Le château de Ham. — Le logement du prince. — Emploi du temps. — Le capitaine Demarle. — La garnison du fort. — Mlle G***, la Belle Sabotière et Badinguet. — Le prince et le parti républicain. — Calixte Souplet, Degeorge et Peauger. — Tactique du prétendant. — Son évolution. — Ses travaux. — La mission de la Delle Poule et le retour des cendres. — Le comte de Saint-Leu et la lettre de M. Poggioli. — Attitudes de Louis-Philippe et de ses ministres. — Odilon Barrot. — La fuite résolue. — Charles d'Este, duc de Brunswick. — L'évasion. — La comédie du docteur. — Arrivée à Londres. — Lettre à Capefigue. — La confiance de Louis-Napoléon. — Résumé général.Louis-Napoléon commença sa détention au fort de Ham le jour même où la frégate La Belle-Poule arrivait en rade de Sainte-Hélène[1]. Il estimait s'être tiré de l'aventure à bon compte ; il est probable qu'immédiatement après Boulogne il pensa devoir être fusillé[2]. Dans la citadelle, on s'attendait à cette solution et le garde du génie Flajollot, vieux combattant de Champaubert, évoqua le souvenir du duc d'Enghien quand il vit entrer de nuit, à la lueur des torches, la voiture du prisonnier[3]. On craignait aussi que le prince ne se tuât, au point que le commandant Lardenois avait défendu au neveu de l'empereur de se raser lui-même et pris soin que le couteau dont il devait se servir pour manger fût ébréché et ne coupât plus[4]. Il fallait peu le connaître. Louis-Napoléon fuma tranquillement des cigarettes[5], — et il en fumait encore maintenant. Une foi pareille l'animait. Il avait écrit au charbon sur les murs de sa chambre : La cause napoléonienne est la cause des intérêts du peuple, elle est européenne ; tôt ou tard elle triomphera[6] ; 'il était .à même de le récrire avec autant de sincérité. L'ancien château féodal de Ham, bâti sur les plans du connétable de Saint-Pol, avec ses pierres noircies et.les marais qui l'entourent, d'où s'élève le soir une brume malsaine, assez lugubre d'aspect, surtout à cette époque, figurait à merveille le château romantique des ballades et convenait à la légende de Louis-Napoléon ; il n'y manquait même pas le donjon imposant, bâti en moellons de grès unis par un ciment impénétrable[7], et des souterrains creusés de cachots sinistres[8] ; mais, à un autre point de vue, plus essentiel, le décor mis à part, il constituait une demeure désagréable et meurtrière. — Ce fort était en forme de grand carré flanqué de quatre tours rondes liées ensemble par trois remparts. La porte d'entrée ouvrait sur la ville par un pont-levis ; à l'est et au sud, le canal de Saint-Quentin baignait la forteresse. Deux casernes s'élevaient au milieu de la vieille enceinte ; la prison d'état était à l'extrémité de l'une d'elles. Elle rappelait les postes des fortifications parisiennes, sauf que toutes les fenêtres en étaient grillées. Il fallait traverser le donjon pour atteindre[9]. Lors de sa première arrivée, le 8 aoùt, Louis-Napoléon avait attendu au rez-de-chaussée dans la pièce portant le n° 1, et qu'avait habitée, après 1830, M. Guernon-Ranville, ministre de Charles X[10] ; on avait fait évacuer ensuite les chambres n° 7 et 9, occupées par le général carliste Cabrera et qui avaient servi auparavant à M. de Polignac[11]. — Cette fois, le prince prit l'ancien logement de M. de Peyronnet[12]. Cet appartement était situé dans une des tours[13], au premier étage, sur la partie droite de la prison. Il se composait de deux pièces auxquelles on en adjoignit bientôt une troisième, tenant lieu de laboratoire[14]. La première en entrant servait à la fois de cabinet de travail et de salon[15]. Meublée d'une vieille commode, d'un grand bureau d'acajou, d'un canapé, d'un fauteuil, de quatre chaises de paille, d'une table en sapin couverte d'un tapis vert et d'un paravent mosaïqué peu à peu avec des dessins du Charivari, elle fut ornée par Louis-Napoléon[16]. Il y mit des gravures relatives à l'épopée napoléonienne, un portrait de sa mère, les bustes de l'empereur et de l'impératrice, par Chaudet, un grand nombre de livres rangés sur des planches fixées au mur qui portaient aussi cinquante volumes du Journal des Débats à côté d'une collection du Moniteur enfin des statuettes de soldats de la garde[17]. La seconde pièce, sa chambre à coucher, comprenait un lit en bois peint, une toilette de bois blanc, un poêle en faïence et deux tablettes de sapin sur lesquelles étaient placés les objets de toilette, en argent timbré aux armes impériales[18]. — Tout l'appartement, quand y entra le prince, se trouvait dans le plus mauvais état. Les plafonds en étaient troués, les papiers de tentures en lambeaux, le carrelage du sol inégal et brisé, les portes et les fenêtres mal closes et laissant, un passage à toutes les intempéries de l'air. Il est vrai que les amis du prince ayant cru devoir réclamer contre cet état de choses, M. de Rémusat, ministre de l'Intérieur et fils d'un ancien chambellan de l'empereur, accorda, pour faire les réparations et acquisitions nécessaires, la somme de 600 francs[19]. Au bout d'un certain temps, l'appartement fut passable. Louis Blanc allait plus loin ; il le trouvait large, bien meublé et pourvu de tout ce que le confort domestique réclame. Il ne fallait qu'un coup d'œil pour juger que le prisonnier était traité avec bonté[20]. — Le prince évoluait dans ces trois petites pièces en costume le plus souvent militaire ; il portait une capote et un bonnet de police ou une redingote bleue boutonnée avec un képi rouge, garni de ganses d'or[21]. Le docteur Conneau et le général Montholon avaient réussi à partager sa captivité, ainsi que Thélin[22]. Le docteur habitait une chambre contiguë à celles de Louis-Napoléon ; le général était au rez-de-chaussée[23]. Le docteur l'avait rejoint le 11 octobre 1840 et le général le 16 du même mois ; Thélin ne fut admis que le 25 mai[24]. Donneau, dont la condamnation finissait en 1844, demanda, vers cette date, la grâce de rester captif et l'obtint[25]. — Les dépenses de table, réglées par le commandant de gendarmerie Lardenois, s'élevaient chaque jour à six francs par tête[26]. Le portier-consigne faisait office de cantinier[27]. Le prince était soigné aussi bien qu'un captif de son espèce pouvait l'être. Mais la surveillance restait sévère[28] ; elle était dirigée par le capitaine Demarle, personnage d'humeur changeante et bilieuse, quelquefois bienveillant, toujours tracassier[29]. A la longue, le prétendant l'intéressa ; Louis-Napoléon montait assez souvent chez lui ; ils jouaient aux cartes ; ou bien c'était le capitaine qui descendait faire le quatrième au whist[30]. Sa femme était très attentionnée ; elle envoyait au captif du bouillon de sa composition[31]. — Demarle commandait aux quatre cents hommes d'infanterie qui occupaient la forteresse. Soixante sentinelles ne cessaient de veiller[32], sans doute plus ou moins soigneusement. Trois gardiens étaient attachés au prince qui ne pouvait sortir de son appartement sans en être suivi[33] ; ils s'appelaient Issali, Dupin et Bire[34]. Quatre fois par jour, au moins, Demarle devait s'assurer par lui-même de son prisonnier[35]. Il avait reçu l'ordre de lire toutes ses lettres, aussi bien celles qu'il écrivait que celles qui lui étaient envoyées, mais il ne lisait que celles qu'on voulait bien lui laisser voir, Thélin ayant obtenu au bout de peu de temps l'autorisation de sortir en ville[36]. Il devait punir sévèrement toute marque de respect témoignée au détenu[37]. Ces punitions ne produisaient aucun effet[38]. Le pli avait été déjà plis au mois d'août. Un lieutenant de la garde municipale ayant réprimandé Flajollot pour avoir appelé prince le prisonnier et lui ayant déclaré qu'il fallait dire : Monsieur Louis Bonaparte : Ah ! mais, pour cela, avait répondu le soldat, il faudrait déchirer son acte de naissance[39]. La ville de Ham s'intéressait beaucoup à lui[40]. Un jardin d'une quarantaine de mi3tres lui ayant été accordé sur le rempart, il y cultivait des fleurs, et les habitants lui en demandaient ; il leur en donnait d'autant plus volontiers qu'il en récoltait abondamment[41]. Un pharmacien, M. Acar, venait souvent le voir pour ses travaux de physique[42]. Il avait le droit de recevoir des visites et c'est à la suite de cette permission que Louis Blanc, entre autres, se rendit au fort. L'historien a raconté le dialogue de cette entrevue : Mon credo, dit le prince, c'est l'Empire. L'Empire n'a-t-il pas élevé la France au sommet de la grandeur ? Ne lui a-t-il pas rendu l'ordre. Ne lui a-t-il pas donné la gloire ? Pour moi, je suis convaincu que la volonté de la nation, c'est l'Empire. — Mais l'Empire, c'est le principe héréditaire ? — Sans doute... L'important, c'est que le gouvernement, quelle que soit sa forme, s'occupe du bonheur du peuple[43]. Il se mit alors à parler, rapporte Blanc, des réformes sociales et de leur urgence. Autant ses opinions politiques m'avaient déplu, autant je fus étonné de son empressement à admettre les principes du socialisme dont, plus tard, il devait si bien faire usage pour se frayer une route à l'Empire... Souvenez-vous, lui dis-je, que l'Empire, c'était l'empereur. L'empereur peut-il sortir du tombeau ? Comment accompliriez-vous avec son nom ce qu'il ne serait pas donné à lui d'accomplir de nos jours avec son génie[44] ? L'Empire ressuscité ne serait possible que sous la forme d'un météore sanglant... Quand je pris congé de lui, il me serra dans ses bras avec un élan dont je ne pus me défendre de rester ému. Et ses dernières paroles furent : N'oubliez pas d'embrasser pour moi Mme Gordon[45]. — M. Belmontet arrivant à Ham, après avoir obtenu un laissez-passer de M. de Rémusat, fut reçu par le commissaire de police qui lui proposa de faire évader le prince sous l'uniforme d'un soldat[46]. Ceci prouve encore les sympathies que le fils de la reine Hortense savait éveiller. Ce qui suit prouvera comme il a su conserver ses espérances. Instruit de cette proposition, il réfléchit quelques instants, pris d'une juste méfiance, puis s'écrie : Non, le peuple français ne s'occuperait plus de moi... je ne veux pas qu'il m'oublie[47]. Ce commissaire de police providentiel était-il sincère ? Il y a peu de vraisemblance à ce qu'il ne l'ait pas été. Le gouvernement n'avait aucun intérêt à tendre un piège à Louis-Napoléon pour justifier ensuite une exécution dangereuse, — nous l'avons reconnu ; il en avait encore moins à le faire s'évader ; tout ce qu'on peut dire dans ce sens, c'est que le fonctionnaire avait été chargé de connaître l'état d'esprit du prisonnier et de ceux qui le venaient visiter ; et cela n'est guère probable. Il est plus normal de voir ici une offre spontanée. Une tentative d'évasion aurait été déjà préparée à cette époque. Mais Louis-Napoléon ne désirait, pas partir quoique, sans doute, il n'eût tenu qu'à lui de le faire[48]. Par une de ces coïncidences qui ne semble plus extraordinaire parce qu'elle se rapporte à lui, les corps qui fournissaient des troupes à la citadelle de Ham étaient le 46e de Strasbourg et le 42e de Boulogne. Napoléon y comptait quelques amis qui, vers le mois de décembre 1840, lui offrirent d'organiser un complot. Une date solennelle approchait. Le prince de Joinville allait ramener de Sainte-Hélène les cendres de Napoléon Ier. Le jour de la rentrée des restes de. son oncle, 14 décembre 1840, on a pu dire que Louis-Napoléon n'avait qu'à ceindre son épée et à sortir tranquillement de prison. Des sergents eussent maintenu ses gardiens ; le commandant Demarle aurait été consigné dans sa chambre. Des relais avaient été préparés de Ham à Paris[49]. On imagine l'arrivée du prince dans la capitale, saisissant l'épée impériale sur la bière même de Napoléon et s'écriant, selon les paroles de Berryer : Ce nom qu'on fait retentir ; c'est à moi qu'il appartient ! Me voici, Français ; voulez-vous de moi ? Il faut croire qu'il y eut réellement une sorte de schéma d'évasion, car, vers la fin du mois de décembre, le bruit courut que des ouvriers de Ham et des fabriques environnantes voulaient délivrer le captif[50]. Il y avait une grande exagération dans les sentiments que l'on prêtait au peuple à l'égard du prisonnier, mais cela n'empêcha pas le gouvernement d'entourer la citadelle et même la ville de mesures très sérieuses de surveillance[51]. Il serait donc exact de situer ici, plutôt qu'en 1846, le
plan d'évasion raconté par Sir Drummond Wolff dans ses Souvenirs[52]. Peut-être ce
plan est-il différent de celui qui fut proposé par le commissaire harnois,
mais il présente plus de logique à la date où nous le plaçons. En 1846,
Louis-Napoléon a déjà résolu de quitter Ham ; maintenant, il veut y demeurer
; en 1846, il y a moins de raisons pour qu'on vienne le voir d'Angleterre ses
relations intimes exceptées ; aujourd'hui, étant données les relations qu'il
avait eues avec des membres du parlement avant l'affaire de Boulogne, il est
tout simple que l'un de ceux-ci cherche à connaître ses intentions. C'est ainsi qu'il reçut la visite de lord Malmesbury
auquel il montra le peu de difficulté que comportait sa fuite. Le prisonnier dit que tout était préparé pour son évasion
: et, quelques cloutes avant été exprimés à ce sujet, il attira son visiteur
près de la croisée sur la cour qui était remplie de gardes et de sentinelles.
Le prince fit alors un signe en tirant un côté de sa moustache et le signe
fut répété par la plupart des soldats et des civils qui étaient en vue de la
fenêtre[53].
— ll y a là peut-être, quelque amplification ; il s'y trouve, néanmoins, un
fond de réalité ; il est inadmissible de supposer que lord Malmesbury ait
inventé le fait ; et tous les témoignages s'accordent à prouver le refus de
Louis-Napoléon[54].
Quant à la connivence du personnel, elle n'a rien de surprenant. Les soldats
qui avaient ordre de ne pas lui parler, de ne pas le saluer et de ne pas se
lever sur son passage, s'arrangeaient pour désobéir à ces trois points, ou,
quand il ne leur était pas possible d'y manquer, lui témoigner quand même de
la sympathie[55].
Il fallait laver chaque semaine les guérites où des mains généreusement
anonymes avaient écrit : Vive Napoléon ! et Vive l'Empereur ![56] Le capitaine
Demarle lui-même, trouvant les parties de whist insuffisantes, avait fini par
inviter son prisonnier à sa table[57] ; un jour,
oubliant ce qu'il en était, il faillit l'emmener dîner avec lui dans un
château voisin[58].
— Les marques d'intérêt portées au prince furent telles qu'après avoir changé
plusieurs fois la garnison, on décida de la relever tous les quinze jours[59]. Louis-Napoléon travaillait pendant la journée. Il
rédigeait une importante correspondance et envoyait certaines de ses lettres
sous le couvert d'un bijoutier, M. Ancelin[60]. Ceux auxquels
il écrivait le plus souvent, et dont les noms nous ont été connus, sont
Armand Carrel, Béranger, George Sand, Louis Blanc, Sismondi et
Chapuys-Montlaville[61] ; il continua
ses rapports avec Chateaubriand[62]. De ses
fenêtres, il voyait une ligne verte de courtines et un arbre, dit de la
Liberté, planté en 1793 par André Dumont. De son petit jardin du rempart, —
aujourd'hui le jardin de l'Empereur — il dominait la campagne[63]. Il s'y tenait
souvent lorsque passaient des troupes ; certaines s'arrêtaient au pied de la
citadelle ; plus d'un soldat le saluait et plus d'un officier lui faisait
remettre sa carte[64]. Il montait à
cheval dans la cour du château[65]. En 1812, il fit
une chute et on remarqua que, le même jour, Henri V,
aux environs de Prague, s'était cassé la jambe en tombant de cheval[66]. Le prince ne se plaignait pas trop de son séjour, sauf
dans les lettres officielles[67] ; pourtant, sa
santé s'en ressentait[68]. Habitué aux
sports de plein air, il souffrait de sa réclusion. Dans une lettre à son
père, il parle de fortes douleurs rhumatismales[69] et les attribue à l'humidité du pays ainsi qu'au manque d'exercice[70]. Ses chambres
étaient balayées par de terribles courants d'air. — Aux heures où il lui
fallait de la résignation, il savait rendre celle-ci souriante. Il avait
écrit sur l'un de ses murs cette phrase, tirée d'un ouvrage de M. Guizot :
Pour les peuples comme pour les individus, la souffrance n'est pas toujours
perdue. En cherchant dans cet aphorisme une
consolation, une espérance, il était plus clairvoyant que l'illustre homme
d'État auquel il l'avait emprunté et qui, à cette heure même, dans sa
correspondance officielle, affectait de traiter le conspirateur de Boulogne
avec un injurieux dédain[71]. Enfin,
Louis-Napoléon avait su remédier à l'austérité de sa prison en remplaçant ses
amies londoniennes par des filles du pays. Et dans les deux principales
aventures qu'il noua, on retrouve la dualité de son caractère, les côtés
idéalistes et réalistes que nous avons déjà remarqués dans sa jeunesse, puis
dans son âge d'homme et qu'il tenait de naissance ainsi que nous l'avons noté
en expliquant celle-ci et comme nous avons vu Persigny le fixer dans ses Lettres
de Londres. Il y avait chez lui deux hommes,
deux tempéraments distincts, opposés, qui plaisent également aux femmes ; il
traitait l'amour avec les mêmes contradictions que la politique, tantôt à la
façon d'un barde épris de rêves fantastiques, tantôt en soldat aux volontés
impatientes réclamant une satisfaction immédiate. Il avait cette distinction
un peu convenue du beau militaire apte à faire sonner ses éperons ; mais,
dans l'intimité, il ne révélait ni une âme sèche, ni un esprit trop
superficiel. II aimait la gloire et comprenait la poésie. Que demander de
plus à un amoureux ? Un poète sous l'uniforme, n'est-ce pas le rêve de toutes
les jeunes filles ? Du moins, c'était assez celui des filles de ce temps-là
surtout dans la petite bourgeoisie qui faisait sa pâture des
romans-feuilletons[72]. Il y avait un
penchant sentimental chez Louis-Napoléon — qu'il devait retrouver, au moment
de son mariage — mais fortement balancé par un instinct plus simple et plus
précis. En amour, il allait droit au but et ce but là surtout l'intéressait[73]. Dans sa prison,
il eut à la fois la poésie et le plaisir, une jeune héroïne pâle et
romanesque, exaltée, dernière glycine des lacs lamartiniens, puis une
maîtresse véritable, paysanne aux grands veux simples, ardents et bons. Il fut mis en rapport avec la première par l'entremise de Thélin. Le valet de chambre impérial connaissait en ville deux vieilles dames chez qui la fille d'un boucher de Paris, Mlle G***, était venue pour soigner une maladie de poitrine. Cette jeune personne, ayant aperçu Louis-Napoléon sur les remparts du château, en devint amoureuse du premier coup, au point de perdre le sommeil. Ce cavalier captif, ce Bonaparte malheureux, c'était pour elle le chevalier des légendes ; renversant les rôles, elle s'imaginait la princesse qui devait le délivrer ou lui apporter, du moins, le plus tendre des rêves. Et ici, nous retombons en plein romantisme. Pour atteindre au prince, elle lui dépêcha un page ; il n'avait ni toque à plumes, ni poignard, ni justaucorps aux manches de satin ; sous le gilet à raies de couleurs et le tablier, il n'en était pas moins agréable ; il possédait, de plus, le mérite de se trouver là Ce page fut Thélin. Amusé par l'histoire, Louis-Napoléon reçut la jeune fille et lui mit un baiser — un seul[74] — sur la main. Nul ne sait ce que se dirent ces deux amants platoniques. Ils ne se revirent jamais et, depuis cette entrevue, la jeune fille refusa tous les partis : J'ai là, disait-elle, un baiser qui me brûle les doigts[75]. C'était exquis ; mais il est dit que les aventures sublimes auront, elles aussi, presque toujours, des suites moins belles. La nature se montrant habile à revendiquer ses droits, Mlle G***, lasse d'attendre le prince charmant, se jeta dans les bras de son page, moins scrupuleux, très flatté de plaire. Le page mena l'aventure d'un train tel que la maladie de poitrine empira vite et conduisit cette Elvire d'un nouveau genre sous les saules funèbres[76]. Le roman de la paysanne est moins ridicule et mieux
réussi. On désignait son héroïne, dans le pays, par un qualificatif aimable :
la Belle Sabotière, à cause de sa grâce et parce que son père vendait des
sabots. Alexandrine Vergeot, de son vrai nom, travaillait à la journée. On la savait honnête et courageuse[77]. Courtisée par
un peintre en bâtiments, elle se montrait fort affectée de ce qu'il ne lui
parlât pas mariage, et, tout en causant, racontait assez volontiers ses
peines de cœur[78].
L'ouvrier se maria, — mais avec une autre personne ; et les doléances
d'Alexandrine augmentèrent. Heureusement pour elle, une
dame Renard, femme du portier-consigne qui se chargeait de la nourriture des prisonniers
d'État, la prit à son service. Le prince la vit pendant une promenade dans la
cour et la trouva jolie. Mme Renard mit le feu aux poudres en l'envoyant
porter les mets du prisonnier[79]. Elle ne se
fâcha point cette fois que la question matrimoniale fia laissée de côté et
céda rapidement ; elle n'espérait pas un pareil consolateur. Il fut mieux que
cela pour elle, car il l'aima, comme il pouvait l'aimer, un peu plus même. Louis-Napoléon s'attacha beaucoup à la belle Hamoise ; elle
restait chez lui des journées entières ; elle était très intelligente et le
prince se plut à lui donner quelque teinture d'instruction ; elle profita,
parait-il, de ses leçons et fut poussée assez loin. Ceux qui l'ont connue se
la rappellent : grande sans maigreur, avec des cheveux châtains, des yeux
bleus et beaucoup de fraicheur[80]. Ces journées
avec la Sabotière étaient bien occupées. Louis-Napoléon, alors surtout, s'affirmait
un solide jouteur[81]. Il n'était,
d'ailleurs, ni raffiné ni savant[82]. Il sut plaire à
son amie. Elle évita, dès que sa liaison fut connue, ses anciennes relations
et se cacha le plus possible aux regards[83]. Elle eut deux
fils du prince, Eugène et Louis, que son amant envoya chez sa nourrice, Mme
Bure, et vécut de plus en plus retirée[84]. Il semble
qu'elle soit restée longtemps liée avec Louis-Napoléon ; c'est peu de temps
avant son mariage qu'elle épousa le frère de lait de celui qui était devenu
l'empereur, alors trésorier de la liste civile, et qui, au temps où son
maitre résidait à Ham, était chargé de faire fructifier sa fortune. Elle en
eut quatre ou cinq enfants. S'en trouva-t-il encore de Louis-Napoléon ? Il serait téméraire de l'affirmer ; celui-ci avait
cependant conservé des relations avec elle après 18-16 : il avait même eu
soin de la faire partir de Ham avant son évasion[85]. En 1861, Mme
Bure était une grosse dame à cheveux blancs, fort
aimable, mais ne rappelant en rien la Belle Sabotière de jadis. A la mort de
Bure, la fortune fut divisée entre les enfants et Alexandrine, quelque peu
oubliée d'eux, est morte pauvre en 1886, à Paris[86]. Le prince reçut à Ham d'autres visites féminines[87]. Il est probable qu'il vit Mme Gordon ; il est certain qu'il accueillit miss Howard. A la liste de ses amies populaires, il conviendrait d'ajouter une demoiselle Badinguet, ce qui expliquerait en même temps l'origine de ce surnom qui lui fut appliqué par la suite. On l'appelait Badinguet par allusion à sa bonne fortune[88]. Cette explication est plus plausible que celle donnée jusqu'à présent et qui fait venir ce sobriquet du verbe badinguer, équivalent du vieux terme troyen berlauder, berlaudeur, employé pour désigner celui qui va et vient, de côté et d'autre, hésite, s'ennuie, tourne en rond et... berlaude, — car il y a des mots difficiles à traduire. Dans la citadelle de Ham, le gardien montre de nos jours aux visiteurs la porte par où passaient la Belle Sabotière et ses concurrentes. * * *Le prince sut profiter de son emprisonnement[89]. Plus tard, quand on le félicitait de ses connaissances et de son style, un peu restreint, mais concis et quelquefois beau, il disait en souriant qu'il avait eu le temps de compléter ses études à l'université de Ham[90]. Il ne s'étonnait jamais de rien, de son sort moins que du reste. Dès le début de sa détention, il avait écrit à une amie de Londres que tout lui semblait très normal : Je ne désire pas sortir des lieux où je suis, car ici je suis à ma place ; avec le nom que je porte, il me faut l'ombre d'un cachot ou la lumière du pouvoir. Ma vie se passe d'une manière bien monotone, car les rigueurs de l'autorité sont toujours les mêmes ; cependant, je ne puis pas dire que je m'ennuie, parce que je me suis créé des occupations qui m'intéressent. J'écris des réflexions sur l'histoire d'Angleterre... Je ne me plains nullement de la position que je me suis faite et je m'y résigne complètement[91]... A la date du 18 avril 1843, il déclarait : Si demain on ouvrait les portes de ma prison... si on venait m'offrir de changer ma position actuelle pour l'exil, je refuserais une telle proposition, car ce serait à mes yeux une aggravation de peine... Je préfère être captif sur le sol français que libre à l'étranger... Banni depuis vingt-cinq ans, trahi deux fois par le sort, je connais de cette vie toutes les vicissitudes et toutes les douleurs, et, revenu des illusions de la jeunesse, je trouve dans l'air natal que je respire, dans l'étude, dans le repos de ma prison, un charme que je n'ai pas ressenti lorsque je partageais les plaisirs des peuples étrangers et que, vaincu, je buvais à la même coupe que les vainqueurs de Waterloo[92]. Un de ses grands mérites fut de ne jamais clouter de lui ni de sa cause. A peine en prison, il recommença de la revendiquer avec la même énergie ; il affirma hautement qu'il continuait d'y croire et de s'en montrer sûr. Pour cela, comme par le passé, tout lui fut bon. A ses yeux, il n'existait pas de petits moyens. Agissant dans le rayon qui lui était permis par les circonstances, il pratiquait cette excellente maxime qu'il n'y a pas de soldats inutiles et que le plus inconnu peut être employé efficacement lui aussi. C'est de la sorte qu'on arrive et les serviteurs les plus humbles sont souvent les plus dévoués. Il gagna d'ailleurs à les fréquenter et par eux se rendit compte de l'opinion générale. Cette fois, il sut se rallier les démocrates et devenir un de leurs soldats d'avant-garde[93]. Certains préjugés tombèrent qui lui avaient aliéné quelques sympathies. Forcé comme il l'était encore de reconstituer son parti, il ne pouvait plus se payer de promesses ; il lui fallait soumettre les gens à l'épreuve ; et, pour passer les murs de Ham, il était indispensable de se placer en avant ; ceux qui redoutaient une telle nécessité, — parmi lesquels pas mal de ses anciens partisans — se tenaient tranquilles. La prison lui fut donc excellente en ce sens qu'elle lui valut, en dehors de méditations indispensables, de reprendre contact avec la réalité des espérances dont se nourrissait la partie active de la nation. Être prétendant nécessite une persévérance quotidienne, active et renseignée ; en cela, comme en toute chose, la victoire est réservée à celui qui sait le mieux comprendre puis le mieux agir ; et, malgré certaines apparences, pour l'homme qui a décidé de courir n'importe quels risques, l'action demeure ouverte. Le plus difficile à parcourir, c'est le chemin par lequel on y accède. Dans les premiers temps, le
prisonnier de Ham, opiniâtre dans ses conceptions politiques et fidèle aux
illusions qui l'avaient conduit à Boulogne, songeait à consacrer ses loisirs
à développer les idées impériales et à corriger les échecs des conspirations
par les entreprises d'une propagande écrite. Il eut la pensée de faire
l'histoire de Charlemagne[94] ; les analogies pouvaient être facilement saisies :
c'était un monument élevé à l'Empire et au principe d'autorité. Les tendances
ne se manifestaient pas encore en lui. Mais il fut détourné de ce travail par
divers conseils et surtout par ceux d'une amie dévouée, autrefois compagne de
son enfance, élevée près de lui sous les veux de la reine Hortense, et qui
n'avait jamais cessé de lui donner, de près comme de loin, des témoignages
d'une profonde reconnaissance et d'une intelligente amitié. Douée d'une
sagesse et d'une perspicacité peu communes, cette dame avait compris qu'avec
les mœurs essentiellement démocratiques de la France, avec ses vifs appétits
de liberté, les fantaisies impériales n'avaient aucune apparence de succès et
que l'avenir du prince ne pouvait qu'être compromis par les souvenirs
politiques de 1804. Elle le dit avec franchise et fut écoutée. L'histoire de
Charlemagne fut abandonnée et le prince captif écrivit les Etudes historiques
sur la révolution d'Angleterre. Toutefois, dans ce livre nouveau, se révèlent
les vieilles tendances : la figure dominante est celle de Guillaume d'Orange,
despote mal déguisé s'accoutumant avec peine au régime parlementaire.
—L'adversité n'avait donc pas encore corrigé le prince Louis Bonaparte et ses
convictions demeurèrent à peu près les mêmes jusqu'en 1842. Mais, à cette
époque, il se trouvait au fond de sa prison dans un état d'isolement complet,
abandonné, oublié, compté pour rien. Dans l'exil, il avait eu des visiteurs,
des partisans, même des flatteurs ; l'intrigue, sinon l'affection, s'agitait
autour de lui ; il était dans une sphère de mouvement et de vie. Le malheur
avait produit la solitude et son nom, ce nom magique avec lequel il croyait
renverser un trône, n'attirait plus à lui un seul souvenir[95]. Cette
appréciation ne me paraît pas juste ; elle fait erreur sur plusieurs points.
Les tendances démocratiques du prince s'étaient manifestées plus d'une fois,
qu'elles fussent sincères ou non, et elles l'étaient. On peut se demander, à
la rigueur, car il l'aurait presque certainement fait — s'il eut réuni un
congrès national après Strasbourg, malgré son intention à ce sujet, affirmée
devant ses juges et sur l'heure, mais on ne peut mettre en doute la
spontanéité avec laquelle il servit la cause de la liberté en Italie ni celle
qui l'avait porté auparavant à s'y affilier. Dans ses cieux entreprises de
Strasbourg et de Boulogne, il se solidarise avec le meilleur des principes
républicains. Ce qu'on a le droit d'avancer avec le plus de vraisemblance,
c'est qu'il comptait, avant Ham, atteindre de suite à l'Empire tandis que,
peu à peu, après quelques mois de prison, il le vit à travers la République.
