LES TROIS COUPS D'ÉTAT DE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

CHAPITRE II. — LA PRÉPARATION.

 

 

La religion napoléonienne et ses preuves. — État d'esprit de Louis-Napoléon. — Ses voyages à Bade. — Le capitaine Raindre. — Le colonel Vaudrey, M. Gordon et Persigny. — Vaudrey et le prince. — Le général Voirol. — Voyages à Strasbourg. — De Bruc et le général Exelmans. — Complicité de nombreux officiers. — Ce que tut en réalité l'affaire de Strasbourg, ce qu'elle devait donner et ce qui devait la suivre. — Ce qu'est Louis-Napoléon Bonaparte.

 

Le culte de l'empereur était extraordinaire sous le gouvernement de Juillet et ne lit qu'y grandir. Il consiste surtout en un bonapartisme de souvenir, commandé par l'admiration, car le nombre est restreint de ceux qui mêlent à leur religion une pensée politique, mais le mécontentement s'étendant de plus en plus, l'enthousiasme napoléonien en arrivera de lui-même à se demander pourquoi son regard néglige l'avenir au seul profit du passé ; petit à petit, un Bonaparte existant, qui se montre prêt à tout, l'espoir s'infiltrera dans les cœurs ; le présent ne sera plus alors que l'attente d'autre chose ; après des essais et des tâtonnements, lorsque l'heure du coup définitif aura sonné, presque tout le pays se découvrira bonapartiste de bonne foi : il l'était déjà les années précédentes, sans s'en rendre compte. — La France n'avait quitté Napoléon en 1815 que pour aussitôt le regretter. Toute la nation — l'aristocratie, le monde de la finance et les fonctionnaires exceptés — avait été émue par la captivité de Sainte-Hélène, puis définitivement conquise, — tant il est vrai que la gloire était nécessaire au peuple. Le recul aidant, et s'accentuant d'année en année, les guerres impériales prenaient des proportions homériques, justement légitimes. Tout le monde en parlait et la comparaison que l'on ne manquait pas d'en faire avec le présent n'était pas à l'éloge de celui-ci ; on avait eu beau jeu d'opposer Napoléon Louis XVIII et à Charles X, on l'eut plus beau encore, malgré les apparences, sous Louis-Philippe. L'empereur mort devenait un dieu. L'image napoléonienne de l'humble chaumière, à côté du Christ et de la Vierge, n'est pas une légende ; cette vision qui fait sourire l'obstination quelquefois mensongère de notre scepticisme est de la plus exacte vérité[1]. Les fameux demi-soldes avaient légué leur enthousiasme à des milliers de jeunes gens. L'empereur était partout, sur les assiettes, dans le manche des fourchettes et des couteaux, sur les boites, sur les pipes, sur les bouteilles, sur les chenets ; il se dressait en innombrables statuettes de métal, de terre ou de bois ; il s'était même caché, sous la première Restauration, dans le large ventre de certaines petites caricatures en bronze de Louis XVIII. On prisait, et tous les vieux de la vieille abritaient dans leur gousset une tabatière en corne qui figurait le petit chapeau ; derrière, il y avait, en relief, l'effigie du chef, la veillée d'Austerlitz, la colonne ou d'autres motifs qui rappelaient le passé prodigieux. Bien qu'elle ne se risquât fleurir encore que timidement, ici et là, de loin en loin, la semence napoléonienne était prête ; il suffisait de quelques jardiniers adroits pour la faire éclore sur la plaine gauloise, ardente et pressée.

Tout recommençait d'y aider. Les hommes de la Révolution et de l'Empire se réunissaient de nouveau pour le bon combat. Devenir bonapartiste, c'était se ranger en adversaire du gouvernement, ce qui plaît toujours au Français, désireux sans doute de maintenir une sorte d'équilibre entre ce qui est et ce qui devrait être, balançant la crainte du pire par la menace du mieux. C'était aussi, dans le cas présent, protester contre une politique prudente à l'excès, et qui semblait pusillanime. Les chansons de Béranger[2] chantaient dans toutes les bouches ; les lithographies de Charlet, de Raffet et de Bellangé s'étalaient à toutes les vitrines, sur des kilomètres de murs. Nous avons vu que le roi lui-même n'aurait pu résister à un pareil élan, et que, forcé de s'y soumettre, il s'efforçait de le détourner à son profit[3]. Louis-Philippe, dont le gouvernement ressemblait tant à une république parlementaire, comptait sur l'appui des républicains. Au début, il l'eut, sans doute, dans une certaine mesure, parce qu'il valait mieux aux yeux des libéraux que Charles X et que le soutenir était faire un pas en avant ; mais il ignorait — ou affectait d'ignorer — que la tactique même du parti avancé est de n'être jamais satisfait de rien et de demander toujours plus qu'on ne lui accorde. Ne s'étant créé et fait bien venir de la masse que par des promesses, il doit, pour se maintenir, promettre perpétuellement : peu importe qu'il tienne sa parole ; il laisse ce soin au gouvernement régnant et rejette sur lui le fardeau de ses responsabilités ; l'essentiel est de toujours parler d'avenir et de décréter que cet avenir sera d'un ordre supérieur ; qu'il s'explique surtout en ne disant rien, cela non plus n'a pas d'importance, il suffit qu'il figure l'opposition ; celle-ci serait-elle absurde et même criminelle, elle. est indispensable ; les réalités ne comptent pour les différents partis politiques, dans un pays de discussion libre, qu'autant qu'elles se subordonnent à leurs raisons vitales. Et les libéraux[4] du temps de Louis-Philippe, comme ceux de tous les temps, étant bien décidés à vivre, ne manquèrent pas de battre en brèche le pouvoir, à peine était-il établi. Metternich, qui ne s'embarrassait pas de sentiments, voyait plus loin que le roi des Français et devinait bien que les tentatives où s'usait celui-ci, dans le vain espoir de concilier les divers morceaux dont se composait la mosaïque disparate de son gouvernement, ne donneraient aucun résultat. La sentimentalité en politique, écrit-il, est un bien chétif élément[5]. D'autre part, la situation de Louis-Philippe exigeait une semblable conduite ; il était tenu par ceux-là mêmes qui l'avaient porté au pouvoir, et les sociétés secrètes qui l'avaient aidé puissamment réclamaient de toutes manières le paiement de leur précieux concours[6]. Pour beaucoup enfin — et ceux-là voyaient juste — le fils de Philippe-Egalité s'était plutôt imposé au peuple qu'il n'avait été appelé par lui ; on n'osait rien dire, mais à condition qu'il n'osât rien également ; il avait confisqué l'émeute à son bénéfice[7], empêchant ainsi, dans l'idée de quelques-uns, la république, dans celle de quelques autres, moins nombreux, l'Empire.

Sur bien des points, les combattants de Juillet avaient été conduits par d'anciens soldats impériaux ; et les grognards, entre deux coups de fusil, ou le soir, autour d'une bouteille, n'avaient pas manqué d'exalter leurs souvenirs devant leurs conscrits improvisés. En plus du cri napoléonien[8] jeté pendant ces singulières journées qui, tout compte fait, étaient nécessaires au pays, on avait pu lire des placards au sujet, de Napoléon II dans les quartiers ouvriers. Un élément bonapartiste travaillait déjà de façon effective ; et nous avons constaté qu'après la Révolution de 1830, ceux qui le composaient se montraient disposés à tout entreprendre : Ils agissaient avec zèle, écrit encore le préfet de police[9], ils associaient dans leurs intrigues quelques officiers supérieurs, ils correspondaient avec les membres de la famille Bonaparte, formaient des comités, faisaient de la propagande clans toutes les classes de la population, intéressaient facilement à leurs projets une partie des réfugiés politiques et, dans toutes les circonstances, excitaient ou secondaient les éléments et les actes d'hostilité contre le gouvernement. En dehors même de leur conviction, est-ce que tout ne les y encourage point ? Dès la révolution, à peine Louis-Philippe est-il roi, les journaux demandent que les restes de Napoléon soient transférés dans la patrie et placés sous la colonne Vendôme. Une pétition est remise à ce sujet à la chambre des députés qui l'examine. Pendant la discussion qui s'engage il ce sujet, le général Lamarque s'écrie : Tout est grave quand il s'agit de Napoléon ; son nom est une puissance, son souvenir un culte ; la mort n'a pu glacer ses cendres[10]. La chambre n'accorde rien encore ; mais Victor Hugo écrit son ode à la colonne et y traduit dans un style de bronze, comme le monument qu'il y consacre, le sentiment de la majorité[11]. Edgar Quinet publie, de son côté, un long poème sur Napoléon, œuvre littéraire moins heureuse, mais elle aussi de bonne propagande[12]. Au théâtre, l'empereur est évoqué et son apparition déchaîne l'enthousiasme[13]. Des manifestations se produisent ; l'une d'elles, en 1832, est, violente au point que plusieurs coups de pistolet sont tirés[14]. Le mouvement semble devenir si favorable qu'en 1834 le roi Joseph écrit de Londres pour obtenir qu'on lève la loi de bannissement qui frappe sa famille ; il n'acquiert d'ailleurs pas gain de cause. En 1835, toute la presse raconte avec une complaisance évidente qu'à la vente qui suivit le suicide du peintre Gros, le chapeau porté par l'Empereur pendant la campagne de 1807, à Eylau et à Friedland, a été mis à prix 500 francs, et adjugé à 1.950. Le public demande alors quel est l'acquéreur. — C'est un Français, répond-on. Aussitôt un tonnerre d'applaudissements éclate dans la salle[15]. En 1836, on termine l'arc de triomphe de l'Étoile. C'est l'année où Louis-Napoléon va essayer sa fortune à Strasbourg[16].

Le prince a désormais acquis l'entière conviction que tant qu'un vote général n'aurait pas sanctionné un gouvernement quelconque, les diverses factions agiteraient constamment la France[17]. A ses yeux, l'avenir consiste en une alliance étroite entre l'autorité et la démocratie, car il pense avec raison que si la France est démocratique, elle n'est pas républicaine ; il juge même, à part lui, que la démocratie véritable, ayant besoin de force pour exister, exclut la république[18]. Il dit à ses amis : Le temps des préjugés est passé, le prestige du droit divin s'est évanoui en France avec les vieilles institutions féodales ; une ère nouvelle a commencé. Les peuples désormais sont appelés au libre développement de leurs facultés ; mais qui préservera le peuple des dangers de sa propre activité ? Quel gouvernement sera assez puissant, assez respecté pour amener à la nation la jouissance des grandes libertés sans agitations ni désordres ? Il faut à un peuple libre un gouvernement revêtu d'une immense force morale, et que cette force soit proportionnée à la masse des libertés populaires. Sans cette condition, le pouvoir, privé d'un état moral suffisant, forcé par le besoin de sa conservation, ne recule alors pour se maintenir devant aucun expédient, aucune illégalité. Comment donc recréer la majesté du pouvoir ? Où trouver un principe de force morale devant lequel s'inclinent les partis et s'annulent les résistances individuelles ? Où chercher enfin le prestige du droit qui n'existe plus en France dans la personne d'un roi, d'un seul, si ce n'est dans le droit, la volonté de tous ? Il n'y a de force que là[19]. Le trône de Louis-Philippe ne repose ni sur le droit divin ni sur le droit populaire ; il est né de l'émeute et l'a dominée momentanément ; une émeute nouvelle peut l'emporter. Louis-Napoléon, en outre, loin de constater, sans plus, l'avantage qui résulte pour sa cause de l'élan napoléonien, se l'exagère comme il est naturel et comme cet élan lui-même semble l'y encourager ; au lieu d'en retrancher tout ce qui, fatalement, disparaîtrait à une heure dangereuse, il y ajoute ; il se figure qu'il lui vaudra une armée, des armées. L'état de son esprit se montre dans une lettre à sa cousine, la princesse Mathilde, avec laquelle la reine Hortense songeait d'abord à le marier, mais qu'il n'épousa pas par suite de questions d'intérêt au sujet desquelles leurs parents ne se mirent point d'accord[20], et surtout à cause de l'affaire de Strasbourg qui acheva de le discréditer aux yeux de son père et de son oncle Jérôme. Je voudrais bien, dit-il, me promener avec toi dans les boutiques de Régent-Street, je voudrais bien être à Florence, je voudrais bien être à Stuggard ; je voudrais bien être à Paris. Je voudrais serrer dans ma main les doigts de ma cousine ou la poignée d'un sabre... Et de tous ces vœux, lequel sera exaucé ? Probablement aucun[21]. Cette lettre précède d'un mois l'aventure alsacienne. Le prince a vingt-huit ans.

