L'ambassadeur russe demande ses passeports. — Napoléon et d'Oubril à Mayence. — Réminiscence des moyens employés jadis pour retenir lord Whitworth. — Coup de théâtre : l'Empereur demande publiquement la paix à l'Angleterre. — Celle-ci se retranche derrière la Russie. — Rôle de l'Autriche dévoilé. — Proclamation de Napoléon accusant l'Angleterre seule des maux de la guerre. — Manque de dissimulation vis-à-vis des autres puissances. — Alexandre dans le rôle d'apôtre libérateur de l'Europe. — Sa pression sur la Cour de Prusse. — Tergiversations de Frédéric-Guillaume. — Le démembrement de la France est décidé entre la Russie et l'Angleterre. — Alexandre se porte fort de l'adhésion de l'Autriche, de la Suède et de la Prusse. — Obligation de répondre aux ouvertures pacifiques de la France. — Combinaisons pour faire refuser par Napoléon les propositions des puissances. — Le roi de Prusse choisi pour intermédiaire. — La mission Nowossiltzoff. — Infatuation extraordinaire de ce diplomate. — L'empereur des Français sera traité en simple particulier. — Napoléon, désireux de la paix, se résigne à renoncer pour la circonstance à ses prérogatives. — Déception de l'Angleterre qui surélève ses prétentions. — Le Tsar couvre la mauvaise foi de l'Angleterre. — Fausseté du prétexte de l'annexion de Gênes. — Inquiétude de Napoléon sur l'altitude de l'Autriche. — Assurances trompeuses de François II. — Derniers avertissements donnés à la Cour de Vienne. — Les rêves et les angoisses de Napoléon à Boulogne. — Impéritie de l'amiral Villeneuve. — Désespoir de l'Empereur. — La dictée de la campagne d'Autriche. — Lucidité prodigieuse de Napoléon. — Départ de l'Empereur pour l'armée. — La proclamation mensongère de l'Électeur de Wurtemberg. — La condescendance de Napoléon pour les princes régnants. — Le général Ney et les officiers wurtembergeois. — Entrée de l'armée française à Stuttgart. — L'Electeur ami de la France. — Réception magnifique faite à Napoléon au palais de Ludwigsbourg. — Napoléon séjourne pour la première fois dans une Cour aristocratique. — Ses désillusions. — Le premier allié de l'Empereur. — Un gros scélérat. — Napoléon arbitre des disputes quotidiennes entre l'Électeur et l'Électrice. — Sa galanterie envers la fille du roi d'Angleterre. — Départ de Ludwigsbourg. — Relations cordiales entre Napoléon et son allié. — Séjour de Joséphine à Stuttgart. — Lettres hyperboliques de l'Électeur. — Napoléon envoie la couronne royale comme étrennes à Frédéric de Wurtemberg. — Les attestations d'une reconnaissance éternelle — La trahison infâme du roi de Wurtemberg. — La mémoire de Napoléon vengée par les honnêtes gens du Wurtemberg. Alexandre Ier joua, comme agent des guerres entreprises pour le compte de l'Angleterre, un rôle si considérable qu'on doit presque toujours en revenir à lui pour pénétrer le sens exact des événements du commencement du siècle dernier. On a vu, par les lettres qu'il adressait à François II, les vrais motifs de sa rupture définitive avec la France. C'était sa détermination inébranlable, et depuis longtemps arrêtée, de former la troisième coalition sous l'égide de l'Angleterre et avec les ressources pécuniaires de ce pays. L'exécution du due d'Enghien et les polémiques qui la suivirent entraînèrent le gouvernement russe jusqu'à chasser, pour ainsi dire, de Saint-Pétersbourg, M. de Raineval qui était gérant de l'ambassade française depuis le départ du général Hédouville. Après la remise faite au gouvernement français, vers la fin d'août 1804, d'un ultimatum qui aurait été repoussé avec indignation par le plus infime duché, M. d'Oubril, chargé d'affaires russe à Paris, ayant insisté pour avoir ses passeports, il fallut bien les lui donner. Fort étonné que la Russie lui demandât ex abrupto, en quelque sorte, l'évacuation de Naples et du Hanovre, le Cabinet des Tuileries n'avait voulu voir encore dans cette note qu'une suite irréfléchie des discussions soulevées par l'affaire du duc d'Enghien. Espérant que le temps apporterait plus de modération dans l'esprit du Tsar, le ministère des Relations Extérieures avait consenti finalement à délivrer les passeports de d'Oubril, mais à la condition que ce diplomate attendrait à Mayence qu'on eût appris que M. de Raineval avait quitté sain et sauf le territoire russe. Ce dernier prétexte n'avait évidemment pour but que de recommencer avec d'Oubril ce qu'on avait tenté de faire l'année précédente avec lord Whitworth, au moment de son rappel en Angleterre. On remit cette fois encore en œuvre tous les stratagèmes possibles pour essayer de rouvrir des relations avec l'ambassadeur russe. Si cette répétition des mêmes procédés, en vue d'éviter une rupture effective avec un grand État, témoigne d'une certaine pauvreté de combinaisons et parfois d'un manque de dignité de la part de la diplomatie impériale française, elle atteste pourtant de façon très nette que Napoléon était fort loin de souhaiter les complications d'où la guerre pouvait naitre. Il est permis de supposer que ce n'est point une
coïncidence fortuite qui amena Napoléon et sa Cour à Mayence pendant que
d'Oubril y séjourna. En assignant cette ville au diplomate russe, comme lieu
d'attente, les ministres français savaient parfaitement qu'il y serait
rejoint par l'Empereur qui effectuait un voyage sur le Rhin. Pour agir
naguère sur lord Whitworth à Paris où il habitait depuis longtemps, on avait
pu sans trop de peine rencontrer des gens qui fussent en rapports avec lui ;
mais, à Mayence, pour d'Oubril, simple passager, la difficulté apparaissait
autrement grande, presque insurmontable. Ou la résolut en faisant appel an
concours du ministre de la police qui fournit la personne désirée. C'était la
princesse Michel Galitzine qui, au plus fort de la crise à Paris, avait déjà
servi d'intermédiaire entre le général Caulaincourt et d'Oubril. Cette daine,
qui par suite d'une situation pénible, était sous la dépendance de la police
française, se retrouva comme par hasard à Mayence. Elle
s'occupait à Paris, rapporte d'Oubril, de libérer son mari qui y était retenu
par quelques dettes[1]. Dans sa
recherche d'expédients, Napoléon alla jusqu'à employer le moyen qui peut-être
lui déplaisait le plus : celui de mêler les femmes, la sienne surtout, aux
affaires politiques. C'était tellement opposé à tout ce qui est connu de lui
par ses discours et ses actes, qu'il faudrait en douter si le fait n'était
consigné dans une lettre de d'Oubril à son gouvernement : Mme la princesse Galitzine, écrit ce diplomate, qui s'est rendue auprès de madame sa mère à Francfort, a
passé quelques jours à Mayence. Elle m'a dit que Mme Bonaparte, la sachant
dans cette ville, l'avait invitée à venir la voir le matin et qu'au milieu
des compliments d'usage elle lui avait demandé à plusieurs reprises si je ne
viendrais point voir son mari...[2] On remarquera que
pour la Russie il n'existait ni empereur, ni impératrice des Français ; ils
continuaient d'être Mme Bonaparte et son mari. Par la même princesse,
Caulaincourt eut encore à Mayence plusieurs entrevues avec l'ambassadrice
russe. Le général ne cachait nullement son rôle puisqu'il avouait à d'Oubril qu'il devait rendre compte à Bonaparte de leur
conversation de la veille[3]. De la part d'un souverain ces petites manœuvres secrètes, dépourvues de sanction officielle, sont très intéressantes au point de vue de l'étude de son caractère. Retrouvées dans les archives des pays étrangers, elles démontrent bien, croyons-nous, qu'au fond de lui-même Napoléon n'éprouvait aucune espèce de joie à voir se rallumer, à quelque époque que ce fût, la guerre sur le continent. Si avec un esprit sceptique on a pu, au moment de la rupture de la paix d'Amiens, méconnaître ses bonnes intentions et croire que pris à l'improviste il cherchait à gagner du temps, on devra modifier cette impression en le revoyant, dix-huit mois plus tard, dans les mêmes dispositions pacifiques. Surtout parce qu'ils sont ramenés régulièrement par des événements analogues qui ont eu lieu dans une ombre d'oie il eût semblé que l'Histoire ne devait jamais les faire sortir, ces traits identiques définissent mieux la nature d'un homme que ses actes publics. Le chef d'un gouvernement, malgré ses préférences personnelles et si pacifiques soient-elles, doit, dans un conflit international, faire parade d'une fière dignité, voire d'une sorte d'arrogance, afin de tendre le ressort de l'amour-propre national dont il aura besoin si les hostilités deviennent inévitables ; mais les essais de conciliation, spontanément et furtivement ordonnés à des collaborateurs choisis en dehors des diplomates de profession, parmi les confidents intimes, révèlent sans nul doute possible les sincères pensées de leur auteur. Les instructions de l'ambassadeur russe étaient formelles, ne laissaient place à aucun genre de concession, ni de retardement. Pour se débarrasser de son interlocuteur, d'Oubril suréleva un peu plus les conditions de l'ultimatum inacceptable qu'il avait présenté à Paris. Cette exigence inattendue, impertinente même, aurait pu être rejetée avec un mépris révolté. Il n'en fut rien. Certainement l'ordre de ne pas brusquer les choses avait été donné à Caulaincourt, car il fit observer avec humilité qu'on pouvait voir aux démarches que la France faisait qu'elle ne voulait point rompre et que d'Oubril éloignerait encore les chances de rapprochement en allant à Francfort où sans doute il augmenterait ses prétentions déjà plus fortes à Mayence qu'elles ne l'étaient à Paris[4]. Rien ne put arrêter l'ambassadeur russe. Le lendemain il avait quitté Mayence, et pour cela il dut employer des subterfuges, le maitre de postes ayant reçu l'ordre de déclarer que tous les chevaux étaient requis pour le service de l'Empereur[5]. Napoléon, dépité de ces procédés discourtois, était à bon droit en méfiance, quoiqu'il ne sût en réalité que fort peu de choses sur le cours des intrigues d'Alexandre. Il n'y avait plus à Saint-Pétersbourg qu'un consul, M. de Lesseps, et le Cabinet des Tuileries n'en recevait que des renseignements très vagues, souvent contradictoires, à travers lesquels il put néanmoins démêler qu'un envoyé spécial du Tsar, M. de Nowossiltzoff, était parti à la fin septembre 1804, pour Londres, afin d'y conclure un traité d'alliance offensif et défensif et offrir à nos ennemis des secours en hommes et en vaisseaux, pour préparer les moyens d'agir en commun à l'ouverture de la campagne prochaine[6]. De Vienne, Napoléon ne recevait rien, car M. de La Rochefoucauld, notre ambassadeur, aussi mal instruit que possible, donnait les assurances les plus optimistes, affirmant qu'il n'y avait nulle intention de guerre de la part du Cabinet autrichien. Alexandre pouvait donc continuer ses démarches et les dérober avec assez de facilité à l'attention de la France. Les négociations qui précédèrent la guerre furent conduites entre les Cours de Londres, de Saint-Pétersbourg et de Vienne avec un secret impénétrable. La veille de l'explosion, une sécurité parfaite semblait régner à Paris[7], ainsi que le fait remarquer Lombard, le secrétaire du roi de Prusse. Cependant les sourdes menées du Tsar furent contrariées par un coup de théâtre comme les aimait Napoléon. Couronné empereur depuis un mois, il renouvela spontanément à l'Angleterre, le 2 janvier 1805, les offres de paix qu'il lui avait déjà faites autrefois, le lendemain de son élévation à la dignité de Premier Consul. Sans crainte de s'humilier en ouvrant la voie des concessions, il entendait exposer à la face des peuples son désir d'éviter les malheurs de la guerre. Monsieur mon frère,
écrit-t-il au roi d'Angleterre[8], appelé au trône de France par la Providence et par le
suffrage du Sénat, du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est un vœu
de paix. La France et l'Angleterre usent leur prospérité. Elles peuvent
lutter des siècles, mais leurs gouvernements remplissent-ils le plus sacré de
leurs devoirs ? Et tant de sang versé inutilement, sans la perspective
d'aucun but, ne les accuse-t-il pas dans leur propre conscience ? Je
n'attache point de déshonneur à faire le premier pas. J'ai assez, je pense,
prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre ; elle ne
m'offre rien que je doive redouter. La paix est le vœu de mon cœur ; mais la
guerre n'a jamais été contraire à ma gloire. Je conjure Votre Majesté de ne
pas se refuser au bonheur de donner elle-même la paix au monde... Votre Majesté a plus gagné depuis dix ans en territoire et
en richesses que l'Europe n'a d'étendue. Sa nation est au plus haut point de
prospérité. Que veut-elle espérer de la guerre !... Si Votre Majesté veut elle-même y songer, elle verra que
la guerre est sans but, sans aucun résultat présumable pour elle. Eh ! quelle
triste perspective de faire battre les peuples pour qu'ils se battent ! Le
monde est assez grand pour que nos deux peuples puissent y vivre, et la
raison a assez de puissance pour qu'on trouve les moyens de tout concilier,
si de part et d'autre ou eu a la volonté. J'ai toutefois rempli un devoir saint
et précieux à mon cœur. Que Votre Majesté croie à la sincérité des sentiments
que je viens de lui exprimer et à mon désir de lui en donner des preuves. Cette lettre inopinée, empreinte des plus nobles
sentiments que puisse exprimer un souverain en butte à une guerre qui lui a
été imposée, ne pouvait demeurer sans réponse, ayant été portée à la
connaissance du monde entier. Même si l'on suspectait la sincérité de son
auteur, il fallait encore avoir l'air de faire quelque chose. La réponse,
moins insultante que celle donnée jadis en pareille circonstance au Premier
Consul, dévoila crûment que l'Angleterre était liée avec certains
gouvernements, et plus étroitement avec la Russie. Celle-ci, disait-on, avait
pris la direction du mouvement et l'on ne pouvait rien faire sans elle. Se
retrancher derrière la Russie, c'était éviter de se prononcer pour le moment
dans un sens ou dans l'autre, en invoquant un délai qu'une consultation préalable
rendait nécessaire. Il était impossible à Sa Majesté
le roi de la Grande-Bretagne, disait le ministère britannique, de répondre
plus particulièrement à l'ouverture qui lui avait été faite, jusqu'à ce
qu'elle eût eu le temps de communiquer avec les puissances du Continent avec
lesquelles elle se trouvait engagée par des liaisons et des rapports
confidentiels, et particulièrement avec l'empereur de Russie qui avait donné
les preuves les plus fortes de la sagesse et de l'élévation des sentiments
dont il était animé et du vif intérêt qu'il prenait à la sûreté et à
l'indépendance de l'Europe[9]. Des paroles analogues furent prononcées, le 15 janvier 1805, dans le discours royal, à l'ouverture de la session du Parlement britannique[10]. Pour qui aurait voulu partir en guerre contre l'une ou l'autre des puissances du Continent, cette déclaration était de grande valeur. On pouvait, par élimination, découvrir facilement quels étaient les gouvernements auxquels il convenait de demander des explications catégoriques. Devant l'aveu du Cabinet de Londres, le gouvernement français aurait été fondé à s'attaquer immédiatement à l'Autriche, car, six mois auparavant, certains indices ayant éveillé les soupçons de l'Empereur, il avait donné un avertissement sérieux au Cabinet autrichien. Dès ce moment il avait déjà prévu ce que la circulaire anglaise venait de révéler avec tant de clarté. Le 3 août 1804, Napoléon avait écrit à Champagny, son ambassadeur à Vienne[11] : Vous direz que, ayant accordé à l'Autriche toutes ses demandes, ces délais ne tiennent qu'à d'autres principes ; qu'il y a un commencement de coalition qui se forme et que je ne donnerai pas le temps de la nouer ; qu'il n'est pas juste que par cette conduite équivoque l'Autriche me tienne trois cent mille hommes les bras croisés sur les bords de la Manche ; qu'il faut donc que la Cour de Vienne sorte de cette position ambiguë, et que si l'on est assez insensé à Vienne pour vouloir recommencer la guerre et prêter l'oreille aux suggestions de Londres, tant pis pour la monarchie autrichienne. Ainsi voilà l'Empereur averti, depuis plus de six mois, que l'Autriche se prépare à combattre la France, et aujourd'hui ce projet lui est confirmé par une déclaration du Cabinet anglais. Va-t-il agir autrement que n'agirait un homme pacifique ? Non, il demeure attaché à son idée que les fils du complot étant à Londres, c'est là qu'il faut aller les trancher ; car, s'il y réussit, la dislocation du fameux concert européen se fera toute seule et une guerre sera évitée au Continent. Dans cet espoir, il se laisse détourner d'une action immédiate, d'un succès certain et facile sur l'Autriche ; plus porté à saisir l'occasion des batailles, quand elle se présentait, il n'aurait pas donné aux coalisés, avant de foudre sur eux, près de neuf mois pour augmenter leurs forces militaires, concerter leurs plans et par conséquent rendre plus aléatoires des chances indubitables. Les pièces révélatrices, dont l'authenticité ne peut être contestée, pièces ignorées alors du gouvernement français, démontrent péremptoirement que l'Empereur avait une compréhension très juste du rôle de l'Angleterre, et qu'il n'était nullement le jouet d'une hallucination haineuse quand il traitait en comparses les souverains contre lesquels il avait hésité à tirer l'épée et quand il appelait la malédiction du Ciel sur la seule Angleterre. A chaque page de ses proclamations, alors qu'il luttera soit contre les Autrichiens, soit contre les Russes, soit contre ceux-ci réunis à d'autres, c'est toujours l'Angleterre qu'il dénoncera en termes indignés, à la face du monde, comme l'auteur de tous les maux de la guerre. Les Autrichiens, les Russes, contre lesquels il se bat, ne tiennent à ses yeux qu'un rôle secondaire ; et leurs troupes ne sont que des mercenaires cosmopolites poussés en avant, comme jadis, par une nation avide de conquêtes. Pour les complices, pour les souverains dont les armées étaient subventionnées par l'or de l'Angleterre, il n'a que des paroles aimables. Il spécifie en quelque sorte qu'il ne les considère pas comme des ennemis réels et qu'il ne leur garde pas rancune. Avec un peu de dissimulation ou simplement d'habileté, il aurait pu penser ces choses sans les dire avant la fin de la guerre. Pourquoi diminuer les responsabilités de ses adversaires et les avertir que, quoi qu'il arrive, ils peuvent compter sur son indulgence ? En prenant l'attitude contraire, en se déclarant impitoyable, il aurait peut-être intimidé l'un des combattants et rompu ainsi le faisceau de la coalition. Mais, on le sait, il plaçait avant beaucoup d'autres préoccupations celle de gagner l'estime et la considération des grandes Cours de l'Europe. Sa pensée maîtresse, qui s'efforce sans cesse d'accuser l'Angleterre d'être l'auteur de tous les maux de la guerre, ressort nettement de ses Bulletins pendant la campagne d'Autriche en 1805. De Strasbourg, au moment de l'entrée en campagne, il dit : Soldats, votre Empereur est au milieu de vous. Vous n'êtes que l'avant-garde du grand peuple ; s'il est nécessaire, il se lèvera tout entier à nia voix, pour confondre et dissoudre cette nouvelle ligue qu'ont tissue la haine et l'or de l'Angleterre[12]. Après la prise d'Ulm, s'adressant aux évêques de l'Empire
: Les victoires éclatantes que viennent d'obtenir
mes armes contre la ligue injuste qu'ont fomentée la haine et l'or de
l'Angleterre veulent que moi et mon peuple adressions des remerciements au
Dieu des armées...[13] Aux soldats, à
la même occasion : En quinze jours, nous avons fait
une campagne, nous avons chassé de la Bavière les troupes de la Maison
d'Autriche et rétabli notre allié dans la souveraineté de ses États ; cette
armée, qui, avec autant d'ostentation que d'imprudence, était venue se placer
sur nos frontières, est anéantie. Mais qu'importe à l'Angleterre ? Son but
est rempli ; nous ne sommes plus à Boulogne et son subside ne sera ni plus ni
moins grand... Mais nous ne nous arrêterons
