Lettres diverses de Madame, à l'occasion du nouvel an. — Extrait d'un article intitulé : Bonapartiana, d'après le Livre. — Lettre à Lucien lui rappelant la question des fouilles. — Lucien tenu à l'écart de la société romaine, à cause, disait-on, de son second mariage. — Publication d'un livre du Dr Héreau sur la maladie et la mort de Napoléon à Sainte-Hélène. — Réponse critique de Louis Bonaparte à Walter Scott sur son Histoire de Napoléon. — Pensées élevées de Madame Mère. — Sa vie à l'écart. — Elle rencontre deux officiers étrangers. — Sa visite au Colisée. — Mariage de Jérôme Paterson. — Lettre de Madame à sa belle-fille Julie. — Le pape Pie VIII, comme ses deux prédécesseurs, témoigne beaucoup d'égards à Madame Mère. — Testament de Madame instituant son petit-fils son héritier.L'année 1829, commence par des lettres de Madame à quelques-uns des siens. Les indications précises sur les destinataires font parfois défaut. Mais ce détail est sans importance, eu égard au simple motif des souvenirs de la famille. Il suffit de reproduire deux ou trois de ces lettres. Madame au prince Borghèse[1]. Rome, 5 janvier 1820. Monsieur et très cher beau-fils, Je suis très sensible aux vœux que vous faites pour moi, à l'occasion de la nouvelle année et je vous en remercie. Soyez persuadé aussi de la sincérité de ceux que je fais pour votre bonheur. Je vous verrais à Rome avec un bien grand plaisir ; mais il ne faut pas trop tarder ; vous savez qu'à mon âge, un plaisir différé est bien souvent perdu. En attendant, je dois vous faire des reproches : Vous savez que je vous suis très attachée et vous ne me donnez jamais de vos nouvelles. Cela n'est pas bien ; et j'espère qu'à l'avenir vous m'écrirez de temps en temps. Recevez la nouvelle assurance de mon sincère et inaltérable attachement, et croyez-moi toujours Votre très affectionnée mère, MADAME. A son petit-fils[2]. Rome, 5 janvier 1829. Mon cher petit-fils, J'ai lu avec un grand plaisir votre lettre de bonne année ; j'y ai trouvé les sentiments que je désirais voir en vous. Je vous remercie des vœux que vous faites pour moi et celui que vous formez de venir bientôt à Rome. C'est un de ceux dont l'accomplissement me serait le plus agréable ; puisse-t-il se réaliser le plus tôt possible. Alors, je vous dirai de vive voix, comme je l'écris ici, que votre bonne maman a pour vous le plus tendre attachement, n'en doutez point. Je vous embrasse et suis votre affectionnée bonne maman. Madame à M. le marquis de X[3]. Rome, 12 janvier 1829. Monsieur le marquis, Recevez mes remerciements pour les vœux que vous voulez bien faire pour moi, à l'occasion de la nouvelle année ; croyez à la sincérité des miens pour votre bonheur. Embrassez vos enfants pour moi et ne doutez jamais de l'attachement et de la haute estime que je vous ai voués. Votre bien affectionnée, MADAME. Le Livre, recueil édité avec luxe, a publié sous le titre de Bonapartiana, un article contenant quelques lettres intéressantes de la famille Bonaparte[4]. Voici en quels termes l'auteur de cet article, le docteur Guido Biagi, de Florence, annonce un simple billet de Madame, datant de 1829 : ... Que d'années écoulées entre cette dernière date 1668, et celle de la lettre qui commence la deuxième série de nos autographes ! C'est en 1829. L'homme fatal (l'homme du destin) qui avait ébranlé le monde a disparu comme un météore. De sa gloire et de son empire il ne reste que des ruines. Letizia, cette Niobé Corse, — comme l'appelle notre grand poète Carducci, — avait perdu son fils aux yeux d'aigle, mort loin d'elle, et les princesses, brillantes comme l'aurore, et les petits-fils pleins d'espérance. Le jour était venu où elle allait être obligée