NOUVELLES RECHERCHES SUR LE CALENDRIER DES ANCIENS ÉGYPTIENS

 

DEUXIÈME MÉMOIRE. — DE L'ANNÉE FIXE ÉGYPTIENNE EN ELLE-MÊME ET DANS SES RAPPORTS AVEC L'ANNÉE VAGUE ET AVEC LES ANNÉES JULIENNE ET ALEXANDRINE

 

 

[-45-] Scaliger[1], Bainbridge[2], Petau[3], Fréret[4] et d'autres savants chronologistes[5], quoique en dissidence sur d'autres points, se sont accordés à présumer que les Égyptiens avaient eu deux sortes d'années : l'année vague ou civile, à laquelle les fêtes étaient liées ; l'année fixe ou naturelle, qui commençait avec le lever héliaque de Sirius, et qui réglait les travaux de l'agriculture ainsi que les impôts.

L'emploi d'une année fixe parait indispensable dans un pays essentiellement agricole, comme l'Égypte, où les vicissitudes des saisons devaient être, de toute nécessité, marquées par des points invariables ou qu'on supposait tels ; et, ainsi qu'on l'a [-46-] vu, elle était amenée tout naturellement par la tétraétéride caniculaire.

L'opinion de ces savants chronologistes semble donc être la plus conforme à la vraisemblance. Mais, en des questions pareilles, la vraisemblance ne suffit pas ; il faut, comme je l'ai dit[6], une base historique ; il faut des preuves directes, tirées de textes positifs, ou tout au moins des inductions légitimes.

Les textes ne manquent pas ; mais on a cherché, par diverses raisons plausibles, à en diminuer la force et à en affaiblir les conséquences.

On a fait contre l'existence d'une année fixe des objections qui s'appliquent à l'année alexandrine et à celle qui se fonde sur la tétraétéride caniculaire.

Je ne dois pas en dissimuler la gravité.

On a dit : Si une telle année avait existé, intercalaire tous les quatre ans, elle eût été presque identique et avec l'année julienne, dont elle n'eût différé que par la place du jour intercalaire, et avec l'année alexandrine, introduite l'an 25 avant notre ère. Comment donc alors expliquer les passages des auteurs qui donnent Jules César comme l'inventeur de cette année, qui parlent de la peine que lui a donnée cette invention, de la coopération laborieuse des plus habiles astronomes de son temps ?[7] D'un autre côté, lorsque, à Alexandrie, on voulut rendre fixe l'année vague en usage jusqu'alors, comment n'aurait-on pas pris de préférence celle qui existait déjà, au lieu d'en former une différente ? Enfin, si cette année eût existé, les astronomes du Musée s'en seraient servis, tant elle leur aurait paru commode. Nous voyons, au contraire, que Timocharis [-47-] employait la période de Callippe ; Denys, l'ère plus u incommode encore de son invention ; et Hipparque, tantôt l'année vague égyptienne, et tantôt l'ère de Philippe[8].

Voilà des objections dont il ne servirait à rien de nier ou de dissimuler la gravité.

Avant de prendre la peine de les discuter, il faut commencer par bien établir la réalité de l'année fixe contre laquelle elles ont été élevées.

§ I. — PREUVES DE L'EXISTENCE D'UNE ANNÉE FIXE DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE ; SON RAPPORT AVEC L'ANNÉE VAGUE.

Ces objections ont paru tellement fortes, que l'idée de cette année fixe a été presque généralement abandonnée, et, à l'heure qu'il est, je ne lui vois plus un seul partisan.

Pourtant l'existence de cette année est réelle ; non-seulement on peut rétablir avec une complète certitude, mais elle est le moyen unique d'expliquer une foule de difficultés regardées jusqu'ici comme insolubles.

Je vais commencer par en prouver la réalité ; je répondrai ensuite à toutes les objections que je viens de rappeler, sans en négliger aucune.

Tout le monde convient que les Égyptiens se servaient d'une année de 365 jours. On convient aussi que la période des levers héliaques de Sirius avait dû leur donner de bonne heure la connaissance d'une année de 365 jours ¼[9]. C'est accorder en même temps qu'ils ont reconnu la rétrogradation d'un jour en quatre ans, et, par conséquent, la nécessité d'ajouter un jour à chaque quatrième année, pour ramener les saisons [-48-] en concordance avec les mois. L'ont-ils fait réellement ? C'est là ce qu'il s'agit de décider.

Diodore de Sicile écrivait soixante ans avant l'ère vulgaire, avant qu'il fût question de la réforme julienne, à plus forte raison de la réforme alexandrine ; il dit : Les prêtres thébains comptent les jours non pas selon la lune, mais selon le soleil ; faisant chaque mois de 30 jours, ils ajoutent 5 jours ¼ aux douze mois, et, de cette manière, ils complètent le cercle annuel[10].

Ces paroles ne peuvent se rapporter qu'à une année fixe, analogue à celle qui, depuis, fut introduite par Jules César ; car il est évident que les prêtres thébains réservaient les six heures chaque année pour en former une année de 366 jours tous les quatre ans, et obtenir ce que Géminus appelle une période qui renfermait un nombre exact de jours, de mois et d'années[11]. Quel usage faisaient-ils de cette année fixe ? Comment marchait-elle avec l'année vague ? Nous le verrons plus bas ; mais ce qui importe et ce qui suffit, c'est de constater qu'ils en faisaient un usage quelconque, et qu'elle leur servait au moins à déterminer, quand ils le voulaient, la place du 1er thoth vague, relativement à des points fixes d'une année naturelle.

Strabon, comme Diodore, attribue ce même usage aux [-49-] prêtres thébains[12] : Ils ont aussi, dit-il, l'usage de régler le temps non d'après la révolution de la lune, mais d'après celle du soleil ; aux douze mois de 30 jours chacun ils ajoutent 5 jours tous les ans. Voilà l'année vague. Strabon ajoute : Comme il reste encore, pour compléter l'année, une portion de jours, ils composent une période de jours entiers et d'années entières, autant qu'il en faut pour que les parties excédantes additionnées fassent un jour. Ils attribuent à Hermès toute cette science[13].

La connaissance et l'emploi quelconque de cette année n'étaient pas propres aux prêtres de Thèbes. Strabon l'attribue également à ceux d'Héliopolis dans un passage non moins remarquable que le précédent. Platon et Eudoxe, dit-il, étant venus ensemble à Héliopolis, y passèrent, selon quelques auteurs, treize ou trois années dans le commerce des prêtres. Avec le temps, et à force de précautions et d'égards, ils obtinrent de ces prêtres, très-instruits en astronomie, mais fort mystérieux et peu communicatifs, la connaissance de quelques théorèmes. Ces prêtres ajoutaient aussi les parties excédantes du jour et de la nuit aux 365 jours pour le complément de l'année[14].

[-50-] Il était, en effet, difficile de ne pas croire que les prêtres d'Héliopolis, aussi bien que ceux de Thèbes et des autres villes, connussent la période de quatre ans, ainsi que le moyen de faire concorder cette année avec l'année civile. Cette connaissance a dû être commune à tous les collèges.

Les prêtres, nous dit Strabon, font remonter jusqu'à Hermès toute cette science. Cette courte phrase a une grande importance historique, et l'on n'y a pas fait une attention suffisante : elle nous apprend non pas l'opinion de Strabon, qui aurait peu d'autorité pour un fait de cette nature, mais celle des prêtres égyptiens. Hermès était censé le père de la science égyptienne. Toute connaissance lui était attribuée, quand elle était trop ancienne pour qu'on en connût l'auteur.

De cette simple observation résulte l'époque pour ainsi dire antéhistorique de l'année de 365 jours ¼[15].

Strabon continue en ces termes : Et cependant cette année (celle de 365 jours avec intercalation) fut inconnue chez les Grecs, ainsi que beaucoup d'autres choses, jusqu'à ce que les astronomes récents en eussent pris la connaissance dans la traduction des mémoires sacerdotaux. Ces traductions ne peuvent guère dater que du règne des deux premiers Ptoléméen.

Strabon est ici dans l'erreur, car les Grecs ont certainement connu, bien avant cette époque, l'année de 365 jours ¼ et la [-51-] période intercalaire. Il faut bien que les prêtres égyptiens n'aient pas été aussi mystérieux à cet égard que le croyait cet auteur. Nous ne savons pas, il est vrai, si Platon connut la période, puisqu'il n'en reste aucune trace dans ceux de ses écrits qui subsistent ; mais il est difficile qu'il l'ait ignorée, puisqu'on ne peut douter qu'Eudoxe, son compagnon de voyage en Égypte, de même que Démocrite, quarante ou cinquante ans auparavant, en aient eu une connaissance complète.

En effet, j'ai déjà cité, dans le premier mémoire[16], les passages de Columelle et de Pline qui prouvent qu'Eudoxe a connu la période quadriennale dont le renouvellement coïncidait avec le lever de la canicule, ce qui lui donne un caractère tout égyptien, et ne permet aucun doute sur la source d'où cet astronome l'avait tirée. Ces passages confirment les témoignages de Strabon et de Diodore, et achèvent de démontrer l'existence et l'usage de cette tétraétéride en Égypte.

Personne ne pourra s'étonner qu'Eudoxe, connaissant un mode d'année si simple et une période si régulière, n'ait pas essayé, dès lors, de faire ce que Jules César exécuta dans la suite. Quand il l'aurait voulu, il n'aurait pas eu pouvoir de le faire. Les Grecs tenaient beaucoup trop à marquer les mois et les jours d'après la lune pour renoncer au calendrier luni-solaire, dont les oracles leur faisaient une loi[17]. Remarquons de plus que cette période quadriennale était incompatible avec l'octaétéride grecque, qui se composait de 8 années communes de 354 jours, auxquels on ajoutait trois mois de 30 jours ; ce qui fournit un total de 2922 jours, précisément égal à 8 années de 365 jours ¼ chacune, ou à 2 tétraétérides égyptiennes. Mais le mode d'intercalation empêchait de la couper en deux [-52-] tétraétérides, et, conséquemment, d'y adapter le mode égyptien. Il est facile de le faire comprendre.

Selon l'opinion la plus répandue dans l'antiquité, Eudoxe était l'auteur de l'octaétéride. Censorin le dit expressément : Hanc όκταετηρίδα vulgo creditam est ab Eudoxo Cnidio institutam[18]. D'autres, cependant, l'attribuaient à Cléostrate de Ténédos, qui florissait probablement vers la 82e olympiade[19] (452 av. J. C.). Qu'Eudoxe en ait eu la première idée, cela est peu vraisemblable, puisqu'il vivait un demi-siècle plus tard que Méton et Euctémon, qui l'avaient connue[20]. Mais on sait que cette octaétéride avait été bien des fois remaniée par les astronomes anciens, au nombre desquels Censorin compte Harpalus, Nausitélès, Mnésistrate et Dosithée[21]. A ce dernier, dit Censorin, on attribuait l'octaétéride d'Eudoxe : cujus maxime όκταετηρίς Eudoxi inscribitur. Ératosthène, plus de cent ans après Eudoxe, avait encore écrit un livre sur l'octaétéride, preuve qu'on n'y avait pas encore renoncé, malgré l'introduction de la période de Callippe.

On ignore, et l'on ignorera peut-être toujours, ce que ces astronomes changèrent à l'ancienne octaétéride. On devine pourtant que leurs diverses corrections durent porter principalement sur la place assignée, dans la série de huit années, à chacun des trois mois intercalaires. Les uns les reportèrent tous les trois à la fin de l'octaétéride[22], les autres mettaient ces mois à la fin de la troisième, de la cinquième et de la huitième année. C'est l'ordre indiqué par Géminus[23].

D'après un passage du papyrus grec dont je vais parler [-53-] dans l'instant, on peut croire qu'Eudoxe plaçait le deuxième mois après la sixième année. Aucune de ces combinaisons ne faisait concorder les mois avec le cours de la lune et du soleil, ce qui était pourtant l'objet de tous les efforts des astronomes grecs. Mais ce but, ils ne réussirent jamais à l'atteindre complètement. On sent que, quelle que soit la place assignée, dans l'octaétéride, aux trois mois intercalaires, il est impossible de les répartir de manière à pouvoir la couper en deux parties égales, en deux tétraétérides, et, par conséquent, d'y adapter la tétraétéride égyptienne de 1461 jours. Pour y parvenir, il aurait fallu, de ces 3 mois de 30 jours, mettre 1 mois et demi, c'est-à-dire 45 jours dans chacune des deux moitiés, et dès lors les 4 années de chaque tétraétéride n'auraient plus été des années lunaires, composées d'un nombre entier de mois lunaires.

Ces observations expliquent comment la tétraétéride égyptienne resta stérile dans la main d'Eudoxe, pour l'amélioration du calendrier grec, et pourquoi il dut se borner à eu faire, comme nous l'avons vu, une période météorologique, peut-être un calendrier, comme ceux de Géminus et de Denys. Tout au plus admettra-t-on qu'il s'en sera servi pour donner à l'octaétéride une durée tout à fait égale à 2922 jours, ou 8 fois 365 jours ¼, en supposant qu'avant lui elle avait un peu plus ou un peu moins.

On sait que l'année de Méton était plus longue d'environ 18' (= 365 jours 5/19). Cette erreur fut corrigée par la période de Callippe, qui eut pour objet de ramener l'année métonienne à la durée de 365 jours ¼, la plus exacte que les calendriers anciens aient employée. Peut-être Callippe suivit-il en cela les errements d'Eudoxe.

Le lustrum de cet astronome est donc tout justement la période de 4 années de 365 jours ¼, introduite trois siècles après [-54-] par Jules César, et il est bien probable que Lucain fait allusion à cette circonstance lorsqu'il met ces paroles dans la bouche de César :

Nec meus Eudoxi vincetur festibus annus[24].

Cette période caniculaire de 4 années, qui suppose une année fixe de 365 jours ¼, présente une remarquable symétrie avec la grande période caniculaire. Elle se compose, en effet, de 4 années de 365 jours, c'est-à-dire de 1460 jours, auxquels on ajoutait 1 jour, ce qui faisait 1461 jours. La grande période, celle qui ramenait le premier thoth au lever héliaque, se composait de 4 fois 365 années, ou de 1460 années, auxquelles on ajoutait 1 année, ce qui complétait le nombre de 1461 années. Les deux périodes offrent donc même nombre de jours dans la petite, d'années dans la grande.

Ainsi, dans l'une,

4 années de 365 jours, qui font 1460 jours ;

Dans l'autre,

4 fois 365 années, qui font 1460 années.

La petite était contenue juste 365 fois dans la grande.

L'année était à la grande ce que le jour était à la petite.

J'attache peu d'importance aux pures combinaisons de nombres ; mais ici ils ne dérivent point du calcul ; ils sont donnés par l'histoire elle-même, ou ils résultent de ceux que l'histoire a donnés. Je ne puis m'empêcher de voir une combinaison dans cette parfaite symétrie. Ces deux périodes semblent inséparables l'une de l'autre, et tout indique qu'elles tiennent à un système conçu d'un seul jet. Les deux périodes doivent être de la même époque et avoir été établies en même temps à [-55-] Memphis, lieu où fut institué le système du calendrier. C'est, du reste, ce qui résultera avec certitude de considérations d'un autre genre, qui seront présentées plus bas.

Aux faits que je viens d'indiquer et qui prouvent l'existence et l'usage de l'année fixe avec intercalation quadriennale, analogue à l'année julienne, on peut encore ajouter trois textes qui auraient depuis longtemps décidé la question, si on les avait pris dans leur vrai sens.

On voit, en effet, que Macrobe était bien informé quand il disait que Jules César, dans l'établissement de son année nouvelle, avait imité les Égyptiens : C. Cæsar imitatus Ægyptios..... ad numerum solis, qui diebus tricenis sexaginta quinque et quadrante cursum conficit, annum dirigere contendit[25].

L'année julienne, en effet, est identique avec l'année fixe égyptienne, quant à la longueur et au système d'intercalation ; la seule différence consiste dans la durée inégale des mois et la place du jour intercalaire. César, qui résida assez longtemps à Alexandrie, puisa en Égypte la connaissance des mouvements célestes, sur lesquels il écrivit des livres non dépourvus de science : Nam J. Cæsar..... siderum motus, de quibus non indoctos libros reliquit, ab Ægyptiis disciplinis hausit[26]. César a donc certainement connu et imité cette année de 365 jours ¼, et Macrobe ne s'est nullement trompé, comme on l'a cru[27], lorsqu'il fait entendre que, de tout temps, les Égyptiens possédaient une telle année. Le témoignage de cet écrivain si instruit trouve maintenant une confirmation complète. L'année que cet auteur désigne n'est point l'année alexandrine [-56-], comme le pensait La Nauze, et c'est là son erreur fondamentale ainsi que celle de Golius, mais bien l'année égyptienne, telle qu'elle vient d'être indiquée.

C'est égaiement à cette année que se réfère Dion Cassius dans un passage qu'on a voulu également écarter. Cet historien rapporte que Jules César, pendant son séjour à Alexandrie, avait pris la connaissance de l'année qu'il adopta, et il ajoute : César, lui aussi (καί αύτός), introduisit l'usage de compter, tous les cinq ans, un jour composé des quatre quarts[28]. Ce texte, bien traduit par La Nauze, qui en abusa comme des autres, en preuve de l'existence antérieure de l'année alexandrine, a été mal compris par Fréret, qu'il jetait dans une grande perplexité. Ce passage, tant débattu, indique évidemment que Jules César avait pris en Égypte son année de 365 jours ¼.

Enfin un troisième texte, dont ni Fréret ni M. Ideler n'ont tenu compte, ou, du moins, qu'ils n'ont pas cité, est celui d'Appien ; il est pourtant bien formel : Jules César..... changea l'ancienne année en une année solaire, telle que la comptaient les Égyptiens, ώς ήγον Αίγύπτιοι[29].

Ainsi se trouve résolue une difficulté qui a été, on peut le dire, la croix des chronologistes. La Nauze avait raison de voir dans ces passages l'indication d'une année fixe antérieure à J. César ; mais il avait tort d'y chercher l'année alexandrine. Fréret avait raison en soutenant que l'année alexandrine n'existait pas avant Auguste ; mais il avait tort en donnant aux passages allégués par La Nauze un sens contraire à l'existence de l'année fixe. Tous deux avaient à la fois tort et raison ; tout s'explique [-57-] par l'existence d'une année fixe différente de l'année alexandrine.

Diodore, Strabon, Macrobe et Appien, tous parlent du même fait ; nous pouvons prendre leurs textes sans y rien changer.

Tel est le point où la question de l'année fixe égyptienne pouvait être amenée à l'aide de textes depuis longtemps connus, et dont le sens n'offre aucune difficulté réelle.

Ils établissent l'existence de cette année de la manière la plus satisfaisante, et, si les hommes les plus habiles ont pu se méprendre sur un tel fait, c'est qu'ils ont cédé à des idées préconçues, ou préféré certaines raisons de convenance, qui ne sont que des préjugés, et ne sauraient, en tout cas, balancer des textes positifs. Malgré ces textes et d'autres encore qu'on y aurait pu joindre, une des personnes qui ont le plus étudié cette question n'en a pas moins avancé qu'il n'existe dans l'antiquité, à sa connaissance, aucune preuve de cette année fixe, intercalée tous les quatre ans, comme l'année julienne.

