Napoleonis Mater, portrait de Madame, dessiné par la princesse Charlotte. — Recommandation dernière pour les armes léguées par l'empereur à son fils. — Madame meurt, dans la soirée du 2 février, en pleine possession de ses facultés mentales. — Trois de ses enfants éloignés d'elle ne peuvent la revoir. — Réflexion sur sa mort. — Visite du peintre Jean Gigoux et de ses amis, trouvant la défunte étendue sur un catafalque. — Leur admiration de son beau visage à découvert. — Le convoi modeste de la Mère illustre et déjà oubliée. —Elle léguait son sœur à la ville d'Ajaccio. — Nouvelle de sa mort annoncée par les journaux étrangers. — Réflexions de publicistes français. — Lettres de condoléance à la famille Bonaparte. — Acte officiel de succession.Dès le premier de l'an 1836, nous recevions de Rome une image fort ressemblante de Madame Mère, telle que nous avions pu la voir, vers la fin de 1834. Ce portrait, dessiné d'après nature et lithographié par sa petite-fille, la princesse Charlotte Napoléon, est désigné aussi par elle sous le titre de Napoleonis Mater. Madame, parvenue au terme de sa longévité presque nonagénaire, avait bien voulu poser pour ce portrait. Essayons d'en retracer l'esquisse. Madame est figurée de trois quarts, assise dans un fauteuil sur lequel reposent les bras de chaque côté ; les mains, rapprochées l'une de l'autre, se touchent par les extrémités des doigts entrecroisés. Une coiffe de mousseline, avec garniture bouffante, couvre la tête, en dégageant la moitié du front et le bas de l'oreille droite. Les yeux ouverts n'ont pas l'aspect fixe de la cécité ; ils ont plutôt un regard perdu dans la méditation, le nez droit imprime aux traits du visage la rectitude physique de leur expression morale, la bouche finement tracée y ajoute le calme du silence, et le menton incliné accentue la fermeté du dessin. Une collerette de deuil entoure à moitié le cou et retombe sur la pèlerine unie d'une robe à taille courte, à ceinture large et à manches longues, bordées aussi aux poignets d'une garniture de deuil. Aussitôt après avoir reçu ce souvenir précieux de la princesse Charlotte Napoléon, j'eus l'honneur de lui adresser le 9 janvier mes remerciements et félicitations. Il ne me semble pas permis de reproduire cette lettre, au milieu des graves événements près de s'accomplir. Leur importance doit être respectée par nous, tout entière. La seule lettre qui puisse être dignement reproduite est la dernière dictée par Madame, aux approches de sa mort. C'est encore la question dominant toutes ses pensées, en ce monde, jusqu'à l'heure suprême de sa fin : le dépôt des armes de Napoléon léguées par lui à son fils. La lettre s'adresse au duc de Padoue[1] : Rome, 26 janvier 1836. Mon très cher duc, Il y a quelques mois, je priais mon frère de vous écrire sur la succession de mon petit-fils, le roi de Rome. Il dut vous prévenir qu'un des anciens secrétaires de Napoléon gardait en dépôt ses armes ; et surtout j'aurais désiré savoir ce qu'il était arrivé du dépôt qui était dans les mains du général Bertrand, après la mort du secrétaire. Je vous écris aujourd'hui pour vous prier instamment de me mettre à jour tout ce qui regarde ma succession, afin que je puisse prendre une décision et y mettre ordre, le plus tôt possible, et en disposer comme je croirai convenable. Ma santé est toujours dans le même état de souffrance ; raison encore qui me fait désirer savoir à quoi m'en tenir d'un héritage auquel je mets toute l'importance qu'il mérite pour ma famille. Veuillez croire à mes sentiments d'attachement. Pour Madame. Cette lettre, la dernière dictée par Madame, montre toute la force de sa volonté dans l'accomplissement définitif d'un devoir de cette importance. Le lendemain même de ce jour, c'était le 27 janvier, Madame ressentit un refroidissement brusque et fut atteinte d'un accès de fièvre dont s'alarmaient justement les personnes de son entourage. Les médecins, appelés en toute hâte par le cardinal, parvinrent à calmer les premiers effets du mal, avec une amélioration apparente. Conservant l'entière intégrité de sa raison, Madame demanda les sacrements, qui lui furent aussitôt administrés. L'énergie morale de sa vie entière ne l'abandonna pas un seul instant. Quatre jours lui restaient et elle les consacra aux apprêts de l'heure suprême. Il semblait que la mort n'eût pas de prise sur cette grande âme, aussi forte qu'était affaibli le corps désormais impuissant à la renfermer. L'auguste malade sembla s'endormir une fois de plus ; et c'était pour ne point se réveiller. Le refroidissement qu'elle avait ressenti semblait l'avoir glacée, en éteignant peu à peu le foyer de sa chaleur vitale. Les derniers jours de janvier disparaissaient sans que Madame Mère eût la consolation, à la veille de mourir, d'embrasser l'aîné de ses enfants. Joseph, comte de Survilliers, revenu d'Amérique, n'a pas obtenu l'autorisation de revoir sa mère mourante, pas plus que quelques années auparavant, lors du grave accident qui condamna Madame à l'immobilité la plus absolue. Son quatrième fils, Louis, comte de Saint-Leu, était hors d'état par sa santé de quitter Florence où il dépérissait. L'ex-reine Caroline, malgré son extrême désir de revoir sa mère, ne put en