Les poursuites ; leur résultat. — Laity devant la cour des Pairs. — La condamnation. — Le gouvernement de Louis-Philippe et le gouvernement fédéral. — Le conflit. — L'attitude du prince.Deux affaires nouvelles allaient continuer de servir la cause napoléonienne. Vers le début de juin 1838, Laity publia une relation des événements de Strasbourg[1]. Presque aussitôt le livre fut saisi et son auteur arrêté[2]. Le 21, Laity était en prison, Le 28, la Cour des pairs, réunie en Chambre de conseil, rendait un arrêt d'accusation contre Armand Laity, pour attentat contre la sûreté de l'État[3]. — Le gouvernement commettait une faute incompréhensible ; n'ayant pas puni la conspiration même, — ce qui eût été son droit —, il semblait se désavouer en venant exécuter celui qui la racontait. Il était trop tard pour sévir. On aurait pu comprendre à la rigueur cette attitude de justicier tardif si la brochure en question avait contenu, nettement formulé, un appel aux armes, niais il n'y était point ; elle critiquait le système orléaniste, exaltait la doctrine impériale, glorifiait le nouveau prince qui était devenu sa personnification et présentait le récit de l'aventure récente, — rien d'autre. Le régime n'avait qu'à persévérer dans son silence dédaigneux ; au lieu de cela, il avouait, par son attitude nouvelle, son sentiment véritable, et combien il avait pris sur lui, d'abord, pour sourire devant l'affaire de Strasbourg. La présence de Louis-Napoléon en Suisse et la crainte qu'il inspirait de ce seul fait montraient également que Louis-Philippe, d'une part, était joué et, que, de l'autre, il ne parvenait pas à trouver le prétendant aussi ridicule qu'il s'était efforcé de le faire croire. Averti de la manière dont celui-ci préparait son action et risquait la partie, le gouvernement savait qu'il ne resterait pas inactif et quelle vigueur alimentait son activité. Il avait cru l'exiler pour quelques années et, avant un an même, voici qu'il se trouvait aux portes du pays. De la mauvaise humeur était naturelle, niais il ne fallait pas la laisser voir. La maladresse était d'autant plus grande qu'elle allait ramener l'attention générale sur le fils de la reine Hortense, affirmer aux yeux de toute la France qu'un parti bonapartiste existait sans contredit et qu'il présentait un réel danger. Engagé dans cette voie, le pouvoir était même forcé d'exagérer les choses afin d'excuser la rigueur dont il fallait faire preuve. Le procureur général du roi n'eut garde d'y manquer dans son acte d'accusation (29 juin) : Un écrit, répandu avec profusion dans Paris vers le milieu de ce mois, a dû fixer aussitôt l'attention du gouvernement, non seulement parce que sa publication paraissait un crime prévu et réprimé par la loi, mais encore parce qu'il représentait les caracti3res d'un manifeste insolent, lancé par un parti qui ne dissimulait ni ses espérances ni son but... C'était donc l'un des conspirateurs qui publiait l'apologie de la conspiration... Ni la pensée, ni l'exécution de cette manifestation coupable ne doivent lui être exclusivement attribuées. Il a été rejoindre en Suisse Louis-Napoléon et, depuis le mois de janvier dernier, il habitait avec lui à Arenenberg... Le manuscrit a été saisi ; il porte des corrections et des notes qui émanent de Louis-Napoléon. Laity ne cherche pas à le cacher et il convient même que d'autres passages encore peuvent appartenir au chef qu'il s'est donné. C'est dix-huit mois après cette malheureuse agression de Strasbourg qu'on renouvelle à Paris par la voie de la presse ce qu'on avait tenté par celle des armes.., on ne craint pas d'affirmer l'existence d'un parti qui a dans le pays de profondes racines[4]... Le public était définitivement prévenu ; on l'assurait même qu'il aurait tort de clouter. — On alla plus loin. -On annonça que la brochure était en réalité de Louis-Napoléon. La Gazette de France écrivait : Le prince Louis-Napoléon est, dit-on, l'auteur de la brochure qui porte le nom de M. Laity, et, s'il faut en croire les bruits répandus dans Paris, il serait disposé à paraître en personne devant la Cour des pairs, afin de rendre compte de sa conduite à Strasbourg. D'autres journaux rectifièrent les faits et les établirent selon ce qui doit être la vérité : Le manuscrit, dit le Siècle, saisi chez M. Laity n'est pas, assure-t-on, de la main du prince Louis-Napoléon, mais il a été annoté et corrigé par lui. — On ne parlait que du neveu de l'empereur. L'affaire Laity devenait chaque jour plus intéressante. Celle de Strasbourg avait semblé un peu lointaine à quelques Parisiens ; celle-ci la transportait à Paris, permettait de s'en rendre compte et la classait décidément parmi les choses importantes du pays. Tout le inonde s'en occupait. L'opinion, très intriguée, échafaudait des probabilités diverses ; on s'attendait aux événements les plus curieux ; l'extraordinaire devenait peu à peu vraisemblable et presque naturel ; et les sympathies n'allaient pas à Louis-Philippe. Les perquisitions nombreuses qui furent faites[5] achevèrent de surexciter l'intérêt et, l'un de ceux qui avaient dû les subir s'étant fâché, le Courrier déclarait qu'il ne fallait pas voir dans le dernier acte du pouvoir un simple procès fait à un délit de presse, que le gouvernement avait des informations graves qui l'avaient forcé à atteindre plus avant en frappant la brochure ; que cette brochure n'était que la préface d'un complot politique qui, en éclatant, pouvait entraîner les désordres les plus sérieux ; que le gouvernement était sur la voie de menées très coupables cherchant à ébranler la fidélité de l'armée. De telle sorte que l'acte ministériel, réprouvé par toute la presse, devenait la preuve des sentiments de prudence et d'humanité qui animaient la monarchie car, en brisant de prime abord le ballon d'essai d'une nouvelle insurrection militaire, on avait coupé court à une tentative ultérieure[6]. Ou ajoutait pour finir : Une seconde édition du crime à main armée de Strasbourg pouvait faire