Une telle assertion ne saurait tenir devant les preuves historiques qui viennent d'être exposées ; mais, à plus forte raison, devant une autorité nouvelle, inconnue jusqu'ici, qui, en confirmant tous les témoignages déjà recueillis, y ajoute une circonstance du plus haut intérêt.

Un papyrus grec du Musée du Louvre contient une partie d'un Traité élémentaire d'astronomie (ούράνιος διδασκαλία), ayant pour auteur un certain Leptine, qui ne peut être, ainsi que je le prouve dans mon travail sur ce papyrus, le Leptine devin ou astrologue, qui, selon Valère Maxime, vivait à la cour de Séleucus Nicator[30].

[-58-] L'époque n'en peut, du reste, être déterminée avec certitude. Je présume que les rois (βασιλεΐς) pour lesquels à été écrit cet abrégé sont les fils de Ptolémée Epiphane, à savoir, Ptolémée Philométor et Évergète. Mais ce qu'il y a de certain, et ce qui importe surtout, c'est que le traité est antérieur à Hipparque, qui n'y est pas nommé, et dont les doctrines ne s'y montrent sur aucun point. Il ne nous offre qu'un extrait de la Science d'Eudoxe, Εύδόξου τέχνη, comme l'indique une pièce de douze vers acrostiches, qui en forment en quelque sorte le titre.

L'époque où le papyrus a été écrit ne peut pas être non plus déterminée avec précision ; mais il a pu l'être au moins cent quinze ans avant notre ère, c'est-à-dire plus de soixante ans avant l'établissement de l'année julienne.

Il était de la plus grande importance de fixer une limite inférieure à l'époque où ce papyrus a été écrit. Sans cela, on aurait pu soupçonner que le scribe, sinon l'auteur, avait subi l'influence d'un temps où l'année julienne était en vigueur, ce qui aurait ôté au passage toute son importance. Heureusement il ne peut y avoir aucun doute à cet égard.

L'ouvrage est terminé par une courte indication des distances des astres, διασίήματα άσίρων, indiquant le nombre de jours qui sépare leur lever de leur coucher ; puis vient l'énoncé de l'intervalle en jours qui sépare les solstices des équinoxes, selon les anciens astronomes, Démocrite, Euctémon, Eudoxe et Callippe, les seuls qui soient cités ; on ne peut [-59-] voir là que les fragments d'un parapegme analogue à ceux de Géminus et de Ptolémée. Seulement il indique une astronomie bien moins perfectionnée, et il atteste, ce qu'on soupçonnait déjà[31], combien était imparfaite, au temps d'Eudoxe, la théorie de l'inégalité du mouvement solaire. C'est là qu'on lit ce court passage : Selon Eudoxe et Démocrite, le tropique d'hiver (a lieu) en athyr, tantôt le 20, tantôt le 19.

Le sens des mots est clair, et l'interprétation de la phrase ne peut être douteuse. D'abord, que la date soit rapportée au calendrier égyptien, c'est ce que prouve le mois d'athyr, qui est le troisième de l'année égyptienne.

En second lieu, que ce calendrier ne soit pas le calendrier vague, c'est ce qui s'établit avec la dernière évidence par deux caractères qui n'offrent ni doute ni incertitude.

Le premier, c'est la correspondance du solstice d'hiver avec le 20 ou le 19 athyr ; cette correspondance est impossible au temps d'Eudoxe comme de Démocrite.

En effet, Eudoxe, contemporain de Platon et son ami, selon d'autres son disciple, a voyagé en Égypte avec lui, à une époque qu'on ne peut déterminer avec précision, mais qui ne saurait être antérieure à la 99e olympiade (380) ni postérieure à la 102e (370).

Le 1er thoth vague tombait alors le 26 et le 23 novembre ; par conséquent, le 1er athyr répondait au 25 ou au 22 janvier, et le 19 athyr au 12 ou au 9 février, c'est-à-dire cinquante jours au moins après le solstice d'hiver. La différence serait encore plus grande de douze jours environ pour l'époque de Démocrite, [-60-] dont le voyage en Égypte ne peut être placé que l'année 420, pendant laquelle le 19 athyr répondit au 20 février.

Outre ce défaut de coïncidence, qui repousse entièrement l'année vague, elle est exclue par une autre considération non moins puissante.

Puisque Démocrite, quarante ans avant Eudoxe, avait appris, comme ce dernier, et marqué dans son parapegme, que le solstice arrivait tantôt le 20, tantôt le 19 athyr, c'est une preuve manifeste que cette date était fixe, au moins pendant une longue suite d'années.

Le solstice ne pouvait être indiqué, pendant quarante ans, tantôt le 20, tantôt le 19 d'un même mois, que dans une année fixe, comme l'année julienne, où l'intercalation établit entre les années intercalaires et les communes un jour de différence, comme il est marqué ici, tantôt le 20, tantôt le 19, et comme on s'exprimerait pour l'année fixe alexandrine, où le 1er thoth avait lieu tantôt le 3o, tantôt le 29 août.

Ce passage confirme donc tout ce qui résulte des passages cités plus haut, de Diodore, de Strabon, de Pline, de Dion-Cassius, de Macrobe et d'Appien, à savoir que les Égyptiens avaient une année fixe, intercalée au moyen de l'addition d'un jour tous les quatre ans, comme l'année julienne et l'année alexandrine.

C'est là cette période caniculaire quadriennale, le lustrum Eudoxi, dont le caractère a été fixé par Pline et Columelle.

Le passage de Leptine, qui confirme toutes les données de l'histoire, y ajoute un fait qu'on pouvait d'ailleurs naturellement présumer, c'est que cette année fixe était en 12 mois, les mêmes que ceux de l'année vague.

Le jour du solstice d'hiver, étant placé au 20 ou au 19 d'athyr, nous donne immédiatement la concordance de chaque [-61-] jour de l'année fixe égyptienne avec l'année julienne proleptique. Je prendrai pour époque une année moyenne entre le voyage de Démocrite et celui d'Eudoxe, par exemple, l'an 400. Alors le solstice d'été arrivait le 26 juin proleptique ; l'équinoxe d'automne, le 27 septembre ; le solstice d'hiver, le 26 décembre, et l'équinoxe du printemps, le 25 mars. En construisant l'année sur ces bases, on voit que le 1er thoth ou le premier jour de l'année fixe égyptienne devait tomber vers le 9 octobre. Cette coïncidence nécessaire, puisqu'elle résulte d'un simple calcul arithmétique, et que je me contente d'indiquer, tient à une cause dont il sera parlé dans la suite de ce travail.

Si, à côté de cette année fixe, on place l'année vague, dressée pour cette même époque 400, dans laquelle le 1er thoth vague est tombé le 1er décembre, on a la concordance des deux années.

Cette concordance montre que ce n'est pas sans motifs que les Égyptiens avaient conservé à l'année fixe la division en 12 mois de 30 jours avec les épagomènes. De cette manière, la concordance avec l'année vague civile s'établissait facilement jour par jour. Grâce à la complète régularité, à la symétrie parfaite de l'une et de l'autre, on savait, à point nommé, quel jour de l'année fixe répondait à tel jour de l'année vague. Ainsi, en 400, le 1er thoth vague, tombant au 1er décembre, répondait au 24 phaophi fixe. Il y avait donc 53 jours entre les deux thoths, et le 1er de chacun des mois vagues correspondait au 24 du mois suivant fixe. Quatre ans après, la différence était de 54 jours, et ainsi de suite.

On avait aussi le moyen de savoir l'âge de la période sothiaque, c'est-à-dire à quelle distance on était du point où le 1er thoth avait été et redeviendrait héliaque. Cet âge était donné par le jour où tombait le lever de Sirius ; car il n'y avait qu'à [-62-] multiplier par 4 le nombre de jours qui séparait ce lever du ter thoth. Par exemple, dans l'année 398, le lever héliaque de Sirius tombait le 22 pharmuthi vague, qui était le 232e jour de l'année. C'était l'âge du cycle ; il était donc commencé depuis (232 * 4) 928 années, et il restait encore 532 ans à courir. Cette double année n'amenait aucune complication, et, avec deux colonnes parallèles, on avait un calendrier perpétuel d'une extrême simplicité.

Rien ne nous empêche même de savoir à quelle année avant notre ère tombait la bissextile de cette année fixe. Comme il est certain qu'elle était mise à la quatrième année de la tétraétéride caniculaire, dès que nous savons que l'an 139 de notre ère fut l'époque du renouvellement de la période sothiaque, et, par conséquent, une de ces années intercalaires, nous voyons que la bissextile égyptienne tombait, depuis l'ère chrétienne, sur l'année 3 et sur toutes les années exprimées par des nombres qui, divisés par 4, donnent 3 pour reste ; et qu'avant l'ère chrétienne cette bissextile tombait, suivant la manière de compter des chronologistes, sur l'année 2 et sur toutes les années exprimées par des nombres qui, divisés par 4, donnent 2 pour reste, ou, suivant la manière des astronomes, qui comptent une année 0, sur l'année 1 et sur toutes les années exprimées par des nombres qui, divisés par 4, donnent 1 pour reste.

Un calendrier formé ainsi d'une double année n'a rien que de naturel. J'ai déjà dit que, dans un pays agricole surtout comme l'était l'Égypte, il était impossible de se passer d'une année fixe à côté de l'année vague. On retrouve cette double supputation dans le calendrier turc et dans celui des Arabes et des Persans, au moins depuis la fondation de l'islamisme.

Tant que les Arabes, avant Mahomet, restèrent dans leur [-63-] vaste péninsule, ces nomades, étrangers aux soins de l'agriculture, purent se contenter de leur primitive année lunaire de 354 jours environ, à peu près fixe par rapport à la lune, mais vague par rapport à l'année solaire dans laquelle elle roulait, et revenant au même point en 33 ans environ. S'ils la quittèrent quelque temps pour un cycle luni-solaire, ils la reprirent bientôt.

Mais, lorsque, par suite des conquêtes de l'islamisme, ils se trouvèrent en contact avec l'Égypte et avec les peuples de l'Asie occidentale, qui se servaient de l'année julienne, ils sentirent le besoin de coordonner leur année primitive avec cette année fixe ; les uns prirent les mois égyptiens, sous le nom de schohour el-kebt ; les autres, les mois syriens-macédoniens, qu'ils appelèrent schohour el-rum, mois des Romains[32].

Dans tous leurs calendriers combinés, les dates de l'année lunaire arabe sont rapportées à celles des Coptes ou des Syriens ; mais la première reste toujours l'année civile et religieuse, comme, chez les Égyptiens, l'année solaire vague ; la seconde ne sert qu'à la concordance.

M. Ideler a montré chez les Persans, jusqu'au me siècle de notre ère, l'usage d'une double année : l'année lunaire, propre à tous les mahométans a e t une année solaire vague de 365 jours, dans laquelle il paraît que seulement les fêtes religieuses faisaient un saut d'un mois tous les 120 ans, pour ne pas trop s'écarter de l'année fixe de 365 jours ¼[33].

Le calendrier turc est, dans son essence, aussi simple que celui des Arabes. On y emploie un comput artistement combiné de l'année lunaire et de l'année julienne ; mais la première est toujours la seule année civile et religieuse.

[-64-] Le besoin d'une année fixe n'avait pas manqué de se faire sentir également des anciens Égyptiens : les circonstances si constantes de l'inondation du Nil leur en firent de bonne heure une nécessité, et le lever de Sirius vint leur fournir une durée de cette année suffisamment exacte.

Mais ce calendrier mixte était bien plus simple que celui des Orientaux, que je viens de citer, et cela par la raison que le cours de la lune, qui est incommensurable avec celui du soleil, y resta tout à fait étranger. L'année vague de 365 jours et celle de 365 jours ¼ se touchaient par des rapports simples toujours facilement comparables. Les mois étaient de même durée, avaient même dénomination ; dans toutes les deux un signe suffisait pour faire distinguer le mois fixe du mois vague ; aucune confusion n'était possible, et la concordance des deux années n'entraînait aucune de ces complications qui embarrassaient le Rouz-nameh ou calendrier perpétuel des Orientaux, que M. Navoni[34] n'a pu débrouiller qu'à l'aide de beaucoup de sagacité et d'une connaissance parfaite de la matière.

Un calendrier perpétuel égyptien, ne se composant que de ces deux années, serait assurément le plus simple et le plus facile qui soit au monde.

De cet énoncé il résulte, comme conséquence rigoureuse, les faits suivants :

1° Du temps de Démocrite et d'Eudoxe, on avait, en Égypte, l'usage d'une année de 365 jours ¼, comme l'indiquent si clairement les textes anciens, discutés plus haut, de Diodore, de Strabon, de Pline et de Columelle ;

2° Cette année était fixe au moyen d'une intercalation d'un jour tous les quatre ans, ce qui résultait déjà des mêmes textes, [-65-] notamment de celui qui concerne le lustrum ou la tétraétéride d'Eudoxe. Rien n'indique, il est vrai, comment se faisait cette intercalation ; mars on ne peut hésiter à croire qu'elle ne s'opérât par l'addition d'un sixième jour épagomène au bout de quatre ans, seul mode d'intercalation que pût comporter la régularité des mois égyptiens.

Cette année était donc identique, quant à son principe et à sa durée, avec l'année julienne et l'année alexandrine ; car le solstice ne pouvait être constamment rapporté au 20 ou 19 d'athyr que parce que ce mois était fixe dans l'année, comme tous les autres mois qui la composaient. Ainsi ce mois d'athyr était précédé des mois de phaophi et de thoth, comme il était suivi de ceux de choïak, tybi, méchir, etc.

Maintenant que cette année fixe est bien établie et son caractère bien déterminé, il faudrait rechercher les traces historiques de son emploi dans la détermination de certaines fêtes nécessairement tirées de l'année agricole. Mais, avant de compléter nos recherches, il faut concilier l'existence de l'année fixe égyptienne avec les circonstances de l'établissement des années julienne et alexandrine, et répondre aux graves objections historiques que j'ai indiquées plus haut.

Je me flatte non-seulement de résoudre ces difficultés, mais encore d'en tirer de nouvelles preuves de l'existence de l'année fixe égyptienne.

§ II. — EXAMEN DES OBJECTIONS.

1° L'année fixe égyptienne dans son rapport avec l'année julienne.

Pour essayer de démontrer l'incompatibilité du fait de l'établissement de l'année julienne avec la préexistence d'une année [-66-] fixe dans l'ancienne Égypte, on a principalement insisté sur ce passage de Plutarque, dans la Vie de César : La disposition du calendrier et la correction de l'anomalie[35] de l'année furent mises à fin par Jules César à l'aide de méditations et de profonds calculs[36]. On a dit que Plutarque ne se serait pas exprimé de cette manière, si Jules César n'avait fait qu'imiter et transporter à Rome une année employée en Égypte dans l'usage civil[37]. Cette objection, qui s'adresse surtout à l'hypothèse de La Nauze, sur l'emploi de l'année alexandrine avant Auguste, perd beaucoup de sa force, appliquée à notre année égyptienne, qui n'a jamais été d'usage civil. Il y a, d'ailleurs, un peu plus bas, dans un autre passage, un membre de phrase très-caractéristique, auquel on n'a pas fait attention.

Après avoir parlé des dérangements du calendrier romain et de la nécessité d'y remédier, Plutarque ajoute : César, ayant proposé le problème aux meilleurs astronomes et mathématiciens, enseigna, d'après des méthodes déjà connues, un moyen de correction particulier et fort exact, dont les Romains se servent encore de nos jours[38].

Les mots έκ τών ύποκειμένων ήδη μεθόδων έδειξεν montrent bien que, si la réforme julienne fut une correction particulière au calendrier romain, elle fut tirée ou imitée de méthodes déjà employées. Ainsi Plutarque lui-même doit être compté [-67-] parmi les auteurs qui ont dit que César avait imité une année déjà employée ailleurs. On peut dire que l'année julienne du calendrier romain différa de toutes les autres années de 365 jours ¼ qui pouvaient être en usage ailleurs.

On a cité encore le passage où Pline parle en termes très-forts, qui seront rappelés plus bas, des peines infinies que se donna Sosigène pour venir à bout de l'entreprise dont Jules César l'avait chargé. On a trouvé ces passages inexplicables dans l'hypothèse où César n'aurait fait qu'imiter une année employée quelque part, ce qui n'eût offert aucune difficulté et n'eût pas mérité de si grands éloges.

Mais on n'a pas fait attention que la difficulté de cette réforme n'a pas consisté seulement à substituer une année régulière de 365 jours ¼ à cette année imparfaite, arbitrairement intercalée, dont Rome faisait usage auparavant. Rien, assurément, n'eût été plus facile qu'une telle opération.

Avec une année aussi simple que celle de 365 jours ¼, au moyen d'une intercalation quadriennale, il suffisait de prendre un point de départ dans le calendrier romain, et de la laisser ensuite courir régulièrement. Mais les entraves que s'imposa le réformateur compliquèrent extrêmement l'opération.

L'embarras commença avec l'introduction du cycle de dix-neuf ans, dont il crut ne pouvoir se passer. Il altéra de plus la simplicité de son calendrier, en mettant le 1er janvier quelques jours après le solstice (bruma), et non au solstice même ; c'est qu'il voulut commencer l'année avec la nouvelle lune, par égard pour les institutions de Numa[39].

Dès l'origine, ce respect pour l'antiquité compliqua et gâta son œuvre. Mais était-il libre de faire autrement ? On peut en [-68-] douter ; Jules César ne pouvait vouloir une réforme radicale. Grand pontife, il devait améliorer, non détruire, le calendrier établi ; il ne pouvait se dispenser de conserver tous les rapports du calendrier avec la religion et avec les travaux agricoles[40]. Il fallait donc assigner à tous les jours de l'année le caractère qui leur appartenait dans l'usage civil, politique et religieux. Il fallait, de plus, y rapporter l'apparition des astres ; car il est certain qu'un parapegme ou table astronomique était joint à ce calendrier. Un bon mot de Cicéron sur le lever par ordre, de la constellation de la lyre, le prouve clairement[41]. Ainsi que l'indique un passage de Pline, il s'y trouvait aussi des prédictions météorologiques, dont un calendrier grec ou romain ne pouvait se passer. C'est, je n'en doute pas, à cette source que Ptolémée a pris les indications au nombre de trente, qui, dans son livre des Apparitions des fixes, ont César pour autorité. Delambre dit qu'on ignore quel est ce César[42]. C'est tout simplement Jules César, le réformateur du calendrier romain.

Censorin nous apprend que ce César avait soigneusement veillé à ce que les fêtes ne fussent point dérangées de la place qui leur était assignée dans chaque mois, ne religiones mi cujusque mensis a loco submoverentur[43].

Il se trouve, en effet, une preuve bien frappante de ces intentions dans le mode d'intercalation qu'il adopta.

L'intercalation égyptienne est assurément ce qu'il y a de plus simple et de plus régulier ; placer le jour intercalaire après les cinq épagomènes, à la quatrième année, était un procédé tout naturel, appelé par l'essence même de la composition de ce calendrier. Mais ce mode ne pouvait s'introduire dans le calendrier romain sans y apporter une perturbation totale. [-69-] L'usage des mois inégaux y était inhérent, comme au calendrier grec ; rendre les mois égaux, reporter à la fin de l'année les cinq jours qui causent cette inégalité, c'était déranger toute l'économie des fêtes, toutes les habitudes nationales, toutes les susceptibilités religieuses. César avait trop d'habileté pour se créer ainsi inutilement des obstacles ; il ménagea tant qu'il put l'ordre établi, et il poussa le scrupule jusqu'à conserver l'ancien usage dans la place du jour intercalaire.

