MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1827.

 

 

Les lettres de Madame Mère se multiplient, dans le courant de cette année. — Elles s'adressent surtout à son fils Lucien. — Madame s'inquiète d'un tremblement de la main qui l'empêche quelquefois de signer. — Elle blâme son fils, en deux mots, d'avoir écrit en Autriche, pour la cause de Napoléon II. — Le cardinal adresse au comte de Saint-Leu des nouvelles de Madame. — Elle écrit au comte de Survilliers. — Et le cardinal en même temps à la comtesse. — Madame adresse ensuite à sa belle-fille une lettre d'affection et d'affaires de famille. — Elle revient à Lucien, dont le fils Paul, alors en Grèce, lui cause de l'inquiétude.

 

L'année 1827 offre assez d'intérêt par les lettres multipliées de Madame Mère.

La première de ses lettres est adressée au prince de Canino. Elle le remercie de ses vœux pour le nouvel an et lui exprime l'espoir de l'embrasser.

Madame attend la décision du mariage de Napoléon-Louis et de Charlotte, pour lui en faire part. Elle craint de ne pouvoir plus signer ses lettres, parce que sa main tremble davantage.

Lettre de Madame Mère à Lucien, prince de Canino[1].

11 janvier 1827.

Mon cher fils,

Je vous remercie tendrement de la lettre que vous m'avez écrite, à l'occasion de la nouvelle année et des vœux que vous y faites pour moi. J'en fais, chaque jour, de bien sincère pour votre bonheur et celui de toute votre famille.

Je désire, autant que vous, que cette année ne se passe pas sans que nous soyons rapprochés l'un de l'autre. Il me sera bien doux de vous serrer dans mes bras.

Rien n'est encore décidé au sujet du mariage de Napoléon et de Charlotte. Aussitôt que je saurai quelque chose de positif, je vous le ferai savoir.

Adieu, mon cher Lucien, embrassez toute votre famille pour moi et recevez ma bénédiction maternelle, avec l'assurance de ma constante tendresse.

LETIZIA BONAPARTE.

P.-S. — Si, par suite, mes lettres ne sont pas signées par moi, c'est que cela me devient impossible ; ma main tremble trop.

J'enverrai les boites, par une autre occasion, à votre femme.

Dès le commencement de cette année 1827, le prince Lucien, sans y avoir été incité par un motif direct, avait cru devoir faire, en Autriche, quelques démarches directes pour la cause de Napoléon II. Il n'avait pas consulté sa mère sur l'opportunité de cette intervention, sans pouvoir la fonder sur les bruits absurdes et mensongers répandus à cette époque. On prétendait que l'empereur d'Autriche soumettait son petit-fils le duc de Reichstadt à un régime de vie susceptible d'entraîner sa mort. De telles allégations n'étaient admissibles à aucun titre et pour aucun parti.

Madame, sans faire allusion à ces bruits absurdes, adresse à son fils la courte lettre suivante, attestant l'autorité morale de la grand'mère du jeune prince élevé à la cour d'Autriche.

Madame au prince Lucien[2].

Rome, le 3 février 1827.

Mon cher fils, Je vous ai écrit que Charles (fils de Lucien) était dans les meilleures dispositions ; il attend, avec impatience, votre réponse à la lettre qu'il vous a adressée, pour aller vous rejoindre.

Je ne conçois pas ce que vous avez pu écrire en Autriche ; ce n'était ni le temps ni la circonstance.

Je n'ai rien autre chose à vous dire, si ce n'est d'embrasser pour moi votre femme et vos enfants et de me croire votre bien affectionnée mère.

MADAME.

Le cardinal écrit au comte de Saint-Leu, à Florence, le 10 février, au sujet de ses infirmités, lui donnant quelque trêve. Il lui dit que Madame se porte assez bien, malgré la turbulence de son petit-fils Charles, alors auprès d'elle.

Dans une lettre en italien, du 10 mai 1827, à son fils aîné, Madame lui annonce qu'elle a dû restreindre auprès d'elle le nombre de ses petits-enfants, afin de ne pas être assourdie par les voix féminines et enfantines, toutes à la fois.

Elle eût été heureuse, au contraire, d'avoir plus longtemps la compagnie de sa belle-fille Julie, pour laquelle son affection restait constante.

La lettre de Madame à son fils aîné lui dit en finissant :

Rome, 10 mai.

... Ma santé est toujours remplie de souffrances, comme le comporte ma situation. Je prie Dieu de me faire la grâce de vous embrasser, une autre fois encore, parce que je vous aime tendrement.

Votre mère bien affectionnée.