obtenir la permission, et dut s'y résigner avec douleur. Lucien plus favorisé, en venant à Rome pour vendre son domaine de Tusculum et se retirer à Canino, avait pu embrasser encore sa mère, qui l'avait tant aimé. Jérôme enfin, comte de Montfort, habitant la Toscane, s'était rendu auprès d'elle, pour alléger les souffrances dernières de cet exil de vingt années. S. A. I. Madame Mère est morte le 2 février 1836, vers sept heures du soir, à quatre-vingt-six ans, révolus — si on accepte la date officielle mais contestable de sa naissance —. Elle n'a pas succombé, comme on l'a dit, à une fièvre gastrique ; elle est morte sans aucune souffrance, après les avoir épuisées toutes, durant sa vie, comme elle avait épuisé tout ce qu'une mère a d'amour pour ses enfants et de larmes pour pleurer ceux qui l'avaient devancée dans la tombe. Elle est morte, après une longue résistance, avec le pressentiment, peut-être, qu'elle seule resterait sur la terre, pour porter dignement le grand deuil de sa famille. Elle est morte, regrettée, vénérée par tous ceux qui avaient pu la voir, l'entendre et l'admirer. Elle est morte soulagée de la vie, sans l'expression de la moindre douleur physique et dans cette sorte de béatitude morale réservée peut-être aux natures d'élite. Madame, dans ce moment suprême, avait auprès d'elle la plus dévouée compagne de ses années d'exil, mademoiselle Rosa Mellini. Le docteur Jean-Dominique Ramolino, son parent, et l'abbé Pietro Nunzi attendaient le cardinal, arrivé déjà précipitamment pour administrer à sa sœur les derniers secours de la religion. Vinrent ensuite le chevalier Colonna et quelques personnes de la famille, précédées par la princesse de Canino et par le roi Jérôme. Le célèbre statuaire danois Thorwaldsen, de passage à Rome, a moulé la figure de l'illustre défunte, en lui conservant sa beauté sénile, pour embaumer son corps. Le testament de S. A. Madame Mère, fait à Rome, le 22 septembre 1832 et consigné, le même jour, par acte notarié, a été ouvert le soir même de sa mort. Ainsi périssait à l'écart, et dans l'humilité de sa vie entière, celle dont le nom et les vertus méritaient d'être proclamés dans l'histoire. Elle a rendu le dernier soupir au pied du Capitole, et la cloche du mont sacré a sonné son agonie, sans l'annoncer avec éclat aux échos de la ville sainte. Il semblait que le Capitole seul pût mener dignement le deuil de cette mère illustre, emportant dans la tombe la douloureuse pensée de n'avoir pu dire adieu à la France, sa grande patrie, et à la Corse, son pays natal. Précédemment, la nouvelle fausse de cette mort avait été plusieurs fois accréditée, d'après le grand âge et les infirmités de l'auguste malade ; et lorsque la nouvelle vraie se répandit dans la ville, ce fut seulement après trois ou quatre jours, et presqu'à l'insu du peuple qui n'y croyait plus, comme si l'âme de Madame s'était séparée d'elle, en reléguant son corps parmi les statues antiques et son nom parmi les légendes napoléoniennes. Et d'ailleurs, quand cette mort est arrivée sur la terre d'exil, n'était-ce pas au temps d'une fête populaire, au milieu d'un spectacle profane et à travers une joie folle, n'était-ce pas à l'ouverture bruyante du carnaval ! et le carnaval, à Rome, est aussi observé que le carême. Le gouvernement de l'Italie, pour ne point porter ombrage à celui de la France, avait ordonné que la cérémonie mortuaire fût d'une extrême simplicité pour la défunte. On défendit à la famille Bonaparte de faire apposer sur la porte de l'église les armes impériales ; mais on ne put empêcher qu'elles fussent attachées au drap du cercueil et surmontées de l'aigle protégeant les lettres initiales L. R. B. (Letizia, Ramolino, Bonaparte), avec cette inscription : MATER NAPOLEONIS. Si elle fût morte à Rome, vingt-cinq à trente ans plus tôt, les voûtes de l'église Saint-Pierre auraient retenti du son des cloches annonçant, urbi et orbi, le décès de la mère du grand homme. La métropole de la chrétienté n'aurait pas eu assez de cantiques et de prières pour cette sainte femme, morte dans la simplicité de son origine et de sa vie entière. Elle s'était assez effacée, aux temps les plus prospères de la fortune impériale, pour ne s'en montrer jamais fière, aux temps les plus néfastes de sa longue existence et pour en supporter les peines avec une sublime résignation. Madame est morte, comme elle avait vécu, digne de tous les genres de vénération, suivant la parole et la pensée de son fils ; et si elle est morte séparée de quelques-uns de ses enfants, bannis de la France et de l'Italie, elle est morte aussi avec le vague espoir, avec la consolante pensée qu'un jour viendrait où l'arrêt d'exil de tous les siens serait révoqué par la volonté nationale et que la grande patrie leur ouvrirait ses barrières. Ici doit se placer le récit sommaire d'un voyage interrompu à Rome par le mort de Madame Mère. Le voyageur était l'habile peintre Jean Gigoux, auquel j'emprunte le fidèle souvenir qu'il a bien voulu rédiger, en signe d'amitié. Il venait d'entreprendre, au commencement de 1836, un nouveau voyage en Italie, commencé par Florence, où il avait été reçu, avec une gracieuse bienveillance, par la comtesse de Lipona, l'ex-reine Caroline. Vous partez demain (2 février) pour Rome, dit la reine Caroline à l'excellent artiste, qui venait de faire d'elle un beau portrait. Voici deux lettres : la première pour mon oncle, le cardinal Fesch, que vous irez voir d'abord et qui vous recevra bien. Il est amateur de peinture et possède une belle galerie ; son palais est rempli de tableaux que l'on dit remarquables. Cette galerie du reste est célèbre. Puis la reine ajouta : J'ai fait une seconde lettre pour ma mère, dont la santé m'inquiète beaucoup. Vous voudrez bien m'écrire, lorsque vous l'aurez vue... Une fois à Rome, continue