Il ne s'aventurait pas à la légère autant qu'on l'a prétendu alors, et depuis 1870. On a trop oublié, qu'une pareille tentative était motivée en quelque sorte, en dehors même des autres raisons, par les conspirations nombreuses qui l'avaient précédée. En 1820, la loge maçonnique les Amis de la vérité intriguait beaucoup en faveur de Napoléon II[22]. Le prestige napoléonien était dans toute sa force ; il y a lieu de croire que Napoléon II serait monté sur le trône[23]. Rêver d'entraîner un régiment par son colonel, comme le prince allait le faire, apparaissait normal. N'était-ce pas suivre l'exemple de l'empereur à son retour de l’île d'Elbe ? On ne peut dire qu'il y avait sottise à compter sur l'armée. En mai 1816, à Grenoble, le colonel Brun et l'avocat Didier avaient tenté de soulever la garnison. A Vincennes, en août 1820, trois officiers, Nantil, Mézian et Bérard appelaient la troupe aux armes ; en 1823, Pailhès et Brice à Belfort, Caron en Alsace, le général Berton à Saumur, essayaient d'entraîner leurs hommes[24] ; enfin, si le prince regardait au dehors de la France, les révolutions purement militaires d'Espagne et de Portugal étaient à même de lui valoir aussi un encouragement. L'insurrection d'avril 1834 et l'attentat de Fieschi lui montraient que le roi était moins populaire que les journaux officieux ne cherchaient à le faire croire. En dernier lieu, la Suisse, avec laquelle le pouvoir royal était en fort mauvais termes, lui restait un refuge assuré au cas d'un insuccès ; les relations diplomatiques venaient d'être rompues entre les deux pays ; le Nouvelliste Vaudois appelait Louis-Philippe le roi apostat, le transfuge de Famars[25]. L'entreprise de Strasbourg était la suite et le résultat naturel de ce qu'avait entrepris déjà Louis-Napoléon.

* * *

Il est probable que, dès le début de 1835, le prince et Persigny[26] étudièrent lès conditions dans lesquelles se trouvait la ville de Strasbourg par rapport à leurs plans. Les officiers qui y résidaient furent l'objet de plusieurs enquêtes. Persigny qui pouvait aller et venir sans trop être inquiété fut, dans ces circonstances, le metteur en scène du complot, peut-être même son instigateur. Si l'idée est du prince seul, il est certain, que Persigny l'accueillit avec confiance, l'entretint de son mieux et la mit au point. Il fit de nombreux voyages dans le chef-lieu du Bas-Rhin et recueillit les indications nécessaires. Le prince lui en avait fourni déjà quelques-unes ; ayant envoyé son manuel d'artillerie à beaucoup d'officiers, il avait pu se rendre à peu près compte, grâce à leurs réponses, d'une partie de leurs sentiments. Ceux-ci n'étaient guère favorables à la monarchie d'Orléans ; ils penchaient vers autre chose, sans savoir au juste vers quoi, que ce fût la république ou l'empire ; un grand nombre était affilié à des sociétés secrètes. Ces sociétés servirent-elles également les investigations de Persigny ? Peut-être, mais il ne faudrait pas s'exagérer leur rôle ni leurs intentions. : plus d'une des loges, le prince devait sembler suspect ou dangereux ; et celles qui lui étaient favorables le considéraient, pour la plupart, comme un moyen.

Désireux de se renseigner par lui-même, Louis-Napoléon s'était rendu à Bade en 1835[27]. Les officiers de Strasbourg y allaient passer leurs permissions. Cette ville d'eaux était très fréquentée par les mondes les plus divers — et les plus ressemblants — et des étrangers de tous les pays ; des altesses y villégiaturaient, quelques-unes peu fortunées ; les princes en rupture ou en attente de couronne s'y donnaient presque rendez-vous[28] ; et dans cette foule mélangée, occupée surtout de ses plaisirs, la présence d'un Bonaparte ne risquait pas de paraître anormale. Enfin, avantage inestimable, Bade était à deux pas de la frontière et de Strasbourg même. Louis-Napoléon ne manqua pas de parcourir les différentes localités qui longeaient la France ; c'est ainsi qu'en 1836, il rencontrait à Kehl, puis à Offenbourg, le capitaine Raindre et le commandant de Franqueville[29]. Le capitaine Raindre, du 16e d'infanterie légère, avait souhaité le voir. Ayant appris par son commandant, M. de Franqueville, que le prince devait aller à Offenbourg chez un certain M. Masuyer où lui-même était reçu, il y vint. A cette réunion, il fut beaucoup parlé de l'empereur ; on l'y admira comme tout le monde en France[30]. Les autres sujets de conversation auraient été insignifiants, le prince s'occupant beaucoup de physique[31]. Mais Louis-Napoléon ne lâchait pas si facilement ceux dont il pensait pouvoir se servir ; il expédia une lettre au capitaine, à trois jours de là, pour le prier de se rendre à Kehl, au Pied du Chevreuil ; et, afin qu'il n'y eût pas d'erreur, il envoya prendre Raindre par son valet de chambre. Raindre fut à Kehl à trois heures. A cinq, il vit arriver une mauvaise carriole de louage dans laquelle était un jeune suisse qu'il avait remarqué à Offenbourg parmi le personnel de Louis-Napoléon et qui le conduisit dans une chambre où il le laissa ; il V revint bientôt avec son maître qui paraissait souffrant et dont le visage était en partie couvert d'un mouchoir[32]. Les deux hommes s'enfermèrent et Louis-Napoléon se déclara : Capitaine, dit-il, vous avez courage et loyauté et je vais pouvoir nie confier à vous. Vous aimez trop l'empereur pour ne pas aimer sa famille. Un mouvement est prêt d'éclater ; j'ai compté sur vous et je trie mettrai moi-même à votre tête[33]. Raindre se montra fort surpris. Je me dressai sur mes deux jambes, raconte-t-il ; il s'aperçut de ce geste et parut piqué. — Je conviens, dit-il, que c'est nouveau ; mais nous avons des moyens sûrs d'exécution. Je lui déclarai ma façon de penser ; il comprit ma franchise et sembla m'en savoir gré[34]. Le capitaine, en revenant à Strasbourg, après quelques hésitations, finit par tout dire à Franqueville. Celui-ci, qui avait également reçu des ouvertures, ne parut pas autrement étonné. Au fond, il hésitait lui-même sur le rôle qu'il devait jouer et pesait les chances de l'entreprise ; comme presque tous les utilitaires en face d'un coup d'État, il aurait voulu être sûr à l'avance qu'il réussît ; comme les moins purs, il cherchait à s'abstenir d'une façon qui lui permît de se déclarer pour le parti le plus fort au dernier moment. Le prince est trop décidé, se contenta-t-il de répondre, il a dû en parler au général[35]. C'était ce que se disaient beaucoup d'officiers de la garnison parmi ceux qui, sans se rallier encore à Louis-Napoléon, avaient été conquis par sa bonne grâce et se rapprochaient de lui dans un même dégoût du régime actuel. L'un d'eux, cependant, était résolu déjà autant qu'on peut l'être, Armand Laity, lieutenant de pontonniers, qui devait devenir un des meilleurs soutiens de la cause, fidèle et convaincu, le type même du partisan[36]. Mais ceux qu'il importait le plus de gagner à l'idée napoléonienne, c'étaient le colonel Vaudrey et le général Voirol dont l'adhésion en entraînerait d'autres et affermirait celles qui s'étaient avouées.

Vaudrey constituait une recrue de premier ordre. Il commandait le 3° et le 4° régiments d'artillerie, plus un bataillon de pontonniers ; c'était au 46 d'artillerie que Bonaparte avait fait ses premières armes lors du siège de Toulon, et c'était le 4e encore qui l'avait accueilli à Grenoble après son retour de l'île d'Elbe ; terrain unique pour venir invoquer de si beaux souvenirs et s'en affirmer le continuateur. Le colonel présentait certaines particularités qui permettaient assez bien de le circonvenir. Il avait fait la plupart des guerres impériales, et, en huit ans, était passé chef d'escadron ; il lui en avait fallu vingt pour arriver au grade qu'il occupait maintenant d'une façon qui lui paraissait trop définitive. A Waterloo où il s'était montré héroïque, il dirigeait vingt-quatre bouches à feu[37]. Il avait à cette époque, vingt-huit ans et touchait presque, en réalité, à la fin de sa carrière, les Bourbons, en général, ayant gardé leurs faveurs pour ceux qui savaient trahir et renier tout leur passé. Depuis 1815, il avait donc subi les injustices des inspecteurs généraux et vu des quantités d'incapables passer devant lui ; d'en concevoir une naturelle amertume, c'est ce que comprendront ceux qui ont servi et furent immobilisés sur leur dernier galon par une politique étroite et oppressive, de quelque gouvernement qu'elle se réclame. Il n'affichait pas une intransigeance exagérée et s'était rallié sincèrement d'abord à la nouvelle monarchie, au point même de lui adresser successivement deux requêtes, l'une destinée à le faire devenir aide de camp du duc d'Orléans, l'autre demandant une simple bourse pour son fils aîné. Toutes deux avaient été rejetées[38]. Vaudrey se sentait à bout. Enfin, quoique dans la vigueur de l'âge, il reconnaissait bien que ce qui lui restait de jeunesse n'allait pas tarder de le quitter ; et la grande affaire de sa vie, en dehors de son métier, était le plaisir. II aimait les femmes et non pas comme les aiment les gens de son fige ou ceux qui ont eu le loisir de les observer de près, mais d'un cœur demeuré très jeune ; il s'y attachait réellement, avec violence et tendresse, avec une confiance toujours prête à s'abandonner ; au bout de peu de temps, pourvu que sa partenaire y mît quelque adresse, il abdiquait toute volonté. Le grand malheur de l'homme est de douter sans cesse des femmes et de ne demander en même temps qu'à y croire ce à quoi il finit presque toujours par se résoudre, à la fois parce qu'il y trouve du bonheur et du repos. — Vaudrey ne pouvait que plaire. C'était un grand bel homme au front élevé, un peu fuyant peut-être, mais curieux. Il y avait de la fatigue sur ce visage, aux deux ailes du nez, allongées de rides, que la moustache continuait à temps, renforcée au menton d'une longue royale selon la mode ; mais l'âge ne s'accusait pas, grâce à la jeunesse assurée du regard, à la régularité de l'ensemble des traits, à tout ce qu'ils exprimaient d'énergique, de puissant et de décidé, sous des cheveux drus à peine parsemés, iei et là, de fils blancs. L'essentiel était de trouver une femme pour mener un tel homme jusqu'au point nécessaire, puis, celui-ci atteint, d'exploiter ses souvenirs impériaux en démontrant avec certitude l'évidence d'un avenir tout proche. Et Louis-Napoléon, grâce à Persigny, avait justement sous la main ce qu'il lui fallait.

A Londres, dans la famille Bonaparte, il avait entendu chanter une jolie française dont le visage exprimait un mélange d'ardeur et de dureté ; à certains moments, l'allure de toute cette personne, pour peu que l'on fût malintentionné, présentait quelque chose d'un peu trop mâle et même de donquichottesque. C'était Mme Gordon — de son nom de jeune fille Eléonore Brault[39]. — Après des études aux Conservatoires de Paris et de Milan, elle avait chanté à Venise et fait ses débuts dans la capitale française en 1831. Mariée à un anglais, sir Gordon-Archer, commissaire des guerres à la légion franco-espagnole, elle était devenue veuve rapidement. Elle atteignait vingt-huit ans en 183G. Brusque d'allure, elle faisait des armes pour développer sa voix. Très vive, fille, comme on s'y attendait, d'un officier supérieur, elle était naturellement bonapartiste. Elle était aussi sans argent. Quand elle connut Persigny, ce bonapartisme ne fit qu'augmenter ; quand elle eut été présentée à Louis-Napoléon, ce fut de l'enthousiasme — bien qu'au bout de peu de temps elle se fût accoutumée à surtout regarder le prince comme le représentant légitime de la cause qu'elle servait. A-t-elle été sa maîtresse comme on l'a dit[40] ? Il est probable que Louis-Napoléon se montra galant à son égard, mais ce fut tout sans doute[41]. Il nous semblerait plus vraisemblable qu'elle eût été celle de Persigny et qu'elle l'ait même aimé. Ils avaient tout ce qu'il faut pour s'entendre, et, sur plus d'un point, leurs deux caractères, en dehors même de leurs convictions politiques, présentaient de quoi s'accorder. Mais il est impossible d'avancer rien de définitif à ce sujet, les preuves faisant défaut. Si l'on admet cette façon de voir, le rôle de Mme Gordon auprès de Vaudrey s'explique aisément ; si l'on se refuse à y ajouter créance, les faits seuls de leurs relations persistent et présentent certains points où l'on s'étonne ; du moins, Persigny est certainement celui qui dirigea Mme Gordon vers Vaudrey pour qu'elle l'amenât au prince, et l'on se demande si de simples rapports d'amitié pouvaient lui permettre de faire jouer pareil rôle à une femme, même comme Mme Gordon, et surtout de l'y surveiller et conduire comme il apparaît bien qu'il le fit. Il est plus vraisemblable qu'un passé tendre et récent, rapide d'ailleurs, d'autant plus cordial, et d'où une entente était née, permettait à l'ancien maréchal des logis de faire manœuvrer son amie suivant un plan préconçu, dont on relève le fil principal à travers le petit roman amoureux du colonel et de la cantatrice ; dans ce duo, Persigny et le prince apparaissent tour à tour, l'un comme le machiniste, l'autre comme le deus ex machina, le premier pour faire lever le dernier rideau, le second pour venir chanter son refrain au moment le plus propice. — L'intermédiaire était bien choisie. Mme Gordon ne cessa de faire preuve d'une adresse, d'un courage, d'un sang-froid également remarquables et très rares, à un pareil point, chez une personne de son sexe. Elle se joua de tout et de tous avec une incontestable maîtrise. Son acte d'accusation dira : C'est la femme froide et réfléchie qui entraîne à sa ruine l'homme qui l'aime[42]. Elle était calculatrice au profit de sa cause, mais généreuse en dehors de cela et nullement froide, au contraire. C'est à elle que le prince dut le concours de Vaudrey ; sans l'influence qu'elle sut acquérir sur lui, le colonel ne se fût point décidé.