pas là ; vous êtes impatients de commencer une seconde campagne. Cette armée
russe, que l'or de l'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers,
nous allons lui faire éprouver le même sort[14]. Poursuivant la route qui le conduit à Austerlitz, Napoléon s'épanche, selon son habitude, dans le cœur de ses soldats et marque chaque étape des mêmes accusations, des mêmes imprécations. De Braunau : Il n'est pas un homme en Allemagne qui ne considère les Anglais comme les auteurs de la guerre, et les empereurs François et Alexandre comme victimes de leurs intrigues. Il n'est personne qui ne dise : Il n'y aura point de paix tant que les oligarques gouverneront l'Angleterre, et les oligarques gouverneront tant que George respirera. Aussi le règne du prince de Galles est-il désiré comme le lei me de celui des oligarques qui, dans tous les temps, sont égoïstes et insensibles aux malheurs du monde[15]. De Molk : Il n'est pas jusqu'au dernier bourgeois, jusqu'au dernier officier subalterne qui ne sente que cette guerre n'est avantageuse que pour les Anglais ; que l'on ne s'est battu que pour eux ; qu'ils son t les artisans des malheurs de l'Europe, comme par leur monopole ils sont les auteurs de la cherté excessive des denrées[16]. Des portes de Vienne : On dit à Vienne et dans les provinces de la Monarchie autrichienne que l'on est mal gouverné, que pour le seul intérêt de l'Angleterre on a été entrainé dans une guerre injuste et désastreuse... Les Anglais sont les perpétuels objets des imprécations de tous les sujets de l'empereur d'Allemagne et de la haine la plus universelle. N'est-il pas temps enfin que les princes écoutent la voix de leurs peuples et qu'ils se détachent de la fatale influence de l'oligarchie anglaise ?[17] De Schœnbrunn : Tout le continent doit s'affliger de ce que l'empereur d'Allemagne, qui veut le bien, qui voit mieux que ses ministres et qui, sous beaucoup de rapports, serait un grand prince, ait une telle défiance de lui-même et vive si constamment isolé... Tant que cet état de choses subsistera à la Cour de Vienne, l'Empereur ne connaîtra jamais le vœu de son peuple et sera toujours le jouet des subalternes que l'Angleterre corrompt et qui le circonviennent, de peur qu'il ne soit éclairé. Il n'y a qu'une voix à Vienne comme à Paris : les malheurs du Continent sont le funeste ouvrage des Anglais[18]. D'Austerlitz, le lendemain de la bataille : Cette journée coûtera des larmes de sang à Saint-Pétersbourg. Puisse-t-elle y faire rejeter avec indignation l'or de l'Angleterre ! Et puisse ce jeune prince, que tant de vertus appelaient à être le père de ses sujets, s'arracher à l'influence de ces freluquets que l'Angleterre solde avec art et dont les impertinences obscurcissent les intentions. La nature, en le douant de si grandes qualités, l'avait appelé à être le consolateur de l'Europe. Des conseils perfides, en le rendant l'auxiliaire de l'Angleterre, le placeront au rang des hommes qui, en perpétuant la guerre sur le Continent, auront consolidé la tyrannie britannique sur les mers et fait le malheur de notre génération. Puisse tant de sang versé, puissent tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui eu sont la cause ! Puissent les lâches oligarques de Londres porter la peine de tant de maux ![19] Pour varier un peu le ton de ces philippiques, Napoléon n'hésitait pas à faire parler comme lui les autres souverains. Trois jours après la même bataille d'Austerlitz, informant ses soldats de la visite de François Il au quartier impérial, il avait dit : ‘, L'empereur d'Allemagne n'a pas dissimulé, tant de sa part que de la part de l'empereur de Russie, tout le mépris que leur inspirait la conduite de l'Angleterre. Ce sont des marchands, a-t-il répété, qui mettent en feu le Continent pour s'assurer le commerce du monde[20]. Dans sa proclamation aux habitants de la capitale de l'Autriche : Habitants de Vienne, je sais que vous avez tous blâmé la guerre que des ministres, vendus à l'Angleterre, ont suscitée sur le Continent. Votre souverain est éclairé sur les menées de ces ministres corrompus, il est livré tout entier aux grandes qualités qui le distinguent, et désormais j'espère pour nous et pour le Continent des jours plus heureux[21]. Le fond de l'insinuation violente de l'Empereur était vrai ; l'Angleterre bouleversait l'Europe, sacrifiait des milliers de vies humaines, exclusivement pour le bénéfice de ses intérêts matériels. Il ne s'agissait ni de son indépendance ni de sa puissance actuelle. Celle-ci était intacte, plus grande que jamais ; son indépendance était menacée, par l'armée des côtes de l'Océan, il est vrai ; mais le Cabinet britannique savait qu'il écarterait ce danger aussitôt qu'il voudrait bien rentrer dans l'observation simple et loyale des clauses du traité d'Amiens. Moins exacte était l'explication des mobiles qui entraînaient Alexandre Ier et François II à seconder les vues de l'Angleterre. S'ils avaient avec elle une communauté de jalousie et de convoitise à l'égard de la France ; s'ils avaient une égale animosité envers la personne d'un soldat heureux donnant le funeste exemple des innovations dynastiques, ils étaient aussi poussés par des aspirations particulières que les finances anglaises leur permettraient peut-être de réaliser. L'Autriche, en plus du désir assez légitime de venger son honneur militaire amoindri par les échecs des campagnes antérieures, avait l'ambition non moins justifiée de reconquérir sa grandeur passée. Le Tsar, lui, fanatisé par les exhortations adulatrices de Pitt, se croyait l'homme prédestiné, celui qui était marqué par la Providence pour sauver l'Europe d'un cataclysme. A ce rôle d'apôtre libérateur il s'adonnait avec une persévérance, une ardeur qu'aucun obstacle n'était capable de ralentir. Quand il reçut de l'Angleterre le mandat peu agréable de répondre aux ouvertures pacifiques de Napoléon, il ne s'arrêta pas une seule minute à la pensée que la crise de l'Europe pouvait trouver sa terminaison dans cette démarche inattendue. Pendant que les roués de la politique se concertaient à Saint-Pétersbourg et à Londres afin de confectionner une formule inacceptable pour l'empereur des Français, Alexandre s'efforçait d'agir sur la Prusse comme il avait agi sur l'Autriche. Là, son influence légitime de voisin puissant était soutenue par des sentiments flatteurs pour sa personne ; il s'en autorisait pour reprendre avec plus d'énergie le siège de la Cour de Berlin, en vue de la faire participer à la troisième coalition. A cet effet, le baron de Winzingerode fut envoyé près du
Roi dans les premiers jours de 1805. Le général
était chargé de désabuser le Cabinet de Berlin qui croyait que l'empereur de
Russie, par amitié pour le roi de Prusse, favoriserait ses plans en ne
déclarant jamais la guerre à Napoléon. La chancellerie russe pouvait
d'autre part supposer qu'une entente secrète quelconque était survenue entre
Frédéric-Guillaume et Napoléon, et que le Roi s'était réservé de nouvelles
acquisitions. Winzingerode devait tirer au clair cette question et, dans le
cas où cette crainte serait fondée, la Prusse
n'avait pas à compter sur la moindre indulgence. Le Tsar voulait savoir
aussi quelle serait l'attitude du Cabinet de Berlin dans le cas où la Russie
serait obligée de combattre la France. On offrait à la l'russe, sur la caisse
d'Angleterre, toutes les sommes qu'elle désirerait pour faire face aux
dépenses militaires qui découleraient de son adhésion à la ligue européenne.
Enfin, si le Roi, en dernière analyse, se prononçait pour la neutralité,
Winzingerode demanderait d'une façon très urgente
que le Roi autorisai le passage des armées réunies à travers ses États[22]. Au fond, on ne
voulait pas de la neutralité. Winzingerode disait à Metternich[23] qui était alors
à Berlin : Nous sommes décidés à ne plus souffrir la
neutralité de la Prusse... Il vaut mieux
avoir un ennemi ouvert qu'un soi-disant ami. Ces diverses propositions troublèrent singulièrement la quiétude dans laquelle Frédéric-Guillaume aimait à vivre. Certes toutes ses sympathies personnelles et monarchiques étaient acquises à Alexandre ; pourtant ce dernier oubliait un peu trop que la Prusse n'était pas vis-à-vis de la France dans la même position que la Russie et l'Autriche. L'une avait des revanches à prendre ; l'autre, depuis de longs mois, avait tendu, puis brisé ses rapports avec le gouvernement de Paris. La Prusse au contraire devait à Napoléon sa grandeur actuelle qui datait de deux ans à peine. En définitive, à part quelques petites chicanes toujours réglées de façon très satisfaisante, Napoléon s'était appliqué, non sans manifester parfois les empressements les plus délicats, à vivre en très bonne harmonie avec la Prusse. En vérité il n'y avait pas là de quoi déclarer la guerre, sous peine de blesser les lois de la plus simple pudeur. Ah ! vienne le moindre sujet un peu sérieux de désaccord, le Cabinet de Berlin s'en emparera comme d'un casus fœderis et ne manquera pas de s'unir aux trois Cours. Mais, mise à part cette question de prétexte, le Roi ne pouvait s'empêcher de songer qu'on lui demandait de se jeter dans l'aventure presque les yeux fermés et que, s'il accédait aux instances du Tsar, il devenait par le fait l'avant-garde de la coalition. Or, pour examiner cette grave proposition, il avait besoin de savoir ce qu'il aurait derrière lui pour le soutenir ; il désirait légitimement connaître avec exactitude les projets, les moyens d'exécution concertés entre a Russie et l'Autriche ; en un mot il voulait être au courant de ce que, par méfiance ou crainte des indiscrétions, on paraissait tenir à lui cacher : l'état actuel des négociations austro-russes[24]. Ces réflexions faisaient qu'en aucun cas il n'entendait s'attirer le ressentiment immédiat de Napoléon, en accordant aux troupes russes le droit de traverser le territoire prussien. Pour éclaircir cette affaire et présenter de façon convenable ses observations et sa situation exceptionnelle, le Roi envoya à Pétersbourg son ancien aide de camp, le général Zastrow. Celui-ci arriva juste au moment où le traité russe venait d'être signé avec l'Angleterre et il dut écouter les reproches les plus amers du chancelier Czartoryski sur la politique prussienne ; cependant l'Empereur se montra plus souple et plus aimable. Eu résumé, d'un côté on essaya de la douceur, de l'autre des menaces pour entraîner la Prusse dans la coalition[25] ; mais on ne laissa rien deviner à Zastrow des dessous politiques qu'il était venu élucider. Avant de livrer le secret de ses relations politiques avec l'Autriche, le Tsar voulait une déclaration formelle, précise, par laquelle le roi de Prusse reconnaissait la nécessité de recourir à la force contre Bonaparte. Chacune des deux parties, avant de se prononcer, exigeait des garanties, et aucune ne voulait faire le premier pas. Cette hésitation respective était pleine d'inquiétudes pour la Prusse, car le Tsar insistait sur un ton presque comminatoire. Il avait d'autant plus de motifs de montrer cette énergie que les circonstances devenaient plus pressantes. Depuis que, le 2 janvier 1805, la Cour de Londres avait reçu l'appel pacifique de Napoléon et qu'elle s'était retranchée derrière le Tsar, elle poussait de toutes ses forces à la conclusion de l'accord qui devait réunir les puissances en une agression contre la France. Ainsi la coalition était presque prête. Le moindre incident, qu'au besoin on ferait naître, suffirait à justifier l'ouverture des hostilités. Le prélude des actes solennels qui devaient définir les devoirs de chacun en vue de cette alternative fut une note adressée à l'empereur de Russie le 19 janvier 1805. Bien que cette note ne semble se rapporter qu'aux projets de la Russie et de l'Angleterre, elle est d'une extrême importance car on y verra que la paix ne pouvait être conclue que du consentement unanime des coalisés. Les prétentions d'un seul devenaient par le fait celles du groupe entier. Sa Majesté Britannique est heureuse de s'apercevoir que les vues et les sentiments de l'empereur de Russie, par rapport à la délivrance de l'Europe et à sa tranquillité et à sa sûreté future, répondent entièrement aux siens. En conséquence, le Roi désire entrer dans l'explication la plus claire et la plus franche sur chaque point qui tient à ce grand objet, et former avec Sa Majesté Impériale le concert le plus intime, afin que par leur influence et leurs efforts réunis on puisse s'assurer de la coopération et de l'assistance d'autres puissances du Continent dans une proposition analogue à la grandeur de l'entreprise et du succès dont dépend le salut futur de l'Europe. D'après l'explication qui a été donnée des sentiments de l'empereur de Russie, auxquels Sa Majesté adhère parfaitement, il importe : 1° De soustraire à la domination de la France les contrées qu'elle a subjuguées depuis le commencement de la Révolution, et de réduire la France à ses anciennes limites, telles qu'elles étaient avant cette époque[26]. Ces quatre dernières lignes fixent le prix auquel un grand et glorieux pays, la France, peut acheter le droit de vivre momentanément tranquille en Europe. Tout le monde, osons-nous affirmer, pensera que la perspective de la lutte à outrance, si périlleuse fût-elle, était encore préférable, plus acceptable, moins avilissante que la soumission à cette déchéance nationale. A plus forte raison accordera-t-on que le chef de cet État, quelle que soit sa profession, son uniforme ou son tempérament, se devait d'épuiser toutes les résistances. Non certes, il n'était nécessaire qu'il fût ni un turbulent, ni un infatué de ses talents militaires, celui qui leva résolument l'épée contre ces mêmes années dont les agressions, pour la troisième fois en douze ans, venaient menacer notre indépendance. N'est-ce donc pas le cri de la France entière qui sort de la poitrine de Napoléon, quand il jure qu'on ne lui arrachera qu'avec la vie les frontières gagnées jadis par un peuple presque sans armes soudainement attaqué et triomphant miraculeusement de troupes aguerries ? Sur cet accord essentiel et secret de l'amoindrissement de la France un contrat définitif fut signé, le 11 avril 1805, à Saint-Pétersbourg, entre l'Angleterre et la Russie. On évita d'y reproduire les conditions finales qu'on se réservait d'imposer à notre pays. On avait pour cela d'excellentes raisons. Le traité du 11 avril devait être ostensible dans une certaine mesure, puisqu'on allait le proposer à la signature des puissances auxiliaires. Il importait de ne pas effrayer les timides par la longueur et les difficultés probables de l'entreprise, comme aussi il y avait habileté à ne pas décourager les ambitions plus vastes conçues peut-être par les intéressés. Mais, si on laissait planer le vague sur la condition finale, ou eu assurait la réalisation par la clause formelle à laquelle nous faisions allusion tout à l'heure : Article VI. — Les puissances conviennent qu'elles ne feront la paix avec
la France que du consentement commun de toutes les puissances qui seront
parties dans ladite ligue, et de même les puissances continentales ne
rappelleront point leurs forces avant la paix ; de même Sa Majesté
Britannique s'engage à continuer le payement des subsides pendant toute la
durée de la guerre[27]. Nos assertions
se trouvent corroborées par cette clause qui institue la guerre obligatoire
et gratuite pour les puissances continentales et laisse rigoureusement, en
cas de réussite de l'entreprise, les limites, l'existence même de la France,
à la merci de la cupidité, du caprice ou de la haine de chacun des
gouvernements coalisés, de l'Angleterre par exemple ou de ce détraqué roi de
Suède. Celui-ci, quand il entrait en campagne, ne prenait pas la peine de
farder ses intentions. Antérieurement il avait écrit avec une superbe
assurance : Je ne quitterai mes bottes qu'après
avoir détruit la flotte de Boulogne... Dans quinze jours mon quartier général
sera à Bruxelles. C'est là que je ferai proclamer Louis XVIII... Je vais droit au but de la coalition. J'abhorre
l'hypocrisie, et surtout l'hypocrisie de la politique[28]. Ce qu'il venait
en effet de démontrer péremptoirement. Par des additions encore plus secrètes à cet instrument principal, la Russie se portait forte de l'adhésion de l'Autriche et de la Suède (article Ier séparé). Cela était conforme à l'attitude prise par les deux puissances ; mais ce qui est extraordinaire, c'est de voir Alexandre donner la même garantie en ce qui regarde la Prusse. L'article II séparé relate positivement les arrangements que l'empereur de toutes les Russies a pris avec la Cour de Prusse[29]. Sur quelles influences à cette Cour comptait donc Alexandre pour entrainer le Roi qui, à deux reprises, avait manifesté ses intentions de réserve, d'abord par ses restrictions tardives au traité russe de 1804, ensuite par la mission du général de Zastrow à Saint-Pétersbourg ? Quant à la répartition des subsides anglais, elle était arrêtée, aux termes des autres articles, dans les conditions d'une opération financière avantageuse pour les puissances. Quoi qu'il arrivât, le Tsar recevait, tous autres frais payés, l'équivalent de trois mois de dépenses à titre d'indemnité. Sa Majesté Impériale, Royale, Apostolique, l'empereur d'Autriche, obtenait, le jour même de son adhésion, vingt-cinq millions acquis définitive-nient même si la paix intervenait[30]. Une fois que fut établi ce pacte fondamental dont la rédaction avait exigé près de trois mois, on parut enfin vouloir se préoccuper de la réponse que la décence ordonnait de faire aux propositions pacifiques de Napoléon. Elles remontaient à six mois environ. Et ce fut alors qu'on s'avisa d'une perfidie grossière, qui serait absurde si elle n'était conforme au système de procédés injurieux usités envers la France. Des préliminaires de paix fort raisonnables, correspondant aux revendications constantes de Napoléon, lui seraient présentés, mais sous une forme tellement offensante qu'il ne pourrait manquer de les repousser brutalement. Par cette injure de forme qui rendait impossible l'adoption du fond, la Russie et l'Angleterre se donnaient aux yeux du monde le rôle de pacificateurs, et les responsabilités de la guerre incombaient tout entières à Napoléon. Extérieurement, on ne verrait que le rejet des propositions amiables et nul ne tiendrait compte des finesses politiques, assez difficiles du reste, sinon impossibles à pénétrer pour les profanes. L'empereur de Russie, sous prétexte qu'il tenait à honneur de n'avoir aucune relation directe avec l'empereur des Français, diminua momentanément la pression qu'il exerçait sur le roi de Prusse et lui demanda de vouloir bien servir d'intermédiaire dans les négociations qu'il allait entamer. En même temps on n'était pas fâché de compromettre Frédéric-Guillaume par une mission qu'il fut d'ailleurs enchanté d'accepter ; elle lui donnait l'apparence d'un médiateur et le dispensait de prendre instantanément un parti, ce qui convenait à sa nature apathique ; enfin elle le débarrassait, pour un temps, des obsessions belliqueuses dont le fatiguait son entourage. Berlin devint par conséquent le pivot de la belle combinaison anglo-russe. Là se rendit M. de Nowossiltzoff, porteur des conditions à soumettre à Napoléon. Les lignes principales sur lesquelles on pourrait traiter définitivement la paix étaient les suivantes : Les traités de Lunéville et d'Amiens pris pour base du règlement de la situation de l'Europe, sauf les modifications énumérées ci-après : évacuation immédiate de l'Italie, de la Hollande ; remise de l'île de Malte entre les mains de la Russie ; enfin, et d'une manière plus générale, réunion d'un grand congrès européen on seraient débattues toutes les questions litigieuses[31]. Le projet ne faisait aucune restriction au sujet du nouveau code maritime international, lequel était compris dans le traité d'Amiens ; il donnait par le lait, sauf discussion plus approfondie, satisfaction sur la plupart des points dont Napoléon avait constamment demandé le règlement. Rien n'était plus simple que de faire parvenir directement