répandre beaucoup de sang. — Le pouvoir manifeste dans toutes ces circonstances une sorte de véritable affolement. Il ne se contente pas des anciens conjurés, il fait violer le domicile de Mme de la Valette sous prétexte qu'elle détient des papiers mystérieux et lance deux mandats d'arrêt — retirés de suite — contre sa fille, la comtesse de Forget, et Mlle Eugénie de Beauharnais. Il croit réellement à quelque coup de main. Toutes les polices de Paris, dit le National, sont en mouvement depuis deux jours sur la nouvelle, arrivée d'un des départements de l'est, que le prince Louis-Napoléon a soudainement quitté sa résidence et qu'on a tout lieu de croire qu'il a passé le Rhin aux environs de Neufbrisach pour entrer en France. Le déguisement qu'il a pris a trompé la vigilance des autorités et l'on pense qu'il est en ce moment à Paris, attendant le jour où il viendra, à ce qu'on croit, réclamer en pleine Cour des pairs la responsabilité de la brochure du lieutenant Laity[7]. Le substitut prononça son réquisitoire le 9 juillet, en séance publique devant la Cour des pairs. Laity prit la parole pour se défendre, et avec un rare bonheur. Ce jeune homme de vingt-cinq ans avait du sang-froid et une certaine netteté de langage. Si l'on est coupable, dit-il, d'attaquer le gouvernement sur un écrit, on l'est beaucoup plus quand on l'attaque à force ouverte. Pourquoi donc le jury n'a-t-il pas été chargé de prononcer en cette circonstance ? La mesure prise à mon égard me semble donc inconstitutionnelle. A Strasbourg, tous les faits ont été pervertis par l'accusation... Le gouvernement a poursuivi le moins de coupables possible, car il n'y eut pour ainsi dire de jugées et d'arrêtées que les personnes qui le voulurent bien ; aussi, tout le inonde crut-il réellement que la conspiration n'était qu'une échauffourée, qu'un coup de théâtre de quelques officiers... L'affaire de Strasbourg, que j'appelle une révolution manquée, semblait destinée à figurer dans les annales de l'histoire avec l'humiliante qualification d'échauffourée ; ainsi nous étions pour toujours des fous, des insensés. Un noble et jeune prince, digne du grand nom qu'il porte, n'avait pu nous couvrir de son égide ; lui aussi fut enveloppé dans la proscription railleuse... Au mois de mars 1815, quand on reçut à Paris la première nouvelle du débarquement de l'île d'Elbe, la femme d'un de nos premiers maréchaux accourut toute effrayée chez la reine Hortense en s'écriant : L'empereur est fou ! Il est en France ! Ah ! toute notre justification est là. Car, quinze jours après, l'Europe entière tremblait devant ce sublime fou, et, pour la seconde fois, la France le proclamait son empereur. On ne peut donc me faire un crime, messieurs les pairs, d'avoir exhumé les souvenirs d'un événement historique pour lui rendre sa véritable couleur... Le prince a la profonde conviction que tant qu'un vote général n'aura pas sanctionné un gouvernement quelconque, les diverses factions agiteront constamment la France, tandis que les institutions passées à la sanction populaire peuvent seules amener la résignation des partis[8]. Le but du prince est de venir avec un drapeau populaire, le plus glorieux de tous, de servir de point de ralliement à tout ce qu'il y a de généreux et de rationnel dans tous les partis, de rendre à la France sa dignité sans guerre universelle, sa liberté sans licence, sa stabilité sans despotisme. Quand je sus que le prince, sentait qu'aujourd'hui la démocratie coule à pleins bords et. que sans la démocratie, il n'y a de salut pour aucun gouvernement, je m'offris pour être un instrument de ses desseins... C'est le caractère le plus noble et le plus grand qu'on puisse rencontrer ; ma vie lui appartient et je lui en fais d'autant plus volontiers le sacrifice que je sers en même temps la plus belle de toutes les causes, celle de la démocratie. — Non ! la France qui sanctionna par plus de trois millions de votes l'élection de Napoléon comme consul, connue consul à vie, comme empereur, cette France, dis-je, n'a jamais été consultée pour savoir si l'on devait bannir à perpétuité la famille impériale... On s'est servi de l'armée parce qu'on ne peut renverser la force que par la force. Comme l'aîné des neveux de la famille impériale, dit le prince, je puis me regarder comme le représentant de l'élection populaire, je ne dirais pas de l'empire, puisque, depuis vingt-cinq ans, les idées ont dû changer. Ce ne serait pas ainsi, je pense, que s'exprimerait un homme qui aurait eu l'intention de faire une révolution par l'armée ou pour l'armée. — .le dis, quant à moi, en finissant ma brochure : Notre seul but a été de faire connaître la vérité. Il n'entre pas dans nies vues de considérer l'événement, du 30 octobre dans les rapports qu'il pouvait avoir avec l'avenir[9]. — Laity semble bien plus préoccupé de défendre le prince que lui-même ; ce cœur parfait s'oublie pour ne penser qu'à la cause dont il est un modeste soldat. Ainsi, devant la Chambre des pairs, devant un public curieux, la propagande napoléonienne continue son chemin, le défriche et l'explique ; elle se représente le seul salut, et, vraie gardienne du drapeau démocratique, elle gagne, en la personne de cet ardent polytechnicien, la consécration du malheur. Ceux qui se seraient obstinés à croire contre toute évidence que l'affaire de Strasbourg était une folie sans motif et sans base ne devaient plus douter. Un prince existait, héritier du plus grand nom des temps modernes, et qui avait su grouper autour de lui des dévouements à toute épreuve, tels que l'époque croyait n'en plus connaître. Ce Bonaparte, représenté comme un cerveau dangereux, était un homme intelligent, décidé, ferme et libéral, dont on pouvait tout attendre. — Abandonnée à elle-même, la brochure d'Armand Laity, après un certain bruit peut-être, serait tombée, surtout dans un pays de grande production littéraire comme la France ; au contraire, nul, maintenant, ne l'ignorait, chacun désirait la lire. Interdite et