Ajoutons que, devant l'intransigeance de plusieurs partisans, il fut amené à
les redouter, à penser, du moins, que leur bonapartisme ne serait efficace
qu'au dernier moment[96], et que, pour le quart d'heure, ceux qui se situaient
à gauche, loin du centre, seraient ses alliés les plus actifs. Enfin, il est
probable qu'il développa davantage l'instinct démocratique sincère qui était
en lui, instinct peut-être égaré à Londres au milieu des fidèles trop
cérémonieux qui l'entouraient[97]. Napoléon-Louis,
Louis-Napoléon et Napoléon III — chaque nom représentant trois étapes de son
existence[98]
— ont été très réellement amis du peuple. Si
l'on en doutait de nouveau, il n'y aurait qu'à relire les Idées napoléoniennes. — L'amie d'enfance
dont il est ici question est Mme Cornu. Je crois que son rôle est exagéré[99]. Elle renseigna
peut-être l'ancien camarade d'Arenenberg sur l'état des esprits, mais il y a
peu de vraisemblance qu'elle l'ait guidé d'une manière aussi importante. Elle
fit les recherches historiques demandées, elle n'en indiqua pas d'autres ;
tout au plus, et vaguement, les suggéra-t-elle[100]. Louis-Napoléon
se rendit seul compte de celles qui convenaient le mieux à sa situation. Cela
est si vrai qu'il fit appel aux républicains dès 1841. Quant à la figure de
Guillaume d'Orange, qu'il dressa par-dessus le parlement d'Angleterre, elle
constituait, loin d'être une faute, sa justification personnelle[101] ; elle
indiquait le rôle qu'il comptait jouer — et qu'il joua. Le prince se mit en rapport avec trois journalistes de la gauche, M. Peauger, M. Degeorge, qu'il avait déjà reçus à Londres, et M. Calixte Souplet. En dehors des raisons, énoncées plus haut, qui le poussaient à cette alliance, il y en avait une, majeure, c'est que le journalisme, tant en province qu'à Paris, avait, avant 1848, le prestige d'une quatrième puissance sortie de la Révolution. Il gardait son honneur intact, n'avant pas encore appris à se vendre. La direction d'un journal était alors un véritable sacerdoce ; les titulaires prenaient leur rôle au sérieux. La plupart avaient la foi[102]. Un petit groupe de rédacteurs, aujourd'hui oubliés, possédait dans la région une sérieuse influence ; il comprenait ceux que nous avons nommés, plus M. Malézieux, M. Davin et Théophile Dufour, confident d'Edgar Quinet. L'un de leurs journaux, le Guetteur de Saint-Quentin, avait obtenu une autorité si grande que plusieurs de ses articles étaient reproduits dans les feuilles de la capitale[103]. Homme adroit, aux principes cependant rigides, son directeur possédait une certaine renommée. Elle parvint jusqu'au prince qui lui écrivit au début de septembre 1842 en joignant à sa lettre des articles et une brochure de lui. Il terminait sa lettre en disant : L'estime des hommes de bien, la sympathie de mes concitoyens me consoleront toujours de la perte de ma liberté et je serai heureux, même captif, si je puis être utile aux grands intérêts de mon pays[104]. Bientôt après, le prince désira connaître Calixte Soufflet, et, dès la fin de novembre, ils furent
assez liés. Le journaliste ne devint pas le partisan du prisonnier, mais
certainement son ami et il lui rendit service en ouvrant les colonnes de son
journal où il signa X X[105]. — Sa tactique
fut la même à l'égard de M. Degeorge. Il lui fit dire qu'il serait heureux de
le revoir et celui-ci se rendit avec empressement à cet appel. Dès les premières paroles, il lui fut aisé d'apercevoir
que le prince avait singulièrement modifié ses vues et ses espérances. Ce
n'était plus l'homme du passé, invoquant des sénatus-consultes oubliés,
c'était un contemplateur de l'avenir, livré aux inspirations démocratiques,
faisant abnégation de sa personne, ne consultant que les intérêts du peuple
et les droits de la nation. M. Degeorge accueillit avec confiance les paroles
du captif dont le nom pouvait être une conquête précieuse pour la cause
démocratique. Bientôt, une active correspondance s'échangea entre eux, et les
méditations politiques du prince furent accueillies dans les colonnes du Progrès
du Pas-de-Calais. Il publia dans cette feuille de nombreux articles
démocratiques et socialistes qui furent ensuite rassemblés dans une petite
brochure intitulée : Extinction du paupérisme. M. Degeorge se persuadait que
le prince Louis était entièrement converti aux idées démocratiques, et lorsque,
parmi ses amis républicains, on lui faisait soit des reproches, soit des
plaisanteries sur ses relations avec le prétendant vaincu, il affirmait que
le prétendant avait disparu pour faire place à un véritable démocrate[106]. — Avec M.
Peauger, l'entente fut d'autant plus facile que le journaliste était de ceux
qui ne séparaient pas le nom de Napoléon de la cause républicaine et qui
regardaient comme une faute de les avoir désunis[107]. La popularité
d'un nom pareil étant incontestable, il fallait, selon lui, s'en faire un auxiliaire et se servir habilement de
l'action puissante qu'il exerçait sur les masses... Dans la lutte
qu'on soutenait depuis dix ans contre la monarchie de Juillet, il semblait à
M. Peauger que l'on faisait une trop large part à des abstractions
difficilement appréciables pour le peuple ; il pensait qu'on le mettrait bien
mieux en mouvement en invoquant une grande tradition ; il voyait beaucoup
plus de chances à une insurrection accompagnée de glorieux souvenirs. Que
cette conviction fût juste ou erronée, elle était, chez M. Peauger, sincère
et profonde. Il se rendit donc au château de Ham sans autre mission que celle de sa conscience, fut introduit
auprès du prince et lui développa les idées que nous venons d'exposer. Le drapeau de la monarchie, lui dit-il en
terminant, a encore du prestige ; il faut lui
opposer un prestige plus grand. Que le nom de Bonaparte soit le drapeau de la
république, mais rien qu'un drapeau. Si vous vouliez être davantage, ne
comptez pas sur moi[108]. Louis-Napoléon
promit tout ce qu'on voulut. Une correspondance s'établit entre les deux
hommes. Convaincu, dit le prince dans l'une
de ses lettres (mars 1844), que le gouvernement actuel fait le malheur de la France en
ce sens que la corruption et la lâcheté mettent une nation bien plus près de
sa ruine que la tyrannie, je me suis résolu à tout entreprendre pour le
renverser, bien décidé à laisser ensuite le peuple entier choisir la forme de
gouvernement qui lui conviendrait le mieux... Si, cependant, mes concitoyens
croyaient que mon nom est un drapeau utile à opposer à l'Europe féodale, je
serais heureux et fier de représenter le plus grand peuple du monde et de
faire tous mes efforts pour achever sa prospérité. Mais ce sont des rêves
bien éloignés de nous ! Le gouvernement triomphe par la division de ses
ennemis et tant que cette division subsistera, il pourra impunément se,jouer
des grands intérêts de la patrie[109]. Il trouvait
ainsi moyen de maintenir quand même ses droits. M. Peauger maintenait les siens également et, quand ses
amis politiques l'engageaient à se méfier du prince, il répondait sans émoi :
Il sera temps de se retirer de lui lorsqu'il
oubliera ses promesses[110]. Il n'y avait
pas de dupe ; on se servait l'un de l'autre, en demeurant chacun sur ses
gardes. L'entente fut pourtant grande à un moment, car elle établissait les
bases d'un journal parisien ; mais le journal n'aboutit point. Louis-Napoléon
prévoyait à ce sujet les objections de son allié momentané et estimait le
premier qu'un journal franchement napoléonien ne réussirait pas. Il faut, disait-il, présenter
un couteau par le manche, non par la lame[111]. À son avis, le
mieux était de fonder un journal d'extrême-gauche
qui allie aux idées démocratiques les idées de l'Empire[112]. C'était
toujours la théorie des Idées napoléoniennes, et que contribuait à
servir, sans s'en rendre bien compte, le journaliste républicain. À vrai dire, le captif de Ham ne négligeait aucune
occasion de renouveler les assurances qui pouvaient entretenir cette croyance[113]. De nombreuses
lettres l'attestent. Dans l'une d'elles, le prince dément qu'il se soit
rapproché de Thiers[114] : La lettre que vous avez écrite à M***, et qu'il m'a
communiquée, m'a bien étonné. Je ne comprends pas ce qui a pu donner lieu aux
suppositions que vous faites. Je n'ai aucune espèce de confiance dans M.
Thiers ; personne, à ce que je sache, n'a tâché de me faire dévier de la
route que je me suis tracée et, d'ailleurs, mes convictions sont arrêtées, et
ni l'intérêt du moment, ni l'ambition ne peuvent me faire dire ce que je ne
pense pas. Depuis deux ans, mes opinions, mes convictions, mes désirs vous
sont connus. Qui donc a pu, tout à coup, éveiller en vous des doutes que rien
ne justifie ? J'avoue que je suis très peiné ; car cela me prouve que les
actions les plus loyales n'échappent pas à la médisance. Enfant de la
Révolution, héritier de l'homme qui ne me semble grand que parce que je crois
qu'il a tout fait pour le triomphe de la Révolution, je ne connais d'autres
principes que la souveraineté du peuple, d'autre but que de s'efforcer à
organiser la démocratie et à améliorer le sort des classes pauvres, tout en
relevant notre drapeau vis-à-vis de l'étranger[115]... — D'autres
pourparlers politiques eurent lieu avec M. Joly stipulant
au nom du journal la Réforme ; mais, quoique, les relations parussent
à un certain moment très actives, elles n'eurent pas de suite[116]. Du fond de sa prison, Louis-Napoléon poursuivait donc sa route. Il réagissait contre la tristesse entretenue à certaines heures par les gros murs de Ham. Il y a en moi deux êtres, disait-il, l'homme politique et l'homme privé ; l'homme politique est et restera inébranlable ; mais l'homme privé est bien malheureux. Abandonné de tout le monde, de ses anciens amis, de sa famille, de son père même, il se laisse aller souvent à ses souvenirs, à ses regrets[117]. Il avoue la douleur ressentie à n'éveiller toujours dans son père que du mécontentement : Quand tout le monde, excepté peut-être les soldats qui me gardent, me montre de l'indifférence, vous, vous venez guérir une de mes profondes blessures en nie ramenant l'affection de mon fibre... Mon père, malheureusement, ne m'a pas jugé comme vous ; souvent il a prêté à mes actions le mobile le plus sordide et j'avoue que c'est ce qui m'a le plus froissé de sa part... Moi, agir par intérêt ! Mon Dieu, aujourd'hui que j'ai dépensé presque toute ma fortune pour soutenir dans le malheur les hommes dont j'ai compromis l'existence, je donnerais tout mon héritage pour une caresse de mon père. Qu'il donne à Pierre ou à Paul toute sa fortune, peu m'importe ! Je travaillerai pour vivre, — mais qu'il nie rende son affection ! Je ne m'en suis jamais rendu indigne et j'ai besoin d'affection. ll y a beaucoup d'hommes qui 'vivent très bien avec le cœur vide et l'estomac plein ; pour moi, il faut que j'aie le cœur plein, peu m'importe l'estomac[118]. Et, revenant dans une autre lettre sur la dureté paternelle : J'avoue que je ne conçois pas sa conduite à mon égard ; qu'ai-je donc fait pour mériter son mépris et son indifférence ?... J'ai perdu ma fortune, mes amis ; toutes celles que j'ai aimées se sont données à d'autres et je reste seul ici, sans d'autres soutiens qu'une espérance vague et incertaine... Vous me donnez bien peu de détails de mon père. Lui parlez-vous de moi ? Pourquoi donc m'en veut-il ? Je ne conçois rien à ses procédés[119]. Le 2 novembre 1845 : Je me laisse aller au hasard, sans savoir où j'aborderai[120]. L'année suivante, il est plus décidé ; il écrit en janvier à Mme Cornu : On m'a indignement trompé, je ne sortirai de Ham que pour aller aux Tuileries ou au cimetière[121]. Se plaignant à Odilon Barrot de son installation, il ajoute : Cependant, je voudrais être encore plus mal si cela pouvait inspirer quelque sympathie à mes compatriotes et servir au triomphe de ma cause que je crois être celle des intérêts populaires[122]. Et ailleurs : Dieu fasse que, quelle que soit ma destinée, je ne quitte plus la France, et qu'on me laisse comme à chacun ma trente-deux millionième partie d'air natal qui m'appartient comme enfant de Paris[123]. Une lettre à M. Vieillard achève de montrer le travail incessant, l'énergie, l'intelligence et la ténacité dont il fit preuve : ... Votre lettre m'a fait de la peine. Elle m'a prouvé ce que, hélas ! je ne sais que trop, c'est que dans toutes les démarches que je croirai utiles et nécessaires, je ne puis compter que sur moi seul et que même les amitiés aussi solides que la vôtre me feraient défaut alors qu'il s'agirait d'exécuter un projet qui vient de moi. On m'a déjà donné le nom d'entêté, mais je vous déclare que cela est complètement faux. J'écoute tous les avis et, après les avoir pesés dans mes balances — chacun à ses propres mesures —, je me décide. Et, s'il n'en était pas ainsi, que serais-je donc devenu, moi qui n'avais devant moi aucun chemin tracé ? Mes amis, au lieu de recevoir l'impulsion de moi, qui eût été unique, voulaient tous me la donner, et, si j'y avais consenti, j'aurais été tous les jours tiré par deux forces contraires, et il ne me serait pas resté un seul lambeau de moi-même. C'est cette nécessité de choisir et de m'arrêter à un choix qui m'a fait le caractère. Maintenant vous me dites que je veux faire avancer ma cause par des effets puérils. Eh ! mon Dieu ! le succès dépend d'un nombre d'infiniment petits qui, à la fin seulement, parviennent à faire corps et à compter pour quelque chose. Si vous voyiez un homme abandonné, seul dans une île déserte, vous lui diriez : Ne tâchez pas de former avec des troncs d'arbres un esquif que la tempête fera sombrer, attendez que le hasard amène près de vous un navire libérateur. Moi, je lui dirais : Employez tous vos efforts à vous créer des instruments avec lesquels vous parviendrez à vous construire un navire. Cette occupation soutiendra votre moral et vous aurez toujours un but devant les yeux. Elle développera vos facultés par les objets que vous aurez à vaincre ; elle prouvera, si vous réussissez, que vous êtes au-dessus de la destinée. Lorsque votre navire sera terminé, jetez-vous-y hardiment. Si vous parvenez à toucher le continent, vous ne devrez votre succès qu'à vous-même. Si vous succombez, eh bien vous aurez trouvé une fin meilleure que si vous vous étiez laissé dévorer par les animaux sauvages ou par l'ennemi. Non, il n'y a rien de puéril dans les efforts, quelque faibles qu'ils soient, quand ils partent tous du même mobile et qu'ils vont tous au même but. — J'ai écrit en 1832 une brochure sur la Suisse pour gagner d'abord dans l'opinion de ceux avec lesquels j'étais obligé de vivre. Ensuite, je nie suis appliqué, pendant près de trois ans, à un ouvrage d'artillerie que je sentais être au-dessus de mes forces, afin d'acquérir par là quelques cœurs dans Farinée et de prouver que si je ne commandais pas, j'avais du moins les connaissances requises pour commander. J'arrivai par ce moyen à Strasbourg-. Depuis, je fis publier la brochure Laity, non seulement pour me défendre, mais pour donner au gouvernement un prétexte de me renvoyer de Suisse. Cela ne manqua pas et l'hostilité du gouvernement me rendit mon indépendance morale que j'avais pour ainsi dire perdue par une mise en liberté forcée. Londres, je publiai, contre l'avis de tous, les Idées napoléoniennes afin de formuler les idées politiques du parti et de prouver que je n'étais pas seulement un hussard aventureux[124]. Par les journaux, je tentai de préparer les esprits à l'événement de Boulogne. Mais ce n'était pas l'affaire des rédacteurs. Ils voulaient vivre de la polémique et voilà tout ; moi je voulais m'en servir. Ici, j'échouai déjà mais je n'en savais rien. Boulogne fut une catastrophe épouvantable pour moi, mais enfin je m'en relève par cet intérêt qui s'attache toujours au malheur et par cette élasticité inhérente à toutes les causes nationales qui, bien que comprimées souvent par les événements, reprennent avec le temps leur première position. Mais enfin que reste-t-il de tous ces enchaînements de petits faits et de petites peines ? Une chose immense pour moi : En 1833, l'empereur et son fils étaient morts. Il n'y avait plus d'héritiers de la cause impériale. La France n'en connaissait plus aucun. Quelques Bonaparte paraissaient, il est vrai, çà et là sur l'arrière-scène du monde, comme des corps sans vie, momies pétrifiées ou fantômes impondérables ; mais, pour le peuple, la lignée était rompue ; tous les Bonaparte étaient morts. Eh bien, j'ai rattaché le fil ; je me suis ressuscité moi-même, avec mes propres forces, et je suis aujourd'hui à vingt lieues de Paris une épée de Damoclès pour le gouvernement. Enfin, j'ai fait mon canot avec de véritables écorces d'arbre, j'ai construit mes voiles, j'ai élevé mes rames et je ne demande plus aux dieux qu'un vent qui me conduise... En résumé, savez-vous la différence qu'il y a entre vous et moi dans l'appréciation de certaines choses ? C'est que vous procédez avec méthode et calcul. Moi, j'ai la foi, cette foi qui vous fait tout supporter avec résignation, qui vous fait fouler aux pieds les joies domestiques, l'envie de tant de monde, cette foi qui seule est capable de remuer les montagnes. J'admets sans peine qu'il y a à Paris des écrivains plus habiles que moi, mais demandez à Bastide, à Louis Blanc, à George Sand, à tous, enfin, s'ils ont jamais en développant leurs idées politiques touché assez leurs lecteurs pour leur arracher des larmes. Je suis sûr que cela n'a jamais eu lieu, tandis que j'ai vu et eu mille exemples que mes écrits ont produit ce résultat. Et pourquoi ? C'est que la cause napoléonienne va à l'âme, elle émeut, elle réveille des souvenirs palpitants, et c'est toujours par le rouir qu'on remue les masses, jamais par la froide raison[125]. — L'étude de ses nouveaux ouvrages achèvera de le faire connaitre et d'indiquer les étapes progressives par lesquelles il sut parvenir. Aucun prétendant, peut-être n'apprit son métier lui-inique et n'y persévéra autant que celui-ci. Et l'on doit se demander si la difficulté d'agir comme il le lit n'est pas plus grande dans une époque calme où il faut, coûte que coûte et continuellement, susciter tout soi-même que dans un âge tourmenté où l'action, se trouvant déjà dans l'air et chez autrui, nous emporte avec elle et nécessite fatalement la nôtre, en y aidant dès qu'elle est entreprise. * * *Ses articles avaient frappé beaucoup de monde[126]. Les démocrates, même en ne le croyant pas, étaient flattés de le compter parmi les leurs ; Souplet, malgré ses principes, éprouvait non moins de fierté à l'avoir pour confrère ; les lecteurs du journal appréciaient cette prose impériale ; les uns et les autres nourrissaient à son égard d'autant plus de sympathie qu'ils retrouvaient sous la plume napoléonienne, mais claires et bien exprimées, les idées vagues dont ils se faisaient les soldats et grâce auxquelles ils étaient plus ou moins persuadés de se valoir un avenir meilleur. En réunissant ensuite ses articles en brochures à bon marché, le prétendant dépassait la première zone qu'il s'était conquise et pénétrai' dans le pays. N'aurait-il eu d'admirateurs qu'à la Villette et au faubourg Saint-Antoine, comme l’a prétendu Jules Simon, c'était déjà quelque chose. Le dédain du sénateur républicain est significatif chef un partisan de l'égalité. L'extinction du paupérisme[127] porta surtout, il est vrai, auprès des classes pauvres, mais dans de très nombreuses villes, et les humbles n'oublièrent pas toujours celui qui les avait été chercher ; ils le prouvèrent en 1848. Pour comprendre ce petit ouvrage, il faut encore se
reporter à l'époque. A un moment où toute hi France était indignée de la
faiblesse gouvernementale vis-à-vis de l'étranger, il était propice d'écrire
: Les causes qui paralysent nos exportations hors de
France touchent de trop près à la politique pouf que nous voulions en parler
ici. Qu'il nous suffise de dire que la quantité de marchandise qu'un pays
exporte est toujours en raison directe du nombre de boulets qu'il peut
envoyer à ses ennemis quand son honneur et sa dignité le commandent. A
un moment où tous se plaignaient des impositions, il était non moins adroit
d'établir : La France est un des pays les plus
imposés de l'Europe. Elle serait peut-être le pays le plus riche si la
fortune publique était répartie de la manière la plus équitable. Le
prélèvement de l'impôt peut se comparer à l'action du soleil qui absorbe les
vapeurs de la terre pour les répartir ensuite à l'état de pluie sur tous les
lieux qui ont besoin d'eau pour être fécondés et pour produire. Lorsque cette
restitution s'opère régulièrement, la fertilité s'ensuit ; mais lorsque le
ciel, dans sa colère, déverse partiellement en orages, en trombes et en
tempêtes les vapeurs absorbées, les germes de production sont détruits, et il
en résulte la stérilité, car il donne aux uns beaucoup trop et aux autres pas
assez. Cependant, quelle qu'ait été l'action bienfaisante ou malfaisante de
l'atmosphère, c'est presque toujours au bout de l'année la même quantité
d'eau qui a été prise et rendue. La répartition seule fait donc la
différence. Équitable et régulière, elle crée l'abondance ; prodigue et
partiale, elle amène la disette. Il en est de même des effets d'une bonne
administration si les sommes prélevées chaque année sur la généralité des
habitants sont employées à des usages improductifs, comme à créer des places
inutiles, à élever des monuments stériles, à entretenir au milieu d'une paix
profonde une armée plus dispendieuse que celle qui vainquit à Austerlitz ;
l'impôt, dans ce cas, devient un fardeau écrasant ; il épuise le pays, il
prend sans rendre ; mais si, au contraire, ces ressources sont employées à
créer de nombreux éléments de production, à rétablir l'équilibre des
richesses, à détruire la misère en activant et en organisant le travail, à
guérir enfin les maux que notre civilisation entraine avec elle, alors
certainement l'impôt devient, pour les citoyens, comme l'a dit un jour un
ministre à la tribune, le meilleur des placements. C'est donc dans le budget
qu'il faut trouver le premier point d'appui de tout système qui a pour but le
soulagement de la classe ouvrière. Le chercher ailleurs est une chimère.
C'est déjà du socialisme ; ce qui suit en est davantage : Qu'y a-t-il donc à faire ? Le voici. Notre loi égalitaire
de la division des propriétés ruine l'agriculture, il faut remédier à cet
inconvénient par une association qui, employant tous les bras inoccupés,
recrée la grande propriété et la grande culture sans aucun désavantage pour
nos principes politiques. L'industrie appelle tous les jours des hommes dans
les villes et les énerve. Il faut rappeler dans les campagnes ceux qui sont
de trop dans les villes et retremper en plein air leur esprit et leurs corps[128]. — La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre
propriétaire. Elle n'a de richesse que ses bras, il faut donner à ces bras un
emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d'Ilotes au milieu d'un
peuple de Sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher
ses intérêts à sein du sol. Enfin, elle est sans organisation et sans liens,
sans droits et sans avenir, il faut lui donner des droits et un avenir et la
relever à ses propres yeux par l'association, l'éducation, la discipline.
Et Louis-Napoléon propose de faire exploiter les terres incultes de France
parles ouvriers sans travail, grâce à des colonies agricoles. Dans son plan,
l'État fournirait les avances nécessaires. D'après
nos estimations, ce sacrifice s'élèverait à une somme d'environ 300 millions
payés en quatre ans ; car, à la fin de ce laps de temps, ces colonies, tout en
faisant vivre un grand nombre d'ouvriers, seraient déjà en bénéfice. Au bout de
dix ans, le gouvernement pourrait y prélever un impôt foncier d'environ huit
millions sans compter l'augmentation continuelle des impôts indirects dont
les recettes augmenteraient toujours en raison de la consommation qui
s'accroit elle-même avec l'aisance générale. Cette avance de 300 millions ne
serait donc pas un sacrifice, mais un magnifique placement. Il profite
de ce tableau futur pour attaquer celui que préférait cacher Louis-Philippe ;
puis, le mal du régime en cours une fois de plus mis en lumière, il revient à
ses aperçus : Les masses sans organisation ne sont
rien ; disciplinées, elles sont tout. Sans organisation, elles ne peuvent ni
parler, ni se faire comprendre ; elles ne peuvent même ni écouter, ni
recevoir une impulsion commune. D'un côté, la voix de vingt millions d'hommes
éparpillés sur un vaste territoire se perd sans échos, et, de l'autre, il n'y
a pas de paroles assez fortes et assez persuasives pour aller d'un point
central porter dans vingt millions de consciences, sans intermédiaires
reconnus, les doctrines toujours sévères du pouvoir. — Aujourd'hui, le règne
des castes est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses ; il faut donc
les organiser pour qu'elles puissent formuler leurs volontés et les
discipliner pour qu'elles puissent être dirigées et éclairées sur leurs
propres intérêts. Gouverner, ce n'est plus dominer les peuples par la force
et la violence ; c'est les conduire vers un meilleur avenir en faisant appel
à leur raison et à leur cœur. Il ne veut personne entre lui et le
peuple ; il s'adresse au peuple directement. Il lui parle comme à un ami Il a
agi, il a écrit, il s'est expliqué déjà ; — il recommence. Il possède une
entente admirable de son temps et de ce qu'il faut y faire. Car ce ne sont ni
le hasard, ni les circonstances, ni les dévouements qui, seuls, l'ont fait
triompher, mais sa volonté de mieux en mieux avertie, la force de sa foi, —
et l'élasticité si commode du principe qu'il représentait. Le hasard aide
celui qui s'est déjà servi lui-même ; les circonstances profitent quelquefois
en présentant un état de choses plus ou moins favorable, mais même
merveilleuses, ne font que préparer les armes de la réussite il faut encore
les découvrir et les aiguiser pour les rendre
utiles ; quant aux amis, quand ils existent, ils ne sont presque jamais
sincères avec suite et ne servent qu'avec une secrète rancune celui qu'ils
ont été forcés de reconnaître supérieur ; ils ne continuent d'être fidèles
que si l'intérêt les y pousse ou bien, lorsque le malheur est survenu, par
suite de la vengeance qu'ils éprouvent à obliger à leur tour celui qui avait
su se faire leur maître. Plus on étudie cette brochure, plus on admire son à-propos
et sa divination ; la plupart des revendications actuelles s'y trouvent
formulées. Le prince souhaite des intermédiaires entre les ouvriers et les
patrons, quelque chose de bien supérieur aux fameux syndicats contemporains, une classe intermédiaire, jouissant de droits légalement
reconnus et élue par la totalité des ouvriers. Cette classe intermédiaire
serait le corps des prud'hommes. Nous voudrions qu'annuellement tous les
prolétaires ou travailleurs s'assemblassent dans les communes pour procéder à
l'élection de leurs représentants ou prud'hommes, à raison d'un prud'homme
par dix ouvriers... Ces prud'hommes rempliraient dans la classe ouvrière le
même rôle que les officiers remplissent dans l'armée. Si tout cela se
réalise, l'association, dans la pensée de l'auteur, après avoir affermé la
terre et payé aux propriétaires le revenu tiré des terrains incultes,
rachèterait le sol au fur et à mesure afin de devenir seule propriétaire ; de
la sorte, dans chaque département et d'abord là où
les terres incultes sont en plus grand nombre, s'élèvent des colonies
agricoles offrant du pain, de l'instruction, de la religion, du travail à
tous ceux qui en manquent, et Dieu sait si le nombre en est grand en France !
Ces institutions charitables au milieu d'un monde égoïste livré à la féodalité
de l'argent, doivent produire le même effet bienfaisant que ces monastères
qui vinrent au moyen lige planter au milieu des forêts, des gens de guerre et
des serfs, des germes de lumière, de paix et de civilisation[129]. La réalité
efficace de tout cela n'est pas à discuter ici ; les meilleurs esprits du
temps parlaient de la sorte, et il fallait imiter leur langage pour se faire
entendre, car il y a, dans la cacophonie politique du XIXe siècle, certains
motifs dont il est bon de s'emparer ; l'intéressant est de retrouver
l'utopiste en cette occasion, Louis-Napoléon pensant la plus grande part de
ce qu'il écrit, et peut-être le tout. Il distingue au loin la réalité de son
rêve - il le voit avec une netteté rare et sous un côté rigoureux que le
peuple se chargerait, vite de rendre impraticable : Une
discipline sévère régnera dans ces colonies ; la vie y sera salutaire, mais
rude, car leur but n'est pas de nourrir des fainéants, mais d'ennoblir
l'homme par un travail sain et rémunérateur et par une éducation morale. Les
ouvriers et les familles occupés dans ces colonies y seront entretenus le
plus simplement possible. Le logement, la solde, la nourriture, l'habillement
seront réglés d'après le tarif de l'armée, car l'organisation militaire est
la seule qui soit basée à la fois sur le bien-être de tous ses membres et sur
la plus stricte économie. Cependant, ces établissements n'auraient rien de
militaire, ils emprunteraient à l'armée son ordre admirable, voilà tout.
L'armée est une organisation, la classe ouvrière formerait une association.
Les deux corps auraient donc un principe et un but différents. L'armée est
une organisation qui, devant exécuter aveuglément et avec promptitude l'ordre
du chef, doit avoir pour base une hiérarchie qui parte d'en haut. La classe des
travailleurs formant une association dont les chefs n'auraient d'autres
devoirs que de régulariser et exécuter la volonté générale, sa hiérarchie
doit être le produit de l'élection. Ce que nous proposons n'a donc aucun
rapport avec les colonies militaires. Après avoir longuement expliqué
son système et les résultats qu'il lui paraît susceptible de donner, il
termine ainsi : La pauvreté ne sera plus séditieuse
lorsque l'opulence ne sera plus oppressive les oppositions disparaîtront et
les prétentions surannées qu'on attribue à tort ou à raison à quelques hommes
s'évanouiront comme les folles brises qui rident la surface des eaux sous
l'équateur et s'évanouissent en présence du veut réel qui vient renfler les
voiles et faire marcher le navire. C'est une grande et sainte mission, bien
digne d'exciter l'ambition des hommes, que celle qui consiste à apaiser les
haines ; à guérir les blessures, à calmer les souffrances de l'humanité en
réunissant les citoyens du même pays dans un intérêt commun et en accélérant
un avenir que la civilisation doit amener tôt ou tard... Aujourd'hui, le but
de tout gouvernement habile doit être de tendre par ses efforts à cc que l'on
puisse dire bientôt : le triomphe du christianisme a détruit l'esclavage ; le
triomphe de la Révolution française a détruit le servage ; le triomphe des
idées démocratiques a détruit le paupérisme. Le prince atteignit si
bien où il voulait qu'un imprimeur, M. Castille, lui transmit une lettre de
ses ouvriers qui le remerciaient d'avoir pensé à eux. Louis-Napoléon ne
manqua pas de leur répondre. — Comme par le passé, il n'abandonne aucune
occasion de se rappeler au souvenir de la France ; du fond de sa prison de
Ham comme de sa retraite d'Arenenberg, il se tient au courant de tout. C'est
ainsi que Lamartine ayant maltraité l'empereur dans une lettre publique, il
proteste et rappelle sa théorie la plus chère : Ce
fut Napoléon qui, arrêtant les passions, fit triompher partout en Europe les
vérités de la Révolution française... Napoléon eut ses torts et ses passions,
mais ce qui le distinguera éternellement des autres souverains aux yeux des
masses, c'est qu'il fut le roi du peuple, tandis que les autres furent les
rois des nobles et des privilégiés. Dans cette lettre, un passage vaut
encore d'être cité ; il démontre ce que nous avons dit au sujet de la leçon
romaine ; il prouve que dans une époque d'idéalisme fantaisiste, malgré tout
ce qui en avait déteint sur sa pensée, le prince savait réagir : Il est pénible de voir un homme de génie comme M.