à Paris ce document ou d'en charger l'ambassadeur prussien. Dans ce cas on
avait toute chance d'obtenir l'adhésion du gouvernement français ; mais, si
étrange que cela paraisse, c'était précisément cette adhésion qu'on ne
voulait pas, et l'on imagina de la faire demander au nom du roi de Prusse par
un diplomate russe bien choisi pour la circonstance. Les instructions écrites
de la main d'Alexandre contenaient tout ce qui devait conduire à ce refus. M'étant expliqué positivement sur les conditions que je
mettais à votre envoi à Paris, écrit-il à son agent, et qui portaient que vous pourriez traiter directement
avec Bonaparte sans cependant être obligé de reconnaître, avant la conclusion
de votre travail, le titre qu'il a pris, je vous recommande de ne pas vous
écarter de ce mode et d'être attentif à ne point vous laisser détourner par
les subterfuges qu'on emploiera à cet effet[32]. Impossible
d'être plus explicite. Le souverain choisi, acclamé par tout un peuple,
l'homme qui est au pinacle de la puissance et de la gloire, l'empereur des
Français ne pourra qu'à titre de simple particulier ou employé d'un
gouvernement anonyme et taré, traiter une affaire aussi capitale que
l'établissement de la paix définitive en Europe ! La fonction, selon les philosophes, créant l'organe, on trouva pour cette mission paradoxale un diplomate d'une originalité rare, tel que la Russie seule en produisait alors. Très jeune, ayant trente ans au plus, Nowossiltzoff ne possédait d'autre titre à son nouvel emploi que d'être le chambellan et l'ami de jeunesse du Tsar qui l'avait nommé d'emblée, par ukase impérial, président de l'Académie des sciences[33]. L'infatuation de soi-même ne fut guère poussée plus loin par personne au monde que par ce haut dignitaire russe. Il ne connaissait point d'obstacles. Comme il ignorait tout du droit international, les solutions des problèmes politiques les plus compliqués n'étaient à ses yeux que des jeux d'enfant. Ses dépêches sont une suite de cantiques eu l'honneur de ses propres et incomparables qualités. A peine arrivé à Londres, en négociateur spécial de la coalition, il croit devoir s'imposer la lâche ardue, mais accomplie par lui, raconte-t-il, sans coup férir, de s'emparer de tous les esprits. A l'entendre, princes, ministres, membres du parlement, tout ce qui a une influence en Angleterre, sont des marionnettes qu'il fait mouvoir par des fils attachés à chacun de ses doigts. Un jour, il consacre tous ses efforts à faire entrer dans le ministère lord Granville et lord Spencer ; il emploie à cet effet sir Banks et lord Saint-Helens. L'un agira sur les premiers, le second sur le roi lui-même. Une autre fois, pour empêcher un changement de ministère, ce qui lui déplaisait, il s'arrange de façon à ce que le prince de Galles, Fox, lord Moïra, Shéridan et Erskin s'attachent de cœur et d'âme à conserver l'état de choses qu'il préfère et il ne manque pas d'ajouter : Ce problème est assez difficile, mais je le résoudrai certainement[34]. Il ne laissait jamais échapper une occasion de répéter, dans ses rapports à Saint-Pétersbourg, qu'on pouvait y être tranquille, car sans le moindre doute il remplissait sa mission d'une manière merveilleuse. Pitt, qui se connaissait en hommes, vit dans Nowossiltzoff l'instrument le plus parfait pour faire échouer toutes transactions avec la France ; aussi le mit-il en avant comme le diplomate le plus capable de s'aboucher avec Napoléon occasionnellement dépouillé de ses dignités et ramené au rang de simple particulier. Stylé par le ministre anglais, Nowossiltzoff écrivait au chancelier russe : Que dites-vous de la proposition qu'on fait à notre Maître de m'envoyer chez Sa Majesté Corse ? Je ne doute pas que si Bonaparte ne voulait point se prêter à ce qu'on lui proposera, j'aurais tous les moyens de lui arracher le masque et de montrer à qui veut voir qu'il n'est qu'un monstre[35]. Avec un tel ambassadeur, l'Angleterre pouvait être tranquille : une paix honorable faite de concessions réciproques n'était pas à craindre : on n'avait qu'à se reposer sur Nowossiltzoff pour décourager toutes les tendances conciliantes de l'empereur des Français, si même celui-ci, par impossible, consentait à discuter dans les conditions humiliantes qu'on prétendait lui imposer. C'est plein de son importance, se réjouissant d'avoir à dire son fait au grand capitaine admiré de l'Europe, que Nowossiltzoff se rendit vers la fin d'avril 1805 à Berlin, où il établit son quartier général en attendant les passeports que la Prusse avait demandés pour lui à Paris. Frédéric-Guillaume, en se jetant tête baissée dans l'aventure où le menait le Tsar, n'ignorait nullement que Nowossiltzoff devait aller à Paris avec l'obligation de ne pas reconnaitre Napoléon comme empereur. La preuve évidente en est dans les termes de la communication qu'il adressa à Napoléon et dans les premiers mots d'Alexandre Ier spécifiant à son agent qu'il s'est positivement expliqué sur les conditions qu'il mettait à son envoi à Paris. Dans cette situation délicate, créée comme à plaisir pour blesser au vif l'amour-propre de Napoléon, c'est encore celui-ci qui, de l'aveu même des historiens allemands, montra le plus de délicatesse. Il est hors de doute, dit Haüsser[36], que dans cette occasion Bonaparte s'est conduit plus loyalement envers la politique prussienne que la Russie et ses alliés. Pris entre son désir de jouer le jeu de la Russie et la crainte d'irriter trop vivement Napoléon, le roi de Prusse traduisit les propositions russes en des termes savamment calculés. S'adressant directement à l'Empereur, il lui dit : M. de Nowossiltzoff, si Votre Majesté impériale y consent, se rendra près d'elle, sans caractère public encore, muni des pleins pouvoirs les plus étendus, mais chargé par la confiance de son maitre de développer sans intermédiaire à Votre Majesté Impériale elle-même les opinions d'Alexandre, ses offres, ses vœux, ses espérances[37]. Sous cette forme même soigneusement atténuée, il était facile d'apercevoir le caractère insolite du procédé dont voulait user la Russie. Ce voyageur sans mandat défini, traversant la France incognito, ne voulant rien connaître des ministres qu'en tout État il aurait dit voir en premier lieu, n'était pas autre chose qu'une sorte de parlementaire. A ce titre, il n'avait aucune raison d'exister puisqu'on n'était pas eu guerre avec la Russie. Par un caprice du Tsar, les relations étaient interrompues, c'est vrai ; mais il n'y avait point d'hostilités déclarées. Admettant même que ni l'Angleterre, ni l'empereur de Russie ne voulussent rétablir pour l'instant de rapports officiels et réguliers avec la France, pourquoi ne prenait-on, pour présenter la note anglo-russe, soit l'ambassadeur prussien parfaitement qualifié du moment que sa Cour servait d'intermédiaire, soit même l'ambassadeur autrichien alors à Paris ? Comment expliquer cette façon d'agir, sinon par le désir formel de voir repousser préalablement toutes négociations ? Ce résultat eût été certain, inévitable, on le pensait bien, si le roi de Prusse avait osé formuler, dans toute leur grossièreté, les prétentions du Tsar ; mais c'était déjà se permettre une licence suffisante que de demander à Napoléon d'oublier sa qualité de souverain d'un grand pays, et de descendre au rang du dernier hobereau à qui l'autocrate ordonne rait de recevoir un ukase des mains de son aide de camp. Malgré les adoucissements apportés par la Prusse à la présentation de cette audacieuse proposition, nul ne pouvait espérer que Napoléon agréerait une ambassade aussi peu régulière, et que, selon son droit, et même son strict devoir, il n'invoquerait pas les usages admis par tons les gouvernements monarchiques. Ce que l'on connaît de son caractère autorise à penser que sa dignité d'homme et de souverain se révolta à l'idée qu'il lui faudrait s'abaisser et renoncer à ses prérogatives devant la volonté d'un prince dont l'hostilité pour sa personne et pour la France ne faisait aucun doute. Il se livra certainement en son àme un combat douloureux. Sa fierté naturelle, le prestige de sa couronne lui commandaient de répondre avec mépris à l'injure qu'on lui faisait ; mais, d'autre part, au prix d'un froissement d'amour-propre, de l'oubli passager de ses devoirs élevés, il allait peut-être acheter la réunion de ce congrès européen qu'il réclamait depuis deux ans. La cause de la paix eut encore une fois raison de ses perplexités. Il donna l'ordre de délivrer, sous quelque forme que ce fût, les passeports demandés pour Nowossiltzoff par le roi de Prusse. Et afin qu'il n'y eût pas de rétractation possible, c'est lui, Napoléon, qui publia immédiatement la nouvelle de ce rapprochement, tant précaire fût-il, de la France avec la Russie. Faites annoncer indirectement à la Bourse et ailleurs, écrit-il à Cambacérès[38], que la Russie a refusé d'entendre à aucune proposition hostile et que l'empereur de Russie m'a fait demander des passeports pour un de ses chambellans qu'il m'envoie ici, étant dans l'intention de se remettre bien avec la France. Mais, il faut le dire tout de suite, M. de Nowossiltzoff ne vint tout de même pas à Paris. L'acceptation inattendue de Napoléon ne fit pas le compte du gouvernement anglais. C'était la guerre, la guerre quand même, avec le démembrement de la France, que ce gouvernement exigeait. Pour sortir de l'impasse où l'acculait la tournure imprévue que prenaient les négociations, il n'avait qu'à revenir sur les engagements consentis au début avec la Russie, qu'à rayer du programme adopté en commun la reddition de Malte et la modification du code maritime. C'est ce qu'il n'hésita pas à faire avec célérité et désinvolture. Les dates[39] ont ici leur enseignement : le 26 mai, Napoléon ordonne de faire connaitre publiquement qu'il délivrera les passeports à l'envoyé russe ; la nouvelle circule, elle passe la Manche et, le 5 juin, le comte Worontzoff, ambassadeur à Londres, est informé officiellement que l'Angleterre n'entend plus rendre Malte ; enfin, vingt jours plus tard, c'est-à-dire juste après l'intervalle de temps indispensable à un courrier pour franchir la distance entre Londres et Saint-Pétersbourg, lord Gower signifiait au gouvernement russe : 1° Que l'Angleterre ne veut décidément pas abandonner Malte, en retour des stipulations tracées dans les bases de pacification ; 2° Que si l'on pouvait même obtenir les garanties demandées, il faudrait encore une autre île dans la Méditerranée ; 3° Qu'elle demandait qu'il ne fût absolument pas question de code maritime. Devant cette retraite brutale, qui entraînait avec elle la continuation d'une guerre préjudiciable à l'Europe entière, y semant pour de longues années le deuil et la désolation, la logique eût voulu que la Russie pesât de toute son influence sur l'Angleterre, la menaçât au besoin, afin de la faire revenir sur sa décision funeste. La logique était alors absente des cabinets ministériels ; elle était rarement présente dans les cerveaux princiers. Logique, misère des peuples, mères éplorées, droit méconnu, justice nécessaire, loyauté naturelle, rien ne put balancer dans la conscience des rois leur haine instinctive de la France, leur volonté de la réduire à l'état de puissance intime. Loin de faire la moindre observation au gouvernement britannique, on chercha à lui être agréable, à demeurer dans ses meilleures grâces. On s'ingénia à trouver une raison quelconque de rejeter sur Napoléon la faute de la rupture et l'on prit le prétexte de l'incorporation de l'état de Gènes à l'Italie, incorporation survenue le 4 juin 1803. On déclara que ce nouvel empiétement de l'empereur des Français rendait toute négociation impossible. Enfin Nowossiltzoff reçut l'ordre de retourner à Saint-Pétersbourg sans dépasser Berlin. Ce motif, en apparence sérieux, ne reposait sur aucun fondement attendu que la question de Gènes, si elle en était une, aurait pu se régler avec toutes les autres devant le congrès qui se tiendrait plus tard. Toutefois il convient de signaler que c'est à la demande des habitants de la Ligurie que la réunion eut lieu. Certes un souverain puissant comme l'était Napoléon, peut toujours s'arranger en quelque manière à gagner les Conseils d'un petit État et les décider à faire appel à sa protection ; mais, dans l'espèce, la démarche des sénateurs génois n'a rien de surprenant : la Ligurie, bloquée d'un côté par les croisières anglaises, enserrée sur terre par les troupes françaises, voyait périr son commerce et sa prospérité. Par cette considération, on peut admettre que le vœu des populations était universel quand elles cherchaient à voir s'ouvrir les portes de leur pays. Et si leurs préférences se portèrent vers la terre ferme, c'est parce que sur mer elles avaient, eu plus des Anglais, à redouter les corsaires barbaresques. L'acte de l'Empereur, à tous égards, pouvait donc être mis au rang des différends qui seraient réglés le jour de la pacification générale. Mais la preuve que l'adjonction de Gènes à l'Italie ne fut qu'une misérable excuse choisie à défaut d'une autre, nous la trouverons, non en France d'après les allégations de Napoléon ou de ses ministres, mais, indiscutable, sous la plume nième du chancelier de l'Empire russe. S'il est exact que le 21 juin le prince Czartoryski donnait l'ordre à Nowossiltzoff de faire éclater le scandale de Gènes et de prendre à témoin l'Europe des bonnes intentions et des désirs les plus purs de l'empereur de Russie dont s'est joué Bonaparte, près de qui Sa Majesté Impériale avait consenti à envoyer ledit Nowossiltzoff[40], il n'en est pas moins vrai que, ce jour-là, il omettait volontairement de dire que déjà il avait connaissance des nouvelles exigences anglaises qui détruisaient virtuellement tout espoir de paix. Ayant appris que Nowossiltzoff avait reçu des informations directes de Londres, le prince avoue ingénument que des avis préalables lui avaient fait présager les décisions du Cabinet de Londres[41]. C'est donc en parfaite possession de ces avis préalables, antérieurs par conséquent au prétexte de Gènes choisi pour la rupture, que la Russie se retranchait derrière ce motif simulé. S'il était besoin d'une autre confirmation, on la lirait dans les Mémoires du prince Czartoryski. Il ne parle nullement de l'affaire de Gènes ; il dit encore moins que cette annexion faisait un devoir à la Russie de reprendre avec ardeur.sa place militante parmi les alliés. Il se borne à faire l'aveu suivant : Le refus péremptoire d'évacuer Malte donnait à la Russie le droit et la raison de se retirer de la coalition. Et il est amené, comme nous l'avons été nous-même, à conclure que cette résolution, maintenue avec force, eût donné aux négociations un autre caractère et des résultats différents[42]. N'eût-on pas le témoignage décisif de Czartoryski dans ses
Mémoires, que dans ses propres instructions adressées le 25 juin 1805 à Nowossiltzoff,
on verrait clairement ses préoccupations de masquer aux yeux de l'Europe par
une fureur factice la véritable cause de la rupture des négociations. Il dit
: La diversité d'opinion entre notre Cour et celle
de Londres ne saurait certainement produire aucun bon effet sur la
négociation dont vous avez été chargé, et par conséquent je ne saurais que me
référer à ce que je vous ai mandé par le chasseur Prochnitsky — c'est-à-dire
de s'en tenir à l'annexion de Gênes —. Il me semble
que ce serait un moyen sir de ne compromettre d'aucune part la dignité de
notre auguste Madre que de profiter de la sottise que Bonaparte vient de
faire, ou de toute autre qu'il pourrait faire encore, pour déclarer que Sa
Majesté Impériale ne veut plus traiter avec lui, et je suis porté à croire
que vous partagerez d'autant plus cette opinion qu'elle vous fournit
l'occasion de vous soustraire aux chances incertaines de l'effet que produira
l'issue de la négociation sur l'opinion publique qui probablement, d'après
les circonstances qui accompagnent et suivront votre mission, ne serait
favorable ni à la Russie, ni à l'Angleterre[43]. Nowossiltzoff, docile à la leçon de son chancelier, motiva sa retraite par les phrases suivantes : Une nouvelle infraction aux traités les plus solennels vient d'opérer la réunion de la République ligurienne à la France. Cet événement en lui-même, les circonstances qui l'ont accompagné, les formes qu'on a employées pour en précipiter l'exécution, le moment même qu'on a choisi pour l'accomplir, ont formé malheureusement un ensemble qui devait marquer les dernières bornes aux sacrifices que Sa Majesté Impériale a portés aux instances de la Grande-Bretagne, et l'espoir de ramener par la voie des négociations la tranquillité nécessaire en Europe. Il n'est point trop hardi, semble-t-il, d'affirmer maintenant que la mission Nowossiltzoff échoua parce qu'elle avait été créée pour ne pas réussir. L'échec, selon les instigateurs de cette pauvre comédie, devait en être rejeté sur l'empereur des Français. On avait escompté d'avance sa fureur quand on lui proposerait de traiter d'une autre manière qu'en souverain d'un grand pays. La sagesse de Napoléon, sa sincérité constante en cette question de la réunion d'un congrès européen, déjouèrent les calculs de ses ennemis et les acculèrent aux contradictions, aux mensonges qu'on relève aujourd'hui avec tant de facilité dans leurs propres archives. Mais celles-ci n'existeraient-elles pas que les Mémoires, les lettres éparses, les confidences recueillies de la bouche même des contemporains suffiraient non seulement à démontrer que la fausseté préméditée fut du côté de l'Angleterre et de ses clients, mais encore à prouver sans contestation possible que, dès son origine, la mission Nowossiltzoff ne fut qu'un écran derrière lequel on espérait trouver le temps de compléter les armements et de régler l'entente définitive dans les conciliabules qui se tinrent à Vienne durant les périodes des déplacements de Nowossiltzoff, c'est-à-dire d'avril à fin juin. Il n'est pas douteux que, dès le 11 avril, on était déjà assuré de la coopération effective de l'Autriche, bien que cette puissance n'eût pas encore revêtu matériellement de son paraphe le traité de concert. L'article XI de la Convention, signée ce même jour entre la Russie et l'Angleterre, dit formellement que Sa Majesté Impériale, Royale et Apostolique, serait invitée à mettre immédiatement ses armées en état d'agir, en les complétant et en les concentrant à proximité des limites de la France[44]. Tout était si bien d'accord que l'envoyé russe, baron de Winzingerode, ayant épuisé la série d'exhortations et de menaces qu'il était chargé d'adresser à la Cour de Berlin, reçut l'ordre de quitter cette ville et de se rendre à Vienne[45]. Là, en de nombreuses conférences auxquelles prirent part également le prince de Schwarzenberg, le général Mack et le baron de Cullembach, fut arrêté le système d'opérations proposé par le gouvernement autrichien. On décida d'attaquer la France par le Rhin et la Franche-Comté et l'on discuta les mesures concernant le rassemblement des armées, leur nombre, la qualité des armes, leurs emplacements, les subsistances, les transports, les munitions. Voilà, déclarent malicieusement les initiés de l'époque, ce que les agents très subalternes (sic) de Napoléon n'avaient encore pu pénétrer[46]. C'est peut-être prêter à l'empereur des Français une candeur par trop exagérée. S'il est vrai qu'il ne connaissait pas en détail les travaux souterrains de ses ennemis ; s'il est vrai qu'il ne se résolut pas facilement à croire à une duplicité aussi raffinée, le plus simple bon sens suffisait à lui faire comprendre qu'il se passait quelque chose d'anormal et il n'avait même pas attendu que les choses prissent le caractère incohérent qui se dessina à l'occasion des démarches de Nowossiltzoff. Ses premiers soupçons remontent, comme sous l'action d'un pressentiment remarquable, à l'heure exacte où, dans les lettres autographes et confidentielles que nous avons produites, François II et Alexandre Ier, en 1804, établissaient entre eux les bases primordiales de l'alliance. Par différents actes de l'Autriche qui allaient à l'encontre du traité de Lunéville, l'attention de l'Empereur avait été attirée sur ce qui se passait à Vienne. Il disait alors à Talleyrand[47] : Écrivez à M. de Cobentzel, ambassadeur d'Autriche à Paris, une lettre dans laquelle vous lui direz que l'empereur des Français n'a pu être indifférent aux acquisitions importantes de la Maison d'Autriche ; que le principe de pouvoir acquérir des souverainetés, à prix d'argent ou par tout autre moyen, ne peut être admis ; qu'elle vient d'acquérir Lindau et qu'il est question de réunir en Souabe ses possessions pour en faire une souveraineté ; que le but des stipulations de Lunéville et de Ratisbonne a été d'éloigner les frontières des deux. États, afin d'éviter le plus possible des discussions... que du reste je ne puis voir dans cette conduite qu'une envie de me tracasser à coups d'épingle, manières indignes de grandes puissances éclairées et voisines qui devraient avoir appris à se ménager et à traiter les affaires qui les regardent avec plus de sérieux, plus de considération et moins d'incartades... Beaucoup de choses me font penser que la Cour de Vienne met plus de duplicité dans sa conduite que vous ne croyez. Elle était instruite de la conjuration ; elle élevait le ton en conséquence. En janvier 1805, le gouvernement français dut s'intéresser de nouveau à certains mouvements militaires de l'Autriche. Nous savons aujourd'hui qu'ils se rattachaient aux mesures secrètes concertées avec la Russie pour frayer le chemin de la coalition. Impatients de faire avancer leurs troupes sur l'échiquier de la future guerre, les Alliés estimaient que tous les prétextes seraient bons pour déjouer la surveillance de la Cour des Tuileries ; mais celui de ces prétextes qui fut choisi dépassa les bornes permises. Vers la fin de 1804, un bâtiment venu d'Amérique avec un chargement de coton entra dans le port de Livourne ; son équipage était atteint de la fièvre jaune. L'alarme fut bientôt générale dans la haute Italie et, de proche en proche, les États qui semblaient le moins exposés à la contagion s'empressèrent d'établir des cordons sanitaires sur leurs frontières. L'Autriche en forma aussi sur les siennes. On put croire d'abord qu'elle ne cherchait qu'a se garantir de l'invasion du fléau ; mais bientôt on apprit qu'en réalité elle transportait sur l'Adige des masses importantes de troupes et d'artillerie ; qu'on préparait même la formation d'un camp dans le Frioul, sous le commandement du général Mack. Le cordon sanitaire se chiffrait par quatre-vingt mille hommes environ[48]. Des explications furent demandées à M. de Cobentzel. Celui-ci répondit qu'on prenait à tort ombrage d'une simple mesure quasiment domestique, d'un armement contre la fièvre jaune. La fièvre jaune, ajoutait-il d'un ton badin, n'est-elle pas l'ennemie de tous les gouvernements ?