On s'est quelquefois demandé pourquoi il a mis ce jour entre le 23 et le 24 février, avant le 6 des calendes de mars, entre les deux fêtes dites les terminalia et le regifugium. Cette place parait, en effet, très-bizarre ; mais il s'en faut qu'elle soit arbitraire : c'est une ancienne place ; soigneusement conservée. Auparavant, le mois embolismique de 22 ou 23 jours était inséré tous les deux ans, entre les terminalia et le regifugium, avant le 24 février, justement à la même place. Ce mois coupait donc février d'une manière bien étrange, puisque, après l'expiration de ce mois intercalaire, il restait encore les six derniers jours de février. Le regifugium était encore célébré, comme si le mois embolismique n'avait point existé. Ceci tenait à un usage religieux qui voulait que février, le dernier mois de l'année, ne fût pas séparé de mars ; c'est ce que dit Macrobe : Credo vetere religionis suæ more, ut Februarium omni modo Martius consequeretur[44]. On trouvait, dans cet arrangement, trois avantages : 1° le mois embolismique était placé à la fin de l'année ; 2° le dernier mois n'était pas séparé du premier de l'année suivante ; 3° l'ordre des fêtes n'était point interrompu, car les terminalia s'étaient célébrés le 23 février, et le regifugium se retrouvait au 24, comme si le mois intercalaire n'avait pas existé.

[-70-] C'est pourtant cette disposition bizarre, mais consacrée par l'usage et par la religion, que César maintint avec le plus grand soin. Il eût été plus naturel de porter le jour intercalaire à la fin de décembre, devenu alors le dernier mois de l'année, tandis que février n'en était plus que le second ; mais il voulut, même en ce point, se conformer à l'usage religieux ; il mit le jour intercalaire avant le 2 4 février, la veille du 6 des calendes, et, donnant à ce jour le nom de double-six (dies bissextus), il conserva intact l'ordre des jours de l'année.

Ce seul trait suffit pour nous montrer l'esprit de la réforme de Jules César. On peut dire que César fut conservateur autant qu'un réformateur peut l'être. C'était la condition de son succès. En agissant autrement, il aurait soulevé d'invincibles oppositions. On en juge par les obstacles que rencontra son innovation, malgré la prudence qu'il avait gardée. On calomnia son institution, on cria à la tyrannie. Cicéron lui-même se joignit aux mécontents, et Plutarque nous a conservé un mot qui montre la répugnance de ce grand orateur, de ce philosophe si éclairé, contre une innovation dont l'utilité devait lui paraître incontestable, à lui, traducteur d'Aratus, et qui s'était plusieurs fois plaint des capricieuses intercalations faites par les pontifes. Mais les innovations les meilleures rencontrent des obstacles de la part même des hommes éclairés qui en sentent le mieux l'utilité. C'est que souvent la force manque aux esprits et aux cœurs les plus droits pour s'élever au-dessus d'une antipathie accidentelle ; une bonne chose, qu'on aurait accueillie en d'autres temps avec reconnaissance, on la repousse dans la crainte de donner à son adversaire d'un moment la satisfaction d'un succès. Quant aux pontifes, ils affectèrent de ne rien comprendre au nouveau calendrier. Car on ne peut attribuer uniquement à leur ignorance la confusion qu'ils [-71-] remirent dans l'année, en faisant l'intercalation triennale, au lieu de quadriennale, que César avait établie.

On peut, à bon droit, soupçonner qu'ils introduisirent à dessein ce désordre dans l'année nouvelle. Il fallut qu'Auguste, trente-trois ans après, en 746, rétablit l'ordre, et décidât que douze années de suite seraient communes, et qu'on retrancherait les bissextiles aux années 749, 753, 757[45].

Ce ne fut donc qu'à partir de l'an 761 que le calendrier julien put marcher avec une régularité que rien n'altéra plus désormais.

D'après les obstacles que rencontra cette réforme, malgré la réserve de son auteur, on juge de ceux qu'il aurait eu à vaincre, s'il avait voulu faire une réforme radicale, comme, par exemple, transporter l'année égyptienne avec son intercalation dans le calendrier romain. Ainsi, la connaissance de l'année intercalaire, que César avait prise en Égypte, ne diminue point le mérite de son œuvre ; car c'est dans l'application de ce calendrier au calendrier romain que consistait toute la difficulté.

Il en a été de même de la réforme grégorienne. Certes, lorsque, après les plaintes de Sacrobosco, du cardinal de Cusa et d'autres personnes instruites, on se résolut à rétablir la place de la Pâque, rien n'était plus facile que de ramener l'équinoxe du 11 au 21 mars, par le retranchement de 10 jours, et de prévenir le retour d'une semblable erreur par la suppression de 3 bissextiles en 400 ans. Car c'est là tout le fond de la réforme exécutée sous Grégoire XIII, d'après les conseils de Luigi Lilio. Si elle eût consisté dans ces deux seules opérations, rien n'eût été plus simple. Mais on ne s'en tint pas là. On voulait éviter de se rencontrer avec les Juifs ou avec les hérétiques [-72-] quartodécimans. De plus, il fallait que Pâques fût un dimanche, et qu'il suivit l'équinoxe du 14° de la lune moyenne. Pour remplir toutes ces conditions, il fallut tâcher de concilier trois périodes incommensurables : l'année tropique, le mois lunaire et la semaine. De là cette extrême complication du calendrier grégorien, chef-d'œuvre d'adresse et de dextérité, qui fait le plus grand honneur à l'astronome de Grégoire XIII[46].

De même, pour l'établissement en apparence si simple de son calendrier, Jules César n'eut pas trop des lumières des meilleurs astronomes[47], entre autres de l'alexandrin Sosigène, habile mathématicien de cette époque, qui, selon le rapport de Pline[48], s'y reprit à trois fois, composa trois traités sur la matière, se corrigeant toujours avant d'être définitivement fixé.

Il s'ensuit que rien, dans l'établissement du calendrier julien, ne s'oppose à ce que Jules Gésir ait mis à profit une année déjà connue, tandis qu'au contraire l'existence d'une telle année peut seule expliquer les textes positifs de Diodore, de Strabon, de Macrobe, d'Appien et de Dion-Cassius, rapportés dans le paragraphe précédent.

2° L'année fixe égyptienne dans son rapport avec l'année alexandrine.

On comprend maintenant fort bien pourquoi Jules César ne prit de l'année égyptienne que sa durée et son intercalation, en conservant la forme du calendrier romain. Mais les raisons que nous avons données ne sont point applicables à l'année fixe alexandrine ; celle-ci, étant de 365 jours ¼, divisés en 12 [-73-] mois de 30 jours chacun, avec 5 épagomènes et un 6e tous les quatre ans, est absolument semblable à l'année égyptienne. Elle n'en diffère que par la place du point initial. On pourrait donc s'étonner que les Alexandrins, lors du changement de l'année vague en une année fixe, ne se soient pas contentés de prendre celle qui existait déjà en Égypte, en concordance avec la première, d'autant plus qu'Eudoxe en avait fait déjà une sorte d'application, au moyen de son lustrant de quatre ans. Dans ce cas, n'a-t-on pas raison de dire que, si cette année eût réellement existé en. Égypte, ils l'auraient choisie de préférence ?

Je crois qu'ils ont eu d'aussi bonnes raisons que Jules César pour agir ainsi qu'ils l'ont fait ; seulement elles ne sont pas les mêmes. Qu'est-ce, en effet, que l'année fixe alexandrine ? Ce n'est autre chose que l'année vague continuée avec l'intercalation quadriennale. A l'époque où elle a été instituée, le 1er thoth vague tombait à un jour déterminé. On ne fit autre chose que de prendre ce jour pour le 1er thoth ; on le rendit fixe en insérant un jour à la 4e année, et l'on a continué l'ordre des jours comme auparavant.

C'était donc, à vrai dire, l'ancien calendrier civil continué, sauf une légère modification. Mais ce calendrier, établi d'une manière si simple et si naturelle, avait des avantages qu'aucun autre ne pouvait offrir.

D'abord, le 1er thoth se trouvant placé le 29 ou le 30 août, il s'ensuivait qu'à un ou deux jours près le mois de thoth correspondait tout entier au mois de septembre, et tous les mois égyptiens répondaient ainsi exactement à un mois romain, ce qui établissait une concordance très-commode entre les deux calendriers. Aussi voyons-nous, dans le livre des Apparitions de Ptolémée, dans les Scholies d'Aratus, le Périple de la mer Érythrée, que les mois des deux calendriers sont censés se [-74-] correspondre exactement, et leurs noms pris pour synonymes. Thoth répond à septembre, phaophi à octobre, athyr à novembre, choïak à décembre, et ainsi de suite.

En second lieu, par la rencontre fortuite du 1er thoth au 29 ou 30 août, les équinoxes et les solstices répondaient à peu près au commencement d'un mois. L'an 25 avant Jésus-Christ, l'équinoxe du printemps (23 mars) tombait trois jours seulement avant le 1er pharmuthi ; le solstice d'été (25 juin) tombait juste le 1er épiphi ; l'équinoxe d'automne (25 septembre) tombait à 2 jours du 1er phaophi ; et le solstice d'hiver (23 décembre) tombait à 3 jours du 1er tybi. En outre, l'inondation coïncidait avec les premiers jours d'épiphi, et le lever de Sirius avait lieu 4 jours seulement avant le 1er mésori. De cette manière, l'année alexandrine, comme l'année romaine, était divisée facilement en quatre trimestres, répondant, à peu de jours près, aux quatre grandes divisions astronomiques de l'année. Tous ces avantages expliquent parfaitement l'adoption de ce calendrier de préférence à tout autre.

En outre, chacun des douze mois de l'année alexandrine coïncidait à très-peu près avec l'un des signes du zodiaque rationnel, avec rune de ses dodécatémories. Cette correspondance liait d'une manière approximative l'année civile et l'année astronomique. Elle rendait la première tout à fait analogue à celle que l'on trouve dans le parapegme de Géminus et à celle qui résulte du calendrier de l'astronome Denys, laquelle est la même que celle des Chaldéens[49].

Ainsi, pour faire de l'année alexandrine une année commençant par un équinoxe ou un solstice, il n'y avait qu'à prendre [-75-] un autre mois que celui de thoth pour mois initial de l'année. Nous le voyons par l'Hémérologe, qui est une table comparative donnant la concordance des mois en usage dans l'Asie Mineure et en Syrie, après que l'année julienne y eut été introduite[50]. Dans cette table, le premier mois de l'année alexandrine est intriqué comme étant celui de Oi, qui commençait le 25 décembre, à un jour près du solstice. Cela donne une année qui, allant d'un solstice à l'autre, devient comparable à toutes les autres années, qui, presque toutes, ont leur point initial à l'équinoxe d'automne, le 24 septembre.

Une table horaire, trouvée à Tehfa, en Nubie, et que j'ai expliquée ailleurs[51], présente la longueur des ombres pour les douze mois de l'année. Cette table était divisée en deux parties, contenant chacune un semestre. Une seule des deux par-fies est conservée ; mais il est facile de deviner.la composition de l'autre.

On y voit que le semestre, au lieu de partir de thoth et de comprendre les mois de thoth à méchir, commence au deuxième mois, à phaophi, et finit à phaménoth. L'autre semestre devait comprendre depuis pharmuthi jusqu'à thoth, ce qui donne justement une année divisée par les équinoxes.

Cette table, qui est de l'époque chrétienne, avait été tracée sous le pronaos du temple de Tehfa (Taphis), alors converti en église. La division par les équinoxes, et commençant par pharmuthi, se retrouve justement dans un calendrier agricole égyptien que nous a conservé le moine Cosmas[52], et que j'ai déjà [-76-] cité. Ce calendrier est divisé en douze mois, dont chacun correspond à une production naturelle. Pharmuthi est le premier mois, comme dans la table horaire, et phaménoth le dernier. Je pense que cette division est ecclésiastique et fondée sur les Jejunia quatuor temporum, répartis aux équinoxes et aux solstices sur le 1er, le 4e, le 7e et le 10e mois de l'année. Mais elle n'en montre pas moins la facilité de diviser ainsi l'année fixe alexandrine.

La correspondance que nous donne l'Hémérologe peut, je crois, servir à nous indiquer l'époque encore inconnue où l'année julienne s'est uniformément introduite dans les calendriers des peuples orientaux soumis à l'empire romain. Cette introduction s'est faite en conservant les noms des mois employés chez chacun d'eux. Sur quinze de ces calendriers, il n'y en a qu'un qui commence à l'équinoxe du printemps, celui des Arabes ; un seul qui commence après l'équinoxe d'automne (le 28 octobre), celui de Gaza et d'Ascalon ; un seul qui commence plus irrégulièrement encore (le 12 décembre), celui des Cappadociens ; mais les douze autres commencent uniformément le 23 et le 24 septembre. En prescrivant à ces divers peuples d'employer l'année julienne de 365 jours ¼, les Romains leur permirent à tous de garder les mois dont ils se servaient depuis la fondation des monarchies macédoniennes, et à quelques-uns de ne rien déranger au point initial de leur année civile.

C'est incontestablement ce que firent aussi les Alexandrins : non-seulement ils conservèrent les douze mois égaux égyptiens de 30 jours et les épagomènes, mais même le point initial resta toujours le 1er thoth, placé au jour précis où il tombait fortuitement l'an 25 avant Jésus-Christ, par suite de la révolution de l'année vague.

Cette année devint, comme toutes les autres, facilement [-77-] comparable avec l'année  julienne. Or la constance des rapports des provinces avec Rome, ainsi que l'assiette des impôts, rendaient cette facile concordance nécessaire.

On a ignoré jusqu'à présent à qui est dû ce grand bienfait de la domination romaine, et à quelle époque s'établit l'année de 365 jours ¼ dans l'Orient. Usserius en reportait l'origine jusqu'au siècle d'Alexandre. M. Ideler a détruit cette opinion par une remarque fine et ingénieuse : c'est que le point initial de la plupart de ces années est placé le 24 septembre, c'est-à-dire le jour même où César a mis l'équinoxe d'automne ; ce qui prouve assez clairement qu'elle dérive de l'année julienne[53]. Ce savant chronologiste, de son côté, pense qu'elle a été portée en Asie par les proconsuls romains, sous les premiers empereurs. On peut maintenant affirmer qu'elle est l'œuvre d'Auguste. L'époque connue de la réforme alexandrine me parait devoir donner celle de ces divers calendriers.

Jules César eut bien assez à faire pour introduire l'année julienne à Rome ; quand il aurait dès lors pensé à l'introduire dans tout le monde romain, ce que nous ignorons, sa mort, arrivée l'année suivante, aurait interrompu l'exécution de ce projet.

La réforme de l'année vague, à Alexandrie, l'an v d'Auguste, vingt ans.après l'introduction à Rome de l'année julienne, est un fait qui ne peut pas avoir été isolé et qui doit tenir à un parti pris de simplifier tous les calendriers des peuples soumis à Rome. D'ailleurs, l'uniformité de ces divers changements, le principe constant qui parait y avoir présidé, tout annonce un grand plan, une pensée unique.

Or une réforme de ce genre ne s'introduit pas définitivement [-78-] partout à la même époque. Il y avait des répugnances à vaincre, des obstacles à surmonter. La plus ancienne date alexandrine que j'aie pu reconnaltre.est celle de l'inscription du propylon de Denderah, laquelle est de l'an XXXI d'Auguste, l'an 1er de l'ère vulgaire[54].

J'ai déjà parlé des efforts de ce prince pour rendre à l'année julienne -la régularité que lui avait ôtée l'ignorance ou le mauvais vouloir des pontifes, comme il le fit l'an  746 de Rome ou huit ans avant l'ère chrétienne. Ceci annonce, de sa part, le ferme propos d'assurer l'œuvre de César. Or n'était-ce pas là un moment bien choisi pour en étendre le bienfait dans tout l'empire romain ? L'entreprise avait été commencée dix-sept ans plus tôt ; mais on peut croire que c'est à cette seconde époque seulement qu'elle fut consommée en Égypte, comme dans le reste des provinces asiatiques de l'empire.

J'ai indiqué toutes les raisons qui ont fait prendre aux Alexandrins la forme d'année qu'ils ont choisie de préférence à l'année égyptienne. Celle-ci non-seulement ne présentait pas les mêmes avantages ; mais elle se trouvait en désaccord- complet avec l'année julienne de Rome, avec les années juliennes des villes de Syrie et d'Asie Mineure, ainsi qu'avec l'année agricole en Égypte.

En effet, on a vu que le 1er thoth de l'année sothiaque tombait sur le 9 octobre de l'année julienne ; d'où il suit que le lever héliaque de Sirius répondait au 15 de payni ou du 10e mois ; que les équinoxes et les solstices répondaient du 19 au 20 des 2e, 5e, 8e et 11e mois, sans parler d'une autre grave difficulté qui sera indiquée dans le dernier mémoire.

Cette discordance complète et avec l'année julienne et avec [-79-] les diverses circonstances de l'année naturelle, en Égypte, aurait été d'un grand embarras dans la pratique. Cela suffit pour expliquer ce qui fait que les Alexandrins n'ont point adopté l'année fixe égyptienne. Toute difficulté historique étant résolue à ce sujet, on va comprendre pourquoi les astronomes du Musée ne l'ont pas adoptée davantage.

A la vérité, on ne peut pas tirer de là une objection bien forte ; autant vaudrait-il élever une difficulté contre l'existence de l'année, alexandrine, de ce que Ptolémée, cent soixante et dix ans après son établissement, ne den est jamais servi.

On comprend la raison de sa préférence pour l'année vague ; les calculs des astronomes plus anciens étant rapportés à la forme d'année qui subsistait toujours dans l'intérieur de l'Égypte, l'ère de Nabonassar, calculée d'après cette même année, lui faisait une loi d'en continuer l'usage[55].

Nous n'aurions pas trouvé cette raison, que le fait n'en serait pas moins certain, et l'année alexandrine moins réelle.

Il en serait de même des astronomes qui ont observé avant l'introduction• de l'année alexandrine. Nous pourrions ignorer les motifs qui les ont guidés, que l'existence de l'année fixe n'en serait pas moins certaine.

Je crois pouvoir cependant en trouver une raison toute naturelle ; c'est qu'ils ont eu besoin de lier leurs observations à celles de leurs prédécesseurs, qui étaient rapportées soit à des années de l'usage civil, soit à des périodes rattachées à ces années. Cela devient évident par la date de ces diverses observations[56] [-80-]. En supposant qu'ils eussent connu l'année fixe égyptienne, comme elle n'était point d'usage civil, ils pouvaient difficilement la préférer au calendrier usité par les Grecs ou par les Alexandrins, auxquels leurs travaux étaient destinés[57]. Ainsi les neuf observations d'équinoxes de printemps et d'automne[58], celle d'une éclipse de lune[59], et trois observations lunaires, faites par Hipparque[60], sont toutes marquées d'après l'année vague égyptienne, mais rapportées, soit à la période de Callippe, soit à l'ère de Philippe Aridée. Les Égyptiens n'avaient point d'ère ; Hipparque devait' donc prendre ou celle de Callippe ou celle de Philippe Aridée, dont les Grecs avaient l'usage.

Par la même raison, des éclipses, dès lors observées à Alexandrie, ont été marquées en dates égyptiennes et en années de la deuxième période de Callippe. Les occultations d'étoiles observées par Timocharis, à Alexandrie, ont été rapportées par lui à des mois attiques et égyptiens et à la période de Callippe[61].

