Berlin fut outragée en tenues d'une violence que Napoléon n'atteignit jamais dans ses plus grandes fureurs. La conduite de la Prusse, s'écriait-on, réunit ce que la rapacité a d'odieux avec tout ce qu'il y a de méprisable dans la servilité[92]. La Russie, de son côté, accusait la Prusse de s'être réservé l'emploi des forces alliées jusqu'à la fin et de s'être servie de leur présence pour transiger avec la France, à son propre avantage et à leur détriment[93]. Tel était le résultat des vacillations, des rétractations constantes de la Prusse que personne ne voulait plus croire en rien. Malgré les avis qu'elle donnera bientôt à Londres que ses dispositions prises à l'égard des fleuves resteront comminatoires et ne seront jamais effectives, l'es journaux anglais n'en continueront pas moins à prêcher la défiance. Ils font remarquer qu'il doit exister des arrangements secrets entre Frédéric-Guillaume et Napoléon, attendu que les territoires cédés par la Prusse représentent à peine le cinquième de celui qu'elle reçoit. Son malheur en cette occasion lui venait directement de la générosité de son ennemi. |
[1] Mémoires du prince Czartoryski, I, 401.
[2] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, II ; Autriche, 481-483.
[3] Archives royales prussiennes, etc., II, 428.
[4] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, IX, 502. (Proclamation de l'empereur d'Autriche en date du 13 novembre 1505.)
[5] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237.
[6] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237.
[7] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237. (Ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.)
[8] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237. (Ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.)
[9] Archives du ministère des Affaires Etrangères, Prusse, 237.
[10] P. BERTRAND, Lettres inédites de Talleyrand, p. 207.
[11] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Correspondance de Talleyrand avec Hauterive, 1er décembre 1803.)
[12] RANKE, Hardenbergs
eigenhändige Memoiren, II, 314.
[13] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237. (Ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.)
[14] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, IX, 75-76. (Manuscrit du chevalier de Gentz.)
[15] RANKE, Hardenbergs
eigenhändige Memoiren, V, 185-186.
[16] RANKE, Hardenbergs eigenhändige
Memoiren, II, 349-350.
[17] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 501.
[18] ARNIM, Vertraute Geschichte, IV, 21.
[19] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237. (Ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.) Sur la présence et le rôle des étrangers à Berlin, voir RANKE, II, 353, et III, 198, et les rapports du prince de Metternich au comte Culloredo (novembre 1805).
[20] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Talleyrand à Hauterive, 27 novembre 1805.)
[21] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 430.
[22] Archives royales prussiennes, etc., II, 412.
[23] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 440.
[24] ARNIM, Vertraute Geschichte, IV, 277 ; Galerie des caractères prussiens, 220 ; P. BERTRAND, Lettres inédites de Talleyrand, 205.
[25] BIGNON, V, 12.
[26] P. BERTRAND, Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, p. 216.
[27] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 474.
[28] Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, p. 217.
[29] Mémoires d'un homme d'État, IX, 43.
[30] Mémorial de Sainte-Hélène, II, 35-36.
[31] LOMBARD, Matériaux, etc., 131.
[32] HIMLY, Formation de l'Europe contemporaine, II, 95.
[33] Pour tout ce qui concerne les missions de M. de Haugwitz près de Napoléon, voir RANKE, Hardenbergs eigenhändige Memoiren, principalement le tome V : rapports et mémoires au roi de Prusse, signés de M. de Haugwitz ; ses confidences avant Iéna au chevalier de Gentz, dans GARDEN, X, 63 et suivantes.
[34] Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, p. 224.
[35] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 478.
[36] Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, p. 230.
[37] James BRYCE, le Saint-Empire romain germanique, p. 472 ; Supplément aux Mémoires du duc de Gaëte, p. 89 et suivantes.
[38] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 482.
[39] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, IX, 73.
[40] RANKE, Hardenbergs
eigenhändige Memoiren, 385 ; GARDEN, IX, 78.
[41] Frédéric SCHOELL, Recueil de pièces, VII, 418.
[42] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237.
[43] Trente-quatrième Bulletin de la Grande Armée.
[44] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237.
[45] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237.
[46] Archives royales prussiennes, etc., II, 438.
[47] Moniteur du 21 mars.
[48] Gazette de la Cour, Berlin, 8 avril 1806 ; comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, IX, 77.
[49] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, X, 111.
[50] RANKE, Hardenbergs
eigenhändige Memoiren, II, 394.
[51] RANKE, Hardenbergs
eigenhändige Memoiren, II, 359.
[52] Archives du Ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 237.
[53] Archives du Ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 238. (Ce passage ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.)
[54] Archives du ministère des Affaires Etrangères, Prusse, 238. (Ce passage ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.)
[55] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 521.
[56] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 519-520.
[57] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 520.
[58] Mémoires du prince Eugène, II, 29.
[59] Relations des figes données par la ville de Strasbourg Leurs Majestés Impériales et Royales, les 22 et 23 janvier 1806, à leur retour d'Allemagne.
[60] Le Publiciste du 28 janvier 1806.
[61] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 496.
[62] Mémoires de Constant, III, 48. Édition de Bruxelles.
[63] MOLLIEN, Mémoires d'un ministre du Trésor public, I, 335.
[64] MOLLIEN, Mémoires d'un ministre du Trésor public, I, 336.
[65] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 15.
[66] MOLLIEN, I, 437.
[67] Souvenirs de Méneval, p. 142.
[68] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 20.
[69] THIBAUDEAU, V, 159.
[70] RANKE, Hardenbergs eigenhändige Memoiren, II, 463.
[71] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 4.
[72] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 5.
[73] RANKE, Hardenbergs
eigenhändige Memoiren, II, 465.
[74] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 16.
[75] Lettre de Hardenberg à Jackson, 26 janvier 1806 ; A. LEFEBVRE, II, 244.
[76] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, VI ; Allemagne, 376.
[77] RANKE, Hardenbergs eigenhändige
Memoiren, II, 463-467.
[78] LOMBARD, Matériaux, etc., 140.
[79] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 267.
[80] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 22.
[81] RANKE, Hardenbergs eigenhändige Memoiren, II, 468-471 ; Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 238. (L'incident Fauche-Borel ne figure pas dans la publication allemande de Paul Bailleu.)
[82] Mémoires de Fauche-Borel, II, 198 ; III, 217 à 284.
[83] Sir Robert ADAIR, Mémoires historiques, 45.
[84] Mémorial de Sainte-Hélène, I, 431.
[85] Correspondance de Napoléon Ier, XII, 5.
[86] Archives du ministère des Affaires Etrangères, Prusse, 237.
[87] Archives royales prussiennes, etc., II, 419.
[88] Archives du ministère des Affaires Etrangères, Prusse, 237.
[89] THIERS, le Consulat et l'Empire, VI, 409.
[90] RANKE, Hardenbergs eigenhändige
Memoiren, II, 486.
[91] Frédéric SCHOELL, Recueil de pièces officielles, VII, 422.
[92] ALISON, History of Europe, V, 75 ; Parliamentary
Debates, VI, 800.
[93] Archives impériales russes, etc., LXXXII, 300. (Rapport de Czartoryski à Alexandre.)