Gigoux, j'envoyai la lettre de la reine chez le
cardinal Fesch et, dès le lendemain (3
février), j'arrivai chez Son Éminence, dont
j'avais reçu un mot, m'indiquant l'heure de la matinée à laquelle je pourrais
me présenter. Je trouvai un petit homme... — on pourrait dire avec
Rossini : piccolo di statura, ma grande di
ingenio —. J'étais accompagné de trois
camarades qui s'écartèrent discrètement, pour me laisser seul devant le
cardinal, me disant d'un ton gracieux : Vous êtes peintre, monsieur Gigoux
! vous aimez les tableaux ! Parcourez tout le palais ; puis vous viendrez me
dire vos impressions ; cela me sera agréable. Avant de partir, j'allai
prendre congé de Son Éminence dont la physionomie paraissait satisfaite de
mon impression, etc. Je me hasardai à demander au cardinal si je pourrais faire part à la comtesse Lipona de l'accueil si bienveillant que j'avais eu l'honneur de recevoir de Son Éminence. Mais cette figure ouverte, ce gracieux sourire changèrent aussitôt. J'avais de la peine à reconnaître l'homme qui venait de me parler avec tant d'obligeance et de me faire mille questions sur Paris. — Après une assez longue pause, il me dit : Je n'ai pas reçu la lettre dont vous parlez, et il fit une seconde pause. — J'eus sur les lèvres de lui dire : La voilà, cette lettre ! — Elle se trouvait sur la table, à demi pliée sur une liasse de papiers et saisissait l'œil, comme la dernière arrivée. Mais le cardinal ne me laissa pas le temps de la réflexion et me conduisit, moi et mes camarades, jusqu'à la porte de son cabinet, absolument à la manière dont l'archevêque de Grenade reconduisit Gil Blas. Cette comparaison, assez juste devait s'offrir à l'esprit de l'artiste qui a si bien orné de ses dessins, une édition du charmant livre de Lesage[2]. Il raconta, le soir, à ses amis de l'Académie de France, son entrevue avec le cardinal Fesch, en parlant ensuite de Madame Mère, si vénérée à Rome, mais dont ses compagnons de visite, Decamps, Jadin et autres, ignoraient encore le décès. Le lendemain de cette visite au cardinal, disait la lettre (c'est-à-dire le 4 février), je repris le chemin de la place de Venise et arrivé devant le palais Rinuccini, je ne vis d'autre figure humaine que celle d'un factionnaire. Personne en haut de l'escalier, pour me conduire et m'annoncer ; personne, non plus, à l'entrée de l'appartement et pas davantage dans les premiers salons ; les portes restaient ouvertes à deux battants ; partout et toujours personne. Enfin, dans la troisième pièce qui était immense, je me trouvai en face d'une morte, exposée sur un lit de parade, en velours noir, lamé d'argent, avec un grand aigle aussi argenté, aux quatre coins. Je ne m'attendais à rien de pareil, car on ne disait encore rien, dans Rome, de cet événement. J'en fus bien surpris, il est
vrai ; mais la belle tête de l'illustre morte fixa tellement ma vue, qu'elle
ne me laissa pas un instant, pour me rendre compte de mes impressions. Je
n'avais jamais rêvé une physionomie aussi belle. — La mort n'y laissait
d'autre trace que son immobilité. Les traits étaient bien ceux de son fils,
avec quelque chose dont les plus admirables statues antiques peuvent donner
l'idée. En partant, j'aperçus, là, des religieuses immobiles, à genoux, car je ne les avais pas encore remarquées, enveloppées qu'elles étaient sans doute par la fumée des cierges. Je ne sais s'il n'y avait pas aussi quelques capucins dans les coins sombres de cette chambre mortuaire. Je reconnus seulement un jeune homme qui dessinait. J'allai lui serrer la main, car c'était un élève de l'École française de Rome. Il s'appelait Danary. L'exposition du corps de Madame sur ce lit mortuaire dura deux jours, le 3 et le 4 février, telle que la représente une esquisse du Salon de 1839, par Wiertz. Quant à la lettre que la reine Caroline m'avait donnée pour son auguste mère, je l'avais tirée de ma poche, en entrant dans le palais. Je ne sais ce qu'elle est devenue, tant j'étais troublé. Quatre jours après la mort de Madame, le peuple de Rome, non informé, s'empressait en foule vers l'église Saint-Pierre, qui venait d'ouvrir son vaste portique et de revêtir ses magnifiques insignes de cérémonie pontificale, à l'appel des cloches et des décharges d'artillerie. On célébrait l'intronisation d'un nouveau pape, on allait rendre foi et hommage au Saint-Père, tandis qu'un modeste char funèbre, suivi de quelques fidèles et par les pauvres, sortait en silence du palais Rinuccini, tendu de noir et traversait, au pas lent de la douleur, la place de Venise et le Corso, pour se rendre à l'église Saint-Louis-des-Français. Ce convoi était celui de l'humble princesse qui