Secours aux victimes de l'attentat du 24 décembre. — Les conspirateurs découverts. — Lettres de Madame Bonaparte mère à ses enfants. — Actes officiels de bienfaisance. — Lettres de Madame à Lucien. — De Fesch au même. — Le concordat de 1801. — Lettre de Madame à son fils Louis. — Visites de Madame à ses fils Joseph et Lucien. — Recommandation pour son neveu Arrighi. — Démarche pour l'érection d'un monument à Charles Bonaparte. — Lettre de Madame au ministre de la marine. — Rappel des sœurs dans les hôpitaux. — Pensions aux veuves et aux orphelins de la guerre. — Réceptions de l'hiver. — Digne attitude de Madame Mère.Le 1er janvier, un arrêté des consuls ordonnait l'emploi d'une somme de 200.000 francs destinée à secourir les victimes de l'attentat du 24 décembre. Madame Bonaparte mère s'était fait un devoir d'y contribuer, si elle n'avait même pris l'initiative de cet acte de charité publique. Les conspirateurs de la machine infernale furent découverts, dans les premiers jours de janvier, tandis que le consulat s'occupait de soulager leurs victimes. Madame Letizia aurait voulu entretenir Lucien de ce sinistre événement, mais la crainte de lui exprimer toute sa pensée l'arrêta, pour adresser à son fils une lettre exclusive de sa tendresse maternelle. Observer, dans ses lettres, la plus complète réserve, tel était le sentiment dicté pour sa correspondance de famille. Au commencement de ce siècle, l'écriture de Madame Letizia était très lisible, dit son fils aîné[1]. Ses lettres, d'ordinaire, sont courtes et simples. Elle y passe en revue ses enfants, les peint, en peu de mots, les juge avec tact et ne paraît point éblouie de l'éclat de leur situation. Dans l'une de ses lettres, datée de l'an IX, à son fils aîné, elle lui donne des nouvelles de Caroline, soutenant bien sa grandeur et supportant avec courage le départ de son mari. Elle parle de Lucien, lui écrivant de Bayonne, d'abord, puis d'Elisa, restée dans la maison paternelle, en Corse, de Jérôme, parti mécontent ; de Paulette, se trouvant à Paris ; de Napoléon enfin, venant dîner chez sa mère, quand il lui plaît. Madame Letizia termine souvent ses lettres par ces seuls mots : Je suis votre mère, précédés ou non de ceux-ci : Je vous embrasse tendrement, écrits de sa main et, plus tard, elle abrège, en français, le langage du souvenir maternel en signant : Votre mère, afin de n'être pas embarrassée des formules variables de la langue. Pour ce motif et pendant longtemps, elle écrivit ou dicta ses lettres en italien. Deux œuvres d'humanité furent accomplies dans le courant de 1801, par décision du premier consul, avec l'assentiment de sa mère. Le premier de ces actes, d'après un arrêté du 2 février, était l'établissement d'un hospice divisé en deux, sur le Simplon et sur le mont Cenis. Le second bienfait réclamé par Madame Letizia et accordé, quelques mois après, par le premier consul, fut le rappel dans les hôpitaux des sœurs de charité, dont l'expulsion avait été l'œuvre des mauvais jours de la Révolution. Il faut joindre à ces deux actes de bienfaisance publique celui qui touchait autant la compassion de Madame veuve Bonaparte, en accordant des pensions aux veuves et aux orphelins de la guerre. Le consulat semblait représenter la restauration de la société française, tant il montrait de zèle et d'émulation, dans ce monde nouveau, à reproduire, à imiter les bonnes manières et le beau langage, si vite effacés par les taches sanglantes de 93. C'était une tendance vers la forme de la monarchie, bien avant la fondation de l'empire. Le premier consul, aux Tuileries, y annonçait l'empereur, tandis que sa noble mère en éprouvait le regret. Elle cherchait à s'isoler de plus en plus et n'assistait guère aux fêtes de cette cour nouvelle, dont elle fuyait le bruit et l'ostentation. Suit une lettre maternelle de Madame Letizia au citoyen Lucien Bonaparte, ministre plénipotentiaire à Madrid (lettre traduite de l'italien). Paris, 27 nivôse an IX. (17 janvier 1801.) J'ai reçu tes deux lettres, mon cher fils, me faisant savoir avec plaisir que tu vas bien et que tu es content, ce qui fait ma félicité. Mais ta contenance est pénible pour moi, je m'en console, en pensant à ton retour et au moment où j'aurai la satisfaction de te