Lamartine méconnaître de si grandes vérités et maltraiter aussi injustement
une époque immortelle. Mais comment s'en étonner lorsqu'on se souvient qu'il
y a un an le député de Mâcon, dans un discours à ses commettants, se plut à
nier l'action de Rome sur la civilisation du monde, et attribua à Carthage
une influence qu'elle n'eut jamais ? Le poète qui oublie que nous autres,
peuples de l'Occident, nous devons tout à Rome, tout jusqu'à notre langue à
laquelle lui-même prête un nouveau lustre, ce poète, dis-je, peut oublier la
gloire civile, l'influence civilisatrice de l'empereur ; car les traces du
génie de Rome, comme les traces du génie de Napoléon, sont gravées en
caractères ineffaçables sur notre sol comme dans nos lois[130]. Encore une fois, le plus significatif dans les efforts de
Louis-Napoléon, c'est leur régularité. Mis sous verrous en 1839, dès 1841, il
donnait ses Fragments historiques[131]. Puis, chaque
année, ce fut un nouveau travail. Il publiait une brochure sur le mode de
recrutement dans l'armée et, après des études sur les capsules des fusils à
piston, écrivait à M. Vieillard qu'il en avait découvert un nouveau modèle ;
en même temps, il continuait ses recherches pour son ouvrage sur le passé et l'avenir
de l'artillerie. Nous avons déjà vu que ces Fragments historiques eux-mêmes
venaient après un premier plan d'essai sur Charlemagne. — Dans son livre, il
réfutait Guizot, qui voulait assimiler la révolution de 1830 à celle de 1688
en Angleterre, et dressait un nouvel acte d'accusation contre le gouvernement
de Juillet. Le sujet était bien choisi pour lui fournir matière à diatribes[132]. En se servant
du libraire, il avertissait le lecteur au seuil du volume : Les fragments historiques que nous livrons aujourd'hui aux
méditations de la France sont tout à la fois l'œuvre de l'historien
consciencieux et de l'homme d'État ; le prince Napoléon, en mettant en regard
1688 et 1830, renverse les idées prêchées par l'école doctrinaire ; pour lui,
ces deux grandes convulsions sociales sont divergentes dans leurs causes
comme dans leurs résultats. — Pour l'Angleterre, 1688 fut le commencement
d'une ère de prospérités et de grandeurs. Pour la France, 1830 est le
commencement d'une ère de sacrifices et de commotions dont nul ne peut
prévoir le terme. Une lettre suivait, citée par morceaux, où ceci
s'efforçait de porter : La raison qui m'engage à
livrer à l'impression
ces réflexions historiques est le désir de prouver que je ne suis pas tel que
mes ennemis ont voulu me dépeindre : un de ces débris des dynasties déchues qui n'ont conservé de leur ancien rang que de ridicules
prétentions et que les événements ont vieilli sans instruire. Faible rejeton
de ce chêne immense qu'on a abattu sans pouvoir en extirper du sol français
les puissantes racines, ma seule force est dans l'estime de mes concitoyens,
et ma seule consolation dans la pensée de m'en être toujours rendu digne.
Et, par une préface, il disait encore : Je n'ignore
pas que le silence convient au malheur ; il est inutile au vaincu de refaire
à la fortune le procès qu'il a subi de la part des hommes ; cependant,
lorsque les vainqueurs ont abusé de leur victoire au point de s'en venger
comme d'une défaite, appelant à leur aide la calomnie et le mensonge, ces
armes de la faiblesse et de la peur, la résistance devient un devoir, et se taire
serait lâcheté. Loin de moi l'idée de recommencer une polémique où les
passions luttent toujours avec plus de succès que la raison ; il me suffit,
pour venger mon honneur, de prouver que si je nie suis embarqué
audacieusement sur une mer orageuse, ce n'est pas sans avoir d'avance médité
profondément sur les causes et les effets des révolutions, sur les écueils de
la réussite comme sur les gouffres du naufrage. En lisant le volume,
on achève d'être persuadé que la pensée de cet historien pamphlétaire ne s'arrête
pas seulement à l'époque et au pays dont il parle. Un
gouvernement, dit-il, peut souvent violer
impunément la légalité et même la liberté, mais, s'il ne se met pas
franchement à la tête des grands intérêts de la civilisation, il n'a qu'une
durée éphémère. Il (Charles II) crut qu'en remplaçant les idées d'honneur et de gloire
par le développement des intérêts matériels, en détruisant la foi par
l'astuce et les consciences par la corruption, il sortirait d'un dédale de
passions politiques. Quant à la nation, peu lui importait qu'elle se
perdît... Les gouvernements qui ne sont ni assez populaires pour gouverner
par l'union des citoyens, ni assez forts pour les maintenir dans une
oppression commune, ne peuvent se soutenir qu'en alimentant la discorde entre
les partis... Elle est triste l'histoire d'un règne qui ne se signale que par
les procs politiques et des traités honteux et qui ne laisse après lui au
peuple qu'un germe de révolution et aux rois qu'un exemple déshonorant. Il
n'y a jamais eu chez les peuples libres de gouvernements assez forts pour
réprimer longtemps la liberté à l'intérieur sans donner de la gloire au
dehors... On ne viole pas impunément la logique populaire. Maintenir la paix
en réveillant des symboles de guerre, charger le peuple d'impôts pour faire
assister les flottes et l'armée à des traités honteux ; tendre journellement
tous les ressorts du pouvoir sans même garantir le repos public, voilà les
inconséquences dont le peuple, tôt ou tard, devait leur demander compte ? Les
Stuarts ne cherchaient jamais par l'application de quel grand principe, par
l'adoption de quel grand système ils pouvaient assurer la prospérité et la
prépondérance de leur pays, mais par quels expédients mesquins, par quelles
intrigues cachées ils pouvaient soutenir leur pouvoir toujours dans
l'embarras. L'histoire d'Angleterre dit hautement aux rois : Marchez à la
tête des idées de votre siècle, ces idées vous suivent et vous soutiennent ;
marchez à leur suite, elles vous entraînent ; marchez contre elles, elles vous
renversent. On a compris que les Stuarts signifiaient les
d'Orléans. Ceci l'établit mieux encore : En 1685, le
trône d'Angleterre était occupé par un roi simple de mœurs, exempt de de
vices et doué de qualités privées recommandables à son avènement : on se
souvenait que, jeune encore, il s'était battu avec courage pendant les
troubles civils et que, exilé avec sa famille pendant la République et le
Protectorat, il avait été élevé à l'école du malheur. Il s'annonçait comme
l'homme le plus capable de faire le bonheur du peuple qu'il .était appelé à
gouverner. Il en fut cependant tout autrement. Il appelait le progrès une
utopie, la gloire une chimère, l'honneur un préjugé, la misère des pauvres
une malheureuse nécessité. A l'intérieur, ce n'était qu'arbitraire et
corruption ; à l'extérieur ce n'était que faiblesse et lâcheté. Le roi avait
beau se vanter d'être entouré d'hommes qui avaient servi tour à tour la
République, Cromwell et Charles II, ces hommes ne représentaient aucun parti,
aucun intérêt, car les transfuges n'emportent jamais leur drapeau[133]. Ce roi simple
de mœurs n'est autre que Louis-Philippe. Quelques pages sur la Question des sucres, qui occupait alors l'opinion, succédèrent aux Fragments historiques en précédant l'Extinction du paupérisme. Louis-Napoléon continuait de montrer qu'il n'était pas seulement un prétendant. mais un homme au courant des problèmes en cours et capable de leur donner une solution heureuse. Il profitait de son travail pour traiter une partie de la question économique française, et se montrait nettement protectionniste. Le premier intérêt d'un pays ne consiste pas dans le bon marché des objets manufacturés, mais dans l'alimentation du travail. Protéger le consommateur aux dépens du travail intérieur, c'est, en général, favoriser la classe aisée au détriment de la classe indigente, car la production, c'est la vie du pauvre, le pain de l'ouvrier, la richesse du pays. L'intérêt du consommateur, au contraire, oblige le fabricant à devenir oppresseur. Pour dominer la concurrence et livrer ses produits au plus bas prix possible, il faut qu'il maintienne des milliers d'individus dans la misère, qu'il réduise journellement les salaires, qu'il emploie de préférence les femmes et les enfants et laisse sans occupation l'homme valide qui ne sait que faire de sa force et de sa jeunesse. L'Angleterre a réalisé le rêve de certains économistes modernes ; elle surpasse toutes les autres nations dans le bon marché, de ses produits manufacturés. Mais cet avantage, si c'en est un, n'a été obtenu qu'au préjudice de la classe ouvrière. Le vil prix de la marchandise dépend du vil prix du travail et le vil prix du travail, c'est la misère du peuple. Si, en France, les partisans de la liberté commerciale osaient mettre en pratique leurs funestes théories, la France perdrait en richesse une valeur d'au moins deux milliards ; deux millions d'ouvriers resteraient sans travail et notre commerce serait privé du bénéfice qu'il tire de l'immense quantité de matières premières qui sont importées pour alimenter nos manufactures. Une nation est coupable de mettre à la merci des autres son approvisionnement des denrées de première nécessité. Pouvoir, d'un jour à l'autre, être privé de pain, de sucre et de fer, c'est livrer sa destinée à un décret étranger, c'est une sorte de suicide anticipé qu'on a voulu prévenir en accordant une protection spéciale aux grains et au fer français. Mais la brochure était principalement rédigée pour affirmer une fois de plus la démocratie de la cause napoléonienne et enregistrer ce cri qui devait être le nouveau mot d'ordre jusqu'à la présidence : Je suis citoyen avant d'être Bonaparte. Ce curieux esprit s'intéresse à tout, par exemple au percement de l'isthme qui rejoint les deux Amériques. Il rêve de réunir l'océan Pacifique à l'océan Atlantique par le Nicaragua, et le ministre plénipotentiaire du Guatemala, M. Castellan, vint lui offrir de diriger l'entreprise qui devait faire aboutir ce plan gigantesque[134]. — Il ne semble pas qu'il ait été donné suite alors à cette idée. Enfin, il continue sa collaboration aux journaux du Nord[135]. Il procure au monde, étonné un peu, — choqué aussi, sans doute, — ce spectacle assez neuf d'un prince qui se fait son propre avocat, explique lui-même ses raisons, défend ses droits et revendique sa place dans les feuilles départementales à côté des habitants. Il est donc bien de son temps et profite des moyens qu'il procure. Sa foi en son étoile achève de s'affirmer profonde, indestructible. Ce n'est pas celle de Napoléon Ier, c'est la sienne propre ; elle est moins forte et surtout moins précise due celle de son oncle, mais elle existe, puissante aussi à sa manière, et nourrit une flamine peu commune ; si elle paraît plus réservée, la faute en revient beaucoup aux circonstances ; celles-ci l'ont condamnée à brûler dans une lanterne aux verres épais, presque opaques, et à ne projeter tout. son rayon que de loin en loin. Croire en soi-même est un ridicule dans le jugement du monde qui ne pardonne rien, à moins d'une consécration indéniable et générale, de ce qui dépasse tant soit peu sa nullité solennelle, et ce ridicule atteint les proportions les plus grandes si le téméraire qui a laissé déjà percer sa force avoue encore par ses actes qu'il ne saurait consentir à se croiser les bras. Or, le prince avait eu le courage de braver sans forfanterie comme sans exagération l'adversaire innombrable et anonyme ; mais il demeurait trop fin pour en ignorer tout à fait les multiples flèches et, à ce point de vue, Ham le garantissait. La citadelle, en l'isolant davantage, le laissait tout à lui-même, le faisait plus solide, le délivrait de ces derniers scrupules dont certaines fréquentations, même alors qu'on les a quittées, garrottent encore. Il a pesé maintenant à leur juste valeur les suffrages inutiles ; il est sûr de l'incapacité prétentieuse qui caractérise quelques classes, aussi bien en fait de pensée qu'en fait d'action. Il ne s'adresse plus qu'à l'ensemble du peuple français sur lequel son oncle avait édifié le meilleur et le plus sûr de son empire. Il se mêle à lui, s'y confie, se revendique son enfant et son serviteur. En octobre 1843, il redit dans le Phare du Loiret : Je n'ai jamais cru, je ne croirai jamais que la France soit l'apanage d'un homme ou d'une famille ; je n'ai jamais revendiqué d'autres droits que ceux du citoyen français et je n'aurai jamais d'autre désir que celui de voir le peuple entier réuni dans ses comices, choisir en toute liberté la forme du gouvernement qui lui convient. Issu d'une famille qui doit son élévation à la volonté nationale, je mentirais à mon origine et jusqu'au bon sens si je ne reconnaissais la souveraineté du peuple comme la hase de tout l'organisme politique. Et il développe dans une série d'articles sa doctrine, qui est bien la théorie plébiscitaire : J'ai réclamé, il est vrai, une première place, mais sur la brèche ; j'avais une grande ambition, mais elle était hautement avouable, l'ambition de réunir autour de mon nom plébéien tous les partisans de la souveraineté nationale, tous ceux qui voulaient la gloire et la liberté. Il donne une critique très juste du régime parlementaire : Pour apprendre l'art de gouverner, qui est sans contredit le plus difficile de tous, on n'exige aucun apprentissage... Il suffit d'appartenir à la nuance politique qui constitue la majorité de la Chambre pour être sensé tout savoir, pour être réputé capable de remplir tous les ministères ; c'est là un grand vice de notre organisation constitutionnelle, l'opinion politique de l'homme est tout la valeur intrinsèque, ses connaissances spéciales ne sont rien. Ainsi, nous voyons un avocat à la tête des travaux publics, un industriel régler les intérêts de l'agriculture... Puis, au premier coup de sifflet que pousseront les Chambres, la décoration change, les rôles sont intervertis, le ministre du commerce passe à l'intérieur, le ministre de la guerre aux ;d'aires étrangères et ainsi de suite. Il résulte de cette anarchie que les bureaux seuls décident les questions. importantes... Le gouvernement constitutionnel eût été, suivant nous, bien mieux établi si le ministère, composé des spécialités les plus éminentes du pays, eût eu à sa tête un seul chef responsable devant les Chambres... Si les Chambres eussent blâmé la politique dirigeante, le président eût cédé la place à un autre, mais son renvoi n'eut pas eu l'effet désastreux des changements actuels des ministères... Le ministère représente des intérêts immuables et une influence passagère ; les intérêts immuables doivent être représentés par des hommes immuables ; l'influente passagère, au contraire, doit obéir à la manifestation légale des désirs du pays... En un mot, la politique doit avoir son orateur, mais les affaires doivent avoir leurs ministres. Le prince nous force à reconnaître que l'idée napoléonienne a une valeur spéciale dans un pays démocratique, Le gouvernement parlementaire, si favorable à la Grande-Bretagne, ne répond pas aux besoins, aux sentiments ni aux mœurs de la France. La Restauration et la monarchie de Juillet l'ont prouvé. On peut admettre à la rigueur, sur le papier, le principe du Parlement, étant donné les intentions d'apparence excellentes et douces qui plaident en sa faveur, mais on ne peut s'empêcher de le reconnaître faux et pernicieux en constatant les résultats qu'il donne. Un ministère exclusivement recruté dans les Chambres est un passe-droit, une duperie, et la course au portefeuille qu'il établit fait nécessairement passer des questions privées, par conséquent secondaires, avant les intérêts vitaux de la nation. Enfin, si pareil état de choses s'admet dans un pays d'aristocratie agissante, il ne se conçoit pas chez un peuple qui se prétend républicain. Il n'y a d'ailleurs plus en France qu'une seule aristocratie réelle, celle de l'argent, et en dépendre est pire que d'être soumis à une aristocratie guerrière ; car le sol natal et ceux qui en sont les enfants deviennent, entre ses mains un simple champ d'exploitation, un moyen de fortune — ou de faillite, — parfois un terrain d'expériences. — alors qu'ils doivent être avant tout et sont la patrie, la base du reste et sa raison première. De toutes les élites, la plus injuste, la plus néfaste, la plus implacable est celle dont l'unique raison de supériorité repose sur le capital, parce qu'une valeur de ce genre, si féconde dans des mains intelligentes, demeure stérile quand elle est au pouvoir d'une médiocrité et ne tend, en ce cas, qu'à s'accroitre sans but au lieu d'utiliser sa puissance dans quelque œuvre créatrice. Au sujet du clergé, les réflexions du captif sont pleines d'un équitable bon sens : Permettre aux prêtres d'élever sans contrôle des écoles, c'est leur permettre d'enseigner au peuple la haine de la révolution et de la liberté... Leur retirer leur salaire, c'est les laisser retomber de tout leur poids sur le peuple, c'est les forcer à exiger de nouveau la dime pour leur entretien, à faire trafic des choses saintes et à laisser le pauvre sans cette assistance religieuse qui le console de sa misère. Oter au clergé la rétribution de l'État, c'est exclure le pauvre de l'Église. On n'a pas le droit, a dit l'empereur Napoléon, de priver le pauvre de ce qui le console de sa pauvreté. Toutes les cérémonies du culte doivent être gratuites pour le peuple. Pour faire disparaître les ferments de discorde qui vont aujourd'hui en augmentant, il faut deux choses : que l'Université cesse d'être athée et que le clergé cesse d'être ultramontain. De l'union des prêtres et des laïques réagira une double action également favorable à la société. Les prêtres deviendront citoyens, et les citoyens deviendront plus religieux. Alors, mais alors seulement, nous serons heureux de voir, comme en Allemagne, les ministres de la religion à la tête de l'éducation, enseignant à la jeunesse la morale du Christ, morale sublime qui détruisit l'esclavage, apprit aux hommes qu'ils étaient égaux et que Dieu leur avait mis au fond du cœur une foi et un amour pour croire au bien et pour s'aimer[136]. Il préconise une suite de réformes à introduire dans l'armée et fait preuve, à ce sujet, d'une divination véritable.. II engage la France à prendre modèle sur la Prusse qui a préparé son organisation militaire depuis Iéna sans un moment de défaillance. Cette étude mériterait d'être tirée tout entière de l'oubli. L'homme qui l'écrivit était évidemment un grand prince[137]. Il faisait aussi, sur ce point spécial, son procès à la monarchie orléaniste, et il était justifié. Il faut citer le plus possible de ce document en quatre articles parus au Guetteur sous le titre général : Projets de loi sur le recrutement de l’armée : Un des reproches les plus graves qu'on puisse adresser au gouvernement, reproche qui, tous les jours, devrait, si nous avions une opposition vraiment nationale, retentir à ses oreilles, c'est de n'avoir pas profité des douze dernières années de paix pour organiser militairement le pays de façon que la France n'ait jamais à craindre une invasion. Depuis 1830, les budgets de la guerre se sont élevés au chiffre immense de plus de trois milliards et demi, et, lorsqu'en 1810, des bruits de guerre vinrent effrayer les hommes du pouvoir, ils avouèrent hautement à la tribune que la France n'était point prête ; il fallait un an pour se préparer, car il manquait à l'infanterie des cadres, à la cavalerie des chevaux, à l'artillerie et aux places fortes du matériel, à toute l'armée enfin une réserve. Ce qui veut dire que depuis douze ans nous avons dépensé plus de trois milliards pour n'avoir ni approvisionnements suffisants, ni bonne organisation militaire. Le prince montrait justement que c'est l'organisation seule qui résiste dans les revers et sauve la patrie : Cette maxime est pour nous de la plus haute importance, elle devrait être gravée dans tous les esprits. Notre rôle politique, notre isolement, notre position comme peuple nous font un devoir d'organiser nos forces, non pour aller de nouveau conquérir le monde, mais pour nous mettre à jamais à l'abri de toute invasion. Il rappelait l'exemple de la Prusse, premier pays militaire, vivant trop sur sa gloire passée, anéantie brusquement par les armées de la République, puis, profitant de telle sorte de ses revers qu'elle présentait maintenant une organisation formidable. Nous, nous avions agi de même sur le premier point, mais, quant au second, sans nous préparer. Le terrible exemple de Waterloo, enseignait-il, ne nous a pas profité. Nous sommes sans défense. Et il désignait comme problème à résoudre celui-ci : Pour résister à une coalition, il faut à la France une armée immense composée d'hommes exercés ; de plus, il faut que cette armée puisse encore se reformer avec des hommes exercés dans le cas d'un premier revers. Démontrant les côtés défectueux de notre organisation, il étudiait celle de la Prusse et exprimait l'envie qu'elle lui faisait éprouver : Un des généraux qui contribuèrent le plus à l'organisation militaire de la Prusse émit un jour cette pensée : que dans un État bien organisé on ne devait pas savoir où commence le soldat et où finit le citoyen. Ces paroles dépeignent la philosophie d'un système qui sera infailliblement adopté par toutes les puissances du continent, parce qu'il répond aux nouvelles exigences des peuples de l'Europe. Il expliquait que la Prusse pouvait passer instantanément du pied de paix au pied de guerre, au lieu que la France mettrait un temps infini avant d'y parvenir ; après une première défaite, elle n'était pas capable de continuer le combat. Si le gouvernement est jaloux, disait-il, de satisfaire les grands intérêts de la patrie, il s'efforcera de réduire les charges du pays en diminuant le nombre des troupes permanentes et en augmentant considérablement les troupes de réserves ; il établira dans chaque grande division territoriale un arsenal pour armer les populations en cas d'invasion, au lieu de laisser tous les approvisionnements et les dépôts d'armes dans les places des frontières. Il organisera l'armée de façon qu'elle puisse passer en peu de temps et sans encombre du pied de paix au pied de guerre. Pour n'être cependant pas accusé de militarisme, il disait, — reprenant un passage de ses Idées napoléoniennes : Si la guerre est souvent une nécessité lorsqu'on a une grande cause à défendre, c'est au contraire un crime de la faire par caprice sans avoir un grand résultat pour but, un immense avantage pour raison. La France vous demandera compte, ne fussent-ils qu'en petit nombre, des hommes morts glorieusement, mais sans nécessité, dans toutes vos expéditions stériles ; car si l'humanité permet qu'on hasarde la vie de millions d'hommes sur les champs de bataille pour défendre sa nationalité et son indépendance, elle flétrit et condamne ces guerres immorales qui font tuer des hommes dans le seul but d'influencer l'opinion publique et de soutenir par quelque expédient un pouvoir toujours dans l'embarras. Ainsi, Louis-Napoléon s'était adressé à toutes les classes françaises par ses travaux. L'Extinction du paupérisme et la Question des sucres lui valaient les sympathies populaires et républicaines ; les Fragments historiques, l'attention des classes lettrées, sa brochure sur le recrutement, celle de l'élément militaire, certains de ses articles, la bienveillance du clergé. Pour ce dernier point, une autre pièce de lui, intitulée Credo, aide à nous faire comprendre un côté de son caractère : Je crois en Dieu... rien n'est fait de soi-même. Lorsque je vois un temple, je pense à l'ouvrier qui l'a bâti ; lorsque j'admire les surprenants phénomènes de l'univers, je baisse le front devant la volonté souveraine qui a fait la nature et ordonné le monde... Je crois en Jésus-Christ qui a revêtu notre enveloppe mortelle afin de nous faire comprendre, en s'abaissant jusqu'à nous. la morale divine et, d'un coup, éleva notre espèce de cent coudées, en faisant passer dans notre âme la foi, la charité, l'espérance, ces dons du ciel... Il est né de la Vierge Marie, prenant ainsi pour origine la seule vertu qui fût restée au genre humain, l'innocence du pauvre... Il a été crucifié. Il fallait qu'il fût crucifié pour nous apprendre à pardonner à nos ennemis connue il pardonnait lui-même à ses bourreaux. Il mourut... Avec lui, tout n'avait pas disparu. Sur la terre, restait une image vénérée, un principe divin... Il transforma le monde et l'on vit le droit remplacer la force, l'amour remplacer la haine, l'égalité remplacer l'oppression. — Cet acte de foi, vers la fin, s'adressait plus spécialement au peuple. * * *Cependant, en 1840, l'empereur était venu reposer dans sa capitale. Nous avons vu que la décision prise par le roi à ce sujet avait été, de sa part, un acte politique. Son ministre, M. de Rémusat, dans l'exposé des raisons qu'il avait indiquées pour motiver cette façon d'agir. reconnut la gloire impériale et parla ainsi de son héros : Il fut empereur et roi, il fut le souverain légitime de notre pays ; à ce titre, il pourrait être inhumé à Saint-Denis ; mais il ne faut pas à Napoléon la sépulture ordinaire des rois[138]. Le prince étant venu revendiquer de nouveau sa couronne sur ces entrefaites, Metternich écrivit à M. Apponyi : Que dire du titre d'empereur légitime que M. de Rémusat a si généreusement départi à Napoléon Ier ? Si M. de Rémusat a eu raison, il est clair que Louis Bonaparte n'a pas eu tort[139]. Mais, nous l'avons constaté, on admettait l'oncle, on niait le neveu. Toute l'Assemblée avait applaudi au discours du ministre. Ce nom de Napoléon retentissant dans l'enceinte de la Chambre et salué si magnifiquement par le gouvernement lui-même, ce retour annoncé des restes vénérés de l'ancien homme de guerre, aussi grand et plus imposant peut-être dans la majesté de la mort que sous la pourpre impériale, auréolé d'une gloire invulnérable, réveillèrent les enthousiasmes passés et firent courir sur tous les bancs un indicible frémissement. L'émotion fut si intense que la séance fut longtemps interrompue à la suite des acclamations qui accompagnèrent M. de Rémusat descendant de la tribune. Au dehors, la population ne fut pas moins remuée, ni moins enthousiaste[140]. Une partie du pays, néanmoins, se rendait compte que cette séance parlementaire était une comédie. Le National, toujours vigilant, jetait le premier coup de cloche : Quels sont les hommes qui osent aujourd'hui parler de cette réparation due au passé ? Les mêmes qui ont cédé sans honte et sur tous les points devant l'Europe. Ne croyez pas imposer au pays en cherchant à vous abriter derrière une ombre menaçante. Le pays ne sera pas dupe d'un tel charlatanisme... Ainsi, voilà la portée politique de cet événement : à l'intérieur, flatter un sentiment national pour faire oublier dix ans de bassesses ; au dehors, resserrer les liens de la contre-révolution en l'amnistiant de tout le passé. La Gazette de France rappelait qu'en 1810 Louis-Philippe avait appelé Napoléon le tyran[141]. En réalité, la décision gouvernementale était un événement considérable : elle consacrait la légitimité bonapartiste. Et le Capitole, plus ou moins au courant des projets exacts du prince, mais certain qu'il n'abandonnerait pas ses espérances, pouvait écrire : La reconnaissance nationale envers Napoléon est aujourd'hui plus qu'un sentiment, elle est devenue une passion enthousiaste qui remue à la fois tout ce qu’il y a de grandeur et de noblesse dans l'âme humaine. Les imaginations' s'interrogent et se répondent, et toutes reconnaissent que quelque chose de mystérieux nous attend... Le temps nous garde de grands secrets. La Chambre avait senti le danger. Elle craignait de faire le jeu de Louis-Napoléon. Lamartine avoua son inquiétude : Les ministres nous assurent que le trône ne se rapetissera pas devant un pareil tombeau ; que ces ovations, que ces cortèges, que ces couronnements posthumes de ce qu'ils appellent une légitimité, que ce grand mouvement donné par l'impulsion même du gouvernement au sentiment des masses, que cet ébranlement des imaginations du peuple, que ces spectacles prolongés et attendrissants, ces récits, ces publications populaires, ces éditions à cinq cent mille exemplaires des Idées napoléoniennes[142], ces billets d'indemnité donnés au despotisme heureux, ces adorations du succès, tout cela n'a aucun danger pour l'avenir de la monarchie représentative. J'ai peur que cette énigme n'ait un jour son mot. Je ne suis pas sans inquiétude sur cette divinisation d'un homme... Sur sa tombe, il faudrait graver ces trois mots : A Napoléon seul, afin qu'ils indiquent à la France et à l'Europe, au monde, que si cette généreuse nation sait honorer ses grands hommes, elle sait les séparer même de leur race et de ceux qui les menaceraient en leur nom, et qu'en élevant ce monument..., elle ne veut susciter de cette cendre ni la guerre, ni des prétendants, ni même des imitateurs. — L'Assemblée vota un million pour le tombeau impérial. Le 6 juin, le fidèle compagnon de Sainte-Hélène vint présenter à Louis-Philippe les armes de Napoléon qui comprenaient l'épée d'Austerlitz, deux paires de pistolets, une épée en forme de glaive, un sabre ayant appartenu à Jean Sobieski, un poignard donné par le pape au grand maître de Malte[143]. — Le prince avait immédiatement fait répondre par le Capitole et adressa personnellement aux journaux la lettre suivante pour insister sur la réclamation qu'avait déjà faite son oncle Joseph : Londres, juin 1810. Je m'associe du fond de mon âme à la protestation de mon oncle Joseph. Le général Bertrand, en remettant les armes du chef de ma famille au roi Louis-Philippe a été la victime d'une déplorable illusion. L'épée d'Austerlitz ne doit pas être dans des mains ennemies, il faut qu'elle puisse être encore brandie au jour du danger pour la gloire de la France. Qu'on nous prive de notre patrie, qu'on retienne nos biens, qu'on ne se montre généreux qu'envers les morts, nous savons souffrir sans nous plaindre, tant que notre honneur n'est pas attaqué ; mais priver les héritiers de l'empereur du seul héritage que le sort leur ait laissé ; mais donner à un heureux de Waterloo les armes du vaincu, c'est trahir les devoirs les plus sacrés, c'est forcer les opprimés d'aller dire un jour aux oppresseurs : Rendez-nous ce que vous avez usurpé. Deux mois après, l'auteur de la lettre venait essayer cette revendication à Boulogne. Le prince de Joinville, pendant qu'on épiloguait à Paris en discutant les chances d'une lutte avec l'Angleterre, poursuivait la mission pacifique où l'on avait voulu voir un gage de concorde entre les deux pays. Le 8 octobre au matin, après soixante-dix jours de navigation, la frégate la Belle Poule, suivie de la corvette la Favorite, fut en vue de James-Town, capitale de l’ile[144]. Et l'on choisit le 15, vingt-cinquième anniversaire de l'arrivée de l'empereur à Sainte-Hélène, pour la translation. La veille, les cercueils venus de France sur la Belle Poule, le char funèbre, construit dans l’ile par ordre du gouvernement, et les divers objets nécessaires aux opérations furent successivement dirigés vers la vallée du Tombeau. A dix heures du soir, les personnes désignées pour assister du côté de la France à l'exhumation, descendirent à terre et se dirigèrent vers le lieu de la sépulture. Le prince de Joinville s'abstint de les accompagner. Toutes les opérations jusqu'à l'arrivée du cercueil impérial au lieu de l'embarquement devant être conduites par des soldats étrangers, il jugea qu'en sa qualité de commandant supérieur de l'expédition, il ne devait pas assister à des travaux qu'il ne pourrait point diriger[145]. Ces travaux commencèrent à minuit et demi[146] et furent activement poussés jusqu'à neuf heures et demie du matin[147]. La terre avait été retirée et la grande dalle qui recouvrait la fosse soulevée. Puis la cérémonie religieuse eut lieu. Les soldats présentèrent les armes : l'Empereur allait apparaître[148]. Le docteur Guillard. chirurgien-major de la Belle Poule,
descendit dans le caveau au fond duquel le cercueil s'allongeait sur une
large dalle, assise elle-même sur des montants de pierre. Napoléon avait été
enfermé dans une quadruple armature. La caisse extérieure en acajou, à peine
altérée, était fermée par de longues vis qu'il fallut couper pour enlever le
couvercle[149].