Je viens de passer en revue toutes les difficultés historiques qu'on avait élevées contre l'existence d'une année fixe égyptienne, et je pense qu'elles paraîtront résolues d'une manière satisfaisante. Il ne reste donc plus d'objection qui puisse infirmer un fait, établi, d'ailleurs, précédemment, par des preuves positives. C'est le moment de reprendre l'histoire de cette année fixe, reconnue propre à l'ancienne Égypte, d'en déterminer l'usage, et de montrer qu'elle se maintint jusqu'à la chute du paganisme. [-81-]

§ III. — USAGE DE L'ANNÉE FIXE ÉGYPTIENNE, SON CARACTÈRE ET SON HISTOIRE.

Reconnaissons d'abord comme constant que l'année fixe, chez les Égyptiens, est restée étrangère à l'usage civil. La véritable année civile a toujours été l'année vague, comme, chez les musulmans, l'année lunaire. Les fêtes et les cérémonies y étaient attachées et passaient successivement, ainsi que le i et thoth, dans tous les jours de l'année naturelle. C'est en cet état que l'année civile fut trouvée par les Ptolémées. Fidèles à leur constante politique, de respecter les usages du pays, surtout ceux que la religion avait consacrés, ils adoptèrent l'année vague, même pour les actes émanés de la cour et de l'administration. Seulement ils la mirent quelquefois en concordance avec le calendrier macédonien, pour la commodité des rapports mutuels entre les deux peuples. De là cette double date qu'on trouve dans l'inscription de Rosette. Je n'ai rencontré, dans tous les monuments qui me sont connus, que six exemples de pareilles concordances contre un nombre considérable de dates simples, lesquelles sont toutes en style égyptien, même lorsque les actes émanent directement d'Alexandrie, ce qui prouve l'influence presque exclusive qu'avait acquise l'année vague, même parmi les Grecs. Quant à l'année fixe sothiaque, elle ne parait nulle part. Mais il n'est pas douteux qu'elle dut servir, au moins dans les collèges de prêtres, à marquer constamment la concordance de l'année civile et religieuse avec l'année naturelle, dont le commencement était invariablement fixé au lever héliaque de Sirius.

L'administration se servait-elle aussi de cette année comme [-82-] moyen de concordance, pour l'établissement des impôts, au moins dans l'intérieur du pays ? C'est là ce que nous ignorons encore, mais ce qui me paraît fort vraisemblable. La perception des impôts devait se régler sur les époques des cultures et des récoltes. Il fallait donc les rapporter à certains points fixes de l'année naturelle, qui, aux yeux des Égyptiens, se confondait avec celle de 365 jours ¼.

Dans un papyrus du Musée du Louvre, dont l'époque précise ne m'est pas connue, mais qui est démonstrativement de l'époque ptolémaïque, et très-probablement du temps de Philométor, je trouve qu'un certain impôt (τής ξυληράς) doit être perçu par semestre, mais en comptant les mois du semestre d'hiver à 35 jours, et ceux du semestre d'été à 25 jours, ce qui équivaut à dire que les deux semestres seront, l'un de 210 jours ou de 7 mois, l'autre de 150 jours ou 5 mois[62]. Ceci parait annoncer un règlement d'impôt établi sur une année fixe. Ce passage est curieux surtout parce qu'il se lie parfaitement avec un autre de Cosmas Indicopleustès, moine égyptien, qui écrivit sous les règnes de Justin et de Justinien, au vie siècle de notre ère. Il nous fait connaître une espèce de calendrier rural divisé en douze mois, chacun d'eux désigné par son nom égyptien et par celui de la production principale de la terre en ce mois[63]. Ce calendrier est en même temps divisé en quatre saisons, marquées par les solstices et les équinoxes, έαρινή, θερινή, μετοπωρινή, χειμερινή. Le printemps contient les trois mois de phaménoth, pharmuthi et pachon ; l'été, les deux suivants ; l'automne, quatre ; et l'hiver, trois : ce qui donne, [-83-] pour la première moitié de l'année, celle de l'été, 5 mois ; pour la seconde, celle de l'hiver, 7 mois. Il y a donc parité complète entre les deux divisions.

Sans insister plus qu'il ne convient sur ce rapprochement curieux, il m'a paru, toutefois, qu'il y a quelque chose d'assez frappant dans cette identité de divisions, à deux époques distantes de sept ou huit siècles ; l'une, où l'année vague était seule usitée dans l'usage civil, l'autre, où, depuis environ six siècles, tout était placé sous l'empire du calendrier fixe. Ne peut-on pas en tirer un indice que, à l'une comme à l'autre époque, la perception des impôts était établie sur des points fixes de l'année, subordonnée aux travaux agricoles ? Mais il faudrait, je l'avoue, des faits plus concluants pour démontrer qu'il en était ainsi. Ce n'est donc qu'une de ces indications qu'il faut au moins signaler, en attendant qu'elles trouvent leur place dans l'ensemble des faits.

J'ai déjà montré que la connaissance de cette année fixe, ainsi que du mode d'intercalation tétraétérique, n'avait pas été tenue aussi secrète par les Égyptiens que Strabon le pensait. Pline nous a appris qu'Eudoxe l'avait obtenue, puisque son lustrum n'est que la tétraétéride sothiaque. Notre papyrus confirme ce précieux renseignement. Non-seulement Eudoxe, mais Démocrite, quarante ou cinquante ans plus tôt, ont connu cette particularité du calendrier. Ils l'avaient consignée dans leurs parapegmes ; et même l'indication toute sommaire qui en était donnée montre assez qu'ils n'ont pas regardé ce renseignement comme quelque chose d'insolite et de mystérieux. On n'annonce de cette manière qu'une chose ordinaire ou, du moins, qui n'est pas éloignée de l'usage.

Il semble donc que l'année fixe a été, chez les anciens Égyptiens, d'un emploi moins restreint que Strabon ne l'a [-84-] cru. Des voyageurs qui, comme lui et Diodore, n'ont fait que passer en Égypte, ont pu ignorer un fait qui, étant étranger au calendrier usuel, ne se révélait qu'à ceux qui, comme Eudoxe et Démocrite, restaient longtemps dans le pays, ou s'occupaient spécialement d'astronomie et de calendrier. Sans avoir jamais empiété sur le rôle de l'année vague dans l'usage civil et religieux, l'année fixe a toujours été prescrite dans les collèges de prêtres et dans l'administration, de manière à fournir une concordance perpétuelle.

Ceci nous explique plusieurs faits intéressants, qui, jusqu'ici, sont restés des énigmes. On conçoit, en effet, que l'usage de faire parcourir aux fêtes et aux cérémonies religieuses successivement tous les jours de l'année sothiaque a dû subir quelques exceptions ; et, par exemple, s'il y avait des fêtes qui, par la nature même de leur institution, fussent liées à des points fixes, tels que les solstices et les équinoxes, ou bien à des circonstances agricoles, il était impossible de n'en pas conserver au moins la commémoration à l'époque fixe à laquelle elles se rapportaient, dans le cas même où elles seraient restées attachées d'ailleurs aux jours de l'année vague. Ce n'est là qu'une conjecture, pourtant fort probable, puisqu'elle semble une suite naturelle de l'existence d'une année divisée en mois. Cette conjecture est confirmée par une observation qui n'est pas sans importance.

Il est naturel de se demander pourquoi l'auteur de l'ouvrage contenu dans notre manuscrit[64], ouvrage à l'usage des Grecs, au milieu de renseignements qui n'ont rien d'égyptien, avait consigné la date égyptienne du solstice d'hiver, et pourquoi il donne cette date seule, d'après Eudoxe et Démocrite, à l'exclusion des trois autres points, à savoir le solstice d'été et les [-85-] deux équinoxes. En voici la raison : ces deux observateurs, ayant appris en Égypte quel était le point auquel les Égyptiens rapportaient le solstice d'hiver, dans la tétraétéride fixe, ont pris soin de le marquer comme un moyen de déterminer les autres points de l'année, par l'intervalle qu'ils attribuaient aux quatre saisons ; c'est ce qu'on voit par tout ce qui accompagne l'indication des cet endroit du papyrus.

Quant au choix qu'ils ont fait du solstice d'hiver, placé au 19 ou au 20 d'athyr, de préférence à tout autre point, il s'explique par l'importance particulière que les Égyptiens attachaient à ce jour, en raison de la grande fête d'Isis, et ici se trouve une coïncidence remarquable entre le texte de Géminus et celui de notre manuscrit. Géminus est le plus ancien auteur qui nous ait fait connaître cette particularité. Après avoir exposé la nature de l'année vague et la rétrogradation de 1 jour en 4 ans, de 10 jours en 40 ans, et de 1 mois en 120 ans, ainsi que le déplacement qui en résulte pour les fêtes, il ajoute[65] : Voilà ce qui cause l'erreur répandue chez les Grecs depuis de longues années, erreur qui s'est maintenue en crédit jusqu'à notre temps. La plupart des Grecs croient que le solstice d'hiver a lieu en même temps que les Isia (fêtes d'Isis), suivant les Égyptiens et Eudoxe ; ce qui est complètement faux, car ces fêtes sont maintenant séparées du solstice de tout un mois. Il dit encore plus bas : C'est le comble de l'ignorance que d'admettre que le solstice d'hiver arrive pendant les fêtes, suivant les Égyptiens et Eudoxe.

Dans ce passage, qu'on n'a jamais pu .comprendre, Géminus oppose sa propre opinion à celle de la plupart des Grecs, qui attachaient les Isia au solstice, malgré l'effet de l'année vague, et il nous apprend, ce qui est bien singulier, que l'erreur qu'il [-86-] attaque est celle des Égyptiens et d'Eudoxe. Quand on admettrait qu'Eudoxe se fût trompé, il est bien difficile de croire que les Égyptiens eux-mêmes eussent partagé cette erreur capitale sur une circonstance si grave de leur propre religion. On ne peut, en vérité, donner à Géminus raison contre tout le monde. Il a dû faire ici confusion, faute d'avoir remarqué le double caractère, fixe et vague, de certaines fêtes.

Celles d'Isis étaient certainement dans ce cas ; elles se célébraient au mois d'athyr fixe (du 19 au 20), à l'époque du solstice, et, en même temps, du 17 au 20 du mois d'athyr vague. C'est là ce qui l'a trompé. Géminus vivait à une époque où le jour vague de la célébration des Isiaques tombait à un mois du solstice, ce qui répond à l'an 70 avant notre ère[66]. Il a cru que les Égyptiens, Eudoxe et beaucoup de Grecs, se trompaient en attachant cette fête à un point fixe ; mais c'est de son côté qu'est l'erreur.

Tout ce qui ressort pour nous de son témoignage, c'est que les Égyptiens et Eudoxe admettaient cette fixité, ainsi que la coïncidence du mois d'athyr fixe avec la célébration des fêtes d'Isis. Cela nous explique, de la manière la plus satisfaisante, pourquoi, dans notre papyrus, c'est la date égyptienne du solstice (l'hiver, et non pas une autre, qui est donnée. Elle était, en effet, la plus importante de toutes, étant marquée par la plus grande fête de l'année[67].

Le nom d'Eudoxe, cité par Géminus en cette occasion, montre que cet astronome avait parlé dans son ouvrage et du [-87-] solstice d'hiver et de la fête d'Isis. Ce n'est donc pas sans raison que l'auteur de notre manuscrit l'a cité pour le même fait.

Les rapprochements qui précèdent suffisent déjà pour établir la double célébration des fêtes isiaques ; elle est démontrée par ceux qui suivent.

L'auteur du Traité sur Isis et Osiris, attribué à Plutarque, vivait dans le IIe siècle de notre ère, un siècle et demi après l'établissement du calendrier fixe alexandrin. Aussi toutes les dates qu'il donne se rapportent-elles à ce calendrier. Cependant, comme tous les compilateurs, il a fait plus d'une confusion. Ainsi il parle de la Triacas du mois épiphi[68], pendant laquelle le soleil et la lune sont sur une même droite, comme si les mois égyptiens étaient lunaires ; ailleurs[69] il dit que les Égyptiens placent la mort d'Osiris le 17 du mois d'athyr, où la lune est dans son plein.

De ces deux passages et d'un troisième[70], La Nauze avait conclu l'usage d'une année lunaire en Égypte, où cette espèce d'année est toujours restée inconnue[71]. La nature du calendrier employé dans les notions qu'a recueillies l'auteur du Traité ressort cependant de quelques indications. Ainsi il dit que le soleil quitte le tropique d'hiver, pour s'avancer vers celui de l'été, dans le septième mois de l'année[72]. En effet, selon le calendrier alexandrin fixe, le solstice d'hiver avait lieu dans le mois de phaménoth, qui est le septième mois.

Les fêtes d'Isis étaient en même temps une commémoration de la mort d'Osiris et de la découverte de son corps par Isis. L'auteur les met au 17 d'athyr[73], ou plutôt du 17 au 20[74]. Il [-88-] ajoute que, dans ce mois, le soleil parcourt le Scorpion, ce qui est parfaitement exact, car le soleil entrait dans ce signe vers les derniers jours de phaophi, et employait à le parcourir les vingt premiers jours d'athyr.

A ce mois convient encore ce qu'il dit ailleurs, qu'on faisait les semailles en athyr, qu'il appelle μήν σπόριμος[75], et que les Vents étésiens ayant cessé, le Nil se retire et la terre se découvre, circonstances qui s'appliquent bien au mois de novembre, auquel répond l'athyr du calendrier alexandrin. Mais il revient, sans s'en douter, à l'ancien athyr de l'année sothiaque, quand il dit que, la nuit étant allongée et l'obscurité augmentée, les prêtres sacrifient, en l'honneur d'Osiris, un bœuf dont les cornes sont dorées et le corps couvert d'un vêtement noir. Ici il s'agit de la fête d'Osiris, fixée au solstice d'hiver.

Il confond donc les deux athyrs : les Égyptiens continuaient de fêter Isis et Osiris à l'époque du solstice, ce qui n'avait lieu au mois d'athyr que dans l'année sothiaque ; car, dans le calendrier fixe alexandrin, la fête répondait au milieu de choïak,

Qu'il en fût réellement ainsi, cela est prouvé par les deux rapprochements qui suivent :

Achille Tatius, qui florissait au commencement du Ve siècle de notre ère, affirme que les fêtes d'Isis se, célébraient encore de son temps à l'époque du solstice[76].

Son témoignage est confirmé par une inscription de Philes, qui fait mention de la venue des prêtres dans cette île, pour célébrer la fête d'Isis, entre le 15 et le 23 de choïak, l'an 169 de Dioclétien, ce qui répond au 11 et 19 décembre de l'an 453 [-89-] de J. C.[77] Le 23 choïak est le jour du solstice qui répondait alors au 20 décembre, comme l'équinoxe du printemps au 20 mars, mais que l'on pouvait, dans l'usage, mettre au 19 de ce mois. C'est, en effet, au 19 mars qu'Anatolius, cité par Eusèbe, plaçait l'équinoxe du printemps.

Ainsi, soixante ans après l'édit de Théodose, l'ancien usage de célébrer les fêtes d'Isis à l'époque du solstice subsistait toujours. D'un point fixe de l'ancien calendrier elles avaient été transportées à un point fixe du calendrier nouveau. En effet, il est évident que, si les fêtes d'Isis avaient été placées seulement au 17 ou au 20 d'athyr vague, elles se seraient retrouvées à ce jour vague, au moment où le calendrier alexandrin fut établi, et- nous les retrouverions à ce même jour dans les dates alexandrines, qui représentent celles de l'année vague, au moment où elle fut rendue fixe. Au contraire, nous les voyons rapportées au mois de choïak, qui est celui dans lequel le solstice a lieu ; donc elles y ont été transportées pour maintenir la date fixe de leur célébration.

N'est-ce pas encore là un indice bien frappant de la persistance des usages religieux, chez les Égyptiens, que de voir l'époque d'une fête traverser ainsi toutes les vicissitudes du calendrier pour se retrouver, au milieu du e siècle de notre ère, au même point où elle avait été placée à l'époque si reculée de son institution. Nous en avons montré d'autres exemples, surtout dans le § IV du Premier Mémoire.

La grande fête d'Isis était-elle la seule qui fût dans ce cas ? Les monuments nous manquent pour décider la question ; mais toutes les probabilités sont pour la négative.

Il est, en effet, naturel de croire qu'il en fut ainsi de toutes celles qui, par elles-mêmes, n'avaient dé sens que rapportées [-90-] à l'année agricole. C'est, du reste, une question pour laquelle il faut attendre des renseignements ultérieurs[78].

J'ai déterminé, autant qu'il m'a été possible de le faire, quant à présent, quel était le vrai caractère de l'année fixe égyptienne. Son usage dans les temples, au moins comme moyen de concordance, est un point assez clairement établi. Ii reste encore à savoir si cet usage, comme je le pense, s'étendait à certaines parties de l'administration.

Dans tous les cas, cette année, évidemment, n'a pas été tenue aussi secrète par les Égyptiens qu'on pourrait le croire. Démocrite et Eudoxe l'ont connue ; d'autres Grecs ont pu la connaître, tout au moins apprendre vaguement que les Égyptiens avaient une année qui ramenait les saisons au même point. Par exemple, je pense qu'Hérodote a pu en entendre parler. C'est du moins ainsi qu'on explique assez naturellement un passage de cet historien, qui a toujours embarrassé. les commentateurs. Au second livre[79], il fait mention de l'année égyptienne de 365 jours, et il lui donne pour caractère particulier de ramener les saisons au même point. Mais ii est impossible que personne, en Égypte, ait dit pareille chose à Hérodote de l'année vague, dont l'effet était justement le déplacement des saisons. Il faut donc que cet historien ait appliqué à l'année vague ce que les prêtres lui auront dit de l'année de [-91-] 365 jours ¼. La première, étant l'année civile et usuelle, a pu être la seule qu'Hérodote ait connue. Il aura donc joint deux idées distinctes par ignorance du sujet.

Cette erreur ne peut nous surprendre de la part d'un écrivain qui parait n'avoir eu que des idées fort inexactes en matière de calendrier[80]. N'est-ce pas lui, en effet, qui, dans le discours de Solon, en prêtant aux Grecs une année impossible comme année corrigée, celle de 375 jours, croit qu'elle ramène les saisons dans leur ordre[81], tandis que l'erreur serait de près d'un mois en trois ans ?

§ IV. — EXAMEN DE QUELQUES OPINIONS PLUS OU MOINS RÉCENTES SUR L'ÉTENDUE DES CONNAISSANCES DES ÉGYPTIENS EN FAIT DE CALENDRIER ET DE CALCUL DU TEMPS.

On a vu précédemment que les Égyptiens, dès une époque que leurs prêtres reculaient jusqu'aux temps fabuleux d'Hermès, ont connu et employé l'année solaire de 365 jours ¼, dont la durée était marquée pour eux par la période de retour du lever héliaque de Sirius.

Outre cette notion, que l'on trouve dans tous les détails de leur calendrier, en ont-ils possédé d'autres plus exactes ? Ont-ils connu, par exemple, ainsi que le présument de savants astronomes, et l'année tropique, telle qu'on peut la conclure des formules de la mécanique céleste, et même une année sidérale qui suppose une mesure de la précession des équinoxes ?