de donner, sur ses économies de mère de famille, du pain à tous ces rois. Nous la trouvons à Rome âgée de soixante-dix-neuf ans, entourée du respect de toute l'Europe, portant avec dignité, avec une force admirable le poids des incommodités de la vieillesse et de ses immenses douleurs. Le billet qui suit, dicté à une personne amie, n'a d'autographe que la signature ; mais c'est d'une main ferme que Letizia signa en grosses lettres ; Madame. Comme on le voit, elle n'avait pas abdiqué son titre de pouvoir ! Madame à Lucien[5]. Rome, 13 avril 1829. Mon cher fils, Je vous ai écrit dernièrement et j'ai remis ma lettre à Palagi, pour qu'elle vous parvint plus sûrement. C'est donc avec surprise que j'apprends que vous n'avez pas eu de nouvelles directes, depuis longtemps. Je remets encore cette lettre à Palagi, espérant qu'elle sera plus heureuse que l'autre. J'aime à croire que vous n'aurez pas pris en mauvaise part les conseils que je vous ai donnés, relativement à vos fouilles. Vous devez être bien convaincu qu'ils ne m'ont été dictés que par l'attachement que je vous porte. Après vous avoir dit ma manière de voir et ce que je pense être le plus prudent, il est tout naturel que, connaissant vous-même, mieux que tout autre, votre position, vous agissiez en conséquence. Je crois devoir vous prévenir que vous aurez bientôt une visite de dix à douze Anglaises. Si cela était, on donnerait beau jeu à nos ennemis. Je ne vous en dis pas davantage ; vous me comprendrez sans cela. Ma santé n'est pas très bonne, comme a dû vous l'écrire Alexandrine. J'ai vu avec plaisir que vous étiez satisfait de la vôtre. Votre bien affectionnée mère, MADAME. Cette lettre de la mère au fils lui montre quelque froideur, soit eu égard à sa précédente missive sur les fouilles de Canino, soit en signe de regret du second mariage de Lucien avec madame J... C'était, à ses yeux, une mésalliance, en quelque sorte relative, entraînant à la fois le blâme de toute la famille et celui de l'opinion publique. Madame s'en montra si froissée, qu'elle défendit sa porte, pendant quelque temps, à ce fils tant aimé, tant soutenu par elle, autrefois. Lucien refusait de divorcer pour épouser une princesse étrangère, déjà mariée, il fût disgracié par l'empereur, obligé de se retirer en Italie, où Madame Mère s'empressa de le rejoindre. Les temps étaient changés. L'année 1829 vit paraître un livre du docteur J. Héreau, exposant son opinion médicale sur la maladie de Napoléon à Sainte-Hélène et sur la cause de sa mort[6]. L'auteur, ancien chirurgien ordinaire de Madame Mère, en publiant cet ouvrager d'après des documents authentiques, a voulu, avant tout, connaître la vérité. Il l'a reconnue et démontrée à cette mère, survivante au martyre de son fils, avec toutes les inquiétudes d'un mal héréditaire ou transmissible, soit à ses autres enfants, soit à ses petits-fils. On croyait généralement et le bruit s'en était répandu partout, que Napoléon avait succombé à un cancer de l'estomac. On avait ajouté, sans plus de certitude, que le père de Napoléon, Charles Bonaparte, était mort, encore jeune, de la même maladie. Or, le docteur Héreau reprenait l'examen attentif des faits pathologiques : 1° d'après l'observation suivie d'O'Meara et d'après sa consultation écrite, aussi formelle que concluante ; 2° d'après l'opinion semblable des autres médecins anglais, appelés à voir provisoirement l'auguste malade ; 3° d'après l'étude clinique la plus suivie et, en dernier lieu, d'après l'autopsie, faite avec soin dans ses moindres détails, par Antommarchi, anatomiste des plus habiles. Le docteur Héreau s'est trouvé pleinement autorisé à conclure que Napoléon avait succombé à une maladie essentielle