La caisse en plomb qui suivait, close de toutes parts, en contenait une autre
d'acajou ; elles étaient toutes deux intactes. Enfin ce fut le dernier
cercueil en fer-blanc dont le couvercle était soudé sur les parois qui se
repliaient en dedans. Il avait été doublé à l'intérieur d'une garniture de
satin blanc ouaté qui, détachée par l'effet du temps, était retombée sur le
corps et l'enveloppait comme un linceul. Guillard souleva cette neige
d'outre-tombe par une extrémité et, la roulant sur elle-même, mit à découvert
Napoléon. Bien que la mort eût conquis l'empereur depuis dix-neuf ans, ses
anciens compagnons, Bertrand, Gourgaud, et Las-Cases le retrouvaient tout
entier. Le crâne et le front qui adhéraient fortement au satin en étaient un
peu enduits ainsi que le bas de la figure, les orteils et les mains.
Celles-ci demeuraient belles et la main gauche, que le grand maréchal avait
prise pour la baiser une dernière fois au moment où l'on fermait la bière,
était restée légèrement soulevée. La tête, un peu élevée, reposait sur un
coussin ; le crâne volumineux, le front haut et large se présentaient
couverts de téguments jaunâtres, durs et très adhérents. Tel paraissait aussi le contour des orbites dont le bord
supérieur était garni de sourcils. Sous les paupières, se dessinaient les
globes oculaires qui avaient perdu peu de chose de leur volume et de leur
forme... Les os propres du nez et les téguments qui les couvrent étaient bien
conservés, les lobes et les ailes, seuls, avaient souffert. Les joues étaient
bouffies[150]. La barbe ayant
poussé un peu après la mort, donnait au menton une teinte bleuâtre. Quant au menton lui-même, il n'offrait point
d'altération... Les lèvres amincies étaient écartées ; trois dents incisives,
extrêmement blanches, se voyaient sous la lèvre supérieure qui était un peu
relevée à gauche[151]. Les membres paraissaient
avoir conservé leur forme sous les vêtements qui avaient gardé leurs
couleurs. Ainsi on reconnaissait parfaitement
l'uniforme de chasseur à cheval de la vieille garde au vert foncé de l'habit,
au rouge vif des parements ; le grand cordon de la Légion d'honneur se
dessinant sur le gilet, et la culotte blanche cachée en partie par le petit
chapeau qui reposait sur les cuisses. Les épaulettes. la plaque et les deux
décorations attachées sur la poitrine n'avaient plus leur brillant, elles
étaient noircies. La couronne d'or de la croix d'officier de la Légion
d'honneur seule avait conservé son éclat[152]. Les bottes
avaient joué dans le bout et quatre orteils de chaque pied, d'un blanc mat,
apparaissaient. Entre les jambes, il y avait deux vases d'argent dont l'un,
surmonté d'une aigle, était exactement contre les genoux. Ils contenaient les
entrailles et le cœur de Napoléon[153]. Ils ne furent
pas ouverts. Comme il existait des adhérences assez
fortes entre ces vases et les parties voisines qui les couvraient un peu, M.
le commissaire du roi n'a pas cru devoir les déplacer pour les examiner de
plus près[154]. L'empereur,
laissé dans trois de ses premiers cercueils, — le premier, celui d'acajou,
remplacé par un cercueil en plomb séparé du précédent par de la sciure et des
coins de bois, — fut glissé dans un cinquième cercueil l'ébène et enfin dans
un dernier, de chêne, destiné à protéger le précédent[155]. Il fut déposé
sur un char à quatre chevaux recouvert d'un grand manteau impérial dont
Bertrand, Gourgaud, Las-Cases et son valet de chambre Marchand tinrent les
quatre coins[156]
; et le cortège se mit en marche. Au bout de deux heures, il atteignit
l'extrémité du quai ou le prince de Joinville qui attendait avec son
état-major, s'avançant seul au-devant du char, reçut solennellement les
restes glorieux. Le général Middlemore avait été chargé de les lui remettre.
Une chaloupe d'honneur les transporta jusqu'à la frégate. — Du moment du
départ à l'arrivée sur le quai, les canons des forts et de la Belle Poule
tirèrent de minute en minute[157]. Dès que la
chaloupe eut quitté le quai, la terre lança le grand salut de vingt et un
coups de canon qu'appuyèrent nos bâtiments. Quand la chaloupe atteignit la Belle Poule, tous les hommes d'équipage la reçurent
debout sur le pont et les vergues, le chapeau à la main[158]. — Le cercueil
fut placé sur les panneaux du gaillard d'arrière et le lendemain, après une messe dite à dix heures du matin, descendu
dans l'entrepont où l'on avait préparé une chapelle ardente[159]. En ce moment, les bâtiments tirèrent une dernière salve de
toute leur artillerie ; puis la frégate serra ses pavois en ne conservant que
le pavillon de poupe et le drapeau royal au grand mât[160]. La Belle
Poule mit à la voile le dimanche 18[161]. Il y a de singulières destinées qui se poursuivent, par
une sorte de trajectoire mystérieuse, au delà de la tombe. On put croire un
instant à bord de. la frégate que l'empereur mort allait avoir à protéger une
nouvelle lutte contre l'Angleterre. Dans les profondeurs de l'Atlantique,
l'escadre fit rencontre d'un vaisseau marchand de la patrie qui lui apprit
que la guerre entre la France et la Grande-Bretagne allait éclater d'un
moment à l'autre, de telle sorte qu'il faudrait défendre les dépouilles héroïques
à peine arrachées à l'exil[162]. En ce cas,
dans tin combat forcément inégal, Napoléon risquait d'avoir pour tombeau
suprême l'Océan, comme si la terre européenne, inquiète, se refusait à le
garder, même glacé, dans son sein. Le
prince de Joinville était formellement décidé, d'accord avec tout son équipage,
à ne pas livrer les cendres et à s'ensevelir avec elles dans les flots[163]. Le vague même des renseignements, les incertitudes de
l'éloignement attachaient à ces communications quelque chose de solennel qui
donnait aux courages un élan plein de ferveur. Toutes les dispositions furent
prises pour un combat à outrance, et tous s'apprêtaient à donner à la lutte
un caractère digne de l'auguste mission qui leur était confiée. Mais les
faiblesses du gouvernement devaient rendre inutiles ces généreuses ardeurs et
l'humiliation de la France devant une nouvelle coalition allait permettre aux
cendres de Napoléon de regagner paisiblement les rives de la Seine'[164]. La Belle Poule
fit rencontre d'un autre bâtiment, l'Egmont, goélette hollandaise,
dont un officier annonça, entre autres nouvelles, la condamnation du prince
Louis[165]. Il fallut six semaines à la petite escadre pour atteindre Cherbourg. Le 8 décembre, le cercueil quitta la Belle Poule pour le bateau à vapeur la Normandie qui arriva le 10 à Rouen. Sur tout le bord de la Seine, les populations empressées saluaient le convoi de leurs cris d'enthousiasme, accourant de plusieurs lieues à la ronde, la garde nationale sous les armes, les maires et les corps municipaux, les paysans et les ouvriers, tous en habits de fète, répandus en groupes nombreux, depuis le rivage jusque sur les collines les plus éloignées. Tous saluaient la gloire de la France, tous par les hommages rendus au grand adversaire de l'Angleterre, semblaient protester contre les abaissements et les contrastes du jour[166]. Le 15, Napoléon rentra à Paris. Il était placé sur un char funèbre haut de cinquante pieds[167]. — Ce char comprenait un socle énorme, de vingt-cinq pieds quant à lui, présentant la forme d'un carré long avec, sur le devant, une plate-forme semi-circulaire où un groupe de génies supportait la couronne de Charlemagne ; aux quatre angles, en bas-reliefs, quatre génies soutenaient d'une main des guirlandes et, de l'autre, soufflaient dans des trompettes ; au-dessus, des faisceaux étaient dressés avec, nu milieu des aigles, l'N fatidique. Du socle, montait le, piédestal, haut de sept pieds, long de dix-huit, tendu d'étoffe or et violet au chiffre et aux armes impériales. Des deux côtés, s'éployaient deux manteaux de velours semés d'abeilles ; derrière, flottaient des drapeaux. Sur ce piédestal, quatorze cariatides, un peu plus grandes que nature, soutenaient de la tête et des mains un immense bouclier tout d'or, en ovale allongé, chargé de javelines. Ce bouclier supportait le sarcophage, de forme antique. On voyait au milieu sur mi coussin, le sceptre, la main de justice et la couronne[168]. Le cortège se mit en marche à dix heures du matin, au
premier coup de canon[169]. Le froid était
terrible. Depuis longtemps on n'avait subi pareil hiver[170]. Malgré cette
température, la solennité fut extraordinaire[171], non pas tant
par toutes les pompes officielles qui s'y trouvaient réunies, et qui étaient
considérables ; que par l'affluence du peuple. Un véritable océan heurtait
ses flots en mugissant au passage du cercueil. Toutes
les paroles que peuvent imaginer l'admiration passionnée, l'enivrement des
souvenirs, la poésie des traditions, sortaient de ces rangs amoncelés. Il s'y
racontait des merveilles étranges, des légendes fantastiques ; chacun
apportait son hymne à l'apothéose et les diverses scènes de l'histoire du
grand homme, retracées par des poètes improvisés avec toutes les hyperboles
de l'enthousiasme, formaient dans la bouche populaire une gigantesque Iliade.
Jamais de si innombrables multitudes ne s'étaient pressées dans les flancs de
la capitale ; de cinquante lieues à la ronde, les villes, les villages, les
bourgades avaient versé sur la Seine toute leur population, hommes, femmes,
enfants et vieillards, tous entassés pendant de longues heures sous un froid
de dix degrés, plusieurs ayant passé la nuit dans les avenues sous les carrés
des Champs Élysées pour jeter un coup d'œil passager sur le char qui portait
leur divinité. Et quand le char se montrait, comme si les yeux eussent percé
les enveloppes et découvert à l'intérieur du cercueil, les sanglots
éclataient mêlés à des cris d'amour, et l'âme de tout un peuple se confondait
en un seul sentiment d'inexprimable ivresse. Tous les triomphes réunis de
Napoléon vainqueur à la tête de ses armées n'auraient pu rien offrir de
comparable à cet immense triomphe de la mort[172]. Le char était
entouré par les cinq cents marins de la Belle Poule auxquels on avait
donné le poste d'honneur. Ils portaient la hache d'abordage sur l'épaule et
ne s'écartèrent qu'aux Invalides, sous le porche de la grande cour[173]. Ils
descendirent alors le cercueil du char et le déposèrent devant l'archevêque
de Paris. Le canon retentit, la garde nationale
présenta les armes, le prince de Joinville, l'épée à la main, s'avança en tête
du convoi ; tous les assistants debout, la tête découverte, fixaient des yeux
avides vers ce cercueil où reposait tant de gloire, et de grandeur. Plusieurs
des invalides qui formaient la haie sur le passage du corps s'étaient
agenouillés malgré la consigne ; d'autres essuyaient des larmes roulant sur
leur paupière. Au même moment, le roi, quittant la place qu'il occupait dans
le dôme, s'avança, suivi des princes ses fils, jusqu'à l'entrée de la nef où
le cercueil venait de s'arrêter. Sire, dit le prince de Joinville en
baissant son épée jusqu'à terre, je vous présente le corps de l'empereur
Napoléon. Le roi répondit d'une voix forte : Je le reçois au nom de la
France[174]. — Paris,
pendant quelques heures, s'était élevé à la hauteur de l'ancienne Rome. Et durant cette extraordinaire cérémonie, le descendant du
César demeurait oublié de presque tout le peuple. Seule, la garnison du fort
était prête à le laisser fuir, en lui présentant même, peut-être, les armes.
Mais il jugeait devoir rester encore ; il ne sentait pas l'heure venue et, ne
pensant pas pouvoir conquérir aux obsèques le rang qui lui revenait de droit,
il estimait être à sa place en prison. Son courage demeurait entier. Alors
que pas une voix ne le nomma, pas un cœur n'y songea
et que personne ne s'avisa de signaler le contraste entre l'apothéose et la
captivité[175], il persévérait
dans la revendication de sa cause. Le peuple la supposait morte, — parce
qu'elle n'était plus et qu'il la croyait impossible de nouveau, — mais il
saurait bien l'admettre vivante dans l'avenir, en quelque sorte malgré lui,
parce qu'il y a toujours manière de parvenir à son but pour celui qui a fait
de cc but la loi même de sa vie. Louis-Napoléon, le In décembre, enfermé dans
les murs de Ham, eut comme toujours, mais plus encore peut-être que par le passé,
le sentiment de sa réussite future ; il eut aussi l'impression d'avoir
accompli son devoir. Il se reconnaissait le droit de parler au dieu nouveau
que la France venait de glorifier définitivement ; et l'invocation qu'il
écrivit frappa plus les masses, cette fois, que ne l'ont avoué les historiens
contemporains. Le roi et tous les hommes politiques
l'accueillirent par un haussement d'épaules en disant : C'est un fou ! Le
peuple la salua d'une larme en disant : C'est bien l'héritier de l'empereur[176]. Voici la
prière du prisonnier : Sire, vous revenez dans votre
capitale et le peuple en foule salue votre retour... Le peuple se presse
comme autrefois sur votre passage, il vous salue de ses acclamations comme si
vous étiez vivant ; mais les grands du jour, tout en vous rendant hommage,
disent tout bas : Dieu ! ne l'éveillez pas... — Voyez cette jeune armée, ce
sont les fils de vos braves, ils vous vénèrent, car vous êtes la gloire, mais
on leur dit : Croisez vos bras ! — Ces hommes que vous avez faits si grands
et qui étaient si petits ont renié votre évangile, vos idées, votre gloire,
votre sang ; quand je leur ai parlé de votre cause, ils m'ont dit : nous ne
la comprenons pas. — Laissez-les dire, laissez-les faire ; qu'importe au char
qui monte les grains de sable qui se jettent sous les roues ! Ils ont beau dire
que vous êtes un météore qui ne laisse pas de traces ! Ils ont beau nier
votre gloire civile, ils ne vous déshériteront pas. Sire, le 15 décembre est
un grand jour pour la France et pour moi. Du milieu de votre somptueux
cortège, vous avez un instant jeté vos regards sur ma sombre demeure, et,
vous souvenant des caresses que vous prodiguiez à mon enfance, vous m'avez
dit : Tu souffres pour moi, ami, je suis content de toi. L'année
suivante, il terminait ainsi sa préface des Fragments historiques : Pendant qu'à Paris on déifie les restes mortels de
l'empereur, moi, son neveu, je suis enterré vivant dans une étroite prison ; mais
je me ris de l'inconséquence des hommes et les humiliations qu'on m'inflige, comme
les mauvais traitements dont je suis l'objet, flétrissent leurs auteurs bien
plus qu'ils ne me touchent. Soutenu par une foi ardente et une conscience
pure, je m’enveloppe dans mon malheur avec résignation et je me console du
présent en voyant l'avenir de mes ennemis écrit en caractères ineffaçables
dans l'histoire de tous les peuples. Ainsi, loin de se perdre,
Louis-Napoléon s'est augmenté. Ce prince, rayé de l'avenir politique par les
gens inattentifs, amateurs du seul présent, attend l'occasion nouvelle.
Malgré ce qu'on sait de l'opinion française et des mensonges avec lesquels
une bande de médiocres admissible, à la rigueur, dans la plus saugrenue des
républiques sud-américaines, l'a gavée tyranniquement depuis 1870, ou
n'arrive pas à concevoir comment la légende de Louis-Napoléon, absurde et
pusillanime, a pu durer si longtemps. Celui qui va sortir de la citadelle
hamoise est quelqu'un. Quand j'examine ce visage à l'aspect impénétrable, resté très jeune malgré trente-huit ans sonnés, quand j'interroge cet ovale doux sur lequel vont se modeler les figures une fois qu'il sera devenu le maitre, il me semble y voir, à cette date, une implacable ténacité teintée déjà de tristesse, et surtout, à côté d'un réel bon sens, une pensée perpétuelle, repliée sur elle-même pour mieux se dérouler loin et d'autant plus infinie qu'elle est le seul élan auquel ce taciturne s'abandonne. Pour le moment, ce qui le sauve ; ce qui l'empêche de s'égarer, c'est la précision de son but, l'unité de celui-ci, la nécessité absolue qui lui enjoint d'y parvenir avant de permettre quoi que ce soit d'autre. Plus tard, sa toute-puissance jointe à la force du pays ne le faisant dépendre que de cette pensée seule, il deviendra le métaphysicien de la politique ; aujourd'hui, il est le modèle-type de qui prétend à un trône au XIXe siècle et sait y parvenir. — En cette année 1846, il n'a rien fait qui ne lui ait servi. Ses défaites mêmes l'ont grandi, ont achevé, du moins, sa préparation. Toujours, il a su se servir de l'occasion, qu'elle ait été favorable ou non, qu'il l'ait fait naître ou qu'il la dût au hasard. Il semble bien qu'il y ait en lui l'étoffe d'un homme d'État ; à coup sûr, if' y a celle d'un prétendant. Certains, en France, ne l'oubliaient pas autant que l'espérait le pouvoir. Peu à peu, il avait réussi, nous avons vu par quels procédés, à ramener vers lui l'attention publique. Les célébrités du temps ne dédaignaient pas d'entrer en communication avec le captif... Louis Bonaparte en était venu à occuper une place dans les pensées politiques. Même parmi les hommes de l'opposition dynastique, il s'attachait à son nom certaine curiosité et souvent la curiosité est voisine d'autres sentiments[177]. Les témoignages de bienveillance étaient discrets, avouant par leur retenue une peur de se compromettre excessive, mais ils n'en subsistaient pas moins ; ils achevaient de prouver le mécontentement presque général envers la monarchie. Un exemple de cette sympathie hésitante est fourni par M. Abatucci, député républicain qui envoya au prince, par un message verbal[178], l'expression de ses hommages dévoués, puis se montra fort embarrassé lorsque le captif lui eut fait dire qu'il serait heureux de le voir, et, non seulement ne se rendit pas à Ham, mais encore ne s'excusa par aucune lettre. M. Odilon Barrot fut un peu plus téméraire. Se trouvant dans le voisinage, en visite chez M. Beaumont (de la Somme), il se rendit à Ham sous prétexte de voir le château. Après avoir promené ses méditations autour des murailles et mesuré du regard les plans de l'édifice, il demanda la permission de visiter la Tour du Connétable. Ce bâtiment, ainsi nommé en souvenir du connétable de Saint-Pol, s'élève à une hauteur considérable, domine tout le pays d'alentour et commande le château ; au pied même de la tour se trouvait la partie des remparts réservée au prince Louis pour sa promenade habituelle. M. Odilon Barrot monte au sommet de la tour : ses regards, d'abord errants sur les beautés du paysage, s'abaissent lentement vers le rempart ; le prince, dûment averti, s'y trouvait déjà levant les yeux vers le ciel et M. Barrot. Un salut mutuel fut solennellement échangé et le chef de l'opposition dynastique descendit de son excursion aérienne[179]. En dehors de ses brochures, il faisait agir, autant qu'il
le pouvait, sur l'opinion publique. En 1842, paraissait un livre concernant
le château de Ham qui sous couleur d'érudition, d'ailleurs légère, était
écrit en réalité pour son épigraphe et ses dernières pages[180]. L'épigraphe,
de Chateaubriand, avait mission d'attirer les âmes généreuses : C'est un noble parti, quand on aime la gloire, que de
s'attacher au malheur. Les dernières pages contenaient l'histoire du
prétendant et, après l'avoir déclaré un brave jeune
homme, un penseur, publiciste et représentant
d'un principe, ou bien encore une rare et
attractive individualité, s'achevaient sur un coup de clairon
annonciateur : Ce vaillant prince qui, dans la
captivité, dans la privation volontaire qu'il s'est imposée des plus beaux
dons de Dieu, ne voit qu'un moyen de devenir plus digne d'elle par la
souffrance et d'acheter à ce prix ce qui manque à sa science des hommes et
des événements... Quelque belle résolution qu'on ait prise, quelque chaleur
de cœur que les révolutions et leurs mécomptes aient tuée dans les hommes de
notre temps, on se surprendra bientôt à ne plus voir dans le loyal et
intelligent jeune homme qui est là debout, le front pensif, la voix émue, le
cœur plein et ouvert, que le dernier héritier du nom de Napoléon, l'unique
continuateur de sa race et de sa pensée. Il faudra bien céder aussi à la
magie des souvenirs et on verra se dresser devant soi toutes les
magnificences du Consulat et de l'Empire, —législation, retour à l'ordre,
exaltation des sentiments de l'homme, du chrétien et du patriote, toutes ces
choses, toutes ces belles et triomphantes armées qui portaient dans les plis
de leur drapeau l'idée française qu'elles secouaient sur toutes les vieilles
nations de l'Europe. Apparaîtra enfin la sublime agonie de Sainte-Hélène,
révélation des pensées de la civilisation apportée aux sociétés modernes. Oh
! alors un frisson vous courra sur les chairs comme si vous veniez d'entendre
audessus de votre tête le bruit des ailes de l'aigle qui, à peine élancé de
Sainte-Hélène et de Schœnbrünn, fatigue aujourd'hui et brise ses ailes aux
mûrs étroits de la prison de Ham. — L'aiglon n'y brise pas tant que
cela ses ailes ; il a changé de plumage. Il ne guide plus des partisans
seuls, il a mêlé à son drapeau et au leur celui do la démocratie. Il s'est
déguisé et, dans sa robe impériale, arbore quelques pennes rouges pour mieux
accomplir son dernier voyage. A dater de Ham, il va planer réellement sur la
politique contemporaine. Dans les murs du vieux château romantique, il s'est
dépouillé des ornements inutiles, de tout ce qui, dans son aspect, était de
parade et de mode. Réduit à ses seules forces, à son bec aiguisé de frais, et
à ses petits yeux pénétrants, l'oiseau qui va prendre son vol, armé surtout
jusque-là pour une lutte idéale, l'est dorénavant pour une lutte réelle. * * *Le mieux qu'il puisse arriver à Louis-Napoléon au point où il en est parvenu, c'est une raison de quitter le fort de Ham, une excuse qui légitime sa fuite, étant donnée sa déclaration : Il me faut l'ombre d'un cachot ou la lumière du pouvoir. Et, une fois encore, le destin le servira : le comte de Saint-Leu, sur le point de mourir, lui fournit la matière à exploiter ; le gouvernement, en lui refusant une liberté provisoire, la lui donne. — Voici. L'ancien roi de Hollande habitait toujours Florence. Se sentant perdu, il avait envoyé à Paris un de ses amis, M. Silvestre Poggioli, pour prier le ministère de lui laisser voir son fils avant sa dernière heure. Louis-Philippe répondit par un refus. — Il faut noter ici que l'on a mis en doute la requête du comte de Saint-Leu. On a même avancé que les trois lettres dont M. Poggioli était porteur pour MM. Molé, Decazes et Montalivet n'étaient ni tracées ni dictées par Louis Bonaparte[181]. Cependant, cette demande paternelle semble tout ce qu'il y a de plus vraisemblable ; au contraire, il ne serait guère admissible que le roi de Hollande mourût sans manifester le désir de revoir son enfant ; son testament, en plus des points que nous avons précédemment notés, le démontre[182]. Qu'il n'ait pas écrit les lettres à cause de sa paralysie, cela est possible, mais ne prouve rien ; il les dicta. M. Poggioli, que ce soit par intérêt ou par zèle, apparaît bien l'interprète de sa pensée[183]. Peut-être aussi fut-il conseillé par Louis-Napoléon. Quant à utiliser le peu d'empressement que montra le duc Decazes à recevoir M. Poggioli pour expliquer que celui-ci se disait accrédité par le roi de Hollande plus qu'il ne l'était réellement, l'argument n'a pas de valeur, M. Decazes avant déjà donné les preuves de son ingratitude à l'égard des Bonaparte ; il ne tenait pas à se souvenir qu'il avait été l'ami d'une jolie femme dont le mari lui demandait maintenant une grâce difficile à refuser ; ou bien, peut-être, était-il retenu, malgré son désir d'obliger, par sa situation. L'attitude des comtes Montalivet et Molé, exprimant leur désespoir de n'avoir pas plus de crédit en haut lieu, ne signifie rien davantage ; elle établit l'indifférence naturelle à ceux qui ont réussi et, pour cela même, se détournent de ceux qui, momentanément, n'ont pas su les imiter. La probabilité que Louis-Napoléon ait conseillé M. Poggioli est acceptable : ce dernier prévint immédiatement le prince de l'insuccès de ses démarches ; et le prisonnier envoya aussitôt une lettre à son père : Combien je suis heureux de savoir que vous me conservez toujours votre tendresse... Le désir que vous manifestez de me revoir est pour moi un ordre[184]... — Dès qu'il eut appris le refus de Louis-Philippe, Louis-Napoléon écrivit au ministre de l'Intérieur, M. Duchâtel, à la date du 25 décembre. Il donnait la garantie qu'on le priait de fournir — et la réservait en même temps : Mon père, dont la santé et l'âge réclament les soins d'un fils, a demandé au gouvernement qu'il me soit permis de me rendre auprès de lui. Ses démarches sont restées sans résultat. Le gouvernement, m'écrit-on, exige de moi une garantie formelle. Dans cette circonstance, ma résolution ne saurait être douteuse. Je dois faire tout ce qui est compatible avec mon honneur pour pouvoir offrir à mon père les consolations qu'il mérite à tant de titres[185]. Suivait la demande de gagner l'Italie. On voit la nuance. — M. Duchâtel soumit la lettre du prince au Conseil des ministres. On rejeta sa prière. Le ministre apprit cette nouvelle à Louis-Napoléon, en ajoutant qu'il aurait plus de chances d'être écouté s'il s'adressait à Louis-Philippe. Le prince, sans hésiter, écrivit au roi, et voici" comment il tourna la difficulté : Sire, ce n'est pas sans une vive émotion que je viens demander à Voire Majesté comme un bienfait, la permission de quitter, même momentanément, la France, moi qui ai trouvé depuis cinq ans dans l'air de la patrie un dédommagement aux tourments de la captivité ; mais, aujourd'hui, mon père malade et infirme réclame mes soins. Il s'est adressé, pour obtenir ma liberté, à des personnes connues par leur dévouement à Votre Majesté ; il est de mon devoir de faire de mon côté tout ce qui dépend de moi pour aller auprès de lui. — Le Conseil des ministres n'avant pas cru qu'il fût de sa compétence d'accepter la demande que j'avais faite :d'aller à Florence en m'engageant à revenir me constituer prisonnier dès que le gouvernement m'en témoignera le désir, je viens, Sire, avec confiance, faire appel aux sentiments d'humanité de Votre Majesté et renouveler ma demande en la soumettant, Sire, à votre haute et généreuse intervention. Votre Majesté, j'en suis convaincu, appréciera comme elle le mérite une démarche qui engage d'avance ma reconnaissance, et, touchée de la position isolée sur une terre étrangère d'un homme qui mérita sur le trône l'estime de l'Europe, elle exaucera les vœux de mon père et les miens[186]. La lettre est du 14 janvier 1846. Elle fût transmise immédiatement à Louis-Philippe par le prince de la Moskova et le roi se montra touché[187] ; il avait, quant à lui, déjà trouvé suffisante la garantie donnée à M. Duchâtel[188] ; il parut disposé à la clémence, mais son entourage mit obstacle à la réponse favorable qu'il indiquait[189], — bien à tort, car le prince n'avait peut-être, et probablement, écrit la lettre que dans l'espoir d'un refus ; une grâce l'eût embarrassé pour l'avenir ; de la sorte, les ministres faisaient admirablement son jeu ; ils le dégageaient de toute reconnaissance. Enfin, ce refus indigna tout le pays et contribua même à rendre le captif populaire. Des députés de l'opposition se servirent du débat pour protester ; Arago en était, ainsi qu'Odilon Barrot et Lamartine[190]. — Le prince, continuant de rendre le pouvoir plus cruel et décidé à montrer qu'il avait thé l'impossible pour s'en aller sans subterfuge aux yeux de tout le monde, se retourna vers M. Thiers[191]. Le petit homme répondit qu'il blâmait le gouvernement, mais qu'il ne pouvait rien, n'ayant aucune influence sur le Conseil[192]. Louis-Napoléon résolut de s'adresser à Odilon Barrot[193]. Celui-ci le servit de son mieux et finit par obtenir de M. Duchâtel que le prisonnier serait mis en liberté provisoire sous condition d'écrire une lettre, dictée à l'avance par le ministre de l'Intérieur, et qui l'enchaînait. Cette lettre était inadmissible pour un prétendant qui entendait le rester ; et le ministre la proposait dans l'espoir bien net qu'elle serait effectivement rejetée ; n'étant pas dupe du prince, il retournait contre lui la ruse employée pour rendre le pouvoir antipathique[194]. Sire, devait écrire le solliciteur, mon père à fait parvenir à Votre Majesté un vœu que recommandent l'état de sa santé et les infortunes qui ont rempli et honoré sa vie. J'avais cru faciliter la réalisation de ce vœu eu prenant l'engagement de me reconstituer prisonnier aussitôt que le désir m'en sera manifesté. J'espérais que le gouvernement de Votre Majesté verrait dans mon engagement une garantie de plus et une obligation nouvelle à ajouter à celle que devra m'imposer la reconnaissance. Cet engagement a soulevé des objections ; je le retire pour me réunir purement et simplement au vœu de mon père et nie confier aux généreuses inspirations de Votre Majesté. Lorsqu'en vous transmettant ma prière, Sire, je vous parlais de reconnaissance, c'est spontanément et avec la conscience du devoir qu'elle m'impose. Je prie... etc.[195] Le prince expliqua son refus à Odilon Barrot, démontra qu'il était fatal, et qu'on aurait tort de soupçonner sa bonne volonté. Je ne crois pas pouvoir mettre mon nom au bas de la
lettre dont vous m'avez envoyé le modèle... Si je signais... je demanderais
réellement grâce sans oser l'avouer, je me cacherais derrière la demande de
mon père comme un poltron qui s'abrite derrière un arbre pour éviter le
boulet. Je trouve cette conduite peu digne de moi. Si je croyais honorable et
convenable d'invoquer purement et simplement la convenance royale, j'écrirais
au roi : Sire, je demande grâce. Mais telle n'est pas mon intention... Je
souffre, mais tous les jours je me dis : Je suis en France, j'ai gardé mon
honneur intact, je vis sans joies, mais aussi sans remords et, tous les
soirs, je m'endors satisfait. Rien, de mon côté, ne serait venu troubler le
calme de ma conscience, le silence de ma vie, si mon père ne m'eût manifesté
le désir de nie revoir auprès de lui pendant ses vieux jours. Mon devoir de
fils vint m'arracher à cette résignation et je me décidai à une démarche dont
je pesai toute la gravité, mais qui portait en elle ce caractère de franchise
et de loyauté que je désire mettre dans toutes mes actions. J'écrivis au chef
de l'État, à celui-ci là seul qui eût le droit légal de changer ma position ;
je lui demandai d'aller auprès de mon père ; je lui parlai de bienfait,
d'humanité, de reconnaissance, parce que je ne crains pas d'appeler les
choses par leur nom. Le roi a paru satisfait de ma lettre
; il a dit au cligne fils du maréchal Ney, qui avait bien voulu se charger de
la remettre, que la garantie que j'offrais était suffisante, mais il n'a
point encore fait connaître sa détermination. Les ministres, au contraire,
statuant sur une copie de ma lettre au roi que je leur avais envoyée par
déférence, abusant de ma position et de la leur, m'ont fait transmettre une
réponse qui prouve un grand mépris pour le malheur. Sous le coup d'un pareil
refus, ne connaissant même pas encore la décision du roi, mon devoir est de
m'abstenir de toute démarche et surtout de ne pas souscrire à une demande en
grâce déguisée en piété filiale. Je maintiens tout ce que j'ai dit dans ma
lettre au roi, parce que les sentiments que j'y ai manifestés étaient
profondément sentis et me paraissaient convenables ; mais je n'avancerai pas
une ligne. Le chemin de l'honneur est étroit et mouvant ; il n'y a qu'un
travers de main entre la terre ferme et l'abîme. D'ailleurs, croyez-le bien,
monsieur, si je signais la lettre dont il s'agit, on se montrerait encore
plus exigeant. Le 25 décembre, j'écris une lettre assez sèche à M. le
ministre de l'intérieur pour lui demander d'aller auprès de mon père. On me
répond poliment. Le 14 janvier, je me décide à une démarche très grave de ma
part ; j'écris au roi une lettre où je n'épargne aucune des expressions que
je crois convenables à la réussite de ma demandé. On me répond par une
impertinence. — Ma position est claire et simple, je suis captif ; mais je me
console en respirant l'air sacré de la patrie. Un devoir m'appelle auprès de
mon père et je dis au gouvernement : Une circonstance impérieuse me force à vous
demander, comme un bienfait, de sortir de France. Si vous m'accordez ma
demande, comptez sur ma reconnaissance et comptez-y d'autant plus que votre
décision aura l'empreinte de la générosité ; car il n'y a aucun compte à
faire de la reconnaissance de ceux qui auraient consenti à s'humilier pour
obtenir un avantage. — En résumé, j'attends avec calme la décision du roi, de
cet homme qui a, comme moi, traversé trente années de malheur. Je compte sur
l'appui et la sympathie des hommes généreux et indépendants comme vous. Du
reste, je m'en remets à la destinée[196]... Odilon Barrot plaida longuement de vive voix la cause de son protégé auprès de Louis-Philippe. L'homme politique expliquait au roi qu'il serait habile de faire cesser un emprisonnement qui, de jour en jour, attirait au prince plus d'adhérents et servait à le rendre sympathique ; il représentait qu'il valait mieux anéantir Louis-Napoléon et. son parti par une générosité nouvelle et que. la mort de Louis Bonaparte étant prochaine, ce serait, dans le jugement du monde, accorder la grâce au père plutôt qu'au fils[197]. Tout fut inutile[198]. Lord Londonderry, de la Chambre des pairs d'Angleterre, s'entremit sans plus de succès malgré qu'il eût déclaré au nom du prince que celui-ci s'engageait à partir pour l'Amérique après avoir passé près de son père une année en Italie[199]. — Il n'y avait plus qu'à s'enfuir et c'est à quoi le captif se décida. Il lui répugnait un peu de se sauver comme un malfaiteur ordinaire, mais il n'avait pas le choix des moyens. Il estimait avoir épuisé le bénéfice de sa prison et que l'heure était venue d'agir autrement ; il souhaitait peut-être revoir son père[200] et, en dehors de toute autre considération, désirait violemment la liberté. En cas d'insuccès, il avait résolu de se brûler la cervelle[201]. Une chose restait à régler, la question pécuniaire, car il ne possédait presque plus aucune ressource[202]. Et ici, son histoire va redevenir à la fois étrange et romanesque ; elle crée encore, par l'aventure nouvelle qu'elle enregistre, très balzacienne, l'atmosphère du second Empire. Louis-Napoléon, étant donnés, sans doute, ses plans
futurs, estimait nécessaire une somme de cent cinquante mille francs pour
faire face aux frais imprévus de son évasion. Après avoir cherché un peu
partout où il pourrait se les procurer, en désespoir de cause, il demanda
conseil au comte Orsi qui résidait à Londres, et qui venait de purger une
condamnation de cinq ans pour la part qu'il avait prise à l'expédition de
Boulogne. Orsi s'adressa aux anciens amis du prince et en fut éconduit. Le socialisme affiché de l'héritier de César avait
profondément déplu. Un membre du Parlement, ancien intime du prince, répondit
même que s'il avançait jamais cent cinquante mille francs pour son ex-ami, ce
serait à la condition expresse que cette somme servirait à le garder en
prison sa vie durant. — Orsi pensa au duc de Brunswick et il lui fit demander
une audience le 1er décembre 1845[203]. On sait quel
singulier personnage était Charles d'Este[204]. L'entrevue
qu'il accorda ne le fit pas manquer à sa réputation d'originalité. Voici,
textuel, donné par Orsi lui-même, le récit de cette entrevue : Brunswick-House avait, à l'intérieur, une bien triste
apparence ; on aurait dit plutôt une prison que la demeure d'une Altesse
Royale. Le duc avait d'ailleurs fait son possible pour augmenter la tristesse
du lieu. De la porte d'entrée à la maison, qui était située au milieu d'une
grande cour, rien ne venait égayer la vue : tout était morne et silencieux
comme dans un cimetière. Deux gros chiens enchaînés au mur gardaient
fidèlement la place. Avant de parvenir à entrer, il me fallut montrer deux
fois aux domestiques une lettre d'audience. On m'introduisit enfin dans une
salle froide et noire, dont tout l'ameublement consistait en une table ronde
et quatre sièges, dont deux fauteuils placés de chaque côté de la cheminée.