poursuivie, décrétée séditieuse, elle tentait des milliers et des milliers de lecteurs ; son intérêt devinait certain, immense ; tous la réclamaient. — Michel de Bourges défendit l'accusé. Lui aussi trouva le moyen de dépasser Laity pour aller jusqu'à Louis-Napoléon et le dresser dans sa plaidoirie, comme sur un pavois, bien en évidence aux yeux du public. Il sut par la même occasion, — et d'autant mieux qu'il était animé de sentiments révolutionnaires[10] — rendre l'autorité odieuse : Dira-t-on que, s'écrie-t-il, quand une conspiration a eu lieu, qu'elle a été repoussée, que la justice a suivi son cours, il n'est plus permis d'en faire l'histoire, de faire connaître les sentiments qui animaient ceux qui y ont concouru ? Cela est-il soutenable ? Il faut bien que vous laissiez une certaine latitude à l'historien qui raconte un fait grave qu'il doit faire connaître dans l'intérêt de l'histoire ; il faut bien qu'il puisse dire quelles étaient les opinions du principal chef, son but, son dessein, ses moyens, ce qu'il proposait, ce qu'il voulait. Eh bien, quel est le but de l'auteur ? Il vous le dit : L'entreprise du prince Napoléon a été mal jugée, et dans les mobiles qui l'ont amenée, et dans ses moyens d'exécution, et dans ses résultats. Le prince devait survivre à ses rêves de gloire et l'acte violent qui l'a soustrait à la justice le livrera sans défense aux attaques des partis, toujours prêts à se ruer sur les tentatives hardies que la fortune abandonne... Il recommence un nouvel exil... C'est décidé, c'est irrévocable : Louis-Napoléon n'est pas seulement un prétendant, il est le prétendant même, le prétendant français par excellence. On ne demande qu'à l'aimer. Et, pour achever de se rendre antipathique, le 10 juillet, le gouvernement condamne Laity à cinq années de détention ; Laity, très pauvre, doit encore verser une amende de 10 000 francs et rester toute sa vie sous la surveillance de la haute police[11]. Les exemplaires de sa brochure sur lesquels on réussit à mettre la main sont détruits[12]. Un autre inconvénient de cette condamnation pour la
monarchie constitutionnelle était de la faire apparaitre de plus en plus aux
yeux du peuple, qui l'accusait déjà d'aider le jeu de la Sainte-Alliance,
comme un nouvel avatar de la Restauration[13].
Elle pouvait difficilement affirmer désormais qu'elle soutenait la liberté ;
le parti bonapartiste, au contraire, en devenait le représentant officiel ou,
à défaut, le meilleur. — La sympathie générale alla vers Laity. La Gazette
de France raille le gouvernement qui a osé élever
une brochure à la hauteur d'un attentat. Le Siècle note qu'une condamnation terrible frappe l'auteur d'un écrit
sans danger. Le Constitutionnel constate : Voilà
donc cette triste affaire terminée !... Cette leçon eût été bien plus décisive
si les partis l'avaient reçue du jury. Le National donne le
coup de grâce : Par une confusion de choses et de
principes que la Restauration elle-même n'avait pas tenté de faire dans des
circonstances plus graves, la brochure de M. Laity a été changée en
attentat... Toute la presse aujourd'hui proteste contre cet arrêt. Le
pouvoir rendait la presse — momentanément ! — acquise à un de ses adversaires
les plus sérieux. II ne juge pas cependant que ce soit assez. Il achève de se déconsidérer en prenant ombrage de ce que le prince est trop voisin de la France pour réclamer son extradition. Par cette nouvelle sottise, doublant l'affaire Laity et insistant sur sa raison véritable, il étale au grand jour, une fois pour toutes, la crainte que lui inspire le neveu de l'empereur. — Le 1er août 1838, après des explications verbales n'ayant pas abouti, M. de Montebello[14], notre ambassadeur, demande au gouvernement fédéral l'expulsion du prince[15]. La France se basait, en formulant ses droits, sur la nationalité de Louis-Napoléon : Il est Français, déclarait-elle, et doit être considéré comme tel. La République helvétique répliquait que, considérant le prince comme citoyen suisse, elle ne pouvait le traiter en étranger[16]. Elle fournissait ainsi au pouvoir royal le moyen de se tirer d'un mauvais pas ; il aurait déclaré, à la suite des pourparlers, qu'il abandonnait sa plainte, le prince étant d'un autre pays, que le plus ennuyé eût été Louis-Napoléon ; Louis-Philippe ne montra pas cette dernière présence d'esprit et laissa, de son plein gré, à son adversaire, une' fois de plus, l'avantage de la situation. La Suisse, en réalité, ne pouvant que céder à la longue et n'avant nullement l'intention de s'opposer à la France, espérait, que celle-ci s'inclinerait devant sa résistance ; elle fit 'rainer les choses en longueur ; elle y .mit aussi une sorte de point d'honneur, très blessée de la conduite de Louis-Philippe auquel elle avait donné asile dans le passé. Il y eut à la Diète des discussions fort vives à ce sujet. — Si le prince avait été fait citoyen de Thurgovie, l'entreprise de Strasbourg démontrait bien qu'il n'y avait pas de doute possible sur sa nationalité ; pourtant, la Suisse était tenue de protester, son territoire avant toujours été considéré comme neutre ; enfin, il lui répugnait de reconduire à la frontière un hôte dont elle n'avait jamais eu qu'à se louer et qui, tout considéré, lui faisait honneur. Elle ne céda pas, malgré l'insistance de la monarchie de Juillet qui, ayant décidé de passer outre à la suite d'une pression nouvelle, prépara une armée. On peut se demander où aurait conduit le conflit s'il avait suivi son cours ; il est probable qu'au dernier moment le gouvernement français eût été forcé de se taire, ne pouvant guère envahir, sans menaces de complications européennes, un état neutre, incapable de lui opposer une sérieuse résistance. De son côté, la Suisse eût peut-être prié le prince de s'en aller, car beaucoup de commerçants de Lyon étaient d'origine genevoise et avaient été très bien reçus aux Tuileries ; ces commerçants nombreux demeuraient en rapport. avec la Cour' et faisaient défendre leurs intérêts auprès de la