La première entrevue de Vaudrey et de Louis-Napoléon aurait eu lieu à Offenbourg vers la fin de mai 1836[43] ; mais, d'après le procès, elle ne se passa que le 29 juin à Bade. Auparavant, le 20 du même mois, Vaudrey vit pour la première fois Mme Gordon à Strasbourg chez le général Voirol sous les veux de ses camarades et de ses chefs[44] ; M. de Franqueville se trouvait à cette soirée[45]. Insinuer que Muge Gordon vint à Strasbourg sur le conseil de Persigny nous semble normal et selon les événements. Vaudrey, très impressionné par la chanteuse, se fit présenter à elle et lui demanda s'il aurait le plaisir de la rencontrer de nouveau ; elle lui répondit qu’elle partait dans quelques jours pour Bade[46]. Vaudrey s'y rendit et ce serait en s'y promenant avec elle qu'il aurait croisé le prince auquel il se lit présenter bientôt par un ancien camarade, le colonel d'artillerie en retraite Eggerlé[47]. Les rapports étaient d'autant plus faciles qu'il avait reçu le Manuel d'artillerie. A cette première présentation, le prince s'entretint rapidement avec Vaudrey et lui donna rendez-vous pour le lendemain. — Dans l'intervalle. Persigny aurait été adresser de nouvelles instructions à Mme Gordon, après l'avoir interrogée sur le degré de passion où en était à son égard le colonel, que cela aussi serait très naturel. — Ainsi renseigné, Louis-Napoléon pensa le moment venu de faire certaines ouvertures et tint à son interlocuteur un discours dont l'essentiel peut se résumer eu ceci : Une révolution n'est excusable, n'est légitime que lorsqu'elle se fait dans l'intérêt de la majorité de la nation. Or, on est sûr qu'on agit dans ce sens lorsqu'on ne se sert que d'une influence morale pour la faire réussir. Si le gouvernement a commis assez de fautes pour rendre une révolution encore désirable au peuple, si la cause napoléonienne a laissé d'assez profonds souvenirs dans les cœurs français, il suffira de me montrer seul aux soldats et au peuple et de leur rappeler les griefs récents et la gloire passée pour qu'on accoure sous mon drapeau. Si je voulais, au contraire, intriguer et tâcher de corrompre tous les officiers et tous les soldats d'un régiment, je ne serais sûr que d'individus qui ne me donneraient aucune garantie de réussir auprès d'un autre régiment où les mêmes moyens d'action n'auraient pas été employés. Je n'ai jamais conspiré dans l'acception habituelle du mot, car les hommes sur lesquels je compte ne sont pas liés à moi par des serments, mais par un lien plus solide, une sympathie mutuelle pour tout ce qui peut concourir au bonheur et à la gloire du peuple français. — L'homme de l'antiquité que je hais le plus c'est Brutus, non seulement parce qu'il a commis un lâche assassinat, non seulement parce qu'il a tué le seul homme qui eût pu régénérer Borne, mais parce qu'il a pris sur lui une responsabilité qu'il n'est donné à personne de prendre, celle de changer le gouvernement de son pays par un seul fait indépendant de la volonté du peuple. — Si je réussis à entraîner un régiment, si les soldats qui ne me connaissent pas s'enflamment à la vue de l'aigle impériale, alors toutes les chances seront pour moi... J'entends par démocratie le gouvernement d'un seul par la volonté de tous, et par république le gouvernement de plusieurs obéissant à un système. La France veut des institutions nationales comme représentant de ses droits, un homme ou une famille comme représentant de ses intérêts ; c'est-à-dire qu'elle veut de la république ses principes populaires, plus la stabilité de l'Empire, sa dignité nationale, son ordre et sa prospérité intérieure, moins ses conquêtes... Mon but est donc de venir avec un drapeau populaire, le plus populaire et le plus glorieux de tous, de servir de point de ralliement à tout ce qu'il y a de généreux et de national dans tous les partis, de rendre à la France sa dignité sans guerre universelle, sa liberté sans licence, sa stabilité sans despotisme, et pour arriver à un pareil résultat, que faut-il faire ? Puiser entièrement dans les masses toute sa force et tous ses droits, car les masses appartiennent à la raison et à la justice '[48]. Les deux hommes sympathisèrent, mais Vaudrey ne se décidait pas ; sa conduite future le prouve nettement ; il était acquis aux idées du prince — et il reculait devant les faits. Retrouvant ensuite 3lme Gordon, il se laissa deviner, — et le prince sut à quoi s'en tenir sur la portée de son discours. — Vaudrey, à cette date, est certainement amoureux fou de la chanteuse et le lui a dit. Il est également probable qu'elle se soit dérobée — sans le repousser tout à fait, lui demandant le temps de la réflexion ; elle n'aime guère le colonel, au fond ; décidée comme elle l'est. elle lui eu veut de ses hésitations, de ses scrupules à servir une cause dont la réussite ne fait pas de doute dans son esprit. Vaudrey, insistant d'autant plus que son retour à Strasbourg est nécessaire, elle se réserve encore de façon à l'affoler, se dit malheureuse, explique qu'elle n'a pas assez de raisons pour le croire ; vers la lin de cette belle défense, elle décoche la flèche la plus importante de son carquois en lui déclarant qu'elle ne peut à présent appartenir — et n'appartiendra jamais — qu'à un homme qui se dévouerait corps et fine à la cause de Louis-Napoléon ; elle termine en laissant les meilleures ailes à l'espérance de son amant. Et l'intrigue se précipite.

Vaudrey, aussitôt de retour à Strasbourg, reçoit une lettre du prince qui permet de penser qu'une entente existait entre eux ; elle révèle, en effet, une sorte de convention par sa signature : Louise Wernert ; le subterfuge est cependant si facile qu'on peut le croire également spontané : Monsieur, je ne vous ai pas écrit depuis que je vous ai quitté parce qu'au commencement j'attendais une lettre où vous m'auriez donné votre adresse. Cependant, aujourd'hui que vous vous occupez de mon mariage, je ne puis m'empêcher de vous adresser personnellement une phrase d'amitié. Vous devez assez me connaître pour savoir à quoi vous en tenir sur les sentiments que je vous porte, mais, pour moi, j'éprouve trop de plaisir à vous les exprimer pour que je garde le silence plus longtemps. Monsieur, à vous seul tout ce qui peut faire vibrer mon cœur : passé, présent, avenir. Avant de vous connaître, j'errais sans guide certain ; semblable au hardi navigateur qui cherchait un nouveau inonde, je n'avais comme lui que dans ma confiance et mon courage la persuasion de la réussite ; j'avais beaucoup d'espoir el peu de certitude ; mais lorsque je vous ai vu, Monsieur, l'horizon m'a paru s'éclairer et j'ai crié : Terre ! Terre !Je crois de mon devoir, dans les circonstances actuelles où mon mariage dépend de vous, de vous renouveler l'expression de mon amitié et de vous dire que, quelle que soit votre décision, cela ne peut influer en rien sur les sentiments que je vous porte. Je désire que vous agissiez entièrement d'après vos convictions et que vous soyez sûr que, tant que je vivrai, je me rappellerai avec attendrissement vos procédés à mon égard. Heureuse si je puis vous donner un jour des preuves de ma reconnaissance. En attendant que je sache si je me marierai ou si je resterai vieille fille, je vous prie de compter toujours sur ma sincère affection[49]. — Vaudrey commençait peu à peu à prendre son parti. Interrogé par son général qui lui demande s'il a vu le prince à Bade, il lui répond qu'il l'a rencontré mais qu'il ne lui a rien dit[50]. Et, dans une des nombreuses lettres qu'il envoyait à Mme Gordon, il lui affirme qu'il est prêt. — Il faut citer cette lettre. Elle montre le rôle de la cantatrice chargée de tenir en haleine celui qui se contentait surtout de l'aimer ; elle dévoile- l'action de Persigny, elle la dessine en quelque sorte, et prouve que Vaudrey, sans la connaître exactement peut-être, avait bien net le soupçon que quelqu'un, dans l'ombre, conseillait son amie ; elle établit que cette fougueuse partisane ne laissait pas reprendre haleine au protecteur de la supposée Louise Wernert, et la dextérité qu'elle apportait clans sa tâche : Dix heures du soir. — Ma chère Éléonore, j'ai reçu ta lettre... quelle lettre, Éléonore, et de toi !... Je vois maintenant, plus peut-être que tu ne l'eusses désiré, la cause de ton inconcevable silence et le motif pour lequel il t'a plu de me manquer de parole. — J'aime la franchise, la tienne me plaît ; tu en uses dans toute son étendue, c'est bien, c'est même un mérite rare. Il est échappé à ta plume que d'autres inspiraient, j'en ai la conviction, des expressions qui sont plus que des duretés. Je dois me taire. Tu es femme et la femme que j'aime par-dessus tout. Que puis-je répondre ? Il paraît que ton silence était une punition, il en est sans doute de même de ton séjour prolongé à Paris. Quel pitoyable système ! Il est à peine bon pour les enfants. Tu savais pourtant ma position. Elle était assez pénible. Pourquoi ajouter à des angoisses et à de cuisants chagrins ? Tu m'accuses de quitter, d'abandonner mes amis ! Cet odieux blasphème n'est pas de toi ; dis à ceux qui se sont chargés de t'informer soit de mes intentions, soit de ma conduite qu'ils en ont menti... dis à ceux qui t'ont inspiré ta dernière lettre toute remplie de défiance — ce qui en a éveillé en moi une plus grande — dis-leur, je t'en supplie, que leurs défiances, que leurs soupçons sont des injures et que je n'ai pas l'habitude d'en endurer. Apprends-leur que je suis du petit nombre de ceux qui peuvent dire : Examine ma vie et songe qui je suis. — Toi, eux, vous tous enfin, vous n'avez pas rougi de penser que la menace pouvait avoir quelque influence sur moi et tu emploies ce moyen des faibles. Vous supposez que ma volonté céderaà qui, grand Dieu ! à des menaces ! Ah ! tu ne me connais guère. insensés, adressez-vous donc à ma conviction, convertissez-là s'il en est besoin (et tu sais bien que non), éclairez-là si elle s'égare et vous verrez si ma volonté ne saura pas attendre et déjouer les vôtres et si je resterai en arrière quand il faudra agir et se montrer. La plus grande preuve d'affection que je puisse te donner, c'est de croire que les inspirations de ta lettre ne sont pas de toi, car l'injure, quoique déguisée et parée d'une flatterie imméritée, s'y reconnait trop bien ; ce n'est pas la main d'une femme et d'une amie qui porte de pareils coups. Mais tu sauras bientôt si je sais répondre à une provocation ; attends seulement que je sois à Strasbourg. — D'après tout ceci une entrevue entre nous est plus que jamais indispensable, ne fût-ce que pour détruire, s'il se peut, les fâcheuses et fatales préventions qui nous occupent l'un et l'autre, et nous occuper de nos intérêts communs... Malgré ta lettre toute martiale, toute menaçante, je ne t'en aime pas moins toujours de toute mon âme ; et quoique tu puisses dire, j'ai l'assurance que tu n'auras jamais à rougir de moi. Au revoir donc, chère amie, et le plus tôt possible. Quoique bien souffrant, je volerai près de toi... Un doux baiser à toi de toutes les forces de mon âme[51]. Il était difficile de rencontrer un meilleur cœur, resté aussi sensible, et sur tant de points. Éléonore Brault en usait à sa guise. Pour le quart d'heure, sentant son ami prêt à faire un pas en avant et espérant l'engager davantage, elle l'appelle à Dijon où il a une maison de campagne[52]. Vaudrey y vient, et ils y restent ensemble jusqu'au 24 octobre[53]. Ce grand soldat naïf possède au moins l'art de ne pas s'embarrasser de sa femme et d'agir dans la vie comme il l'entend. Mme Gordon avait-elle déjà cédé, ou fût-ce seulement cette fois — ou enfin réussit-elle à se défendre encore ? Elle dut alors se donner à lui — le moins possible. Vaudrey, sur ce point, finissait par se rappeler qu'il était militaire ; étant donnés son caractère et le sentiment qu'elle avait su faire naître, ou tout au moins développer, c'était plutôt se l'attacher davantage ; et elle acheva sans doute ainsi de le conquérir à la cause napoléonienne. — Persigny veillait tout à côté, n'entendant pas que ce bonheur ne servit à rien. De Fribourg, en signant Manuel ou le Géant[54], il avait écrit deux fois pour fixer un rendez-vous au colonel[55]. Celui-ci devant bientôt rentrer à Strasbourg, il était temps d'agir avec énergie ; il pouvait dire qu'il était venu là en passant, si on l'interrogeait, pour faire une dernière excursion. — Vaudrey s'arrête donc vingt-quatre heures à Colmar et excursionne dans le grand-duché de Bade[56]. Devant ses juges, il nie avoir vu l'aide de camp du prince[57] ; il est certain qu'il le vit : il loge avec Mme Gordon clans le même hôtel que Persigny[58]. Là, tous trois s'entendent définitivement sur le plan à suivre. Vaudrey ensuite, navré de quitter sa maîtresse, agacé par les mille petits ennuis d'un voyage, enfin nerveux et irritable à souhait, regagne Strasbourg[59] ; mais Fialin ne le lâche pas encore, surtout quand le chagrin en fait une proie aussi parfaite, et, pour le jour même de son arrivée, il lui a dépêché le prince[60]. Sortant de dîner de chez le colonel Costaz, Vaudrey est accosté par un individu enveloppé d'un manteau et s'entourant de mystère[61]. Cet individu lui dit que le prince veut lui parler de suite et le conduit au bord du canal, sur le quai Neuf où l'attendait Louis-Napoléon[62]. L'entrevue des deux hommes dura cieux heures[63]. Vaudrey aurait tout fait pour dissuader le prétendant de son entreprise, lui représentant qu'il se trompait sur l'état des esprits et qu'il n'avait pas chance de réussir. Mais Louis Bonaparte lui opposa des raisons sérieuses qui étonnèrent Vaudrey et finirent presque par le convaincre. Il lui dit, en outre, qu'il était trop tard, car il avait décidé de se présenter devant le 4e d'artillerie, même sans son assentiment[64]. Il lui indiqua beaucoup d'officiers avec lesquels il était en intelligence et dont il était certain ; il signala des officiers supérieurs ; parmi ceux-ci, Vaudrey crut entendre le nom du général Voirol[65].