Sur une table brûlait une bougie ; les murs étaient nus ; c'était bien ce que
je m'étais figuré du dehors. Il y avait déjà plus de vingt minutes que
j'étais là quand je vis remuer une portière qui cachait une porte pratiquée
près des angles de la pièce, puis je vis apparaître tout à coup, dans la
fente du rideau, une tête d'homme recouverte d'un capuchon de peluche noire
qui enveloppait presque toute la figure et ne permettait de voir
distinctement que le nez. Le capuchon tenait à une longue robe de chambre,
également en peluche, serrée à la taille par une cordelière de soie. J'étais
devant le duc de Brunswick : il avait les mains enfoncées dans les poches de
son ample robe et serrait dans chacune d'elles un revolver ; il me l'avoua
lui-même quelques jours après notre première entrevue. — Le duc se dirigea droit vers la table qui était au milieu de
la pièce, comme pour en faire une barrière entre lui et moi. Ses yeux
étincelaient sous son capuchon. On aurait dit qu'il s'imaginait que j'étais
venu pour le tuer. Nous nous regardâmes en silence l'un l'autre pendant
quelques instants qui me parurent un siècle. Enfin, il parla. — Vous m'avez demandé une
audience. Que voulez-vous ? — Votre Altesse me permettra,
j'espère, de lui dire que la chose pour laquelle je viens demande à être
expliquée en détail ; je regarderai donc comme une faveur que Votre Altesse
veuille bien m'écouter assise. D'un geste, il me montra un des
fauteuils qui étaient près de la cheminée ; le duc s'assit en face de moi. — Je supplie Votre Altesse
d'excuser l'état d'agitation et de trouble dans lequel je suis ; la mission
qui m'a été confiée est délicate et difficile ; et, si ce que je vais dire
est mal accueilli, je demande d'avance sincèrement pardon à Votre Altesse de
l'avoir dérangée. Le prince Louis-Napoléon se souvenant avec plaisir des
relations amicales qui ont existé entre Votre Altesse et lui pendant son
séjour en Angleterre, persuadé, en outre, que des événements politiques de la
plus haute importance auraient chance d'aboutir, grâce aux efforts combinés
de Votre Altesse et de lui, le prince, en ce moment prisonnier à Ham, m'a
demandé de faire appel à la générosité de Votre Altesse pour obtenir un
emprunt de cent cinquante mille francs qui permettrait son évasion. A peine avais-je transmis ces
dernières paroles que le duc, dans un mouvement de colère, saisit son
capuchon des deux mains et le rejeta brusquement en arrière en poussant un
cri intraduisible. — Quoi ! un emprunt ! s'écria-t-il.
Ai-je bien compris ? répétez, répétez un peu. Cet éclat de fureur ne me surprit
nullement ; j'étais décidé à rester impassible. Je gardai le silence un
instant ; le duc me regarda sans prononcer une parole. — Il est fort naturel que Votre
Altesse soit surprise d'une demande qui peut sembler un peu extraordinaire
tout d'abord ; mais, qu'elle repousse ou qu'elle accueille la proposition du prince,
personne mieux que Votre Altesse ne peut envisager en un clin d'œil
l'importance des intérêts politiques en jeu. Le duc se leva, pâle comme un
mort, et étendit le bras pour saisir le cordon de la sonnette. Avant qu'il pût
l'agiter, je me levai. — Pour l'amour de Dieu, dis-je,
je supplie Votre Altesse de m'écouter ; j'ai bien des choses à lui dire qui
peuvent changer sa manière de voir. Je vous supplie de m'écouter encore
quelques secondes. — Je ne sais vraiment ce que je
dois admirer le plus de ma patience ou de votre effronterie. Un prêt de cent
cinquante mille francs au prince Napoléon ! Vraiment ! croyez-vous que j'y
consente ? Votre prince ne me parait pas savoir que je suis un fidèle
républicain : Je suis l'ami de Cavaignac, de Marrast et de tous les chefs du
parti. Je suis le plus fort actionnaire du National. C'est moi qui
fournis l'argent dont il a besoin. Soutenu par mes principes républicains, je
veux essayer la guerre contre tous les pouvoirs monarchiques et contre
l'Allemagne en particulier. L'avènement de votre prince ne signifie rien,
s'il ne signifie la royauté ou l'empire. Je ne veux pas trahir nies nouveaux
amis ; je refuse au prince les cent cinquante mille francs que vous demandez
en son nom. Cette déclaration de principes
républicains de la part du duc de Brunswick me surprit. Je ne m'y attendais
pas. Je n'avais jamais entendu dire qu'il appartint à ce qu'on appelait alors
le parti national. Je vis immédiatement que ma tache était plus difficile que
je ne l'avais prévu. — Votre Altesse a sans doute cru
qu'elle avait gagné en s'alliant aux républicains ; mais vous me permettrez
de vous faire remarquer qu'un conflit d'intérêts s'élèvera sûrement, à un
moment donné, entre vous et vos nouveaux alliés. La division éclatera
bientôt, ainsi que cela arrive toujours dans les alliances politiques qui ne
reposent pas sur les mêmes espérances. Votre alliance avec les républicains,
alliance contre nature, et elle l'est, leur assure en tout cas un bénéfice
certain, le seul qu'ils attendent de vous... de l'argent. En supposant que
leur cause triomphe, le lendemain de leur victoire, ils vous persécuteront et
manqueront à tous leurs engagements. Les chefs actuels du parti républicain
sont des hommes bien élevés et distingués. Je les connais personnellement ;
mais ils ont le peuple derrière eux, dont ils sont et doivent être, au fond,
les humbles serviteurs, à qui ils ont fait des promesses qu'il faut tenir,
que cela leur plaise ou non. Qu'avez-vous à gagner à tout cela ? Le but de
Votre Altesse, si je ne me trompe, est d'augmenter son influence en
Allemagne. Ce n'est pas la France que vous espérez gouverner. Votre alliance
avec les républicains ne peut avoir pour but qu'une révolution générale qui
vous permette de fomenter, pendant la tourmente, un soulèvement dans
l'Allemagne entière. — Votre Altesse reconnaîtra que c'est une idée qui
manque peut-être de justesse. Les républicains allemands sont plus solidement
républicains que les français, et ils se montrent, plus encore qu'en France,
ennemis acharnés d'un chef monarchique. Vous disparaîtrez dans le tourbillon
d'une grande catastrophe et vous n'exciterez même pas l'intérêt qu'on ressent
généralement pour ceux qui sacrifient tout à une idée pleine de noblesse et de
patriotisme. Le duc se leva vivement et dit : — Vous avez ma réponse pour le
prince. Je vous prie de la lui transmettre. Je compatis profondément à sa
position, mais je ne vois aucune raison de changer la mienne. Je compris que tout était fini. Il
y eut un moment de profond silence des deux côtés. Nous restâmes quelques
secondes face à face. A la fin, je pris mon chapeau et je me dirigeai vers la
porte que j'ouvris et dont je tins le bouton. — J'espère que Votre Altesse me
pardonnera d'avoir abusé de son temps comme je l'ai fait. En m'invitant à m'adresser
à vous pour obtenir les moyens de recouvrer sa liberté, le prince
Louis-Napoléon songeait sûrement à quelque chose de plus qu'à contracter une
dette envers un ami. Il voyait sûrement plus loin et. dans les circonstances
actuelles, il songeait aussi, sans doute, au succès politique de tous deux.
En acceptant une telle mission, et lorsque vous m'avez accordé cette
audience, dont je vous serai toujours reconnaissant, je croyais avoir
rencontré le seul homme capable, par sa haute position, de comprendre les
avantages qu'il pouvait y avoir à lier l'avenir de ses projets politiques à
ceux de l'homme dont la popularité est arrivée au courant du véritable état
de l'opinion publique en France, en ce qui concerne le nom de Napoléon. S'il
m'avait été donné de causer librement avec Votre Altesse, je l'aurais
absolument convaincue que le prisonnier de Ham est destiné à être la digue où
viendra s'arrêter le vieux monde et où commencera le nouveau. J'avoue que mon
désappointement est extrême. Que Votre Altesse Royale veuille bien ne pas
m'accuser de trop de présomption si je lui prédis qu'avant deux ans elle
regrettera le refus qu'elle oppose à la demande du prince. Je saluai et j'allais me retirer,
lorsque le duc me dit : — Restez, je vous prie. Je n'ai
jamais cru aux prédictions et je crois encore moins à celle que vous
appliquiez au prisonnier de Ham. Au fond, j'ai autant de répugnance à croire
aux prédictions que j'ai à faire quoi que ce soit d'important un jour qui
porte dans son quantième le chiffre 7. Si vous m'aviez demandé une audience
le 7, le 17 ou le 27, je n'y aurais prêté aucune attention. Cependant, en me
prédisant sous d'aussi brillantes couleurs l'avènement du prince au pouvoir,
vous avez éveillé ma curiosité. Je voudrais voir si votre prophétie 'a une
apparence de réalité. Remarquez qu'en parlant ainsi je ne prends aucun
engagement ; mais comme vous semblez connaître mieux que moi l'état de
l'esprit public en France, il se peut que je fasse quelque chose pour le
prince, si vous arrivez à me prouver d'une façon claire et palpable que son
avènement au pouvoir suprême en France n'est qu'une question de temps. J'employai une heure et demie à
exposer au duc l'état de la politique française ; il ne m'interrompit pas une
seule fois. A la fin, il se leva et, après avoir marché de long en large dans
la chambre, comme un homme qui s'éveille d'un rêve, il dit : — Ecrivez au prince que je mets
cent cinquante mille francs à sa disposition aux conditions suivantes : 1° Le prince acceptera trois billets de cinquante mille francs à cinq pour cent d'intérêt ; 2° Vingt mille francs sur les
cent cinquante mille seront pris par lui en actions du National, et au pair ; 3° Une alliance offensive et
défensive sera conclue entre nous, par laquelle le prince s'engagera, au cas
où il serait élu roi, président ou empereur, à m'aider dans mes vues sur
l'Allemagne. J'agirai de même à son égard, au cas où mon avènement au pouvoir
aurait lieu avant qu'il ait réussi en France ; 4° Vous partirez immédiatement
pour Ham avec mon secrétaire particulier, M. Georges-Thomas Smith, pour bien
trancher les diverses questions et faire ratifier le traité par le prince. J'acceptai au nom du prince les
conditions posées par Son Altesse. Deux jours après, je partis pour Paris où
je rencontrai M. Smith, qui avait quitté Londres la veille. J'eus de grandes
difficultés à vaincre pour obtenir de voir Louis-Napoléon ; avant été
prisonnier moi-même pendant cinq ans, j'étais suspect en haut lieu. Après
quinze jours de sollicitations, je reçus l'autorisation nécessaire pour moi
et M. Smith, mais, comme personne n'était autorisé à communiquer avec le
prince, si ce n'est en la présence du gouverneur, je fus obligé de raconter
que M. Smith était un amateur qui désirait acheter des tableaux de valeur
appartenant au prince. L'entretien roula donc tout entier sur cette prétendue
acquisition et l'on s'entendit fort bien. Je remis au prince, en lui serrant
la main, les billets (au
nombre de trois) qui devaient être acceptés
par lui. Ils nie furent rendus dans l'après-midi, avec le traité écrit sur
satin, lorsque je pris congé du prince. Nous arrivâmes, M. Smith et moi, deux
jours après à Londres, et l'argent avant été versé à MM. Baring frères, au
nom du prince, tout fut terminé[205]. La silhouette du duc de Brunswick, telle qu'elle apparut à Orsi, fait songer aux contes d'Hoffman, et, derrière la tenture qui retombe sur lui, l'on s'étonne de ne pas entendre, lointaine et voilée, la musique d'Offenbach. — L'alliance entre les deux princes fut conclue[206]. Charles d'Este rappela sans doute souvent ses promesses à l'empereur ; il le fit, de façon sûre un peu avant la guerre de 1870 ; on a trouvé aux Tuileries un billet, daté du 22 juillet, où Napoléon III, sur le point de partir pour la frontière, se dérobait encore, et pour cause cette fois, à l'espérance de son vieil allié[207]. * * *En mai, le prince apprend sa résolution au docteur Conneau[208]. Le docteur la combat de toutes ses forces, la déclare impraticable et folle ; il représente la surveillance continuelle qui les enveloppe, les consignes nombreuses et sévères, les murs énormes du château, les portes successives, la difficulté, une fois dans la campagne, d'éviter la ville et de gagner la frontière ; il rappelle que le commandant Demarle ne manque jamais de mettre lui-même son prisonnier sous clef. Mais Louis-Napoléon ne subissait, alors surtout, aucune influence. C'était un voyant ; il avait vu son évasion, et il n'y avait rien à dire. Jamais il ne fut donné à personne de le faire revenir d'une résolution'[209]. — Le plan de sa fuite était bien conçu et le moment également bien choisi. Des réparations venant d'être commencées dans le corps de logis qu'il occupait et même dans l'escalier qui menait à son appartement par la cour, il projeta de se déguiser en ouvrier, puis de profiter du mouvement des travailleurs[210]. Quant à la façon d'effectuer son départ, les ouvriers arrivant et se retirant par groupes, après un examen minutieux à leur rentrée comme à leur sortie, il pensa que le plus audacieux serait le plus sûr et décida de s'en aller seul, en plein jour, et par la grande porte. L'instant se montrait d'autant plus opportun que le commandant Demarle était indisposé, et, au lieu de se lever dès l'aube, comme d'habitude, n'apparaissait plus qu'après sept heures, quand les portes du fort étaient ouvertes et les ouvriers au travail[211]. — Louis-Napoléon envoya Thélin faire les acquisitions nécessaires à son déguisement et décida son évasion pour le 25 mai[212]. Le 24, il écrivit trois lettres[213]. La première,
qu'il déposa sur sa table, était ainsi conçue : Je
déclare que tout ce que je laisse en partant dans ma chambre et mon salon
appartient à M. le docteur Conneau, qui pourra en disposer comme bon lui
semblera[214]. La seconde
était adressée à l'aumônier du fort, l'abbé Tirmache doyen de l'église de Ham
: Monsieur le doyen, je voudrais bien que vous
eussiez la bonté de remettre à demain ou à après-demain la messe que vous
vouliez célébrer aujourd'hui au château, car, m'étant levé avec de vives
douleurs, je suis obligé de prendre un bain pour les calmer[215]. Et il data sa
lettre du 25. — La troisième avertissait le général Montholon[216] : Mon cher général, vous serez bien étonné de la décision
que je viens de prendre et encore plus que, l'ayant prise, je ne vous aie pas
prévenu d'avance. Mais je crois qu'il valait mieux, pour vous, vous laisser
ignorer mes projets qui ne datent que de peu de jours ; et puis, j'ai la
conviction que mon évasion ne peut qu'être avantageuse à vous et aux autres
amis que je laisserai en prison. Le gouvernement ne vous retient prisonnier
qu'à cause de moi et, lorsqu'il verra que je ne compte nullement user contre
lui de ma liberté, il ouvrira, je l'espère, les portes de toutes les prisons.
— Mon père est très malade, mon devoir est d'aller le rejoindre. Croyez,
général, que je regrette bien de n'avoir pas été vous serrer la main avant de
partir ; ruais cela m'eût été impossible ; mon émotion eût trahi mon secret
que je voulais garder. J'ai pris des mesures pour que la pension que je vous
fais vous soit payée. Comme vous pouvez d'avance avoir besoin d'argent, j'ai
remis à Conneau deux mille francs qu'il vous donnera ; ce sera les mois de la
pension payée jusqu'à la fin de septembre. Je vous écrirai dès que je serai
arrivé en lieu de sûreté. Adieu, mon cher général ; recevez l'assurance de mon
amitié[217]. — Thélin
s'était procuré un déguisement complet par l'entremise de Bure ; il
comprenait une chemise de grosse toile, un pantalon, dit pantalon par-dessus,
deux blouses, un tablier, une cravate, un foulard et une casquette de drap[218]. Thélin s'était
également muni d'une livrée comme en portaient les domestiques des familles
bourgeoises de Picardie[219]. De son côté,
ayant reçu un peu avant le 23 mai la visite de Robert Peel et de lady
Cramford, Louis-Napoléon, prétextant un prochain voyage de son valet de
chambre en Belgique, obtint le passeport d'un de leurs domestiques[220]. — Tout était
prêt. Le 25, de bon matin, le prince se déguisa[221]. Il revêtit d'abord la livrée picarde, puis une chemise de grosse toile coupée à la ceinture, un pantalon et une blouse bleue[222]. Il salit cette blouse avec du plâtre[223], rasa sa moustache[224], se frotta le visage d'une assez forte couche de rouge[225], et, après avoir mis sur sa tête une perruque noire à longs cheveux[226], y assujettit une casquette qu'il avait pris soin d'user les jours précédents avec de la pierre ponce[227]. Il chaussa de grands sabots rembourrés qui le grandirent un peu et se mit à bourrer un court brûle-gueule de terre[228]. Une planche de sa bibliothèque était prête, qu'il avait choisie lui-même parce qu'elle était marquée d'une N, et qu'il devait emporter sur son dos[229]. Il glissa dans sa poche un poignard[230] et deux lettres qu'il considérait comme des reliques, l'une de sa mère, l'autre de l'empereur[231]. Il était méconnaissable[232]. Je l'aurais rencontré, dit Conneau, que je n'aurais pas reconnu le prince dans cet ouvrier ainsi accoutré[233]. Vers sept heures moins un quart, les ouvriers peintres qui travaillaient aux boiseries de l'appartement virent venir à eux Thélin qui leur offrit de prendre un verre dans la salle à manger du rez-de-chaussée[234]. Ils acceptèrent. Seul, un certain Hébert voulut achever quelque filet difficile destiné à orner la plinthe de l'escalier ; il barrait ainsi la route et pouvait devenir un obstacle sérieux. Cependant il consentit, au bout d'un instant, à venir trinquer avec les autres[235]. Thélin accourut aussitôt vers son maître pour lui dire que l'instant était favorable. Il emporta un manteau et le petit chien du prince, du nom de Ham, et redescendit[236]. Un homme de peine attaché au service des prisonniers, en retard ce matin-là n'avait pas encore apporté les déjeuners, ce qui contraria vivement le prince, car on aurait pu trouver bizarre que son valet de chambre fût pressé au point de partir sans rien prendre ; mais c'était là un détail dont nul ne s'avisa[237]. Cependant, Conneau, ayant regardé par la fenêtre et aperçu, près de la porte donnant accès à la cour, les jambes d'un des deux gardiens qui avaient coutume de se tenir là en faction, avait prévenu Louis-Napoléon, afin qu'il ne manifestât aucune surprise[238] ; il ajouta : Ne craignez rien, on ne vous reconnaîtra pas[239]. Le prisonnier descendit derrière Thélin, la pipe aux dents et sa planche à livres sur l'épaule[240]. Il se trouva presque aussitôt en face d'un ouvrier et eut un mouvement de recul. Conneau le poussa en avant : Allons donc ![241] murmura-t-il. Le prince continua de descendre. La planche de bibliothèque lui cachait complètement la figure d'un côté[242]. En bas, Thélin parlait à un de ses gardiens, Issali, et s'arrangeait à lui faire tourner le dos à la porte[243] ; il lui racontait que son maitre était malade ; l'autre gardien demeurait libre à son poste ; c'était Dupin-Saint-André[244]. Louis-Napoléon, caché à ses veux par la planche, passa sans encombre et traversa la cour du fort remplie de soldats[245]. Au moment où il croisait le lieutenant de service, il laissa tomber sa pipe[246]. Il eut la présence d'esprit d'en ramasser soigneusement les morceaux et marcha vers la première porte[247]. Là il prit une voix rude pour demander à passer[248]. Le soldat de faction hésita un instant, mais ouvrit la grille sans observations[249]. Un tambour venant en ce moment vers lui, il obliqua un peu pour l'éviter et parvint au pont-levis[250]. Il le franchit devant le sous-officier de planton occupé à lire une lettre[251]. Il n'intrigua pas davantage le portier-consigne. Sur le pont-levis, Flajollot, le garde du génie dont nous avons déjà parlé, examinait un mémoire de travaux avec l'entrepreneur ; le fugitif le heurta brutalement, ce qui lui valut d'être appelé malappris[252]. Il ne restait plus que le factionnaire. Louis-Napoléon le dépassa tranquillement, du même pas calme, et fut dehors[253]. Là une fois sorti, il rencontra cieux ouvriers qui le regardèrent assez longuement et le prirent pour un camarade. Oh ! c'est Berthoud ! affirma l'un[254]. Le prince évita, bien entendu, de répondre et continua d'avancer. — Thélin, qui avait quitté les gardiens, le suivit à quelque distance[255], en retenant Ham de son mieux, et sans qu'il y paraisse trop, car le chien voulait rejoindre son maître[256]. Il rattrapa Louis-Napoléon, sans avoir l'air de s'en soucier ni de le connaître, et courut à la ville le plus vite possible, chez un loueur de voitures, M. Fontaine, où il avait retenu la veille un cabriolet[257]. — Louis-Napoléon avança toujours, suivit le rempart jusqu'à la porte dite de Saint-Quentin et prit le faubourg Saint-Sulpice. Il fit environ deux kilomètres, et jeta sa planche en face du cimetière qui se trouve au delà du faubourg de Ham[258]. Il attendit à l'endroit convenu, sur le rebord d'un fossé[259]. Enfin Thélin apparut. Il sauta dans le cabriolet qui alla au plus vite vers Saint-Quentin, faisant dix-huit kilomètres en moins d'une heure[260]. Un peu avant d'y arriver, il jeta une partie de son déguisement[261] ; il serait même descendu de voiture pour cacher dans un fourré, à droite de la route, son tablier, sa blouse, son pantalon, sa casquette et ses sabots[262]. Il mit pied à terre avant d'entrer dans la ville, y laissant Thélin pénétrer seul[263]. Tandis qu'il en faisait le tour et gagnait la route de Valenciennes où il avait fixé à son valet de chambre un nouveau rendez-vous, celui-ci alla faire changer les chevaux chez le maître de poste, M. Abric[264]. Il ne restait qu'une vieille guimbarde que Thélin se hâta de prendre[265]. — Le premier au rendez-vous, après avoir marché très vite, le prince attendait avec une certaine anxiété[266] ; il se demandait si Thélin ne l'avait pas distancé[267]. Comme une croix se trouvait là, celle du cimetière, il se mit à genoux[268]. Il était à une demi-lieue de Ham. Thélin n'arrivait toujours pas. Louis-Napoléon distingua sur la route un cabriolet survenant en sens inverse[269] et l'arrêta. Au voyageur qui se trouvait dedans il demanda s'il n'avait pas croisé une voiture venant de Saint-Quentin. Le voyageur lui répondit très gracieusement qu'il n'avait rien vu. Cet homme aimable était le procureur du roi[270]. — Thélin apparut quelques minutes après, et ils se dirigèrent, à une sérieuse allure, sur Valenciennes où il parvinrent vers deux heures[271]. Tout le long du trajet, ils pressèrent le postillon, Annet Chopinot[272]. Cent sous pour la marche, dit l'un des fugitifs[273]. Annet Chopinot, agacé par des observations continuelles, se retourna et dit : Vous m'em... à la fin ![274] Le prince se tut[275]. Ils atteignirent sans mot dire à Bellincourt où avait lieu le relais. Chopinot, cette fois, voulait ramener non seulement ses chevaux, mais encore le cabriolet. Thélin, ne trouvant aucun véhicule et sûr que le maître de poste de Saint-Quentin, même s'il devinait l'aventure, saurait se taire, — car il faisait partie des libéraux amis du prince, — affirma au postillon que la voiture était prêtée pour quelques jours. Chopinot fit de nouvelles difficultés, puis finit par céder, se contentant d'emmener les chevaux[276]. Les fugitifs purent continuer leur route par Cambrai. A Valenciennes, ils descendirent à la gare et, de deux à quatre heures, ils durent attendre sous les regards de tous le train de Bruxelles[277]. Ce dernier épisode fut pénible, rien ne pesant plus que l'inaction dans des tentatives de ce genre. Tout risqua même d'être perdu. Un ancien gendarme de Ham, devenu employé de chemin de fer, qui connaissait Thélin, vint engager avec lui une longue conversation au cours de laquelle il lui demanda des nouvelles de son maître[278]. On imagine facilement l'anxiété du prince. Ici encore, l'extrême possession qu'il avait de lui-même servit à immobiliser son visage. Il ne pouvait savoir, en effet, qu'à pareille heure, dans la citadelle, on ignorait son évasion[279]. Le train vint enfin le tirer de là Louis-Napoléon et Thélin franchirent la frontière sans incident nouveau et arrivèrent à Bruxelles[280]. Ils s'y arrêtèrent peu et s'embarquèrent à Ostende pour Londres[281]. Conneau, tout cela durant, jouait dans le fort une comédie médicale qui fait penser aux farces du moyen âge. Aussitôt après le départ du prince, il avait placé dans son lit vide un mannequin préparé la veille et qui devait, de loin, présenter une assez bonne tournure, à en juger par les services qu'il rendit[282]. Il prit soin de fermer la porte de communication entre la chambre à coucher et le salon[283]. Dans le salon même, malgré la chaleur qu'il faisait dehors, il alluma un grand feu afin de donner plus de vraisemblance à l'indisposition du prisonnier[284]. Il étala des fioles, des tasses, des cafetières, etc. Et quand le commandant se présenta, Conneau lui transmit les excuses du captif, souffrant et invisible ; il ajouta qu'il avait pris une purgation. — Demarle se retira sans insister[285]. Alors, afin que cette purgation parût tout à fait évidente, Conneau, dans son dévouement, avala le remède[286]. Cette absorption demeurant sans effet, il dut en simuler les résultats par un mélange de café, d'acide nitrique et de pain bouilli qui répandit une odeur très désagréable[287]. A la suite de quoi, l'homme de peine[288] qui faisait le service, interrogé par le commandant sur la santé du prisonnier, répondit que celui-ci n'allait pas trop mal[289]. — Demarle revint après déjeuner[290]. Conneau déclara que Louis-Napoléon était extrêmement fatigué, mais qu'il allait voir si, néanmoins, il pourrait supporter une visite. Il entra dans la chambre, feignit de parler au malade et revint exprimer au commandant tout le regret qu'avait celui-ci de ne point lui ouvrir encore sa porte[291]. Demarle ne réitéra sa demande qu'à l'heure du dîner[292]. Conneau recommença le même jeu. Après être entré dans la chambre, il apprit à l'officier, en chuchotant, et d'un air mystérieux, que le patient dormait. Le prince ne dormira pas toujours, dit Demarle en s'asseyant ; je vais attendre[293]. Il remarqua, en manifestant une certaine surprise, que Thélin n'était pas là[294]. Le docteur répondit que le valet de chambre avait eu de nombreuses courses à faire au dehors[295]. Après un assez long silence, Demarle émit une exclamation à laquelle le docteur ne s'attendait pas : Le prince a remué ![296] Et il déclara l'avoir nettement entendu. Non ! non ! s'écrie Conneau, laissez-le dormir[297]. Alors Demarle qui perd patience se lève, entre dans la chambre, va au lit, rejette les draps et s'écrie : Le prince est parti ![298] — Mais oui, répond doucement Conneau. — A quelle heure ? demande le commandant. — A sept heures du matin. — Quelles étaient les personnes de garde ? — Je n'en sais, ma foi, rien[299]. Demarle sort sans rien ajouter de plus[300]. Aussitôt arrivé à Londres, le 28 mai 1846[301], Louis-Napoléon écrivit à l'ambassadeur de France, M. de Saint-Aulaire : Monsieur le comte, je viens déclarer avec franchise à l'homme qui a été l'ami de ma mère, qu'en échappant de ma prison je n'ai cédé à aucun projet de renouveler contre le gouvernement français les tentatives qui m'ont été désastreuses. Ma seule idée a été de revoir mon vieux père. Avant de me résoudre à cet extrême parti de la fuite, j'ai épuisé tous les moyens de sollicitation pour obtenir la permission d'aller à Florence en offrant toutes les garanties compatibles avec mon honneur. Mes démarches ont été repoussées : j'ai fait ce qu'ont fait les ducs de Guise et de Nemours sous le règne de Henri IV, dans des circonstances semblables. Je vous prie, Monsieur, d'informer le gouvernement français de mes intentions pacifiques toutes spontanées et j'espère que cette déclaration pourra servir à abréger la captivité de mes amis qui sont en prison[302]. — Il était forcé d'écrire cette lettre, dans l'intérêt de Conneau et de ses amis restés sous les verrous et afin d'obtenir la possibilité de rejoindre au plus vite le comte de Saint-Leu ; mais il ne la pensait pas et réservait toute sa liberté d'action ; il espérait aussi qu'elle aurait comme résultat de montrer l'acharnement de ses ennemis. Elle y réussit. Le représentant de la cour de Toscane à Londres ne voulut pas lui accorder de passeport et le grand-duc lui-même, pressé de consentir au voyage du prince en Italie, répondit que l'influence française ne lui permettait pas de tolérer, même pendant vingt-quatre heures, le séjour de Louis Bonaparte à Florence[303]. On allégua également son carbonarisme. L'ambassadeur d'Autriche lui répondit : Vous n'êtes ni sujet autrichien, ni sujet toscan ; vous nous êtes étranger ou plutôt suspect, comme ancien carbonaro[304]. — Le frère de l'empereur mourut sans embrasser son fils. La lettre de celui-ci devenait, de la sorte, une réelle habileté et lui laissait le champ libre[305]. Louis-Napoléon fut, de nouveau, bien reçu, et avec suite, cette fois, par la société anglaise. Il sortit beaucoup et se vengea de ses six années d'isolement en s'adonnant au plaisir avec fureur[306]. Il entendit jouer Rachel dont il se déclara enchanté[307]. Aussitôt après la mort de son père, il affecta de vivre dans une retraite absolue[308]. Désirant garder l'incognito, il se faisait appeler le comte d'Arenenberg-Brunswick[309]. Il tint à cacher le plus possible ses projets il est presque certain qu'ils n'étaient nullement pacifiques comme il essayait de le faire croire, mais il avait résolu d'attendre, afin de ne jouer une troisième partie qu'avec toutes les chances en main. Ne prévoyant pas la révolution de Février, il reportait à trois ou quatre ans la date de ses nouveaux plans. — Descendu d'abord à l'hôtel Jermyn, il en déménagea au commencement de 1847 pour aller habiter King-Street, Saint-James[310], une maison étroite à deux fenêtres de façade par étage. Une des preuves qu'il n'avait rien perdu de son espoir, ni
de sa confiance, est fournie par une lettre où il revendique bien haut son
droit de prétendant. M. Capefigue avait écrit dans son Histoire de
l'Europe depuis l'avènement de Louis-Philippe les lignes suivantes au
sujet du prince : On se rappelle qu'après
l'arrestation des conjurés de Strasbourg, une décision souveraine avait été
prise à l'égard de Louis Bonaparte qui consentait à un exil aux États-Unis,
en échange d'un jugement et d'une longue captivité... Il donnait sa parole de
ne pas rompre son ban. Cette affirmation était fausse, comme on sait.