et primitive du foie, ou hépatite endémique à Sainte-Hélène et compliquée de lésions secondaires, notamment d'une ulcération non cancéreuse de l'estomac. Le docteur Héreau ajoute : Il est de notoriété, dans la famille de l'empereur et parmi ceux qui ont connu son père, qu'ils n'avaient entre eux aucun trait de ressemblance, tandis qu'on sait assez qu'il est rare de rencontrer un homme ayant autant de traits extérieurs de sa mère, et de participer davantage aux grandes et excellentes qualités morales dont elle s'est montrée douée. Madame avait atteint sa quatre-vingtième année. Or, malgré les inquiétudes et les douleurs qui ont si souvent et si cruellement troublé le cours de cette longue existence, elle jouissait encore d'une santé parfaite et de l'intégrité de toutes ses facultés intellectuelles. Un autre livre allait satisfaire plus encore Madame Mère : combien, dans sa profonde affliction, Madame fût-elle empressée de se faire lire la Réponse de son fils Louis à Sir Walter Scott, sur son Histoire de Napoléon. L'ouvrage de Sir Walter Scott, dit l'auteur de la réfutation[7], est évidemment une attaque contre la France et contre Napoléon. Ce vaste libelle a dû trouver et a trouvé des lecteurs, à cause du nom de ce célèbre romancier. Il contient des inexactitudes, des faussetés, de cruelles ironies et même des calomnies d'autant plus révoltantes, qu'elles concernent un ennemi mort depuis sept ans, qui ne saurait inspirer ni crainte ni haine dans toute âme généreuse, etc. Ainsi est formulée la conclusion de cette réponse de Louis Bonaparte, de ce frère excellent du grand homme, offrant à leur vénérée mère la plus légitime critique d'un roman de l'histoire. Madame parlait peu des jours prospères de l'empire, mais elle ne prononçait qu'avec déférence le nom de l'empereur, en disant que son génie était l'œuvre de la providence et non de l'humanité. Cette pensée-là était loin de ses articles de foi, quoique la loyauté de son caractère, la justesse de son esprit et ses droits maternels lui eussent permis de désapprouver quelques-uns des actes publics de la vie de Napoléon. Mon fils, disait-elle, a été renversé, il a péri misérablement loin de moi ; mes autres enfants sont proscrits ; je les vois mourir, les uns après les autres ; ceux mêmes de mes petits-enfants qui promettent le plus d'avenir, semblent tous destinés à disparaître. Je suis vieille, délaissée, sans éclat, sans honneur ! Eh bien ! je ne changerais pas mon existence contre celle de la première reine du monde ! Blâmant l'éclat dont les rois déchus tendent à s'entourer, elle disait : Il faut vivre selon sa position ; quand on n'est plus roi, il est ridicule de chercher à l'être ; il suffit d'être homme de mérite. Les bagues ornent les doigts ; mais elles viennent à tomber et les doigts restent toujours. Comment ne pas admirer la haute raison qui inspirait de si justes pensées, en les unissant à la foi religieuse la plus sincère ? Lorsque Madame pouvait marcher, elle allait entendre la messe, tantôt à Sainte-Marie-du-Portique, tantôt à Saint-Laurent. L'église Saint-Louis-des-Français, par son nom seul, lui aurait convenu, plus que tout autre, si cette église n'avait été placée dans un quartier obscur et d'un accès difficile. La Trinité-du-Mont, bien située, l'attirait davantage, mais afin d'y parvenir, il fallait monter l'escalier de la place d'Espagne. C'était là, pour Madame, une fatigue à éviter. Elle faisait, chaque jour, une promenade mesurée sur ses forces, et limitait à un très petit nombre les personnes qu'elle pouvait recevoir. Elle paraissait garder, dans l'isolement de son exil, l'habitude de se tenir à l'écart, ou de s'effacer, selon sa ligne de conduite, pendant