Diète par un avocat de Lausanne, M. Maudrot. Quoi qu'il en advint, la popularité du prince bénéficiait de l'incident. Pour ne pas admettre qu'il habitât un pays voisin et en exiger avec une telle violence son éloignement, il fallait qu'on le jugeât de plus en plus redoutable. — Afin de faire ressortir ee qu'il en était et tout l'exagéré d'une pareille prétention, Louis-Napoléon, auquel le canton de Zurich venait de conférer le droit de bourgeoisie, écrivit une lettre de remerciements qui parut dans les journaux : Messieurs, Dans un moment où l'on cherche à m'expulser injustement de la Suisse, rien ne pouvait me flatter autant qu'une distinction qui me donne l'assurance de votre estime et de votre amitié... Le droit de bourgeoisie auquel vous m'admettez est la preuve que vous êtes convaincus que jamais je n'ai cessé d'être digne de l'hospitalité suisse. Il est beau, il est rassurant pour l'humanité entière de pouvoir penser que l'exil, l'insuccès et la persécution ne sont pas des crimes à tous les yeux. — Agréez, nouveaux combourgeois, l'assurance de toute ma reconnaissance et de ma haute considération. — Arenenberg. 13 août 1838[17]. — Par cette lettre, le prince se posait à nouveau comme Français, afin qu'il n'y eût pas d'équivoque possible, mais acceptait l'hospitalité de la petite république ; il y était déjà membre du grand conseil du canton de Thurgovie et président de la société fédérale des carabiniers thurgoviens[18]. Mis face à face, le Code civil et la Constitution de Thurgovie fournissaient les paragraphes suivants : le premier, article 17 : La qualité de français se perdra par tout établissement fait en pays étranger sans esprit de retour ; le second, article 25 : L'étranger peut devenir citoyen suisse... (à certaines conditions)... et quand il aura renoncé à la qualité de citoyen dans l'État étranger. Il en ressortait, sans équivoque possible, que le prince était simplement l'hôte — aimé et protégé — de la Suisse. — A la Diète, les représentants de Thurgovie, de Zurich, de Berne, de Fribourg, de Bâle-Campagne, de Bâle-Ville, de Schwyz, d'Unterwald soutinrent que Louis-Napoléon était citoyen suisse et devait être défendu comme tel. Les représentants des cantons de Vaud, de Genève et de Lucerne soutinrent le point de vue contraire, tout en se défendant, néanmoins, d'accéder aux réclamations injustes de la France. Puis la Diète, sur l'instigation du député de Neuchâtel, vota le renvoi de la note au canton de Thurgovie[19]. Le Journal des Débats, toujours officieux, était le
seul à défendre le trône ; les autres continuaient de se montrer unanimes
dans leur blâme. Il est curieux, dit la Gazette
de France du 8 août, de voir un grand juge de
Napoléon (M. Molé) transmettre à un fils du maréchal Lannes, l'ami de
Napoléon, l'ordre de faire expulser de Suisse le neveu de Napoléon. Que
signifiait l'érection de la statue de Napoléon sur la colonne de la place
Vendôme ? Si l'on veut suivre la politique ministérielle depuis huit ans, on
y verra une suite de contradictions toutes plus éloquentes les unes que les
autres et une hypocrisie politique qui ne se dément pas un instant... Le
prince Louis est poursuivi par des hommes dont son oncle a fait la fortune ;
s'il avait réussi, il les aurait tous eus dans son antichambre. Et,
reprenant un refrain semblable le 13 du même mois : Comment
expliquer qu'après avoir élevé sur la place Vendôme la statue de Napoléon,
après avoir demandé au Ministère anglais les cendres de ce grand capitaine,
on chasse ses neveux au lieu de les honorer ?... Des images vivantes
sont-elles moins honorables que des images de bronze et des cendres ? On
croit rêver quand on voit de pareilles choses. Le Siècle
persifle : Poursuivre des proscrits même au delà de
nos frontières, menacer un allié faible en courbant la tête devant des
ennemis puissants, ce sont là les habitudes et la gloire du système... Ainsi
on craint que le prince Louis-Napoléon ne soit trop promptement oublié ; on
craint que l'insurrection de Strasbourg, le procès Laity, n'aient pas encore
accoutumé les esprits à l'idée que le prince est devenu un prétendant. —
Ainsi on semble avoir à cœur de faire naître l'intérêt pour sa personne en
s'obstinant à le persécuter... Le Courrier français, le Temps,
le Commerce, le Journal de Paris blâment le ministère. Le
Courrier français voit un danger dans ces menaces à la Suisse : Son indépendance, dit-il avec raison, est notre meilleure frontière. Seul des journaux
anglais, le Morning Chronicle défend le roi. Malgré ses efforts successifs, la monarchie de Juillet n'obtenait pas de réponse. Revenant à la charge, elle se fit appuyer par les grands-duchés de Bade et de Würtemberg, la Prusse et l'Autriche. — Mis en demeure par la Diète de prendre une décision, le Grand Conseil de Thurgovie réunit tous ses membres dans une séance solennelle. M. Kern, son député, après lui avoir annoncé ce qu'il en était, termina par ces belles paroles : ... Pensez où peut conduire un refus, mais aussi songez à votre honneur et à vos droits : quand même l'Europe entière se liguerait pour vous demander une concession, si elle est injuste, si elle viole vos lois, si elle blesse votre honneur, il faut la refuser. Fais ce que dois, advienne que pourra ; telle doit être notre devise. On lut ensuite une lettre de Louis-Napoléon dans laquelle il déclarait être revenu d'Amérique avec la ferme intention de rester étranger à toutes espèces d'intrigues. — Ce mensonge, nécessaire, et que certains ne manquèrent pas de croire, achevait de charger Louis-Philippe ; il justifiait aussi l'avenir en permettant d'établir que le prince n'était sorti de son silence que forcé justement par des circonstances spéciales et la persécution ; agir devenait pour lui une nécessité puisque, partout, la monarchie de Juillet trouvait le moyen de ne pas le laisser tranquille. — Le Grand Conseil déclara que la demande du gouvernement français était inadmissible. Le prince ne pouvait prendre encore aucune décision[20].