Il est presque sûr que Louis-Napoléon le nomma[66] ; il est moins certain qu'il se soit dit assuré de son concours[67] ; il mentit peut-être afin d'emporter l'adhésion de Vaudrey ; il est également possible qu'il ait été sincère en affirmant qu'il comptait sur le général ; le rôle de Voirol dans l'affaire de Strasbourg, comme plus tard celui de Magnan dans celle de Boulogne, est extrêmement singulier et prête à bien des soupçons ; on peut même avancer qu'il les justifie ; sans eux, il demeure inexplicable[68].

De Bade, à la date du 14 août 1836, le prince avait adressé à Voirol une lettre tellement imprudente, étant donné le point où en étaient les choses, qu'on se demande si elle n'avait pas été précédée de quelques préliminaires ; au cas où elle aurait préparé une simple entrée en matière, elle révèle chez le fils de la reine Hortense une audace et une confiance en soi-même incroyables : Général, comptant partir bientôt pour retourner en Suisse, je serais désolé de quitter la frontière de France sans avoir vu un des anciens chefs militaires que j'honore le plus. Je sais bien, général, que les lois et la politique voudraient vous jeter, vous et moi, dans deux camps différents, mais cela est impossible ; un vieux militaire sera toujours tin ami de même que mon nom lui rappellera sans cesse sa glorieuse jeunesse. Général, j'ai le cœur déchiré en avant depuis un mois la France devant les veux sans pouvoir y poser les pieds ; c'est demain la fête de l'empereur et je la passerai avec des étrangers. Si vous pouvez me donner un rendez-vous dans quelques jours dans les environs de Bade, vous effacerez par votre présence les tristes impressions qui m'oppriment. En vous embrassant, j'oublierai l'ingratitude des hommes et la cruauté du sort. Je vous demande pardon, général, de m'exprimer aussi amicalement envers quelqu'un que je ne connais pas, mais je sais que votre cœur n'a pas vieilli... Je vous prie de remettre la réponse à la personne qui vous portera ma lettre[69]... — Le général s'abstint de répondre et prévint le ministre de la Guerre en le priant de faire redoubler sa surveillance ; il dit qu'il n'était pas le seul à avoir reçu des ouvertures de la part du prince ; il ajoutait qu'on pouvait compter sur lui. — Il ne paraît pas que sa surveillance personnelle ait été bien active[70]. Persigny et Louis-Napoléon vinrent à Strasbourg sans être inquiétés[71]. La réponse de Franqueville au capitaine Raindre, l'attitude de beaucoup d'officiers prouvent qu'ils ne savaient pas au juste à quoi s'en tenir sur leur chef. Peut-être, se contenta-t-il d'attendre, décidé à se réserver jusqu'au moment où la chance définitive de l'entreprise se dessinerait. Le matin de l'émeute, Mme Gordon ne tire pas sur Voirol parce qu'elle le croit de l'émeute même. Elle le lui déclara formellement quand elle fut prisonnière : Général, vous passâtes près de moi sur la place Saint-Etienne le 30 au matin ; je vous croyais du mouvement et c'est à cette pensée que vous dûtes la vie. — Comment cela ? —Je tenais deux pistolets et, je vous le jure, si j'avais su la vérité, vous seriez mort de ma main[72]... Le général Voirol ne sut même pas — on n'avertit point son gouvernement — que le prince, venu à Strasbourg, y avait rencontré vingt officiers réunis dans une maison amie sous un prétexte quelconque[73]. Louis-Napoléon avait cependant pris la grande route, à cheval, et s'était arrêté un moment en traversant le Rhin[74]. — Quand on apprit à ces officiers, dont on n'avait exigé aucune promesse de silence, qu'un Bonaparte allait paraitre devant eux, pas un ne manifesta l'intention de se retirer[75]. Le neveu de l'empereur est le bienvenu parmi nous, déclarèrent-ils ; il est sous la protection de l'honneur français. Que peut-il craindre ? Nous le défendrons tous au péril de notre vie[76]. Le prince fut introduit[77]. Le discours qu'il prononça est, au premier abord, un peu solennel, mais il fallait aussi qu'il ne fût point familier ; si, d'autre part, nous nous reportons à l'époque, si nous nous efforçons de comprendre l'enthousiasme et le sérieux des Cimes d'alors, il ne nous étonnera plus. Messieurs, c'est avec confiance que le neveu de l'empereur se livre à votre honneur ; il se présente à vous pour savoir de votre bouche vos sentiments et vos opinions ; si l'armée se souvient de ses grandes destinées, si elle sent les misères de la patrie, alors j'ai un nom qui peut vous servir ; il est plébéien comme notre gloire passée, il est glorieux comme le peuple. Aujourd'hui, le grand homme n'existe plus, il est vrai, mais la cause est la même ; l'aigle, cet emblème sacré, illustrée par cent batailles, représente comme en 1815 les droits du peuple méconnu et la gloire nationale. Messieurs, l'exil a accumulé sur moi bien des chagrins et des soucis ; mais comme ce n'est pas une ambition personnelle qui me fait agir, dites-moi si je me suis trompé sur les sentiment de l'armée et, s'il le faut, je me résignerai à vivre sur la terre étrangère, en attendant un meilleur avenir[78]... Les officiers l'assurèrent de leur dévouement et qu'ils lui rendraient sa patrie ; ils se dirent las de l'inaction où la monarchie parlementaire laissait leur jeunesse, honteux du rôle qu'elle faisait jouer à l'armée[79].

N'ayant pas obtenu tout ce qu'il attendait de Voirol, le prince avait essayé de gagner à la cause un autre général, Exelmans, qui avait brillamment servi sous l'empereur et conservé vivant le culte de son ancien chef[80]. — Vers le commencement d'octobre, Louis-Napoléon charge donc un de ses partisans, qui lui servait aussi de prêteur, M. de Bruc, d'aller lui porter une lettre à Paris[81]. Cet émissaire ne semble pas avoir été très bien choisi ; il fallait un homme persuasif, enthousiaste, tout d'une pièce ; au contraire, de Bruc fait preuve d'une sincérité douteuse et dans toute l'affaire son rôle reste assez louche. il est probable que. l'intérêt constituait son guide principal ; croyant au prince, il le servait, mais avec réticence ; sa bravoure est également incertaine comme sa position. En effet, allié par sa mère avec la famille Beauharnais, par sa belle-sœur avec la famille d'Orléans, par son père, il avait été cousin de l'infortuné colonel du 60 de ligne. Labédoyère[82]. Il est difficile de savoir à quoi s'en tenir sur lui et on ne peut l'accuser, d'autre part. les preuves manquant. Sa santé doit entrer en ligne de compte, et elle n'était pas très bonne, à ce qu'il parait[83]. Peut-être, cependant, fut-il tout dévouement, car sa conduite avant l'affaire serait à son éloge : M. de Bruc qui avait constamment refusé de servir, même avec de l'avancement sous le gouvernement actuel, pour ne pas prêter serinent à la dynastie régnante, se présenta il y a dix mois environ chez le ministre de la Guerre et demanda du service. Soit que cette demande parût suspecte ou pour tout autre motif, il n'en obtint pas. Il se livra à toutes sortes de démarches et prodigua des promesses ; il offrit jusqu'à 30.000 francs pour intéresser en sa faveur une dame qu'il savait avoir de l'influence sur un maréchal de France, le tout en vain. On prétend que son but, s'il avait eu un régiment, était de renouveler l'exemple que son cousin avait pavé de sa vie vingt ans auparavant et de devenir le Labédoyère de l'insurrection de Strasbourg, rôle qui, à son défaut, échut au colonel Vaudrey. Il paraît même qu'au temps de ses démarches, un député devenu son parent par alliance, M. de Kératry, se rendant un jour aux Tuileries, lui dit que si M. de Bruc voulait permettre qu'il répondît de lui, il était sûr de faire obtenir sur-le-champ le grade, objet de son ambition. Mais M. de Bruc recula en disant que, dans les temps comme les nôtres, personne ne pouvait répondre de soi. Ainsi, dans sa manière d'entendre la loyauté, M. de Bruc semblait regarder le serinent auquel il devait se soumettre comme une mesure dont la généralité et les précédents ne faisaient pas un lien fort sérieux, tandis qu'un engagement spécial, donné d'homme à homme et sur l'honneur, devenait inviolable pour lui[84]. — Ceci prouverait de plus que, vers la fin de l'année 1835, Louis-Napoléon avait tout un plan arrêté. Quant à la manière dont de Bruc entendait sa parole, elle est d'un galant homme. Malheureusement il y a dans son cas des questions d'argent qui le font entrevoir sous une autre face. Et, au bout du compte, malgré ses qualités, à cause d'elles aussi, c'était un singulier compère. Il médita des plans de conquête de Tripoli, au moment même où les troupes françaises prenaient Alger. Déçu dans ses espérances de ce côté, très endetté d'ailleurs, il fut pour Persigny une proie facile. Seul peut-être de tous les conjurés, il mit à prix son concours. Persigny lui versa le 15 avril 1836 une somme de 4.500 francs et, comme il se défiait de lui, exigea un reçu qui figure au dossier du procès. Cette défiance était justifiée. De Bruc, en homme qui craignait les coups, manifesta plusieurs fois sa répugnance à agir... Persigny se servit pourtant de ce peu chevaleresque personnage à cause de ses relations avec le parti légitimiste[85]. De Bruc échoua auprès d'Exelmans. Il fut reçu froidement[86]. Très étonné — car, pour le décider, Persigny lui avait fait croire que tout était à moitié entendu, il lui remit la lettre du prince, lettre qui rappelle celle à Voirol, et répondit mal aux questions qu'on lui posa. Ici, il est permis de penser que s'il avait répondu avec précision et sans équivoque, le vieux général se fùt peut-être laissé convaincre. Devant le trouble de l'envoyé, pensant la partie engagée perdue d'avance, il refusa son appui en ajoutant aux raisons qu'il donnait pour agir de la sorte le conseil que le prince se tint tranquille et évitât de compromettre sa famille. Il s'excusa de ne lui avoir point encore écrit pour le remercier de son Manuel. Il s'abuse, dit-il enfin, il s'abuse s'il croit qu'il a un parti en France ; il y a une grande vénération pour la mémoire de l'empereur, et voilà tout[87]. Exelmans tint-il réellement ce langage ? Rien ne le prouve[88]. — Des démarches furent faites également auprès du général Contréglise ; on n'a sur elles aucune donnée[89].

