MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1826.

 

 

Lettres : Madame à son fils Lucien. — Renseignements sur la famille Bonaparte demandés par elle au prince de Canino. — Jérôme à son fils du premier mariage. — Comte de Survilliers au cardinal, sur la propriété de Canino. — Mariage retardé de Charlotte et de Louis-Napoléon. — Le cardinal à la princesse Julie (Madame étant à Albano). — Mariage de Louis-Napoléon et de Charlotte. — Du cardinal au comte de Survilliers. — Détails d'affaires. — Statue de Napoléon premier consul. — Le jeune prince Jérôme Paterson à sa grand'mère. — Réponse de bienveillante affection, avec des conseils maternels. — M. Robaglia au comte de Survilliers, lui donnant des nouvelles de Madame. — Le cardinal informe la comtesse de Survilliers que Madame est rétablie de la chute qu'elle avait faite dans son appartement.

 

Madame à son fils Lucien[1].

Rome, 14 janvier 1826.

Monsieur et très cher fils, Je vous prie de recevoir mes remerciements pour les vœux que vous faites pour moi, à l'occasion de la nouvelle année.

Soyez persuadé de la sincérité de ceux que je forme, de mon côté, pour votre bonheur et votre conservation.

Je fis écrire, dans le temps, à M. Lebon pour avoir de vos nouvelles ; j'étais fort inquiète, parce que je n'avais pas reçu de réponse à une lettre que je vous avais envoyée.

J'ai appris avec bien du chagrin l'accident qui vous est arrivé. J'aime à croire que les suites n'ont pas été dangereuses et qu'à l'heure qu'il est, vous êtes entièrement rétabli ; c'est ce que je souhaite bien sincèrement en vous priant de recevoir la nouvelle assurance des sentiments d'attachement avec lesquels je suis,

Monsieur et très cher fils,

Votre très affectionnée mère,

MADAME.

Le ton de froideur de cette lettre et l'appellation de Monsieur adressée à Lucien, indiquent, de la part de sa mère, un grief ou un reproche dont le motif n'est pas expliqué. Ce n'était peut-être qu'un blâme de n'avoir point répondu à une précédente lettre de sa part. Elle tenait à ce signe d'affection.

Une copie de la lettre suivante, de S. A. le prince Louis-Lucien Bonaparte, offre un intérêt de curiosité inattendue, venant de Madame Mère, eu égard, cette fois seulement, à la généalogie de la famille Bonaparte. Cette lettre montre que Madame, assez indifférente à la généalogie proprement dite, ne l'était pas à un sujet d'histoire à préciser. Les questions adressées par Lucien à sa mère témoignent qu'il avait raison d'attendre d'elle des renseignements utiles, car il savait bien qu'elle se préoccupait peu des ancêtres de la famille.

Voici la réponse fort curieuse de la mère à son fils[2] :

Rome, ... 1826.

Je suis fâchée de ne pouvoir pas répondre à toutes les demandes qui me sont faites sur la famille Bonaparte ; je vous dirai tout ce que j'en sais.

A l'époque des guerres des guelfes et des gibelins, les guelfes furent chassés de Florence. Deux ou trois frères du nom de Bonaparte furent obligés de quitter cette ville. L'un d'eux alla s'établir à Sarzane. Votre père a tiré de là beaucoup de papiers, d'un nommé Londinelli qui lui écrivit qu'il y en avait encore. Un Bonaparte habitant la ville d'Empoli, en Toscane, vivait, il y a environ quarante-cinq ans. Dans sa vieillesse, il se maria avec sa domestique. Étant fort âgé, il fit appeler votre père et lui dit que comme il avait un pied dans la tombe, il lui remettait tous les papiers de sa famille, comme à celui auquel ils devaient appartenir. Il laissa, en mourant, tous ses biens à votre père... Ce parent apprenait à votre père que le chanoine Bonaparte, établi à San Miniato, n'était Bonaparte que par les femmes. Cependant l'archidiacre votre grand-oncle resta longtemps à Florence chez ce chanoine et votre père y demeura aussi, avant d'aller en députation à Versailles.

