MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1825.

 

 

Le nouvel an des douloureux souvenirs pour Madame et ses vœux pour ses enfants. — Lettre du cardinal à la princesse Julie. — Nouvel éloge de Charlotte. — Lettres de Madame à Lucien sur ses peines ; — à sa petite-fille Napoléone-Élisa Bacciochi. — Mort de la princesse Pauline, à Florence. — Son touchant souvenir pour sa mère et pour l'empereur. — Lettre du prince Borghèse au cardinal pour Madame, sur les obsèques. — Héritage de Pauline Borghèse. — Lettre de Madame aux enfants de son fils aîné. — Testament de madame Clary. — Lettres : de Madame au marquis de ***, pour sa filleule Letizia ; —de la princesse Charlotte à son père ; — de Madame à Lucien sur sa famille et ses intérêts ; — sur une chute récente sans gravité ; — autre sur les chagrins de sa petite-fille Zénaïde. — Mort de la fidèle gouvernante Saveria.

 

Madame écrit, de Rome, le 2 janvier, à l'adresse collective de la famille, une lettre touchante de sollicitude maternelle, se terminant en ces termes, pour la nouvelle année de ses douleurs[1] :

... Adieu, mes chers enfants ; recevez ma bénédiction, mes tendres embrassements et aimez-moi toujours. (Cet adieu est écrit de sa main.)

Lettre du cardinal Fesch à sa nièce la princesse Zénaïde[2].

Rome, 8 janvier 1825,

Ma chère nièce, j'ai reçu votre chère lettre du 29 juillet.

L'heureuse arrivée ici de votre maman et de Charlotte nous a fait, à tous, le plus grand plaisir. Elles jouissent, l'une et l'autre, de la meilleure santé.

Madame et moi avons été enchantés de Charlotte. Elle est bien digne de l'affection de tous ses parents, car elle joint à un cœur excellent beaucoup de bon sens et de talents. Il est à désirer que l'union projetée se réalise.

Madame se porte actuellement assez bien.

Votre très affectionné oncle,

J. Cardinal FESCH.

Madame à Lucien[3].

Rome, 31 janvier.

Mon cher fils,

J'ai vu, avec plaisir, par votre dernière lettre, que votre maladie n'était pas aussi dangereuse que je le craignais. Je vous engage cependant à vous soigner et à ne rien négliger pour le parfait rétablissement de votre santé.

Je sais que vous avez des chagrins qui vous mettent dans une position bien pénible. Je désirerais pouvoir y remédier, mais cela est tout à fait hors de mon pouvoir.

Adieu, mon cher fils, embrassez toute votre famille pour moi et croyez à la part que je prends à vos chagrins et à ma constante tendresse.

MADAME.

Elle écrit à sa petite-fille Napoléone-Élisa, mariée au comte Camerata, d'Ancône, une lettre, encore signée : Madame, comme bien d'autres de cette époque et datée de Rome, 26 avril 1825[4].

Elle s'étonne que le prince Bacciochi ne se soit décidé à régler, avec avantage, les affaires de sa fille, qu'après son mariage. Elle l'invite à lui écrire directement et non plus sous le couvert du comte Torlonia. Suit la lettre textuelle de Madame :

Rome, le 26 avril 1825.

Ma chère fille,

J'ai reçu votre lettre du 19 courant et j'y ai vu avec plaisir que votre père s'est enfin décidé à entreprendre l'arrangement de vos affaires, d'une manière avantageuse pour vous ; je suis cependant étonnée qu'il ait attendu jusqu'à présent, pour le faire ; tout aurait dû, il me semble, être fini, avant le mariage. Quoi qu'il en soit, je fais des vœux pour que tout se termine, comme vous le désirez.

J'éprouverai, certes, une grande satisfaction à pouvoir vous serrer dans mes bras et à vous assurer, de vive voix, de mon inaltérable tendresse ; j'aime à croire que le jour où cette satisfaction me sera accordée n'est pas éloigné.

Faites bien mes compliments à votre mari et recevez mes tendres embrassements.

MADAME.

P.-S. — Je vous prie de m'écrire dorénavant par la poste, et non sous le couvert de M. Torlonia.

Le 9 juin 1825, mourait à Florence la malheureuse princesse Pauline, épuisée par les souffrances et les complications d'une maladie organique devenue incurable. Elle reportait ses souvenirs vers l'unique enfant qu'elle avait perdu de son premier mariage, et se préparait à le rejoindre. Elle adressait, dans son cœur, ses adieux à sa vieille mère, dont les yeux affaiblis et desséchés par les larmes semblaient ne pouvoir pleurer davantage. Sa Paulette bien-aimée allait mourir, en dirigeant un regard presque éteint vers le portrait de l'empereur, placé sous ses yeux.