Il attendait que la crise fût sur le point de se dénouer. Louis-Philippe
continuait de le trop bien servir ; il lui organisait même une réclame
importante que les journaux amplifiaient à plaisir. On
apporte à ce jeune homme, dit le Courrier français, le relief de la persécution. On fait tout afin qu'il se
regarde lui-même comme un danger pour le gouvernement français. On le grandit
de toutes les inquiétudes du ministère. Se peut-il voir une politique qui
aille plus directement contre son but ?... On vient d'attacher à la personne
du prince Louis un éclat qui le suivra partout. Jusqu'à présent le public le
considérait comme un insensé, le ministère en a presque fait un héros. La Diète, réunie le 31 août, puis le 3 septembre, défend Louis Bonaparte, et, persévérant dans sa politique qui consistait toujours à gagner du temps, vote après une longue discussion l'ajournement ; elle décide de consulter les vingt-deux Grands Conseils cantonaux[21]. — Le Journal des Débats ne se tient plus de fureur à cette nouvelle : Ce prétendant qui se fait arquebusier républicain en attendant qu'il soit empereur nous attaquera impunément sans que nous puissions rien faire contre lui parce qu'il est sous la protection de Thurgovie ! Thurgovie aura dans ses mains les destinées de la France !... Le Constitutionnel, le Commerce, le Siècle entonnent le couplet contraire. La Gazette de France insiste désagréablement pour Louis-Philippe, sur la sottise de son ministère : Une nation de trente-deux millions d'âmes aurait à craindre de voir le gouvernement de son choix renversé ! Un jeune officier d'artillerie, seul, sans alliés, sans soldats, pourrait mettre en péril un pouvoir appuyé sur la volonté nationale et qui a, dites-vous, pour lui l'amour des populations et de l'armée ! Voilà les sympathies de la presse libérale dans toutes ses nuances acquises au prince Louis Bonaparte. Il était urgent de se décider. Les menaces françaises reprenaient de plus belle et risquaient d'être suivies d'effet ; un corps d'armée allait quitter Lyon[22]. Malgré l'avantage que présentait Arenenberg comme centre de conspiration[23], Louis-Napoléon décida de s'en aller. N'avait-il pas tiré de cette nouvelle affaire tout ce qu'il n'osait peut-être pas, au moins primitivement, en attendre ? Cependant, il est possible aussi qu'il ait tout prévu à l'avarice et n'ait même compté que Louis-Philippe, à la suite de la brochure Lait-, demanderait à la Suisse son expulsion[24]. — Cette fois, à son tour, il avait le beau rôle. Connue à Strasbourg, il pouvait se targuer de préférer une défaite à une victoire remportée avec du sang. Les troupes massées sur la frontière étaient sur le point d'agir ; leur chef, le baron Aymard, venait de terminer son ordre du jour par des paroles belliqueuses Bientôt nos turbulents voisins s'apercevront, peut-être trop tard, qu'au lieu de déclamations et d'injures, il eût mieux valu satisfaire aux justes demandes de la France[25]. Le ministère avait donné sa mesure ; il ne pouvait aller plus loin dans la maladresse et le ridicule[26] ; il fallait se hâter d'utiliser cette nouvelle faute de peur qu'il n'en eût enfin le sentiment. Entre les façons d'agir de Louis-Philippe et celles de Louis-Napoléon, — car la lutte entre les deux hommes en était là — l'Europe, et surtout la France, apprécieraient. Et le prince écrivit à M. Anderwert, président du Petit Conseil thurgovien, pour expliquer sa conduite : Monsieur le Landamann, — lorsque la note du duc de Montebello fut adressée à la Diète, je ne voulus point me soumettre aux exigences du gouvernement français ; car il m'importait de prouver, par mon refus de m'éloigner, que j'étais revenu en Suisse sans manquer à aucun engagement... La Suisse a montré qu'elle était prête à faire les plus grands sacrifices pour maintenir sa dignité et son droit. Elle a su faire son devoir comme nation indépendante ; je saurai faire le mien. Il ne me reste plus qu'à quitter un pays où ma présence est le sujet d'aussi injustes préventions, où elle serait le prétexte de grands malheurs. En m'éloignant des lieux qui m'étaient devenus chers à tant de titres, j'espère prouver au peuple suisse que j'étais digne des marques d'estime qu'il m'a prodiguées. Je n'oublierai jamais la noble conduite des cantons qui se sont prononcés si courageusement en ma faveur[27]... Tous les journaux, sauf, bien entendu, les Débats, entonnent aussitôt l'éloge du prince et se moquent du gouvernement. Nous recevons communication de la lettre du prince Napoléon-Louis, dit le Courrier français. Cette lettre est un modèle de dignité, de véritable grandeur et de modération. Les tripotages de la diplomatie paraissent bien misérables devant un pareil langage. Le Siècle déclare : Nos ministres ont réussi à se couvrir de ridicule en offrant au jeune Bonaparte une occasion d'intéresser la France à sa destinée, occasion qu'il a saisie avec autant de générosité que d'à-propos. La Gazette de France décoche le trait le plus dur : Nous voudrions bien savoir ce que le gouvernement gagne à coque le prince Louis soit en Angleterre au lieu d'être à Arenenberg. Il y a moins loin de Londres à Paris que d'Arenenberg. Et le Morning Chronicle, qui a changé son fusil d'épaule, ajoute : Adressera-t-on à la Grande-Bretagne les notes menaçantes lancées contre les cantons helvétiques ? Le cas arrivant, la réponse de lord Melbourne serait bientôt faite. — Louis-Philippe était averti que, passé le détroit, Louis-Napoléon pouvait conspirer tout à son aise. Louis-Napoléon l'était également[28]. En somme, grâce à sa volonté persévérante[29] et à quelques dévouements rares, par le fait de circonstances particulières, et dont l'enchainement l'a placé en vue d'une façon croissante, malgré un échec qui, lui-même, l'a fort sérieusement servi, le prince se classe à côté du trône comme le meilleur parti pour la France au cas que ses maîtres actuels ne lui conviennent plus. Une chose aurait, à la rigueur, pu le gêner, la reconnaissance, au moins officielle, qu'il devait à Louis-Philippe, mais le roi vient de l'en libérer à tout jamais ; aux yeux du public, il s'est fait persécuteur, et persécuteur d'autant plus injuste qu'il revenait ainsi sur un pardon personnel doublé d'un acquittement