J'avais sauvé tous les papiers laissés par votre père, mais pendant la Révolution, ils furent saisis. Joseph doit en avoir. — Votre grand-père s'appelait Joseph et votre bisaïeul Sébastien. — Les seuls emplois que les Bonaparte aient occupés sous la domination génoise sont les charges les plus élevées que les Génois osassent confier aux Corses. Votre grand-père Joseph et votre grand-oncle Napoléon les ont exercées encore de mon temps.

MADAME.

Le prince Jérôme, écrivant au jeune fils de son premier mariage une lettre de souvenir paternel, la termine en ces termes[3] :

Rome, 6 mars 1826.

... Je parle souvent de toi avec ma mère, et c'est après m'être bien consulté avec elle, que je te fais cette réponse, qui, comme tu le penses bien, est à la connaissance de mon excellente femme. Tu trouveras ci-joint copie d'une lettre que m'a écrite ta mère, ainsi que de ma réponse, etc.

Ton affectionné et bon père,

JÉROME.

Joseph Bonaparte écrit, de Pointe-Breeze, au cardinal, le 12 juin, au sujet de la propriété de Canino et des intérêts dus à Charles et à Zénaïde, en invoquant pour eux l'appui maternel de Madame. Il prie le cardinal de leur assurer, ainsi qu'à elle-même le revenu qui leur sera dû :

... Je ne conçois pas, ajoute-t-il[4], ce qui retarde le mariage de Charlotte ; je vous prie de m'en dire quelque chose.

...Si je pouvais passer quelque temps en Italie, il me semble que nous pourrions, maman, vous et moi, mettre un peu d'ensemble et d'harmonie dans les esprits et dans les affaires des divers membres de la famille. Nous avons été, vous et moi, les conseils et les appuis de notre bonne mère, aux premiers jours de son veuvage ; elle sait que, plus que les autres, nous avons droit de faire aujourd'hui ce que nous avons fait alors, et ce n'est pas par de l'égoïsme et par de folles dépenses que l'on peut venir à bout de maîtriser la mauvaise fortune, dans une famille aussi nombreuse.

... Vous êtes seul auprès de maman ; faites, comme vous avez toujours fait (pour moi), etc.

Aujourd'hui, c'est maman, ma femme, ma fille, Lucien, Louis, Jérôme, qui ont besoin de vos conseils, etc.

... Lisez cette lettre à maman et répétez-lui que je viendrai la voir, dès que je le pourrai. Je suis bien charmé qu'elle vienne au secours de Lucien. Je vous embrasse l'un et l'autre de tout mon cœur.

Votre affectionné neveu,

J.

Le cardinal écrit de Rome, le 25 juillet, à la princesse Julie (comtesse de Survilliers)[5] :

... Madame m'avait déjà fait connaître que le mariage de Napoléon avec Charlotte allait être célébré, et je remercie Dieu que cela soit fini. Recevez mes remerciements de me l'avoir annoncé.

... Madame est à Albano, mieux qu'elle n'était à Rome ; j'irai la voir, dans la semaine.

En écrivant à la reine, votre sœur, veuillez lui demander où en est l'affaire du médecin qui avait vendu, à fonds perdus, ses tableaux à l'ancien roi de Suède et dont vous envoyâtes la réclamation à votre sœur, en la priant de faire justice. Ce pauvre homme envoie, tous les jours, m'en demander des nouvelles.

Veuillez croire, etc.

Le cardinal Fesch au comte de Survilliers, en Amérique[6] :

Rome, 8 août 1826.

... Après beaucoup d'enfantillages, voici Charlotte mariée, depuis quinze jours. Il faut espérer qu'elle sera heureuse avec Napoléon (fils de Louis).