[49] Napoléon lui-même dans une lettre amicale du Ier janvier 1805, crut devoir prévenir François Il que la formation d'armées en Carniole et dans le Tyrol l'obligeait à une réunion d'armées en Italie et sur le Rhin... opérations très coûteuses pour les finances des deux pays, observait-il, et qui ne produiraient que de nouvelles charges pour les peuples[50]. Pour qui sait, comme nous, à quelles trames belliqueuses se livrait François II, d'accord avec la Russie, sa réponse à l'empereur des Français est un monument de dissimulation qui mérite bien d'être découvert aux yeux de l'histoire. Il ose dire à la date du 23 janvier 1805[51] : Je suis peiné de voir que, malgré tous les soins et les sacrifices par lesquels j'ai prouvé à Votre Majesté, depuis le traité de Lunéville, la sincérité de mes sentiments pacifiques, elle me témoigne de nouveau des soupçons, à l'occasion d'une mesure aussi naturelle et aussi peu faite pour causer de l'ombrage que l'est la formation d'un cordon de troupes le long des côtes de l'Adriatique et de nos frontières d'Italie, mesures commandées par une nécessité indispensable pour préserver mes États des communications du fléau des maladies contagieuses... L'accomplissement actuel du but de mes efforts me console du sacrifice qu'ils m'ont coûté et me confirme dans le dessein gravé dans mon cœur de ne jamais reprendre les armes que pour la défense et la sûreté des peuples que le ciel a confiés à mes soins. Tranquillisé ou voulant l'être par ces belles paroles, Napoléon s'empressa de faire annoncer par le Moniteur la fausseté de tous les bruits ayant pour objet d'exciter la défiance entre les deux Empereurs qui tous deux étaient parfaitement d'accord pour laisser l'Europe jouir du repos de la paix et consacrer leurs soins à l'amélioration de leurs finances, à la prospérité de l'agriculture et du commerce[52]. Plus tard encore, en juin 1805, comme s'il devenait plus nerveux à mesure que les nuages s'amoncelaient au sud de l'Europe, il se creuse la tête pour trouver le moyen de percer à jour les desseins de l'Autriche. Il se prend alors à penser que l'attitude de cette Cour donnerait sans doute quelques indications intéressantes s'il lui faisait offrir des décorations de la Légion d'honneur. L'inventeur de cet ordre récent aperçut, dès la première heure et avec un coup d'œil sûr, toutes les ressources qu'on pouvait tirer des rubans écarlates et des étoiles émaillées. Le 6 juin, il écrit à Talleyrand[53] : Comme rien ne serait plus propre à me donner la mesure exacte des dispositions de la Cour de Vienne que d'entamer une négociation dont l'objet serait d'échanger un certain nombre de grands cordons de la Légion d'honneur coutre des cordons des ordres d'Autriche, écrivez à M. de La Rochefoucauld de dire à M. de Cobentzel que, pendant mon séjour à Milan, j'ai reçu les ordres de Prusse, de Bavière et de Portugal ; que je vais recevoir incessamment les ordres d'Espagne ; qu'ainsi l'Autriche se trouve presque être la seule des grandes puissances du Continent qui n'ait point fait un échange des cordons de ses ordres et que, ne voyant aucune raison à une exception qui semblerait marquer de l'éloignement, je suis disposé à proposer quelques grands cordons de la Légion d'honneur en échange d'un pareil nombre de cordons des ordres d'Autriche... Vous ordonnerez à M. de La Rochefoucauld de vous informer promptement du résultat de son entretien avec M. de Cobentzel, de ne rien négliger de ce qui pourrait me donner une connaissance positive des dispositions de la Cour de Vienne, et de vous faire connaître, par la voie la plus prompte et la plus sûre, les mouvements extraordinaires qui s'opéreraient dans les armées autrichiennes... Cette préoccupation constante des faits et gestes de l'Autriche découlait naturellement de la situation. Il était bien évident, sans qu'il fût besoin de trop y réfléchir, que l'Angleterre, ayant en face d'elle une menace d'invasion qu'elle s'était attirée par la dénonciation du traité d'Amiens, devait chercher à éloigner ce cauchemar de tous les instants. Son meilleur, son unique moyen consistait à soulever les puissances afin de forcer Napoléon à quitter les rives de la Manche pour se retourner contre les armées étrangères. Que, dans le péril où elle se trouvait en face des armées du camp de Boulogne, l'Angleterre cherchât à tout prix des alliés, rien de plus légitime ; mais qu'elle en rencontrât où elle aurait dit récolter avant tout des rappels au respect des traités, c'est une autre affaire. En tout cas Napoléon n'avait guère de peine ni à deviner le rôle des Anglais, ni à pressentir quels seraient les souverains le plus disposés à lever l'étendard de la nouvelle campagne. Au reste ils se désignaient suffisamment eux-mêmes par les allées et venues de leurs envoyés extraordinaires, par les réunions clandestines de ceux-ci à Londres, à Saint-Pétersbourg ou à Vienne, et il est permis de croire aussi que Napoléon glanait de-ci de-là des révélations confidentielles, transmises par les diplomates des petits États de l'Empire germanique. Ces États s'efforçaient de lui complaire. De même qu'ils avaient été ses humbles clients à Paris, au moment du partage des indemnités allemandes, ils auraient volontiers accepté maintenant quelque nouvelle faveur. Et puisque sa défiance était éveillée, à mesure que ses appréhensions croissaient du côté de la coalition, son anxiété devenait plus aiguë lorsqu'il se demandait quel serait le parti final auquel s'arrêterait la Prusse. Rien n'était moins rassurant pour la France que la neutralité dont le roi de Prusse affirmait ne vouloir se départir au profit de personne. Cette neutralité constituait en fait, par elle-même, une sorte d'hostilité envers la France. Frédéric-Guillaume résistât-il avec la dernière énergie, ce qui était improbable, aux injonctions comminatoires des alliés, la neutralité telle qu'il l'entendait tournait encore contre les intérêts français. Car, s'il avait signifié à la Russie et à l'Angleterre sa résolution formelle d'interdire l'entrée des troupes étrangères dans les États du nord de l'Allemagne, il faisait une exception en faveur des possessions allemandes du roi d'Angleterre ; il mettait sa justice à ne pas apporter plus d'obstacles à la reprise du Hanovre par les Anglais qu'il n'en avait jadis apporté à la conquête des Français. Ce raisonnement, assez solide en apparence, manquait cependant d'équité, car il s'agissait moins — Frédéric-Guillaume le savait très bien — du débarquement des Anglais eux-mêmes que de celui des Russes ou de tous autres salariés du Trésor britannique. Et, circonstance plus aggravante, le petit port de Cuxhaven, dont l'assimilation aux possessions anglaises avait été contestée avec tant d'acrimonie par Frédéric-Guillaume lui-même, se trouvait aujourd'hui reconnu comme lieu de débarquement libre pour les alliés. Il convient de dire à sa décharge que le roi de Prusse avait fait des remontrances très fermes au roi de Suède, qui non seulement rassemblait douze mille hommes à Stralsund, mais encore y attirait les soldats de l'ancienne armée hanovrienne, lesquels s'échappaient secrètement et en détail de l'Électorat où les avait laissés libres la magnanimité du général Mortier. Le roi de Suède répondit avec hauteur et dédain aux observations de la Prusse. Il revendiqua son droit de faire ce que bon lui semblerait dans la Poméranie suédoise ; il renvoya cavalièrement Frédéric-Guillaume aux affaires de son propre royaume. Afin d'éviter toute méprise, il laissa entendre que la Suède ne manquerait pas d'alliés[54]. Ce n'était pas une hâblerie ; on en fut bientôt convaincu à Berlin, en recevant signification de l'empereur de Russie que les stipulations de garantie réciproque existant entre la Russie et la Suède appelleraient aussi les armées russes à la défense de la Poméranie suédoise[55]. Cette déclaration est en conformité avec les traités connus aujourd'hui : d'une part, le traité anglo-russe où Alexandre annonce en l'article VI son intention de débarquer des troupes à Stralsund ; d'autre part, le traité russo-suédois qui investit le roi de Suède du commandement d'une armée de quatre-vingt mille soldats russes auxquels se joindraient douze mille Suédois et les débris de l'armée hanovrienne[56]. Pour un homme qui n'aimait pas à voir ses frontières
garnies d'armées étrangères, Frédéric-Guillaume se trouvait maintenant assez
mal partagé. Ce n'était guère la peine, en vérité, d'avoir obtenu
dernièrement le retrait de douze mille Français pris dans la garnison de
l'Électorat. Encadrée par les forces énormes de la coalition d'un côté et de
l'autre par les renforts que la France ne manquerait pas d'envoyer en
Hanovre, la neutralité prussienne était bien précaire. Forcément, quoi qu'il
advint, cette situation ne se dénouerait pas sans que le roi de Prusse se fit
un ennemi de l'un des deux camps. C'était la conséquence de la faute commise
à l'origine du conflit. Il aurait fallu, dès la rupture du traité d'Amiens,
prendre parti soit pour l'Angleterre en s'opposant l'épée au poing à
l'invasion du Hanovre, soit pour la France en s'alliant à elle et en courant
toutes ses chances. L'Électorat devenait l'échancrure par laquelle la Prusse
serait fatalement entamée. Comme la lutte décisive allait avoir pour théâtre
la Bavière, les Russes ou les Français, qui en nombre considérable se
tenaient en respect sur les bords de l'Elbe, ne reculeraient certainement pas
les uns ou les antres devant la nécessité de franchir la Prusse pour voler au
secours de leurs frères d'armes vaincus. La résolution de traverser le
territoire prussien était prise de longue date par la Russie. L'article XI de
son traité avec l'Angleterre mentionne que les troupes russes se
rapprocheraient de la France à travers les États autrichiens et prussiens[57]. Pour remplir ce
programme, le général russe Michelson avait reçu
l'ordre, immédiatement après son entrée en Prusse, d'en informer les
autorités militaires prussiennes les plus rapprochées et de poursuivre sa
marche. Dans le cas où les Prussiens manifesteraient des intentions hostiles,
Michelson devait les désarmer[58]. C'est en vertu
de ces déterminations formellement arrêtées que le Tsar menaçait en termes
pressants Frédéric-Guillaume et nourrissait l'espoir de l'entraîner à l'heure
opportune dans la coalition. Quant à Napoléon, fidèle à son système de ne rien demander sans donner quelque chose en échange, il s'épuisa en supplications afin d'amener le Roi à conclure l'alliance et à prendre le Hanovre en dépôt. Il lui offrait en ce cas toutes les garanties désirables d'accroissement de puissance dans l'avenir[59]. Cependant la brusque terminaison du simulacre de négociations confié à Nowossiltzoff avait jeté un certain désarroi à la Cour de Vienne qui comptait sur des délais beaucoup plus longs. Il était convenu qu'on n'attaquerait la France que le jour où l'on aurait au moins quatre cent mille hommes à mettre en ligne. L'article IV séparé le dit expressément : La réunion de cinq cent mille hommes effectifs mentionnés à l'article du concert signé aujourd'hui, n'étant pas aussi facile que désirable, Leurs Majestés sont convenues qu'il serait mis à exécution sitôt que l'on pourrait opposer à la France une armée de quatre cent mille hommes, composée de la manière suivante : — L'Autriche fournirait deux cent cinquante mille hommes, la Russie pas moins de cent quinze mille, indépendamment des levées faites par elle en Albanie, en Grèce ; et le reste des quatre cent mille hommes serait produit par des troupes napolitaines, hanovriennes, sardes et autres[60]. Ces différentes armées n'étant pas en état d'entrer en campagne, on se dit qu'on devait s'appliquer à endormir encore la vigilance de Napoléon. Dans ce but on eut l'idée d'offrir une nouvelle médiation à l'empereur des Français. Cette idée était presque bouffonne venant si peu de temps après l'échec de la mission Nowossiltzoff. On ne la mit pas moins à exécution. Ce fut l'Autriche qui cette fois se chargea de présenter à Napoléon un ultimatum forgé d'avance[61]. Le 5 août 1805, répondant à certaines explications qui lui étaient demandées encore sur ses armements, la Cour d'Autriche remettait au ministre français une note concernant un arbitrage des questions en litige[62]. Avec une prudence assez naturelle, l'Autriche se gardait de dire que, pour appuyer cette proposition pacifique, la Russie, silencieusement, faisait avancer du fond des provinces deux armées, chacune de cinquante mille hommes. La précaution ne manquait pas de sagesse. La Russie était grande, ses plaines d'une vaste étendue, ses steppes difficiles à traverser. Enfin, pour rendre tout à fait grotesque cette fausse tentative de conciliation, François II, se donnant les airs d'un homme qui aurait été indemne de toute compromission clandestine, eut la belle audace de porter plainte à Ratisbonne contre l'empereur des Français qu'il prétendait engagé dans des négociations secrètes avec des petits princes d'Allemagne[63]. Quand Napoléon reçut à Paris cette reproduction des procédés qui venaient d'échouer avec tant de scandale dans la mission Nowossiltzoff, il trouva que la plaisanterie avait assez duré. Il s'en tint à l'attitude qu'il avait prise vis-à-vis de l'Autriche, et il redoubla d'insistance pour obtenir des éclaircissements sur les mouvements de troupes qui étaient signalés de toutes parts. Avec la plus honorable franchise et afin qu'on ne le soupçonnât pas de provoquer une querelle sans motifs, il fit inviter M. de Cobentzel, l'ambassadeur d'Autriche, à venir lui-même au ministère des Relations Extérieures prendre connaissance des pièces sur lesquelles le gouvernement fondait ses alarmes. Quatre jours durant, l'ambassadeur d'Autriche — fait sans précédent dans les annales — put compulser à son aise les correspondances de nos ministres à l'étranger, les rapports, les dépêches de nos agents, en un mot tout ce qui constitue le secret particulier d'une diplomatie[64]. Ne recevant pas d'explications satisfaisantes et n'acceptant plus aucun faux-fuyant, Napoléon demanda énergiquement que toute équivoque fût dissipée. Si l'Autriche voulait cacher son intention de lui faire la guerre, il faisait savoir sans ambiguïté qu'il n'était nullement disposé à attendre que son territoire fût envahi pour marcher sur son ennemi. Il était alors à Boulogne près de cette armée modèle sur laquelle il comptait pour la réalisation de son vœu le plus ardent, la conquête de l'Angleterre, et il s'efforçait de parer à la diversion que les calculs si justes du Cabinet britannique avaient ménagée vers le sud et qui déjà commençait à faire sentir ses effets. Le 12 août 1805, il écrit à Talleyrand[65] : Vous direz à M. de Cobentzel que vous ne pouvez que vous en référer aux notes que vous lui avez remises ; qu'on ne peut plus aller plus loin ; que j'attends une réponse, sans quoi je fais entrer des troupes en Suisse et je lève mes camps de l'Océan ; que je ne puis plus m'accommoder des paroles ; que je ne veux pas d'armée en Tyrol ; qu'il faut que les troupes autrichiennes rentrent dans leurs garnisons, sans quoi je commence la guerre. Le lendemain, il dit à Cambacérès : Vous verrez dans le Moniteur des articles qui vous feront croire à la guerre prochaine avec l'Autriche. Le fait est que cette puissance arme ; je veux qu'elle désarme. Si elle ne le fait pas, j'irai avec deux cent mille hommes lui faire une bonne visite dont elle se souviendra longtemps. Toutefois, au fond de lui-même, il était parfaitement résolu à ne pas détourner, vers une autre puissance, ses armes dirigées en ce moment contre l'Angleterre, et il ajoute dans ses instructions à Cambacérès[66] : Cependant, si l'on vous consulte et dans vos discours, dites que vous ne croyez pas à la guerre, par la raison que je me suis éveillé de bonne heure. Il faudrait en effet être bien fou pour me faire la guerre. Certes il n'y a pas en Europe une plus belle armée que celle que j'ai aujourd'hui. Une lettre de son ambassadeur à Vienne lui étant parvenue
le même jour, il mande à Talleyrand : La réponse que
M. de Cobentzel aura reçue probablement de son côté est facile à deviner :
elle contiendra sans doute des dénégations, des protestations, en un mot des
phrases dilatoires. Ce n'est pas là mon affaire : mon parti est pris. Je veux
attaquer l'Autriche et être à Vienne avant le mois de novembre prochain, pour
faire face aux Russes, s'ils se présentent ; ou bien je veux, c'est là le
mot, qu'il n'y ait qu'un régiment dans le Tyrol et huit régiments dans la
Styrie, la Carinthie, la Carniole, le Frioul et le Tyrol italien. Quand je
dis huit régiments, j'entends parler d'infanterie seulement, car quelques
régiments de cavalerie ne pourraient m'inspirer de défiance. Je veux que les
troupes de la Maison d'Autriche se rendent en Bohême et en Hongrie et qu'on
me laisse faire tranquillement ma guerre à l'Angleterre... Je préfère à tout que l'Autriche se place réellement dans
une situation pacifique... Vous enverrez
chercher M. de Cobentzel, vous lui montrerez les lettres de M. Alquier, de M.
