HISTOIRE DE NAPOLÉON IER

TOME CINQUIÈME

 

CHAPITRE XI. — MAI-DÉCEMBRE 1811

 

 

ORGANISATION DE L'ARMÉE DE RUSSIE. - MESURES CONTRE LES RÉFRACTAIRES. CRISE INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE. - SESSION DE 1811. - NAISSANCE DU ROI DE ROME. - LE CONCILE NATIONAL. - D'UNE RUPTURE AVEC LA RUSSIE.

 

Ces négociations, toujours malheureuses même lorsqu'elles étaient couronnées de succès, parce qu'elles ne pouvaient nous donner que de fausses amitiés, ne devaient plus réconcilier personne avec une domination qui n'inspirait que des sentiments de haine et do méfiance. Elles étaient loin d'occuper la première place dans les préoccupations de l'Empereur. Une foule d'autres affaires non moins importantes se disputaient son attention. C'était en premier lieu le règlement des difficultés avec l'Église et la papauté, difficultés qui faisaient peu de bruit, mais qui entretenaient un trouble profond parmi les populations de l'empire, puis la désastreuse crise industrielle et commerciale, qui était la conséquence longtemps retardée, mais absolument fatale, des mesures du blocus ; enfin et surtout, c'étaient ses préparatifs militaires contre la Russie qui étaient alors son objet de prédilection, sa pensée de tous les jours et de tous les instants, le point principal, essentiel, unique, sur lequel il concentrait ses incomparables facultés d'organisation. Si l'on considère qu'il 'continuait à embrasser en même temps tous les détails de l'administration intérieure d'un si immense empire, à diriger de Paris les opérations militaires de l'Espagne et du Portugal, on ne sera pas étonné que son activité, quelque prodigieuse qu'elle fût, se soit trouvée inférieure à une telle tâche, qu'il ait été comme débordé par l'étendue, la multiplicité des affaires, et ne touchât plus à chacune d'elles que, pour ainsi dire, par accès, sans la suite et l'assiduité indispensables pour les bien mener.

Cet inconvénient était d'autant plus grave, que la qualité la plus nécessaire à la direction suprême d'un si vaste ensemble, c'est-à-dire la mesure, la sûreté, la justesse d'esprit, commençait à faire tout à fait défaut à son génie toujours puissant, mais excessif et désordonné. Aussi fécond que jamais en expédients, en combinaisons, en ressources de tout genre, d'une force de conception surprenante dans l'art de coordonner les moindres détails pour arriver à ses fins, il avait perdu, si toutefois il l'avait jamais possédé, ce tact délicat, ce sens supérieur, qui dans toute entreprise découvre à première vue les conditions du possible, et la limite qu'on ne peut dépasser. Mais dans l'ordre des choses militaires, où il s'agissait avant tout d'administrer et d'organiser les immenses ressources qu'il avait sous la main, où les opérations dépendaient moins d'une appréciation morale, que de calculs d'une rigueur presque mathématique, son génie se retrouvait tout entier avec une merveilleuse puissance de création et de travail. Depuis qu'il avait prévu et presque résolu la guerre avec la Russie, il s'était appliqué sans relâche à la formation d'une armée qui fût à la hauteur des gigantesques projets de domination universelle qu'il avait conçus, c'est-à-dire, telle que le monde n'en avait pas encore vu. D'après le nombre et la force de cette armée, on voyait bien, que même à ses yeux, ces plans chimériques étaient une violence faite à la nature des choses, et n'avaient d'autre chance de réalisation que la victoire. Mais s'ils n'avaient par eux-mêmes ni solidité, ni raison d'être, il voulait leur donner un appui matériel sans précédent. Sa politique ne s'était-elle pas toujours trouvée en contradiction avec la prudence comme avec l'esprit de son temps, et n'était-ce pas toujours son épée qui   avait tout réparé ?