national. Désormais la cause napoléonienne existe pour tous. Elle forme un parti qui ne peut que grandir ; elle n'est pas l'opposition systématique qui s'épuise dans une bataille parlementaire ne menant jamais ii rien, mais l'opposition libre, maîtresse d'elle-même, qui agit effectivement. L'exil et l'infortune lui attirent cette sensibilité qui occupe, plus qu'on ne croit, certaines classes de la petite bourgeoisie. La cause de la liberté qu'elle semble servir et sert en effet la rend populaire. La terreur révélée par la monarchie la rend forte en lui valant même une puissance qu'elle n'a pas. Et le prince qui la personnifie, ajoutant des garanties, par sa propre valeur, à l'auréole d'un nom incomparable, achève le total de ses chances[30]. Les qualités de réflexion, d'activité et de courage qui se trouvent en Louis-Napoléon ont donc rencontré des circonstances toutes spéciales pour établir leurs preuves et se fortifier. Lui-même a suscité à Strasbourg une occasion qui en a entraîné d'autres, et toutes, même difficiles, il a su se les rendre avantageuses. Que ce Bonaparte rappelle ou ne rappelle pas son oncle, il est désormais, aux yeux des masses, forcé de le remplacer et d'en être une expression nouvelle. Cet homme qu'on a dit hésitant et vague, pusillanime et rêveur, je le reconnais capable d'une action précise, si bien préparée qu'elle manque de réussir ; je remarque qu'il y fait preuve de bravoure et de décision, car s'il ne tire pas le coup de pistolet libérateur indiqué par un historien de l'époque comme susceptible de faire revenir la fortune entre ses mains, c'est pour ne pas tacher sa cause naissante avec du sang français. L'avenir, au point où il en est, se présente évidemment avantageux. Saura-t-il, d'après ses précédents, ne pas être attiré par lui au point de frapper un coup avant l'heure ? Pour le moment, il ne me semble pas pressé. Il a de l'entraînement, sans doute, mais pratique en même temps la réflexion prolongée qui arrête à l'instant dangereux entre tous où la plupart ne savent plus être sûrs d'eux-mêmes. Et si, dans cette réserve, quelques-uns parviennent à découvrir de l’indécision — à l'aide d'une loupe peut-être trop déformatrice pour qu'elle fasse connaître l'image exacte de la réalité — il se trouve que cette indécision l'a encore servi. Ce prince qui — paraît-il — ne peut agir seul, je constate qu'une fois livré à lui-même, sans aucun conseil, séparé de ses amis, il sait encore avoir une conduite parfaite, exactement semblable à celle que je lui ai vu tenir dans les autres heures graves de son existence ; et même si, craignant une erreur, j'examine cette conduite en m'efforçant d'y relever une faute, si minime soit-elle, je n'en trouve point ; dans quelque aventure qu'il se place, il dit et écrit juste ce qu'il fallait — sans plus. Si les événements le favorisent à un point peut-être anormal, — nous l'avons vu, — il faut reconnaître qu'ils ont commencé par lui être contraires et qu'il s'en est servi au mieux de ses intérêts ; et c'est un art particulier que celui-là, où bien peu se montrent calculateurs, l'adversité comme la chance n'étant une bonne école que pour les caractères forts. Il sait ce que sa dignité lui commande — et l'accomplir avec tact. De loin, ce jeu paraît facile, surtout à ceux qui jugent vite et refusent de reconnaître les mille petites réalités vaincues dont se compose chaque acte heureux ou réussi, mais rien n'est facile quand on se trouve au cœur de l'action, quand il faut s'en rendre maître tandis qu'elle vous emporte, la déchaîner et la restreindre, l'accomplir et la discuter, en être à la fois l'auteur, l'exécutant, le critique et, tout cela, en songeant encore à la pièce qui doit suivre. Cet enfant du siècle a su mûrir — ce qui n'est pas donné non plus à tout le monde. Il a gardé l'empreinte de l'époque où il a grandi, — car il y a des influences qui ne s'effacent jamais, quelque ténacité que l'on emploie pour en venir à bout, — mais il a pris conscience de lui-même. C'est un homme. Il s'installe sur la scène de son temps avec une autorité singulière ; il s'y dresse ; il s'y élève à une certaine hauteur. Et la majorité du public retient qu'il y a dans le inonde un vrai Bonaparte. — Au point où il en est de son effort, cet aventurier, unique en son genre, ne peut demander mieux. Il a atteint le premier de ses buts. |
[1] Relation historique des événements du 30 octobre 1836, par M. Armand Laity, ex-lieutenant d'artillerie, ancien élève de l'Ecole polytechnique, Thomassin, 1838. La brochure parut au commencement de juin. — L. Blanc dit de Laity : C'était un jeune homme plein de courage, au regard triste, à la figure transparente, sérieuse et passionnée. Laity avait mis en épigraphe à sa plaquette cette phrase de Thiers, extraite de l'histoire de la révolution Tout parti obligé d'agir dans l'ombre est réduit à des démarches qu'on appelle intrigues lorsqu'elles ne sont pas heureuses. Il avait ajouté celle-ci, écrite au sujet de l'affaire par un directeur de journal judiciaire : A Waterloo, Napoléon calculait pour lui quatre-vingt-dix chances sur cent, mais avec les dix était la fatalité.
[2] Gallix et Guy, éd. déjà citée.
[3] Gallix et Guy, éd. déjà citée.
[4] Le Moniteur du 4 juillet 1838.
[5] Les visites domiciliaires ont recommencé ce malin. Le docteur Lombard. l'un des prévenus de la conspiration de Strasbourg, a vu ses papiers soumis à la plus minutieuse investigation. Ces recherches n'out produit aucun résultat. Le commissaire de police était porteur d'un mandat d'amener qui devait être mis à exécution dans le cas où von cuit trouvé des papiers compromettants. ne chez M. Lombard, les agents se sont portés chez Mme Gordon, arrivée depuis deux jours à Paris ; cette visite a encore été sans résultat. Le commissaire était porteur de trente mandats environ. Ces perquisitions eurent lieu hier aussi au domicile du marquis Beauharnais, vieillard plus qu'octogénaire. Le Bon Sens.
[6] Le duc de Montebello écrivait au comte Molé : Je sais que Louis-Napoléon se rend fréquemment à Constance. Les allées et venues des Mites d'Arenenberg sont continuelles et leur correspondance avec la France est très active. Vaudrey était venu rejoindre le prince. — I. de Saint-Amand, ouv. déjà cité.