Louis-Napoléon écrivit à l'historien, par les journaux : Londres, le 10 novembre 1846. — Monsieur, la grave
accusation formulée contre moi dans le deuxième volume de l'histoire de
l'Europe me force à m'adresser à vous pour réfuter une calomnie déjà vieille
que je ne m'attendais pas à voir remettre en lumière par l'historien de
Charlemagne à qui je devais le souvenir de quelques mots flatteurs. Vous
écrivez que, lorsqu'en 1836, je fus expulsé de France malgré mes
protestations, j'ai donné ma parole de rester perpétuellement exilé en
Amérique et que cette parole a été violée par mon retour en Europe. Je
renouvelle ici le démenti formel que j'ai souvent donné à cette fausse allégation.
En 1836, le gouvernement français n'a pas même cherché à prendre ses sûretés
avec moi parce qu'il savait trop bien que je préférais de beaucoup un
jugement solennel à une mise en liberté. Il n'a donc rien exigé de moi parce
qu'il ne pouvait le faire et je n'ai rien promis parce que je n'ai rien
demandé. En 1840, veuillez vous en souvenir, M. Franck-Carré... fut forcé de
déclarer lui-même que j'avais été mis en liberté sans conditions. Vous
trouverez ses propres paroles dans le Moniteur. Vous vous en
rapporterez, je l'espère, à un homme qui s'exprimait ainsi en lisant mon acte
d'accusation. Je pus donc avec une conscience très libre repartir pour
l'Europe en 1837 et y venir fermer les yeux de ma mère. Si la préoccupation
de ce pieux devoir m'avait fait oublier une promesse jurée, le gouvernement
français n'aurait pas eu besoin, après la mort de ma mère, de réunir un corps
d'armée sur la frontière de Suisse pour décider mon expulsion ; il n'aurait
eu besoin que de rappeler ma parole. Si, d'ailleurs, j'y avais manqué une
première fois, on ne me l'eût pas demandée une seconde, comme on l'a fait
pendant mon séjour à Ham, lorsqu'on discutait les conditions de mon
élargissement. Si je m'étais fait, comme vous le semblez croire, un jeu de ma
parole, j'aurais souscrit à cette exigence, tandis que j'ai mieux aimé rester
six ans captif et courir les risques d'une évasion que de me soumettre à des
conditions que mon honneur repoussait. Permis à vous, Monsieur, de blâmer ma
conduite politique, de torturer mes actes et de fausser nies intentions ; je
ne m'en plaindrai pas ; vous usez de votre droit de juge ; mais je ne
permettrai jamais à personne d'attaquer nia loyauté, que j'ai su, grâce à
Dieu, garder intacte au milieu de tant de cruelles épreuves...[311] — Il fit publier
une nouvelle petite brochure, Le Prisonnier de Ham[312], dans laquelle
il se donna le plaisir de révéler trois lettres écrites à sa mère en 1815 par
la douairière d'Orléans pour remercier la reine Hortense d'un service qu'elle
en avait reçu et accepté[313]. Par la mort de son père, sa fortune, redevenue suffisante, lui permettait d'être tranquille relativement à sa dépense personnelle[314]. Les emprunts qu'il lit servirent à des projets politiques ou à obliger ses amis[315]. — Il restait prêt à tenter le destin et il était convaincu que celui-ci ne manquerait pas de le solliciter. À cette époque comme aux précédentes, Louis-Napoléon est sûr de son étoile. Une célèbre ballerine, qui le vit à Londres en 1847, La Taglioni, racontait, après l'avoir déclaré charmant : Comme je me permettais de lui demander s'il songeait à cette folie de se faire nommer empereur, il me répondit : On viendra à moi sans que j'aie la peine de me déranger[316]. Et le jour où une de ses cousines, lady Douglas, fille de la grande-duchesse Stéphanie de Rade, lui conseillait le repos et de s'y résigner, il dit : Ma cousine, je ne m'appartiens pas. J'appartiens à mon nom et à mon pays. Parce que la fortune m'a trahi deux fois, ma destinée ne s'accomplira que plus sûrement. J'attends[317]. — Il n'avait plus longtemps à attendre. * * *En récapitulant ce qui précède, le désir nous vient de chercher à savoir comment l'aventure parcourue put exister, ses raisons générales, celles de ses aspects successifs, et plus spécialement de tel ou tel tableau, parce que- significatif en lui-même par rapport à nos façons de comprendre actuelles, enfin, avec l'aide des mille détails enregistrés et comme leur résultat, une passion nous incite à découvrir le ressort initial de toute cette magie, puis l'armature qui la soutint, — car, agir sur une étendue semblable, avec esprit de suite et jusqu'à réaliser son but, ne peut que paraître merveilleux aux hommes de maintenant. — Cette passion est une garantie de scrupule et de sincérité. Notre recherche ne tend pas à dresser une statue dogmatique ; insoucieuse de quantités négligeables, elfe repousse également le pamphlet ou l'apologie et ne s'embarrasse pas davantage de points de vue intermédiaires : face à face avec le passé décrit, elle voudrait y surprendre la pulsation du prétendant et celle des années, battant côte à côte, afin d'étudier dans quelle commune mesure elles surent correspondre, s'écouter l'une l'autre, se soumettre ou vaincre, chacune à leur tour, — lutter. Là sans doute, dans cette marche parallèle d'un homme et d'une époque, dans le duel qu'ils se livrent, dans l'entente qu'ils réalisent, le chercheur attentif peut espérer connaître la clef de voûte qui supporte le second édifice napoléonien. D'où trois points généraux à définir : ce qui a déclenché le départ, ce qui a formé l'action, ce qui a préparé la réussite prochaine. L'enfant est élevé dans l'idée d'un bel avenir ; on l'assure de celui-ci tout en ne le désignant pas avec netteté, ce qui serait le préparer aux désillusions ; après lui avoir fait comprendre qu'il devra être l'artisan de sa fortune, on lui apprend la confiance en soi et dans la vie. Quelque haut que s'élève sa position future, il devra donc se la valoir, — et son frère, puis son cousin de Vienne, ne lui permettent pas de tendre à la couronne ; du moins, il ne peut la situer, dans ses fèves, que par delà du temps et des hasards. Le Bas n'insistant guère, ou même point, sur la question d'hérédité impériale, si le petit prince forme déjà des plans, ces plans lui sont personnels ; dans une bonne part, il en sera le principal auteur ; en majeure partie, ils viendront de son instinct. — Or, Louis-Napoléon parait bien agir de son plein chef en emprisonnant dans un flacon de verre une eau consacrée par la gloire, et, si l'anecdote de nue Cornu est vraie. cette colère profonde à voir railler son principal sujet de méditation vient l'appuyer fortement. Les deux faits sont significatifs. Ils indiquent chez le neveu de l'empereur un désir vrai, spontané, vers la puissance ou, tout au moins, la curiosité de celle-ci. Retranchons ce qui revient à l'influence maternelle dans cet élan, il y reste encore beaucoup de l'enfant seul, sinon les deux faits rapportés ci-dessus n'auraient pas été. Soumis devant les autres, une fois libre, à un âge où le naturel commande, il aurait oublié les conseils, les leçons et les ordres pour penser à son plaisir. Au contraire, son plaisir secret, c'est cela même ; et il ira en augmentant, Sans attacher trop d'importance à la constatation et nous en méfiant même afin de ne pas tomber dans l'excès connu de vouloir aux hommes célèbres une enfance particulière, retenons-la toutefois avant d'aller plus loin, ne serait-ce que pour noter la faculté de rêve à longue distance du prince. Ce rêve le possède au point de le faire d'abord mal travailler, car, d'après ses professeurs, les résultats médiocres obtenus, malgré leur discipline, viennent de son inattention plus que de sa paresse. L'écolier se laisse peu voir ; on le devine renfermé ; et, pour se défendre des observations, il garde le silence. Cette réserve est favorable à ses songes ; il les gonfle avec les idées de son temps, qu'il s'assimile vite, trop vite quelquefois, accueillant davantage celles où son cœur trouve à satisfaire son besoin de tendre générosité et, en moindre part, ses intérêts dynastiques. Il allie les doctrines avancées à celles de l'empereur qu'il, étudie comme maître. Il prend de plus en plus conscience qu'il est magnifique et prodigieux de porter un nom semblable au sien, un nom qui rayonne sur les peuples, un nom qui lui vaut des sympathies, des adhésions et des offres. La politique devient tout naturellement son domaine ; elle lui est ce qu'est un champ au laboureur, la mer au marin ; il y entre peu à peu, sans s'en douter d'abord, puis avec ivresse, puis avec attente, — avec la joie de l'action quand sonne l'appel romagnol. Et, ici nous pouvons nous dire que son nom, son milieu, les circonstances et peut-être son frère, — plus âgé que lui et par conséquent écouté — se sont entendus pour le mener à ce premier point d'action, mais nous devons constater aussi que tout cela n'eût rien été sans lui, sans ses souhaits, sans sa volonté ; nous sommes forcés de distinguer une part essentiellement personnelle, révélatrice de sa nature ; nous reconnaissons qu'elle est la suite directe des deux scènes décrites par Le Bas et Mme Cornu, et qu'elle les achève. Il y a déjà dans ce jeune homme une personnalité bien nette à la formation de laquelle ont concouru plusieurs facteurs et qui dépend d'eux par certains côtés, mais qui, d'autre part, doit également une bonne part d'elle-même à son travail personnel, instinctif et réfléchi, conscient et inconscient, — et qui demeure indépendante. Ce prétendant est donc tel non seulement de naissance et par suite d'influences diverses, mais encore par lui-même. — Ainsi, je distingue deux premiers ressorts à son aventure, l'un formé par sa position, l'autre, dont il est l'artisan, par son industrie particulière. En 1830, le premier est sans doute le plus fort, l'autre restant encore inachevé. Il est probable qu'au début il entraîna le second ; il parait bien qu'on ait le droit de le considérer comme sa raison initiale. Né ailleurs, dans une famille de simple bourgeoisie, ce jeune homme aurait-il prétendu aux premières places politiques ? Je ne le pense pas ; j'ai presque la certitude du contraire. Et ceci nous amène à considérer que le premier de tous les points de départ fut — par les possibilités qu'il valait — l'ascendant napoléonien. Mais ce serait perdre le bénéfice de la recherche que de ne pas tenir compte du second point enregistré. Nous l'avons vu : avant même d'être héritier officiel et définitif, Louis-Napoléon agit. Dans l'affaire italienne, le peu qu'on sait suffit à le montrer brave et résolu. Sa fuite reste l'œuvre de sa mère plus que la sienne propre, encore s'y montre-t-il adroit à jouer son rôle. Et lâché à Paris, seul, sans guides, — car une seconde fois il agit en cachette de la reine, — il se révèle de nouveau singulièrement actif, plus que son âge, en général, ne le comporterait. Aucune hésitation. Il affirme sa volonté ; il prouve une véritable compréhension, car ce n'est pas son sentiment seul qui le pousse vers le parti républicain ; si ses tendances libérales ont une grande part dans cette impulsion, si les leçons de Le Bas ne sont pas non plus sans faire pencher un peu, mais fort peu, la balance, même en évaluant ce que sa situation d'exilé lui commande, ce que son rôle d'opposant lui conseille, et enfin la persuasion probable des avances qui lui furent adressées, une part reste, petite, qui semble relever de son calcul. Puis il sait y voir clair, refuser toute transaction avec le pouvoir actuel et connaître la valeur de sa position. Il est prêt. En cas d'émeute, son parti est pris ; et il désirerait que l'émeute éclatât. A Londres, il répond à l'indifférence voulue d'un diplomate hors de pair. Revenu en Suisse, il va se préparer, préparer les siens et l'action dont il a besoin pour s'affirmer à lui-même sa valeur. Il sait choisir l'endroit où s'engager. Il peut paraître trop audacieux ou ne pas assez se rendre compte de plusieurs choses, — mais qui donc a jamais joué à coup sûr ? Il n'y a pas de blême à lui adresser quant à cette violence, au contraire. Son défaut n'est pas là ; il est dans une sorte de sentimentalisme vague qui, tout en ne l'arrêtant pas sur des terrains dangereux, lui fait redouter le sang, l'événement irréparable qui frappe autrui. Il compte avec la mort, au lieu qu'il faut l'oublier si l'on veut agir. Dans sa façon d'être, on retrouve à certains tournants cet idéalisme qui déroutait déjà dans ses écrits bien qu'il y fût mieux à sa place et y présentât des raisons. Louis-Napoléon apparaît, par certains côtés, comme la réalisation moderne d'un des héros célébrés dans les romances maternelles. On murmure le jeune et beau Dunois ; on se rappelle la consécration de la forêt de Bade, cette scène de chevalerie parmi les murs romantiques ; on évoque le tournoi où il était si superbement costumé et l'on craint que sa pensée, par moments, s'en rappelle trop le décor ; on assimile le dandy londonien qu'il fut à ses heures perdues au prince Florestan de Disraëli. et, pour quelques secondes, ces mots de prince Florestan, avec tout ce qu'ils évoquent le désuet, de factice et de doux, ont l'air de le dépeindre réellement ; on acli.ve l'évocation du romancier anglais par des réminiscences balzaciennes ; on le voit dans l'habit pincé à la taille, ouvert en cœur sur un gilet panaché, les cheveux bouclés sous les bords plongeants du grand haut-de-forme à l'étroit ruban de soie noire, le pantalon collant à sous-pied ; les mains gantées de blanc jouent avec une badine mince et souple... Mais ne savons-nous pas que la mode n'est rien ? Il faut l'oublier, en oublier beaucoup, pour atteindre l'homme qu'elle déguise la plupart du temps. Ne savons-nous pas que des passions aussi fortes que les nôtres — plus fortes même — animaient ceux que leur discrétion forçait de se soumettre à cette fantaisie tyrannique comme nous nous y soumettons encore aujourd'hui ?... Alors, nous hésitons devant la dualité de sa nature. A Strasbourg, nous regrettons, vers la fin, — peut-être à tort — de ne pas entendre le coup de pistolet qui nous eût menés plus loin ; à Boulogne, nous sommes déçus par certaines paroles, par son désespoir, fort noble, mais intempestif, aussi prolongé ; nous nous demandons si nous ne sommes pas en face d'une sorte de paladin réaliste, — et nous ressentons un vague malaise. Mais, de ce malaise, Louis-Napoléon seul est-il cause et peut-on en faire peser sur lui toute la faute ? Non. Les aspects trop variés- de son existence encore proche et qui rendent difficiles, impossibles ou prématurées, les découpures de l'évocation simple dont se contentera l'avenir y contribuent, ainsi que sa fin déplorable. Quelle belle silhouette à dresser si quelque balle ou la maladie l'avaient jeté bas d'un coup vers 1860' ! Et cette constatation facile garde son importance. — On reconnaît aussi que ce malaise vient de l'époque même, mêlée, mitigée, trouble et déjà veule, — et que de ce malaise il représente une des typiques expressions, peut-être la plus grande et la plus saisissable, car il n'y a pas à nier l'influence de l'époque où l'on vit, tout ce dont, malgré nous et à notre insu, elle nous pénètre. Sans. la Révolution, pas de Robespierre ni de Saint-Just ; le premier, après de mauvais vers, aurait composé un gros volume dogmatique : le second se serait suicidé vers trente ans ou bien, après pas mal de liaisons dangereuses, Valmont repenti, fanatique sans aliment neuf, aurait confié son désespoir à la société de Loyola ; sans la Révolution, pas de Bonaparte. — Au contraire, Louis-Napoléon remonte le courant d'indifférence générale, et qu'un but personnel l'y ait aidé avant tout, il n'importe ; le fait est considérable. Il lutte sans cesse, utilisant les armes diverses qui sont en sa possession, avec espoir, avec calme, au point de faire durer dix ans[318] — de 1850 à 1860 — sa victoire définitive. Cela représente quelque chose, en vérité, surtout au XIXe siècle, surtout quand il a fallu créer non seulement son parti, mais sa doctrine. Les idées en cours l'ont aidé ; du moins, fallait-il les grouper, en former un catéchisme harmonieux aux gages d'avenir, une éventualité probable et résistante, du moins fallait-il y croire envers et contre tous. Et cela, de nos jours, est mieux encore, à mon sens. Quoi de plus difficile que de préparer une réussite, la matière de celle-ci, — enfin de se créer l'aliment politique nécessaire à une époque, en la dirigeant et en la satisfaisant pour son usage personnel ? Nul n'a su le faire depuis Napoléon III. Il y a réussi en se montrant avec intelligence, en appuyant ses pas en avant d'actes et d'écrits, en se servant des uns et des autres avec une obstination où bien peu eussent persévéré ; car il a été l'explorateur de sa route, tantôt son ingénieur, tantôt son ouvrier, puis son conquérant. Combattre, même en dépassant ses partisans, joindre le sentiment et le raisonnement et les amalgamer dans une mesure inégale en faisant servir le second à la démonstration du premier, et raisonner cependant quelquefois avec une justesse, une logique étonnantes, voilà peut-être, le secret, — un des secrets, tout au moins, — de cette persévérance impulsive ; joignons-y un regard sans cesse fixé sur l'époque, habile à pénétrer ses désirs, ceux qu'elle avoue et ceux qu'elle cache, expert à saisir ce qui lui convient, ainsi qu'un talent véritable pour se déclarer le sauveur et fournir des gages multiples en se constituant un passé, en mûrissant avec garanties, si l'on peut dire. Rien, peut-être, de plus décevant à interpréter, puis à saisir qu'un peuple qui raisonne sur tout, discute tout, use tout et se divise à l'infini en innombrables nuances ; rien de plus difficile à réunir et à posséder, surtout, quand on n'a guère, en somme, pour cela, que les suffrages de ce peuple même, ses prétentions, sa volonté, — ou ce qu'il croit l'être, — ses indécisions. Le fils du roi Louis saura cependant bientôt réaliser pareille tâche, grâce à son nom qu'il a exploité au mieux de ses intérêts, grâce à l'abondante matière offerte par son aventure et sa pensée à l'attention générale, grâce à ses amis, — grâce à ce qu'il va, en dernier lieu, entreprendre. Cette fois, il ne suscitera point l'événement comme .à Strasbourg, comme à Boulogne, il attendra d'avoir la force nécessaire ; et, .pendant cette réserve, il opérera de manière à concentrer entre ses mains tous les éléments de cette force ou leur plus grand nombre. — Pour cette partie suprême, pour le travail préparatoire qui devra la permettre, il est armé de toutes pièces, mieux encore qu'on ne le croit, si fortement qu'il va masquer désormais sa valeur personnelle. Il a su identifier l'idée napoléonienne à l'idée de liberté, faire considérer la première comme la servante de la seconde et son seul tuteur en même temps que son aboutissant le plus logique ; il a su faire comprendre que la liberté sans autorité serait impossible et que, pour qu'elle existât, il lui fallait un chef ; il a su revendiquer l'honneur de se proposer à être celui-là Le monde, l'aristocratie et la banque l'ignorent, le négligent ou s'en raillent[319], momentanément ; le peuple se souvient de lui. Et le peuple étant le seul élément d'avenir possible[320] dans des époques comme les nôtres, en l'avant intéressé déjà comme il l'a fait, Louis-Napoléon a réussi. A. cette date de 1848, un homme est prêt pour devenir le chef de la France, un homme qui, tout bien pesé, va se révéler un joueur de premier ordre. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Le 7 octobre.
[2] La plupart des gens s'y attendaient.
[3] Pierre Hachet-Souplet, Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham, Dentu.
[4] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[5] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[6] Gallix et Guy, déjà cité.
[7] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc., déjà cité. Le côté malsain de Ham ne fait pas de doute. M. de Peyronnet écrivait : La prison de Ham est fort mal établie et d'ailleurs malsaine. Elle est entourée de terres basses et marécageuses. Les brouillards l'enveloppent la moitié du jour. La promenade consiste en un bout de rempart d'une trentaine de toises où deux personnes, sans plus, peuvent passer de front, et du pied duquel s'élèvent des exhalaisons infectes.
[8] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[9] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[10] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.
[11] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.
[12] Hachet-Souplet, déjà cité. — Fourmestraux, Étude sur Napoléon III : Revue de l'Empire (1845), lettres de Ham ; Moniteur du 19 février 1849 ; Gallix et Guy, de Barins, déjà cité, A. Morel, déjà cité, etc.
[13] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[14] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[15] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc.
[16] Hachet-Souplet, Louis-Napoléon, etc. — Espérant se garantir de ces perfides courants d'air, le prince s'était fait faire un grand paravent, qui existe encore, et qu'il s'amusait a décorer des meilleures caricatures du Charivari soigneusement découpées... Giraudeau, Napoléon III intime.
[17] Gazette des tribunaux, juillet 1846, tribunal correctionnel de Péronne, évasion du prince.
[18] Gazette des Tribunaux, juillet 1846.
[19] Gallix et Guy.
[20] Révélations historiques.
[21] Fourmestraux, Etude sur Napoléon III.
[22] Le général Montholon écrivait : Ce qui m'afflige le plus pour mon pays est de penser que l'empereur n'a pas été si mal traité par les Anglais dans une prison anglaise que ne l'est son neveu par les Français dans une prison française.
[23] Tremblaire, Revue de l'Empire, Gallix et Guy, de Barins, Hachet-Souplet, etc.
[24] Tremblaire, Revue de l'Empire.
[25] Tremblaire, Revue de l'Empire.
[26] Tremblaire, Revue de l'Empire.
[27] Tremblaire, Revue de l'Empire.
[28] Tremblaire, Revue de l'Empire. Giraudeau, déjà cité. — La surveillance était d'ailleurs, avant tout, tracassière, au demeurant assez mal renseignée. Des offres sérieuses furent faites au prince Louis-Napoléon : la police n'en a jamais rien su. Par coutre, un capitaine au long cours ayant demandé la permission de communiquer avec le prisonnier de Clam, à qui il devait remettre un message du gouvernement de l'Amérique centrale relatif au canal du Nicaragua, la police ne manqua pas de trouver à cette démarche tous les caractères d'un projet d'évasion. Injonction fut donc faite au commandant de la forteresse de se tenir sur ses gardes, et en exécution de cet ordre. la surveillance fut portée à l'excès ; le zèle des agents stipendiés s'exalta jusqu'à la vision : en veut-on une preuve ? La voici : M. de Quérelles, impliqué dans l'affaire de Boulogne, était parvenu à s'échapper ; il vivait paisiblement en Prusse, lorsque la police de Paris signalait à celle de Ham sou arrivée certaine à Saint-Quentin. Cette police si renommée ne se manifestait coup sur coup que par l'énormité de ses bévues. Elle ne brillait pas dans l'exercice de la grande surveillance ; aussi, pour se consoler de son ineptie, se cramponnait-elle avec une sorte de rage à cette petite surveillance qui s'exerce sans finesse, et descend dans des détails trop perceptibles pour tromper qui que cc soit. B. Renault, Histoire, etc., déjà citée, p. 131.
[29] Hachet-Souplet, déjà cité.
[30] Hachet-Souplet, déjà cité.
[31] Hachet-Souplet, déjà cité.
[32] Hachet-Souplet, déjà cité. — S'il était mal logé, le prince Louis était bien gardé : 400 hommes dans le fort et 60 sentinelles répandues de tous mités avec une consigne sévère pour surveiller, stimuler leur vigilance, le chef de bataillon Girardet, commandant du fort et de la ville, un homme sûr, remplacé bientôt par un autre, choisi avec soin et plus sûr encore. Giraudeau, déjà cité. — Demarle avait désarmé le prince et l'avait arrêté à Boulogne. On pensait avoir ainsi un surveillant de premier ordre. Et, de fait, le nouveau commandant remplit si consciencieusement son office, il surveilla si bien son prisonnier, rendit un compte si minutieux de ses faits et gestes au ministre de l'Intérieur, que celui-ci, par deux fois, voulut l'en récompenser : non content de lui avoir fait donner la rosette de la légion d'honneur, il réclamait pour lui le grade de lieutenant-colonel. Ibid.
[33] Hachet-Souplet, déjà cité.
[34] Hachet-Souplet, déjà cité.
[35] Hachet-Souplet, déjà cité.
[36] Hachet-Souplet, déjà cité.
[37] Hachet-Souplet, déjà cité.
[38] Hachet-Souplet, déjà cité.
[40] Docteur Véron, Nouveaux mémoires d'un bourgeois de Paris, 1866 ; — Gallix et Guy, etc. — Un maitre d'école de Ham écrivit au prince pour lui demander d'accorder à ses meilleurs élèves quelques prix. Louis-Napoléon offrit des médailles. Celles-ci rappelaient les victoires impériales. L'autorité s'émut et donna des ordres pour que de pareils faits ne pussent se renouveler.
[41] Moniteur du 19 février 1849 — Ce qui m'occupe beaucoup maintenant, c'est le jardinage, dit le prince dans une lettre à M. Vieillard, notre nature a des consolations inconnues à ceux qui furent toujours heureux. G. Duval, déjà cité.
[42] Louis Blanc, Révélations historiques, t. II.
[43] Louis Blanc, Révélations historiques, t. II.
[44] La phrase est à retenir.
[45] Louis Blanc, Révélations historiques, t. II.
[46] Véron, Nouveaux mémoires d'un bourgeois de Paris. — Belmontet est un poète du vingtième ordre. Voir : Les Tristes, Paris. Boulland, 1824. -- Poésies de l'Empire français, 1853. — Les Braves de l'Empire, 1850, etc., et aussi : Joseph Napoléon jugé par ses contemporains, Levasseur, 1853.
[47] Hachet-Souplet, déjà cité.
[48] Hachet-Souplet, déjà cité.
[49] Hache-Souchet, déjà cité.
[50] Hache-Souchet, déjà cité.
[51] Hache-Souchet, déjà cité.
[52] L'auteur a certainement dû faire une confusion de date.
[53] Souvenirs de sir Drummond Wolff.
[54] Toute sa correspondance eu témoigne. Voir plus loin. — Il faut citer aussi une autre proposition qui aurait été faite au prince. Les soldats lui avaient offert de faciliter sa délivrance au risque de la paver de leur tête. Un jour, le général Changarnier se rend dans la forteresse de Ham. Il ne rend point visite au prisonnier et, pour inspecter la garnison, il la fait sortir hors de la forteresse, où il ne laissa qu'un sous-officier avec environ trente hommes. Le sous-officier cherche un prétexte pour s'approcher de la prison du prince, puis, aussitôt qu'il l’aperçoit, lui dit tout bas : Nous ne sommes ici qu'une poignée d'hommes et nous n’avons tous qu'une seule pensée qui se devine ; si le prisonnier veut s'échapper, il nous trouvera tous aveugles. Le prince lui répondit : Merci au brave qui me parle, mais je ne veux faire courir de danger à personne. Le sous-officier : Ce n'est pas possible, ce serait sottise de refuser. Le prince néanmoins ne se laissa pas ébranler dans sa résolution. A. Mansfeld, Napoléon III, t. I, p. 147.
[55] Giraudeau, ouv. déjà cité.
[56] Giraudeau, ouv. déjà cité.
[57] Giraudeau, ouv. déjà cité.
