MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1817.

 

 

Vœux stériles, adressés de Rome à Sainte-Hélène. — Le souvenir de la mère attaché à son fils. — Les préférences maternelles. — Généreux sentiments de lord et de lady Holland. — Noble lettre de Madame à lord Holland pour les exilés. — Lettres du cardinal au général Bertrand ; — de lord Holland au ministre lord Bathurst ; — de lord Bathurst à lord Holland. — Envoi de sommes d'argent et d'objets de valeur au captif de Sainte-Hélène. — Le docteur Barry O'Meara et ses soins dévoués. — Lettres : du cardinal à l'empereur ; — de madame Mère au prince de Metternich. — Napoléon refuse les offres de sa famille. — Il reçoit quelques objets de Chine. — Lettres de Madame à Jérôme ; — du pape Pie VII au cardinal Consalvi.

 

Après sa touchante lettre d'adieu au comte de Las Cases et le retour de ses pensées vers sa mère, Napoléon recevait encore les vœux de son entourage, au second jour de l'an de sa captivité. Ces vœux stériles ne pouvaient plus se réaliser, ni à Sainte-Hélène, ni à Rome. Là ne devaient s'échanger, désormais, que des souvenirs et des regrets, à travers l'immensité de l'Océan. Napoléon, dès les premiers jours de cette nouvelle année, comme tant de fois, durant les quatre dernières de sa vie, devait revoir seulement l'image de sa mère en invoquant sa mémoire.

Ma mère, disait-il, le 1er janvier 1817, au général Montholon[1], est une femme de beaucoup d'ordre et de grande vertu. Mais comme toutes les mères, elle aimait inégalement ses enfants ; ainsi Pauline et moi étions ses favoris ; Pauline, parce qu'elle était la plus jolie et la plus gracieuse ; moi peut-être, par un de ces instincts de la nature, qui lui disait que je serais le créateur de la grandeur de son sang. Il serait difficile de discuter cette opinion.

D'après l'un des rapports de M. de Blacas, le 1er avril 1817, au moment du projet de départ de Lucien pour l'Amérique, Madame vient de lui faire remettre par son banquier M. Torlonia, une somme de cent mille piastres. La princesse Borghèse cherche à vendre tous ses effets précieux.

Quelques étrangers de distinction, parmi lesquels de nobles personnages d'Angleterre, protestaient par leur sympathie pour le grand exilé, contre la politique de persécution exercée envers lui, par leur gouvernement.

Lord Holland, membre illustre du Parlement, se montra plus touché qu'aucun autre de la douloureuse situation du captif de Sainte-Hélène et de l'exil à Rome de sa mère, à laquelle le gouvernement britannique refusait la consolation de le rejoindre. Napoléon lui-même ne consentait point à exposer sa mère aux fatigues et aux dangers d'un tel voyage.

Lord Holland, dit Fr. Barrière, d'après la liste de ses Souvenirs[2], ne cessa de témoigner à Napoléon captif, l'intérêt qu'avait excité le souverain détrôné de la France. Lady Holland de même, en prenant une noble part aux démarches instantes de son époux, obtint et conservera, dans l'histoire, la touchante reconnaissance de Napoléon et celle de sa mère. Elle réussit quelquefois à faire parvenir des nouvelles indirectes de Sainte-Hélène à Rome, mais ses inspirations généreuses rencontrèrent plus de difficultés, pour faire parvenir au prisonnier des nouvelles de Rome et de sa mère.

C'est ainsi qu'une lettre de Madame fut égarée dans les bureaux du gouverneur et ne se retrouva, dit lord Holland[3], qu'après un temps considérable. (Souvenirs, p. 150.) Cette lettre de Madame à lord Holland, est d'une si haute portée, qu'elle n'a pas besoin de commentaire. Extraite d'un registre de correspondance de Madame Mère, elle a été publiée in-extenso dans la Correspondance de Napoléon Ier.

Un extrait seulement de la même lettre se trouve au Bristish Museum à Londres[4], qui en a supprimé la première et les deux dernières phrases, par égard, sans doute, pour le ministère britannique. Suit la copie entière de cette lettre si expressive.