Elle s'inspirait, encore une fois, de son grand souvenir et y puisait la force de quitter la vie sans regrets, avec un sentiment digne de lui et digne de leur mère. Puis, tendant une main défaillante à son mari, tout en pleurs, Pauline lui demanda pardon de ses offenses. Son frère Jérôme avait pu, seul, arriver à temps auprès d'elle, pour recevoir ses adieux.

La mourante avait voulu, malgré toutes ses souffrances, dicter, relire et signer son testament, partager ses biens entre ses plus chers parents, laisser un souvenir à chacun des amis destinés à lui survivre et ne pas oublier les malheureux. Elle prescrivait de ne pas faire subir d'autopsie à son corps et de ne pas laisser son visage découvert, après son décès. La belle et bonne princesse mourut en chrétienne, repentie de ses fautes, digne de la tendresse et des regrets de sa sainte mère.

Le prince Camille Borghèse adresse, de Florence, au cardinal, pour Madame, une lettre lui annonçant la mort de sa femme la princesse Pauline, décédée, le même jour, à une heure du matin. Elle succombait à sa maladie après avoir montré un grand courage et la résignation la plus soumise à sa destinée.

Deux jours après, le 11 juin, une lettre du prince Jérôme à Madame Mère, sur les obsèques de Pauline, lui dit[5] :

Tout a été, comme nous le voulions, relativement aux restes de Pauline. Demain, elle sera ensevelie dans sa chapelle, où elle sera transportée (ce soir, d'une manière toute privée).

Patorni, avocat des héritiers de la princesse Borghèse, représentés par le duc de Padoue, fit un mémoire officiel à consulter[6] pour S. A. I. Madame Letizia Bonaparte, mère de l'empereur Napoléon ; S. A. le prince Louis Bonaparte, comte de Saint-Leu ; S. A. la princesse Caroline Bonaparte, veuve de Joachim Murat, comtesse de Lipona ; S. A. le prince Jérôme Bonaparte, prince de Montfort ; héritiers de feue Madame la princesse Pauline Borghèse, leur fille et sœur.

Madame fait écrire, en son nom, aux enfants de l'ex-roi Joseph[7] :

Albano, 6 août 1825.

J'ai reçu, mes chers enfants, votre lettre du 16 mai. J'ai été bien peinée d'apprendre l'accident qui est arrivé à Joseph, la fausse couche de Zénaïde et la maladie du petit ; mais j'ai vu avec plaisir que vous étiez tous mieux, au moment où vous m'écriviez. Je partage les vœux que vous faites, pour que cette année se termine plus heureusement qu'elle n'a commencé.

J'espère que vous ne négligerez rien pour adoucir la situation de votre père ; il est éloigné du reste de sa famille, il n'a que vous auprès de lui, vous devez lui tenir lieu de tout.

C'est à toi, Charles, que je parle, j'aime à croire que tu as pour Joseph les sentiments d'un fils et que ta conduite sera d'accord avec ces sentiments. L'idée que nous serons peut-être tous réunis, l'année prochaine, est bien consolante pour moi, puisque mes enfants sont les seuls biens qui m'attachent à la vie.

J'espère que le mariage de Charlotte aura lieu au mois de septembre. Il a été retardé par une maladie de Julie qui est beaucoup mieux maintenant. Elle et Charlotte sont avec moi, à Albano, dont l'air leur fait beaucoup de bien.

Nous avons perdu cette pauvre Pauline ; vous concevez facilement mon chagrin.

Votre père vous aura, sans doute, écrit le mariage de Jeanne avec le marquis Onerati de Jesi ; il paraît qu'elle est contente.

Je vous embrasse tendrement, ainsi que votre fils.

Votre affectionnée bonne maman,

MADAME.

A la même date, du 6 août, Madame donne au prince de Canino des nouvelles de la famille[8].

Une vieille amie de Madame Mère, madame Clary (de Marseille), proche parente de la reine Julie, mère de Marcelle, de Joachim et du général Clary, mourut en 1823, avant son mari. Son testament portait[9] :

Je recommande mes enfants aux bontés et à l'affection de ma respectable amie Madame Bonaparte et du cardinal Fesch ; je les prie de croire que l'attachement et la reconnaissance dont je suis pénétrée pour eux et la connaissance que j'ai de leurs sentiments, sont seuls capables de me rassurer sur le bonheur de ma famille, que je leur confie.

Le général Clary écrivait à Madame et au cardinal, le 17 septembre 1825, pour lui annoncer le décès de son père et réclamer les effets de leur protection pour son jeune frère, Joachim, et ses sœurs.

Lettre de Madame, sans désignation nominative[10].

Rome, 17 octobre 1825.

Monsieur le marquis,

Je vous prie de recevoir mes remerciements de la lettre par laquelle vous me faites part de l'heureux accouchement de Letizia. J'ai appris avec bien du plaisir que la mère et l'enfant se portent bien ; embrassez-les tous les deux pour moi et recevez, avec mes félicitations, la nouvelle assurance de mon estime et de mon sincère attachement.

MADAME.

La princesse Charlotte écrivait à son père, le comte de Survilliers[11] :

Rome, 15 novembre 1825.