serrer dans mes bras, avec la petite Christine. Lolotte va bien et est contente. Je te dirai que mon portrait sera fini, je l'espère, dans deux jours, et je te le fais faire en grand pour le placer dans ta maison à Paris ; mais il n'est pas encore fini. — Toute la famille va bien. Louis a été malade, mais, à cette heure, il est mieux et, dans peu de jours, il sera de retour à Paris. — Jérôme est déjà embarqué, mais n'a pas encore écrit. Tu peux penser combien je suis inquiète, en voyant tous les miens dispersés : je ne veux pas t'en dire plus. Adieu, cher Lucien, je t'embrasse avec la petite Christine ; continue de me donner de tes nouvelles. — Mille choses, de ma part, à Bacciochi, auquel j'écrirai. — Je ne te parle point d'Élisa, elle va t'écrire : elle est la seule que je voie tous les jours. Adieu, une fois encore. Je suis Ton affectionnée mère, L. BONAPARTE. Cette lettre, écrite en italien, était entièrement de la main de Madame Letizia. Elle fut suivie d'une autre plus courte. La voici[2] : 2 germinal an IX (23 mars 1801). Mon cher fils, Je profite de l'occasion du citoyen Sappé, pour te donner de mes nouvelles. Je me porte bien et j'attends le moment de t'embrasser, avec Lili, Élisa et Lolotte ; elles sont aussi en bonne santé. Louis, qui est ici, te salue aussi. Le citoyen Brun t'aura remis une lettre avec les deux portraits. Dis bien des choses, de ma part, à Bacciochi. Je n'ai pas autre chose à te dire. Je suis ta mère affectionnée, L. BONAPARTE. Par post-scriptum à ce billet, suit la lettre écrite en français, par le cardinal Fesch à Lucien. La lettre de Madame Bonaparte est plus mesurée que celle de son frère, au point de vue politique. Paris, 2 germinal an IX (23 mars 1801). Je désire bien votre retour. Je pourrais alors partir de Paris, sans le chagrin de laisser ma sœur sans personne qui lui donne des soins particuliers. Mille raisons m'engagent à m'en aller à Ajaccio... Tout le monde se porte bien. Berthier a donné, hier, une belle fête, mais les ambassadeurs trouvent bien étrange qu'un gouvernement si puissant ait si peu de représentation. Je vous embrasse. Portez-vous bien. FESCH. Le concordat de 1801, conclu entre le premier consul et le pape Pie VII, mettait fin à l'anarchie régnante, depuis les atteintes portées à l'Église par la Révolution. Cet acte reconnu juste, rétablissait le culte catholique, en France, et semblait prendre origine dans l'éducation religieuse de Napoléon. La signora Letizia avait exercé sur lui l'influence de la vertu et de la morale chrétienne, en même temps que son grand-oncle l'archidiacre d'Ajaccio lui avait enseigné la doctrine professée par les frères minimes, à l'École de Brienne. Napoléon, pour produire ce manifeste politique, s'était rappelé les errements maternels de son éducation religieuse, dès le plus bas âge et ses sympathies pour les pratiques de la religion catholique : la prière, les chants d'Église, le son des cloches, les cérémonies de la Fête-Dieu, le culte des morts et le Te Deum de la victoire. Toutes ces saintes coutumes, enseignées à son fils, dès la première enfance, par la vertueuse femme qui l'avait mis au monde, avaient pu préparer, dans des proportions relatives, le grand acte du concordat. La mère s'en montra plus heureuse que des conquêtes guerrières de Napoléon ; c'était pour elle l'accomplissement de ses vœux, la conquête suprême de la paix. Madame Bonaparte mère adresse à son fils Louis, une lettre autographe en italien, datée de Vichy, 5 messidor an IX, ayant pour suscription : A Monsieur Louis BONAPARTE, colonel au 5e régiment de dragons, aux eaux de Barèges. » Cette lettre était signée : MADRE. Elle figurait avec d'autres lettres dans un cadre, à la Malmaison, comme un spécimen de l'écriture de Madame Bonaparte mère[3]. Joseph et Lucien Bonaparte se trouvaient à même de seconder, de leur influence fraternelle et filiale, les actes généreux de la politique du premier consul, espérés, sinon inspirés par leur mère. Le fils aîné passa presque tout l'été de 1801, dans son domaine de Mortefontaine. Les membres de sa famille, des amis et divers personnages éminents de l'époque étaient les bienvenus chez lui. Le voisinage de la Malmaison, où résidait Joséphine d'un côté, tandis que de