Madame Mère à lord Holland, membre du Parlement, à Londres.

Rome, 1er mai 1817.

La mère de Napoléon ne saurait mieux vous témoigner sa reconnaissance pour l'intérêt que vous prenez à son fils qu'en vous exprimant la surprise qu'elle a éprouvée, en lisant, dans la réponse de lord Bathurst, que personne de sa famille n'a fait parvenir au ministre britannique des lettres pour Sainte-Hélène. Une telle effronterie prouve l'impression qu'a dû faire votre motion, et le bien que l'empereur pourra en ressentir.

J'ai écrit à mon fils, plusieurs fois par le commerce, et entre autres par le canal du banquier Torlonia, qui m'assura de la remise de mes lettres dans les bureaux, plusieurs fois par des seigneurs anglais, qui gracieusement, s'engageaient à les remettre dans les mains des ministres : Mais je ne me souviens que du nom de l'un d'entre eux, lord Lucan, qui promit à mon frère et à moi que nos lettres seraient remises en propres mains à lord Castlereagh par sa fille aînée, à laquelle il les enverrait à son arrivée à Paris. Et depuis la nouvelle année j'ai remis d'autres lettres au général Mathew.

Craignant en outre qu'il ne fût pas permis à l'empereur d'écrire, j'adressai des lettres à madame la comtesse Bertrand mais toutes sont restées sans réponse.

Cependant la Providence, qui veille à dévoiler le mensonge a permis qu'une dame qui se trouvait à Rome, en février dernier, appartenant, dit-on, à un sous-secrétaire d'État, et, si je ne me trompe, du nom de Hamilton, dit au capitaine de frégate Tower qu'elle avait lu de mes lettres à mon fils, qu'on lui avait apportées à sa campagne, en Angleterre. D'après l'usage que les ministres en faisaient, et la presque certitude que l'empereur n'avait jamais reçu de mes lettres, je me serais décidée à ne pas donner trop souvent des sujets d'amusement aux ministres, si une mère avait pu renoncer à l'espérance de s'entretenir avec son fils malheureux.

D'ailleurs la réponse de lord Bathurst à votre motion me décide à chercher tous les moyens possibles pour lui faire parvenir de mes nouvelles.

Permettez donc que je vous supplie d'envoyer la lettre ci-jointe dans les bureaux de lord Bathurst ; aura-t-elle un meilleur sort que les autres ? à moins qu'on ne veuille assujettir une mère à écrire à son fils, avec une dureté irréfléchie ? Eh ! que mon fils me croie plutôt morte, mais qu'il ne doute jamais de ma tendresse, de la part que je prends à sa position et de l'espérance de le revoir.

Cependant, pour ôter toute excuse, j'adresse deux lettres, afin que le ministre choisisse celle qu'il voudra envoyer, dans le cas où vous ne croiriez pas devoir les lui faire parvenir toutes les deux.

Milord, votre grand caractère me dispense de vous exprimer les sentiments de mon éternelle reconnaissance, mais je ne puis vous taire que les seuls jours heureux que j'ai passés, depuis la captivité de mon fils, sont ceux qui naissent avec l'espérance que je place dans le pouvoir de vos vertus.

Que lady Holland veuille bien trouver ici l'assurance de sentiments dignes de son cœur ; qu'elle ne cesse pas de prendre intérêt à mon fils.

MADAME.

Le cardinal écrit pour Madame, au général Bertrand[5].

Rome, 2 mai 1817.

... Donnez-nous des nouvelles de l'empereur. A chaque instant, nous sommes avec lui ; il remplit toutes nos journées ; nous sommes pleins d'espérance de le revoir, et nous nous confions bien fermement dans celui qui a toujours été son bouclier et son égide, etc.

... Ma sœur écrivit aussi, dans le temps, à madame la comtesse Bertrand, pour l'engager à nous donner de ces nouvelles tant désirées.

... Le cardinal, en finissant, exprime les plus grandes espérances sur le retour de l'empereur.