toute la durée du consulat de l'empire. Son accueil simple, bienveillant, mais toujours digne, inspirait la confiance, la sympathie et le respect. Passant le reste de sa vie dans la coutume si ancienne de faire le bien, elle savait presque à son insu se faire honorer de la foule qui ne l'approchait pas, comme elle savait se faire aimer de l'entourage de son intimité. La considération qui s'attachait au nom seul de Madame était un sentiment général dans Rome. Sa voiture, longeant un jour le Corso, y trouve la foule, en obligeant le cocher à ralentir le pas et à s'arrêter. Deux officiers autrichiens, en uniforme, reconnaissant sur les panneaux de cette voiture les armoiries impériales, s'en rapprochent, pour regarder dans l'intérieur. Madame s'en aperçoit, baisse aussitôt la glace et leur dit simplement : Que voulez-vous, messieurs, à la mère de l'empereur Napoléon ? Les deux officiers restèrent interdits, dans l'attitude la plus respectueuse du salut militaire. Madame cherchait de préférence à se recueillir au milieu des ruines ou dans la solitude des monuments de l'antiquité. Elle exhumait là ses grands souvenirs de deuil et de gloire ; elle croyait assister à l'agonie lente de son fils à Sainte-Hélène, comme elle avait assisté à l'éclatant triomphe de son retour de la campagne d'Italie. On eût dit qu'elle croyait entendre le Dies iræ de l'abdication, comme elle avait entendu le Te Deum du couronnement. C'était dans la solitude du Colisée que Madame paraissait le plus ressentir ses douleurs de mère, comme si revêtue d'une forme humaine et habillée de deuil, Rome personnifiée était venue au milieu des ruines pleurer la mort de ses martyrs. Le Colisée, ce gigantesque vestige de l'amphithéâtre de Flaminius, est resté le monument le plus vaste de la Rome antique, avec ses trois étages de pierres, avec ses arcades, colonnes en relief, et portiques multiples d'architecture variée, d'ordres dorique, ionique et corinthien, dont les débris sont l'œuvre de la destruction par la main de l'homme, autant que par l'empreinte du temps. C'était là que Madame venait se recueillir et prier. ... Ce qui me frappe avant tout, dit-il[8], c'est cette pensée : voilà le Forum ! J'étais comme cloué sur place, assailli par mes souvenirs, réfléchissant aux glorieuses destinées qui avaient présidé à l'érection de tant de splendeurs, lorsque je fus brusquement tiré de ma rêverie par le geste et la voix de mon cicérone me criant aux oreilles : — Signor, ecco la madre di Napoleone. C'était Letizia, dont la majestueuse infortune s'alliait merveilleusement aux antiques débris d'alentour. La vénérable exilée, en deuil du prisonnier de Sainte-Hélène, était accompagnée d'une dame et suivie d'un domestique : sa voiture l'attendait à l'une des entrées du Colisée. Je fis signe à mon cicérone de m'y introduire par une autre, afin de ne pas sembler marcher trop près de l'impératrice ; mais plus je cherchais à me tenir à distance de cette auguste créatrice d'une grandeur qui domina le monde, plus l'obstiné cicérone affectait de m'attirer du côté de Letizia et d'élever la voix, en me parlant français, de manière à se faire entendre de l'illustre visiteur. Il savait, comme tout le monde à Rome, que la mère de l'empereur ne laissait jamais échapper l'occasion de s'entretenir avec les Français, chaque fois que le hasard la lui présentait. Les indiscrètes exclamations du cicérone ne tardèrent pas à provoquer l'attention de Letizia, au point de lui faire ralentir sa marche, comme pour nous engager à nous rapprocher d'elle. Dans ce moment, mes regards s'étant rencontrés avec les siens, je ne pus m'empêcher de faire quelques pas dans sa direction. Je me trouvai bientôt