[58] Giraudeau, ouv. déjà cité. — Au dernier moment, de mauvaises nouvelles étant arrivées de Paris, il recula devant une aussi grande incorrection.
[59] Hache-Souchet, déjà cité.
[60] La Nouvelle Revue, 1er août 1894.
[61] Giraudeau. — Dans sa correspondance, George Sand lui prédisait une prochaine revanche. Elle lui donnait des conseils, et la lettre suivante vaut la peine d'être citée comme partait exemple de verbiage : — Prince, Je dois vous remercier du souvenir flatteur dont vous m'avez honorée en m'adressant, arec un mot de votre main qui m'est précieux, le noble et remarquable travail sur l'extinction du paupérisme. C'est de grand cœur que je vous exprime l’intérêt sérieux avec lequel j'ai étudié votre projet. J'ai été surtout frappée de la juste appréciation de nos malheurs et du généreux désir d'en chercher le remède. Quant à bien apprécier les moyens de la réalisation, je ne suis pas de force à le faire et, d'ailleurs, ce sont là des controverses dont je suis sûre que vous feriez au besoin bon marché. En fait d'application, il faut, peut-être, avoir la main à l’œuvre pour s'assurer qu'on ne s'est pas trompé et le rôle d'une vaste intelligence est de perfectionner les plans en les exécutant. — Mais l'exécution, prince, en quelles mains l'avenir la confiera-t-il ? Il y a peut-être inconvenance et manque de respect à soulever cette question en vous parlant. Peut-être aussi de vives sympathies en donnent-elles le droit. Je ne sais pas si votre infortune a des flatteurs, je sais qu'elle mérite d'avoir des amis. Croyez qu'il faut plus d'audace aux esprits courageux pour vous dire la vérité aujourd'hui qu'il n'en eut fallu si vous eussiez triomphé. C'est notre habitude, à nous démocrates, de braver les puissants et cela ne nous coûte guère, quel qu'en soit le danger. Mais, devant un héros captif et un guerrier enchaîné, nous ne sommes pas braves. Sachez-nous donc quelque gré, vous qui comprenez ces choses, de ce que nous voulons vous défendre des séductions que votre caractère, votre intelligence et votre situation exercent sur nous, et de ce que nous allons vous dire la vérité de nos consciences. Cette vérité, c'est que jamais nous n'aurions reconnu d'autre souverain que le peuple et que la souveraineté de tous paraitra toujours incompatible avec celle d’un homme. Aucun miracle, aucune personnification du génie populaire dans un seul ne nous prouvera le droit d'un seul. Mais vous savez cela ; vous le saviez peut-être quand vous marchiez vers nous. Et nous, s'il eût fallu que nous fussions conquis, nous eussions préféré à toute autre une conquête qui eût ressemblé à une délivrance. Mais il nous eût fallu vous voir à l'épreuve et ce que vous ne saviez pas, c'est que les hommes longtemps trompés ou opprimés ne s'éveillent pas dans un jour à la confiance. La pureté de vos intentions eût été fatalement méconnue, et vous ne vous seriez pas assis au milieu de nous sans avoir a nous combattre et à nous réduire. Telle est l'Inflexibilité des lois qui entraine la France vers son but que vous n'aviez pas mission, vous, homme d'élite, de nous arracher à la tyrannie. Hélas vous devez souffrir de cette pensée autant qu'on souffre de l'envisager et de le dire ; car vous méritiez de naître en des jours où vos rares qualités eussent pu faire notre bonheur. — Mais il est une autre gloire que celle de l'épée, un autre ascendant que celui des faits ; vous le savez maintenant que le calme du malheur vous a rendu toute cotre sagesse. toute sistre grandeur naturelle et sous aspirez, dit-on, à n'être qu'un citoyen français. C'est un assez beau rôle pour qui sait le comprendre. Vos préoccupations et vos écrits prouvent que nous aurions eu en vous un grand citoyen si les ressentiments de la lutte pouvaient s'éteindre et si le règle, de la liberté venait, un jour guérir les ombrageuses méfiances des hommes. Vous voyez comme les lois de la guerre sont farouches et implacables, vous qui les avez courageusement affrontées et qui les subissez plus courageusement encore. Elles paraissent odieuses quand on voit un homme tel que vous en être la victime. — Eh bien ! là est votre gloire nouvelle, là sera votre grandeur véritable. Le nom terrible et magnifique que vous portez n'eût pas suffi pour nous vaincre. Nous avons à la fois diminué et grandi depuis les jours d'ivresse sublime qu'il nous a donnés. Son règne illustre n'est plus de ce monde et l'héritier de son nom, penché, inédite, attendri, sur le sort des prolétaires ! — Oui, c'est là votre gloire ! C'est un aliment sain qui ne corrompra pas la sainte jeunesse et la haute droiture de votre âme, comme l'eût fait peut-être l'exercice du pouvoir malgré vous. Là serait le lien du cœur entre vous et les âmes républicaines que la France compte par milliers aujourd'hui. Quant à moi, je TIC connais pas le soupçon et s'il dépendait de moi, après vous avoir lu, j'aurais foi en vos promesses et j'ouvrirais la prison pour vous faire sortir, la main pour vous recevoir. Mais, hélas ! ne vous faites pas d'illusions ! Ils sont tous inquiets et sombres autour de moi ceux qui aspirent à des jours meilleurs. Vous ne les vaincrez que par les idées, par le sentiment démocratique, par la doctrine de l'égalité. Vous avez de tristes loisirs, mais vous savez eu tirer parti. Parlez-nous donc de délivrance et d'affranchissement, noble captif : Le peuple est comme vous dans les fers. Le Napoléon d'aujourd'hui est celui qui personnifie les douleurs du peuple comme l'autre personnifiait ses gloires. Acceptez, prince, l’expression de mes sentiments respectueux. — G. Sand, 26 novembre 1844. — Histoire de Huit ans.
[62] Giraudeau, ouv. déjà cité.
[63] Hachet-Souplet, déjà cité.
[64] Revue de l'Empire, t. V. — Sa tentative de Boulogne et son emprisonnement ne lui avaient pas enlevé la sympathie des officiers enrôlés pour le complot de Boulogne et qui n'avaient pas marché. Quand leurs garnisons furent déplacées, ils passèrent par Ham et firent parvenir leurs cartes au prince. Nous ne devons pas oublier un fait qui annoncerait de nombreuses connivences. Pendant la marche de la division du Nord vers le midi, plusieurs d'entre les régiments traversant la ville de Ham, des officiers en grand nombre firent remettre leurs cartes au prince captif. Celui-ci de son côté avait la liste des officiers dont on lui avait promis le concours ; il put voir quels étaient ceux qui semblaient lui renouveler leurs engagements. E. Regnault, Histoire de Huit ans, passage déjà cité précédemment.
[65] Il ne monta d'ailleurs pas longtemps, devenant par trop l'objet de la curiosité collective des geôliers, des soldats et des habitants de Hani, groupés aux abords des guichets. Le commandant lui-même se tenait au milieu de la cour, et tout le poste était sous les armes ainsi longtemps que le prince n'était pas rentré. — B. Renault, Histoire de Louis-Napoléon Bonaparte, déjà cité, p. 130.
[66] H. Thirria, ouv. déjà cité, etc.
[67] Il écrivait eu novembre 1310 à Ferdinand Barrot : Je ne puis guère me louer de la manière dont on a été pour moi depuis que je suis ici. Pas le moindre égard, et la surveillance la plus active jointe aux mesures les plus inutiles de précaution. Les ministres de Charles X étaient mieux traités que nous... . En mai ! Sil il finit par protester en s'adressant au ministère même : Pendant les neuf mois que j'ai passés dans les mains du gouvernement français, je nie suis patiemment soumis à ses indignes traitements de tous genres ; je ne veux pas. cependant, garder un plus long silence qui semblerait une adhésion aux mesures oppressives dont je suis l'objet. — Ma position doit être considérée sous deux points de vue, l'un moral. et l'autre légal. Quant au premier, le gouvernement qui a reconnu la légitimité du chef de nia famille. est forcé de me reconnaitre comme prince et de me traiter comme tel. — La politique a des droits que je ne prétends pas contester : que le gouvernement agisse à mon égard comme envers un ennemi. qu'il me prive des moyens de lui nuire, je n'aurai pas à me plaindre ; mais en même temps sa conduite sera inconséquente s'il me traite comme un prisonnier ordinaire, moi, Cils d'un roi. neveu d'un empereur et allié à tous les souverains de l'Europe... ri, pour la première fois de nia vie, je m'appuie sur le hasard qui a présidé à ma naissance, c'est que la fierté sourient à ma position actuelle et que j'ai acheté les anciennes faveurs du sort au prix de vingt-sept ans de souffrances et de chagrins. — En ce qui touche ma position légale. la Cour des pairs à créé pour moi une pénalité exceptionnelle. En nie condamnant à un emprisonnement perpétuel, on n'a fait que légaliser le décret du destin qui voulait que je fusse prisonnier de guerre. On a essayé d'adoucir la politique par l'humanité, en m'infligeant la peine la moins dure pour le plus longtemps possible. liais, dans l'application, le gouvernement est allé au delà des intentions que j'aime à attribuer à mes juges. Accoutumé, dés nia jeunesse, à une rie simple, je ne me plains pas de l'inconvenante médiocrité dans laquelle on nie place : mais ce dont je me plains, c'est d'être la victime de mesures vexatoires que ne commande en rien le soin de ma surveillance... Un tel système de terreur a été cuis eu ceux re dans la garnison et parmi les employés du château que nul n'ose lever tes veux sur moi et qu'il faut ici à un homme beaucoup de courage pour être simplement poli. Contaient en serait-il autrement, lorsqu'un regard est considéré comme un crime et que ceux qui voudraient adoucir ma position sans manquer à leur devoir sont dénoncés à l'autorité et menacés de perdre leur place Au milieu de cette France que le chef de ma famille a rendu si grande, je suis traité comme l'était un excommunié au XIIIe siècle. Chacun fuit à mon approche et l'on semble redouter mon contact, comme si mou souffle même était contagieux. — Cette insultante inquisition qui me poursuit jusque dans ma chambre, qui s'attache à mes pas lorsque je vais respirer l'air dans un coin du fort, ne s'arrête pas à ma personne ; elle veut encore pénétrer jusqu'à mes pensées. Les effusions de mon cœur dans les lettres que j'adresse à ma famille sont soumises au plus sévère contrôle : et, si quelqu'un m'écrit en termes trop sympathiques, la lettre est confisquée et son auteur dénoncé au gouvernement... Si l'on croit arriver ainsi à me réduire, on se trompe. Ce n'est pas l'outrage, c'est la bienveillance qui subjugue les cœurs de ceux qui savent souffrir. Gallix et Guy, déjà cité.
[68] Giraudeau, déjà cité.
[69] Giraudeau, déjà cité.
[70] Giraudeau, déjà cité.
[71] Giraudeau, déjà cité.
[72] Hachet-Souplet, déjà cité.
[73] Pierre de Lano, L'Empereur.
[74] Hachet-Souplet, déjà cité.
[75] Hachet-Souplet, déjà cité.
[76] Hachet-Souplet, déjà cité.
[77] Hachet-Souplet, déjà cité.
[78] Hachet-Souplet, déjà cité.
[79] Hachet-Souplet, déjà cité.
[80] Hachet-Souplet, déjà cité.
[81] P. de Lano, déjà cité.
[82] P. de Lano, déjà cité.
[83] Hachet-Souplet, déjà cité.
[84] Hachet-Souplet, déjà cité.
[85] Hachet-Souplet, déjà cité.
[86] Hachet-Souplet, déjà cité.
[87] Il dit une fois à une de ses visiteuses : Je vous rendrai cela aux Tuileries. E. Ollivier, ouv. déjà cité, p. 74.
[88] Ce renseignement nous a été fourni obligeamment par un fils du pays tout particulièrement apparenté pour nous parler du prince à Ham, M. L. A. Qu'il eu soit ici remercié.
[89] Le prince y écrivit justement les lignes suivantes : Plus le corps est étroitement resserré, plus l'esprit est disposé à se lancer dans les espaces imaginaires et à agiter la possibilité d'exécution de projets auxquels une existence plus active ne lui aurait peut-être pas laissé le loisir de songer. — Louis-Napoléon prépara à Ham son avenir politique. La captivité de Sainte-Hélène est un épilogue, celle de Ham un prologue. I. de Saint-Amand, déjà cité.
[90] Giraudeau déjà cité. — E. Ollivier, L'empire libéral. Carnier, 1897, — En dehors de ses ouvrages littéraires, le prince adressa à M. Arago un mémoire important sur la production des courants électriques. Cette communication mérita un rapport approbatif à l'Académie des sciences et fut insérée dans les procès-verbaux.
[91] Barins, Gallix et Guy, etc., déjà cité. De La Guéronnière, Portraits politiques contemporains, etc.
[92] Giraudeau, ouv. déjà cité.
[93] Il écrivait à Ledru-Rollin : Je serais heureux d'avoir comme représentant un homme dont les convictions politiques se rapprochent si intimement des miennes.
[94] Il correspondit à ce sujet avec Sismondi. Une des lettres de Sismondi est publiée dans Le Prisonnier de Ham. Plon. 1849.
[95] E. Regnault, Histoire de Huit ans.
[96] Persigny, par exemple, était pour les doctrines impérialistes les plus rigides et n'admettait point encore à ce moment l'alliance avec les républicains. Depuis que le prince communiquait avec les écrivains démocrates, ses relations avec les complices de Boulogne étaient beaucoup moins actives ; il affectait même de n'en parler qu'avec un certain dédain. M. Fialin de Persigny surtout ne semblait plus lui inspirer aucune sympathie. C'était l'homme des traditions impériales et, à ce titre, le prince devenu démocrate en faisait bon marché. Aux premiers temps qui suivirent la condamnation. M. de Persigny avait fait les plus vives instances pour être appelé à Ham, le gouvernement ayant laissé au captif la faculté de désigner deux compagnons de sou choix. Mais toutes ses prières furent inutiles. On eut dit un courtisan complètement disgracié. E. Regnault. — Il faut tenir compte, à ce sujet, des rivalités dont nous avons parlé précédemment. Je doute fort que le prétendant ait, de lui-même, renié Persigny, le meilleur soldat de sa cause à celle date, et qu'il fait désavoué. Il l'écarta peut-être momentanément, comptant bien le rappeler ensuite, ce qu'il fit d'ailleurs. (Le rôle de Persigny en 45 le prouve. Voir les Mémoires du 9énéral du Barail où l’auteur raconte que Persigny, habitant à côté de l'Élysée, était l'âme damnée du prince-président.) La situation de Louis-Napoléon entre des amis aussi divers que les siens était difficile. Sûr de Persigny et de le retrouver toujours, il le sacrifia par nécessité un laps de temps donné. — en admettant qu'il fait sacrifié, car il n'y en a d'autre preuve, à ma connaissance, que ce passage d'E. Regnault. Ils continuèrent en tout cas de correspondre. Persigny, dans une de ses lettres, donne au prince des conseils, le prie d'exhorter Montholon à publier ses mémoires afin de réagir contre ceux qui représentent Napoléon Ier comme un ambitieux avide de partager le monde au profit de sa famille. M. de Montholon dit qu'on ne le croira pas sur parole. Mais on a bien cru M. de Las Cases et à une époque où l'opinion était bien autrement égarée qu'aujourd'hui. Après avoir fait observer que dans mille ans il y aurait encore bien des gens qui ne sauraient pas juger l'empereur, il dit : S'il y a des Vigny pour insulter niaisement ce qu'ils ne savent pas comprendre, il y a des Molé et des Thiers pour leur répondre. Quant à Montholon il n'a qu'a raconter, qu'à se souvenir. Il termine : Adieu, mon prince, pardonnez-moi celte lettre hâtive, mais je suis accablé d'ouvrage et je n’ai pas le temps d'être clair... Votre très respectueux et très dévoué serviteur, F. de Persigny. Dans le post-scriptum, il s'occupe de l'éditeur préférable pour la publication des mémoires. (Collect. A. L) L'adresse est mise ainsi : à S. A. I. le prince Napoléon à Ham.
[97] Rien, en général, n'est plus apte à entourer un prétendant d'une atmosphère nuisible qu'une cour d'exil. Ceux qui la composent, n'ayant aucun ingéré. à ce que le prince se dérange, au contraire, s'emploient de leur mieux à lui masquer l'aspect véritable de la politique et à le faire vivre dans des conditions telles qu'il finisse par se croire peu à peu, quand même, une sorte de souverain. Les courtisans de la réussite font perdre, la plupart du temps. le fruit de la victoire ; ceux du malheur, lorsqu'ils s'incrustent, sont pires, car ils empêchent la conquête.
[98] Depuis la mort de son frère ; en 1831, le prince signait son nom ainsi : Napoléon-Louis Bonaparte, afin de se conformer à la volonté de l'empereur qui avait décidé que rainé de la famille s'appellerait toujours Napoléon. Lors des élections qui eurent lieu après la révolution de Février, l'ordre des prénoms du prince avant donné lieu à quelque confusion, il s'est décidé à reprendre la signature qu'il avait avant la mort de son frère. Nous avons écrit toujours Louis Napoléon pour plus de simplicité. — (Œuvres de Louis-Napoléon Bonaparte, publiées par Ch. Edouard Tremblaire, 3 vol. 1848, Librairie napoléonienne, note 1, t. I.
[99] Voir précédemment. Il y eut néanmoins entre le prince et Mme Cornu une active correspondance. Voir Blanchard-Jerrold, Life of Napoleon the third. — Mme Cornu servait au prince pour lui rechercher des documents et des livres, et pour lui corriger les épreuves des siens. Afin d'être sûr, dit-il a un éditeur, que les dernières épreuves soient soigneusement corrigées, je prie Mme Cornu de les relire une dernière fois et de mettre dessus bon à tirer. De cette manière, rien ne sera changé dans l'envoi des feuilles ; seulement, lorsque j'aurai fait toutes les corrections, j'écrirai sur la feuille comme je le fais aujourd'hui : envoyer à Mme Cornu pour le bon à tirer. Tant que je n'aurai pas écrit ces mots, en me renverra toujours les épreuves, etc. (Collection A. L.) Il s'adressait également au baron Desportes pour ses recherches de livres. Mon cher monsieur Desportes, lorsque je désire quelque chose, c'est à vous que je m'adresse parce que je sais que vous êtes toujours prêt à m'obliger ; aussi j'abuse quelquefois, je crains, de votre bon cœur... Je voudrais avoir la brochure que Lombard a publiée en 1839, intitulée : Le prince Napoléon et le ministère Molé, etc. Ham, 6 avril 1849. — Ibid. Mme Cornu — Mlle Lacroix, de son nom de jeune fille — était de sentiments plutôt républicains, dit M. Ollivier, et amie de Godefroy Cavaignac. Édit, déjà citée, p. 71,
[100] Blanchard-Jerrold, Life of
Napoleon the third.
[101] Guillaume d'Orange, par ses idées, par son énergie, par ses sentiments, dont l'un consistait en une foi puissante dans la force du dévouement populaire, ne pouvait que plaire au prince et lui figurer même une sorte de modèle, un de ces dieux que l'on élève en l'honneur de ses songes dans la chapelle intérieure pour attendre avec plus de patience les temps favorables et apprendre en détail le rôle qu'il faudra jouer. Louis-Napoléon montre le Taciturne faisant valoir pour les uns son droit héréditaire, pour les autres ses principes, pour tous, les intérêts communs ; il l’approuve lorsqu'il témoigne ne vouloir rien accepter que du vote libre de la nation, lorsqu'il reconnaît qu'on n'impose jamais sa volonté ni sa personne à un grand peuple. Renault, Histoire du prince Louis-Napoléon, p. 146, déjà cité. — Guillaume d'Orange rappelait même au prince un type physique identique au sien ; il est le lymphatique par excellence. Et, disait la grande Catherine de Médicis, le monde appartient aux lymphatiques. Il y a, en effet, dans ce tempérament, si parfait déjà par lui-même pour donner le change, une sage lenteur : la formation est progressive ; avec un régime adroit et maintenu, l'homme lymphatique défie plus d’un sanguin. Cet état convient à merveille à la méditation : le physique gène à peine celle-ci et se maintient dans l'étal qui lui permet le mieux de se développer ; une certaine diminution momentanée de vigueur permet à la 'musée de se jouer dans un domaine plus pur. La nécessité du calme pour réfléchir est si évidente qu'une circulation du sang trop rapide empêche un travail prolongé. Il semble qu'une sorte de stagnation soit nécessaire pour que l'intelligence tout entière fleurisse, maîtresse absolue, résultat de l’être. — Là réside même une des difficultés de l'action.
[102] Hachet-Souplet, déjà cité.
[103] Ces journaux possédaient leur importance locale et même ils avaient, en dehors de leur département, une bonne renommée : leurs articles étaient cités un peu partout, même à Paris. A. Morel, Napoléon III, déjà cité. p. 20.
[104] Hachet-Souplet, déjà cité.
[105] Le gouvernement ne tracassa aucun des deux journaux, mais fit officieusement savoir par le parquet que si la collaboration suspecte continuait, le brevet des imprimeurs serait retiré. E. Ollivier, Louis-Napoléon, etc. déjà cité, p. 69.
[106] Histoire de Huit ans, déjà citée. — Degeorge mourut le 22 juillet 1851. Un monument lui fut élevé par souscription. La souscription s'éleva au chiffre de 4.376 francs. Un anonyme avait souscrit pour mille francs. C'était Napoléon III. E. Ollivier, ouv, déjà cité, p. 68.
[107] Histoire de Huit ans, déjà citée. — Le prince pouvait faire entendre aux républicains qu'il les aimait et qu'il n'avait renoncé à leur mode de gouvernement que par sagesse. N'avait-il pas écrit les lignes suivantes dans son premier livre, les Rêveries politiques ? ... Si la vertu était toujours le seul mobile, si le nitrite parvenait seul au pouvoir, alors je voudrais une république pure et simple. Mais, entourés comme nous le sommes d'ennemis redoutables qui ont à leurs ordres des milliers de soldats qui peuvent renouveler chez nous l'irruption des barbares, je crois que la république ne pourrait repousser l'invasion étrangère et comprimer les troubles civils, qu'en ayant recours aux moyens de rigueur qui nuisent à la liberté. Quant à la vertu et au nitrite, on voit souvent dans une république qu'ils ne peuvent atteindre qu'un certain degré : on l'ambition les corrompt, ou la jalousie les perd. C'est ainsi que tous les génies transcendants sont souvent écartés par la défiance qu'ils inspirent, et l'intrigue alors triomphe du nitrite qui pouvait illustrer la patrie. Et son rêve gouvernemental était un gouvernement qui procurât tous les avantages de la république sans entrainer les mêmes inconvénients, en un mot, un gouvernement qui fût fort sans despotisme, libre sans anarchie, indépendant sans conquêtes.
[108] Histoire de Huit ans.
[109] Gallix et Guy, déjà cité.
[110] Histoire de Huit ans.
[111] Nouvelle Revue, 1er et 23 août 1894.
[112] Nouvelle Revue, 1er et 23 août 1894.
[113] Histoire de Huit ans.
[114] On se souvient que, cependant, dans une de ses proclamations de Boulogne, Thiers était indiqué comme chef momentané du gouvernement. Il y avait, peut-être, eu entente, puis désaccord. La réponse de Thiers en 18466 n'a rien d'empressé. Thiers n'admettait pas d'être dépassé et redoutait le prince.
[115] Œuvres de Napoléon III, déjà cité.
[116] Histoire de Huit ans.
[117] Revue de Paris, 15 avril 1894.
[118] Revue de Paris.
[119] Giraudeau, ouv. déjà cité. Revue de Paris.
[120] Giraudeau, ouv. déjà cité. Revue de Paris.
[121] Georges Duval, déjà cité.
[122] Gallix et Guy, déjà cité.
[123] Gallix et Guy, déjà cité.
[124] Tout ceci prouve ce que nous avons noté précédemment.
[125] G. Duval, déjà cité. — Il écrivait encore : Je crois à la fatalité. Si mon corps a échappé miraculeusement à tous les dangers. si mon âme s'est soustraite à tant de causes de découragement, c'est que je suis appelé à faire quelque chose. Cité dans E. Ollivier, p. 74.
[126] Il publia également des articles dans la Revue de l'Empire, fondée par Ch. Tremblaire en 1S42 et dont le premier souscripteur fut Louis-Philippe. — Les députés qui le soutinrent à la Chambre avant la mort du comte de Saint-Leu le démontrèrent, ainsi que sa première élection en 1848 : Chaque jour faisait tomber une portion de l'épais bandeau qui couvrait les yeux de ceux dont les préventions coutre le neveu de l'empereur avaient été jusque-là si habilement entretenues. E. Renault, Histoire de prince Louis-Napoléon, p. 142, déjà cité.
[127] Pagnerre, 1844.
[128] Il dit à ce sujet dans son Analyse de la question des sucres : L'agriculture est le premier élément de la prospérité d'un pays parce qu'elle repose sur des intérêts immuables et qu'elle forme la population saine, vigoureuse des campagnes. L'industrie repose très souvent sur des bases éphémères et, quoique, sous certains rapports, elle développe davantage les intelligences, elle a l'inconvénient de créer une population malingre qui a tous les défauts physiques provenant d'un travail malsain dans des lieus privés d'air et les défauts moraux résultant de la misère et de l'agglomération d'hommes sur un petit espace.
[129] Coïncidence qui vaut la peine d'être notée, cette théorie rappelle beaucoup celle de Ruskin, formulée par lui vers 1830.
[130] Il est à remarquer que sous le second Empire les ouvrages qui traitèrent de Rome furent très nombreux. Il serait trop long d'en donner la liste ici.
[131] Fragments historiques 1688 et 1830, par le prince Napoléon-Louis Bonaparte, administration de librairie, 1841 Chateaubriand lui écrivit la lettre suivante pour le remercier de l'exemplaire qu'il avait reçu : Prince, au milieu de vos infortunes, vous avez étudié avec autant de sagacité que de force, les causes d'une révolution qui, dans l'Europe moderne, a ouvert la carrière des calamités royales. Votre amour de la liberté. votre courage et vos souffrances vous donneraient à mes yeux tous les droits si, pour être digne de votre estime. je ne devais rester fidèle à Henri V, connue je le suis à la gloire de Napoléon, etc.
[132] Le prince, dans ses Fragments, retrace les faits qui amenèrent la chute des Stuarts. Ces faits et leurs conséquences, il semble que, dans l'intérêt de la France, il ait voulu les jeter en avertissement au gouvernement anti-progressiste qui, depuis dix-sept ans, n'avait cessé de se mettre en travers des idées et de s'épuiser en efforts pour tuer tout ce qu'il avait pris l'engagement de vivifier. Cet avertissement, il ne l'articule pas, mais sa teneur ressort trop nettement d'une récapitulation des plus saisissantes, d'après laquelle il est impossible de ne pas conclure que si les Stuarts avaient un système politique, c'est précisément le système que nous avons vu appliquer chez nous par les habiles qui se vantaient de nous donner une révolution de 1688. La leçon est constamment celle-ci : Vous creusez un gouffre où vous disparaîtrez, prenez garde. B. Renault, ouv. déjà cité, p. 119.
[133] Ces deux passages valent aussi d'être cités : Le plus grand ennemi d'une religion est celui qui prétend l'imposer ; le plus grand ennemi de la royauté, celui qui la dégrade ; le plus grand ennemi du repos de son pays, celui qui rend une révolution nécessaire. — Si Guillaume II eût suivi la politique des Stuart, il eût été renversé, et les ennemis de la nation anglaise, en voyant encore de nouveaux besoins de changements, eussent accusé le peuple d'inconséquence et de légèreté, au lieu d'accuser les gouvernants d'aveuglement et de perfidie ; ils eussent dit que l'Angleterre était une nation ingouvernable : ils l’eussent appelée, comme Jacques II l’a nommée dans ses mémoires, une Nation empoisonnée. Mais, en dépit de ces accusations, la cause nationale, tôt ou tard exit triomphé, car Dieu et a raison eussent a la fois été pour elle.
[134] Gallix et Guy. — Il reprit cependant son idée après sa fuite, une fois réinstallé à Londres. Il publia, en anglais, une assez longue brochure intitulée : Projet touchant le canal de Nicaragua dans le but de relier l'océan Atlantique à l'océan Pacifique. Dans cette brochure, éditée chez Mills, le prince, utilisant ses travaux de 1842, les avait complétés par les observations techniques que, depuis et à sa demande, un officier de marine avait bien voulu faire sur les lieux. Cette grande entreprise, dont l'exécution devait être un bienfait pour tous les pays, l'intéressait fort ; il songeait sérieusement à en aller prendre la direction : le mouvement réformiste et l'agitation qui commençaient à se produire en France le décidèrent à ajourner ce projet. Giraudeau, déjà cité.
[135] Il faudrait citer — mais nous n'en avons pas la place — beaucoup de ces articles. Ils indiquent réellement une pensée politique très juste. Au moins pouvons-nous essayer de résumer les principaux passages. — Au sujet des conservateurs, le prince fait observer leur absurdité ; déclarant les comprendre en Angleterre où grâce à leur énergie constante, ils représentent la défense et une tradition vivante et nécessaire, il avoue lie pas se les expliquer en France où, comme parti, ils n'ont aucun glorieux antécédent, eux qui veulent aujourd'hui conserver ce que hier encore ils renversaient — ou aidaient à renverser. — Il dévoile le vice de l'opposition qui veut être l'opposition quand même, et cela sans passion vraie, sans Lut défini an lieu qu'elle devrait être énergique et pratique. — Il avait préludé à l'Extinction du paupérisme en démontrant que le fléau de la France était l'individualisme, c'est-à-dire l'isolement de l'individu. Il rappelait à ce sujet les paroles du premier consul au Conseil d'État : Je vois bien un pouvoir législatif et administratif, mais le reste de la nation, qu'est-ce ? Des grains de sable... Et ces grains de sable qui, dispersés, ne sont que poussière, il pensait qu'en les réunissant on formerait un roc inébranlable, etc.
[136] Œuvres de Louis-Napoléon Bonaparte, déjà cité.
[137] Par la suite, l'empereur n'oublia pas, comme on pourrait le croire, ses plans de réalisation militaire ; il ne put pas les réaliser, Il se heurta, d'un côté, aux idées préconçues des principaux chefs, de l'autre, aux mille dangers qu'une rénovation aussi grande entrainerait pour son gouvernement et sa couronne et, eu dernier lieu, à l'opposition parlementaire.
[138] Il faut, disait aussi M. de Rémusat, qu'il règne et commande encore dans l'enceinte où vont reposer les soldats de la patrie et où iront toujours s'inspirer ceux qui seront appelés à la défendre. Son épée sera déposée sur sa tombe. L'art élèvera sous le lime des Invalides, au milieu du temple consacré par la religion au dieu des armées, un tombeau digne, sil se peut, du nom qui doit y être gravé... Désormais la France, et la France seule, possédera tout ce qui reste de Napoléon ; son tombeau, comme sa renommée, n'appartiendra à personne qu'à son pays. La monarchie de 1830 est l'unique et légitime héritière de tous les souvenirs dont la Franco s'enorgueillit...
[139] Mémoires de Metternich, déjà cités.
[140] H. Thirria, Napoléon III avant l'Empire, déjà cité.