[7]
L'exaspération du gouvernement était d'autant plus grande qu'il croyait la
brochure de Louis-Napoléon. On avançait un peu partout qu'il en était l'auteur
véritable. De plus elle renversait la thèse mise en avant par les ministres de
Louis-Philippe et les journaux dévoués au pouvoir. L'impression
produite par la lecture était le sentiment de la grande différence qui existait
entre le récit de M. Laity et les narrations officielles des événements de
Strasbourg. Ces dernières versions avaient représenté la tentative du 30
octobre 1836 comme une échauffourée sans consistance et sans profondeur,
extravagante dans son but, désespérée dans ses moyens et qui s'était nième
rapetissée jusqu'au ridicule du travestissement. Sous la plume de M. Laity, les
faits prenaient un caractère tout autre. Il soutenait que le nom de Napoléon
porté par le prince éveillait de vives sympathies dans l'armée et dans la
population... À en croire la brochure, le parti napoléonien avait alors des
ramifications dans les diverses classes de la société, jusqu'aux plus hautes
comme aux plus influentes ; et si le plan du complot était celui que l'écrivain
déroulait, on ne pouvait s'empêcher de convenir qu'il était redoutable, habile
et bien combiné. E. Lecomte, Louis-.Napoléon Bonaparte, la Suisse et
le roi Louis-Philippe, déjà cité.
[8] C'est la doctrine plébiscitaire, à laquelle se ralliaient nécessairement tous les partis. Laity le faisait remarquer dans sa brochure : Le prince eut sur ce sujet des conversations avec plusieurs hommes influents. Il lui fut démontré que les opinions les plus extrêmes, quoique dans des intérêts contraires, s'entendaient toutes sur le principe fondamental de la souveraineté nationale, que l'appel au peuple des républicains, la réforme électorale de l'opposition parlementaire, le vote universel des royalistes, accusaient une foi commune à tous les partis. Quand on voit les fils des émigrés de Coblentz invoquer h leur tour la doctrine du vote universel, n'est-il pas démontré que les principes de la révolution de 1789 ont enfin pénétré dans toutes les tètes et qu'il ne manque plus à la génération présente qu'une occasion solennelle d'en faire l'application ? Alors seulement cette grande révolution sera terminée. Or, qui pouvait miens que le prince Napoléon aider à l'accomplissement de cette œuvre sociale, lui dont le nom est une garantie de liberté pour les Mis, d'ordre pour les autres, et un souvenir de gloire pour tous ? p. 18. — Laity parlait comme Guizot, longtemps avant lui.
[9] Procès de Armand Laity, etc., recueilli par Saint-Edme, Landais, 1818.
[10] La couleur politique de Michel de Bourges était le rouge ardent. Ce fut le seul amant de George Sand qui acquit sur elle une réelle influence et c'est celui qu'elle a le plus aimé.
[11] Moniteur du 11 juillet 1835. — Veut-on savoir, dit le National genevois, l'effet produit par la Cour des pairs ? Un sentiment de compassion en faveur de l'infortuné jeune homme qui a été assez courageux, assez dévoué pour sacrifier sa liberté, son avenir, à ses convictions ; un sentiment d'intérêt pour le parti napoléonien représenté par des hommes de cette trempe, et qui naturellement doivent s'être mis à la hauteur de leur chef ; un sentiment de mépris pour des juges qui, la plupart, créatures de l'empereur, n'ont cependant pas cru devoir se réunir, ni renvoyer au jury l'appréciation d'un délit de presse sur lequel, seul, il était apte à prononcer ; enfin, un sentiment de défiance envers un pouvoir qui manque à son origine et oublie que s'il s'appuyait sur le peuple, il n'y aurait ni conspirations ni brochures qui pussent le faire tomber.
[12] Moniteur du 11 juillet 1835.
[13] Louis-Philippe, furieux après la signature du traité d'Orient, exaspéré surtout contre l'Autriche sur laquelle il pensait pouvoir compter, s'écriera : Comment, ils oublient les services que je leur ai rendus ! C'est moi qui, depuis dix ans. arrête et comprime le torrent révolutionnaire prêt à battre leurs trônes ; j'ai enchaîné en France la guerre et les tempêtes, aux dépens de mon repos, de ma popularité, souvent au péril de ma vie ; ils me doivent la paix de leurs Etats, la sécurité de leurs trônes... — Voir : Histoire de Dix ans, t. I.
[14] Les Montebello semblent, en général, avoir oublié leur glorieuse origine. A la mort du prince impérial, le comte de Montebello, chargé d'affaires de France en l'absence de l'amiral Potbuau, alla trouver ses collègues du corps diplomatique pour les dissuader de prendre pari à la cérémonie. Cette démarche anormale aurait révolté le comte Karoly, ambassadeur d'Autriche, lui a pris sur lui de faire une campagne contraire. A considérer en ce moment, le parc de Cambden, il est aisé de voir que le comte Karoly a facilement battu M. de Montebello. Le Figaro du 13 juillet 1879, signé : A Vitu.
[15] Michel de Bourges avait déjà dit dans sa plaidoirie : Voudrait-on exclure le prince Louis-Napoléon Bonaparte de la Suisse ?... Et la Gazette d'Augsbourg du 14 juillet avait écrit : On s'occupe beaucoup du procès Laity, parce que l'on croit I lue la condamnation de ce jeune homme déterminera le gouvernement français à renouer des négociations pour obtenir l'expulsion du prince Louis-Napoléon Bonaparte du territoire de la Confédération. Les efforts que le gouvernement français a faits pour prouver que le prince avait joué un rôle actif dans la publication de la brochure indique de sa part le projet, de se créer un prétexte pour rédiger une note énergique contre les Cantons. — La Haute Diète, quand elle reçut la communication de la France, fut outrée, mais ne laissa rien voir de son sentiment. Le National genevois disait : Plus d'un cœur suisse, nous mi sommes persuadés, se sera soulevé d'indignation à la vue d'une pareille exigence... Le plus curieux de l'affaire, c'est que plusieurs cabinets étrangers se disposaient à soutenir les réclamations françaises. Une telle ligue, à la vérité, devait offrir un étrange spectacle. C'était chose curieuse que de voir tous ]es rois trembler, parce que dans un petit coin de l'Europe vivait un jeune homme qui s'appelait Bonaparte. E. Lecomte, Louis-Napoléon, etc., déjà cité.