n'avait pas reçu le titre d'Impératrice Douairière, au temps de prospérité de l'empire, ni conservé son grand nom de Bonaparte, pour s'appeler, simplement, selon son cœur, Madame Mère. Un service funèbre eut lieu aussi à l'église voisine Santa-Maria-in-Via-Lata. Ne pouvant prétendre aux honneurs mortuaires d'une souveraine, Madame avait voulu des obsèques d'une extrême simplicité, en prescrivant de distribuer aux pauvres l'argent qui eût été destiné, en d'autres temps, à ses funérailles. On dut se conformer à sa volonté suprême. Le corps fut transféré, la nuit du 4 au 5 février, à Corneto, près de Civita-Vecchia et inhumé dans l'église des Dames de la Passion, jusqu'à l'époque de son exhumation et de sa translation en Corse. Quant au palais Rinuccini, il resta, longtemps encore, désert et vide, comme un vaste cénotaphe. Il fut occupé, depuis, par des membres de la famille et appelé désormais le palais Bonaparte. Par un codicille de son testament, Madame léguait son cœur à la ville d'Ajaccio, qui en témoigna sa reconnaissance, en décidant qu'un service funèbre serait célébré, peu de jours après, dans la cathédrale. Le clergé y déploya la pompe dont il put disposer. Les autorités civiles et militaires étaient présentes, au milieu de la foule, et dans le centre de l'église on avait dressé un catafalque surmonté d'une urne funéraire portant ces mots : A LA MÈRE DE NAPOLÉON Ses concitoyens en pleurs. Le cœur de Madame Mère ne pouvait être ni oublié ni refusé par les habitants d'Ajaccio. Ils regrettaient de ne pouvoir lui ériger un monument digne d'elle. L'urne resta vide, comme le cénotaphe, jusqu'à ce qu'un temps meilleur permît d'accomplir le vœu de l'auguste défunte, dévouée à la Corse pendant toute sa vie. Si Madame Mère était morte sous l'empire et sur le sol natal, l'île entière aurait célébré ses obsèques et retenti, ce jour-là, des cris et des lamentations de la douleur publique. Les Voceri[3] se seraient fait entendre, au delà des monts et des maquis, à travers les vallées, de ville en ville, de village en village, et jusque dans les moindres hameaux. Mais non, la nouvelle effacée de cette mort parvenait à peine à Ajaccio, à Rome et à Paris, sans crieurs publics, sans annonce officielle et sans aucun bruit. Elle s'est mêlée aux nouvelles courantes de la presse, on en parlait à peine le jour même, et on n'en parlait plus le lendemain. C'est qu'il était vingt-cinq ans trop tard, c'est qu'en France il n'y avait plus de regrets pour la mère oubliée ou méconnue de Napoléon, comme il n'y en avait plus pour le fils de l'empereur, pour cet enfant né en France et mort prince d'Autriche. C'est qu'avec la mère finissait la génération du passé, comme avec son petit-fils semblait finie la génération de l'avenir. Et cependant Madame, sans en parler jamais, entrevoyait de loin un second empire, dont elle semblait garder en silence le mystérieux pressentiment. Dans d'autres temps aussi, les journaux français et étrangers eussent rendu un hommage d'admiration publique à sa mémoire. L'une des feuilles allemandes les plus répandues à cette époque, la Gazette universelle d'Augsbourg, après avoir annoncé, le 11 février suivant, par une dépêche du 2, la nouvelle du décès de la jeune reine de Naples Marie-Christine, ajoutait simplement : Un autre décès qui a eu lieu, aujourd'hui, à une heure de la nuit, c'est celui de la mère de Napoléon, Madame Maria Letizia Bonaparte. Elle est morte d'un épuisement général. Un court aperçu de son origine, de sa vie et de ses infirmités se termine à peu près ainsi : Elle prenait peu de part aux affaires du monde et voyait peu d'intimes, etc. Depuis la chute de Napoléon, cette femme, dont les enfants avaient porté des couronnes, ne recevait que des messages de malheurs pour sa famille et méritait la compassion du monde entier. Un supplément au Journal d'Augsbourg, du 20 février, dit, d'après une dépêche de Rome, du 11 de ce mois : On n'a pas trouvé les grandes richesses que l'on supposait à la mère de Napoléon ; d'après une estimation approximative, toute sa fortune mobilière et immobilière consiste, y compris les diamants et l'argenterie, en un million de scudi (c'est-à-dire cinq millions et demi de francs). ... Le Messager d'Augsbourg du 22 février publie encore une lettre venant de Rome, sorte de résumé des derniers temps et des dernières épreuves de sa longue existence. Cette lettre n'est pas signée, mais pouvait l'être par le cardinal Fesch, connaissant bien l'état de fortune de sa sœur. On avait cru que Son Altesse laisserait, après sa mort, une fortune considérable, évaluée à plusieurs millions. Mais cette fortune entière n'a représenté, en définitive, que dix-sept cent mille francs, dont douze cent mille en argent, cinq cent mille en diamants et deux cent mille représentant la valeur du palais de Rome. Une appréciation moyenne plus vraisemblable portait la fortune jusqu'à trois millions, y compris l'ensemble des sommes confiées d'avance ou réservées par Madame à son frère le cardinal, pour en faire la répartition égale entre ses enfants survivants, à part une somme destinée, par la volonté de la testatrice, aux institutions de charité les plus pauvres. La somme totale de la fortune a enfin été évaluée à