Une lettre du cardinal, au nom de Madame, est une réponse relative au mariage de Charles (fils de Lucien) avec Zénaïde (fille de Joseph) et à la date promise par Lucien.

Madame, dit le cardinal, écrivit à Lucien de payer les 4.000 piastres par an ; c'était à Charles, comme je le lui avais inculqué, à demander, à exiger une convention de ce qui devait s'ensuivre, après trois ans. Mais le courage lui a manqué, etc.

Charles part de Florence, pour retourner en Amérique, au mois de mai 1827 et Madame écrit à son fils aîné une lettre affectueuse, touchante et désintéressée sur ce voyage.

Le fils de Lucien voulait appeler du nom de villa Bonaparte la villa Paolina, donnée par sa tante à Zénaïde ; mais Madame lui a fait comprendre le peu d'à-propos de cette appellation. C'est à elle, d'ailleurs, c'est à Joseph d'apprécier ce qu'il convient de faire pour la dignité du nom. Ce nom de Bonaparte (disait Madame qui l'avait si bien porté), ce nom n'est point applicable à un jardinet (piccolo giardino).

Conseillez-lui de penser un peu plus et de parler moins, ajoutait la grand'mère, avec son judicieux bon sens, parfois sévère, sinon mérité.

Madame à la comtesse de Survilliers (la reine Julie)[3].

Rome, 11 mai 1827.

Ma chère fille,

J'ai reçu vos deux lettres du 11 décembre 1826 et du 20 février 1827. Je vous remercie tendrement de tout ce que vous me dites, au sujet de la nouvelle année ; soyez persuadée qu'il ne se passe pas un jour que je ne pense à vous et ne fasse des vœux pour votre bonheur.

Charles vous remettra cette lettre ; il vous dira ce qu'il a fait avec son père ; celui-ci s'est engagé, en donnant des sûretés, à payer quatre mille piastres par an, pendant trois ans, sauf, à l'expiration de ce terme, à prendre d'autres arrangements. Il est inutile de vous dire que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, pour que cette affaire fût terminée à la satisfaction des deux parties ; mais mon pouvoir n'a guère existé que dans les conseils que j'ai pu donner.

Les nouvelles que vous me donnez de votre père et de vos enfants m'ont fait un bien grand plaisir.

J'espère que la santé de Gertrude s'est fortifiée ; je lui envoie deux robes et deux bonnets et une petite montre à Joseph avec la chaîne en or.

... Dieu veuille que cette consolation (de revoir votre père) ne soit pas différée et qu'il puisse bientôt arriver parmi nous ; et si, comme j'aime à l'espérer, vous et vos enfants étiez du voyage, mon bonheur serait complet.

Charlotte est toujours heureuse et bien portante. La santé de Julie est un peu meilleure ; la mienne est toujours la même, je suis bien faible.

Adieu, ma chère fille, je vous embrasse tendrement et suis votre affectionnée mère,

MADAME.

La première chute que Madame avait faite, l'année précédente, dans son appartement, n'avait eu aucune suite fâcheuse, mais pouvait faire craindre un accident plus grave.

La lettre sui vante de Madame Mère à son fils Lucien Bonaparte, à Sinigaglia, témoigne la sagacité de sa sollicitude pour les siens[4] :

Rome, 9 novembre 1827.

Mon cher fils, Je continue à être très inquiète sur le sort de Paul (fils de Lucien). Je vous ai déjà écrit à ce sujet, sans recevoir de réponse ; cela me fait présumer que la nouvelle n'est que trop vraie et que vous ne voulez pas me la faire connaître. Si, comme moi, vous ne savez quelque chose que par les gazettes, faites-le-moi savoir ; si, au contraire vous avez des lettres, dites-le-moi. Je préfère la vérité à l'état d'incertitude dans lequel je me trouve ; je tâcherai de supporter avec courage cette nouvelle épreuve. Écrivez aussi à vos frères et à vos parents, si nous avons perdu ce malheureux enfant ; nous devons rendre un dernier devoir à sa mémoire ; ce que nous ne pouvons pas faire, d'après un article de gazette.

Jérôme est arrivé ici, il y a deux jours. Faites mes tendres compliments à Alexandrine et aux enfants et croyez-moi votre bien affectionnée mère,

MADAME.

 

 

 



[1] Provenant de la collection Dubrunfau. Lettre copiée dans la collection de M. Alfred Morrisson, à Londres. V. l'Appendice.

[2] Cette lettre et les trois suivantes sont extraites du registre.

[3] Lettre communiquée par le comte Primoli.

[4] Communiquée par S. A. madame la princesse Pierre Bonaparte.