Votre mère est à Albano. Un de ces jours, en allant la voir, je lui ferai signer le reçu de 4000 piastres de sa rente pour cette année 1826, car vous êtes convenu de la payer par anticipation. Elle m'a dit qu'elle espérait ne plus vous parler de cette rente et de ne plus y songer après 1827 ; mais il faut que vous soyez exact à lui payer, en janvier prochain, les deux mille piastres et en juillet, les autres deux mille. Vous pourriez même la remercier de cette espérance, que je vous donne en son nom, mais que votre lettre lui arrive par mon moyen ; vous en sentez la raison.

Le cardinal, devenu ainsi propriétaire de Casone, fournit, à cet égard, quelques détails sans importance et ne parle plus de Madame, dans cette longue lettre qui, cependant, l'intéressait.

Le jeune prince Jérôme (Paterson) Bonaparte n'avait pas négligé d'écrire à sa grand'mère, qu'il avait eu l'espoir de la remercier plus tôt et personnellement des témoignages de sa bonté.

Madame répondit à cette lettre la suivante[7] :

Rome, 26 septembre 1826.

Mon cher fils,

Je reçois votre lettre du 24 septembre. J'ai appris avec plaisir que vous jouissiez d'une bonne santé, et je vous remercie des bonnes nouvelles que vous me donnez de celle de Joseph et de sa famille. Votre père est ici et il doit, sous peu de jours, aller à Sienne, où il vous verra. Je vous engage à suivre ses instructions ; elles sont conformes à ma manière d'envisager votre position. Le cardinal est absent, depuis un mois, et je ne manquerai pas de m'acquitter de votre commission pour lui, aussitôt que je le verrai.

Adieu, mon cher fils, je vous embrasse tendrement et vous prie de croire à mon constant attachement.

Votre bien affectionnée grand'mère,

MADAME.

M. Robaglia, secrétaire de Madame, écrit au comte de Survilliers en Amérique[8] :

Rome, 1er novembre.

... La santé de Madame (Mère) est bien faible ; elle parle souvent de vous et attend avec une vive impatience votre arrivée en Europe. Sans son âge et ses infirmités, elle n'aurait pas craint d'entreprendre le voyage d'Amérique.

Elle a fait, il y a environ trois mois, ses dernières dispositions, et, d'après ce qu'elle m'en a dit, tous les enfants mâles auront une part égale ; les filles ou leurs héritiers, la légitime seulement.

... A la lecture des réflexions vraies que vous faites dans votre lettre, sur l'état passé et futur de votre famille, elle me dit de vous répondre que, quant à elle, ce qu'elle avait serait partagé également entre ses enfants, en appuyant sur les mots : Quant à elle. Madame ajouta : Pour le cardinal, je n'en sais rien.

Madame fut atteinte, vers la fin de 1826, d'une bronchite qui se prolongea jusqu'en janvier 1827 et ne céda qu'à l'application des révulsifs, etc. Elle fit aussi dans son appartement une chute sans gravité immédiate, mais à laquelle Madame attribua quelques effets secondaires, tels que des palpitations dont elle n'avait jamais rien ressenti auparavant. Il lui sembla aussi que sa marche était moins assurée depuis ce simple accident.

 

 

 



[1] Lettre communiquée par M. Alfred Blanche.

[2] Memorie Storiche, etc. par L. Gerini, 1829, t. Ier, p. 72. V. l'Appendice (au nom de L. Lucien Bonaparte).

[3] The life and letters of Madame Bonaparte (Elizabeth), by Eugène Didier. London, 1879, p. 190.

[4] Copie de la lettre originale (ou extrait).

[5] Copie de l'autographe. Archives de la Bibliothèque nationale.

[6] Registre de correspondance du cardinal.

[7] The life and letters of Madame Bonaparte (Elizabeth), by Eug. Didier. London, 1879.

[8] Copie de cette lettre aux manuscrits de la Bibliothèque.