assez rapproché de l'impératrice pour me voir dans l'obligation de me découvrir. Alors Letizia vint droit à moi et me demanda si j'étais Français. Après que j'eus satisfait à sa question, elle me dit de la manière la plus affable que c'était toujours un nouveau plaisir pour elle de rencontrer un Français et qu'il fallait être éloigné de la France pour apprécier ce noble et généreux pays ; que les malheurs qu'y avait éprouvés sa famille, ne la rendaient jamais injuste envers ses compatriotes. — Je l'écoutais si religieusement qu'il ne me vint pas même à l'idée de répondre quelques mots respectueux à la marque de bienveillance qu'elle daignait me donner ; mais elle comprit bien, que je n'en étais pas moins pénétré du plus profond respect pour sa personne et sa haute infortune. Elle me demanda si c'était la première fois que je visitais le Colisée ; je lui répondis que je n'avais jamais traversé Rome qu'à la hâte et malade, et que je n'y étais que depuis deux heures. — C'est ne pas perdre de temps, fit-elle, en souriant avec bonté ; il est vrai qu'il y a beaucoup à voir, et quand on a tout vu, il reste encore beaucoup à voir. Ensuite elle me demanda si j'habitais Paris, et comme je répondis que imitais de Lyon, elle ajouta : Bonne ville, à qui l'empereur a toujours porté le plus vif intérêt. Encouragé par cette marque indirecte de bienveillance, je surmontai ma timidité, pour apprendre à la vénérable exilée que j'avais été témoin de l'accueil enthousiaste que le prisonnier de l'île d'Elbe avait reçu de mes concitoyens, au retour de sa captivité. — Hélas ! fit Letizia, ce fut un grand événement dont les suites ont été bien funestes pour lui et pour la France. Ainsi, reprit-elle, vous avez vu l'empereur à Lyon, à son retour de l'île d'Elbe ? — Je répondis que je l'avais vu de très près ; et je lui racontai la petite escapade dont je m'étais rendu coupable à l'occasion d'une revue, et la généreuse intervention de son fils en ma faveur. L'empereur avait raison, fit Letizia, en s'adressant à la personne qui l'accompagnait et qui nous écoutait, c'était au dragon à mieux observer sa consigne. Là-dessus elle s'éloigna, en me souhaitant beaucoup de plaisir. L'auguste exilée ne se doutait pas que le jeune et timide Français à qui elle venait d'adresser quelques mots de bienveillance était allié à l'un de ses enfants ; et ce Français était bien loin de s'en douter lui-même... Après que Letizia fut partie, mon cicérone s'approcha de moi d'un air triomphant, en me faisant comprendre que c'était à lui que je devais l'honneur d'avoir parlé à la mère de l'empereur, et la façon assez large avec laquelle je reconnus ce service, en rentrant, à l'hôtel, dut lui prouver que je n'avais pas été peu sensible à cet honneur. Le fils de Jérôme, né Paterson, assez apprécié par Madame pour qu'elle le jugeât digne d'épouser la princesse Charlotte, n'avait pu cependant lui convenir. Il s'était marié, le 3 novembre, à une riche Américaine, miss May Williams. Les membres de la famille Bonaparte en adressèrent leurs félicitations à l'ex-roi Jérôme et Madame ne fut pas la dernière à en exprimer son contentement, partagé par le père de Charlotte. Une lettre de Madame Mère à la reine Julie, en date du 20 novembre, avait été conservée, autrefois, avec une autre d'elle, dans le cadre des autographes de la famille, à la Malmaison. M. de Lescure analyse ladite lettre dans un livre bien fait sur la résidence de Joséphine[9], en indiquant sa forme relative à des questions familiales. Il fait ressortir seulement la noble fierté de ce simple mot pour signature : Madame, nom, ajoute-t-il, qui rappelle tant de grandeurs évanouies, tant d'épreuves traversées et atteste la robuste