Telle était aussi la croyance de beaucoup de personnes, et cette croyance n'était qu'une illusion sincère et profondément sentie chez quelques-uns, douteuse ou douloureuse chez d'autres, et enfin affectée ou affichée par un grand nombre, incapables des sentiments d'affection, de reconnaissance et encore moins de dévouement pour Napoléon.

Madame, dans le courant de mai, adresse à son fils, par la main du cardinal, trois lettres séparées, afin d'assurer, au moins l'arrivée de l'une d'elles. Toutes les trois semblent avoir été égarées ou interceptées, comme la plupart des précédentes.

Lord Holland, admirateur sincère de Napoléon et profondément touché de sa douloureuse situation, écrit au comte Bathurst, revêtu alors du pouvoir, au sujet des lettres de Madame Mère à son fils. La lettre de lord Holland datée de mai 1817, extraite de sa collection, se trouve aussi copiée au British Museum de Londres[6].

Cette lettre atténue, tout d'abord, les relations de sa correspondance avec Madame Mère, comme avec la princesse Borghèse, pour ne pas rendre sa démarche trop pressante auprès de lord Bathurst. Il désigne simplement deux lettres qui lui ont été transmises pour Sainte-Hélène par Madame lui écrivant, elle-même, en des termes dont il ne saurait se prévaloir auprès de son éminent compatriote.

Lord Holland espère que lord Bathurst ne le désapprouvera pas de répondre à Madame, de sa part, qu'il ne voit pas d'inconvénient à transmettre ses lettres et celles de la princesse Borghèse à Sainte-Hélène, avec certitude d'être remises à Napoléon. Lord Holland pourrait être de même l'intermédiaire des réponses du prisonnier à sa mère et à sa sœur. Il ajoute que si toutes deux pouvaient adresser d'autres lettres, directement à lord Bathurst, ce serait du temps gagné, avec garantie d'arriver à destination. Lord Holland communiquera sûrement le bulletin du docteur O'Meara à Madame Mère et à son frère le cardinal Fesch. Il signe : Votre obéissant serviteur, HOLLAND.

Le lord comte Bathurst répond à lord Holland, le 19 mai 1817 :

Cher monsieur,

J'ai eu l'honneur de recevoir votre lettre, et sous le même pli, deux de Madame Bonaparte à son fils. Ces deux lettres étant doubles partiront l'une et l'autre par une voie différente. Cet envoi faisant partie, sans doute, de l'extrait de la lettre de Madame à votre adresse et que vous avez oublié d'y joindre.

Vous pouvez assurer Madame que ses lettres seront expédiées. Elle sera peut-être contente de savoir que la lettre confiée par elle pour moi au général Montagu Maitland, a déjà été expédiée comme celle d'Élisa, sœur de Bonaparte. Cette dernière lettre m'a été transmise, de la manière la plus simple de toutes, par un marchand de ce pays-ci.

La famille peut compter aussi sur la régularité de la transmission des réponses, pourvu qu'elles soient envoyées conformément à la règle établie. Mais les vaisseaux font aujourd'hui un trajet direct plus rare à Sainte-Hélène, parce que le transport des lettres subit un détour par le cap de Bonne-Espérance. De là un retard considérable. Ainsi, ajoute lord Bathurst, mes envois à Sir Hudson, datés du mois de novembre ne sont arrivés qu'au mois de mars à Sainte-Hélène. (Et il s'agissait des lettres de Madame à son fils !)

Vous devriez, sans aucun doute, conseiller à la famille de me remettre, à l'avenir, ses lettres directement. J'ai déjà prié lord Lucanto de lui en faire part, comme vous pouvez vous-même vous en rendre compte par la copie ci-incluse de ma lettre, en réponse à une dans laquelle Sa Seigneurie s'informe du sort d'un paquet de lettres confié à lui, parait-il par la famille. Ce sont les seules lettres dont j'aie connaissance et si, en réalité, d'autres ont été écrites, elles doivent avoir été égarées par le mode d'envoi.

Tout à vous,

BATHURST[7].