En définitive, quand on récapitule la préparation du premier coup d'État, on s'aperçoit qu'elle fut sérieuse. Encore n'en savons-nous qu'une partie ; nous ne connaissons que les actions du prince et de Persigny ; et il est évident que Laity, Parquin, Gricourt et trente autres, parmi lesquels vingt-cinq officiers de toutes armes appartenant à la garnison de Strasbourg et des environs[90], ne demeuraient pas non plus inactifs. Pour nous renseigner sur la question, nous ne possédons que les pièces du dossier gouvernemental —, et ces pièces sont nécessairement restreintes, personne n'ayant intérêt à parler, l'aventure ayant mal fini. Le gouvernement, de son côté, ne pouvait pas dire la vérité ; il est facile à comprendre qu'il fit même tous ses efforts pour la cacher ; nous le verrons plus tard. Enfin, une fois au pouvoir, à son tour, Louis-Napoléon n'avait aucune envie de donner des leçons de conspiration, et se tut ; c'était une sorte de maxime chez les hommes du second empire que de ne point parler et de laisser le moins d'écritures possible ; Louis-Napoléon, à peine président de la république, demanda les dossiers de Strasbourg et de Boulogne, sans doute pour y détruire quelques pièces[91]. On peut donc avancer que les ramifications de ce complot étaient assez étendues et que bien des officiers de la garnison strasbourgeoise qui ne passèrent pas devant les jurés y avaient cependant pris part. Leur complicité fut telle que le gouvernement de Juillet n'osa punir, tant il y aurait eu de punitions nécessaires[92]. Qu'on ne nous accuse point ici de donner dans le mystérieux que comporte toujours facilement une conspiration ; ce que nous établissons se trouve basé sur des faits ; nous ne faisons qu'interpréter ces faits dans le sens de leur réalité — dans celui, tout au moins, qui nous parait le plus exact et le mieux découler d'elle. Notre critique nous amène à instruire à nouveau l'affaire de Strasbourg et, tout on l'enregistrant sans parti pris, nous nous efforçons de la comprendre. Or, contrairement à ceux qui en sourient et, surtout parce qu'elle est d'une autre époque, dont la date leur parait lointaine, la traitent de peu de chose, nous sommes amenés par nos conclusions à la considérer comme une affaire sérieuse[93] ; nous la voyons avec les yeux du gouvernement de Louis-Philippe — qui cependant ne savait pas tout sur elle —, la crainte en moins, une part d'intérêt en plus. Si notre investigation semble un peu confuse, c'est que, justement, nous avons tenu à la faire pas à pas, sans rien ajouter de notre chef, évitant avec soin d'ordonner les actes des conjurés d'après une manière de voir préconçue. Rien ne vaut la vérité des faits ; l'imagination a ses domaines spéciaux, hors desquels elle est intempestive ; mais la réalité possède aussi ses terres contestées où il n'est pas interdit de prendre position et de se défendre. — À mon sens, l'échauffourée, comme la lit appeler prudemment la monarchie d'Orléans, fut, malgré quelques lacunes, un complot de premier ordre auquel il manqua peu de chose pour réussir. Et le récit de l'affaire elle-même achèvera de prouver ce que nous avançons.

Le plan était de soulever les deux régiments d'artillerie sous les ordres de Vaudrey puis les trois régiments d'infanterie de ligne qui casernaient également à Strasbourg et de marcher avec cette petite armée sur Paris ; on espérait la grossir en route des autres garnisons, de la garde nationale et du peuple[94]. Le plan, dit Louis Blanc, était hardi et bien entendu[95]. Si nous voulons nous reporter à l'époque et oublier les moyens de communication nombreux qui rendraient de nos jours une action de ce genre impossible, nous penserons de même. — Strasbourg était la ville la plus favorable, peut-être, à l'exécution de ce grand projet, La population s'y montrait extrêmement patriote, comme la plupart des populations de la frontière ; elle détestait le gouvernement qui s'était même vu contraint, par ce fait, de licencier la garde nationale. Sa garnison comprenait huit à dix mille hommes, une artillerie considérable, un arsenal immense et mille ressources ; elle constituait une base d'opération unique. Dans la marche sur Paris, on emmenait un convoi d'armes pour distribuer aux populations et cent pièces de canon. On savait que l'exemple de Strasbourg aurait entraîné toute l'Alsace et ses garnisons. La ligne à parcourir traversait les Vosges, la Lorraine, la Champagne. Que de grands souvenirs réveillés ! Que de ressources dans le patriotisme des provinces ! Metz suivait l'impulsion de Strasbourg ; Nancy et les garnisons qui l'entourent se trouvaient occupées dès le quatrième jour pendant que le gouvernement aurait à peine pris un parti. Ainsi le prince Napoléon pouvait entrer en Champagne le sixième ou le septième jour à la tête de plus de cinquante mille hommes. — La crise nationale grandissait d'heure en heure ; les proclamations faites pour réveiller toutes les sympathies populaires pénétraient partout et inondaient le nord, l'est, le centre et le midi de la France : Besançon, Lyon, Grenoble recevaient le contre-coup électrique de cette grande révolution[96]...

Pour ceux qui douteraient encore, comment croire que le prince ait agi sans données, sans raisons, sans appui, même en lui supposant la témérité la plus folle ! Si on rejette tout sur la faute de celle-ci, comment, dans ce cas, en gratifier généreusement ceux qui l'aidèrent et, si pour Persigny, Laity et Vaudrey cette témérité semble, avec bien de la peine, explicable, comment la supposer à Parquin qui n'est plus tout jeune et au calculateur de Bruc[97] ? Comment, enfin, si cette entreprise était tellement intempestive, admettre que tant d'officiers y aient promis leur concours ? C'est fermer volontairement les yeux et se réfugier dans une réfutation vague que de ne pas constater l'évidence de pareils 'faits ou les déclarer insignifiants. En dernier lieu, si tout cela n'était qu'une simple folie de jeune homme, comment se fait-il qu'elle ait été suivie par un régiment et acclamée par une partie de la ville ? — C'est que le prince, tout en poursuivant un but personnel, servait une cause profonde et forte, celle du peuple et de la patrie ; il ne venait pas là seulement comme un prétendant, mais comme le soldat des trois couleurs. Il est le premier à savoir ce qu'il risque ; il n'ose peut-être espérer le succès. Ce qu'il veut avant tout, ce qui constitue sa principale ambition, c'est encourager le peuple à désigner lui-même son chef, c'est lui rappeler qu'il existe encore un Bonaparte prêt à faire revivre la liberté. Neveu de celui que la France appelait l'empereur et condamné au tourment d'une jeunesse obscure, ayant à venger ses parents proscrits, exilé lui-même, par une loi injuste, d'un pays qu'il aimait et dont on pouvait dire saris exagération que Napoléon le couvrait encore de son ombre, Louis Bonaparte se croyait destiné à soutenir l'honneur de son nom, à punir les persécuteurs de sa famille, à ouvrir à son pays abaissé quelque issue vers la gloire[98]. Il figure à cette heure la jeunesse même de la France revendiquant sa place et ses droits : droits légitimes, droits féconds que doit reconnaître un pays s'il ne veut pas mourir peu à peu. L'expérience seule ne conseille rien que le repos et l'atermoiement ; pour qu'elle profite, il faut qu'elle laisse pénétrer à travers sa plaine aride le fleuve vivifiant d'une énergie fraîche ; son devoir n'est pas de l'y interrompre ni de le perdre sous la terre ou vers quelque golfe lointain, mais bien de le canaliser pour le répartir suivant les données les plus logiques.

* * *

Le prince — et nous sommes surpris qu'on ne l'ait point encore remarqué — est déjà, pour employer l'expression du poète, un enfant du siècle[99]. Il représente les aspirations de la jeunesse française, il les condense, il les résume, et Strasbourg est une protestation. Comme cette jeunesse, Louis-Napoléon n'est pas parfait ; comme chez elle, certains ressorts sont cassés. Il y a en lui un peu de René, un peu d'Adolphe, et de bien des héros littéraires du temps, oubliés aujourd'hui ; il y a autre chose, à côté, une étrange ténacité, de la confiance, de l'espoir. Il semble alors que l'empire ait absorbé à son profit la sève nationale au point de ne plus permettre ,un échantillon d'homme absolu. L'uniforme étriqué et désuet des deux restaurations, le malaise d'un pays privé d'activité et, par conséquent, exploité, l'appauvrissement peut-être de la race, tout enfin semble s'entendre pour enlever à la jeunesse cette ardeur qui est la meilleure garantie de son avenir et de ses qualités. L'indécision générale arrête son élan ; les exemples, les vrais conseils manquent ; on sourit trop, on ne rit plus ; on a peur d'être naturel, et l'on se guinde ; reléguée au second rang alors que sous la révolution et l'empire elle se voyait appelée malgré ses défauts et ses dangers, et à cause d'eux, aux premières places, la jeunesse, repliée sur elle-même, inutile, esseulée, pousse tristement ; la terre où elle plonge ses racines, au lieu d'aider son développement, le retarde ; l'air qui l'entoure est mou et la fane ; elle attend, elle attend une ère plus vive,.., en vain. A cette mort perpétuelle et qui ne s'achève pas, l'aventure la plus périlleuse est mille fois préférable. — Alors que personne n'ose plus, lui, prince Bonaparte, il osera ; il osera même affirmer. Et si toute affirmation est dangereuse au point de vue philosophique, elle est nécessaire dans certains cas de la vie matérielle où son erreur devient féconde.

Voici comment Louis Blanc juge le prince : Savoir commander à son cœur, être insensible et patient ; n'aimer que son but, dissimuler ; ne pas dépenser son audace clans les projets et la réserver tout entière pour l'action ; pousser au dévouement sans trop y croire ; traiter avec la bassesse en la devinant ; mépriser les hommes ; pour devenir fort, le paraître ; et se donner des créatures moins par la reconnaissance qui fatigue le zèle que par l'espérance qui les stimule... là est, dans le sens égoïste et vulgaire du mot, le génie des ambitieux. Or le prince Louis Bonaparte n'avait, soit en qualités, soit en vices, presque rien de ce qui le compose. Sa sensibilité, facile à émouvoir, le livrait désarmé aux faux empressements des subalternes. Il lui arrivait quelquefois de mal juger les hommes par précipitation et par bonté. La fougue de ses désirs le trompait et l'entraînait. Doué d'une droiture nuisible à ses desseins, il avait, par un rare assemblage, et l'élévation d'âme qui fait aimer la vérité, et la faiblesse dont profitent les flatteurs. Pour augmenter le nombre de ses partisans, il se prodiguait. Il ne possédait en un mot ni l'art de ménager ses ressources, ni celui d'en exagérer habilement l'importance. Mais, en revanche, il était généreux, entreprenant, prompt aux exercices militaires, élégant et lier sous l'uniforme. Pas d'officier plus brave, de plus hardi cavalier. Quoique sa physionomie fût douce plutôt qu'énergique et dominatrice, quoiqu'il y eût une sorte de langueur habituelle dans son regard où passait la rêverie, nul doute que les soldats ne l'eussent aimé pour ses allures franches, pour la loyauté de son langage, pour sa taille, petite comme celle de son oncle et pour l'éclair impérial que la passion du moment allumait dans son œil bleu[100]. — Je le vois, pour ma part, un peu différent.