[141] C'est le 7 mai 1$10 que Louis-Philippe avait répondu au conseil suprême de la régence d’Espagne qui lui offrait un commandement en Catalogue : J'accepte... En le faisant, je me conforme aux désirs de Sa Majesté et des princes, mes beaux-frères, si éminemment intéressés aux succès de l'Espagne contre le tyran qui a voulu ravir tous ses droits à l'auguste maison dont j'ai aussi l'honneur d'être issu. Heureux si mes faibles efforts peuvent contribuer à relever et à soutenir les trônes renversés par l'Usurpateur et à maintenir l'indépendance et les droits des peuples qu'il foule aux pieds depuis si longtemps. — En mai 1840, le maréchal Soult était ministre de la Guerre et président du Conseil, et l'implacable Gazette lui resservait la proclamation qu'il avait adressée en mars 1815 à l'armée, proclamation dans laquelle il traitait l'empereur, qu'il appelait Buonaparte, d'aventurier et de dément, etc.
[142] Si le chiffre est vrai, il est significatif.
[143] B. Renault, Gallix et Guy, de Barins, etc., ouv. déjà cité.
[144] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène en 1840, par Arthur Bertrand, né à Sainte-Hélène. Pantin, 1841.
[145] Histoire de Huit ans, déjà cité. — Le prince de Joinville était venu la veille visiter le tombeau, ce tombeau dont les dalles sombres ne portaient aucun nom. — Voici comment le décrit Las Cases : Le tombeau de Napoléon est d'une extrême simplicité. A peu près au niveau du sol, trois dalles, rapprochées l'une de l'autre et noircies par l'atmosphère, forment un carré d'environ neuf pieds sur six. Ces dalles sont bordées de pierres blanches, autour desquelles est une bande de quelques pouces de terre végétale... Puis vient une grille très ordinaire en fer. Elle n'avait pas de portes et ou ne pouvait entrer dans son enceinte qu'en défaisant un des barreaux. — Autrefois deux saules pleureurs assez grands ombrageaient la tombe. Un seul reste encore ; l'autre est mort. Mais dix-huit petits saules out été plantés depuis... Le gazon est très touffu. Le tombeau et les saules sont entourés d'un grillage en bois peu élevé, formant une enceinte irrégulière d'environ soixante-dix à quatre-vingts pieds de diamètre Dans l'intérieur, et touchant presque au grillage, ont été plantés circulairement trente-quatre cyprès. — Tel est le tombeau de Napoléon. On n'y voit ni ornements, ni inscriptions ; non que la grandeur de l'homme rendit leur choix ou leur composition difficile, mais c'est qu'alors la haine de ses ennemis le poursuivit jusque dans son cercueil. La seule inscription que Sir H. Lowe crut pouvoir autoriser fut considérée par les Français comme inconvenante. On ne mit rien. Journal écrit à bord de la frégate la Belle Poule, par Em. baron de Las Cases. — Delloye, 1841.
[146] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[147] Ou un quart (Journal écrit, etc., cité plus loin).
[148] Les mouvements de ces hommes travaillant avec activité à la lueur des fanaux, dans le brouillard, se mouvant au milieu des cyprès et des saules, leur donnaient l'apparence d'ombres qui s'agitaient ; le bruit des marteaux retentissant sur les grilles de fer ; les cris fréquemment répétés des nombreuses sentinelles placées dans les montagnes environnantes, tout répandait sur cette scène une teinte lugubre. Journal écrit, etc.
[149] A neuf heures vingt-six minutes la dalle fut enlevée ; d'un mouvement spontané et unanime, tous les assistants se découvrirent... On voyait un cercueil en acajou, isolé de toutes parts, excepté inférieurement. Il reposait sur une autre dalle que portaient huit montants en pierre. Le bois était humide, mais dans un état de conservation parfait. La planche inférieure qui autrefois avait été extérieurement couverte de velours, était la seule qui commençait à être un peu altérée. On apercevait encore la blancheur des têtes de vis qui avaient été argentées ; l'argent n'avait pas disparu. On voyait à côté du cercueil les sangles et les cordages qui avaient servi à le descendre... Journal écrit, etc.
[150] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[151] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[152] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[153] On sait que le cœur contenu par l'urne a été mis en doute quant à son authenticité. L'histoire est trop connue pour que nous la racontions ici. Voir Cabanès, Le cabinet secret de l'histoire.
[154] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[155] Le docteur, après l'avoir légèrement enduit de créosote, replaça le morceau de soie ouaté dans la même position où il avait été trouvé, et le cercueil tut clos. Il était une heure ; on ne put ressouder le fer-blanc ; les ouvriers affirmaient qu'il était peroxydé, que cela demanderait un travail de plusieurs heures et le temps ne le permettait pas. Mais on revissa le cercueil eu acajou. M. Guillard fit ressouder devant lui avec le plus grand soin l'ancien cercueil eu plomb. Journal écrit, etc., déjà cit.
[156] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[157] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[158] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[159] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[160] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[161] Lettres sur l'expédition de Sainte-Hélène, etc.
[162] Histoire de Huit ans. — Journal écrit à bord de la Belle Poule, déjà cit. — Souvenirs de voyage é Sainte-Hélène, par l'abbé F. Coquerau, 1 vol. 1840. — Souvenirs du prince de Joinville, Cal.-Lévy.
[163] Histoire de Huit ans. — Journal écrit à bord de la Belle Poule, déjà cit. — Souvenirs de voyage é Sainte-Hélène, par l'abbé F. Coquerau, 1 vol. 1840. — Souvenirs du prince de Joinville, Cal.-Lévy.
[164] Histoire de Huit ans. — La Belle Poule, après avoir servi en 1855 de transport pendant la guerre de Crimée, fut désarmée à Toulon de 1857 à 1861. Elle servit ensuite de poudrière jusqu'eu 1891, date où elle fut démolie et rapporta, de ce fait, 29.000 francs. — Renseignements obligeamment fournis par M. A. Vivien, du ministère de la Marine.
[165] Histoire de Huit ans.
[166] Histoire de Huit ans.
[167] Histoire de Huit ans.
[168] Histoire de Huit ans.
[169] Histoire de Huit ans.
[170] Histoire de Huit ans.
[171] On lit dans la Presse du 20 décembre sous la signature du vicomte de Launay, pseudonyme de de Girardin : Oui, c'était un beau spectacle que de voir ce peuple généreux saluant avec amour le cercueil triomphal. Quel empresse-nient ! quelle émotion ! Quatre heures d'attente sous la neige n'avaient découragé personne. On tremblait, on souffrait horriblement, n'importe, on restait là ! Quelques-uns risquaient leur pain ; un bras perclus, c'était la misère pour eux ; quelques-uns risquaient leur vie. Tous risquaient leur santé. N'importe, on attendait avec patience et courage. Le National écrivait : Jamais spectacle plus sublime n'a frappé les regards humains... Aussitôt que l'on a vu cette bière... l'émotion, une émotion qu'on ne décrit pas quand ou l'a sentie, a pénétré dans l'enceinte... etc. — Les fenêtres étaient louées cent francs ; un balcon était payé trois mille francs. — Relire les vers de Hugo dans l’éd. suiv. : Le retour de l'empereur, poème par Victor Hugo, suivi de l'Ode à la colonne et autres poésies de l'auteur sur Napoléon. 1 vol., in-35. Delloye, 1841. Et consulter : Choses vues.
[172] Histoire de Huit ans. — L'auteur vit ce spectacle incomparable.
[173] Histoire de Huit ans.
[174] Histoire de Huit ans. — La personnalité de Louis-Philippe disparaissait devant les cendres du représentant de la guerre. Les ministres et les autres amis du pouvoir revinrent de cette solennité effrayés du succès. D'Alton-Shée, Mémoires, t. II. J'ai assisté, dit Odilon Barrot, comme député, à la cérémonie dans laquelle le roi reçut l'épée de Napoléon et la déposa sur la tombe : c'était un des jours les plus froids d'un hiver extrêmement rigoureux. Rien ne pouvait être plus faux que cette scène, car personne ne s'y trouvait dans son rôle naturel ; le roi surtout y paraissait déplacé. Qu'y avait-il, en effet, de commun entre lui et Napoléon ? On l'appelait bien, quand on voulait le flatter, le Napoléon de la Paix ; mais c'était par contraste et non par ressemblance. Et puis, comment pouvait-il être sincère dans l'hommage rendu à la mémoire de celui qui avait fait fusiller le due d'Enghien, son cousin ? Aussi l'enthousiasme populaire était-il tout entier pour l'illustre mort : la légende napoléonienne revivait dans toute sa puissance ; les vivants ne paraissaient que d'assez pauvres comparses, appelés à jouer un rôle secondaire dans cette comédie. On avait cru faire diversion aux sentiments de la liberté ; on n'avait réussi qu'à ressusciter les souvenirs de l'Empire et à se préparer au successeur... T. I, p. 351. Charpentier, 1875.
[175] Histoire de Huit ans. — A mon sens, il y a dans cette appréciation un certain parti pris ; mais n'ayant pas encore en main une preuve absolue capable d'établir notre sentiment, nous le suggérons en note sans autre commentaire.
[176] H. Thirria, déjà cité.
[177] Histoire de Huit ans.
[178] Histoire de Huit ans.
[179] Histoire de Huit ans.
[180] Le château de Ham, etc. par J.-G.-C. de Feuillide, Dumont, 1842. — Capo de Feuillide avait traversé presque tous les camps politiques sauf celui du prince. Il vint voir Louis-Napoléon par curiosité, mais avec indifférence et il sortit de Ham fanatique. Il parle dans son ouvrage de la fascination exercée sur lui par le captif et s'explique désormais cette fièvre de sympathies que le prince Napoléon communique, depuis sa première jeunesse, à tous ceux qui l'approchent.
[181] Hachet-Souplet, déjà cité.
[182] Voir : Giraudeau, Napoléon III intime, p. 105. — Fred. Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité, p. 85 et suiv.
[183] Giraudeau, Napoléon III intime, p. 105. — Fred. Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité, p. 85 et suiv.
[184] Gallix et Guy, déjà cité.
[185] Le prince s'engageait aussi à revenir se constituer prisonnier après avoir été à Florence.
[186] Gallix et Guy, etc.
[187] Gallix et Guy, etc.
[188] Gallix et Guy, etc.
[189] Gallix et Guy, etc.
[190] Gallix et Guy, etc. Giraudeau, Renault, déjà cité. — Voici la lettre de Thiers : Prince, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser pour me faire part du refus qu'on avait opposé à votre demande. Le désir d'embrasser un père mourant, accompagné de la promesse de vous constituer prisonnier à la première réquisition du ministère de l'intérieur, aurait dû élre accueilli... Je suis fâché, prince, de ne pouvoir vous être utile en cette circonstance d'aucune manière quelconque. Je n'ai aucune influence sur le gouvernement et la publicité vous servirait peu. Dans toute occasion ou il me sera possible de soulager votre infortune, sans manquer à mon devoir, je serai heureux de pouvoir donner une marque de sympathie au nom glorieux que vous portez. Recevez, etc.
[191] Giraudeau, Renault.
[192] Giraudeau, Renault.
[193] Odilon Barrot raconte dans ses mémoires tous les efforts qu'il fit sans obtenir le résultat désiré (t. III). — La lettre d'Odilon Barrot au prince pour lui raconter son insuccès est publiée dans Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[194] Nous l'amènerons à demander grâce, avait dit M. Duchâtel. — Si le prince eût signé la lettre en question, il n'eût pas, pour cela, été mis en liberté. C'est ce qui nous a été affirmé de la manière la plus positive par un député ministériel qui avait eu à ce sujet une longue conversation avec M. Duchâtel. D. Renault, déjà cité p. 205.
[195] Gallix et Guy.
[196] H. Thirria, déjà cité.
[197] Odilon Barrot, Mémoires, t. III.
[198] Odilon Barrot, Mémoires, t. III.
[199] Odilon Barrot, Mémoires, t. III.
[200] Dans ses lettres, il paraissait très ému des sentiments de tendresse que lui avait témoigné son père. Voir Giraudeau, Napoléon III intime, p. 110. — En tout cas, il était formellement décidé à ne pas céder aux pressions du gouvernement. Fidèle à sa tactique, il tenait à ce que l'opinion publique fût éclairée sur les conditions du procès et écrivit à plusieurs journalistes pour les prier de tenir le public au courant. Le gouvernement voulait qu'il reconnût sa liberté comme une grâce méritée et franchement avouée. Il ne l'admettait à aucun prix. Cette réponse est infâme ! dit-il. Ils croient peut-être que je consentirai à m'avilir pour obtenir le dernier embrassement de mon père ; ils se trompent. Je mourrai s'il le faut de douleur, mais je ne m'avilirai pas. Lettre à un journaliste. Catalogue Charavay, n° 55088.
[201] Le désir de revoir encore mon père sur cette terre m'a fait tenter l'entreprise la plus audacieuse que j'aie jamais exécutée et pour laquelle il m'a fallu plus de résolution et de courage qu'à Strasbourg et à Boulogne, car j'étais décidé à ne pas supporter le ridicule qui s'attache à ceux qu'on arrête sous un déguisement. Gazette des tribunaux, juillet 1840, Lettres à M. Degeorge.
[202] On se souvient qu'il avait joué tout son héritage dans l'affaire de Boulogne.
[203] Hachet-Souplet.
[204] Voir Charles d'Este ou trente ans de la vie d'un souverain, 2 vol., Urbain Canel, 1837 ; Le duc de Brunswick avant et depuis la révolution de Brunswick en septembre 1830, Mesnier, 1832.
[205] Galignani’s Messenger, 1873. — Hachet-Souplet, déjà cité.
[206] Hachet-Souplet, déjà cité. Le projet d'alliance passé entre le duc de Brunswick et Louis-Napoléon a été déposé à la bibliothèque de Genève.
[207] Altesse Royale, J'ai reçu votre lettre, et, dans les circonstances actuelles, il m'est impossible d'accueillir votre demande. Je vous prie de croire à nies sentiments de sincère amitié. — Napoléon. Papiers sauvés des Tuileries.
[208] Pierre Hachet-Souplet, Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham.
[209] Pierre Hachet-Souplet, Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham.
[210] Pierre Hachet-Souplet, Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham.
[211] Pierre Hachet-Souplet, Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham.
[212] Pierre Hachet-Souplet. Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham.
[213] Il en écrivit, parait-il, beaucoup d'autres.
[214] Louis-Napoléon prisonnier, etc., déjà cité.
[215] Louis-Napoléon prisonnier, etc., déjà cité.
[216] Son silence à l'égard de Montholon venait peut-être d'une vague défiance. Le général, par la suite, se montra fort offensé de n'avoir pas été prévenu. Comprenez-vous ce j... f... là, disait-il au maire de Ham, M. Allart. Moi, son ami, son compagnon, moi qui lui ai tout sacrifié, n'avoir pas été prévenu ! C'est un ingrat. Et, dans sa fureur, le général renvoya les journaux arrivés au nom du prince en écrivant sur les bandes : Parti sans laisser son adresse. — Montholon écrivit d'ailleurs trois jours après l'évasion au maréchal Soult, (ou à B. de Saint-Yon, ministre secrétaire d'État de la guerre ?), alors ministre de la Guerre, pour demander sa liberté et l’obtint. Voici sa lettre : Monsieur le ministre, nous avons combattu sur les mêmes champs de Bataille (sic), de vieux souvenirs nous sont communs, permettez-moi de les invoquer et de vous demander votre haute intervention pour implorer la clémence du Roi. — Veuillez me raccorder et recevoir avec confiance entière l’assurance que mon unique pensée sera désormais de prouver au Roi et à Votre Excellence que j'étais digne du Bienfait (sic) que j'implore. — Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur. Montholon. — Citadelle de Ham, 23 mai 1846. (Collection A. L.)
[217] Hachet-Souplet, déjà cité.
[218] On trouve dans les Papiers et Correspondance de la Famille Impériale, Garnier, 1871 : Achat de f..., 3 fr. ; une b..., 5 fr. 25 ; une (Ibid).,., 3 fr. 75 ; un p... 3 fr. 50 ; un p... 2 fr. 75 : une chemise.,. 3 fr. 75 ; tablier et cravate... 2 fr. 50 ; potasse, braise..., 0 fr. 75. Au total : 25 fr. 25.
[219] Renseignement fourni par M. L. A. — Cette livrée se composait d'une courte redingote à un rang de boutons.
[220] Hachet-Souplet, déjà cité.
[221] Hachet-Souplet, déjà cité.
[222] Gazette des tribunaux, juin et juillet 1846.
[223] Hachet-Souplet, Thirria, déjà cité. Le récit publié dans le Prisonnier de Ham, raconte ainsi les faits : Les préparatifs de toilette se firent vivement ; le prince passa un premier vampent assez dégagé et assez semblable à celui d'un courrier de commerce on d'un commis voyageur ; il dissimula le tout sous une blouse et un pantalon d'une usure et d'une vétusté non équivoques ; un tablier bleu à l'avenant, une perruque à longs cheveux noirs et une mauvaise casquette complétèrent le costume, et, quand il se fut un peu graissé la figure et noirci les mains, il ne manqua plus rien à la métamorphose, p. 216. — Ce récit est reproduit, avec quelques variantes, dans l'Histoire de Louis Bonaparte de Renault (déjà cité) et attribué à un narrateur qui l'aurait tenu sans doute de Thélin.
[224] Hachet-Souplet, Thirria, déjà cité.
[225] Hachet-Souplet dit simplement qu'il brunit son visage et ne parle pas de la perruque. — On indique celle-ci au contraire dans Le Prisonnier de Ham, déjà cité — Cet ouvrage, écrit sous la dictée du prince, doit être pris, pour certains détails, en considération.
[226] Gazette des tribunaux.
[227] Gazette des tribunaux.
[228] Gazette des tribunaux.
[229] H. Hachet-Souplet, déjà cité. — La lettre de l'empereur était adressée à la reine Hortense et contenait ce passage relatif à son neveu : J'espère qu'il grandira pour se rendre digne des destinées qui t'attendent. — Le Prisonnier de Ham.
[230] H. Hachet-Souplet, déjà cité. — Le Prisonnier de Ham.
[231] H. Hachet-Souplet, déjà cité. — Le Prisonnier de Ham.
[232] Déposition de Conneau.
[233] Déposition de Conneau.
[234] Déposition de l'entrepreneur Destoulet.
[235] H. Hachet-Souplet, déjà cité.
[236] H. Hachet-Souplet, déjà cité.
[237] H. Hachet-Souplet, déjà cité.
[238] Déposition de Conneau.
[239] Déposition de Conneau.
[240] Hachet-Souplet. — D'après le prince, l'ouvrier en face duquel il se trouva ait sortir de la chambre l'aurait suivi eu le prenant pour un de ses camarades. Lettre à M. Degeorge, citée dans Napoléon III intime, p. 113.
[241] H. Hachet-Souplet, déjà cité.
[242] H. Hachet-Souplet, déjà cité.
[243] Je n'ai cessé d'être à mon poste avec mon camarade, nous avons sans doute vu le prince, mais nous ne l'avons pas reconnu ; nous étions là tous les deux, il a fallu absolument que le prince passât entre nous. Déposition de Dupin-Saint-André.
[244] Déposition de Dupin-Saint-André.
[245] Un ouvrier qui était descendu derrière lui l'aurait suivi de très près, et comme pour lui adresser la parole. Thélin vit le danger, l'appela et trouva un prétexte pour le faire remonter dans l'appartement. — Le Prisonnier de Ham.
[246] Hachet-Souplet, Gazette des tribunaux.
[247] Hachet-Souplet, Gazette des tribunaux.
[248] Hachet-Souplet, Gazette des tribunaux.
[249] Hachet-Souplet, Gazette des tribunaux.
[250] Gazette des tribunaux. — Les soldats, au poste du guichet, semblèrent. étonnés de ma mise ; le tambour surtout se retourna plusieurs fois. — Lettre à M. Degorge, déjà citée.
[251] Gazette des tribunaux.
[252] Hachet-Souplet. — Le récit publié dans Renault (déjà cité) contient ce passage : A la hauteur de la cantine, il passa tout près de l'officier de garde qui lisait une lettre, et plus près encore peut-tire du garde du génie et de l'entrepreneur des travaux qui, un peu plus loin, étaient également occupés à examiner des papiers. Son chemin obligé le conduisit au milieu d'une vingtaine de soldats qui se réchauffaient au soleil, devant le corps de garde ; le tambour regarda d'un air moqueur l'homme à la planche que la sentinelle ne parut pas même apercevoir. Le portier-consigne était sur la porte de sa loge d'où il dirigeait ses regards sur Thélin qui se tenait toujours en arrière et s'efforçait d'attirer l'attention en jouant bruyamment avec Ham qu'il menait en laisse. Le sergent de planton posté à côté du guichet, regarda fixement le prince, mais cet examen fut interrompu par un mouvement de la planche dont une des extrémités pointée sur la figure du soldat qui tenait le verrou, l'obligea à se ranger. Il ouvrit aussitôt la porte en détournant la tête. Ce récit prouverait la complicité du personnel ; et il y eut peut-être un peu de celle-ci. Mais le récit en question reste douteux, son authenticité est contestable. Voir ce que nous en disons dans une note précédente.
[253] Déposition de Conneau.
[254] Ou Berthaud, ou Berthou. — Ces ouvriers l'auraient regardé de loin avec attention et même exprimé tout haut leur surprise de ne pas connaitre le prince. Louis-Napoléon aurait fait passer sa planche à gauche pour cacher son visage ; cependant les deux hommes continuèrent leur examen et ce fut à quelques pas d'eux seulement, au moment où il s'attendait à une question, que l'un d'eux le prit pour un camarade. — Le Prisonnier de Ham.
[255] Hachet-Souplet.
[256] Hachet-Souplet.
[257] Hachet-Souplet.
[258] Lettre du prince à M. Souplet, p. 219. — La planche fut trouvée par la bergère Deschassaing.
[259] Hachet-Souplet.
[260] Hachet-Souplet.
[261] Hachet-Souplet. Ces pièces furent trouvées par le cantonnier Auguste Camus.
[262] Hachet-Souplet.
[263] Hachet-Souplet.
[264] Lorsque Thélin parvint à la poste aux chevaux de Saint-Quentin, le maitre de poste était sorti ; il avait une ferme hors de la ville et s'y rendait tous les matins. Sa femme vit Thélin descendre de voiture et lui fit donner un cabriolet de la maison auquel deux chevaux étaient attelés, l’un dans les brancards et l'autre extérieurement, selon la coutume du temps ; le cheval attelé dehors était monté par le postillon. — Pendant qu'on achevait de préparer la voilure, Thélin entra dans la maison. Il était environ dix heures et le déjeuner se trouvait servi. ll y avait même sur la table un fort appétissant pâté. Prié de manger un morceau par la maitresse de maison qui le connaissait de longue date, Thélin remercia, mais accepta d'emporter une bonne part du pâté ; il fit des façons pour le reste et refusa même une bouteille de vin, ce qui lui valut un blâme de son maitre lorsqu'il l'eut retrouvé. Déplorant cet excès de délicatesse, Louis Napoléon lui dit en partageant le pâté : Il fallait prendre la bouteille. — Renseignements fournis par M. L. A. — Une partie s'en trouve déjà dans : Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[265] Hachet-Souplet.
[266] Hachet-Souplet.
[267] On devient superstitieux quand on a éprouvé d'aussi fortes émotions, et quand, à une demi-lieue de Ham, je me trouvai sur la route en attendant Charles, en face de la croix du cimetière, je tombai à genoux devant la croix et je remerciai Dieu... Ah ! n'en riez pas : Il y a des instincts plus forts que tous les raisonnements philosophiques. Lettre à M. Vieillard. — M. Vieillard était fort incroyant. — Louis-Napoléon aurait attendu Thélin à la sortie du faubourg Saint-Jean. — Renseignement fourni par M. L. A.
[268] Hachet-Souplet.
[269] Thirria, ouv. déjà cité.
[270] Thirria, ouv. déjà cité.
[271] Hachet-Souplet.
[272] Déposition d'Annet Chopinot.
[273] Déposition d'Annet Chopinot. Gazette des tribunaux.
[274] Déposition d'Annet Chopinot. Gazette des tribunaux.
[275] Déposition d'Annet Chopinot. Gazette des tribunaux.
[276] Détails fournis par M. L. A.
[277] Hachet-Souplet.
[278] Hachet-Souplet.
[279] Hachet-Souplet. Le prisonnier de Ham, etc.
[280] Hachet-Souplet. Le prisonnier de Ham, etc.
[281] Hachet-Souplet. Le prisonnier de Ham, etc.
[282] Demarle, à un moment, aurait jeté un coup d'œil dans la chambre par l’entrebâillement de la porte.
[283] Gazette des tribunaux. Déposition de Conneau, etc.
[284] Gazette des tribunaux. Déposition de Conneau, etc.
[285] Gazette des tribunaux.
[286] Gazette des tribunaux.
[287] Gazette des tribunaux.
[288] Gazette des tribunaux.
[289] Gazette des tribunaux.
[290] Gazette des tribunaux.
[291] Gazette des tribunaux. — Conneau fut condamné à trois mois de prison. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[292] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[293] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[294] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[295] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[296] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[297] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[298] Gazette des tribunaux. — Briffault, Le Prisonnier de Ham, déjà cité.
[299] Briffault, Le Prisonnier de Ham.
[300] Briffault, Le Prisonnier de Ham. — Le commandant parut comme frappé de la foudre ; mais, atterré au premier moment, il se remit presque aussitôt et, il faut le dire à sa louange, il supporta ce coup qui brisait son avenir et ses rêves d'ambition, avec le courage d'un vieux soldat dont une balle ennemie a brisé la carrière. Revenu de son étonnement, il n'adressa au docteur Colineau aucune expression de colère, aucun mot injurieux. — Vous m'avez bien trompé, lui dit-il, c'était votre rôle. Quant à moi, j'ai fait mon devoir et je le ferai jusqu'au bout !... — Et il s'élança hors de la chambre. Il appela alors les gardiens et, sans entrer dans aucune explication, il leur ordonna de garder à vue le docteur. Il ferma immédiatement les portes de la prison, mit les clefs dans sa poche, consigna la troupe, avertit la gendarmerie, envoya des estafettes a Paris. à Amiens, à Péronne, et fit lever les ponts-les fis de la citadelle. Ces dispositions prises. le commandant alla raconter l'événement à sa femme qui, à cette nouvelle, tomba sans connaissance. B. Renault, ouv. déjà cité, p. 223-231.
[301] Il débarquait à Londres, gagnant l'hôtel de Brunswick, lorsqu'il se heurta au cheval de son visiteur de Ham, Malmesbury. Celui-ci rencontra le soir à diner un des attachés de l'ambassade. L’avez-vous vu ? dit le lord. — Qui donc ? — Louis-Napoléon. Il vient d'arriver à Londres. L'attaché, troublé, quitte précipitamment la table... E. Ollivier, ouv. déjà cité, p. 82. Il revit aussi ses amis de Gore House, et voici comment : ... Le 26 mai 1846, il y avait grand diner à Gare House quand un valet pria le comte d'Orsay de quitter la table de la part d'un inconnu qui désirait lui parler. Grande fut, on le pense, la surprise du comte en reconnaissant le prince Louis-Napoléon récemment évadé. D'Orsay fut un de ses compagnons les plus assidus jusqu'en 1848 : Il était ordinairement accompagné de d'Orsay au club, aux courses, au théâtre. Un soir de juin 1847, Bouffé jouait à Londres ; deux de ses principaux rôles : Michel Perrin et le Gamin de Paris. Entre les deus pièces, il entendit frapper à la porte de sa loge et pesta d'abord contre les fâcheux. Mais il sourit en reconnaissant le comte d'Orsay... Un Français entra avec lui et serra chaudement la main du grand acteur, comme avec un regret et un désir de la patrie. Savez-vous quel est votre visiteur ? dit en sortant d'Orsay à Bouffé. C'est le prince Louis-Napoléon. Puis, haussant la voix : Demandez-lui de donner votre représentation à bénéfice à l'Opéra quand il sera empereur et que vous serez vieux ! Et cela, ma foi, eut lieu plus tard... Le prince Louis-Napoléon regagna modestement après le spectacle sou humble lodging de King-Street, Saint-James's Square ; le comte d'Orsay rentra élégamment à Gore House. L'un poursuivant, en dépit de tous, ses rêves d'avenir, et l'autre se gardant bien d'interroger les années futures, par crainte de cauchemars infashionables. G. de Contades, Le comte d'Orsay, déjà cité, p. 132.
[302] Gallix et Guy, déjà cité.
[303] Gallix et Guy, déjà cité. E. Ollivier, ouv. déjà cité.
[304] G. Duval, déjà cité. A. Morel, Napoléon III.
[305] L’évasion du prince causa un plaisir général, et de tous côtés on en accueilli la nouvelle avec le même cri : C'est bien joué ! Les membres du gouvernement ou ceux qui lui touchaient de près ne pouvaient partager cette satisfaction. Giraudeau, déjà cité. — Le maréchal Soult se demandait mène si Demarle n'avait pas été complice. Il ne l'était certainement pas.
[306] Lettre de la Taglioni.
[307] Lettre à M. Vieillard, 26 juillet 1846.
[308] G. Duval, Napoléon III, déjà cité.
[309] G. Duval, Napoléon III, déjà cité.
[310] G. Duval, Napoléon III, déjà cité.. — Cette maison est reproduite dans le volume suivant, intéressant à consulter pour les reproductions de caricatures qu'il donne : The Man of his time. — The story of the life of Napoleon III by James M. Haswell, etc. London, Camden Hotten, Piccadilly.
[311] Gallix et Guy.
[312] Déjà cité. — On dit aussi qu'il se contenta de la commander à un ami et de fournir tous les matériaux de son texte ; d'autres avancent qu'il l'écrivit, mais comme Fréd. Briffault qui la signa existait réellement, c'est peu probable.
[313] Frédéric Briffault, Le Prisonnier de Ham.
[314] Voir Blanchard-Jerrold, The life
of Napoleon the third.
[315] G. Duval, Napoléon III, déjà cité.
[316] Hachet-Souplet, déjà cité.
[317] Blanchard-Jerrold. — Le prince commençait probablement à penser qu'il fallait laisser le temps l'aire son œuvre. Les gouvernements périssent par eux-mêmes, avait dit un historien connu de Louis-Napoléon ; rarement ; ils tombent par les complots : c'est en politique que Le suicide est lé plus fréquent. Capefigue, Histoire de la Restauration, p. 130, t. I, 4 vol. 3. éd., Charpentier 1842. Qui est-ce qui dénouera la situation ? demandait-on un jour à Talleyrand. — Ce sera le hasard, répondit-il. Le plan une fois prêt, les éléments de chance bien préparés et longuement constitués, le hasard devient le dieu des aventuriers.
[318] On pourrait dire quinze ; — ou même jusqu'a l'exposition universelle, après la victoire de notre diplomatie dans l'affaire du Luxembourg. — Voir là-dessus les beaux livres de M. Rothan.
[319] L'opinion de ces gens-là disait Napoléon est toujours en raison inverse de celle du public. Lettre du 4 avril 1807.
[320] Le peuple pris comme ensemble de la nation. C'est ce sens-h que lui donnait Louis-Napoléon quand il indiquait ainsi le schéma du gouvernement tel qu'il le comprenait : Les trois pouvoirs de l'État seraient le peuple, le Corps législatif et l'empereur. — Le peuple aurait le pouvoir électif et de sanction. — Le Corps législatif aurait le pouvoir délibératif. — L'empereur le pouvoir exécutif. Rêveries politiques. — Chateaubriand auquel le prince avait soumis les épreuves de son ouvrage en lui demandant d'indiquer les corrections qu'il y jugerait utiles lui avait dit de mettre le mot nation au lieu du mot peuple. — Œuvres de Louis-Napoléon Bonaparte, publiées par Charles-Ed. Tremblaire, Librairie napoléonienne, 3 vol. Paris, 1848.