Suite de la visite de Madame Letizia Bonaparte à Brienne. — L'aumônier de l'École et le souvenir reconnaissant de l'élève (devenu le premier Consul). — Le jour de la confirmation, présence d'esprit de l'élève Napoléon. — Il est couronné, à la distribution des prix, par le duc d'Orléans. — Lettre du fils à son père. — L'accent corse de la mère et du fils.Madame Letizia Bonaparte eut la satisfaction de voir son fils conserver, à Brienne, les sentiments de religion qu'il avait puisés dans la famille. Son directeur, l'aumônier de l'École, le père Charles, lui fit faire sa première communion et reçut, sous le consulat, une pension, avec une lettre reconnaissante du premier consul. Le jour de la confirmation, suivant la première communion, le jeune élève Bonaparte se rappelait la pensée de sa mère sur son saint patron, et manifesta sa présence d'esprit par une réponse instantanée. Le principal aumônier de l'École hésitait à administrer le sacrement, parce que le nom de baptême Napoléon ne figurait pas sur le calendrier. Mais, lui dit vivement l'élève, mis en cause, il y a un bien plus grand nombre de saints que de jours dans l'année ! Le père principal, surpris de cette réponse inattendue, confirma aussitôt son interlocuteur, qui, plus tard, on le sait, fixa le jour de sa fête à celle de l'Assomption. Madame Letizia, fêtée le même jour, fut heureuse d'apprendre comment son fils avait été confirmé. Elle était déjà fière de lui, lorsque la même année se produisit, à l'École de Brienne, un autre incident élogieux pour le jeune Napoléon. Le collège était en fête, pour la distribution annuelle des prix, sous la présidence extraordinaire du duc d'Orléans. L'élève Bonaparte ayant trouvé, pendant le cours de l'année scolaire, la solution de divers problèmes de géométrie, fut appelé à recevoir un prix et une couronne de Son Altesse Royale. Le prince, étonné du jeune âge du lauréat, lui dit avec bonté, en posant la couronne sur sa tête : Puisse-t-elle vous porter bonheur ! — Son Altesse, ce jour-là, dit M. Assier[1] d'après un document officiel, ne se doutait point que le lauréat de Brienne devait ceindre un jour, devant l'Europe, la couronne de Charlemagne. La mère seule de Napoléon ne devait pas être éblouie par l'éclat d'une si haute destinée. Une seconde lettre du jeune Napoléon, sans date précise, est adressée à son père, revenu des eaux. Cette lettre le félicite d'avoir emmené Joseph, qui est attendu à Brienne pour le 1er novembre. Il fait l'éloge du père Patrault, son digne professeur de mathématiques. Il s'occupe de l'Histoire de la Corse, et demande celle de Boswel. Puis Napoléon dit adieu à son père et présente ses respects à ses tantes (sans rien dire pour sa mère), en signant : Votre très humble et très obéissant fils, DE BUONAPARTE, cadet. Ce silence absolu à l'égard de sa mère paraît étrange et doit avoir sa raison d'être. L'original de la lettre a été communiqué par M. Braccini (d'Ajaccio) à M. Nasica (de Bastia)[2]. La copie en a été reproduite par deux auteurs de l'histoire de Brienne, Petit[3] et Assier[4]. Quant à l'explication du silence de cette lettre sur Madame Letizia, elle fait supposer que le jeune Napoléon avait adressé, en même temps, à sa mère, une lettre particulière, sinon confidentielle, soit en la priant de la brûler, soit en lui laissant ce soin. L'élève de l'École de Brienne, dans ses autres lettres à son père, ne manquait pas d'ajouter : Mes respects à maman, et signait de même : NAPOLÉON le cadet. A propos de Joseph et de Napoléon désignés à Brienne, un écrivain déjà cité ajoute[5] : Les biographes ont oublié de recueillir un mot vrai qui est un trait d'esprit et un trait de caractère. A l'exemple de sa noble famille et surtout à l'exemple de sa mère, le jeune Bonaparte adorait la France : bras, tête et cœur, tout était français en lui ; il n'avait d'étranger, comme sa mère, que l'accent italien de son origine corse : Laissez-là mon accent, disait-il avec un certain orgueil à son frère Joseph ; j'ai des lèvres françaises qui daignent se souvenir de l'Italie. Mais cet accent n'est pas le mien, il est à ma nourrice (n'osant pas dire : il est à ma mère). |