Le prince s'est formé lui-même et presque de toutes pièces. Sur sa première nature, apathique, malgré certains sursauts, il en a élevé une autre, ou plutôt, il l'y a éveillée. Connue tous les jeunes gens de son temps, il n'a pas reçu la véritable éducation d'un homme, il a dû se l'imposer ; et pour avoir pu le faire d'une façon aussi suivie, il faut qu'il ait eu, quand même, sous son masque d'indolence, un grand fond de volonté. Une pareille nature n'est donc pas une. — D'autre part, aucune nécessité autre que celle de ses propres sentiments, de ses Fèves, si l'on veut, ne le pousse à étendre l'horizon de sa vie ; c'est un fils de famille habitué dès sou enfance au luxe et à ne manquer de rien ; sa mère est une femme du Inonde, dans l'acception la plus étendue du mot ; et elle gâte son enfant, elle le gâte sans le dresser ; ses conseils, souvent excellents. — nous l'avons constaté — sont dépourvus de ce qui ferait leur force : l'esprit de suite. L'intelligence de cet être s'éveille au milieu des contradictions de l'époque. Il n'y a plus de route tracée à l'avance, il y en a mille ; a une multitude de possibilités politiques parmi lesquelles lui aussi, revendique sa place — une place — répétons-le — que l'intérêt du moment n'exige pas. Tandis que pour son oncle chaque action était, en quelque sorte, une nécessité, elle est chez lui presque un luxe ; au lieu de répondre à un besoin vital, commandé par le concours des faits, elle est la suite du sentiment, le résultat d'une sorte de tristesse fortifiée par le spectacle des choses environnantes et la méditation dont il les enveloppe. Sous le Directoire, la France menace de mourir si le pouvoir ne change point ; sous le Consulat, elle risque de ne pas rester forte ; sous l'Empire, c'est un duel à mort entre elle et l'Europe ; il faut que l'une des deux tombe. Maintenant, la France peut vivre ; le régime ne lui plaît sans doute pas[101], mais il présente des garanties ; elle est prospère ; personne ne songe réellement à l'attaquer ; cependant elle souffre dans son instinct national ; les gloires impériales l'ont habituée à mieux ; il lui paraît, à tort ou à raison, qu'elle baisse ; comme tous ses fils à la mode, la France, blessée secrètement de mélancolie, veut du nouveau. Et Louis-Napoléon est l'expression de cette maladie. Comme le siècle, il hésite, mais, mieux que lui, il a su se préparer ; comme lui, il rêve d'agir, mais, mieux que lui, il sait le faire. An milieu de l'indécision générale, il apparaît même — quand on considère sa prodigieuse aventure — un calculateur émérite. Comment s'étonner qu'il tâtonne et discute ? Tous ceux qui avaient à conquérir le pouvoir l'ont fait. Comment s'étonner que cette oscillation intérieure soit peut-être plus apparente chez lui que chez d'autres quand on songe qu'il est seul, au début, de toute sa famille à croire en lui-même, puis à espérer en son pays ? Ce qui déroute, c'est sa froideur, c'est ce flegme parfait qui lui fut si nécessaire, — l'un des meilleurs éléments de sa force. Tout se passe en lui, en lui seul[102]. Il ne livre que le résultat de ses délibérations. Il se prête — même à Persigny qu'il aime alors tendrement — et ne se donne point. Il sait se ménager. Le rôle de Persigny est certes considérable dans l'affaire de Strasbourg, mais, pour être moins apparent, celui de Louis-Napoléon ne doit pas rester moindre ; en tout cas, il y fut ce qu'il devait, car, à trop se livrer, le prince se serait perdu à l'avance. On ne frappe profondément sa médaille sur l'esprit des hommes qu'à condition d'une certaine réserve ; il ne faut se laisser voir qu'à de rares intimes et il vaut encore mieux ne pas se laisser voir du tout. Persigny, au grand cœur modeste, était de ceux-là ; et justement sa fougue ne comprit pas toujours les atermoiements du prince qui n'hésitait que pour mieux arracher au destin les meilleures cartes, car cet audacieux ne fut timide que pour risquer moins la défaite. — Nous avons dit qu'il y avait deux hommes en Napoléon III, un officiel, l'autre secret ; il y en a deux aussi au point de vue physique, celui de la jeunesse — et celui qui, à partir de 1862, va baisser peu à peu, d'abord insensiblement. Louis-Napoléon, en effet, crut toujours qu'il serait empereur, et il le devint ; Napoléon III ne se jura point de le rester, et il perdit sa couronne.

Pour le moment, c'est essentiellement un conspirateur. Son mutisme, son calme, cette apathie qu'on lui a reprochés comme signes de mollesse, sont une attitude prudente — l'attitude naturelle à son état, nécessaire à son avenir. Ce jeune homme qu'on a connu aimable, charmant, quelquefois vif, s'est tu un jour à jamais parce qu'il a reconnu de bonne heure l'inutilité de tout élan en face de la puérilité humaine, stupéfiante, et que, pour se défendre d'elle, le mieux était encore le silence. Cependant, la jeunesse, même réfrénée, gardant ses droits, il persiste dans quelques illusions d'autant plus tenaces qu'il les garde jalousement et ne les laisse renaître qu'au moment jugé opportun. Une sorte de timidité née de tout cela et de la réflexion trop assidue où il se complaît le rend gauche aux regards superficiels ; ses amis seuls espèrent en lui et encore plus en son nom. Dans le monde de Bade, on rit de lui, on ne peut y croire — et, pourtant, on n'est pas très certain de ce doute même. Le prince Louis-Napoléon qui est ici et se promène les mains derrière le dos, écrit la baronne du Montet, ne renonce pas, je vous assure, à être empereur de la République[103].

 

 

 



[1] On connait la lithographie de Bellangé (1836) représentant un curé chez un paysan, et ce dernier qui lui montre, épinglé après la cheminée, un portrait de l'empereur. Tenez, voyez-vous, Monsieur le curé, dit la légende, pour moi, le voilà le Père Éternel !

[2] Béranger, disait Lamartine, allait valoir un peuple au bonapartisme.

[3] Louis-Philippe qui, dans sa jeunesse, avait traité l'empereur de tyran, ne manqua pas une occasion de se dire son admirateur. Le Moniteur du 9 avril 1834 annonçait pompeusement que le roi, la reine et leur famille avaient été visiter au diorama un tableau de M. Daguerre représentant Napoléon à Sainte-Hélène. La même année, an mois de mai, le roi faisait frapper à la Monnaie une collection de cent soixante-cinq médailles représentant les faits mémorables du règne napoléonien, c'est sur son ordre qu'on remettait la statue de l'empereur sur la colonne Vendôme. Cette statue était de Seurre et représentait l'empereur avec le petit chapeau et la grande redingote.

[4] Le mot est pris ici dans son mauvais sens, dans celui que lui donne la politique. Un passage d'Hippolyte Castille nous fera comprendre : Le mot de liberté, articulé alors par toutes les bouches, est une logomachie à l'usage des honnêtes gens et des traîtres ; c'est l'expression la plus souple, la plus mal définie de la langue française ; elle ferait rentrer les mots dans la plume de tel publiciste qui s'en sert, si ou le sommait d'en accepter les réelles conséquences. La liberté a servi de prétexte aux plus honteuses variations, elle tient quelquefois lieu de la restriction mentale du jésuite. Avec la liberté pour drapeau, un habile dialecticien vous expliquera comment il a été tour à tour orléaniste, républicain, socialiste et impérialiste. Ce mot, dont il est fait si malhonnête usage, ce mot, dans son acception la plus vague, fut le drapeau rouge dont les toréadors de l'opposition se servirent pour exciter la fureur du taureau populaire. H. Castille. Les hommes et les mœurs en France sous le règne de Louis-Philippe, 2e éd., Paris, Delahaye, 1856.

[5] Mémoires de Metternich. — Et pour tout ce qui précède : Crétineau-Joly, Histoire de Louis-Philippe ; — Alexandre Dumas, Histoire de Louis-Philippe, etc. ; — Thureau-Dangin, Histoire de la Monarchie de Juillet.

[6] L'obélisque installé place de la Concorde, là ou fonctionna l'échafaud révolutionnaire, — ou non loin de sou emplacement précis, — là où fut coupée la tête du roi bourbonien, est une consécration maçonnique. Ce que nous avançons ici peut étonner ; on en reconnaîtra la vérité dans peu de temps.

[7] Cette surexcitation de forces morales d'une nation ne pouvait se prolonger : l'habileté bourgeoise du nouveau roi ramena vite les esprits à leur ancien niveau : après les radieuses journées de clairvoyance et d'intuition de l'avenir, la nuit revint. D'Alton-Shée, Mes Mémoires, p. 60, t. I. Librairie internationale, 1869, 2 vol.

[8] Ce cri n'aurait pas été isolé, ou du moins se serait répété par la suite : Au milieu de notre embarras, les titis crièrent : Vire la République ! d'autres : Vive Napoléon II, et, chose curieuse à constater, pas une voix ne proféra le cri de Vive le duc d'Orléans ! D'Alton-Shée, Mes mémoires, t, I, p. 53. L'auteur dit encore : La Chambre des pairs n'était pas le seul point de Paris en proie à l'agitation presque chaque soir, il y avait émeute à la porte Saint-Denis, mais, au lieu des menaces de mort, ou n'entendait que clameurs confuses, cris de Vive la République ! Vire Napoléon II ! — Une réelle tentative bonapartiste aurait même été faite en faveur du duc de Reichstadt : Le commandant Dumoulin, celui-là même que nous avons vu exciter et entraîner le général Dubourg à se rendre à l'Hôtel de Ville, songeait, ainsi que quelques-uns de ses amis, à rétablir la dynastie napoléonienne. Voici le plan auquel ils s'arrêtèrent : Ou devait faire appel, dans les faubourgs, à tous les anciens militaires ; former des groupes qui se rendraient à l'Hôtel de Ville, portant l'aigle eu tête et criant : Vive Napoléon Il : et à l'Hôtel de Ville, on l'aurait proclamé empereur. Cite proclamation fut faite, dans laquelle on lisait, en tête : Gouvernement provisoire : elle était adressée aux Parisiens et commençait par ces mots : Napoléon II est l'héritier de votre gloire, il est votre empereur s. C'était là une réminiscence des Cent Jours... Si le parti bonapartiste eût été organisé en juillet 1830, s'il eût pu user des ressources que le nom de Napoléon pouvait lui fournir, il eût singulièrement entravé le parti orléaniste et peut-être même l’eût-il écarté en se fusionnant avec les républicains et en se ralliant à eux au moyen de la Constitution de 1815. F. Rittiez, Histoire du règne de Louis-Philippe, 3 vol., t. I. p. 26. — Lecou, 1833. — Le commandant Dumoulin était vêtu de l'uniforme oublié, inofficiel, de l'officier d'ordonnance de l'empereur. Mémorial de l'Hôtel de Ville, p. 771.

[9] Mémoires de M. Gisquet.

[10] Portées sur le sol de la France, dit-il encore, naguère elles auraient suffi pour renverser la dynastie que nous avait imposée l'étranger ; mais tout est changé parmi nous. Le droit divin et le droit de l'épée ont disparu devant les droits de la nation. L'urne électorale a brisé la sainte ampoule... Nous pouvons donc réclamer les restes de Napoléon... Que Paris, nouvelle Athènes, nouvelle Sicyone, reçoive la cendre d'un autre Thésée, d'un autre Aratus... Le morceau était amusant à citer pour montrer le côté déclamatoire de l'époque. La phrase sur l'urne électorale et la sainte ampoule est digne de Tribulat Bonhomel.

[11] Dors, nous t'irons chercher ! ce jour viendra peut-être,

Car nous t'avons pour Dieu sans t'avoir eu pour maitre.

[12] Dupout, 1836. L'auteur disait :

Ecoute-moi, désert d'Asie,

T'en souviens-tu, de ce lion,

Effroi des lions de Syrie,

Qui s'appelait Napoléon ?

Et encore :

J'ai couronné le peuple en France, en Allemagne.

Je l’ai fait gentilhomme autant que Charlemagne,

J'ai donné des aïeux à la foule sans nom.

[13] Le napoléonisme dramatique est à l'ordre du jour. Le nom cabalistique de Napoléon, rayonnant sur l’affiche, était comme un irrésistible talisman. Capefigue, L'Europe depuis l'avènement de Louis-Philippe. — Au Vaudeville, les spectateurs saluent de leurs applaudissements l'uniforme de la garde impériale ; au Cirque, on joue le Passage du mont Saint-Bernard, à la Porte Saint-Martin, Schœnbrunn, puis Sainte-Hélène ; à l'Odéon, l'amoureuse de la pièce vient chanter la romance du Saule de Sainte-Hélène ; l'Opéra-Comique donne Joséphine ou le retour de Wagram ; le théâtre Comte, un Napoléon pour les enfants avec des marionnettes ; aux Nouveautés, on chante :

De son habit, d'son chapeau, d'sa tournure,

De toutes parts on vient nous obséder ;

Ce n'est pas tout, pour combler la mesure,

Voilà son fils qui vient lui succéder.

A l'Ambigu, c'est encore Napoléon en paradis où un vieux soldat, très étonné qu'on fasse des difficultés pour admettre l'empereur au ciel, s'écrie :

Vous l’craignez encore aujourd'hui.

Vous vous rapp’lez, mes bons apôtres,

Qu’jadis il était maitre chez lui,

Et souvent chez les autres.

En le laissant libre en ce lieu,

On craindrait qu'un jour de goguette,

Le caporal dise au Bon Dieu :

Ote-toi delà que je m'y mette !

Aux Variétés, on voit Benjamin Constant aux Champs-Élysées, et Talma dit à Mme de Staël :

Vous seriez hors la loi commune,

Et vous n'auriez aucun travers

Si vous n’aviez gardé rancune

Au grand héros qu'admire l'univers.