de La Rochefoucauld, de M. Otto, puis celles de Salzbourg et de Ratisbonne et
toutes celles qui parlent de mouvement et de rassemblement des troupes
autrichiennes ; vous les lui remettrez pour qu'il les copie ; s'il fait
quelque difficulté à le faire, passez une heure avec lui, faites en sorte
qu'il lise tout et, quand il aura tout lu, vous lui direz : Actuellement,
monsieur, vous venez de lire un grand nombre de lettres ; je ne sais quelle
est la véritable impression qu'elles ont faite sur vous ; mais quelle
impression pensez-vous qu'elles ont faite sur Sa Majesté l'empereur des
Français, lorsqu'il les a lues à Boulogne, au milieu de son camp, et tout
occupé à ses opérations d'outre-mer ? Déjà il a suspendu l'exécution de ses
projets d'hostilité et il a compris qu'il ne pouvait se porter en Angleterre
avec cent cinquante mille hommes lorsque ses frontières du midi étaient
menacées. Ainsi donc l'empereur d'Allemagne a déjà opéré une diversion en
faveur des Anglais !... Il faut que
tout en Autriche rentre dans l'ordre où l'on se trouvait il y a trois mois,
ou vous aurez la guerre dans un mois !... Cette lettre est des plus remarquables autant par la
franchise qui y règne du commencement à la fin que par l'assurance calme et
précise avec laquelle Napoléon dévoile ses plans, prédit avec des dates
fixes, en quelques mots, les événements qui vont se dérouler. Je vous dis les propres sentiments de l'empereur des
Français, devait ajouter Talleyrand à M. de Cobentzel, et vous aurez la guerre précisément à l'endroit où vous
n'aurez pas de troupes, dans l'endroit où elles ne sont pas rassemblées. Vous
serez obligé de les y faire accourir aussi rapidement que vous les avez
portées dans les lieux qu'elles occupent en ce moment... Si jamais homme eut envers sa patrie et envers son
souverain une grande responsabilité, c'est vous, l'ambassadeur : seul de
votre pays vous connaissez la France ; seul de votre pays vous savez que
l'empereur des Français veut la paix ; vous savez que dans les départements
du Rhin il n'y a pas un soldat ; seul de votre pays vous savez qu'on n'a pas
fait l'appel d'un seul homme de la réserve et qu'on n'a complété les premiers
bataillons de guerre qu'aux dépens des deuxièmes bataillons ; seul vous voyez
Vienne à une distance convenable pour apercevoir sous leur véritable point de
vue les opérations et les apprécier dans tous leurs détails ; vous voyez
enfin, sur votre gauche, toutes les troupes de terre de la France, aux
extrémités de la Bretagne et de la Picardie, s'instruisant aux opérations
maritimes ; et en même temps vous voyez sur votre droite un nombreux
rassemblement de troupes dans le Tyrol et, de votre propre aveu,
soixante-douze mille hommes dans l'État vénitien. Vous ne pouvez donc
méconnaître quel est l'agresseur, ou de celui qui déclarera la guerre, ou de
celui qui vient au secours de l'Angleterre en rassemblant ses troupes sur les
frontières pour menacer la France... Si la France était en paix avec
l'Angleterre, y eût-il vingt-cinq mille hommes dans le Tyrol, à peine s'en
apercevrait-il, ou bien, sans faire semblant de s'en apercevoir, il se
contenterait d'envoyer cent mille hommes en Alsace. Mais encore une fois
l'empereur Napoléon ne peut envoyer aujourd'hui cent mille hommes en Alsace
qu'en faisant la guerre... Si vous présentez
ces vérités dans toute leur force à votre maître et si véritablement il n'est
qu'entraîné, il est impossible qu'il ne voie pas qu'on le conduit malgré lui
à la guerre, et alors tout sera calmé. Si au contraire votre maitre veut la
guerre, eh bien ! vous aurez fait votre devoir ; il n'y sera pas entraîné.
Mais dites-lui qu'il ne fera pas les fêtes de Noël dans Vienne ; non que vous
n'ayez une armée nombreuse et formidable, mais un mouvement rapide à donner à
trois cent mille hommes peut partir d'une seule tête ; un cabinet n'en fait
exécuter que lentement de semblables[67]. On pourrait critiquer cette sincérité brutale et trouver qu'elle permet difficilement à un ennemi de s'incliner devant des menaces proférées sur un ton aussi impérieux ; mais il ne faut pas oublier que ce langage a été précédé, durant une année environ, de réclamations et de remontrances toujours suivies de dénégations rassurantes, de protestations pacifiques et amicales. On comprendra alors qu'en voyant ses soupçons de naguère confirmés par des avertissements venus de tous côtés et justifiés même par les aveux tardifs de ceux qui lui avaient menti, Napoléon, las d'être berné, se soit dit que le temps des phrases creuses, des assurances verbales était passé, et qu'étant sous le coup d'un péril imminent, il avait le devoir de parler d'un ton haut et ferme, en homme qui peut tout oser parce qu'il a pour lui le bon droit et la vérité. Les jours étaient précieux. Les escadres françaises, sous le commandement de l'amiral Villeneuve, avaient échappé le 30 mars 1805 à la surveillance des Anglais. Elles tenaient la pleine mer depuis cette époque. Ayant réussi à tromper les Anglais qui s'étaient égarés à leur poursuite en Égypte, à la Martinique, aux Indes anglaises et jusqu'aux Iles-sous-le-Vent, elles devaient rallier les côtes normandes et ne pouvaient tarder d'arriver, maintenant qu'après avoir battu l'amiral Calder elles avaient opéré leur jonction avec l'escadre du Ferrol. Dès qu'apparaîtrait Villeneuve, Napoléon, qui résidait à Boulogne depuis le 3 août, allait donner l'ordre à son armée de traverser la Manche. A mesure que s'approche cette heure décisive, il se préoccupe de l'effet que peut produire en France, principalement sur le monde des affaires, sa descente en Angleterre. Il écrit au ministre du Trésor public[68] : Rassurez les hommes d'argent. Faites-leur entendre qu'il ne sera rien hasardé qu'avec sûreté ; que mes affaires sont trop belles pour rien hasarder qui puisse mettre à trop de hasards le bonheur et la prospérité de mon peuple. Sans doute que de ma personne je débarquerai avec mon armée, tout le inonde doit en sentir la nécessité, mais moi et mon armée ne débarquerons qu'avec toutes les chances convenables. Toutes les troupes étaient embarquées, tout le matériel à bord. Difficiles à contenir dans leur ardeur guerrière, les soldats ne quittaient pas des yeux leur chef qui, sur la jetée, attendait fiévreusement le signal désiré. Il allait, venait et revenait, arpentant d'un pas rapide les dalles du quai, déroulant dans sa tête les espérances les plus grandioses qui aient jamais hanté un cerveau humain : venger six siècles d'oppression, en abattant d'un seul coup la suprématie maritime de l'arrogante Angleterre ; et d'une chimère qu'était hier encore la marine française, avoir fait un instrument de victoire contre des forces réputées invincibles ; mettre la main sur le Trésor de Londres où s'alimentaient depuis quinze ans toutes les coalitions ; forcer ainsi les souverains de l'Europe à traiter d'égal à égal avec le soldat parvenu, dédaigné, répudié comme un être démoniaque tombé accidentellement au sein de l'Olympe monarchique ; assurer dès lors la grandeur et la prospérité sans rivales de son pays ; gagner personnellement un prestige à nul autre comparable ; enfin affermir sur sa tête pour jamais la couronne impériale, glorieuse et désormais inattaquable : tout cela, six heures d'une mer calme pouvaient le lui donner. Que les vents soient propices ! Que les flots s'apaisent pendant une seule demi-journée, et une destinée éblouissante va s'accomplir ! Rêves troublants, à peine croyables, qui seraient cependant des réalités aussitôt que poindrait à l'horizon la mâture du premier vaisseau de Villeneuve. Des officiers étaient postés de distance en distance sur les points élevés d'où l'on pouvait souder l'immensité de la mer. D'un geste venu de l'un d'eux, toutes les amarres étaient coupées, l'Empereur sautait sur son bateau, et deux mille embarcations, deux cent mille hommes dans une ivresse indescriptible voguaient vers les rives d'Angleterre, au bruit sonore des musiques de chaque régiment, à la clameur des chants de victoire entonnés par tous les soldats. Quelles illusions, quels tourments, quels rayons de joie, quelles éclipses de désespoir passèrent en ces dix jours d'une attente immédiate dans l'esprit de Napoléon, là, seul en face de la mer ! A chaque mouvement insolite, il tressaillait ; à chaque estafette, d se précipitait, et rien, toujours rien, et se voir impuissant, cloué au sol, dans l'expectative inerte et cruelle ! Il ne pouvait qu'attendre. Inutile de songer à traverser la croisière ennemie ; impossible, comme il l'eût fait. en toute autre campagne, de se porter lui-même à la rencontre du général indécis ou indolent. Non, il fallait rester là, devant les flots toujours muets. Où est Villeneuve ? Que fait Villeneuve ? Pourquoi Villeneuve n'est-il pas là ? C'est à ces interrogations décevantes qu'était réduit le rôle du plus grand homme de guerre. A dater du 13 août, pressentant qu'un certain
découragement, une certaine crainte des forces ennemies s'étaient emparés de
Villeneuve, il écrit au ministre de la marine : Témoignez
à l'amiral Villeneuve mon mécontentement de ce qu'il perd un temps aussi
important... Tout cela me prouve que
Villeneuve est un pauvre homme qui voit double, qui a plus de perception que
de caractère...[69] Cependant, comme
cet amiral tient tout entre ses mains, comme sans lui la partie est perdue,
il n'hésite pas à le féliciter d'abord, puis à ranimer son courage et à faire
briller à ses yeux, en termes vibrants, la beauté de sa tâche : Monsieur le vice-amiral Villeneuve, j'ai vu avec plaisir
par le combat du 3 thermidor que plusieurs de mes vaisseaux se sont comportés
avec la bravoure que je pouvais en attendre. Je vous sais gré de la belle
manœuvre que vous avez faite an commencement de l'action et qui a déconcerté
les projets de l'ennemi... J'espère que cette
dépêche ne vous trouvera plus à la Corogne ; que vous aurez repoussé la
croisière, pour faire jonction avec le capitaine Allemand, balayer tout ce
qui se trouverait devant vous et venir dans la Manche. Si vous ne l'avez pas
fait, faites-le, marchez hardiment à l'ennemi... Les Anglais ne sont pas aussi nombreux que vous le pensez
; ils sont partout tenus en haleine. Si vous paraissez ici trois jours, n'y
paraîtriez-vous que vingt-quatre heures, votre mission sera remplie...
Enfin, jamais pour un plus grand but une escadre
n'aura couru quelques hasards et jamais mes soldats de terre et de mer
n'auront pu répandre leur sang pour un plus grand et plus noble résultat.