quatre-vingt mille livres de rentes et à cinq cent mille francs de bijoux, divisibles entre six héritiers directs : Joseph, Lucien, Louis, Jérôme, Caroline et Fesch. Les évaluations de toute la fortune laissée par Madame-Mère ont donc varié inévitablement, d'après les recherches puisées à des sources différentes. C'est encore la Gazette d'Augsbourg qui publie, le 25 février, un dernier article sur le Testament de Madame Letizia Bonaparte, en disant tout d'abord : Outre un grand nombre de legs à des personnes au service de la défunte, le testament contient l'ordre de payer au cardinal Fesch une somme de 7000 scudi pour les funérailles. Le même article commence et finit à peu près de même sur la richesse supposée de Madame Mère, en ajoutant ces mots : Le prince Jérôme de Montfort est arrivé ici (à Rome), de Florence et attend d'autres membres de la famille ; les affaires de la succession étant fort compliquées[4]. Il était digne de Madame Mère d'avoir exprimé le vœu d'être ensevelie dans sa terre natale de la Corse, comme son fils Napoléon avait espéré que ses cendres reposeraient, un jour, sur les bords de la Seine, au milieu du peuple français, qu'il avait tant aimé ! Quelques articles de journaux français reproduits ou complétés par d'autres, furent inspirés par les vertus de Madame Mère et par les traditions de toute sa vie. Il suffira d'extraire des passages de ces journaux, pour ne pas répéter des faits déjà connus. ... Aucune femme, dans l'histoire, ne semble avoir été comblée de plus de félicités par les caprices du sort et aucune, certes, n'a dû subir des épreuves plus rudes et boire, comme elle, le calice de la douleur jusqu'à la lie. On savait à peine, dans le public, qu'elle était plus malade qu'à l'ordinaire et aujourd'hui on ne voulait pas croire à sa mort, parce que le bruit en avait déjà couru plus d'une fois. Quant à ses derniers moments, on entendait dire qu'elle n'avait pas perdu connaissance et qu'elle s'était endormie paisiblement. Autre extrait : Madame Letizia Bonaparte vient de mourir à Rome. Cette nouvelle, donnée avec les cent nouvelles du jour, n'a excité que peu d'attention et puis on l'a oubliée, comme toute autre. Cependant la destinée de celle qui fut la mère de Napoléon mérite bien quelques regards de la part du poète et du prosateur. Pendant vingt années d'exil, aucun acte, qui ne cadrât point avec la grandeur de son fils, n'échappa jamais à cette mère. C'est qu'arrivée tard au faîte des grandeurs, après avoir vécu dans la rudesse d'une existence pauvre, Letizia avait conservé toute sa fermeté et sa fierté native. De cet œil italien, habitué au beau et que rien n'éblouit, elle avait vu monter son fils à la première place, comme chose due ; son génie même n'excitait pas son étonnement ; elle en sentait l'origine en elle-même ; car, quelque effacé qu'ait été en France le rôle de la mère de Napoléon, elle n'en fut pas moins une femme d'un esprit et d'un caractère supérieurs. Le grand homme l'a souvent dit et son jugement a été pleinement confirmé par le respect profond et général qui, à Rome, environna toujours Madame Bonaparte... Les auteurs d'un livre sur les Femmes militaires[5] ont rangé parmi elles Madame Mère, parce que l'héroïsme qu'elle a manifesté, au commencement de sa carrière, s'est conservé en elle, sous une autre forme, jusqu'à son dernier jour. Et si les circonstances l'eussent commandé, il n'est pas douteux qu'elle eût déployé le même esprit de patriotisme et la même intrépidité qu'elle avait montrés au moment de la lutte de l'indépendance de la Corse, alors qu'elle n'avait pas encore vingt ans et qu'elle allait donner à la France le héros qui fit trembler l'univers. Dans un autre ouvrage, on dit[6] : Là (à Rome), cette auguste proscrite, la noble femme environnée de l'estime et des respects de l'Europe, âgée de près d'un siècle, renfermée dans son culte pour la mémoire de son fils, isolée dans son veuvage maternel, porta jusqu'à sa mort, dans un douloureux exil, la peine d'avoir donné à la France un grand homme de plus ! Elle eut la douleur de survivre à Napoléon. L'auteur d'une courte histoire[7], racontée par une
grand'mère à ses petits-enfants, leur parle de la noble veuve de Charles
Bonaparte et de sa famille, en ajoutant : Madame
Letizia est morte en Italie, dans le pays des beaux-arts ; demandons à Dieu,
mes enfants, qu'il daigne envoyer, dans le coin de terre où elle repose, un
grand artiste qui s'inspire, en se souvenant, sur la tombe de l'Impératrice
mère ; alors, peut-être, il dédiera à la mémoire de cette héroïque et
bienheureuse femme, un mausolée colossal, tout parsemé de sceptres et de
couronnes, et abrité par un aigle immense aux ailes déployées. Ce sera là un
trône splendide, un dernier trône où viendront figurer, en bronze, en marbre
et en pierre, un empereur, des rois, des reines, des princesses ; et au pied
de ce trône, mes enfants, la France symbolique écrira sur le socle brisé de
la statue impériale : Ici gît la mère des Bonaparte. ... Peu d'existences, dit
Stendhal[8], ont été aussi pures d'hypocrisie, et selon moi, aussi
nobles que celle de Madame Letizia Buonaparte. Nous l'avons vue, dans sa
première jeunesse, braver de grands périls par dévouement pour son parti.