Un acteur nommé Gobert, ressemblant étrangement à l'empereur, obtenait chaque soir un succès prodigieux ; la salle était transportée d'enthousiasme. Dans chaque théâtre, on cherchait quelle taille, quel nez, quel profil, quelle tournure, aidés par les secours de l'art, se rapprocheraient le plus ou s'éloigneraient le moins de l'historique physionomie. Il y avait un certain nombre de gestes et de poses : les mains derrière le dus, l'exercice de la lorgnette, celui de la prise de tabac, etc., qui, avec la redingote grise et le petit chapeau, étaient sensés produire un Napoléon d'une ressemblance parfaite et d'une illusion saisissante. C'est ainsi que chacun poussait, sans le vouloir, au triomphe de l'idée qui devait finir par rester maîtresse du tapis et des enjeux. Louis-Philippe croyait que ce tribut serait compté en sa faveur, qu'il prendrait par là sa part de popularité qui entourait ce grand nom, et que le flot mes sentiments napoléoniens n'irait pas plus loin. Théodore Muret, L'Histoire par le théâtre.

[14] Mémoires de M. Gisquet.

[15] Celui des deux concurrents qui avait abandonné l'enchère à 1.920 francs était le capitaine vicomte Clary, cousin de Louis-Napoléon. — A. Morel, Napoléon III.

[16] C'est également l'année où meurt Madame Mère. Six ou sept mois auparavant, le prince lui écrivait : Ma chère grand'maman... vous devez penser quelle douce impression je dois ressentir de la bénédiction de la mère de l'empereur, moi qui vénère l'empereur comme un dieu et qui porte le culte le plus sacré à sa mémoire. Giraudeau, ouv. déjà cité.

[17] Persigny, Relation de l'entreprise du prince Napoléon-Louis, Londres.

[18] Des Idées Napoléoniennes.

[19] A. Laity, Relation historique des événements du 30 octobre 1836, Thomas, 1838.

[20] Giraudeau, ouv. déjà cité.

[21] Giraudeau, ouv. déjà cité.

[22] Mémoires de Gisquet. Beaucoup de ceux qui avaient préparé la Révolution de Juillet ne s'attendaient pas à la voir aboutir ou plutôt dévier en la personne de Louis-Philippe. Celui-ci avait agi en sous-main, comme son père pendant la grande Révolution. L'événement une fois accompli, républicains et bonapartistes cherchèrent les moyens qui pouvaient les sauver. Les seconds se tournèrent vers le duc de Reichstadt et envoyèrent auprès de lui. La réponse du fils de l'empereur est très curieuse à noter. Qu'elle lui ait été soufflée ou non, qu'elle ait été inventée par celui qui la rapporta, elle montre déjà qu'une partie des bonapartistes avait su dégager ses meilleures chances d'avenir. Il ne peut y avoir de lutte, dit le duc de Reichstadt, entre ces deux partis (la doctrine de l'Empire et de la République) : car je les crois destinés à n'en former qu'un seul. J'ignore si l'on m'a proclamé comme en 1815, mais, dans tous les cas, je ne regarderais le choix des Parisiens que comme provisoire, et ne pouvant être sanctionné légalement que par la nation entière. C’est ainsi que mon père a occupé le trône, et je ne prétends pas y monter autrement. Je connais l'histoire de mon pays : le général en chef, le premier consul de la République est plus cher à mon souvenir que le souverain du grand empire. Mes études, mes réflexions m'ont identifié avec les principes républicains, et je crois que celui qui acceptera le trône de France doit se contenter d'être le premier citoyen de la grande nation. Voici d'ailleurs comment je comprends la manifestation du peuple français en ce qui me concerne :

On convoquerait des assemblées primaires délibérantes qui décideraient les points suivants :

1° La France veut-elle une république avec un président on l'empire avec des institutions républicaines ?

2° Dans ce dernier cas. Napoléon Il prendra-t-il le titre d'empereur des Français ou celui d'empereur de la république ?

3° Sera-t-il empereur à sic ou héréditaire ?

Ces points décidés, un congrès national, élu par les assemblées primaires, aurait à rédiger une constitution que la sanction du peuple, de nouveau convoqué, rendrait définitive. Pour ces opérations, tes votes individuels de tous les citoyens devraient être recueillis, et le pouvoir exécutif provisoire bornant son rôle à maintenir l'ordre, s'abstiendrait d'influencer les délibérations. Mon langage vous surprend, ajouta le prince ; la défense de la souveraineté populaire vous parait étrange dans la bouche du fils de Napoléon ; mais sachez qu'aucune de ses méditations à Sainte-Hélène n'a été perdue pour moi ; car il regrettait alors d'avoir été forcé d'établir dans les intérêts matériels de la France une dictature militaire, bien qu'elle ne fut que provisoire. J'aime la gloire, comme mon père ; mais ses malheurs m'ont servi d'expérience. Je sais qu'en 1815 il ait voulu à tout prix donner une alliance indissoluble avec les amis de la gloire nationale et les amis de la liberté. Ces deux classes d'hommes font la force du royaume, et leur union seule peut assurer au gouvernement une existence durable. On a voulu abuser le peuple sur mon caractère ; j'espère un jour le détromper : je n'oublierai jamais que je suis Français et je me flatte d'être toujours digne de ce beau titre. Le duc ajoutait : L'époque de me montrer n'est pas encore venue. Je saurai faire valoir mes droits en temps et lieu ; mais aujourd'hui je ne serais qu'un brandon de discorde, lorsque plus tard je peux devenir un gage de paix et d'union. Révélations d'une femme de qualité sue les années 1830 et 1831. Paris, Mame-Delaunay, 1831, t. II.

[23] Mémoires de Gisquet.

[24] Ces conjurations, oubliées aujourd'hui, étaient bien plus sérieuses qu'on ne pense. Il y aurait un livre très curieux à écrire sur elles.

[25] Les rapports avec la Suisse devaient s'envenimer aussi par suite de l'affaire Conseil. La Pensée immuable, comme on appelait le gouvernement personnel du roi Louis-Philippe, allait être critiquée de plus en plus dans les journaux de la petite république. L'affaire Conseil fut en somme ridicule et la France joua un rôle misérable.

[26] Persigny avait été envoyé en mission à Londres en 1836. Quand Louis-Napoléon le rappela, il n'avait point d'argent. Il en emprunta à un jeune Français rencontré dans son hôtel qu'on nommait de Falloux. Pénétré de reconnaissance, il lui raconte qu'il va rejoindre en Suisse le prince Louis-Napoléon auquel il est tout dévoué et qui l’appelle ; il l'engage à l'accompagner afin de constater que là est l'avenir de son pays. Falloux lui répond par la fidélité de ses sentiments légitimistes. Persigny lui dit : Vos yeux s'ouvriront. Le prince Napoléon régnera et vous ferez partie de son premier ministère. — Promettez-moi, répondit Falloux en éclatant de rire, que vous me donnerez mon portefeuille ?Eh bien, monsieur, je vous le promets. E. Ollivier. Louis-Napoléon et le Coup d'État, déj. cité, p. 48. — Cette promesse fut tenue et en entrant par la suite au ministère où le prince Napoléon, conseillé par Persigny, l'avait appelé, Falloux trouva sur son bureau un beau portefeuille ministériel sur lequel il y avait la carte de son ancien débiteur avec ces mots : Souvenir de Londres.

[27] Laity, ouv. déjà cité ; — Mauduit, Révolution militaire du décembre, Paris. 1852. — Insurrection de Strasbourg et procès des prévenus de complicité avec le prince Napoléon-Louis, etc., Paris, l'Observateur des tribunaux, 1837 ; — Gallix et Guy. — Renault, Histoire du prince Louis-Napoléon, Ruel, 1852, etc.

[28] Souvenirs de la baronne du Montel, ouv. déjà cité.

[29] Insurrection de Strasbourg, etc.

[30] Insurrection de Strasbourg, etc., ouv. déjà cité. — Strasbourg, d'après les documents authentiques, par Albert Fermé, Le Chevalier, 1869.

[31] Insurrection de Strasbourg, etc., ouv. déjà cité. — Strasbourg, d'après les documents authentiques, par Albert Fermé, Le Chevalier, 1869.

[32] Insurrection de Strasbourg, etc.

[33] Strasbourg, d'après, etc.

[34] Strasbourg, d'après, etc.

[35] Strasbourg, d'après, etc.

[36] Laity ne cessa pas de montrer au prince un dévouement admirable.

[37] Entré en 1802 à l'Ecole polytechnique, en 1804 à l'Ecole d'application, Vaudrey, à vingt ans, en 1806, lit les campagnes de Naples et de Calabre. En 1809, pendant la campagne d'Autriche, il est fait prisonnier, après avoir vu détruire presque tout entière la compagnie qu'il commandait. En 1810, à son retour de captivité, il est nommé capitaine ; eu 1813, il reçoit la croix. La même année, devant Cronen-Haissen, à la tête de quelques artilleurs et de quelques dragons qu'il arrête dans leur fuite, il s'élance sur l'ennemi et reprend deux pièces de canon qui venaient d'être enlevées à sa batterie. Blessé pendant cette action d'une balle à l'épaule et de trois coups de lance dans le côté, il est fait chef d'escadron. Mal remis de ses blessures, en 181t4, il reprend du service pour défendre l'Alsace, assiste à toutes les batailles, à l'extraordinaire campagne de France et enfin à Waterloo. A la révolution de Juillet, il signe une proclamation pour appeler à l'insurrection. En 1833, il est battu par huit voix aux élections de Semur par M. Vatout. Il passe trois ans dans la direction de l'artillerie à Bastia, ce qu'il regardait comme un exil, et n'est appelé qu'en 1834 au commandement du 4e d'artillerie. Persigny dira de lui dans sa brochure : ... Il est doué de tous les avantages extérieurs, mais ce qui frappe surtout en lui, c'est la réunion des qualités en apparence les plus opposées, un caractère trempé à l'antique et une douceur de femme dans la vie intime, la franchise d'un soldat et les manières distinguées de l'homme du monde.

[38] A. Fermé, Strasbourg, etc.. éd. déjà citée.

[39] Née le 6 septembre 1808. à Paris. Elle avait donc vingt-huit ans. Elève aux Conservatoires de Paris et de Milan, elle avait chanté à Venise et débuté à Paris en 1831. Ses premiers maîtres furent Pendard et Bauderali ; Rossini lui donna des leçons gratuites. Elle était fille d'un capitaine de la garde impériale, Brault avait quitté l'épée en 1814 pour la reprendre en 1815 et la briser définitivement quelques mois après. Il éleva sa fille dans un culte religieux de l'empereur. Elle devait entrer au théâtre des Italiens en 1831. Elle partit pour Londres où elle obtint un certain succès. Elle y épousa sir Gordon-Archer, commissaire des guerres à la légion franco-espagnole. Leur union fut cimentée sous de fâcheux hospices, car au mois de décembre 1831 elle reçut un coup de poignard dans la figure étant à se promener au parc Saint-James et faillit périr sous les coups d'un furieux qu'elle ne connaissait pas (l'Observateur des tribunaux). En 1834, elle excita un grand enthousiasme à Naples et dans un bal masqué aurait intrigué beaucoup le roi des Deux-Siciles en lui annonçant  la visite prochaine de la liberté dans son royaume. Elle alla ensuite à Rome et à Florence où elle se sépara de son mari qui mourut du typhus sous les murs de Vittoria. — C'était une femme assez singulière, très aimable mais très volontaire, une sorte de femme-homme. Ce sont les propres termes dont se servit pour nous parler d'elle un préfet de l'Empire qui la connut, Sellier, âgé aujourd'hui de quatre-vingt-douze ans. — Elle faisait des armes pour développer sa voix et s'y montrait de première force. M. Welbert, conseiller à la cour de Colmar, après lui avoir fait subir plusieurs interrogatoires, dira d'elle : Vingt femmes comme celle-là, par an, et j'en perdrais la tête. Insurrection de Strasbourg. — Son culte pour la mémoire de Napoléon, dira Louis Blanc, était volontairement aveugle, superstitieux, sans bornes... Mme Gordon avec le lieutenant Laity avait été l'âme de la conspiration. Révélations Historiques, t. II.

[40] Je l'ai toujours entendu dire.

[41] Louis Blanc dit dans ses Révélations : Quant au prince, elle paraissait le priser fort peu. Un jour que je lui demandais si elle l'aimait : Je l'aime politiquement. dit-elle. Et elle ajouta : A dire vrai, il me fait l'effet d'une femme. Il peut se faire que Mme Gordon ait préféré ne pas dire la vérité sur ses affaires personnelles ; il est possible aussi qu'elle ait été sincère. Dans ce cas, ce jugement, pour le moins étrange étant donné ce que l'on sait sur le tempérament du prince, viendrait de ce que Louis Napoléon ne s'occupait pas d'elle autant qu'elle relit souhaité, car il est probable qu'elle l'aima. Le prince était occupé ailleurs. Sa maîtresse était terne, parait-il, — ceci sous toutes réserves — une fille d'Hudson Lowe. Ce renseignement nous a été fourni par M. G. Bapst.

[42] Insurrection de Strasbourg, etc., ouv. déjà cité.