Pour le grand objet de favoriser une descente chez cette puissance qui,
depuis six siècles, opprime la France, nous pourrions tous mourir sans
regretter la vie[70]. De jour en jour les inquiétudes de l'Empereur deviennent plus vives. Hélas ! il n'y a pas d'amiraux capables, il ne sait où en trouver. Il est bien près de désespérer : Villeneuve, écrit-il au ministre de la marine[71], est un des hommes qui ont plus besoin d'éperon que de bride. Les contre-amiraux que j'ai faits sont : Emériau, Savary, etc., hommes qui peuvent me rendre de grands services ; mais il me faudrait un homme d'un mérite supérieur. Je ne sais pas ce que c'est que ce Cosmao, capitaine du Pluton. Ne serait-il donc pas possible de trouver dans la marine un homme entreprenant, qui voie de sang-froid et comme il faut voir, soit dans le combat, soit dans les différentes combinaisons des escadres ?... L'anxiété de l'Empereur devient plus aiguë à mesure que les nouvelles de Villeneuve arrivent contradictoires. Au ministre de la marine, l'amiral écrit qu'il se retire à Cadix ; dans sa correspondance au Quartier impérial, il laisse supposer qu'il marche sur Brest. Une certaine démoralisation apparaît chez l'Empereur : il ne se sent pas, pour les choses de mer, le grand capitaine qu'il est sur terre. Il l'avoue en adjurant le ministre de la marine de trouver la solution du terrible problème qui se dresse : Dans la situation des choses, lui écrit-il, si l'amiral Villeneuve reste à Cadix, que faut-il faire ? Élevez-vous à hauteur des circonstances et de la situation où se trouvent la France et l'Angleterre. Ne m'écrivez plus de lettre comme celle que vous m'avez écrite ; cela ne signifie rien. Pour moi, je n'ai qu'un besoin : c'est celui de réussir[72]. Le 22 août marqua le dernier effort tenté par Napoléon pour faire aboutir son projet de descente en Angleterre. Dans l'inextricable chaos qui règne dans les dépêches de Villeneuve, il pressent que la partie est perdue. Il veut pourtant s'imposer un doute et essayer de donner une suprême secousse aux amiraux. Coup sur coup, il écrit au ministre de la marine[73] : J'estime que Villeneuve n'a pas le caractère nécessaire pour commander une frégate. C'est un homme sans résolution et sans courage moral... Ce qu'il y a surtout d'impertinent, c'est que, dans une expédition ainsi composée, il ne donne aucun détail, ne dit pas ce qu'il fera, ce qu'il ne fera pas. C'est un homme qui n'a aucune habitude de la guerre et qui ne la sait pas faire. A l'amiral Gantheaume qui est à Brest[74] : D'après ce que j'ai pu comprendre des dépêches de l'amiral Villeneuve, il me paraît qu'il est dans l'intention de passer par Brest. Il me paraît aussi qu'il doute si, joint avec vous, il ne passera point plusieurs jours à Brest pour se ravitailler. Mon intention est que vous ne souffliez pas qu'il perde un seul jour, afin que, profitant de la supériorité que me donnent cinquante vaisseaux de ligne, vous mettiez sur-le-champ en mer, pour vous porter dans la Manche avec toutes vos forces. Je compte sur vos talents, votre fermeté et votre caractère dans une circonstance si importante. Partez et venez ici : nous aurons vengé six siècles d'insultes et de honte. Jamais, pour un plus grand objet, nos soldats de mer et de terre n'auront exposé leur vie. Et à l'amiral Villeneuve, ce sera sa dernière exhortation : J'espère que vous êtes arrivé à Brest. Partez, ne perdez pas un moment et, avec nies escadres réunies, entrez dans la Manche : l'Angleterre est à nous. Nous sommes tout prêts. Tout est embarqué. Paraissez vingt-quatre heures, et tout est terminé[75]. Hélas ! Villeneuve avait décidé de retourner à Cadix. Il tomba dans la faute la plus monstrueuse que puisse commettre le général exécuteur d'un plan de campagne combiné avec d'autres armées, la faute de vouloir, à tort ou à raison, réserver les forces dont il a le commandement. Marcher au but quand même, remplir l'attente dont il est l'objet, coûte que coûte, sans peser les chances de réussite d'une manœuvre dont il n'a pas la responsabilité finale, c'est la règle imprescriptible, indiscutable d'un chef d'armée. Il est criminel, sans excuse possible, quand à l'ordre de marcher qui le couvre, il substitue son inaction, quel qu'en puisse être le motif. Ainsi furent perdus trois ans d'efforts méthodiques, d'une activité prodigieuse. Ainsi fut ajourné, si loin qu'on ne put jamais le reprendre, ce projet presque réalisé de l'envahissement de l'Angleterre. Mais ce ne fut ni par un coup de tête, ni par dépit d'avoir vu s'effondrer son espoir de frapper l'Angleterre au cœur que Napoléon se retourna, lui et son arillée, contre l'Allemagne. Il obéissait à la nécessité des circonstances. Ou peut sans témérité supposer que l'invasion de l'Angleterre aurait amené la paix générale à brève échéance. En tout cas, l'Empereur voulait tenter cette chance. Menacé par la coalition sur les frontières de Bavière, c'est à Londres qu'il prétendait la vaincre. Maitre de cette capitale, il était sûr que les projets belliqueux de l'Autriche et de la Russie se dissiperaient en fumée et qu'il arracherait la paix à tous ses ennemis. Ce plan extraordinaire, d'une si belle audace, aurait été exécuté ce n'est pas douteux si Villeneuve avait paru. Tandis que s'écoulent les heures angoissantes de l'expectative sur la jetée de Boulogne, Napoléon s'affermit dans la conviction que Villeneuve va lui faire défaut et que l'heure du renoncement est arrivée. Il ne peut laisser gagner de terrain à l'Autriche. Le 22 août, il prend les dispositions préliminaires de son mouvement sur l'Allemagne du Sud. C'est par là qu'il va commencer la défaite des puissances dont il a pressenti les dispositions hostiles mais dont il ignore encore l'entente, car il dit dans une lettre à Talleyrand[76] : Je n'ai en réalité rien à attendre de l'explication de l'Autriche. Elle répondra par de belles phrases et gagnera du temps afin que je ne puisse rien faire cet hiver ; son traité de subsides et son acte de coalition seront signés cet hiver sous le prétexte d'une éventualité armée et, en avril, je trouverai cent mille Russes en Pologne, nourris par l'Angleterre, avec les équipages, les chevaux, artillerie, etc., et quinze à vingt mille Anglais à Malte et quinze mille Russes à Corfou. Je me trouverai alors dans mie position critique. Mon parti est pris. Si Napoléon se trompait, ce n'était que sur les dates. L'acte de coalition était eu règle ; préparé depuis plus d'un an par les échanges de vues des souverains, il venait d'être officiellement signé d'accord avec la Russie et l'Angleterre, le 9 août, à Saint- Pétersbourg. Quant aux subsides tous les prix et toutes les primes avaient été débattus, et la Cour de Vienne avait encaissé les trente-huit millions qui lui étaient acquis eu tout état de cause et dont le versement avait retardé l'apposition du sceau impérial, royal et apostolique sur le traité d'alliance. Cependant, le jour où de grand matin Napoléon apprit, sans que le moindre doute l'Ut possible, que Villeneuve ne s'avançait pas sur la Manche et naviguait au contraire vers le sud, il eut un accès de colère terrible et de violent désespoir ; mais il donna à cet instant le spectacle d'une domination de soi-même, d'une vigueur cérébrale, d'une volonté indéfectible, d'une force de conception et d'une souplesse d'intelligence peu communes. Après quelques minutes passées à exhaler son courroux il fit appeler M. Daru, intendant général de l'armée : Daru, mettez-vous là... écoutez et écrivez, lui dit-il. Alors, la voix encore altérée d'une émotion profonde, il prit l'une des dispositions les plus hardies et traça l'un des plans les plus admirables qu'aucun conquérant ait pu concevoir à loisir et de sang-froid. Sans hésiter, sans s'arrêter, il dicta en entier le plan de campagne d'Austerlitz. Le départ de tous les corps d'armée depuis le Hanovre et la Hollande jusqu'aux confins de l'Ouest et du Sud de la France, l'ordre des marches, leur durée, les lieux de convergence et de réunion des colonnes, les surprises et les attaques de vive force, les mouvements divers de l'ennemi, tout fut prévu, la victoire assurée dans toutes les hypothèses. Telles étaient la justesse et la vaste prévoyance de ce plan que sur une ligne de départ de deux cents lieues, sur des lignes d'opération de trois cents lieues de longueur, les indications primitives si rapidement conçues furent suivies jour par jour, lieue par lieue jusqu'à Munich. Cette dictée avait duré quatre à cinq heures. Quand elle fut achevée, Napoléon dit à Daru : Partez pour Paris en annonçant que vous partez pour Ostende. Arrivez dans la nuit, enfermez-vous avec le ministre Dejean, préparez tous les ordres d'exécution pour les marches, les vivres, etc., de manière à ce que tout soit prêt à signer ; faites tout vous-même. Je ne veux pas qu'un seul commis y mette la main[77]. Daru était à peine rendu à Paris avec les ordres improvisés si magistralement par l'Empereur, lorsque arrivait, le 28 août, à Boulogne une dépêche de M. Otto, notre ambassadeur à Munich, lequel annonçait que les Autrichiens venaient de passer l'Inn et d'entrer en Bavière[78]. A partir de cet instant l'activité géniale de Napoléon se manifesta dans toute sa plénitude. La brillante armée de Boulogne, divisée en quatre corps commandés par Davout, Soult, Lannes et Ney, s'ébranle dans un ordre majestueux et se met en route. Parallèlement s'avancent les armées de Hollande et de Hanovre ayant à leur tête Marmont et Bernadotte. Murat, sous le nom de colonel Beaumont, partira en chaise de poste et se rendra droit à Mayence où il ne fera que changer de chevaux ; il reconnaîtra les places jusqu'à Bamberg, étudiera les montagnes de Bohème ainsi que les routes de Prague[79]. Le général Bertrand se rendra en droite ligne à Munich, fera des reconnaissances sur Salzbourg, Ulm et Stuttgart[80]. Le général Savary devra en toute hâte explorer le Rhin et le Danube afin d'y trouver les endroits propices à l'établissement des ponts de bateaux[81]. Tous ces généraux reçoivent, minutieusement détaillées, des instructions sur les lieux qu'ils ont à voir, sur la politique des pays qu'ils traversent, sur l'attitude qu'ils ont à prendre ici et là, sur le langage qu'ils auront à tenir, sur les précautions qui leur sont indispensables. La lucidité pénétrante, universelle pour ainsi dire, de l'Empereur déconcerte l'imagination. En ces trois jours qui précèdent la mise en route de la garde impériale, maréchaux, généraux, divisions, régiments, compagnies, amiraux et marins, il assigne à chacun son rôle ; chevaux, artillerie, génie, équipement, harnachement, ambulances, médicaments, approvisionnements de toute sorte, il pense à tout, il pare à tout, sans parler du train journalier des affaires gouvernementales. Et au milieu de quelles difficultés ! La situation est mauvaise à Paris. On y est redevenu frondeur ; les Jacobins relèvent la tête. On prédit, on escompte la défaite de l'armée française. On blâme presque l'Empereur de n'avoir pas cru à la guerre, de ne l'avoir pas voulue plus tôt. On répand le bruit qu'une inexcusable sécurité fondée sur l'ignorance de ce qui se passait à Vienne et à Saint-Pétersbourg et poussée jusqu'à la témérité par le mépris des puissances rivales de la France, a donné aux deux Cours impériales, sur leur nouvel ennemi, l'incalculable avantage de le prendre au dépourvu . Les militaires mécontents et soi-disant instruits comparent à une bataille gagnée par l'Autriche les positions dont elle a pu se saisir et qu'elle a pu fortifier à son aise dans la Forêt Noire : Il y aurait danger, dit un ambassadeur à sa Cour[82], de passer pour exagéré, si l'on voulait rendre exactement les jugements extrêmement défavorables que l'on se permet de porter aujourd'hui sur cet homme extraordinaire qui avait, il y a quatre ans, conquis l'admiration de tout le monde, l'estime et la confiance d'un grand nombre de Français. On faisait aussi les calculs les plus désavantageux pour la France en comptant le nombre de jours que mettraient respectivement les Français et les Russes pour arriver de Boulogne ou de Brody à Braunau. Ces médisances, ces clabauderies avaient une répercussion désastreuse sur les finances générales de l'État. Une grande pénurie d'argent se faisait sentir ; la Banque ne pouvait rembourser la multitude de billets qui lui étaient présentés et qui subirent un discrédit atteignant dix pour cent. La foule était si nombreuse aux guichets qu'il fallait faire, entre les municipalités de la capitale, la répartition des fonds dont ou disposait, afin qu'elles fussent chacune en mesure de payer ce qu'elles pouvaient à leurs administrés. Les choses en étaient à ce point que le trésor nécessaire de la Grande Armée ne put être réalisé ; l'Empereur sans hésiter un instant le constitua avec son épargne personnelle[83]. C'est dans ces conditions peu brillantes à tous égards que, le 24 septembre 1805, partit de Paris l'homme qui allait marcher de triomphes en triomphes, qui devait en moins de deux mois vaincre deux empereurs et faire flotter le drapeau français sur la capitale de l'Autriche. Pendant que, sous les commandements de Bernadotte, Marmont, Davout, Soult, Ney, Lannes et Murat, les sept torrents, comme disait l'Empereur, s'élançaient des rives du Weser, de l'Escaut et de la Manche vers les bords du Danube, Napoléon ayant avec lui l'Impératrice arrivait à Strasbourg le 27 septembre. Le 1er octobre, il laissait dans cette ville Joséphine qui allait y tenir une Cour aux petits princes d'Allemagne[84]. Il traversa le Rhin ce même jour et eut une entrevue à Etlingen avec l'Électeur de Bade dont le concours était assuré depuis quelque temps aux armées françaises. Le lendemain il se mettait eu route pour Ludwigsbourg, près Stuttgart, résidence de l'Électeur de Wurtemberg dont il allait demander l'assistance et avec lequel il conclut un traité d'alliance. Aussitôt signé ce traité fut porté à la connaissance de la Diète et du peuple wurtembergeois, Voici en quels termes l'Électeur annonça cet événement : Les armées françaises inondaient mon pays ; mes résidences mêmes ne furent pas épargnées. La première était presque prise d'assaut et l'autre fut menacée. L'empereur des Français vint lui-même chez moi ; je le priai de me permettre de garder la neutralité. Il me déclara : Celui qui n'est pas avec moi est contre moi — Wer nicht mit mir ist, der ist wider nicht. Le sort du Wurtemberg était en ce moment entre mes mains. Si je résistais, mes États étaient brisés, ma maison électorale était menacée d'éprouver le triste sort de tant de maisons princières qui doivent vivre de la charité des autres Cours et jouissent, comme d'une aumône, de la somme d'argent qu'on leur a accordée. Mon pays devait être traité en province conquise par l'armée française victorieuse ; il devait être condamné à fournir huit millions de contributions, deux mille chevaux et autant d'hommes que l'on aurait jugé nécessaire pour les équipages de l'artillerie et les autres besoins de l'artillerie[85]. A cette lecture on se représente tout de suite les armées françaises, en nombre formidable, faisant irruption soudaine dans les États du Wurtemberg, canonnant, prenant d'assaut les résidences d'un prince surpris au sein d'une douce et ignorante quiétude. Et par les brèches on voit entrer le Napoléon bien conforme à l'image de l'histoire, altier, impitoyable, abusant de sa force, mettant son poing sur la gorge d'un pauvre Électeur désarmé et lui arrachant un traité d'alliance. Ce spectacle émouvant, évoqué par la harangue de l'Électeur, a le défaut de n'être nullement en rapport avec la vérité des faits ; car, contrairement aux assertions solennelles de Frédéric II, Électeur du Wurtemberg, aucune contrainte ne fut exercée sur lui, pas plus qu'aucune surprise n'avait eu lieu à Ludwigsbourg. Depuis de longs mois Frédéric II avait cherché à se joindre aux ennemis de la France. L'Autriche et la Russie s'étaient bornées à lui tenir des discours vagues, indifférents, presque dédaigneux. En réponse à ses appels pressants on avait laissé entendre que le meilleur parti pour lui serait d'attendre, de ne se mêler de rien. Quant à la Prusse, également sollicitée, elle avait observé un silence complet. En réalité ni l'Autriche, ni la Prusse ne s'étaient souciées de prendre des engagements vis-à-vis du Wurtemberg. On n'avait pas voulu dire ce qu'on ferait de lui après la guerre. Chacun à part soi sans doute, avait pensé en grignoter un morceau, et qu'après cela cet Électorat deviendrait ce qu'il pourrait. Tout autre était l'attitude de la France qui offrait une alliance ferme, offensive et défensive, et promettait à l'issue de la campagne un agrandissement considérable et l'érection de l'Électorat du Wurtemberg en puissance indépendante et solide. Il n'est donc pas fort extraordinaire qu'en cette conjoncture l'Électeur ait prêté une oreille assez attentive aux propositions dont Napoléon venait chercher la ratification. L'événement ne tarda pas à démontrer à Frédéric II que ses propres intérêts étaient liés à notre cause. L'Autriche, qui s'était prudemment gardée de rien promettre à ce petit État, pas même l'intégrité, avait déjà commencé de l'envahir, de le rançonner, d'y réquisitionner et de le ravager bien avant l'arrivée des Français sur son territoire[86]. Sorte de cloison entre deux armées belligérantes allant à la rencontre l'une de l'autre, le Wurtemberg subissait son sort, inévitable il est vrai, mais à défaut d'ambition le simple instinct de conservation devait le jeter dans les bras du parti qui seul lui assurait protection et bénéfices. Cette explication suffirait amplement à justifier la conduite de Frédéric. Point n'était besoin, semble-t-il, à moins de motifs secrets, de dramatiser les choses. En tout cas l'empereur des Français ne pouvait être regardé comme un intrus lorsqu'il se présenta chez l'Électeur le 2 octobre, car voici les préliminaires de sa démarche : Le 27 août, M. Didelot, ministre de France à Stuttgart, avait fait la première demande d'alliance. Trois jours après, le 30, il recevait une réponse favorable, délibérée en conseil intime du gouvernement dont les membres, y compris l'Électeur, avant de se séparer, préfèrent serment de garder le silence le plus strict sur leurs résolutions[87]. J'ai reçu, dit M. Didelot[88], du cabinet électoral de Wurtemberg la déclaration formelle de faire en cas de guerre cause commune avec Sa Majesté l'Empereur des Français... Ce fut vendredi, à dix heures du soir, que le Cabinet de Stuttgart me donna la réponse, à la suite de trois conférences qui ont eu lieu dans ce même jour. — Son Altesse Sérénissime Électorale se regarde comme l'amie de la France, disait le ministre d'État du Wurtemberg à Didelot[89]. Sauf l'échange des signatures au bas du traité qu'on était en train de confectionner, l'affaire était tellement en ordre que, le 21 septembre, l'Empereur écrivait à Murat[90] : Vous aurez soin aussi que Didelot vous fasse connaitre le jour où les troupes de Wurtemberg seront réunies, mon intention étant que ces troupes soient immédiatement sous vos ordres. Chaque jour, chaque heure apportent un document nouveau
qui prouve jusqu'à l'évidence qu'un accord complet règne entre le Wurtemberg
et la France. Le 29 septembre, Napoléon écrit à l'Électeur[91] : Mon fière, vous m'avez promis qu'un corps de vos troupes
serait prêt, à mon passage, à joindre mes drapeaux. Je vous envoie le général
Mouton, mon aide de camp, pour connaître la force de ce corps, eu infanterie,
cavalerie et artillerie. Le lendemain sans plus tarder, le général
Mouton rend compte en ces termes de sa mission : Sire,
j'ai remis à Son Altesse Électorale la lettre de Votre Majesté. Ce prince a
daigné m'accueillir favorablement et m'a déclaré qu'il était dans la ferme
résolution de remplir ses engagements vis-à-vis de mon Souverain, déclarant
de plus qu'il allait adresser un courrier à Votre Majesté à l'effet de
conduire plus promptement à son but la négociation relative au traité
d'alliance. Il se pourrait que cet Électorat fournît même au delà de dix