Ce sont là des points que je ne puis me dispenser de discuter, parce qu'ils tiennent à l'ensemble et au fond même de toute la question. Cette discussion est délicate et difficile, [-92-] comme celle de tous les points relatifs aux connaissances des Égyptiens en astronomie. Sauf quelques indications vagues, qui sont interprétées de diverses manières, on ne sait, à vrai dire, rien de positif sur l'étendue de ces connaissances. Ceux qui tiennent à ce qu'ils en aient possédé de très-complètes et de très-perfectionnées ont pleine liberté de soutenir leur opinion, sans crainte d'être démentis par aucune preuve directe. On peut cependant leur opposer une difficulté sérieuse, qui se tire de l'ignorance des Grecs en astronomie avant Hipparque, et de l'impossibilité où ils ont été de se servir des observations égyptiennes d'éclipses ou d'autres phénomènes, puisque leurs astronomes n'en ont pas cité une seule. Ces disciples des Égyptiens, disciples dont nul ne contestera ni l'aptitude ni l'active curiosité, donnent une assez faible idée du savoir de leurs maîtres. Quand on suit avec attention les efforts d'Hipparque et de ses successeurs, placés à la source de tous les documents égyptiens, et qu'on voit toute la peine qu'ils ont eue pour se rendre maîtres des premiers éléments d'une théorie astronomique, on ne peut se résoudre à croire que tout cela fût connu depuis longtemps chez ceux dont ils convenaient avoir pris les leçons. Ces réflexions trouvent surtout une confirmation dans l'examen des faits qui concernent la longueur de l'année.

Ces faits montrent clairement, à ce qu'il semble, que les Égyptiens n'ont jamais connu que l'année de 365 jours 1.

1° Que les Égyptiens n'ont jamais connu la vraie durée de l'année tropique.

D'abord il est certain, d'après tout ce qui a été dit plus haut, que Démocrite et Eudoxe n'ont pas trouvé dans les secrets des temples de Thèbes et d'Héliopolis la connaissance d'une année plus exacte que celle de 365 jours ¼. Il en est de même de Diodore et de Strabon. Tout indique que c'était là l'année [-93-] savante des prêtres égyptiens. Lorsque les livres égyptiens, traduits par les soins des Ptolémées, furent connus à Alexandrie, les Grecs, comme le dit formellement Strabon, n'y trouvèrent que la mention de l'aimée intercalaire de 365 jours1,- ; si l'on doutait de l'exactitude de son témoignage à cet égard, elle serait démontrée par les efforts d'Hipparque pour connaître la longueur de l'année. A l'époque où ce grand astronome, un siècle et demi avant notre ère, commença ses recherches pour arriver à cette détermination importante, les mathématiciens, c'est-à-dire les astronomes, s'accordaient, ainsi qu'il le dit, à croire que la durée de l'année tropique était de 365 jours ¼. Ils ne soupçonnaient pas qu'il pût y en avoir une autre plus exacte ; lui-même il fut d'abord de cet avis, comme tout le monde, et, s'il se donna tant de peine pour s'en assurer, ce n'est pas que quelque opinion extérieure, venue des Égyptiens ou des Chaldéens, lui eût fait naître des doutes ; c'est que la comparaison entre ses propres observations et celles des astronomes antérieurs, Méton, Euctémon, Aristylle et Archimède, semblaient donner à l'année solaire une longueur un peu différente. Ainsi ni lui ni ses prédécesseurs, n'avaient rien trouvé à cet égard dans les livres égyptiens traduits et réunis à Alexandrie. De là les essais et les calculs que Ptolémée décrit, et dont il nous donne le résultat dans le troisième livre de l'Almageste. Hipparque conclut de ces recherches que l'année était plus courte environ de 1/300 ; c'est donc un peu moins de la moitié de l'erreur, puisque, sur l'excès de 11' 15'', il n'en retranchait que 4' 48'' ; mais toutefois il ne présenta jamais cette correction imparfaite qu'en hésitant, et seulement comme un résultat qui avait besoin d'être vérifié plus tard. Il croit bien que les années sont égales, mais il n'en est pas encore sûr. Les inégalités que lui [-94-] donnent les observations inquiètent cet esprit sincère et le troublent[82] ; Ptolémée, plus hardi, les rejette sur l'erreur des observations[83]. Mais, quant à Hipparque, il se contente de conclure que lei variations, dans la durée de l'année, sont très-peu considérables ; preuve qu'il ne pensait pas que les années fussent toujours parfaitement égales entre elles. Il finit par dire que cette inégalité, si elle existe, pourra être déterminée au moyen du cercle placé dans le portique carré à Alexandrie[84], laissant la question à décider à ceux qui peuvent observer cet instrument. Ainsi Hipparque n'a jamais réussi à se rendre maitre de ce fait capital en astronomie, à savoir, la constance dans la durée de l'année tropique. En lisant avec attention tout le chapitre n du troisième livre de l'Almageste, on voit à quels tâtonnements un tel homme était réduit pour parvenir à une détermination de cette importance. Quoique Ptolémée n'ait cité que quelques fragments de ses ouvrages sur la longueur de l'année, sur la rétrogradation des points équinoxiaux (métaptose), sur les mois et les jours intercalaires, nous y voyons nettement la perplexité qu'il n'a pas voulu dissimuler ; car, selon la belle expression de Ptolémée, cet homme véridique ne voulait rien taire de ce qui pouvait laisser quelques scrupules dans l'esprit des autres. Ces remarques démontrent que ni Hipparque ni les autres astronomes d'Alexandrie n'avaient jamais entendu parler d'une autre année que celle de 365 jours ¼, puisque c'est la seule qui leur sert de point de départ, la seule à laquelle ils rapportent toutes leurs observations.

Cette hésitation du premier astronome de l'antiquité nous explique un fait qui n'a pas assez été remarqué, c'est que le [-95-] retranchement de 1/300 fut négligé par les astronomes grecs jusqu'à Ptolémée.

Géminus, qui connaissait les ouvrages d'Hipparque, qui lui emprunte[85] même sa théorie sur l'inégalité du soleil[86], ne doute pas un instant que l'année de 365 jours ¼ ne soit la véritable année solaire[87]. L'excès du ¼ de jour sur l'année égyptienne lui parait ramener exactement l'année avec le soleil[88] ; il ne fait pas la moindre mention du 1/300 qu'Hipparque croyait devoir en retrancher.

C'est, évidemment, qu'Hipparque n'en était pas sûr ; comme il n'a donné ce retranchement que pour une hypothèse probable, on la jugeait encore comme beaucoup trop incertaine et fondée sur trop peu d'éléments dignes de confiance, pour qu'on en tînt compte et qu'on la préférât à l'année de 365 jours ¼, qui était revêtue de la sanction des siècles. Il faut descendre jusqu'à Ptolémée, deux cent quatre-vingts ans après, pour voir reparaître cette correction d'Hipparque. Ptolémée lui-même, quoique ayant à sa disposition toutes les observations antérieures, .ne parvint cependant pas davantage à s'approcher de la vérité[89]. Son année tropique est justement la même que celle d'Hipparque. C'est là, nous dit-il[90], à très peu [-96-] près le nombre qu'il est possible de conclure des observations. Ajoutons que pour lui, comme pour Hipparque, ce n'est pas encore un nombre définitif ; la seule chose dont il soit bien sûr[91], c'est que, d'après les travaux d'Hipparque comparés aux siens, l'année doit être un peu plus courte que 365 jours ¼. Mais on ne saurait dire avec certitude de combien elle l'est.

Telle était donc la difficulté que les astronomes alexandrins ont trouvée pour déterminer la vraie durée de l'année tropique. Non-seulement ils ne l'avaient point apprise des Égyptiens, mais ils ne l'ont jamais pu connaître par leurs propres efforts. L'année de 365 jours ¼ est la seule qui ait continué d'inspirer toute confiance.

Il en existe une autre preuve bien frappante dans la constitution de l'année julienne ; qui fut établie d'après les conseils et avec la coopération des meilleurs astronomes alexandrins de cette époque. César, comme le disent Macrobe, Appien et Dion Cassius, avait pris en Égypte son année de 365 jours ¼, et son système d'intercalation. Si les Égyptiens avaient connu la vraie durée de l'année tropique, au point d'en faire la base, comme on le croit, de leurs périodes sothiaques, cette durée n'aurait pu échapper à des hommes qui avaient sous leurs yeux à Alexandrie les traductions des principaux livres égyptiens. Elle n'aurait guère pu manquer de servir de base à l'établissement du calendrier julien. On n'aurait pu laisser subsister une erreur dont le résultat eût été prévu d'avance. Or rien n'était plus facile que d'y remédier, par le retranchement d'une ou de plusieurs bissextiles dans un temps donné, comme [-97-] on l'a fait quinze cents ans plus tard, lors de la réforme grégorienne. Mais Sosigène non-seulement ignora cette durée, restée inconnue à Démocrite, à Eudoxe, comme à Diodore et à Strabon, mais même il ne fit pas plus d'attention que Géminus à la correction d'Hipparque : nouvelle preuve du peu d'influence qu'exerça cette détermination hypothétique. A coup sûr, l'alexandrin Sosigène la connaissait ; mais, d'après l'hésitation d'Hipparque lui-même, il ne jugeait pas ce résultat assez certain pour s'écarter de l'opinion que toute l'antiquité avait suivie, et qui était toujours favorisée et soutenue par la période constante de Sirius. S'il avait attaché quelque importance à cette correction, il n'aurait pu se dispenser de l'employer dans le calendrier nouveau, l'année d'Hipparque étant plus courte que celle de 365 jours ¼, justement de 1 jour en 300 ans. Sosigène n'avait donc qu'à prescrire de retrancher une bissextile à chaque 300e année[92]. Son année intercalaire devenait alors justement celle d'Hipparque. Mais il n'en a rien fait, et César n'a rien prescrit au delà de l'intercalation dei jour tous les 4 ans. Bailly, qui a senti cette grave difficulté, prétend que Sosigène ne fit point la correction, uniquement pour ne pas introduire une complication qui peut-être aurait empêché de recevoir le nouveau calendrier. Mais ce savant et éloquent écrivain n'a pas réfléchi qu'il ne pouvait résulter aucune complication de ce retranchement dei jour sur 300 ans. Le jour intercalaire, dans le calendrier de Jules César, étant un double jour tout à fait en dehors de la série, ne dérange en rien l'ordre des jours de [-98-] l'année ; l'y insérer ou l'en retrancher n'y apporte nul changement. Le procédé est si simple, que Sosigène n'aurait pas manqué de l'employer, s'il l'avait cru nécessaire. Il n'en a pas vu la nécessité, parce que l'année de 365 jours ¼ était celle qui lui paraissait encore la plus exacte de toutes.

La même conséquence ressort de l'établissement de l'année alexandrine, vingt ans après celui de l'année julienne. Elle eut tous les caractères de celle-ci, à l'exception de son point initial et de la place du jour intercalaire, qu'on y mit après les cinq jours épagomènes, conformément à l'usage égyptien. Il en faut dire autant de l'année julienne introduite ensuite dans tout l'Orient.

Au IIIe siècle de notre ère, Censorin, si versé dans la connaissance des anciens calendriers, continue à regarder l'année de 365 jours comme la seule année naturelle, la seule conforme au cours du soleil. L'idée qu'elle retarde sur le soleil ne se présente même pas à sa pensée.

Il en fut de même au ive siècle, lors du concile de Nicée ; en 325, on s'était bien aperçu que l'équinoxe du printemps ne répondait plus au 24 mars et qu'il avait reculé jusqu'au 21[93]. Les Pères du concile prirent ce déplacement comme un fait, sans se douter aucunement de la cause. Ils se contentèrent de fixer l'équinoxe au 21 mars, croyant qu'il y serait immobile à l'avenir. Ce qui rend cette prescription remarquable, c'est que les Pères du concile consultèrent, par l'entremise de l'évêque d'Alexandrie, les astronomes de cette ville, afin de savoir à quel jour il fallait placer l'équinoxe. Ceux-ci ne prescrivirent aucune règle pour prévenir le retour de l'erreur, tant ils étaient loin de penser que l'année de 365 jours ¼ ne présentait pas le véritable mouvement du soleil. Ainsi, au ive siècle, ils en étaient encore au même point que Géminus et Sosigène.

[-99-] C'est que, malgré les travaux d'Hipparque et de Ptolémée, le retranchement de 1/300 n'était point admis généralement. Aussi Proclus, à la fin du IVe siècle de notre ère, se sert encore de cette expression : ceux qui se conforment aux observations susdites, faisant entendre que tous ne s'y conformaient pas ; quant à lui, il ne soupçonne rien de plus exact que le retranchement du 300e[94].

Ainsi, plus de six siècles après Hipparque, l'ancienne opinion subsistait toujours, et, bien loin de connaître la vraie durée de l'année tropique, les astronomes n'avaient fait aucun pas vers une détermination plus exacte ; ils n'étaient pas même d'accord sur la correction imparfaite d'Hipparque et de Ptolémée.

Pendant les siècles suivants, on ne se douta pas davantage de l'inexactitude de l'année julienne. Quand la perturbation fut devenue plus considérable, on finit par s'apercevoir que, comme elle était constante et proportionnelle au temps, elle devait tenir à la durée inexacte de l'année. L'astronomie arabe introduite en Espagne dut influer sur cette opinion. Il ne faut pas oublier, en effet, que Sacrobosco, astronome anglais du mie siècle, le premier qui ait fait des plaintes sérieuses sur le déplacement de l'équinoxe et le dérangement de la Pâque, était un disciple des Arabes, auxquels ii avait fait beaucoup d'emprunts dans son ouvrage[95].

Ces rapprochements démontrent, ce me semble, avec évidence, que ni les Égyptiens, ni les Grecs leurs disciples, avant Hipparque, n'ont eu l'idée d'une année plus précise que celle de 365 jours ¼, qui leur fut donnée immédiatement par le lever héliaque de Sirius.

[-100-] Attribuer aux anciens Égyptiens, dix-huit cents ans ou deux mille ans avant J. C., la connaissance de la vraie année solaire, que les Grecs n'ont jamais connue, ce serait aller tout à la fois contre l'histoire et contre la vraisemblance.

2° Que les Égyptiens n'ont pas connu davantage l'année sidérale.

Je ne puis me dispenser de discuter un autre fait, qui se trouverait en contradiction avec tout ce qui précède, s'il était constaté. Plusieurs savants ont cru que les Égyptiens avaient connu non-seulement la durée exacte de l'année tropique, mais même la vraie année sidérale, ce qui suppose une connaissance exacte de la précession des équinoxes. Ce fait a été admis par Montucla[96], et en dernier lieu par Fourier, dont l'autorité en pareille matière est si grande et si légitime[97].

Quant à la précession des équinoxes, j'ai prouvé ailleurs que les Égyptiens ne s'en sont jamais doutés[98]. Ptolémée atteste que personne n'en avait jamais eu l'idée avant Hipparque, et que cet astronome n'en avait jamais entendu parler avant d'en être averti par la comparaison qu'il fit entre ses observations et celles d'Aristylle et de Timocharis. Ce qui n'a pas moins de force que ce témoignage, ce sont les recherches mêmes d'Hipparque sur ce point important, et les diverses opinions entre lesquelles flotta l'esprit de ce grand astronome, lorsqu'il s'aperçut que l'Épi de la Vierge avait reculé de deux degrés depuis Timocharis. Il ne sut pas d'abord si le mouvement s'opérait autour des pôles de l'équateur ; il finit par supposer pourtant qu'il s'opère autour de ceux de l'écliptique, mais il n'en a jamais été sûr[99]. Il n'osa jamais décider si le mouvement [-101-] est borné à la zone zodiacale, ou s'il s'étend à toute la sphère[100]. C'est un point que Ptolémée discute encore, et sur lequel il se prononce[101], d'après les alignements entre les étoiles extra et intra-zodiacales.

L'extrême surprise d'Hipparque, lorsqu'il remarqua le déplacement du point équinoxial, son hésitation à croire au phénomène, son incertitude sur sa nature, tout annonce combien cette différence était étrange et nouvelle pour lui.

C'est donc un fait historique démontré, que l'ignorance des anciens sur ce point, avant cette découverte fortuite ; et l'un des plus habiles connaisseurs, depuis Delambre, en tout ce qui tient à l'astronomie ancienne, M. Ideler, qui avait montré beaucoup d'hésitation à cet égard dans ses ouvrages antérieurs[102], s'est déclaré convaincu par les preuves qui ont été données dans les Observations sur les représentations zodiacales[103]. Il en a donc été des anciens Égyptiens comme des Chinois, qui, ayant un tribunal de mathématiques, et observant le ciel depuis plus de vingt siècles avant notre ère, n'ont pourtant connu la précession des équinoxes que quatre cents ans après Hipparque[104], et, comme on n'en peut douter, par une influence occidentale. C'est qu'un phénomène si lent échappe facilement à l'observation. Ce double mouvement de la sphère est si extraordinaire, qu'il faut, pour en concevoir même [-102-] l'idée, et ensuite pour en constater l'existence, une suite d'observations comparées, dont il est toujours difficile d'être assez sûr pour oser en tirer une conséquence formelle.

Chez les Égyptiens, une cause particulière s'est encore opposée à ce que l'idée pût leur en venir, et Bailly, lui-même, l'a reconnu[105] en ces termes :

Le lever héliaque de Sirius retardait continuellement d'environ 12 jours en 1461 ans ; mais, comme l'année solaire était plus courte d'environ 11' qu'ils ne le croyaient, le commencement de l'année vague..... tombait au 11e jour de l'année solaire, à très-peu près, comme le lever de Sirius. Quoique cette période embrasse un long intervalle de temps, son usage, en compensant une erreur par l'autre, empêcha les Égyptiens de reconnaître que les étoiles s'avançaient le long du zodiaque, et que l'année de 365 jours ¼ était trop longue de quelques minutes.

Ainsi, en même temps que le lever héliaque de Sirius donnait aux Égyptiens l'évaluation de l'année la plus précise qu'ils aient possédée, ce phénomène, par la compensation des deux erreurs en sens contraire, les empêcha de s'apercevoir du mouvement des fixes, et de l'excès de leur année civile.

Comment donc auraient-ils pu connaître l'année sidérale, qui est inséparable de la connaissance de la précession des équinoxes ? On voit déjà que le fait est en lui-même invraisemblable.

Mais il faut pourtant, avant de le rejeter décidément, examiner le témoignage unique sur lequel ce fait repose, et voir s'il a droit au rang qu'on persiste à lui assigner dans l'histoire de la science.