Plusieurs envois de sommes assez considérables et d'objets d'une valeur réelle, adressés au captif de Sainte-Hélène par Madame Mère, ne parvinrent pas plus que ses lettres, à leur destination. Il faut en excepter une somme de cent mille francs, demandée ou spécifiée par Napoléon lui-même, se plaignant du triste dénuement auquel ses ennemis le condamnaient.

Sa tendre mère, dont la sollicitude constante ne se lassait point, réussit encore à lui faire parvenir la collection en vermeil des ornements nécessaires à la chapelle de Longwood, afin qu'ils eussent une valeur vénale et pour en assurer le départ, elle les confia aux soins de l'aumônier de l'empereur, lorsqu'il se rendit à Sainte-Hélène.

Cette fois encore la vénérée mère trouvait dans la conscience de sa tendresse la plus noble réfutation des sottes critiques et des injustes reproches d'avarice dont elle dédaignait de prendre souci. Elle ne cessa, jusqu'à la fin de sa vie, de se priver pour elle du superflu, afin d'en réserver le bénéfice aux malheureux, et à ses enfants, les plus malheureux entre tous.

Tant d'inquiétudes pour celui qui avait eu la puissance de la fortune et se trouvait réduit, par l'oppression de ses ennemis, à n'avoir plus le nécessaire, tant de craintes maternelles avaient réagi sur le repos et la santé de Madame. Elle éprouvait le besoin de s'écarter de la ville de Rome et elle accepta, dans les premiers jours de juin, l'invitation de son cher fils Louis de se rendre à sa campagne d'Albano, où elle séjourna durant trois mois. Albano était le séjour d'été ou de villégiature le plus recherché des environs de Rome.

La pensée doit revenir de Rome à Sainte-Hélène, pour y retrouver, suivant l'ordre des dates, le souvenir de Madame Mère. Ce souvenir s'applique à l'intervention de l'honorable médecin de l'empereur et représente le docteur Barry O'Meara, d'origine irlandaise, attaché à l'escadre britannique d'observation, comme chirurgien-major. Il avait été détaché de ce service régimentaire, auprès de Napoléon, après avoir assisté à son départ de Plymouth, en passant du vaisseau le Bellérophon sur le Northumberland, en partance pour Sainte-Hélène. C'est à Sainte-Hélène que, dès son arrivée, l'empereur en exil reçut les premiers soins d'O'Meara et pressentit son mérite.

Le sympathique docteur, saisi de respect et d'admiration pour l'illustre captif, eut la pensée touchante d'écrire un Journal quotidien, commençant le jour de l'embarquement et destiné à la publicité.

Il fait mention de Madame, à la date du 10 juin 1817, dans les termes suivants[8] :

L'empereur a parlé ensuite de sa famille. Mon excellente mère, a-t-il dit, est une femme courageuse et de beaucoup de mérite ; son caractère est plus celui d'un homme que celui d'une femme ; il est fier, noble et altier. Elle vendrait tout pour moi. Je lui assignais un million par an, outre un palais, et beaucoup de présents que je lui faisais. C'est à la manière dont elle m'a élevé, dans mon enfance, que je dois principalement mon élévation. Mon opinion est que la bonne ou mauvaise conduite à venir d'un enfant, dépend entièrement de sa mère. Suivent les portraits de quelques autres membres de la famille.

Une lettre du cardinal donne des nouvelles de chacun d'eux à l'empereur dans la lettre suivante[9] :

Rome, le 17 juin 1817.

Votre mère vous a écrit trois fois, dans le mois de mai dernier. J'ai toujours cru inutile de vous écrire, lorsqu'elle vous écrivait, puisque j'étais son secrétaire ; mais aujourd'hui qu'elle est, depuis quelques jours à Albano, chez Louis, je ne veux pas laisser échapper une bonne occasion qui se présente, etc.

Madame a fait honneur à la recommandation du comte Bertrand, en faveur du chef d'escadrons Pionkowski et envoyée par des banquiers de Londres en copie, pour être présentée aux parents de Votre Majesté ; et poste courante, elle a fait remettre à Londres 6000 francs, pour tenir lieu de gratification d'une année de ses appointements qui lui sera fidèlement payée, si toutefois il a attendu à Londres, comme il y a lieu de le croire.