vieillesse de cette mère cornélienne, survivant, malgré elle, à son sublime fils, etc. Suit la lettre mentionnée : Madame Mère à la reine Julie[10]. Rome, 20 novembre 1829. Ma chère fille, J'ai reçu votre lettre et celle de Joseph. Jérôme m'a envoyé celle de son fils. Joseph entre dans beaucoup de détails, au sujet du mariage du jeune Jérôme. Je lui écris que je suis bien fâchée de ne pouvoir rien faire. Vous trouverez ci-jointe cette lettre pour Joseph, que je vous prie de lui faire parvenir. J'ai été peinée de savoir que vos yeux vous faisaient encore souffrir. J'espère que le beau temps vous sera favorable et contribuera à votre guérison. J'ai souffert de maux de dents, mais je vais mieux maintenant. Le cardinal me charge de vous faire ses compliments. Sa santé est un peu meilleure. Je vous prie de faire mes amitiés à Louis, aux enfants et à madame et à mademoiselle de Villeneuve. Hortense, qui est arrivée en bonne santé, m'a donné sur vous tous des détails qui m'ont fait bien du plaisir. Votre bien affectionnée mère, MADAME. Le cardinal Castiglioni, après avoir assisté aux derniers moments des papes Pie VII et Léon XII, se montra comme eux, plein de bonté pour l'ex-impératrice mère, lorsqu'il fut élu, par le conclave, souverain pontife, sous le nom de Pie VIII. Il s'inspira des égards témoignés, surtout par Pie VII, à celle qui donna le jour au grand empereur. Il oublia, comme le vénéré Pie VII, les actes violents de la puissance de Napoléon, pour ne se rappeler que l'acte suprême du concordat. On sait, depuis cette époque, que l'abus de pouvoir reproché au gouvernement impérial, à l'égard du Saint-Père, transporté, malgré lui en France et retenu à Fontainebleau, aurait eu un motif non moins grave. Ce n'était pas seulement le refus du pape de renoncer au pouvoir temporel, c'était une bulle d'excommunication, prête à être lancée par lui contre l'empereur, si cet abus de pouvoir du chef de l'Eglise n'avait provoqué l'abus de pouvoir du chef de l'État. Pendant l'hiver de 1829 à 1830, une ancienne dame de compagnie de Madame Mère, la marquise de Sainte-Croix[11], l'avait retrouvée à Rome et lui rendait visite, presque tous les soirs, avant d'aller dans le monde. Elle tâchait de distraire la vénérable recluse, en lui donnant des nouvelles de Paris ; ou bien elle lui faisait quelque lecture et savait jouer au reversi, le jeu de cartes préféré par Madame, dans les temps plus heureux. Madame, par un testament fait, dans le courant de la même année 1829, instituait son petit-fils, le roi de Rome, ou Napoléon II, dit le duc de Reichstadt, son héritier universel. Elle laissait des sommes assez fortes à chacun de ses enfants et à son frère le cardinal Fesch. Elle léguait de nombreuses pensions et des souvenirs à tous ceux qui l'avaient servie, et terminait ses dis- positions testamentaires, en consacrant une somme considérable au soulagement des pauvres de la Corse, son pays natal ou sa première patrie, avant la France, son pays adoptif et sa grande patrie. |
[1] Lettre communiquée par M. Alfred Blanche.
[2] Cette seconde lettre, sans indication nominative est écrite au verso de la précédente.
[3] Lettre reproduite dans le Figaro du 28 juillet 1883.
[4] Le Livre ; revue du monde littéraire ; Bonapartiana, 1883.
[5] Copie de lettre adressée d'Italie par le prince N.-Ch. Bonaparte.
[6] Napoléon à Sainte-Hélène, etc., par J. Héreau, 1829.
[7] Réponse à Sir Walter Scott sur son Histoire de Napoléon, par Louis Bonaparte, comte de Saint-Leu, etc. Paris, 1823.
[8] Chez une femme illustre, par Scipion Fougasse. 1860.
[9] Le Château de la Malmaison, 1867.
[10] Lettre de la collection Feuillet de Conches.
[11] Communication verbale, de sa part.