[-103-] Ce témoignage est celui d'Albategni, auteur arabe du IXe siècle. Selon cet astronome[106] les anciens Égyptiens et les Babyloniens faisaient l'année de 365 jours 15' 27" 30" de jour[107], c'est-à-dire de 365 jours 6 heures 11', ce qui ne diffère que de 2' environ de notre année sidérale. Voilà ce qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Albategni ajoute que, selon Nolémée, cette durée exprime le retour du soleil par rapport à la même fixe. Ce serait donc une année sidérale. Montucla l'adopte sans hésitation[108]. Bailly en admet la réalité pour les Chaldéens, mais la rejette quant aux Égyptiens[109] ; contre la règle de l'indivisibilité des témoignages. Pour remonter à l'année tropique, qui a pu servir de base à cette année sidérale, tous deux procèdent ainsi : ils retranchent de celle-ci 20' 12'', qui est la quantité que les astronomes modernes comptent pour la précession annuelle. Ils arrivent ainsi à une année tropique de 365 jours 5 heures 50' 48'', ce qui donne, à moins de 2'' près, la durée véritable de cette année. Ainsi le passage important d'Albategni nous donnerait tout à la fois une année tropique et une année sidérale, justes l'une et l'autre à environ 2''. Ce serait là un résultat magnifique. Mais on n'y peut pas compter le moins du monde, parce que le procédé au moyen duquel on l'obtient est radicalement vicieux, comme on l'aurait facilement aperçu en le soumettant à un examen un peu sévère. D'abord, l'unique autorité d'Albategni est d'un bien faible poids pour deux faits de cette nature, qui contredisent toute l'antiquité. Les astronomes arabes, on le sait, méritent peu de confiance[110] pour les faits historiques [-104-] qu'ils nous transmettent ; et Albategni, entre autres, a commis plus d'une erreur de ce genre[111]. Nous avons le troisième livre entier de l'Almageste, relatif à la longueur de l'année ; nous avons le septième, où Ptolémée a dit tout ce qu'il savait sur le mouvement des étoiles et sur la précession. C'est dans l'un ou l'autre que devrait se trouver le passage sur la prétendue année sidérale des Égyptiens ; mais il n'en est pas dit un mot.

Au reste, Albategni détruit lui-même son assertion dans un autre endroit de son ouvrage. Il y parle encore de cette année de 365 jours 6 heures et presque 1/5[112]. Mais il ne s'agit plus là ni des Égyptiens ni des Chaldéens ; il ne s'agit pas davantage d'une année sidérale. C'est une année tropique qu'il compare à celle d'Hipparque et de Ptolémée. Selon lui, les astronomes antérieurs à Hipparque (qu'il appelle Abrachis) faisaient l'année de 365 jours 6 heures et presque 1/5 (ce qui revient aux 365 jours 6 heures 11'). Hipparque, leur successeur, la croyait de 365 jours ¼ juste (ce qui est faux, puisqu'il la faisait de 365 jours ¼ moins 1/300). Deux cent quatre-vingt-deux ans après, Ptolémée l'a supposée de 365 jours ¼ moins 1/300 (autre erreur, puisque cette détermination avait été donnée par Hipparque) ; enfin, Albategni lui-même, sept cent quarante-trois ans après Ptolémée, dit l'avoir trouvée encore un peu plus courte. Ce sont là des mesures d'années tropiques comparées les unes aux autres.

Malgré cette contradiction palpable, accordons que ce soit une année sidérale, comme sa longueur le fait présumer. Il faudrait au moins, pour l'apprécier, en connaître les éléments. Toute année sidérale se compose de la réunion de deux quantités, à savoir, une évaluation de l'année tropique et une autre [-105-] de la précession moyenne. Or ces deux quantités peuvent être fort inexactes, prises isolément, et cependant donner un total d'une grande exactitude par la compensation d'erreurs égales en sens inverse. L'année sidérale de Ptolémée en est une preuve bien frappante. Cet astronome faisait, comme on l'a vu, l'année tropique de 365 jours 5 heures 55' 12'' ou de 6' 24'' trop longue. Il n'a jamais admis que la précession moyenne d'un degré en cent ans ou de 36'' de degré par an (de 14' 26'' selon les tables de l'Almageste). Cette précession est trop faible de 6' environ. Ces deux erreurs, qui, par un pur hasard, se compensent à peu près, donnent pour l'année sidérale de Ptolémée 365 jours 6 heures 9' 38'', ce qui ne diffère que de 26' ½ de la détermination admise par les astronomes modernes. Voilà ce qui est encore plus merveilleux que l'année d'Albategni. Mais il est clair que cette exactitude presque parfaite est fortuite et trompeuse ; en effet, procédons avec cette année sidérale comme ont fait Montucla et Bailly avec celle d'Albategni, c'est-à-dire retranchons-en 20' 12'', ce qui est l'excès de notre année sidérale sur notre année tropique ; nous trouverons, pour l'année tropique d'Hipparque et de Ptolémée, 365 jours 5 heures 49' 24'', ce qui est seulement 36' en excès sur la vraie durée, au lieu de 6' 24'', ce qui est l'excès de l'année d'Hipparque et de Ptolémée. Si donc on ne connaissait que leur année sidérale, sans pouvoir remonter aux éléments dont elle résulte, on se croirait en état de prononcer avec assurance qu'Hipparque et Ptolémée étaient arrivés, sur ce point délicat, à la même exactitude que les modernes, et on tomberait dans une bien grave erreur. Ceci doit nous rendre fort circonspects sur l'année sidérale des Égyptiens selon Albategni, jusqu'à ce que nous en ayons découvert les éléments. Quoiqu'il ne nous ait pas appris (ce que peut-être il ne savait pas lui-même) [-106-] d'où provenait son année de 365 jours 6 heures 11', je crois l'avoir deviné, et cette observation servira, je l'espère, à bannir enfin de la science un fait dont on persiste à l'embarrasser ; car cette fameuse année sidérale n'est autre chose que l'année trop longue d'Hipparque et de Ptolémée, combinée avec une précession trop courte.

Albategni nous dit[113] que Ptolémée a clairement établi dans son livre (manifeste in suo libro declarat), que les étoiles avaient un mouvement alternatif d'un degré en quatre-vingts ans, renfermé dans une limite de 8 degrés. Ce livre par excellence de Ptolémée semble ne pouvoir être que l'Almageste, et cependant on n'y trouve rien de tel ; Ptolémée n'y parle que de la précession d'un degré en cent ans, déjà trouvée par Hipparque. C'est dans les Hypotyposes de Proclus qu'on rencontre le premier indice de ce mouvement alternatif ou de trépidation, comme disent les astronomes arabes. Le passage est curieux et n'a point été remarqué ; on ne pouvait en deviner le sens dans la traduction d'Halma, qui est inintelligible en cet endroit. D'autres astronomes, dit Proclus[114], pensent que les points tropiques ne se meuvent pas le long du cercle entier (de l'écliptique), mais qu'ils s'avancent l'un et l'autre de quelques degrés, puis rétrogradent d'un même nombre de degrés.

Le mouvement de trépidation est ici indiqué fort clairement ; mais le nombre de degrés manque, ainsi que le temps que renferme cette période alternative. C'est là ce qu'on trouve seulement dans les Tables manuelles de Théon[115], dont le texte a été également mal compris de Halma : Puisque les anciens [-107-] apotélesmatiques (astrologues) veulent, d'après quelques conjectures, que les points tropiques, à partir d'une certaine époque, s'avancent de 8° vers l'orient, puis rétrogradent de la même quantité, opinion que Ptolémée ne partage pas, nous allons exposer la méthode de calcul suivie pour cet objet ; car, prenant les 128 ans qui ont précédé le règne d'Auguste, comme étant l'époque où avait lieu la plus grande digression de 8° (des points tropiques) vers l'orient, et où ils ont commencé à rétrograder, et ajoutant à ces années les 313 ans écoulés depuis le règne d'Auguste jusqu'à celui de Dioclétien, et les années écoulées depuis Dioclétien jusqu'à l'époque donnée, ils obtiennent le lieu des points tropiques, en calculant à raison de 1° en 80 ans.....

Par exemple, l'époque donnée étant supposée celle de Théon, vers 370, les astrologues additionnent ensuite 128 et 313 = 441, auxquels ils ajoutent 90 ans pour les années depuis Dioclétien, = 531 ; et, en divisant par 8°, ils avaient environ 6° 5/8 pour la rétrogradation des points tropiques. A ce compte, c'est en 489 de notre ère qu'aurait été accompli le mouvement rétrograde, et que les points tropiques auraient recommencé à marcher vers l'orient.

Il est difficile de savoir au juste quelles inductions avaient pu conduire les astrologues à cet absurde système ; je pense qu'il est le résultat d'une confusion qui ne surprendra pas dans les fauteurs de l'astrologie. On vient de voir que, selon Théon, cette opinion était celle des anciens apotélesmatiques. Ce mot ancien pouvait, au temps de ce commentateur, s'appliquer à des astrologues postérieurs à Hipparque, puisque Synesius[116], contemporain de Théon, désigne Hipparque par l'épithète [-108-] de ώαμπάλαιος, extrêmement ancien. Il s'agit sans doute des apotélesmatiques entre Hipparque et Ptolémée, lesquels abusèrent d'une ancienne délimitation des dodécatémories zodiacales par rapport aux points solsticiaux et équinoxiaux.

Nous savons par Pline et Columelle que ces points avaient été placés par quelques auteurs au 8e degré du Cancer et du Capricorne, et qu'Hipparque les ramena au 1er degré de ces deux signes. On apprend même de Columelle[117] que le 8e degré des signes était la position assignée par Méton et par Eudoxe aux points solsticiaux et équinoxiaux[118]. Il est vraisemblable que cette dernière donnée, bien qu'étrangère à la précession des équinoxes, est celle dont les apotélesmatiques auront abusé pour les procédés de leur art. Je remarque que la 128e année avant Auguste, qu'ils prenaient pour limite de la plus grande digression de ces points, répond à l'an 158 avant J. C. : [-109-] ce qui est, à dix ans près, l'époque de la plus ancienne observation qui nous reste d'Hipparque. Mais rien ne dit que cet astronome n'eût pas observé auparavant, et qu'il n'eût pas pris une époque antérieure de quelques années pour le point de départ de sa sphère. Le mouvement de trépidation, admis par quelques astronomes d'un temps bien postérieur à Ptolémée, prouve combien l'idée de la précession eut de peine à pénétrer dans les esprits, et quelles théories extravagantes se sont opposées à ce qu'elle reçût dans la science une place incontestée. Il est donc vraisemblable que, comme Hipparque avait franchi d'un saut l'espace de 8 degrés pour placer les points solsticiaux et équinoxiaux au 1er degré des signes, et fixer ce 1er degré pour point de départ du mouvement rétrograde, les astrologues en prirent occasion de faire, de cette différence de 8 degrés, la preuve d'un mouvement alternatif qui consistait en ce que ces points, après avoir rétrogradé de 8° à 0°, dans l'espace de 640 ans, recommençaient à marcher de 0° à 8° pour revenir à la même place.

Si Ptolémée ne parle en aucun endroit de l'Almageste de ce mouvement alternatif, son silence ne prouve nullement qu'il n'en ait pas eu connaissance. Théon dit que Ptolémée ne partageait pas cette opinion. Il pouvait en avoir fait mention dans quelque ouvrage que nous n'avons plus ; mais cette hypothèse avait pu lui paraître trop absurde pour qu'il consentit à lui donner une place quelconque dans l'Almageste, vaste dépôt de toutes les notions vraiment scientifiques qu'il possédait. Les fauteurs de l'astrologie n'eurent garde de négliger une notion mystérieuse qui pouvait servir leur art mensonger. Les Arabes s'en emparèrent ; elle défigure les tables des astronomes occidentaux, jusqu'à celles de Copernic, de Magini et de Reinhold. [-110-] L'astronomie n'en fut débarrassée définitivement que par Tycho-Brahé[119].

Maintenant il est clair que la rétrogradation de 1 degré en 80 ans donne un arc annuel de 40", parcouru en 16' 19'' de temps. Si nous ajoutons 16' à l'année tropique qu'Hipparque et Ptolémée ont conclue de leurs propres observations = 365 jours 5 heures 55', nous avons la fameuse année sidérale d'Albategni, de 365 jours 6 heures 11'. Il est à remarquer que c'est la même opération qui avait donné à Regiomontanus et à Purbach leur année sidérale si exacte de 365 jours 6 heures 9' 12''. Ils l'ont obtenue, disent-ils, dans l'hypothèse de la trépidation de l'astronome arabe Thebith[120]. Et en effet, si à leur année tropique de 365 jours 5 heures 51', qui est trop longue, on ajoute, pour un arc de 45', 18' de temps, qui représentent la précession d'un degré en 80 ans, on a l'année sidérale de 365 jours 6 heures 9' 12'', qui est justement celle des modernes. Les anciens Egyptiens, comme les Chaldéens, sont tout à fait désintéressés dans la question. Nous n'avons ici qu'une rêverie astrologique postérieure à l'un des deux astronomes grecs, sinon à tous les deux. Je n'ai rien à dire de l'usage que Fourier a voulu faire de cette prétendue année sidérale, pour expliquer le célèbre récit d'Hérodote sur la conversion des levers et couchers du soleil. L'application qu'il fait ici du calcul des probabilités repose sur une base radicalement fausse. J'ai montré ailleurs[121] que ce récit purement mythique ne peut absolument se prêter à une telle explication. L'observation que je viens de faire le montre encore plus clairement ; et l'on voit par cet exemple, entre bien d'autres, combien il est périlleux d'appliquer les hautes [-111-] mathématiques et le calcul des probabilités à des faits qu'ou prend pour certains, avant de lés avoir bien constatés par les règles ordinaires de la critique.

3° Que les Égyptiens n'ont connu qu'une seule période sothiaque. De cette période, de son antiquité et de son usage.

C'est donc un fait établi par toutes les preuves que le temps a laissées à notre disposition, que les Égyptiens, pas plus que les Grecs, leurs disciples, n'ont jamais connu d'année solaire plus précise que celle de 365 jours ¼, que leur a fournie la simple observation du lever héliaque de Sirius, dont la période a été si régulière et si constante. Ce phénomène est la base unique de leur calendrier.

Toute supposition qui leur attribuerait la connaissance exacte de l'année tropique, et qui fonderait sur cette connaissance l'usage de certaines périodes sothiaques, est donc non-seulement gratuite, mais contraire au témoignage de l'histoire.

Ils n'ont point eu d'autre période sothiaque que celle de 1461 ans, la seule dont les anciens ont parlé, et qui est un résultat naturel du retard d'un jour en quatre ans de l'année vague de 365 jours sur l'année sothiaque de 365 jours ¼.

Quant à l'époque où cette période a été connue des Égyptiens, les chronologistes sont en dissidence ; les uns, comme Bailly et Fréret, la font remonter jusqu'à l'an 2782 avant notre ère ; d'autres en font descendre l'usage beaucoup plus bas. Tout peut s'accorder, si l'on fait une distinction entré l'usage de cette période dans le calendrier et son usage en chronologie. Le premier doit être fort ancien ; le second paraît être récent, si même il a réellement existé.

Du moment que les Égyptiens ont fixé la différence entre l'année vague et celle de Sirius, et qu'ils ont su que l'une [-112-] surpassait, l'autre de ¼ de jour, la période sothiaque a été connue ; car elle n'était qu'une simple conséquence arithmétique. Si le 1er thoth vague rétrogradait de 1 jour en 4 ans, il rétrogradait dei mois en 120 ans et d'une année entière en 1461 ans. En d'autres termes, il n'était pas possible aux Égyptiens de ne pas prévoir qu'après cet intervalle de temps le 1er thoth redeviendrait héliaque. On peut donc affirmer que la période, comme simple concordance, est contemporaine de rétablissement définitif de ce double calendrier : je dis définitif, parce qu'il n'a pu avoir lieu qu'après des essais et des tâtonnements. Avant de fixer son point initial au lever héliaque de Sirius, il a fallu être bien sûr que la période était constante et invariable, qu'elle ne changeait pas après un siècle ou deux. C'est après cette expérience qu'on régla son point initial, pour ne plus le changer. Or cet établissement est bien ancien, puisque, selon Strabon, les prêtres thébains font remonter jusqu'à Hermès l'année de 365 jours ¼, ainsi que le mode d'intercalation qui ramenait en concordance l'année vague de 365 jours. Cette opinion des prêtres prouve au moins la grande ancienneté qu'ils attribuaient à cette institution. Le Syncelle[122] dit, il est vrai, que l'introduction des 5 jours complémentaires est due au roi Aseth : mais, dit Fréret[123], cet Aseth est un roi de la façon du Syncelle, qu'il convient n'avoir trouvé ni dans les extraits de Manéthon par Jules Africain, ni dans ceux d'Eusèbe. Il prétend que c'est le sixième roi des Pasteurs, ce qui ne s'accorde pas avec ce qu'il ajoute, qu'Aseth est père de Thouthmosis ou Thethmosis. Cet Aseth est tiré du catalogue des rois d'Égypte que le Syncelle donne comme celui par lequel il continue la chronologie. Or ce catalogue, formé par [-113 -] le Syncelle en prenant au hasard des noms de rois égyptiens, n'a d'autre autorité que la sienne, laquelle est médiocre, lorsqu'il n'y a pas d'autre garant de ses décisions.... Le témoignage du Syncelle n'est donc ici d'aucune autorité. A l'appui de ce jugement, je ferai voir bientôt qu'en effet l'année de 365 jours fixée, comme on l'a vu, au parallèle de Memphis, est une institution qui remonte aux premiers temps de la monarchie égyptienne.

Il n'en est pas de même de l'emploi de cette période pour classer chronologiquement les faits de l'histoire d'Égypte. On a déjà montré qu'il n'existe aucune preuve de cet emploi chronologique dans l'antiquité. Les écrivains antérieurs au IIe siècle de notre ère ne l'ont pas connue[124]. Manéthon, dans sa chronique, ne s'en était pas servi. Les deux passages du Syncelle où il est question du κύκλος κυνικός ne peuvent avoir la valeur qu'on leur attribue[125]. Tout prouve qu'en Égypte on n'a jamais rapporté les événements qu'aux années des règnes, sous les Pharaons comme sous les Ptolémées ; qu'on n'a point songé à les lier dans une longue période partant d'un point fixe.

Géminus, le premier auteur connu qui parle du cycle de 1461 ans, n'en fait mention que comme d'une simple période de concordance entre l'année vague et l'année solaire[126]. Il en est de même de Censorin[127], de Chalcidius[128]. Tacite mentionne une opinion d'après laquelle ce cycle serait égal à la vie du phénix[129]. Tous les écrivains qui, avant lui, ont parlé de la durée de cette vie, lui en donnent une différente : Hérodote[130], [-114-] Ovide[131], Mela[132], Sénèque[133], 500 ans[134] ; le sénateur Manilius[135], 540 ans ; Chérémon[136], 7006. L'idée d'y appliquer la période de 1461 ans est donc toute récente. J'ajoute qu'elle a dû être peu répandue, puisque, sur trente auteurs qui parlent du phénix, Tacite est le seul qui dise que quelqu'un lui ait jamais donné 1461 années de vie. L'ère de Ménophrès, dont parle Théon, remonte en effet à 1322, qui est l'époque du renouvellement de la période, immédiatement avant celui de l'an 139. Mais ce n'est pour lui qu'un point de départ pour la concordance de la période, et il n'en fait qu'un usage astrologique. Le seul passage où l'on trouve une application chronologique est celui où Clément d'Alexandrie fixe la date de l'Exode au temps d'Inachus, l'an 345 avant la période sothiaque, ώρό τής σωθιακής ώεριόδου. Cette expression absolue, avant la période sothiaque, annonce clairement que, dans la pensée de ce savant Père de l'Église, l'année 1322 était le seul commencement connu de cette période ; car, s'il y en avait eu une autre antérieure, il aurait indiqué l'an de cette première période sothiaque. Or l'époque de 1322 est justement celle de Ménophrès. Il semble donc que l'on sen servit, en remontant et en descendant, comme nous faisons de l'ère chrétienne. Il serait cependant hardi de tirer une telle conséquence de ce passage unique ; je crois même qu'elle n'en résulte pas nécessairement. Le commencement de la période n'est peut-être cité là que comme un événement, ainsi que l'on faisait de la guerre de Troie, ou de l'invasion des Héraclides, sans faire des années [-115-] de la période un usage continu, comme de l'ère des olympiades ou de celle de Nabonassar. Autrement, on expliquerait avec quelque difficulté pourquoi nous n'en aurions que ce seul indice. Au reste, si l'on persistait à trouver dans cet exemple unique la preuve d'un emploi chronologique, au moins faudrait-il convenir que cet usage était, en tout cas, d'une époque fort récente, et qu'il a dû être borné à l'indication des grands traits de l'histoire, dans les ouvrages systématiques des chronologistes. Comme ère positive, depuis J. C., on ne s'est servi, outre les années des règnes, que de celle d'Auguste, remplacée en 284 par celle de Dioclétien.