[43] La première entrevue de Louis Bonaparte et du colonel eut lieu vers la fin de mai 1836 à Offenbourg. A. Maurin, ouv. déjà cité, t. VI, p. 44.

[44] Le général Voirol la combla d'égards et de politesses et ce fut dans les salons de ce dernier qu'elle fit connaissance du colonel Vaudrey. Insurrection de Strasbourg.

[45] Strasbourg, etc., our. déjà cité, Procès, interrogatoire de Franqueville.

[46] Insurrection de Strasbourg, etc.

[47] Insurrection de Strasbourg, etc.

[48] Armand Laity, Relation historique, etc., ouv. déjà cité.

[49] Gazette des tribunaux du 3 novembre 1836.

[50] Procès, interrogatoire de Vaudrey.

[51] Revue de Paris, 15 nov. 1899, art. signé : A. Mathiez.

[52] Procès, interrogatoire de Vaudrey.

[53] Procès, interrogatoire de Vaudrey.

[54] Procès, interrogatoire de Vaudrey. Vaudrey déclare n'avoir pas vu Persigny, mais évidemment pour se défendre ; il déclare ne l'avoir pas connu encore, ce qui est également invraisemblable. Le président a donc, en somme, le droit de dire : L'accusation soutient que vous n'avez fait ce voyage que pour fixer le jour où le complot devait être exécuté.

[55] Ibid.

[56] Insurrection, etc.

[57] Procès : D. Cependant vous logiez dans le même hôtel que Persigny et Mme Gordon ; vous avez reçu une lettre dans laquelle on lui disait qu'elle était attendue, ainsi que son ami. — R. Je l'ignore.

[58] Voir note précédente.

[59] Le 28 octobre, dit Vaudrey dans son interrogatoire, j'ai repris le commandement de mon régiment.

[60] Procès. D. Le prince est arrivé le même jour que vous, et vous rayez vu le 29. — R. Oui, Monsieur.

[61] Procès, Insurrection, etc. ; Strasbourg, etc., ouv. déjà cité.

[62] Procès, Insurrection, etc. ; Strasbourg, etc., ouv. déjà cité.

[63] Procès, Insurrection, etc. ; Strasbourg, etc., ouv. déjà cité.

[64] Procès, Insurrection, etc. ; Strasbourg, etc., ouv. déjà cité.

[65] Procès. Il me dit qu'il avait pour lui plusieurs officiers supérieurs ; je crois même qu'il me parla du général Voirol.

[66] Même s'il n'était pas sùr de son concours, Louis-Napoléon le nomma ; le je crois de Vaudrey est une assurance en réalité ; malgré tout, il ne voulait pas accuser son supérieur. Etant donné son caractère, il est inadmissible qu'il ait au contraire voulu l'accuser sans raison.

[67] Dans son esprit, — et son attitude chez le général le prouve, — Voirol, indécis, laisserait faire puis, le mouvement ayant réussi, se joindrait à lui.

[68] La déposition de Voirol devant le tribunal fut embarrassée. Tout le monde le remarqua, surtout quand il y eut contradiction entre ses paroles et celles du préfet, M. Choppin d'Arnouville. Voirol. — J'allai voir M. le préfet à qui je dis qu'il fallait redoubler de surveillance ; que le prince avait des émissaires et qu'un officier avait même reçu des propositions. M. le préfet me dit qu'il avait une surveillance active auprès du prince, qu'il avait même un agent auprès de lui. — Me Thierriet : M. le préfet a dit qu'il n'avait aucune donnée exacte sur les menées du prince ; je voudrais entendre là-dessus M. le préfet. — M. Choppin d'Arnouville : Je crois qu'il y a eu une erreur dans la manière explicite dont s'est exprimé M. le général Voirol. Je ne crois pas qu'il m'ait dit que des propositions avaient été faites. Je lui ai dit que j'avais envoyé quelqu'un à Bade, mais pour une surveillance générale et non pour aller auprès du prince. — Voirol : M. le préfet m'a dit : Je suis parfaitement tranquille, j'ai un agent auprès du prince. — Me Barrot : Et M. le général n'a-t-il pas été tout à fait rassuré, d'après les paroles du préfet ? — Me Barrot : Cela suffit. (Mouvement). — Procès. — On peut au sujet du je ne crois pas de M. Choppin d'Arnouville faire la même observation que pour le je crois de Vaudrey. En plus, le préfet, devant avoir encore des rapports avec le général, redoutait de l'accuser et, sa responsabilité une fois mise à couvert tant bien que mal, cherchait à le ménager.

[69] Insurrection de Strasbourg, etc.

[70] Les résultats le prouvent, ainsi que la déposition du préfet citée précédemment. Voirol envoya au ministère le capitaine Raindre et il y a au dossier de l'affaire une lettre de Voirol au ministre. Elle est publiée dans le récit du procès. Quant à la façon dont Voirol prévint le préfet, elle est douteuse et vague. La déclaration du préfet au contraire est bien nette, il dit encore : Je n'ai aucune espèce de trace qu'il m'ait été dit que le prince eut des émissaires à Strasbourg ; je n'ai aucune trace qu'il m'ait été dit que des ouvertures eussent été faites à un officier. Insurrection de Strasbourg, etc.

[71] Insurrection de Strasbourg, etc.

[72] Insurrection de Strasbourg, etc.

[73] Insurrection de Strasbourg, etc.

[74] Insurrection de Strasbourg, etc.

[75] Insurrection de Strasbourg, etc.

[76] Laity, ouv. déjà cité.

[77] Une porte s'ouvre et tous les veux se dirigent sur un jeune homme de petite taille, et dont les traits ne rappellent que d'une manière éloignée le type impérial. Mais il y a dans toute sa personne, dans son regard atone et puissant â la fois par un don singulier de la nature, dans l'expression mélancolique de sa bouche, dans le fluide de son front, quelque chose qui commande l'attention même chez ceux qui lui refusent leur intérêt. On y lit une idée sottie, mais persistante et inexorable ; c'est une de ces figures fatidiques où s'est appesantie la main de l'oracle. A. Maurin, Histoire de la chute des Bourbons, t. VII, p. 46.

[78] Insurrection de Strasbourg, etc. — Laity, ouv. déjà cité.

[79] Insurrection de Strasbourg, etc. — Laity, ouv. déjà cité.

[80] Insurrection de Strasbourg, etc. — Laity, ouv. déjà cité.

[81] Insurrection de Strasbourg, etc.

[82] Insurrection de Strasbourg, etc.

[83] Insurrection de Strasbourg, etc.

[84] De Bruc est assez indéchiffrable et son attitude équivoque prête aux pires suppositions comme aux meilleures. C'est ainsi que l'Observateur des Tribunaux écrit : M. de Bruc a, dans le procès, une physionomie à part ; seul, il se retranche dans une négative absolue. L'accusation semble mal à l'aise avec lui parce qu'elle parait soupçonner beaucoup et pouvoir prouver peu. De Bruc, dit-elle, sans avoir pris part à l'attentat du 30 octobre, était initié au complot ; il était l'un des agents sur lesquels les conjurés avaient fait reposer le plus d'espérances. Il était d'ailleurs d'une prudence qui se montre rarement avec les habitudes de la vie militaire, et il voulait atteindre son but en évitant, autant qu'il était en son pouvoir, les chances que pouvait avoir à courir sa personne. De ces qualités spéciales et de toutes les démarches dans lesquelles le suit l'accusation, il résulterait que, des accusés présents, M. de Bruc serait le vrai conspirateur, le dépositaire principal des moyens du complot ; et, sous ces divers points de vue, sa contenance aux débats et la réserve continuelle de ses réponses méritent d'attirer l'attention. En 1814, alors lieutenant de hussards, de Bruc avait été condamné à être fusillé pour insubordination envers un maréchal de France. Il alla trouver l'empereur ai Troyes, lui avoua sa faute et fut gracié. Allez, Monsieur, lui dit Napoléon, je vous pardonne, mais n'y revenez pas.

[85] Revue de Paris. Mathiez, déjà cité.

[86] Revue de Paris. Insurrection de Strasbourg, etc.

[87] Revue de Paris. Insurrection de Strasbourg, etc.

[88] Revue de Paris. Dans sa déposition, le général dit : Si M. de Bruc m'eût parlé d'un complot je l'aurais fait arrêter ou plutôt je l'aurais traité comme un fou. Nous ne savons rien, en effet, sur la démarche de Bruc auprès d'Exelmans que par Exelmans même.

[89] Fut-ce de Bruc qui trahit ou, du moins, se déroba, ou bien Contréglise qui, au dernier moment, ne put se décider à venir ? Car Louis-Napoléon les attendit l'un et l'autre avant de gagner Strasbourg. Voir plus loin. — A défaut de Contréglise, de Bruc, en tout cas, amena quelqu'un avec lui à Fribourg. Voici le passage de son interrogatoire relatif à cet incident : Le président. Il y a beaucoup d'inexactitude dans vos dépositions et dans vos lettres ; vous annonciez à Persigny que vous aviez les bras cassés, vous dites aussi que vous étiez à Fribourg avec le général Contréglise, et le général n'était pas avec vous — De Bruc. C'est vrai, mais j'étais avec une autre personne que je ne veux pas nommer.

[90] Laity, éd. déjà citée Gallix et Guy, etc. Insurrection de Strasbourg, etc., éd. déjà citée.

[91] Le fait est prouvé par la lettre suivante, datée de l'Élysée le 27 décembre 1848 : Monsieur le ministre... Je vous prie également de m'envoyer les seize cartons que je vous ai demandés. Je veux les avoir demain jeudi. Ce sont les dossiers des Affaires de Strasbourg et de Boulogne. Je n'entends pas non plus que M. le ministre de l’Intérieur veuille rédiger les articles qui me sont personnels ; cela ne se faisait pas sous Louis-Philippe et cela ne doit pas être... Signé L. N. Bonaparte. — Collection A. L.). L’empereur ne dit pas, évidemment, qu'il veut détruire des pièces, mais il serait bien naturel qu'il l'ait fait, en admettant déjà que le gouvernement de Louis-Philippe les eût laissées toutes au dossier.

[92] Quelque temps après l'Affaire de Strasbourg, le colonel Tallandier commandant le 13e de ligne, causant avec le duc d'Orléans au camp de Fontainebleau, s'étonnait de la grande indulgence dont on avait usé avec les officiers ayant participé au complot ; le prince royal lui répondit : Il y aurait eu trop à punir. Jules Richard, Comment on a restauré l'Empire, Dentu, 1884.

[93] C'était l’avis du préfet de police Gisquet. — La péroraison de Me Barrot, qui défendait Vaudrey, est intéressante à ce sujet. Il est certain que l'avocat avait intérêt à charger le prince pour blanchir son client, mais, ce point excepté, le fond de ce qu'il avance demeure : C'est en vain que le colonel Vaudrey essaya de faire à son notée interlocuteur quelques objections que son expérience lui suggérait, le prince les repoussa toutes péremptoirement. Ses ressources, disait-il, étaient plus que suffisantes pour le succès de l’entreprise ; il nommait les régiments dans lesquels il avait des intelligences, les chefs dont le dévouement lui était acquis. Il avait tout prévu. Il avait prévu à tout.

[94] Laity, Persigny, ouv. déjà. cité. Insurrection de Strasbourg, etc.

[95] Histoire de Dix Ans, t. V.

[96] Persigny, Laity, ouv. déjà cité.

[97] De Bruc, en effet, étant donné son expérience des hommes et des choses, et ses côtés intéressés, n'entra dans l'affaire que parce qu'il comptait sur elle.

[98] Louis Blanc, Histoire de Dix Ans.

[99] Voir dans La confession d'un enfant du siècle, de Musset, le premier chapitre.

[100] Louis Blanc, Histoire de Dix Ans.

[101] Quel est celui qui lui plaira jamais !...

[102] Cette froideur apparente prouve elle aussi qu'il est bien de son temps. Du reste, le caractère dominant des hommes d'aujourd'hui, c'est cette réserve même, et celui-ci ne faisait que porter à l'extrême ce trait général. A présent, une apparence de froide politesse couvre à la fois caractère et actions... L'affectation est ridicule en France plus que partout ailleurs et c'est pour cela sans doute que, loin d'étaler sur ses traits et dans son langage l'excès de force que donnent les passions, chacun s'étudie à refermer en soi les émotions violentes, les chagrins profonds et les élans involontaires. Je ne pense point que la civilisation ait tout énervé, je crois qu'elle a tout masqué. J'avoue que c'est un bien et j'aime le caractère contenu de notre époque. Alfred de Vigny, Servitude et grandeur militaires, 2e édition, p. 141. — Lire aussi le Journal d'un Poète. — Ce fut justement tout le contraire à partir de 1860, et notre jactance, nos attitudes belliqueuses, nos affirmations de force, etc. nous conduisirent à 1870.

[103] Souvenirs de la baronne du Montel, éd. dép. citée.