mille auxiliaires aux armées de Votre Majesté[92]. Les témoignages d'une cordiale entente se multiplient et s'entrecroisent si rapidement qu'on ne peut même les suivre dans leur ordre normal. C'est le 30 au soir que Mouton faisait son rapport à l'Empereur ; or dans la matinée, l'Électeur, ignorant qu'il recevrait un émissaire de Napoléon, s'empressait d'envoyer lui-même un de ses ministres au Quartier impérial avec la lettre suivante : Sire, j'apprends en ce moment l'arrivée de Votre Majesté Impériale à Heilbronn et, retenu chez moi par une incommodité goutteuse que quelques jours de fatigue ont augmentée, je me vois privé de l'honneur de Lui présenter mes devoirs moi-même... Votre loyauté, votre justice m'est trop connue, ma confiance en elle est trop grande pour ne pas compter avec assurance sur ce que Votre Majesté Impériale traitera un prince, son ami, son allié, ainsi que ses États avec bonté et amitié, qu'elle voudra bien leur épargner le plus possible le fardeau des opérations militaires[93]. Cette journée du 30 septembre, fertile en incidents, verra partir deux autres missives destinées à l'Empereur et dans lesquelles l'Électeur ne manque pas de répéter qu'il est son ami. Mais le secret de l'engagement pourtant formel du Wurtemberg avait été si bien gardé qu'il fut la cause d'un conflit auquel donna prise le général Ney. Arrivé devant Stuttgart il en trouva les portes fermées. Deux officiers de l'armée électorale prétendirent lui imposer d'installer ses campements sur divers points à leur convenance. Selon son habitude de ne connaître que ses ordres et de pousser toujours en avant, il ne voulut rien entendre ; il ne savait qu'une chose, c'est qu'il devait établir son quartier général à Stuttgart et que par conséquent c'était à lui de commander et non à des officiers wurtembergeois. Alors, sans balancer une minute, il fit braquer le canon devant les portes, les fit forcer par des sapeurs et entra dans la capitale du Wurtemberg. A toutes les représentations qu'essayèrent de lui faire les magistrats de la ville, et comme s'il était sourd, il répétait obstinément : Livrez-moi tout de suite et sans perte de temps cent mille rations de pain. Le général Dupont, plus laconique encore, répondait invariablement quand on essayait de lui faire remarquer qu'il outrepassait ses droits : Ça m'est égal[94]. Cette façon d'agir blessa vivement l'Électeur qui, le 30 septembre, se plaignait amèrement des procédés hautains usités par les généraux français envers l'ami et bientôt l'allié de la France. La visite de l'envoyé impérial, le général Mouton, ramenait, peu d'heures après, le calme dans l'âme de Frédéric qui aussitôt écrit à l'Empereur : Sire, la lettre que Votre Majesté Impériale a bien voulu m'adresser par M. le général de Moutier (sic), m'a été une preuve bien flatteuse de la bienveillance et amitié qu'elle veut bien m'accorder. Fidèle aux engagements que j'ai pris vis-à-vis de son ministre près de moi, M. Didelot, l'on s'occupe en ce moment du côté de mon ministère à la confection du traité qui, sous l'approbation de Votre Majesté Impériale, fixera les obligations que mes moyens actuels et ma position financière me permettent de prendre... L'espoir que Votre Majesté Impériale me donne d'oser lui faire agréer nies hommages ici me pénètre de la plus vive satisfaction. La lettre, que mon ministre d'État, le baron de Normann, aura eu l'honneur de lui remettre, contient mes regrets de ce qu'une incommodité goutteuse m'empêche de venir plus tôt encore lui en offrir l'expression. Je dois d'avance implorer son indulgence pour le costume qu'elle me contraint de conserver[95]. Si l'on met de côté l'incartade des généraux Ney et Dupont, incartade née sans doute d'instructions mal données aux Wurtembergeois ou combinées pour avoir l'air, aux yeux de l'Europe, de ne céder qu'à la force, ce fut incontestablement avec l'agrément de Frédéric que les troupes françaises entrèrent dans l'Électorat. Pour pénétrer dans le palais, Napoléon eut encore moins besoin de recourir aux moyens violents : le grand chambellan et le grand écuyer de Son Altesse Sérénissime furent envoyés à Pforzheim au-devant de lui ; le prince Paul de Wurtemberg se porta à sa rencontre et le joignit à deux lieues en avant de Ludwigsbourg. L'entrée dans cette ville se fit, selon le récit des gazettes locales, à la lueur des torches placées de distance en distance, au milieu de la haie formée par les troupes électorales, au son du tambour et des cloches accompagné par le tonnerre du canon[96]. Pourquoi, se demandera-t-on, l'Empereur souffrit-il, sans protester, les accusations de pression brutale et inexorable contenues dans la déclaration publique de l'Électeur ? Pourquoi laissa-t-il subsister, sans le contredire, un document aussi manifestement faux, n'ayant aucune utilité pour lui, mais excellent pour ses détracteurs présents et futurs qui ont pris à tâche de le représenter implacable et cruel dès qu'il se sentait le plus fort ? Nous touchons ici à ce côté particulier, déjà souvent signalé, de son caractère. Il avait un faible pour les princes régnant par droit d'hérédité. Si petit que l'Ut l'Électeur de Wurtemberg, auprès des grandes Couronnes c'était un personnage notable, ce qui s'appelle un très grand seigneur. Il fallait remonter presque à mille ans avant de retrouver parmi ses ancêtres le premier comte de Würtemberg. Au regard de l'homme d'obscure extraction ne comptant que lui-même dans sa dynastie improvisée, ce prestige déjà considérable s'accroissait encore par les liens de famille de l'Électeur qui était l'oncle direct de l'empereur de Russie et le propre gendre du roi d'Angleterre. N'ayant pu, malgré ses avances gracieuses et réitérées, gagner la sympathie personnelle de monarques de premier rang, il éprouvait une orgueilleuse satisfaction à nouer des rapports de cordialité avec tin souverain d'importance minime, il est vrai, mais de noblesse antique et pure, eu parentage étroit avec les deux plus belles Cours de l'Europe. Ces Cours étaient en outre les ennemies acharnées de Napoléon, celles qui s'efforçaient le plus de le déconsidérer en le faisant passer pour un rustre sanguinaire, dont la place était dans les casernes et non dans les cercles princiers. Devant l'Europe, certainement attentive à ce qui se passait dans ce petit coin de l'Allemagne du Sud, il n'eût voulu pour rien au monde que le moindre désaccord s'élevât entre lui et son allié. Que l'Électeur dise donc ce qu'il lui plaira pour masquer toutes ses duplicités ; il en avait de nombreuses sur la conscience. Pouvait-il avouer que bien décidé à traiter avec la France il avait encore écrit une lettre par laquelle il implorait la Russie et l'Autriche pour les supplier de prendre part à la position menaçante de sa Maison, dont la ruine était inévitable si elles ne daignaient, l'une ou l'autre, devenir son sauveur, ses soutiens ?[97] Pas la moindre controverse venant de Napoléon, pas même une interrogation sur la présence insolite des ambassadeurs russe et autrichien, le 3 octobre encore, à Stuttgart[98], en plein centre des mouvements de la Grande Armée, alors que ces diplomates auraient dû être congédiés le 30 août ; pas de mots discordants, pas de récriminations sur aucun sujet ; il fallait que l'Europe apprît que quiconque se dirait allié de l'Empereur avait à se louer de ses procédés, vivait avec lui en bonne intelligence, n'en recevait que des bienfaits. Pour Napoléon, il y avait aussi dans sa situation un côté d'amusante singularité qui pouvait le rendre conciliant sur beaucoup de points. En état d'inimitié plus qu'aiguë avec le roi d'Angleterre et l'empereur de Russie, il se trouvait maître d'attacher désormais à sa fortune l'homme qui était le gendre du premier et l'oncle du second. De plus, en pénétrant dans le magnifique palais ducal de Ludwigsbourg où il devait demeurer quelques jours, il se disait peut-être qu'il avait beaucoup à apprendre dans ce milieu aristocratique. Pour la première fois il allait voir en réunion familiale ces privilégiés de naissance, ces élus de la Providence. C'est dans la sérénité auguste de leur existence habituelle que se passeraient, pensait-il, de longues et paisibles journées. Que d'observations utiles ! Que d'exemples précieux n'aurait-il pas à rapporter parmi les siens dont ii avait parfois à réprimer certaines façons dénuées d'élégance ! Ses illusions furent de courte durée ; elles s'évanouirent au moment même où il franchit le seuil de la résidence électorale. Tout de suite il put constater que ce foyer conjugal, composé des deux époux et de deux fils, constituait ce qu'on appelle vulgairement un ménage détestable. Il n'eut certes pas besoin de rien deviner, de scruter le fond des sentiments chez cet amphitryon peu soucieux de sauver au moins les apparences. A peine l'Empereur fut-il arrivé que d'effroyables disputes, répétition des disputes quotidiennes, s'élevèrent en sa présence entre l'Électeur et l'Électrice. Napoléon eut alors l'honneur peu enviable d'être pris pour arbitre de ces querelles intestines et ce fut sans doute la seule fois qu'il eut à connaître les désagréments de la neutralité. L'Électeur rendait la vie réellement intenable autour de lui ; pour qualifier ce despote bilieux, sournois, cruel, affranchi de toute loi morale, le répertoire des épithètes injurieuses a été épuisé par tous ceux qui l'ont approché et par les historiens allemands : Bouffi d'orgueil, profondément dépravé, homme fourbe, à double face avec tout le monde, gaspillant des millions pour son luxe pendant qu'il réduisait à la misère les serviteurs de l'État et ses agents, exigeant de ses vassaux qu'ils passassent annuellement au moins trois mois à Stuttgart pour y témoigner personnellement de leur dévotion au souverain ; ordonnant que pour ses chasses des milliers de paysans non rétribués traquent le gibier pendant plus d'un mois à quinze ou vingt lieues à la ronde ; infligeant les peines les plus sévères à des gens qui ignoraient les motifs de leur culpabilité ; ne subissant qu'une influence, mais la plus vile qui se pût imaginer, celle d'un ancien palefrenier, Dillenius, qu'il avait pris dans les écuries pour en faire successivement un piqueur, un écuyer, un officier, un baron, un comte Dillen, un vice-grand écuyer, un commandant de la cavalerie de la Garde ! Ce Dillen, qui dut sa fortune à sa figure séduisante, selon le goût de Frédéric, sut conserver son ascendant sur son maître en prenant la fonction de surveillant des jeunes aides de camp de dix-huit à vingt ans devant lesquels tremblait toute la Cour ; car un mot, un caprice de leur part, valait immédiatement, par ordre de l'Électeur, la perte d'un emploi quand ce n'était pas l'emprisonnement. Ce gros scélérat, comme dit Treitschke en parlant de Frédéric de Wurtemberg, offrait l'aspect d'un colosse monstrueux ; son ventre était tellement énorme qu'on avait été obligé de pratiquer une large et profonde échancrure à la table de sa salle à manger, précaution sans laquelle ses mains n'auraient pu atteindre son assiette. On peut dire de lui, déclare le baron Peyrusse, que Dieu l'a mis au monde et le fait exister pour prouver jusqu'où la peau de l'homme peut se distendre[99]. Tel était, peu joli de nulle part, l'allié que Napoléon venait de gagner à sa cause, faute de mieux sans cloute, car eu matière d'alliance il n'avait pas eu de choix. Quant aux deux fils de ce triste personnage, le prince héréditaire Guillaume et le prince Paul, ils étaient tracassés, humiliés par leur père qui, non moins despotique pour ses enfants que pour ses sujets, les contrariait dans tous leurs goûts et dans tous leurs plaisirs. Il n'admettait pas ou ne comprenait pas qu'ils eussent des maîtresses. Ils passèrent une partie de leur jeunesse en séquestration ou en fuite, poursuivis par les gendarmes qui les ramenaient à Stuttgart. Le séjour de la Cour n'était pour eux que dégoût et avilissement. On vit le prince Paul réduit à rechercher la protection du favori éhonté, le comte Dillen[100]. L'Électrice, la fille aînée de George III, roi d'Angleterre, que son éducation destinait à une tout autre existence, ne pouvait être auprès d'un tel époux qu'une femme très malheureuse. Bonne et vertueuse, instruite, laborieuse, elle gémissait de tous les débordements qui l'environnaient. Elle n'osait trop se plaindre dans la crainte de voir redoubler les mauvais traitements dont son mari l'accablait. Sa seule et suprême ressource était de le menacer de s'enfuir en Angleterre[101]. Napoléon, par mille gracieusetés, entreprit la conquête de cette princesse devenue taciturne et maussade dans cet enfer qu'était sa maison. On comprend la coquetterie qu'il mit à faire relater à Londres les éloges de sa personne et de son caractère. Il poussa l'amabilité jusqu'à parler en ternies élogieux des Anglais, de leur littérature[102] ; il n'omit rien de ce qui pouvait être agréable à une princesse de sang royal anglais d'autant plus surprise, d'autant plus flattée, que l'Empereur n'avait guère la réputation d'un galant ; et cette réputation lui était encore moins acquise en Angleterre que partout ailleurs. Pour connaitre ses déconvenues à la Cour de Wurtemberg, il faut suivre l'Empereur jusqu'à Sainte-Hélène où il dit un jour à O'Meara[103] : En 1805, à Stuttgart, je vis votre princesse royale, la reine de Wurtemberg, avec laquelle je m'entretins plusieurs fois et qui me plut beaucoup. Elle perdit bientôt toutes les préventions qu'elle avait contre moi. J'eus le plaisir d'être médiateur à son avantage entre elle et son mari qui était un animal qui l'avait fort maltraitée. Il est plus que présumable que l'imagination de l'Empereur lui avait fait un tableau tout autre des Cours séculaires d'Europe. Néanmoins il ressentit une certaine fierté à se montrer aux yeux des siens, de son entourage, des peuples même, en relations intimes avec une maison princière authentique. C'était, à la vérité, une sorte de réhabilitation de son éducation tant décriée par ses ennemis. Cependant il ne se contenta point de cette ostentation passagère et il s'appliqua constamment par des bienfaits considérables, par des prévenances ingénieuses, par des attentions délicates, à resserrer les liens d'amitié noués à Ludwigsbourg. En plus de sa vanité satisfaite, il faut voir dans cette manière d'agir le désir de prouver ce qu'on avait à gagner quand on était son allié ; tuais il faut en même temps y reconnaître la qualité dominante de son caractère, car nous pouvons hardiment affirmer qu'en aucun temps et dans aucune circonstance il n'a donné prise à la plus petite plainte, tant soit peu justifiée par le moindre manque à des engagements matériels ou moraux qu'il n'aurait pas tenus après les avoir contractés. Nul jamais n'a pu dire qu'il n'a pas réalisé, alors qu'il eu était le maître, les espérances qu'il avait fait entrevoir. Sa loyauté, malgré tout ce qu'on a voulu insinuer, est à l'abri de la critique en ces matières, la mesure de ses promesses ayant toujours été dépassée. On doit même ajouter qu'il a élevé, enrichi tous ceux qui l'ont approché à toutes les heures de sa carrière, leur a assuré leur fortune et leurs dignités, à ce point qu'ils les ont conservées et que leurs descendants en jouissent encore actuellement. Eu parcourant les fastes de l'épopée impériale on remarquera aisément que Napoléon seul perdit tout, le jour où il succomba sous le poids des haines et des jalousies européennes qui visaient en lui la France régénérée, glorieuse et puissante. En voyant ce qu'il fit pour le Wurtemberg chétif et dont le concours était peu appréciable, on se demandera ce qu'il n'eût pas fait en faveur d'une grande monarchie telle que la Prusse, en faveur d'une Cour brillante et respectable comme l'était la Cour de Berlin, s'il y avait rencontré seulement un simulacre de sympathie et de confiance. Dans cette hypothèse il sera presque permis d'affirmer que les destins du monde en eussent été modifiés complètement. Sa joie, son orgueil et sa générosité n'auraient alors pas connu de bornes. On peut du moins en juger ainsi par ce qui se passa dans son âme lorsqu'il se vit admis et considéré à la petite Cour de Wurtemberg. Ce qu'il tient à faire savoir à tout le monde, c'est qu'il habite le palais électoral. Il l'écrit à Duroc, à Joseph, à Talleyrand, à Eugène[104] et à d'autres. Il faut aussi que l'armée apprenne le bel accueil fait à son chef. L'ordre du 4 octobre porte : L'Empereur est arrivé à Ludwigsbourg, à neuf heures du soir, sur les limites des États de Wurtemberg. Il y a trouvé des corps de troupes. Les chevaux de ses voitures ont été changés et remplacés par ceux de l'Électeur. Lorsqu'il est entré à Ludwigsbourg, la Garde électorale à pied et à cheval était sons les armes et la ville illuminée. La réception de Sa Majesté dans le Palais électoral où toute la Cour était réunie a été de la plus grande magnificence[105]. D'après ses lettres à Joséphine et quelques phrases
adressées à différents personnages, il semblerait que Ludwigsbourg était un
séjour enchanteur. Les fêtes du mariage du prince Paul qu'on s'était pressé
d'unir à une nièce de la reine de Prusse duraient encore il est vrai, mais
nous savons que cette circonstance n'empêchait pas les dissensions familiales
d'éclater au Palais. Il y a ici une nouvelle mariée
fort belle, une très belle Cour, écrit l'Empereur à Joséphine, et en tout des gens fort aimables, même notre Électrice
qui paraît fort bonne, quoique fille du roi d'Angleterre. Le lendemain
: Je pars à l'instant pour continuer ma marche...
J'ai assisté ici à une noce du fils de l'Électeur
avec une nièce du roi de Prusse. Je désire donner une corbeille de trente-six
à quarante mille francs à la jeune princesse. Fais-la faire et envoie-la par
un de mes chambellans à la nouvelle mariée... Il
faut que ce soit fait sur-le-champ[106]. — J'ai entendu hier, au théâtre de la Cour, l'opéra allemand
de Don Juan. J'imagine que la musique de cet opéra est la même que
celle de l'opéra qu'on donne à Paris ; elle m'a paru fort bonne[107]. Ayant à
demander au ministre de l'Intérieur où en est la conscription, il en profite
pour laisser entendre combien est agréable son séjour à Ludwigsbourg : Monsieur de Champagny, écrit-il[108], je suis ici à la Cour de Wurtemberg et, tout en faisant la
guerre, j'y ai entendu hier de très bonne musique, le chant allemand m'a
cependant paru baroque. La réserve marche-t-elle ? Où en est la conscription
de l'an XIV ? Ce n'est pas sous cette forme légère, plaisante, qu'on
est accoutumé de voir les lettres de service à un ministre qui n'était pas en
somme, comme quelques-uns de ses confidents, le collaborateur des premières
heures. Après le départ Ludwigsbourg, la première lettre de
Napoléon à l'Électeur est datée du 18 octobre. L'Empereur a tenu que ses
remerciements fussent accompagnés d'un bulletin de victoire ; celui-ci était
de nature à rassurer son allié sur le traité conclu quelques jours
auparavant. Par l'intérêt que Napoléon porte dans ses lettres à la famille
Électorale, il est facile de voir quelle cordialité régnait entre les
nouveaux alliés lors de leur séparation : J'ai voulu
tarder à vous écrire, dit l'Empereur, jusqu'à
ce que je vous eusse défait de toute appréhension. L'armée autrichienne
n'existe plus ; plus de cinquante mille hommes ont été faits prisonniers. Je
ne pense pas que de cette armée de cent mille hommes le cinquième puisse
retourner en Autriche... Je désire que vous
m'envoyiez le prince Paul ; vous n'aurez pas à vous repentir de l'avoir
confié à mes soins ; il peut être appelé à gouverner. L'armée de Wurtemberg
n'est pas assez considérable pour qu'il puisse y apprendre le métier de la
guerre ; il vaut mieux qu'il serve sous mes ordres dans l'armée française. Je
regarderais d'ailleurs comme une preuve de son amitié et de sa confiance en
moi qu'il se rende à cette invitation... Il me reste à vous faire agréer, mon
frère, tous mes remerciements du bon accueil que vous m'avez fait et à vous
prier de me rappeler au souvenir de l'Électrice et de me mettre aux pieds de