Ainsi il est certain que les Égyptiens n'ont pas eu, plus que les autres peuples orientaux, dans l'antiquité, l'usage de ces grandes ères, qui donnent à l'histoire tant de simplicité et de certitude. Cette invention est due aux Grecs, qui eux-mêmes ne s'en sont avisés que tard. L'ère de Nabonassar, comme on le sait, est une invention des Alexandrins, qui ont eu besoin, pour le calcul des anciennes observations, de ramener à une ère constante les règnes des rois babyloniens, perses, macédoniens, et des empereurs.

L'ère des olympiades n'a jamais été employée avant l'historien Timée, sous Ptolémée Philadelphe. Encore n'a-t-elle eu qu'un emploi pour ainsi dire littéraire, car elle n'a jamais été une ère civile ; aussi ne se présente-t-elle sur aucune monnaie antique[137], comme l'ère des Séleucides ou comme ces ères de villes, dont l'expression est si fréquente dans les inscriptions ou sur les médailles. Celle de la fondation de Rome ne fut point employée avant le règne d'Auguste ; du moins Niebuhr déclare n'avoir pas de preuves d'un usage antérieur[138].

[-116-] Ainsi tout concourt à prouver que la période sothiaque n'a eu d'emploi chronologique qu'à une époque très-récente, si même cet emploi a eu lieu d'une manière constante. Quant à la période en elle-même comme cycle sothiaque, elle a été nécessairement connue, dès le moment où fut établi le rapport entre l'année de 365 jours et celle de 365 jours ¼, rapport dont elle n'est qu'une simple conséquence arithmétique. Il est remarquable que ces deux espèces d'années, l'une vague, l'autre fixe, au moyen d'une intercalation quadriennale, présentent une combinaison toute naturelle des mêmes nombres 365 et 1461 :

L'année vague avait 365 jours, la tétraétéride avait 1461 jours ; la période contenait 365 tétraétérides et 1461 années vagues[139].

§ V. — VRAI CARACTÈRE DU CALENDAIRE DES ÉGYPTIENS ET DE LEUR ASTRONOMIE EN GÉNÉRAL.

Il est donc historiquement démontré que les Égyptiens ne se sont jamais doutés de la précession des équinoxes ; quant au déplacement des solstices par rapport à leur année de 365 jours ¼, ils auraient dû s'en apercevoir. En effet, dans un pays comme l'Égypte, qui avait de si longues annales et un calendrier aussi simple, il est bien difficile qu'on ne se soit pas aperçu que le solstice avançait lentement sur le lever héliaque de l'astre d'Isis. Mais ils n'y ont fait nulle attention, ou du moins ils n'en ont jamais rien conclu relativement à la longueur de l'année.

En 3300 environ avant notre ère, le solstice et le lever héliaque de cet astre coïncidaient au même jour[140] ; en 2782, [-117-] année d'un renouvellement sothiaque, le solstice était déjà en avance de 2 jours ; en 1322, époque d'un second renouvellement, il l'était de 13 jours ; au temps de Démocrite et d'Eudoxe, vers 400, l'avance allait jusqu'à 20 jours, et en 139 après notre ère, il y avait déjà 26 jours de différence[141].

Dès le temps de Démocrite et d'Eudoxe, et quand leur calendrier n'aurait commencé qu'en 1322, ils auraient pu déjà conclure d'une différence de 7 jours que la période de 365 jours ¼ ne représentait pas exactement le retour du soleil au même point du ciel, qu'il y avait une petite différence en plus, et la comparaison avec de plus anciennes époques aurait pu leur donner même la quotité approximative d'environ 1 jour en 130 ans.

Si l'idée d'appliquer cette différence à la longueur de l'année ne leur est jamais venue, c'est évidemment que la régularité du retour de Sirius en 365 jours ¼ détournait leur attention de tout autre phénomène, pour la fixation de l'année. Après 130 ans, la différence d'un jour était si petite, qu'ils ne pouvaient l'apercevoir. Géminus[142] dit que, de son temps, ils notaient les solstices, auxquels une de leurs fêtes, et peut-être plusieurs, étaient attachées[143]. Cet auteur parle du présent ; on ne sait s'il en était de même aux époques anciennes. Admettons qu'il en fût ainsi : nous admettrons encore qu'ils avaient des gnomons, ce que personne ne peut affirmer. Il est vrai que l'horologium que l'on portait, selon Clément d'Alexandrie[144], dans les grandes cérémonies, devait être un style dressé sur un plan, ou dans un hémisphère concave, scaphé, comme celui [-118-] dont parle Cléomède[145]. Mais l'auteur décrit ces cérémonies telles qu'elles se célébraient de son temps. Or, au Ille siècle de notre ère, il avait bien pu s'y introduire quelque nouveauté. Supposons que les anciens Égyptiens eussent le gnomon, ce n'est pas avec un instrument de ce genre que l'on peut apprécier, même à plusieurs jours près, l'époque du solstice ou les déclinaisons du soleil.

Il en a été de même chez les Grecs. Depuis Méton et Euctémon, quatre cent trente ans avant J. C., jusqu'à la destruction de l'école d'Alexandrie, pendant plus de dix siècles, les Grecs ont toujours observé des solstices et des équinoxes. Au moins depuis Ératosthène, 250 avant J. C., ils eurent non-seulement des gnomons, mais encore des cercles et des armilles parfaitement dressés ; ils ont pu comparer entre elles les observations séparées par un si long intervalle. Jamais pourtant, ils ne se rendirent compte, nous l'avons vu, de l'écart du solstice, et n'en conclurent la vraie longueur de l'année. Lorsque, à l'époque du concile de Nicée, en 325, on trouva l'équinoxe du printemps en avance de 3 jours sur celui qu'avait fixé Jules César, il semble que rien n'était plus facile que d'en conclure que, si l'équinoxe avait avancé de 3 jours en 366 ans, c'est que l'excès de l'année julienne sur la vraie année équinoxiale était de 1 jour en 122 ans à peu près ; ce qui aurait donné, pour l'année solaire, une durée de 365 jours 5 heures 49' 49'', à 1' près la vraie durée de l'année tropique. Mais nous avons vu qu'on n'en eut pas même l'idée.

Quelques astronomes restèrent fidèles à la correction d'Hipparque, qui donnait une année de 6' ½ trop longue ; mais la plupart ne la considérèrent que comme une simple hypothèse, et restèrent attachés à l'année julienne.

[-119-] Tout nous indique que les Égyptiens ne furent pas plus avancés. Se rendre compte de l'avance des solstices, dans les premiers siècles, était chose fort difficile. Quand cette avance fut de plusieurs jours, il devint impossible de ne pas l'apercevoir, ainsi que l'avance de l'inondation, dont le commencement est toujours resté attaché au solstice, en étant une conséquence physique. Mais ce fut pour eux un fait dont ils ne recherchèrent pas plus la cause que les Pères du concile de Nicée. La constance du lever héliaque de Sirius leur tenait lieu de tout, elle leur ôtait toute incertitude. Il est dans la nature d'un tel phénomène, offrant de telles circonstances, de bonne heure attaché à un principe religieux, d'arrêter les recherches ultérieures, et de paralyser l'esprit d'observation. Lorsque la grande déesse Isis elle-même (car Sirius était l'étoile d'Isis) prenait le soin de revenir avec tant de régularité et de constance, se remontrant à jour fixe, sans jamais y manquer, peu importait le reste.

Quand on étudie le peu qui nous reste de la science astronomique des Égyptiens, on est convaincu qu'elle a fait peu de progrès, parce que la religion, qui y était intimement liée, les arrêta. La plupart des phénomènes y furent rattachés à des mythes religieux, et expliqués par des causes qui n'avaient rien de scientifique. Nous en avons des exemples dans l'origine absurde que les Égyptiens donnaient à l'introduction des épagomènes, et dans la conversion des levers et des couchers du soleil, mythe qui devait tenir à quelque conte sacerdotal, comme les changements analogues qui, selon les poètes grecs, et même selon leurs philosophes, avaient eu lieu, lors du festin d'Atrée et de Thyeste, ou lors de l'entreprise téméraire de Phaéthon[146]. On oublie trop souvent, en étudiant les questions de ce genre, le rôle que la religion y jouait chez les Égyptiens. [-120-] En ce qui touche leur calendrier, et généralement leurs connaissances, on ne voit que le côté scientifique. On veut trouver chez eux la précision, la recherche de l'exactitude, qui sont des traits caractéristiques de l'esprit moderne. On leur fait prendre des mesures avec la rigueur que nous pouvons y mettre à raide de nos cercles muraux répétiteurs, de nos théodolites, armés de lunettes et de verniers. ll s'en faut de peu qu'on ne suppose qu'un bureau des longitudes était logé dans chacun de leurs grands collèges. L'étude vraiment historique de leur calendrier fait évanouir ces rêves séduisants. L'astronomie, que les Égyptiens ne séparaient point de l'astrologie, était pour eux une affaire de religion plus que de science. C'est ainsi que l'avance du solstice, par rapport au lever héliaque de Sirius, qui revenait au même jour, fut pour les Égyptiens un fait indifférent, sans conséquence, qu'ils expliquaient par un effet de la volonté d'Osiris ou par quelque autre de ces raisons qui paraissent bonnes ou mauvaises selon le point de vue d'où on les juge. Prises en dehors de la croyance religieuse qui les appuie, elles paraissent absurdes ; mais ceux qui adoptent cette croyance se contentent toujours de ces raisons, ou se révoltent même à la seule idée d'en chercher de meilleures.

S'il n'en avait pas été ainsi, si les solstices et les équinoxes n'étaient pas restés sans importance dans leur calendrier, enfin, s'ils avaient lié ces phénomènes à des jours de leur tétraétéride, il est encore un mitre phénomène dont ils auraient pu s'apercevoir, c'est le changement dans la durée relative de chaque saison.

Dans un calendrier réglé comme celui de l'Égypte, qui rattachait les unes aux autres les époques les plus éloignées, la différence devait être sensible. Mais cette inégalité, qui tient [-121-] au déplacement de l'apogée, n'a jamais été soupçonnée par eux, non plus que par les Grecs. Si les éléments d'une théorie du soleil sont restés inconnus aux Égyptiens, quoiqu'ils fussent dans la meilleure situation possible pour les découvrir, c'est, encore une fois, que le retour de Sirius, par sa constance, suffisait à tout ; et il ne fallait, pour le voir, que des yeux et le soin facile de compter les jours. Dès une époque très-reculée, les Égyptiens furent, par ce moyen, en possession du calendrier le plus régulier et le plus simple que les anciens aient jamais possédé. C'était la bienfaisante Isis qui semblait avoir pris à tâche de le leur donner tout fait. Ils n'éprouvèrent jamais le besoin de s'en départir, et ce calendrier, en leur tenant lieu du reste, est sans doute une des causes qui les empêchèrent de posséder une astronomie scientifique, qu'ils auraient pu acquérir de si bonne heure en s'abandonnant au sens droit, au discernement dont ils ont donné tant de preuves.

Cet avantage était réservé au génie indépendant des Grecs, que leurs efforts constants et continuels pour perfectionner leur calendrier luni-solaire mirent sur la voie d'observations et de calculs qui les amenèrent à la possession d'une science.

Je dois remarquer, en finissant, combien ces vues, fondées sur l'essence même du calendrier égyptien, s'accordent avec les faits d'un autre genre que j'ai développés il y a plus de trente ans[147].

[-122-] En effet, indépendamment de toute considération, il suffit d'avoir constaté que les Égyptiens ont toujours ignoré la précession des équinoxes, pour être sûr qu'ils n'ont pas eu dans leurs édifices sacrés des représentations zodiacales qui marquassent, par la différence de leur point initial, ou par la place diverse que les solstices ou les équinoxes occupaient dans les signes, l'époque de leur exécution. D'où il suit avec évidence que les zodiaques qu'on a retrouvés dans quelques temples de l'Égypte sont d'une époque plus récente. Autrement, le déplacement des points équinoxiaux et solsticiaux, qui serait résulté de la simple inspection de monuments exposés aux yeux de tous, aurait été un fait si patent, si clairement écrit à tous les yeux, que le mouvement des fixes serait devenu de bonne heure une notion tout à fait, vulgaire. Or personne ne peut plus nier que les zodiaques d'Esné, de Dendérah, de Panopolis, que les momies de la famille de Pétéménof où se trouvent des zodiaques, ont été exécutés dans le Ier et le IIe siècle de notre ère, et que nulle représentation de ce genre n'existe dans les monuments égyptiens antérieurs, dans aucun de ceux, de quelque nature qu'ils soient, que l'époque de leur exécution place en dehors de toute influence grecque ou romaine ; d'où résulte la preuve certaine que le zodiaque est resté étranger à l'ancienne Égypte, qu'il y est d'introduction récente, due, selon toute apparence, à l'invasion de l'astrologie chaldéenne dans le monde romain. Voilà donc deux faits qui s'expliquent l'un l'autre, et qui sont en quelque sorte inséparables. Mais comment les Égyptiens, qui avaient l'expérience de tant de siècles, n'ont-ils pas aperçu ce qu'Hipparque a vu par la seule comparaison des observations de Timocharis et d'Aristylle, qui n'avaient pas deux siècles de date ? C'est, d'abord, que, comme les Chinois, ils ont manqué de tout moyen exact d'observer [-123-] les astres et de mesurer le temps ; c'est, ensuite, que le lever héliaque de Sirius, revenant à jour fixe pendant plus de trois mille ans, avait dû leur persuader que rien ne changeait dans le ciel, et leur ôtait tout besoin de porter leur attention, quand même ils auraient pu le discerner, sur le déplacement des fixes, si lent, et dont il est si difficile d'avoir une perception nette et distincte. Avec une astronomie et une astrologie fondées uniquement sur des levers comparatifs d'étoiles, ne rapportant les positions des astres ni à la lune ni au soleil, ils n'eurent l'idée ni d'un zodiaque lunaire, comme les Arabes, les Perses, les Indiens et les Chinois, ni d'un zodiaque solaire, comme les Chaldéens et plus tard les Grecs. Ils n'en eurent pas l'idée, parce qu'ils n'en eurent pas le besoin ; et les recherches contenues dans ces Mémoires nous en donnent une raison évidente. Je n'y insiste pas davantage, pour ne pas m'écarter de mon sujet ; il me suffit d'avoir montré comment tout s'enchaîne, dans cette théorie historique des monuments astronomiques de l'Égypte, et comment aussi les questions les plus graves peuvent sortir d'une simple discussion de calendrier.

J'ai terminé ce que j'avais à dire pour établir le vrai caractère du calendrier mixte des Égyptiens, composé, ainsi qu'on l'a vu, d'une année vague de 365 jours, marchant en concordance avec une année fixe de 365 jours ¼. J'ai fait entrer dans la discussion et expliqué tous les textes que l'antiquité nous fournit. Dans l'état actuel de nos connaissances, je ne pense pas qu'on puisse y ajouter rien d'essentiel.

Mais ce n'est là qu'une des faces de la question ; il reste encore d'autres faits à signaler et à expliquer, d'autres recherches à faire, qui, sans intéresser en rien la certitude des résultats énoncés ci-dessus, sont nécessaires pour compléter la théorie du calendrier égyptien. Par exemple, la concordance de l'année [-124-] fixe avec l'année julienne proleptique, d'où il résulte que son point initial était au 9 ou au 10 octobre en l'an 400, est un fait de toute certitude, puisqu'il n'est qu'une simple coïncidence arithmétique, fondée sur ce que le tropique d'hiver était rapporté en Égypte, vers le temps de Démocrite et d'Eudoxe, au 20 ou au 19 athyr.

Mais cette coïncidence ne saurait être un effet du hasard ; elle doit avoir sa cause dans l'établissement et l'époque initiale de l'année fixe. En second lieu, cette année n'est dans aucun rapport avec le lever héliaque de Sirius, puisque ce phénomène ne s'y rencontre qu'au milieu du dixième mois. Mais alors que deviennent tant de textes qui en fixent le commencement au lever héliaque ? A quoi tient une telle singularité ? Enfin, cette année fixe doit être dans un rapport quelconque avec les diverses parties de l'année rurale ; car quel peut avoir été le but de ceux qui l'ont instituée, sinon d'établir un moyen facile de concordance entre les divers points de l'année vague et les principaux travaux agricoles ? L'état de nos connaissances ne permettrait pas de connaître la cause de ces difficultés, que la réalité des faits eux-mêmes en resterait établie sur des bases certaines. Mais l'esprit resterait en suspens et ne pourrait être satisfait, tant qu'on n'aurait pas pénétré la raison de ces rapports. Or je crois qu'il aurait été impossible d'y parvenir, si fon n'avait possédé la connaissance de la notation hiéroglyphique de l'année et des mois, une des plus certaines et des plus heureuses découvertes de Champollion. Car cette notation renferme en elle-même, d'après des caractères évidents, une division naturelle de l'année, qui doit remonter aux premiers temps de la civilisation égyptienne. Elle devient une clef indispensable pour expliquer les particularités curieuses qui naissent de la concordance reconnue entre les deux années [-125-] dont se compose le calendrier mixte égyptien et pour remonter jusqu'à l'origine de son établissement.

J'expose ces recherches nouvelles dans le Mémoire suivant sur les rapports de l'année vague et de l'année fixe des Égyptiens avec leur année agricole marquée par la notation hiéroglyphique.

Dans le Mémoire que je viens de lire, j'ai eu seulement pour objet de rechercher et d'établir tous les renseignements qui peuvent nous faire connaître ce que j'appelle les caractères extérieurs du calendrier égyptien, indépendamment de toute hypothèse.

Dans celui qu'il nie reste à soumettre à l'Académie, je me propose de rechercher la constitution intime de ce calendrier, son origine, ses causes, tout ce qui, en un mot, doit en compléter la théorie.

 

 

 



[1] De amend. temp., III, p. 195, 196. — Isagog. Canon., p. 243-264.

[2] Canicularia, p. 26, 27.

[3] Disert. variæ, V, 5, p. 202 c.

[4] Défense de la chronologie, Nouv. Obs., p. 393 sq.

[5] Cf. Adnot. ad Horapoll., I, V, p. 141 sqq. Leemanns.

[6] Premier mémoire, p. 6.

[7] Fréret, Mémoires de l'Acad. des inscr., t. XVI, p. 314-317. — Ideler, Untersuch., p. 113-119. — Handb., I, p. 140 et 167-171 ; II, p. 117-130.

[8] Ideler, Unters., p. 118-120.

[9] Ideler, Handb., I, p. 140 et p. 172 sq. — Ueber das iulian. Jahr der Morgenländer, p. 54.