Plus tard, elle eut à résister à des épreuves plus fortes peut-être, en ce
qu'elle n'était pas soutenue par l'état d'excitation et d'enthousiasme
général qui accompagna la guerre civile. Il existe en Corse une loi terrible,
assez semblable au fameux hors la loi, de la Révolution française. Lorsque
cette sorte de clameur de haro est proclamée contre une famille, on incendie
ses biens, on coupe ses vignes et ses oliviers, on tue ses chèvres, on brûle
ses maisons ; la ruine est complète et sans remède, dans un pays pauvre, où
il n'existe aucun moyen de remonter à l'aisance. Trois fois, depuis son
retour dans l'île, comme général français, et sa révolte en faveur des
Anglais, Pascal Paoli menaça de cette redoutable loi Madame Buonaparte,
veuve, pauvre et sans soutien ; trois fois elle lui fit répondre qu'il
n'était au pouvoir d'aucun danger de lui faire abandonner le parti français.
Sa fortune fut détruite, des dangers personnels la forcèrent à se sauver à
Marseille, avec ses petits enfants. Elle croyait être accueillie en France
comme une martyre du patriotisme : elle fut méprisée parce qu'elle était
pauvre et que ses filles étaient obligées d'aller au marché. Rien ne put
troubler cette âme élevée, pas plus les mépris des Marseillais, en 1793, que
les honneurs si imprévus de la cour de son fils, sept ans plus tard. Parvenue au dernier terme de la
vieillesse, réfugiée chez des ennemis de son nom et de sa patrie, au milieu
de la joie que leur inspire la mort de son fils et de son petit-fils, elle
supporte ce malheur avec une dignité naturelle et facile, comme jadis les
menaces de Paoli. Jamais de plaintes, jamais elle ne tombe dans aucune des
misères de vanité, qui tarissent tout enthousiasme pour les princes et les
princesses, que, de nos jours, nous avons vus tomber du trône. Cette âme
ferme s'est interdit même de nommer ses ennemis et de parler de son fils. La mère de Napoléon fut une femme comparable aux héroïnes de Plutarque, aux Porcia, aux Cornélie, aux madame Roland. Ce caractère impassible, ferme et ardent, rappelle encore davantage les héroïnes italiennes du moyen âge, que je ne cite point, parce qu'elles sont inconnues en France[9]. Les réflexions d'un autre écrivain sur Madame complètent bien celles qui précèdent : Quand on songe, dit M. de Lescure, dans sa courte notice sur Marie Letizia Bonaparte[10], quand on songe que résistant à tant de secousses, à tant d'émotions, à tant de joies et à tant de douleurs, survivant à tant de morts, elle a assisté aux funérailles de l'empire, après avoir assisté à son apogée, et toujours calme et recueillie dans un deuil héroïque, elle n'est morte que le 2 février 1836, à plus de quatre-vingt-six ans, on est forcé de reconnaître, en s'inclinant, qu'on est là en face d'une de ces destinées extraordinaires, d'un de ces caractères non moins étonnants, qui, tout compte fait, méritent l'hommage du respect, de l'admiration et de la piété de l'histoire. Un livre d'une conception fort étrange intitulé : Napoléon
et la conquête du monde, parut, sans nom d'auteur, en 1836, l'année même
de la mort de Madame, comme si la mère trop oubliée du grand empereur,
lorsqu'elle vivait encore, ne pouvait plus, en mourant, survivre à la mémoire
de son fils et devait disparaître après lui. La pensée originale de cet
ouvrage offrant l'intérêt du roman le plus accidenté, transforme la destinée
de Napoléon et de sa famille, jusqu'aux plus invraisemblables conséquences. Ce livre si bizarre s'appela ensuite Napoléon apocryphe, dans une nouvelle édition publiée, en 1841, dès le lendemain du retour des cendres du captif de Sainte-Hélène à Paris et de ses pompeuses funérailles aux Invalides. Un chapitre entier a pour titre : Mort de la mère de Napoléon. C'est un hommage à sa mémoire : Madame Mère devenue, malgré elle,
impératrice et sacrée par le pape Pie VII, habitait le palais de l'Élysée,
dont elle avait fait un asile de repos et de vertu, au milieu du
retentissement des victoires et l'éclat des grandeurs de la France. Elle
accomplissait là toutes les vertus chrétiennes, par une charité immense,
infinie. Elle s'y était réservé une sorte de sanctuaire de famille où elle
n'était plus que mère, pour y recevoir des rois et des reines qui, là, comme
autrefois, dans l'humble maison d'Ajaccio, n'étaient plus que ses enfants. L'empereur donnait à tous l'exemple de la soumission filiale, en venant aussi voir sa mère et abaisser toute sa puissance devant elle. Il prenait conseil de ses judicieuses inspirations et acceptait tendrement ses familiarités maternelles. Madame se sentait trop heureuse pour prolonger longtemps son bonheur. Elle fit un jour une chute qui lui brisa la jambe et fut ensuite atteinte d'une maladie grave qui abrégea la durée de sa noble et sainte existence. Tous ses enfants, un empereur, des rois et des reines rassemblés autour d'elle, avec ses petits-enfants, princes et princesses, reçurent la bénédiction de celle dont la dernière pensée fut de remercier Dieu de tant de gloire pour la France, de tant de bonheur pour ses enfants, de tant de bonté pour elle. Puis elle cessa de vivre, sans symptômes d'agonie et sans signe de douleur, le 15 novembre 1819. Ainsi s'envolait au ciel l'âme de cette héroïne de toutes les vertus. Ses funérailles furent dignes de