Madame jouit d'une santé assez bonne ; je suis toujours avec elle et je fais pour elle tout ce que mon cœur me commande. Tout au moins, elle est pleine de courage et d'espérance de revoir et d'embrasser Votre Majesté.

Toute la famille de Votre Majesté se porte bien : Élisa est établie à Trieste. Dans cette ville se trouve aussi le duc de Padoue, avec sa femme et ses enfants. Jérôme a acheté une propriété à trois lieues de Vienne, et Caroline en a acquis une autre à dix lieues de cette capitale. Julie avec ses filles est à Francfort. Joseph est établi entre Philadelphie et New-York ; Lucien voulait s'y rendre avec son aîné ; mais il n'a pas obtenu les passeports des alliés. Pauline est ici bien portante.

Madame a offert, dans toutes ses lettres, de partager avec Votre Majesté tout ce qu'Elle a ; et moi, j'ai l'ambition de lui offrir ma galerie, qui est, en ce moment la plus belle, etc.

Il n'y a qu'un gouvernement qui puisse l'acheter, etc.

A ces renseignements personnels du cardinal, s'ajoute une lettre touchante de Madame au prince de Metternich, sur le retour en Europe et l'arrestation d'un fidèle serviteur de Sainte-Hélène[10].

Albano, 30 juin 1817.

Une mère affligée saisit avec empressement tout ce qui peut alléger ses malheurs ; et je me réjouissais d'avance de recevoir des nouvelles de mon fils, lorsque j'appris l'arrivée à Milan de Santini, venant de Sainte-Hélène et poursuivant sa route jusqu'à Rome. Votre Altesse doit concevoir la peine où je me retrouve, me voyant privée d'une semblable consolation, puisqu'on m'assure que le gouverneur de Milan l'a enfermé à Mantoue.

Les lettres qu'il nous apportait avaient été lues en Angleterre et par le susdit gouverneur. Il ne pouvait pas y avoir de quoi troubler la tranquillité publique et l'homme qu'on a arrêté était trop prudent pour s'exposer à être surpris- dans ses discours. Que pourrait-il me dire, sinon m'informer exactement de l'état de mon fils, et aurait-on pu soupçonner que cette circonstance m'eût pu faire changer son état ?

Votre Altesse me permettrait-elle donc, qu'au nom de l'humanité je la supplie de faire mettre en liberté, pour qu'il puisse poursuivre son voyage, un homme qui n'a d'autre tort que d'avoir été fidèle à son maître et dont le voyage à Rome- avait pour but d'entrer à mon service et de me donner des nouvelles de mon fils ?

Je suis avec la plus haute considération, etc.

MADAME MÈRE.

... Napoléon, dit M. Thiers[11], avait reçu aussi de sa famille des lettres qui l'avaient vivement ému. Les unes lui disaient que son fils se portait bien et grandissait à vue d'œil, les autres que sa mère, sa sœur Pauline, ses frères désiraient le joindre à Sainte-Hélène, et mettaient leur fortune à sa disposition. Napoléon, très touché de ces offres, était résolu à les refuser. Se considérant à Sainte-Hélène comme un condamné à mort, il n'aurait pas plus supporté que sa mère et sa sœur y vinssent, qu'il n'aurait voulu les voir monter sur l'échafaud avec lui.

... Sachant qu'excepté le cardinal Fesch et sa mère, ses proches avaient à peine de quoi vivre, et ayant de plus 4 à 5 millions secrètement déposés chez M. Laffitte, il n'aurait pas consenti à leur être à charge.

Madame Mère, la reine Hortense, la princesse Pauline, avaient mis à la disposition de l'empereur tout ce qu'elles possédaient, et le roi Joseph, d'après Montholon, lui ouvrait un crédit considérable[12]. Il refusa ces offres généreuses.