Bonne maman est bien tourmentée, au sujet de la succession de ma tante Pauline, parce que les héritiers ont de la peine à se mettre d'accord pour le partage et que le prince Borghèse veut retenir pour les titres de la dot. Cette succession occupe beaucoup la famille, qui ne parle que de cela. Ce n'est pas très gai pour Madame, maman et moi. Nous pensons bien souvent, que si tu étais ici, les choses iraient bien différemment, et ce serait un grand bonheur pour bonne maman.

Madame à son fils Lucien[12].

Rome, le 20 septembre 1825.

Mon cher fils, Je suis bien aise d'apprendre que vous verrez le cardinal à Sinigaglia et j'arrive à croire qu'il pourra arranger votre affaire, avec Torlonia, car pour moi, j'ai entendu Palagi et je ne sais réellement que faire ?

Je vois avec plaisir que vous vous portez tous bien et que vos enfants sont auprès de vous ; ce vous doit être une grande consolation. Embrassez-les tous pour moi, ainsi qu'Alexandrin e.

Ma santé est bien faible ; j'ai, depuis quelque temps, des palpitations de cœur qui me font beaucoup souffrir. Je crains que ce ne soit la suite de la chute que j'ai faite ; les médecins me disent que cela vient des nerfs.

Adieu, mon cher fils, je vous embrasse tendrement et suis votre bien affectionnée mère,

MADAME.

P.-S. — Je vous envoie cette lettre par la poste, parce que je n'ai pas le temps de la faire remettre à Palagi.

A Son Excellence le prince de Canino,

à Sinigaglia.

Madame au cardinal Fesch[13].

Rome, 13 décembre 1825.

Mon cher frère,

J'ai reçu la lettre de Zénaïde, en date du 16 août de cette année ; c'est avec un bien vif chagrin que j'y ai lu les malheurs qu'elle n'a cessé d'éprouver, depuis plusieurs mois.

J'espère qu'elle et son fils, auquel je donne mille baisers, sont entièrement rétablis, à l'heure qu'il est.

Elle a bien raison de ne pas craindre de m'entretenir de ses peines ; elle ne pourrait les confier à personne qui y prit plus de part, qui désirât davantage les adoucir et qui eût plus d'attachement pour elle que sa bonne maman.

J'ai vu avec chagrin que votre affaire avec Lucien n'est pas encore arrangée. Il est maintenant à Sinigaglia. Je ne puis rien faire ; tout ce qui a été en mon pouvoir, je l'ai fait ; mais les moyens, à ce qu'il paraît, manquent encore plus que la volonté. Vous avez dû, au reste, recevoir quelque chose.

Vous avez sans doute appris la perte que nous avons faite de Pauline.

Charlotte est entièrement rétablie. La santé de Julie est assez bonne. Elles sont encore toutes les deux à Rome. Napoléon est à Florence. Dieu seul sait quand le mariage se fera.

Ma santé est bien faible ; il m'est bien pénible d'être, à mon âge, éloignée d'une partie de mes enfants et obligée de me dire que je les ai vus, peut-être, pour la dernière fois.

Adieu, mes chers enfants, le cardinal vous remercie de votre souvenir et se joint à moi pour vous embrasser tous avec toute la tendresse que vous a vouée votre bien affectionnée mère.

MADAME.

Vers la fin de cette année, 1825, la vieille gouvernante Saveria, qui avait élevé tous les enfants de Madame Letizia Bonaparte et ne l'avait jamais quittée, tombait gravement malade et mourait, auprès d'elle, à un âge fort avancé.

Napoléon, dont elle avait eu soin, dès son bas âge, l'avait prise en affection et se souvenait d'elle, pendant son exil à Sainte-Hélène. On a confondu Saveria quelquefois avec sa nourrice Ilari qu'il aimait encore davantage. L'une et l'autre avaient secondé, de tous leurs efforts, la sollicitude maternelle et les soins de la plus ancienne gouvernante, Mammucia, pour chacun des frères et sœurs de Napoléon, dans leur enfance.

 

 

 



[1] Registre de correspondance.

[2] Lettre communiquée par le comte Primoli.

[3] Copie de lettre adressée par le prince N. Charles Bonaparte.

[4] Extrait du catalogue de Charavay indiqué par M. Harrisse.

[5] Vente d'autographes, par Charavay.

[6] Mémoire à consulter. Paris, in-8° de 20 pages.

[7] Lettre communiquée par le comte Joseph Primoli.

[8] Catalogue de vente d'Eugène Charavay.

[9] Copié sur l'original à la Bibliothèque.

[10] Lettre offerte par madame la comtesse Caroline Pepoli.

[11] Copié sur l'autographe. Archives de la Bibliothèque.

[12] Lettre communiquée par la comtesse Faina (Lucienne Valentini).

[13] Lettre textuelle communiquée par le comte Primoli, ne figurant pas sur le registre du cardinal Fesch.