[16] Lecomte, éd. déjà citée. — Le langage des députés de Vaud et de Genève. voisins de la frontière française, était le plus belliqueux. M. Monnard, député de Vaud, s’était écrié : Le canton repousse de toutes ses forces les prétentions qui sont mises en avant contrairement an droit des gens, et qui portent atteinte 'a l'indépendance de la Suisse et à sa neutralité. Il les repousse eu vertu des instructions générales dont il est muni, et qui l'autorisent, si l'indépendance de la Suisse était menacée. à aller jusqu'à la guerre. Voir aussi sur la question : Rapport fait au Conseil représentatif, etc.. par M. le professeur de la Rive. — Genève, Ramboz, 1838.
[17] Gallix et Guy, éd. déjà citée, etc.
[18] Ibid. — E. Lecomte, ouv. déjà cité.
[19] E. Lecomte, ouv. déjà cité.
[20] Le prince ne le voulait pas non plus si l'on croit, comme il est fort vraisemblable, qu'il ait déchaîné volontairement toute cette affaire eu faisant publier la brochure de Laity. Il le déclarera d'ailleurs dans une lettre que nous citons plus loin. — Voir aussi : Jules Lombard, Le prince Louis-Napoléon Bonaparte et le ministère Molé, Paris, 1839.
[21] E. Lecomte, Louis-Napoléon. Bonaparte, la Suisse et le roi Louis-Philippe, éd., déjà citée. — Parmi les députés suisses qui se montraient contre Louis-Napoléon, on remarque l'historien Sismondi. Le colonel Rilliet-Constant, qui était d'un avis opposé, Élisait à la Diète : Je me présente dans le débat, entièrement libre de toute préoccupation, de toute sympathie pour le personnage aujourd'hui eu cause ; il m'est complètement étranger ; je ne l'ai vu qu'a Genève, c'était chez M. de Sismondi et en présence d'un réfugié français d'une autre catégorie, de M. d'Haussez. Il me semble que le salon de M. de Sismondi représentait alors exactement ce que doit être la Suisse, un port où toutes les infortunes sont sûres de trouver un asile.
[22] Si la Suisse, disait la note française, n'oblige pas Louis Bonaparte à quitter son territoire d'ici â dix jours, la France regardera ce refus comme une déclaration de guerre.
[23] Il est de notoriété publique, établissait le rapport français, que Arenenberg est le centre d'intrigues, etc. Le prince Bonaparte et te ministère Molé, etc., par Jules Lombard. Benin, 1839.
[24] Lettre citée plus loin. Le prince affolait et déconcertait de plus en plus le gouvernement de Louis-Philippe ; et certaines personnes partageaient l'inquiétude de celui-ci. On lit dans la Sentinelle du Jura : Revêtant la double nature de la chauve-souris, tantôt il prend son vol vers la couronne impériale, tantôt, redevenu simple bourgeois de Thurgovie, il se tapit dans le trou de la taupe... Nos radicaux élèvent aux nues Louis-Napoléon, et pourquoi ? Ils le méprisent en secret comme un dandy politique, qui, du fond d'un café, parait vouloir organiser la politique du monde.
[25] La Suisse, de son côté, ne restait pas inactive et se préparait très sérieusement à la résistance. Voir : E. Lecomte, ouv. déjà cité.
[26] L'affaire déconsidérait étrangement la France et il fallait que le prince frit réellement bien dangereux pour que le gouvernement ne craignit point d'assurer devant le monde entier une attitude pareille.
[27] Gallix et Guy, etc., etc.
[28] Le prince, — d'après la lettre suivante, de Persigny, adressée à Stuttgard, à un major Hommel, partit d'Arenenberg le 14 octobre 1838 : M. le major, le prince Napoléon-Louis me charge de sous écrire pour vous prévenir que, comptant sur cotre obligeance. il VOUS envoie deux chevaux de selle qu'il vous 'mie de vendre. le prince partant demain 14 octobre pour se rendre en Angleterre, etc. (Collection A. L.). — Le prince à son départ fut accompagné jusqu'à Constance par un grand nombre de thurgoviens ; presque tous les habitants de Constance étaient depuis. plusieurs heures à la porte de la Suisse... Le prince était attendu à midi, mais 2 heures avaient sonné et il n'avait pas encore paru. La foule, qui est prompte à former des conjectures, commençait à accréditer les bruits les plus étranges lorsqu'enfin. à 2 heures et demie, le courrier du prince est entré dans la ville, et Meulen les équipages sont arrivés prés de la porte... Tout le inonde avait les larmes aux yeux. — Après quelques minutes d'une scène vraiment touchante, Louis-Napoléon est remonté en voiture et est entré à Constance au milieu d'une foule considérable. Chacun le saluait avec émotion. Les dames surtout se faisaient remarquer par la vivacité de leur douleur... Lettre particulière citée dans E. Lecomte, Louis Bonaparte, etc., déjà cité. — On lit dans le même livre : On a prétendu, et cette assertion parait s'être confirmée, qu'au moment de quitter Arenenberg. Louis-Napoléon avait reçu un message du prince de Metternich qui lui offrait, au nom de l'empereur, l'hospitalité dans les Etats autrichiens, où il serait reçu et traité comme un prince allié à la famille impériale d'Autriche. Louis-Napoléon aurait refusé, en déclarant qu'il optait pour l'Angleterre. le gouvernement de ce pays étant le seul qui n'eût point appuyé la demande à laquelle il devait son éloignement de la Suisse.
[29] Cette volonté n'a pas fait de doute à l'époque, même pour ses adversaires. Il avait son nom, dit en parlant de lui Guizot, mais son nom fut demeuré stérile sans une force cachée et toute personnelle ; il avait foi en lui-même et dans sa destinée.
[30] Ce n'était plus le citoyen suisse, c'était le futur empereur qu'il fallait voir désormais dans Louis-Napoléon. Grâce à Dieu, disait textuellement l'Europe industrielle, l'affaire de la France avec la Confédération est terminée. Elle a fini comme elle avait commencé, c'est-à-dire par hasard. Louis-Napoléon Bonaparte se relire en Angleterre ; il n'est plus citoyen suisse : il est Napoléon III, un nouveau prétendant. Voilà tout ce que le ministère français aura gagné à cette levée de boucliers diplomatiques qui, à notre sens, n'avait pas de cause et ne pouvait par conséquent, avoir d'effet.