l'autre, Plessis-Chamant, propriété de Lucien, rendaient faciles les relations des parents du premier consul. Madame Letizia venait voir ses fils, lorsqu'ils avaient peu de monde et retrouvait auprès d'eux ses joies intérieures, trop attristées par les troubles du dehors. Napoléon, déjà dominé par l'entraînement de son génie, aspirait au pouvoir suprême et s'y trouvait aussi porté par un concours d'influences diverses. Sa mère seule redoutait pour son grand fils le vertige de la toute-puissance, tandis que son fils aîné, montrait la sage réserve de son caractère, lui conseillant, de savoir attendre. Mais Lucien et leur mère ne semblaient point partager les aspirations du chef de l'Etat au rang de la toute-puissance. Madame surtout paraissait en redouter l'avenir et la fin. Revenons simplement à sa correspondance en 1801. Madame Bonaparte mère recommande, par une lettre du 1er fructidor an IX (19 août 1801) son neveu Arrighi, celui qui avait été atteint d'une glorieuse blessure au siège de Saint-Jean d'Acre et devait parcourir dans l'armée une brillante carrière. Napoléon n'oubliant pas qu'il était membre de l'Institut de France, encourageait les sciences, les lettres et les arts, par tous les moyens en son pouvoir. Il cherchait aussi à perpétuer, par des monuments, la mémoire des hommes illustres de son temps. Il reçut, à cet effet, de quelques notables habitants de Montpellier, par l'entremise de leur compatriote Chaptal, ministre de l'intérieur, une proposition susceptible de plaire au chef de l'Etat : c'était d'ériger un monument à son père, Charles-Bonaparte, décédé en 1785. Napoléon remercia les délégués de Montpellier, pour la mémoire de son père, mais il ne crut pas devoir accueillir leur demande, en disant qu'on ne devait point troubler le repos des morts. Lorsque la veuve de Charles Bonaparte eut connaissance de la démarche honorable faite pour la mémoire de son mari, elle ne put que l'approuver, en approuvant plus encore la judicieuse réponse de son fils Napoléon. Mais lorsque, plus tard, d'autres membres de sa famille eurent élevé un monument funéraire pour les leurs à Saint-Leu, près Paris, Madame Mère trouva très digne la décision prise par son fils Louis, de faire transférer là les restes de Charles Bonaparte, plutôt que de les laisser dans l'abandon et l'oubli, à Montpellier, ou dans un couvent inaccessible. Toujours fidèle à la mémoire de son mari et au souvenir des siens, Madame Letizia n'oubliait pas non plus ses compatriotes. Elle adressa la lettre suivante au citoyen Decrès, ministre de la marine[4] : Paris, 23 brumaire an X républicain (14 novembre 1801). Permettez, citoyen ministre, que je vous recommande la réclamation que vous adresse le comte Vincent Bastelica, d'Ajaccio, enseigne de vaisseau. Depuis longtemps, il est au service de l'État et il n'a pas été compris dans la nouvelle organisation de la marine. Il demande d'obtenir la réforme, avec le traitement affecté à son grade. Vous m'obligerez de faire droit à sa réclamation et de me faire part de la décision que vous prendrez à son égard. Je vous envoie l'état de ses services. J'ai l'honneur de vous saluer, BONAPARTE. L'hiver de 1801 à 1802, après les actes lugubres de conspiration qui l'avaient précédé, fut un hiver brillant par des fêtes offertes à toutes les classes de la société parisienne, désunies ou divisées jusque-là. Madame Bonaparte mère n'y paraissait que pour complaire à son fils le premier consul, en s'efforçant de prendre part aux efforts de chacun, afin de resserrer les liens des partis opposés entre eux, ou d'affermir la politique du chef de l'Etat. Les trois sœurs mariées de Napoléon, mesdames Élisa Bacciochi, Pauline Leclerc et Caroline Murat, brillaient à la tête de cette phalange mondaine, en cherchant, par leur grâce personnelle, à donner le ton de la mode élégante. C'était aussi, de leur part, la lutte des attraits avec Joséphine et Hortense. Une seule personne de la famille imposait à toutes la déférence et le respect, dans le milieu agité des fêtes, auxquelles, d'ailleurs, elle assistait rarement : c'était Madame Bonaparte mère, qui, en se montrant sévère à l'égard de ses propres filles, désapprouvait les goûts frivoles de sa belle-fille, épouse du chef de la République. |