Au fond, l'armée destinée à ce qu'il commençait à appeler « la guerre de Russie » était tout à ses yeux, et peu lui importait que cette guerre fût entreprise contre toute raison et contre toute justice, s'il croyait pouvoir la faire avec succès. La crainte d'être pris au dépourvu une fois passée, ce succès lui paraissait de moins en, moins douteux. Au mois de décembre 1810 la conscription lui avait fourni 120.000 hommes, montant de la levée de 1811, auxquels il convient d'ajouter 30.000 hommes levés à partir de quatorze ans pour la conscription maritime. Cette mesure avait été célébrée par les orateurs du sénat comme un trait de générosité exceptionnelle, parce que c'était la première fois, depuis bien des années, qu'une conscription n'était pas levée par anticipation. Personne ne songea même à remarquer quelle critique amère on faisait des institutions existantes, en considérant la stricte exécution de la loi comme un bienfait du prince. Ces recrues furent versées dans des cadres tirés des anciens corps de l'armée d'Allemagne. Grâce à ces renforts, les corps d'observation formés sur l'Elbe, sur le Rhin, en Italie, devinrent bientôt de véritables armées comprenant, le premier cinq, les deux autres quatre divisions. Un corps de réserve, composé de quatre autres divisions, fut formé dans le midi de la France à portée d'envoyer des renforts en Espagne ou en Italie selon les besoins En même temps tous les princes de la Confédération germanique furent mis en demeure de fournir leurs contingents. Ces préparatifs furent poussés avec une telle activité, qu'au mois de juin 1811, Davout, qui commandait le corps d'observation de l'Elbe, avait sous ses ordres 200.000 hommes prêts à marcher au premier signal. Son corps d'armée montait à 120.000 hommes, le roi de Saxe en avait 24.000, le duché de Varsovie 34.000, le roi de Westphalie 15.900[1]. Dans le même moment, le 16 juin, jour de l'ouverture de la session législative, Montalivet put imprimer dans son Exposé de la situation de l'Empire : « La France a 800.000 hommes sous les armes ! »

En dépit des dithyrambes officiels des rapporteurs du sénatus-consulte relatif à la conscription, sur l'ardeur et l'empressement que montraient les jeunes Français pour courir à la gloire[2], ces grands résultats ne s'obtenaient plus sans beaucoup d'efforts et de résistance. Le silence profond qu'on gardait systématiquement sur les pertes de nos armées d'Espagne n'avait pas empêché la vérité de se faire jour. Si l'on ne savait pas au juste à quel point cette guerre était peu glorieuse pour nous, on savait du moins combien elle était meurtrière, et c'était avec une sorte de stupeur qu'on en voyait surgir une nouvelle qui n'était justifiée par aucune nécessité ni par un intérêt quelconque. Les familles cherchaient par tous les moyens à soustraire leurs enfants au service militaire, et le nombre des jeunes gens qui s'y dérobaient par la fuite s'était accru dans des proportions inouïes. Deux faits suffisent pour réduire à leur juste valeur les complaisantes fictions des orateurs du sénat, le premier, c'est qu'en cette même année 1811, un remplaçant se payait déjà jusqu'à huit mille francs[3], ce qui représente aujourd'hui le double de cette somme ; le second, c'est que le nombre des conscrits réfractaires montait alors à près de 80.000 individus.

Ces délinquants formaient en quelque sorte le fonds de plusieurs années de révolte contre la loi ; ils or-fraient le scandale permanent d'une désobéissance qu'aucun gouvernement ne pouvait tolérer. Celui d'alors était armé contre eux au-delà du nécessaire, et s'il s'était contenté des moyens de contrainte que lui fournissait la loi, on ne pourrait que l'approuver d'avoir mis fin à cette rébellion. Mais ces moyens légaux, quelque cruels qu'ils fussent dans certains cas, étaient loin de suffire à l'impatience et à l'irritation de Napoléon. Ce qu'il lui fallait, c'était moins encore d'arriver à la répression du délit, que de parvenir à mettre promptement la main sur cette réserve aussi nombreuse qu'énergique, et à l'enrégimenter, n'importe à quel prix, dans son armée. Pour obtenir promptement ce résultat, le moyen le plus expéditif était d'intéresser le plus grand nombre de gens possible à l'arrestation du conscrit réfractaire. On y intéressa ses parents et ses amis en les frappant à cause de lui.

