Le prince Eugène, considéré par Madame comme le fils adoptif de Napoléon, meurt à Munich d'apoplexie. — Lettres de Madame au prince de Canino. — Elle lui adresse ses conseils maternels et l'invite à venir auprès d'elle. — Madame ressent une altération dans sa santé. — Elle voudrait contribuer à l'assainissement des quartiers insalubres de Rome et elle rappelle, à propos, un projet de Napoléon. — Sa famille suspectée encore à Rome. — Signalements étranges de la police. — Poursuites contre les Bonaparte et grand caractère de Madame. — Sa noble réponse à une démarche pour elle auprès d'une princesse royale.Avant la fin prochaine de la princesse Pauline, un troisième deuil entrait dans la famille de Madame Mère. C'était le prince Eugène de Beauharnais, retiré à Munich, où en 1823, il avait été atteint déjà d'une congestion cérébrale, lorsque, le 21 février 1824, il fut frappé d'apoplexie foudroyante. Madame, en apprenant la mort du fils adoptif de Napoléon, se rappela, tristement, avoir espéré pour lui une destinée différente de celle suivant le divorce de l'impératrice Joséphine. Et puis elle écarta ce souvenir pour se rattacher à sa correspondance. C'est d'abord une lettre autographe adressée par elle au prince Lucien[1] : Rome, le 9 juillet 1824. Mon cher fils, Je ne veux pas laisser partir Jérôme qui vous verra probablement, à son passage, sans vous écrire. J'ai reçu votre lettre et j'ai vu avec bien du plaisir que vous jouissiez tous d'une bonne santé et que vous aviez lieu d'être satisfait de vos enfants, sous tous les rapports. Je vous prie de les embrasser tendrement pour moi. Je compte aller passer quelque temps à la campagne ; j'ai proposé à Christine de venir passer avec moi le temps que je compte y rester, c'est-à-dire environ deux mois ; mais elle n'a pas voulu. Adieu, mon cher fils, mes compliments à votre femme. Je vous prie de croire à mon tendre et constant attachement. Votre mère affectionnée, MADAME. P.-S. — Je vous ai envoyé une lettre d'Amérique. L'avez-vous reçue ? Madame à Lucien[2]. Rome, 2 novembre 1824. Mon cher fils, J'ai vu avec peine, dans votre dernière lettre, combien vous avez de sujets d'affliction ; mais il ne faut pas perdre courage. Vous devez savoir, depuis longtemps, que la majeure partie de la vie humaine est composée de malheurs et de déboires. Cette connaissance doit nous donner la force de nous raidir contre tout ce qui peut nous arriver, surtout quand il n'y a pas de notre faute. J'aurais été bien heureuse, mon cher Lucien, de vous voir ici : dans le cas où vous seriez venu seul, j'aurais pu vous offrir un appartement chez moi ; mon second étage est préparé, et Julie n'est pas encore arrivée ; mais, puisque vos affaires réclament votre présence ailleurs, je n'insisterai pas davantage, malgré le plaisir dont je me vois privée. Adieu, mon cher fils, embrassez votre famille pour moi et recevez l'assurance nouvelle de ma constante tendresse. Vostra affma Madre. P.-S. — Je n'ai pas vu le cardinal ; il a été en fonctions, ces trois derniers jours. Dans le courant de 1824, Madame subit une crise de douleurs hépatiques, dont elle n'avait pas encore souffert à ce degré. Ses indispositions, jusque-là passagères et sans gravité, de nature rhumatismale, s'étaient améliorées par l'usage utile des eaux. L'expérience lui en était acquise. Madame avait été aussi, mais autrefois, et assez longtemps, sujette à de fortes migraines. C'était même le seul mal dont elle se plaignît, parce que ce mal la privait de sommeil et contribuait à l'isoler du monde, qu'elle ne recherchait guère. L'exercice modéré de la marche ou la promenade habituelle contribua vite à dissiper le mal. Le jeu de billard, conseillé à Madame, lui fit du bien, en dissipant le rhumatisme et la migraine. C'était pour elle un jeu récréatif et salutaire. Une lettre de Madame à son fils aîné[3] lui donne, en date du 20 novembre, quelques renseignements inutiles à reproduire, sur les coliques hépatiques dont elle fut atteinte dans le cours de cette année. Les crises, d'ailleurs calmées ou une fois passées, permettaient à la malade de recouvrer à peu près sa santé habituelle, maintenue par la force morale plus que par la force physique, mais affaiblie par l'âge. Sans avoir ressenti de mal, à une certaine distance des quartiers insalubres de Rome, Madame s'était préoccupée des moyens d'assainir la ville et aurait voulu y contribuer. Elle se rappelait avoir entendu Napoléon dire ce qu'il répétait à Sainte-Hélène[4] : Que si Rome fût restée sous sa domination, elle fût sortie de ses ruines. Il se proposait de la nettoyer de tous ses décombres, de restaurer tout ce qu'il eût été possible de faire, etc. Mais Madame s'était acclimatée à Rome et ne paraissait ressentir aucune influence directe de ses conditions d'insalubrité. Elle allait, d'habitude, s'enquérir des pauvres et leur assurer des secours, en dirigeant sa promenade vers les monuments de l'antiquité. Ni son âge, ni ses infirmités, ni son isolement forcé du monde, ou sa vie solitaire, rien n'empêchait la police établie envers Madame, de l'entourer de ses obsessions occultes. Il serait triste d'en démontrer, une fois de plus, ou d'en rechercher davantage des preuves officielles de ridicule. Mieux vaut y renoncer, par respect pour sa mémoire. Son grand caractère se révéla, une fois de plus, à cet égard, vers la fin de 1824. On lui conseillait encore de laisser faire, en son nom, une démarche facile auprès d'une princesse royale, exprimant de l'admiration pour elle. Non, répondit Madame, je ne saurais accepter une telle démarche auprès de cette princesse qui ne me veut sans doute que du bien. Certaines gens de son entourage ne manqueraient pas de dire ce que je ne saurais imaginer, comme eux, pour me donner tort. Elle refusa donc noblement de suivre le conseil qui lui était donné, en acquérant un titre de plus à l'estime publique. |