MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1777.

 

 

Naissance de Maria-Élisa Bonaparte. — Dépenses de la maison. — Une tante infirme de madame Letizia sollicite une inhumation de faveur dans les caveaux de la cathédrale. — Charles Bonaparte demande en vain au ministre de la guerre l'admission de son fils Lucien à l'École de Brienne. — Il reçoit une nouvelle délégation à Versailles.

 

Maria-Elisa, première fille de Charles et de Letizia Bonaparte, naissait bien viable celle-là, le 3 janvier 1777 à Ajaccio. Elle recevait de sa mère ce nom d'Élisa, en mémoire de la pauvre enfant, baptisée avec Napoléon et morte peu de jours après.

Pendant ce temps, le père, malgré son mérite et ses qualités, malgré sa tendresse conjugale, tâchait d'embellir la maison où sa chère Letizia faisait, à ses propres dépens, le moins de dépenses possible, non seulement pour les exigences du présent, mais encore en prévision de l'avenir. C'est là, on ne saurait trop le redire, l'origine de sa vertu de l'économie, dont on lui a fait, par la suite, un blâme fort injuste.

Le reproche d'avarice adressé à Madame Letizia Bonaparte peut s'expliquer par le reproche contraire, dû aux prodigalités de son mari ; car s'il avait quelque vanité de sa noblesse ; il aurait voulu plus de fortune, non seulement pour jouir d'un peu d'aisance, mais encore pour assurer à sa femme aimée le bien-être, à défaut de la richesse qu'elle n'avait pas recherchée. Elle songeait aux épargnes qu'elle pourrait assurer d'abord à ses enfants, et ensuite réserver aux pauvres. Mais si elle se trouvait privée de donner à ceux-ci des secours efficaces, elle tâchait de se rendre utile à tous, par son intervention.

Elle savait accueillir avec bonté les demandes des solliciteurs et beaucoup d'entr'eux en abusaient par les plus singulières fantaisies. Ses propres parents ne s'en faisaient pas faute. En voici un exemple raconté, à notre connaissance, par madame de Bressieux[1], autrefois dame de compagnie de Madame Mère, qui citait le fait comme un type de dévotion italienne : Une tante infirme de la signora se trouvait près de sa dernière heure et avait reçu les sacrements, avec une édifiante piété, lorsque, d'une voix affaiblie, presque éteinte, elle pria sa nièce d'user de son crédit, pour obtenir, du gouverneur de la Corse, une faveur insigne, la plus grande pour elle, après le paradis, qu'elle espérait bien gagner, disait-elle, de la miséricorde divine. Cette faveur était de reposer en paix, dans les caveaux de la cathédrale d'Ajaccio, parmi les personnages sanctifiés, dormant là, jusqu'au jour de la résurrection. Madame Letizia accéda volontiers à la demande singulière de sa tante in extremis et soumit la requête à l'appréciation du gouverneur, qui refusa de l'accueillir, eu égard aux règlements contraires. Mais il permit à la nièce de laisser quelque espoir à la tante, qui ne tarda pas à mourir satisfaite. Maintenant qu'elle est morte, disait le gouverneur, elle ne tient plus au privilège qu'elle demandait.

Tel est, en aperçu, le souvenir de l'anecdote racontée par madame de Bressieux et reproduite, avec quelques détails de plus, par le chevalier de Beauterne[2].

Les Mémoires de Bourrienne[3], à part les erreurs, disent que Charles Bonaparte présenta une requête à M. de Ségur, ministre de la guerre, pour obtenir de la bonté royale l'admission de son troisième fils (Lucien) à l'École de Brienne. Le père de Napoléon, explique, au nom de Madame Bonaparte et au sien, qu'il est presque réduit à l'indigence d'un côté, par l'entreprise du desséchement des salines et de l'autre, par le procès d'une succession soutenu contre les jésuites. Cette double requête ne pouvait être admise, et la mère dut multiplier ses efforts d'épargne, pour assurer les soins nécessaires à ses enfants.

Un événement de quelque importance survint à propos, en faveur de Charles Bonaparte, à la date du 8 juin 1777. Ce fut sa délégation par l'assemblée nationale des états de la Corse, avec le titre de Messer (Messire), pour faire partie d'une nouvelle députation auprès du roi à Versailles.

 

 

 



[1] V. l'Appendice, au nom de Bressieux.

[2] L'enfance de Napoléon, 1846.

[3] Mémoires de M. de Bourrienne, 1830.