Sa Majesté l'Impératrice mère. Un cortège immense se déployait depuis
l'Élysée jusqu'à Notre-Dame, entre les rangs de la garde impériale, formant
la haie d'honneur. Le char funèbre, d'une grande magnificence, était entouré
de quatre souverains à cheval, tenant les cordons du deuil. Les voitures des
évêques et des cardinaux précédaient celle du pape et le char funèbre, suivi
de l'empereur et des sept rois ses frères et beaux-frères, tous comme lui,
revêtus de manteaux de deuil, à pied et la tête découverte. Venaient ensuite, dans un ordre imposant, des souverains alliés à la France, les grands officiers de la couronne, les maréchaux de l'empire, les représentants des grands corps de l'État, les dignitaires de la Légion d'honneur et les fonctionnaires civils ou militaires, puis les voitures de cour et enfin une armée de cinquante mille hommes. Pendant ce long défilé du cortège funèbre, dont le canon des Invalides avait annoncé le départ de l'Elysée, comme le tocsin de Notre-Dame annonçait son arrivée à la cathédrale, la population en pleurs se découvrit silencieusement. L'inhumation du corps fut faite au milieu du chœur de la grande église, et la place en a été marquée par une statue colossale et assise de Madame Mère. Un autre monument digne de sa mémoire, de ses vertus et de ses bienfaits a été érigé sur les bords de la Seine, entre le Champ de Mars et les Invalides, presqu'en face l'immense palais du roi de Rome. Ainsi a été béatifiée Madame Mère, après sa mort, et glorifiée sa mémoire, par l'ingénieux auteur de Napoléon apocryphe. Il a fallu substituer les fictions de la fable aux vérités de l'histoire, afin d'attribuer une vie surnaturelle au fils de Charles Bonaparte et à son humble mère des funérailles d'une magnificence invraisemblable. Le plus grand des éloges à faire d'elle, c'est d'avoir ainsi vu tous ses enfants, sous l'égide du plus illustre d'entre eux, parvenir aux plus hautes destinées, sans qu'elle en eût jamais été éblouie et sans s'être prévalue d'avoir donné naissance à l'empereur des Français et à trois rois de l'Europe. Elle se plaisait simplement à parler d'eux, comme mère de famille, en se rappelant les événements de leur enfance, mais non comme impératrice mère, en se prévalant de leur pouvoir ou de leur fortune. Et ce beau caractère de simplicité, au milieu de tout l'éclat de l'empire, resta impassible et résigné à sa chute. Elle sut résister à toutes les douleurs, comme elle avait résisté à toutes les joies, en subissant toutes les souffrances de la vie, jusqu'à ce que sa mort, dans l'âge le plus avancé, appelât sa résurrection dans l'histoire. Il ne s'agit plus maintenant que de compléter les documents accessoires à la mort de Madame Mère. Parmi toutes les lettres de condoléance adressées au cardinal, figure le souvenir fidèle de la princesse Stéphanie[11]. La lettre, datée de Manheim (grand-duché de Bade) le 3 mars, commence ainsi : Monseigneur, J'aurais écrit à Votre Éminence dès le premier moment où il a été fait mention, dans les journaux, du malheureux événement qui vous a frappé ; mais je me refusais à la certitude de ce malheur et plus tard, j'ai été si malade, qu'il m'a été impossible d'écrire. Je crois n'avoir pas besoin de vous dire toute la part que je prends à la perte que vous avez faite. Accoutumée, dès ma première jeunesse, à aimer et à respecter Madame, les bontés qu'elle avait eues encore pour moi à Rome, n'avaient pu qu'ajouter à ce sentiment. C'était d'ailleurs une douce pensée que l'espoir de la revoir, quand je retournerais en Italie, et j'étais heureuse de pouvoir exprimer à Madame la reconnaissance que je porte à sa famille et en particulier à celui auquel je dois tout. STÉPHANIE. La princesse désignait ainsi l'empereur lui-même. Vient après, à la date du 9 avril, une série de lettres de Son Éminence sur la mort de Madame[12]. C'est d'abord une lettre de sentiment religieux au cardinal Isoard, à Auch. Un passage suffira : ... Oui, Madame a rendu son âme à Dieu, dans la plus grande tranquillité et vraiment dans la paix du Seigneur. Elle n'a pas perdu, un seul instant, sa présence d'esprit et je lui ai fermé les yeux, dans la ferme confiance que Dieu lui avait accordé ses miséricordes, au point qu'au même instant, j'ai pu m'occuper de ses affaires temporelles et de l'exécution de son testament... Le cardinal, répond, le 16 avril, à la grande-duchesse une lettre de ses regrets plus personnels. ... Accoutumé aux grands et malheureux événements et familiarisé aux souffrances de ma sœur, je lui ai fermé les yeux avec cette force de caractère que je puisais dans l'inaltérable tranquillité avec laquelle elle a