Le 9 juillet 1817, Napoléon reçut en cadeau, du capitaine anglais Ephinston, divers objets de toilette de fabrique chinoise, que la police d'Hudson Lowe laissa passer. L'infortuné captif parut touché de ce souvenir et d'une lettre du capitaine, neveu de lord Keith. Napoléon destinait à Madame Mère, entre autres objets, un damier en ivoire ciselé, provenant de cet envoi[13].

Madame Mère au prince Jérôme[14].

Albano, 18 août 1847.

J'ai reçu votre lettre du 15 juillet. Je conçois les raisons que vous avez de garder le silence ; mais il faut écrire, comme si on écrivait des gazettes ; il en résultera toujours la consolation d'avoir des nouvelles des siens. Pour moi, je ne m'étonne que de voir qu'on ne soit pas rassasié de persécuter sans fruit. Écrivez-moi, toujours, malgré l'inquisition de tous les gens de la police ; je ne désire que savoir comment vous vous portez, vous, ma chère Catherine et votre enfant.

Je passerai les grandes chaleurs ici, dans une maison que Louis a acquise pour le bon air — et plus frais qu'à Rome. Louis est aux eaux de Monte-Catini, entre Pistoja et Lucques en Toscane. Il se porte bien, ainsi que tous les autres de notre famille.

Quant au cardinal, je connais sa position ; il n'a rien ; il fait comme il peut, pour tenir un état, mais il n'a rien. Il faut que vous attendiez que sa maison soit vendue, ainsi que ses effets. Il est inutile que vous la preniez ; il s'acquitterait avec autant d'empressement que vous, mais il faut que chacun se prête aux circonstances. Moi aussi j'aurais besoin de mes 300000 francs et des 150000 francs qu'on me doit ; mais il faut que je prenne patience, puisque je sais qu'on ne peut pas me rembourser, malgré que j'aie perdu l'espérance de retirer le prix de ma maison et que j'aie assez pour vivre avec une aisance convenable.

Adieu, mon très cher Jérôme ; je vous embrasse de tout mon cœur ; aimez-moi comme je vous aime.

Une lettre du Saint-Père au cardinal Consalvi datée de Castel-Gandolfo, 6 octobre 1817, pressant le prince régent d'Angleterre en faveur de Napoléon, ne parut avoir produit aucun effet. En voici le passage le plus important, inspiré par les instances de Madame Mère[15] :

La famille de l'empereur lui a fait connaître que le rocher de Sainte-Hélène est mortifère, et que le pauvre exilé dépérit à vue d'œil. Nous avons appris une semblable nouvelle avec une peine infinie et vous la jugerez comme nous, sans aucun doute, car nous devons nous souvenir qu'après Dieu, c'est principalement lui qui s'est dévoué au rétablissement de la religion dans le royaume vraiment grand de la France.

 

 

 



[1] Récits de la captivité de l'empereur Napoléon à Sainte-Hélène, par le général Montholon, 1847, t. II, p. 17.

[2] Souvenirs écrits par Lord Holland, publiés par son fils, à Londres, avec un avant-propos de Fr. Barrière, Paris, 1862.

[3] Correspondance de Napoléon Ier, éd. in-4° 1869, t. XXXI. p. 491.

[4] Copie autorisée à l'intention de cet ouvrage sur Madame Mère.

[5] Registre de correspondance du cardinal Fesch.

[6] Copie de cette lettre transmise sous toute garantie.

[7] Lettres de lord Holland. Voir l'Appendice, aux deux noms.

[8] Napoléon dans l'exil, ou Une voix de Sainte-Hélène, etc., par Barry E. O'Meara, son chirurgien dans cette île, 1823, t. II, p. 97.

[9] Registre de la correspondance du cardinal Fesch.

[10] Registre de la correspondance du cardinal Fesch.

[11] Histoire du consulat et de l'empire, t. XX, p. 665.

[12] Récits de la captivité de Napoléon, in-8°, 1847, t. II.

[13] O'Meara, Napoléon dans l'exil, etc., Londres, 1823, t. II.

[14] Registre de correspondance du cardinal.

[15] Mémoires du cardinal Consalvi, par Crétineau-Joly, 1866.