[10] Diodore, I, L. — M. Ideler (Unters. p. 103) cherche à infirmer l'autorité de Diodore sur ce qu'il parait n'avoir pas su que les Thébains n'étaient pas les seuls Égyptiens qui comptassent les jours par le soleil et non par la lune. La remarque de Diodore est prise du point de vue grec ; c'est pour les Grecs que Diodore ajoute que les Thébains ne se servaient pas de la lune. Mais rien ne dit qu'il ait cru que les Thébains fussent les seuls dans ce cas. C'est par la même raison que Strabon a dit : Ils ont ainsi l'usage de compter les jours, non d'après la lune, mais d'après le soleil. Il n'y a pas plus d'erreur d'un côté que de l'autre. Diodore et Strabon savaient bien, ainsi qu'Hérodote, que les Égyptiens se servaient uniquement d'une année solaire.

[11] Geminus, c. VI, p. 32, A.

[12] Strabon, XVII, p. 816.

[13] Théodore de Gaza a exprimé le même fait dans des termes analogues en disant : Les Égyptiens passent pour être les premiers qui se soient servis de douze mois de trente jours et pour y avoir ajouté cinq jours chaque année. Quant à la partie de jour excédante, nécessaire au complément de l'année, en réunissant celle de plusieurs années, ils en formaient un jour. (De Mens., c. IX, ap. Petav., in Uranolog., p. 292 E.) La pensée est également fort claire et il n'y manque que l'énoncé du nombre. Ces portions excédantes, qui, après un nombre rond de jours et d'années, font un jour entier, ne peuvent être, comme dans le passage de Diodore, que la période de 4 années pleines et de 1461 jours pleins ; c'est-à-dire la tétraétéride caniculaire composée d'un nombre entier d'années et de jours.

[14] XVII, p. 806.

[15] Lorsque, en 1817, j'ai traduit le XVIIe livre de Strabon, les textes si concordants des deux auteurs grecs ne m'avaient pas permis d'hésiter sur le fait de l'existence, chez les Égyptiens, d'une année fixe avec intercalation quadriennale. Je n'ignorais pas les difficultés historiques qui pouvaient en résulter ; mais les témoignages de ces deux écrivains me semblaient trop précis pour qu'il me fût possible de m'en écarter, et je me prononçai formellement à cet égard. (Tome V, p. 424, note, de la traduction de Strabon publiée par ordre du Gouvernement.) Cette opinion e été l'objet de quelques critiques, sur lesquelles je dois d'autant moins revenir que la suite va prouver qu'elles n'étaient nullement fondées.

[16] Premier mémoire, p. 24.

[17] Geminus, c. VI, p. 32 A.

[18] Chap. XVIII, p. 93 Haverc.

[19] Ideler, Handbuch, I, p. 305, et II, p 605, est moins affirmatif encore.

[20] Ideler, Handbuch, I, p. 297 sq. et 304 sq.

[21] Censorin, ibid.

[22] Solin, Polyh., c. I, et Macrobe, Saturn., I, XIII, p. 273, Zeun.

[23] Chap. VI, p. 35 CD, p. 263.

[24] Pharsale, X, 187. — Cf. Ideler, Ueber Eudoxus, p. 40.

[25] Saturnales, I, XIV, p. 277. Ideler, Handb., I, 140-168.

[26] Macrobe, Saturnales, I, XIV, p. 292.

[27] Ideler, Untersuch., p. 115, 116. — Handb., I, p. 169.

[28] XLIII, XXVI. Ce sont les mots καί αύτός είσήγαγε, dont le sens est précis, que Fréret a mal compris.

[29] Bell. Civ., II, LIV.

[30] Ce précieux document est le premier du recueil des Papyrus grecs des collections du Louvre et de la Bibliothèque impériale, dont la publication, préparée par M. Letronne, sera due à M. Brunet de Presle, qui en a été chargé par l'Académie, et auquel elle a récemment adjoint M. Egger. On le trouvera bientôt dans le tome XVIII, 2e partie, des Notices et extraits des manuscrits, formé en entier de ce recueil, aux pages 25-76 du texte, et sur les planches I à X des fac-simile qui y sont joints. La question de la date du papyrus, reprise en opposition avec une note venant de M. Letronne, a été résolue par M. Brunet de Presle au sens de l'époque soupçonnée ici pour la composition du Traité. [Note de l'éditeur.]

[31] Ideler, Handb., I, p. 355.

[32] Ideler, Handb., II, p. 503-509.

[33] Ideler, II, 539-550.

[34] Dans les Fundgruben des Orients, t. IV, p. 38, 127 et 253. Cf. Ideler, Handb., II, p. 562-578.

[35] Άνωμαλία, c'est ce qu'il s'en faut à l'année pour être exacte. Plutarque emploie le même mot en ce sens dans la Vie de Numa, § 18.

[36] J. Cæsar, § 59, tome IV, page 273, Reiske.

[37] Fréret, Mém. de l'Acad. des inscr., XVI, p. 316. — Ideler, Unters., p. 119.

[38] J. Cæsar, § 59, t. IV, p. 274. — Plutarque ajoute : Il se trompait moins que d'autres sur la vraie durée de l'année. Le moins que d'autres ne peut guère s'appliquer aux Grecs, non plus qu'à tous les peuples soumis à l'empire romain, qui tous, au temps de Plutarque, employaient une forme d'année julienne. Quels sont donc les autres qu'il désigne ? Il parait avoir en vue l'ancien calendrier grec, à moins qu'il n'ait pas su que la réforme julienne se fût étendue partout.

[39] Plutarque, Vie de Numa, § 18.

[40] Dodwel, Cycl., p. 457.

[41] Plutarque, in Cæsare, § 59.

[42] Histoire de l'astronomie ancienne, I, p. 213.

[43] De die natal., c. XX, p. 109 Haverc.

[44] Sat. I, XIII, p. 274 fin. Zeun.

[45] Ideler, Untersuch., p. 143-145 et p. 369. — Handb., II, p. 130-134.

[46] Delambre, Histoire de l'astronomie moderne, I, p. 3 et suiv.

[47] Plutarque, in Cæsar, § 59.

[48] XVIII, XXV. Sosigenes ipse, tribus commentationibus, quanquam diligentior esset cæteris, non cessavit addubitare, ipse semet corrigendo.

[49] Cette analogie et cette identité ont été démontrées par M. Letronne dans son quatrième article sur le Mémoire de M. Ideler touchant l'Origine du zodiaque. (Voir Journal des Savants, 1839, p. 651-660.) [Note de l'éditeur.]

[50] Voir cet Hémérologe, publié par Sainte-Croix, Académie des inscriptions, ancienne série, t. XLVII, p. 66-84. [Note de l'édit.]

[51] Inscriptions grecques de l'Égypte. — Mémoire destiné au tome III de ce recueil interrompu par la mort de l'auteur ; il l'avait communiqué d'avance aux Nouvelles annales des voyages, t. XVII, p. 358, avec deux planches. [Note de l'édit.]

[52] Topograph. christ. ap. Montf., Collect. nov., t. II, p. 388.

[53] Ideler, Untersuch., p. 240, 241.

[54] Recherches pour servir à l'Histoire de l'Égypte, p. 162 et suiv.

[55] Au IVe siècle, à Alexandrie, Théon emploie concurremment l'année vague égyptienne et l'année fixe alexandrine, rapportées toutes deux à l'ère de Nabonassar. (Commentaire sur l'Almag., VI, X, p. 332.) Au VIe siècle, Thius, à Athènes, emploie l'année fixe alexandrine, rapportée à l'ère de Dioclétien. (Voir le texte grec de cet auteur dans l'Astronomia philolaica de Bouilliaud, et comparer Ideler, Untersuch., p. 14.) [Addition et rectification de l'éditeur.]

[56] D'après M. Ideler, Untersuch., p. 11-14.

[57] Ideler, Untersuch., p. 273.

[58] Almag., III, II, t. I, p. 153 sq. Halma.

[59] Almag., VI, VI, t. I, p. 390.

[60] Almag., V, III et V, t. I, p. 295, 299 sq. et 304.

[61] Almag., VII, III, t. II, p. 26.

[62] On trouvera ce papyrus, sous le numéro 62, dans l'édition des Papyrus grecs de l'Égypte, annoncée ci-dessus, p. 57. [Note de l'éditeur.]

[63] Topogr. christ. in Collect. nova, t. II, p. 338.

[64] Voir § I de ce Second Mémoire, p. 57-59 ci-dessus.

[65] Geminus, Isagog., c. VI, p. 33-34 (Petav. Uranol.).

[66] Petav., in Uranol. p. 411, A.

[67] M. Bœckh, dans un ouvrage récent et profond (Ueber die viejährigen Sonnenkreise der Alten, Berlin, 1863), donne au passage de Géminus une interprétation qui le justifierait de toute erreur ; il est loin, d'un autre côté, d'accorder au papyrus astronomique l'autorité que lui reconnaît M. Lettonne, en ce qui concerne l'existence d'une année dite sothiaque, commençant du 9 au 10 octobre julien, et distincte de la véritable année sothiaque, dont le point initial était marqué par le lever héliaque de Sirius. [Note de l'éditeur.]

[68] De Isid. et Osir., c. LII, p. 467, Reiske.

[69] C. XLII, p. 450.

[70] C. XII, p. 368.

[71] Acad. des inscr., XVI, p. 195, 196.

[72] C. LII, p. 467.

[73] C. XLII, p. 450. — C. XIII, p. 405, avec la note de Reiske sur le premier passage.

[74] C. XXXIX, p. 446.

[75] C. LXIX, p. 489.

[76] Ach. Tat. Isag. in Pœnom., p. 146 C, où il faut traduire incidit.

[77] Matériaux pour servir à l'histoire du christianisme, p. 72, 73.

[78] Ces renseignements n'ont pas fait défaut, si, comme le pense M. Lepsius, qui connaissait les opinions de M. Letronne sur ce point, et qui les partageait, les inscriptions hiéroglyphiques de l'ancien empire indiquent des jours de sacrifices rapportés aux dates de l'année naturelle ; si surtout celles du tombeau de Num-Hotep, à Beni-Hassan, entendent par la jeta du commencement de l'année solaire celle qui avait son point initial au lever héliaque de Sirius, et par la file de la grande année celle qui solennisait la période quadriennale d'intercalation, l'έτος κατ' Άίγυπλίους τετλάρων ένιαυτών, d'Horapollon (II, LXXXIX), dont chaque quart (τέταρτον, I, V) est l'année fixe. (Voyez Lepsius, Chronol. der Aegypter, Einleit. t. I, p. 148- 156.) [Note de l'éditeur.]

[79] II, IV.

[80] Ideler, Handb., I, p. 271.

[81] I, XXXII.

[82] Almag., III, II, t. I, p. 152, l. 14, Halma.

[83] Almag., III, II, t. I, p. 152, fin.

[84] Page 153, init.

[85] Ch. I, p. 3 et p. 5-6 (Petav. Uranol., 1630).

[86] Voyez Hipparque, dans Ptolémée, Almag., III, IV, t. I, p. 184 et suiv.

[87] Ch. VI, p. 36 A, où il faut lire α/δ au lieu de α/γ La traduction latine donne, avec raison, ¼.

[88] Il y a cinq passages de Géminus sur la mesure de l'année, savoir : c. I, p. 2 B ; c. t, p. 2 C ; c. VI, p. 36 A ; c. VI, p. 38 B ; c. VI, p. 38 C. De ces cinq passages, le premier, le second et le cinquième, permettent de corriger le troisième et le quatrième. [Note de l'éditeur.]

[89] Almag., III, II, t. I, p. 162 et 164.

[90] Almag., III, II, t. I, p. 165.

[91] Almag., p. 159.

[92] Hipparque lui-même avait déjà mis sur la voie de faire ce retranchement a, et Ptolémée l'indique fort clairement b. C'est en effet une conséquence inévitable de l'emploi de cette année.

a Almag., p. 162. — b Ibid., p. 164.

[93] En réalité il eut lieu le 20, entre 9 et 10 heures du matin.

[94] Hypotyp., p. 88, Halma.

[95] Voyez Delambre, Histoire de l'astronomie du moyen âge, page 243, et conf. page 175.

[96] Histoire des mathématiques, t. I, p. 61.

[97] Description de l'Égypte antique, t. I, p. 818 sq.

[98] Obs. sur les repr. zodiac., 1824, p. 62 sq.

[99] Hipparque, dans Ptolémée, Almag., VII, III, t. II, p. 15, Halma.

[100] Les observations d'Hipparque sur la précession des équinoxes portèrent sur les étoiles zodiacales. (Ptolémée, Almag. VII, II, t. II, p. 10-13.) Cependant il supposait que l'accroissement de longitude affectait aussi les étoiles extra-zodiacales, puisqu'il attribuait expressément ce mouvement, non pas aux étoiles, mais aux points solsticiaux et équinoxiaux eux-mêmes. Son traité spécial sur cet objet était intitulé : Περί τής μετάπτώσεως τών τροπικών καί ίσημερινών σημείων. (Ptolémée, Alm., VII, II, tome II, page 10, Halma.) [Note de l'éditeur.]

[101] Alm., VII, III, p. 16-28.

[102] Untersuch., p. 89 sq.

[103] Handbuch der mathemat. und techn. Chronol., I, p. 192 sq.

[104] Delambre, Histoire de l'astronomie ancienne, t. I, p. 372 et 383.

[105] Histoire de l'astronomie ancienne, I, p. 149.

[106] Scient. stell., c. XXVII, p. 65.

[107] Albategni emploie ici la division sexagésimale du jour, bien connue aussi des Grecs alexandrins. [Note de l'éditeur.]

[108] Histoire des mathématiques, p. 59-60 (an VII, in-4°).

[109] Histoire de l'astronomie ancienne, I, p. 149, 165-166, 392 et 403.

[110] Ideler, Untersuch., p. 91.

[111] Halley, dans les Phil. trans., XVII, 913.

[112] Cap. LII, p. 205.

[113] Cap. LII, p. 205. Cf. Delambre, Hist. de l'astron. du moyen âge, p. 53-54.

[114] P. 88, Halma.

[115] Voyez Théon, Comm. sur les Tables man. de Ptolémée, prem. part. p. 53, Halma.

[116] A Pœonius, sur le don d'un astrolabe, Œuvres, p. 310 B, Pétau (1612 in-fol.).

[117] R. R., IX, XIV.

[118] Ideler 1 et M. Letronne 2 ont parfaitement montré que, si, avant Eudoxe, Euctémon 3 et la plupart des Grecs 4 plaçaient les colures des équinoxes et des solstices au commencement des signes ; si Eudoxe, dans ses deux ouvrages sur la sphère céleste, les plaçait tout juste au milieu des signes 5 ; si le même Eudoxe dans son calendrier, Méton et d'autres auteurs 6 les plaçaient au 8e degré ; si des auteurs lus par Achille Tatius 7 les plaçaient au 12e, et si Euclide 8, Aratus 9 et Hipparque 10 les rétablirent au commencement des signes ; ces manières différentes et arbitraires de diviser le zodiaque idéal et d'en délimiter géométriquement les douze signes, c'est-à-dire les dodécatémories égales entre elles par rapport aux points solsticiaux et équinoxiaux, ne supposaient aucun changement de position de ces points par rapport aux constellations zodiacales, distinctes des dodécatémories mathématiques, et que, par conséquent, ces différences de division et de notation n'avaient rien de commun avec la précession des équinoxes, ignorée jusqu'à Hipparque et par Hipparque lui-même, à l'époque où il écrivait son Commentaire sur les Phénomènes. [Note de l'éditeur.]

1 Ueber Eudoxus, 2e Abth. p. 55-61, Berl. Acad., 1830. — 2 Sur les écrits et les travaux d'Eudoxe, p. 19-23 du tirage à part, et Journal des Sav., 1841, p. 71-76. — 3 Dans Géminus, c. VI, p. 64-70. — 4 Voyez Hipparque, in Phanom., II, III, p. 212 A et E (Petav. Uran. 1630). — 5 Ibid., I, X, p. 85 C ; II, III, p. 212 E, 213 B ; II, V, p. 214 E, etc. — 6 Voyez Columelle, R. R., IX, XIV, et Pline, XVIII, XIV, § 59, XVIII, XXVIII, § 68, Sillig. — 7 Isag., c. XXIII, p. 146 A (Petav. Urno. 1630). — 8 Phénomènes, p. 561, Gregory. — 9 Phænom., v. 534-539 et 148-151. — 10 In Phænom., II, III, p. 211-212.

[119] Delambre, Histoire de l'astronomie ancienne, p. 627.

[120] I. de Monte Regio et G. Purb, Epit. in Cl. Ptolem., Bas. 1543, cité par Delambre, Hist. de l'astronomie du moyen âge, p. 286.

[121] Acad. des inscr., t. XII, part. 2, p. 94-112.

[122] Syncelle,  p. 123 ; p. 232 sq., t. I, éd. Bonn.

[123] Défense de la chronologie, p. 405.

[124] Biot, Recherches sur l'astronomie égyptienne, p. 177 et suiv. — Recherches sur l'année vague, p. 18, 19.

[125] V. la note de M. Letronne dans les Recherches sur l'année vague de M. Biot, p. 24-27. [Note de l'éditeur.]

[126] Ch. VI, p. 34 C D.

[127] De die nat., cap. XVIII, p. 95-97 Haverc.

[128] In Tim., § 124, p. 324, Fabricius.

[129] Annal., VI, XXVIII.

[130] II, LXXIII.

[131] Métamorphoses, XV, 395.

[132] III, VIII.

[133] Epist., 41.

[134] Telle est aussi la durée donnée à la vie du phénix par un grand nombre d'auteurs postérieurs à Tacite, et Tacite lui-même (l. c.) constate que c'était l'opinion générale. [Note de l'éditeur.]

[135] Ap. Pline, X, II, § 3, t. II, p. 196 de Sillig. Comparez Solin, c. XXVIII, p. 45-46 de Saumaise (1689).

[136] Ap. Tzetz., Chil., V, 6, 395 et suiv.

[137] Ideler, Handb., I, p. 378.

[138] Niebuhr, Röm. Gesch., I, p. 271.

[139] Cf. § I, p. 54.

[140] Biot, Recherches sur l'année vague, p. 59 et suiv.

[141] Ideler, Untersuch., p. 89-90. — M. Letronne dit retard au lieu d'avance ; mais c'est une erreur matérielle qui lui est échappée plus d'une fois et que nous n'avons pas hésité à rectifier. [Nom de l'éditeur.]

[142] C. VI, p. 34 C.

[143] Voyez ci-dessus, § III, p. 84-89.

[144] Stromates, VI, IV, 35 ; p. 757, Pott.

[145] Cycl. theor., I, X, p. 67, Bake.

[146] Voyez M. Letronne, Acad. des inscr., t. XII, part. 2, p. 94-112. [Note de l'éditeur.]

[147] Voyez M. Letronne, Obs. crit. et archéol. sur l'objet des représentations zodiacales qui nous restent de l'antiquité (Paris, 1824, in 8°) ; Sur l'origine grecque des zodiaques prétendus égyptiens (Paris, 1837, in-8°) ; Sur l'origine du zodiaque grec, etc. (Paris, 1840, in-4°) ; et Analyse critique des représentations zodiacales de Dendérah et d'Esné (Paris, 1845, in-4°). Comparez M. Ed. Carteron, Analyse des recherches de M. Letronne sur les représentations zodiacale (Paris, 1843, in-8° ; Ideler, Handb. der Chronol., t. I, p. 193, et M. Lepsius, Chronol. der Æg., t. I, p. 84-108. [Note de l'éditeur.]