vu arriver son heure suprême... Il écrit ensuite au duc de Padoue. Rome, 18 avril 1836. Monsieur le duc et cher parent, Je vous ai écrit avant-hier par la poste, et je profite du départ pour Paris de madame Bisson, pour vous donner encore aujourd'hui de mes nouvelles. Je crois devoir donner à cette dame une lettre de recommandation pour vous. Elle est, d'ailleurs, une femme d'esprit et elle connaît parfaitement tout ce qui se passe à Rome, sur les affaires de la succession de Madame, etc. Joseph, dans une lettre de Londres du 1er août 1836, à son frère Louis[13], s'attriste de leurs douleurs de famille et de la dernière perte qu'ils viennent de faire : Je lutte contre la mauvaise fortune et je n'en suis pas abattu. Notre oncle me fût resté ami ; sa sœur lui a laissé les portraits de famille, sous toutes les formes, sous toutes les reliures : le collier a été vendu par l'ordre de Madame ; elle a disposé du prix, elle l'a voulu et personne n'a rien à y voir. Le cardinal n'y est pour rien ; il n'a pas voulu risquer des funérailles dignes de la mère de Napoléon et de nous tous, par la raison que moi-même, en Amérique, je n'ai pas osé affronter les préventions toutes-puissantes de la Sainte-Alliance. Notre oncle m'a souvent entretenu du monument somptueux qu'il a l'intention de consacrer à sa sœur, mais où ? quand ? Ne lui faut-il pas l'assentiment de nous tous ? Je lui ai écrit qu'en sus de ce qu'il ferait, j'y contribuerais aussi pour ma part. Je ne doute pas que tu ne fasses comme moi, mais où ?... Le cardinal a pensé à Ajaccio, etc. Je suis fatigué, la tête me tourne, je t'embrasse de tout mon cœur, mon cher Louis. JOSEPH. Cette lettre douloureuse ne se trouve pas dans les Mémoires et correspondance du roi Joseph. Le comte de Survilliers au duc de Padoue[14]. Londres, 5 septembre 1836, Mon cher cousin, ... (Inutile de reproduire ce qui reste en dehors de Madame.) Nous avons à causer de quelques petits intérêts de famille, dont Madame vous avait chargé et qui ne vous occuperont pas beaucoup, je pense. Le plaisir de vous revoir, ainsi que votre famille, entre, au reste, dans les motifs de cette lettre, plus que les affaires d'intérêt... Suit, à distance, l'acte signé des quatre frères de l'empereur, de la reine Caroline et de la princesse Bacciochi, fille de la grande-duchesse Élisa : 13 décembre 1836. Nous soussignés, fondés de pouvoir des héritiers de feue Son Altesse Impériale Madame, mère de l'empereur, déclarons et reconnaissons, en leur nom, avoir reçu de M. le lieutenant général Arrighi, duc de Padoue, tous les objets et effets portés en la présente note, contenant huit pages paraphées, lesquels, selon les intentions des susdits héritiers, ont été partagés en six lots qui ont été formés, en notre présence, avec la plus stricte équité et ont été tirés au sort, toujours selon la volonté expresse desdits héritiers. Chacun de nous ayant rassemblé les objets et effets qui lui sont échus en partage, après les avoir resserrés et emportés, avec une note signée de tous les copartageants, pour les lots de chacun ; et nous nous sommes réunis, pour en donner décharge à M. le duc de Padoue, dernier dépositaire, déclarant ici être satisfaits du partage et des lots qui en sont résultés, et le tenant quitte et libéré dudit dépôt envers nos mandants respectifs. Le roi Louis au duc de Padoue[15]. Florence, 22 décembre 1836. Mon cher cousin, Je reçois votre lettre du 14 et j'y réponds à l'instant. Vous trouverez ci-jointe l'autorisation ou la confirmation pour ce qui me regarde du don qui vous a été fait par Madame, de ses médailles relatives à l'empire. Je suis charmé de trouver l'occasion de vous témoigner, quoique faiblement, les sentiments que je vous porte, etc. ... J'approuve le partage des effets de l'empereur et je vous prie de m'envoyer mon lot, de la manière que vous jugerez la plus convenable ; je vous remercie de la promesse que vous me faites de solliciter la remise des autres objets, etc. Ainsi paraissait terminée la grande affaire de succession qui avait préoccupé Madame Mère jusqu'à la dernière heure de sa longue existence. |
[1] Archives de la Bibliothèque nationale.
[2] Histoire de Gil Blas, par Lesage, dessins de Jean Gigoux, 1846.
[3] Voceri, chants populaires de Corse, par A. L. Fée, 1850.
[4] Extrait de la Gazette d'Augsbourg du 25 février 1836.
[5] Les Femmes militaires, par Tranchant et Ladimir, etc.
[6] Histoire de Napoléon, etc., par Chopin et Leynadier, 6 vol. 1851.
[7] Histoire de Napoléon, par Louis Lurine ; Paris, 1834.
[8] Vie de Napoléon, par de Stendhal, 1 vol., 1876.
[9] Dictionnaire des femmes célèbres, par Levati (de Milan), 1820.
[10] Les mères illustres, par M. de Lescure, 1 vol. in-8°, 1882.
[11] Registre de correspondance du cardinal.
[12] Registre de correspondance du cardinal.
[13] Archives de la Bibliothèque.
[14] Le général Arrighi, etc., par A. Du Casse, 1869, t. II, p. 326.
[15] Le général Arrighi, duc de Padoue, par A. Du Casse, 1869.