la princesse Paul[109]. Pour une lettre de Napoléon, il y en a quatre de Frédéric de Wurtemberg qui soignait ses intérêts auprès du vainqueur. Mais l'Empereur, poursuivant sans perdre une minute la série de ses brillants succès, manquait de temps pour rivaliser de fécondité épistolaire avec l'Électeur. Pourtant il avait des moyens très brefs et fort élémentaires de l'assurer de sa sollicitude. Le 18 octobre, il écrit : J'ai ordonné qu'on disposât de six pièces de canon que je désire que vous receviez comme une preuve de mon amitié et de l'intérêt que je porte à votre Maison (2)[110]. Marchant de victoire eu victoire, Napoléon fut en situation, dès le 2 novembre, d'entrevoir la possibilité d'exécuter les promesses qu'il avait faites dans les conversations politiques tenues à Ludwigsbourg : Mon frère, écrit-il, je vois avec plaisir que tout ce que je vous ai dit chez vous je pourrai le réaliser... Ayant appris que le Prince électoral, après une dernière escapade, avait réintégré le foyer paternel, Napoléon, sensible à ce qui touche le bonheur de la Maison de Wurtemberg, intervient avec de sages paroles d'apaisement : J'ai appris avec plaisir que le Prince électoral était arrivé. Un père est toujours un père. Je sens donc combien cet événement doit être agréable pour vous et pour votre famille. Du reste le Prince électoral, qui peut être vif, a des talents et des connaissances, et à vingt-deux ans bien des choses sont permises qui ne le sont pas à plus de trente[111]. Les relations d'amitié s'accusèrent encore lorsque, le 30 novembre, Joséphine se rendant à Munich s'arrêta deux jours à Stuttgart sur la prière de l'Électeur. L'Empereur, qui était à Vienne, avait fait à Joséphine les petites recommandations que tout bon mari doit à sa femme quand elle va pour la première fois dans une maison qu'il connaît : Tu donneras à Stuttgart la corbeille à la princesse Paul. Il suffit qu'il y ait pour quinze à vingt mille francs. Porte de quoi faire des présents aux dames et aux officiers qui seront de service près de toi. Sois honnête, mais reçois tous les hommages. L'on te doit tout et tu ne dois rien que par honnêteté. L'Électrice de Wurtemberg est fille du roi d'Angleterre ; c'est une bonne femme. Tu dois la bien traiter, mais cependant sans affectation[112]. Rien ne fut ménagé pour recevoir pompeusement l'Impératrice. Le prince héritier et son frère, le due Paul, s'étaient rendus à Waihingen pour y attendre Joséphine. A sept heures du soir elle arriva avec sa suite à Stuttgart, au son des cloches et saluée par des coups de canon. 'foutes les routes que suivit le cortège étaient éclairées par les feux des torches et des flambeaux. A l'entrée de la ville, la municipalité exprima son dévouement par une allocution du Oberamstamm — préfet — Hoffmann. On avait construit un arc de triomphe de quarante-cinq pieds de haut, en style ionique, dont le fronton était orné de l'écusson impérial français portant en paillettes de cristal le nom Joséphine surmonté de la couronne impériale. De la porte jusqu'au Château, les troupes faisaient la haie, et la rue était ornée d'autels égyptiens sur lesquels brûlaient des lampadaires. Le Château était brillamment illuminé[113]. Au milieu des fêtes et réceptions de gala qui marquèrent la présence de l'Impératrice dans le palais de l'Électeur, celui-ci, uniquement préoccupé de ses intérêts, était attentif aux moindres paroles, aux moindres intonations de Joséphine ; il pensait y découvrir les secrètes pensées de Napoléon. C'est ainsi qu'il ne se possède pas de joie en racontant à un de ses ministres des propos sans grande valeur, attendu qu'ils auraient pu faire partie d'une leçon récitée par ordre. Parlant de Stuttgart et du nombre de ses habitants l'Impératrice avait dit à l'Électrice : J'espère vous voir une plus grande résidence et plus conforme aux intentions que je connais à l'Empereur pour l'Électeur. Affectant une incrédulité factice, Frédéric de Wurtemberg ajouta : Que ce soit un bavardage de femme — Weibergeschwätz — c'est possible ; mais, ne voulant pas abandonner complètement ses illusions, il en arrive à donner la définition la plus erronée du rôle de Joséphine près de Napoléon lorsqu'il achève sa pensée en disant : Cependant cette femme est très puissante et très influente ; elle sait beaucoup, presque tout, des projets de l'Empereur[114]. L'intimité, la familiarité la plus grande, pourrait-on dire, existait alors entre Napoléon et l'Électeur, si l'on en juge d'après ces lignes écrites par l'Empereur après la bataille d'Austerlitz : J'espère que la bataille d'Austerlitz et le départ des Russes amèneront l'empereur d'Allemagne à agréer la paix dans peu de jours... Je ne sais ce que je ferai de ma personne car je dépends des événements ; cependant ne soyez pas surpris si un de ces soirs je tombe chez vous pour vous demander à souper. Il me sera agréable de pouvoir faire de nouveau ma cour à l'Électrice et de vous témoigner de vive voix toute l'amitié que je vous porte[115]. Il sera inutile, pensons-nous, d'ajouter quoi que ce soit sur la façon charmante dont Napoléon pratiquait l'amitié, quand on aura dit les combinaisons auxquelles il se livra pour faire porter à Stuttgart une excellente nouvelle. Le 26 décembre 1805, la paix avait été signée à Presbourg, l'Empereur était à Schœnbrunn, par conséquent séparé de Stuttgart par une très grande distance. Obéissant alors aux sentiments les plus exquis que puisse suggérer le désir de causer une joie à un ami, il prit les dispositions nécessaires afin que le 1er janvier, au matin, arrivât à Stuttgard son aide de camp, le général Le Marois[116], porteur d'un joli cadeau pour l'Électeur : la couronne royale et un accroissement de puissance considérable ; telles étaient les étrennes qu'il envoyait par Le Marois à son allié Frédéric de Wurtemberg. La franche cordialité dont s'inspirait Napoléon dans ses
lettres et dans ses actes ne ressemble guère à l'expression emphatique des
sentiments de l'Électeur. Le style prend de ce côté une tout autre allure ;
il est difficile de pousser plus loin la forme d'adulations dithyrambiques
qui prêtent à sourire par leur contraste avec la simplicité de langage de
l'Empereur. Cette opposition s'explique assez par ce fait que l'un se livrait
à des démonstrations d'amitié à peu près désintéressées, tandis que l'autre
voyait dans les victoires répétées de Napoléon autant de pierres ajoutées à
l'édifice de sa puissance Électorale. Alors sa lourde obséquiosité se
déguisait sous des louanges hyperboliques, inséparables toutefois d'un rappel
assez inconvenant des promesses antérieures. Son lyrisme exalté et son
insistance à se recommander augmentaient à mesure que les succès de la Grande
Armée semblaient devoir assurer plus que jamais à Napoléon le rôle de
dispensateur de la grandeur et de la fortune. Aussitôt après la prise d'Ulm,
l'Électeur écrit : Ces victoires successives, cette
destruction de vos ennemis ne peuvent rien ajouter à l'immensité de gloire en
possession de laquelle vous êtes déjà, Sire, mais elles assureront
l'existence politique et la tranquillité du sud de l'Allemagne... Agréez-en, Sire, mes bien sincères actions de grâces. Cet
heureux début assure à vos alliés les plus belles perspectives. J'aime à
m'occuper d'avance du tableau flatteur qu'il a plu à Votre Majesté Impériale
de me faire envisager, lorsque j'ai eu le bonheur de la voir à Ludwigsbourg[117]. Chaque jour,
c'est-à-dire chaque nouveau triomphe de la Grande Arillée est le motif d'une
nouvelle glorification de Napoléon, de nouvelles et plus humbles flatteries à
son adresse : Je partage sincèrement, Sire, la joie
des victoires dont les annales de l'Histoire ancienne et moderne ne
fournissent pas d'exemples. Nous voyons ce que nous ne concevons pas et Votre
Majesté, crue dès longtemps au pinacle de la gloire militaire, monte plus
haut encore. Et si dans ce moment Elle veut bien se souvenir de ses fidèles
alliés et amis, c'est prouver qu'Elle sait concilier tous les différents
genres de grandeur... Le souvenir des moments
où j'ai eu le bonheur, Sire, de vous faire ma cour chez moi ne s'effacera
jamais. Ce seront toujours les plus heureux jours de ma vie. L'Électrice et
toute nia famille La supplient d'agréer leurs hommages[118]. Après le
départ de Joséphine de Stuttgart, il dit : Puissions-nous
avoir réussi à prouver à Sa Majesté l'Impératrice combien ces instants passés
avec elle ont été heureux pour nous. Ils nous rappelaient plus
particulièrement ceux que je compterai toujours, Sire, parmi les plus beaux
de nia vie, où il m'a été permis de vous exprimer de bouche toute l'étendue
de ma plus haute considération et de mon plus inviolable attachement[119]. La nouvelle de la victoire d'Austerlitz le transporte,
l'exalte à un degré plus excessif encore : Quels
succès, Sire, peuvent encore ajouter à votre gloire ? Vos talents supérieurs
ont enchaîné le sort et il parait réservé à Votre Majesté Impériale de
réaliser ce dont l'Histoire ne nous fournit pas d'exemples. Elle a vaincu en
personne deux empereurs, détruit cette dernière armée, seul espoir qui
restait à l'Autriche. Puisse enfin l'expérience réitérée éclairer les yeux
des deux empereurs, les ramener à la connaissance de leurs intérêts dans les
circonstances présentes et anéantir les illusions dont on les berçait pour
les empêcher d'accepter la paix que le vainqueur leur offrait toujours encore...
Je ne puis finir sans me permettre une prière que
Votre Majesté pardonnera à un ancien soldat qui ne s'est pas ménagé, mais qui
s'y voit obligé par son attachement à Votre Auguste Personne ; c'est, Sire,
de ne pas exposer vos jours si précieux pour la France, pour vos alliés, pour
l'Europe entière, dont les destinées sont entre vos mains. La Providence
veille sur vous, mais, Sire, un malheureux moment, on n'ose le penser ![120] Le traité de Presbourg avait en les résultats suivants pour le Wurtemberg : La Maison Électorale était érigée en royauté souveraine ; cette nouvelle dignité l'arrachait à la tutelle trois fois séculaire de l'Autriche ; l'État de Wurtemberg, auprès de ce qu'il était lors du traité de Lunéville, se trouvait actuellement accru de cent soixante-six mille milles carrés, quatre cent quatre-vingt-dix mille habitants et cinq millions de florins de revenus ; par suite son armée était portée de cinq mille à vingt mille soldats. C'est de cette manière que Napoléon tenait impérialement ses promesses envers un allié qui s'était arrangé de faon que son contingent ne rejoignît la Grande Armée que huit jours après Austerlitz[121]. En se confondant en remerciements, le nouveau roi de Wurtemberg
disait à l'Empereur : Cette illustration de nia
Maison étant une des suites de l'intervention et des bons offices ainsi que
de l'intérêt de Votre Majesté Impériale à mon égard, je ne puis que lui en
témoigner toute l'étendue de tua reconnaissance en ajoutant que, fidèle
observateur des engagements pris, Elle s'est assuré par là un allié qui sera
invariable dans ses sentiments et dont l'attachement lui est acquis à jamais[122]. Ce serait
léser la mémoire de Frédéric de Wurtemberg que de ne pas juxtaposer à ses
paroles l'épisode suivant : Le 27 octobre 1813, son armée abandonna
subitement et lâchement à leurs malheurs les aigles impériales françaises qui
avaient gagné au Wurtemberg la royauté, la puissance, la grandeur et
l'indépendance. Voici le récit d'un officier wurtembergeois, témoin oculaire
de cette pénible scène ; on ne peut décrire avec un plus froid cynisme la
volte-face impudente des uns qui vont porter leurs armes à l'ennemi commun
d'hier, et la stupeur navrante des autres accablés sous les coups implacables
de l'infortune. Près du village de Brunuthal, situé
à une demi-lieue de Fulda, où les routes de Francfort et de Wurzbourg se
croisent, l'heure de notre délivrance sonna. Arrivés au pont de pierre, sur
la Fulda, nous remettions aux Français leurs parcs d'artillerie. Ils
devinaient sans doute notre défection prochaine et étaient attristés !!! Mais
ils ne nous opposèrent pas la moindre résistance. Nous nous séparâmes des
officiers français et italiens en bons camarades. N'avions-nous pas depuis si
longtemps partagé triomphes, peines et tristesses ? Sans attendre que
la trahison fût effectivement consommée, le roi de Wurtemberg avait, dès le
milieu d'octobre, fourni une brigade qui, sous le général Wursleben, était
déjà réunie, le 26, aux Alliés et recevait, le 29, l'ordre de barrer le Mein
à Aschaffenbourg aux Français[123] ! Ce dernier et rapide coup de pinceau manquait, semble-t-il, au portrait assez désavantageux que les écrivains allemands nous ont laissé de Frédéric II, premier roi de Wurtemberg par la grâce de Napoléon, empereur des Français. Nous n'ignorons pas que, pour couvrir la forfaiture du roi de Wurtemberg et celle de ses pareils, ou a inventé que Napoléon n'avait attaché ces princes à sa cause que pour les exploiter, les pressurer, eux et leurs peuples, en un mot qu'il ne leur avait ouvert les bras que pour mieux les étouffer. Ce sont là des arguments de prétoire ; ils sont mélodramatiques mais dépourvus de preuves. Les vérités historiques exigent des faits matériels ou des chiffres. Dans la question qui nous occupe il suffira, pensons-nous, pour édifier le lecteur, de dire brièvement qu'en 1814 le Wurtemberg était si peu épuisé qu'il mettait sur pied, à la disposition des ennemis de la France, vingt-quatre mille hommes[124], c'est-à-dire plus qu'il n'en fournit jamais à Napoléon, malgré les instances et les supplications de celui-ci. Les humbles, les honnêtes gens de Wurtemberg, n'ont pas tardé à venger Napoléon de tant de mauvaise foi et d'ingratitude ; car, dès le 14 octobre 1816, le baron de Montalembert, ambassadeur de Louis XVIII à Stuttgart, constatait les sentiments d'admiration et de reconnaissance qui étaient dans le cœur des Wurtembergeois. Ce diplomate écrivait : Je ne puis pas dissimuler à Votre Excellence que tout ici dénote des regrets pour l'usurpateur, de l'indifférence pour notre souverain et de la haine pour noire gouvernement. Souvent les indices les plus faibles découvrent le fond de la pensée, et j'ai cru la deviner tout entière dans la manière indécente et l'espèce d'adoration avec lesquelles les domestiques du Château montrent aux voyageurs le lit et la chambre occupés par le Grand Napoléon, disent-ils, pendant son séjour ici. Tout dans cet appartement semble être conservé avec une sainte adoration[125]. |
[1] Archives impériales russes, etc., LXXVII, 757.
[2] Archives impériales russes, etc., LXXVII, 756.
[3] Archives impériales russes, etc., LXXVII, 759.
[4] Archives impériales russes, etc., LXXVII, 760.
[5] Archives impériales russes, etc., LXXVII, 762.
[6] Archives impériales russes, etc., LXXVII, 749.
[7] LOMBARD, Matériaux, etc., p. 101.
[8] Correspondance de Napoléon Ier, X, 100.
[9] BIGNON, IV, 188.
[10] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 418.
[11] Correspondance de Napoléon Ier, IX, 449.
[12] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, p. 2.
[13] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 21.
[14] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 31-32.
[15] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 59.
[16] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 64.
[17] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 69.
[18] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 75.
[19] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 103.
[20] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 108.
[21] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 144.
[22] RANKE, Hardenbergs eigenhändige Memoiren, II, 150 ; F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, VI ; Allemagne, 357-358.
[23] Mémoires du prince de Metternich, II, 39.
[24] RANKE, Hardenbergs eigenhändige
Memoiren, II, 162.
[25] HAÜSSER, Deutsche Geschichte, II, 545.
[26] Frédéric SCHOELL, Recueil de pièces, VII, 60 ; comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 317.
[27] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, II ; Autriche, 437.
[28] Archives nationales, AF, IV, 1692.
[29] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, II ; Autriche, 439.
[30] Articles V et VI séparés. F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, II ; Autriche, 442 et 457.
[31] Archives impériales russes, etc., LXXXII, 63-69.
[32] Archives impériales russes, etc., LXXXII, 61.
[33] Le Publiciste du 12 germinal an XI.
[34] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, XI ; Angleterre, 89-90.
[35] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, XI ; Angleterre, 101.
[36] HAÜSSER, Deutsche Geschichte, II, 547.
[37] Archives royales prussiennes, etc., II, 601.
[38] Correspondance de Napoléon Ier, X, 445.
[39] Voir : Correspondance de Napoléon Ier, X, 45 ; Archives impériales russes, etc., LXXXII, 77 ; F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, XI ; Angleterre, 111.
[40] Archives impériales russes, etc., LXXXII, 77.
[41] Archives impériales russes, etc., LXXXII, 77. (Voir aussi le rapport général de Czartoryski à l'Empereur au commencement de 1806, LXXXII, 209.)
[42] Mémoires du prince Czartoryski, I, 396.
[43] Archives impériales russes, etc., LXXXII, 78
[44] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, II ; Autriche, 457.
[45] Archives du ministère des Affaires Étrangères de Russie. (Lettre de S. M. l'Empereur à S. l'Empereur et Roi. Saint-Pétersbourg, 28 avril 1805.)
[46] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 440.
[47] Correspondance de Napoléon Ier, IX, 453-455.
[48] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 358.
[49] BIGNON, IV, 203 ; A. LEFEBVRE, II, 33.
[50] Correspondance de Napoléon Ier, X, 99.
[51] Archives de la Cour et de l'État d'Autriche. (Lettre de l'empereur François II à Napoléon. Vienne, le 23 janvier 1805.)
[52] Moniteur du 2 février 1805.
[53] Correspondance de Napoléon Ier, X, 481.
[54] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 404.
[55] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 304.
[56] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 306.
[57] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 336.
[58] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, VI ; Allemagne, 362.
[59] Archives royales prussiennes, etc., II, 359.
[60] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 331.
[61] RANKE, Hardenbergs eigenhändige
Memoiren, II, 170,
[62] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 421.
[63] Ibid., VIII, 359-362.
[64] Exposé de la situation de l'Empire lu au Sénat par Talleyrand.
[65] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 78.
[66] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 80.
[67] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 80.
[68] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 71.
[69] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 85-86.
[70] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 87.
[71] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 90.
[72] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 111.
[73] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 114.
[74] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 115.
[75] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 115.
[76] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 117.
[77] C. DUPIN, De la force navale de l'Angleterre, VI, p. 224. (Dupin tenait ce récit de Daru lui-même.) A. LEFEBVRE, II, 85.
[78] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VIII, 366.
[79] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 135.
[80] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 136.
[81] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 155.
[82] Archives royales prussiennes, II, 391.
[83] MOLLIEN, Mémoires d'un ministre du Trésor public, I, 411-413 ; Archives royales prussiennes, II, 389.
[84] DE BAUSSET, Mémoires, I, 55.
[85] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag des Kurfürsten Friedrich von Würtemberg mit dem Kaiser Napoléon, Besondere Beilage des Staats-Anzeigers fur Wurtemberg, n° 18.
[86] Dr VON SCHLOSSBERGER, Die Beschwerden der Kurfürsten Friedrich von Würtemberg uber Oesterreich in octobre 1805, Beilage, n° 2 des Staats-Anzeigers.
[87] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 18.
[88] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Correspondance de M. Didelot, 41-110.)
[89] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 18.
[90] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 233.
[91] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 257.
[92] Archives du ministère de la Guerre. (Le général Mouton à l'Empereur.) Dossier du 30 septembre 1805.
[93] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 21.
[94] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 20.
[95] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 20.
[96] Schwœbischer Merkur du 3 octobre 1805 ; Archives du ministère des Affaires Étrangères, 41-162.
[97] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische und militärische
Correspondenz König Friedrichs von Würtemberg mit Napoléon I, t. I, p. 29.
[98] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Correspondance de Didelot, 41-159.)
[99] Sur Frédéric Ier de Wurtemberg, voir C.-G. DE WREEDE, la Souabe après le traité de Bâle ; Allgemeine Deutsche Biographie ; TREITSCHKE, Deutsche Geschichte, II, 359 et passim ; HAÜSSER, Deutsche Geschichte, III, 230 et passim ; Heinrich DÖRING, Brockhaus Encyclopédie ; Archives du ministère des Affaires Étrangères, Correspondances de Malartic et de Moustier, 44 et 47 ; Archives nationales, AF, III, et AF, IV ; Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, IX, 208 ; Mémoires de mademoiselle Avrillon ; PELISSIER, Lettres inédites du baron Peyrusse.
[100] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Correspondance de Damaze-Raymond, 41-71.)
[101] Archives royales de Stuttgart. (Lettre du syndic Kerner à son collègue Abel.) Mémoires de mademoiselle Avrillon, I, 275 ; Mémoires du roi Jérôme, IV, 396.
[102] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Correspondance de Didelot, 41-71.)
[103] O'MEARA, Napoléon dans l'exil ; Mémorial de Sainte-Hélène, II, 554.
[104] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 278-279, 284.
[105] Recueil des Bulletins de la Grande Armée, I, 3.
[106] Lettres de Napoléon à Joséphine, I, 134-133.
[107] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 285.
[108] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 286.
[109] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische und militärische Correspondenz, I, 2 ; Correspondance de Napoléon Ier, XI, 332.
[110] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 347.
[111] Correspondance de Napoléon Ier, XI, 370.
[112] Lettres de Napoléon à Joséphine, I, 159.
[113] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 10.
[114] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 10.
[115] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische
und militärische Correspondenz, I, 19.
[116] Dr VON SCHLOSSBERGER, Der Allianzvertrag, etc., Beilage, n° 12.
[117] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische
und militärische Correspondenz, I, 3.
[118] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische
und militärische Correspondenz, I, 5.
[119] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische
und militärische Correspondenz, I, 14.
[120] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische und militärische
Correspondenz, I, 17-18.
[121] Tagebücher ans den Zehen Feldzügen
der Würtemberger unter der Regierung Königs Friedrich, p. 43-47. V. MARTENS, Vor füufzig Jahren, II, 176
; Albert PFISTER, König Friedrich von Würtenzberg und seine Zeite, p. 286-287.
[122] Dr VON SCHLOSSBERGER, Politische und militärische
Correspondenz, I, 38.
[123] Albert PFISTER, Der König Friedrich von
Würtemberg, p. 287.
[124] Albert PFISTER, Der König Friedrich von
Würtemberg, p. 290.
[125] Archives du ministère des Affaires Étrangères. (Correspondance du baron de Montalembert.)