Cet expédient sauvage avait 'été imaginé et pratiqué par le directoire contre les insurgés vendéens. Le premier consul s'était fait gloire de l'abolir à une époque où il était clément par calcul. On ne se contenta pas de reprendre le principe de la loi des Mages autrefois si justement flétrie, on le généralisa en l'étendant non-seulement à la famille du conscrit réfractaire, mais à sa commune et parfois au canton tout entier. La pénalité était celle qui pouvait être le plus sensible aux pauvres. Elle consistait à loger, à nourrir, à payer sous le nom de garnisaires une certaine quantité de soldats, jusqu'à ce que le réfractaire eût fait sa soumission. Les père et mère, puis les frère et sœur, puis les personnes chez qui le délinquant avait bu, mangé et dormi, puis la commune elle-même, furent successivement rendus responsables d'un délit tout personnel[4].

Ces procédés, quelque impitoyables qu'ils fussent, n'opérant pas encore assez vite au gré de Napoléon, les garnisaires reçurent pour auxiliaires des colonnes mobiles, plus connues sous le nom de colonnes infernales, qui rançonnaient et terrorisaient tout un canton. Ces mesures furent efficaces, mais elles montrent ce qu'il en coûtait dès lors pour faire une grande armée, et à quel degré de lassitude la nation en était arrivée en dépit de ses goûts traditionnels pour la vie militaire. Tous les moyens étaient bons pour échapper à ce dur service, mais tous aussi pour y contraindre, et si la fuite était peu sûre, ni le rem- placement ni la réforme n'étaient une garantie d'immunité. Les remplacés comme les réformés étaient invariablement repris au bout d'un certain laps de temps dans de nouvelles catégories, et il n'était pas rare de rencontrer des jeunes gens qui avaient payé trois ou quatre fois de suite leur exonération, sans être plus sûrs pour cela d'être libérés définitivement.

On voit, par ce tableau fort abrégé des souffrances populaires, que la nation française payait déjà bien cher l'honneur, devenu d'ailleurs assez problématique, d'avoir donné un maître à l'Europe. Ce n'était pas tout pourtant, et les maux que lui infligeait le système continental étaient plus cruels encore. Que le blocus fût la cause directe et principale de la crise industrielle qui désola la France, pendant l'hiver de 1811, c'est ce qui ne peut être contesté sérieusement, bien qu'on puisse admettre que nos interminables guerres y ont aussi contribué pour une bonne part. Un des avantages que Napoléon avait découverts après coup dans cette étrange conception avait été de créer, en faveur de la France, une sorte de monopole industriel et commercial. Ses manufactures recevaient en effet au moyen des licences et des ventes après saisies, en coton, en bois de teinture, indigo, etc. les seules matières premières qui fussent admises sur le continent, elles seules par conséquent devaient garder le privilège de la fabrication ; et si elles n'avaient plus aucun débouché maritime, elles pouvaient du moins compter sur le marché de l'Europe. Il en était de même pour les autres denrées coloniales dont il avait entendu nous réserver le commerce exclusif, dans les conditions restreintes auxquelles il l'avait réduit.

D'après ces données, théoriquement fort rassurantes, nos manufacturiers s'étaient livrés à une production exagérée. De leur côté, les spéculateurs de toute espèce s'étaient disputé les approvisionnements de denrées coloniales, comptant sur la consommation européenne tout entière. Mais si le calcul paraissait juste en théorie, il devait se trouver faux dans la pratique, parce qu'on n'avait pas tenu un compte suffisant du renchérissement extraordinaire qui était la conséquence forcée du système. En premier lieu, les Anglais qui étaient devenus, par suite de nos mesures contre les neutres et de la suppression de toute concurrence, maîtres absolus du prix de ces marchandises, dont ils étaient presque les seuls détenteurs, les vendaient à des taux exorbitants aux possesseurs des licences. Ils leur faisaient payer jusqu'à quatre et cinq francs une livre de sucre qui leur coûtait cinquante centimes. Le négociant pourvu de licences n'avait donc sa marchandise qu'à un prix très-élevé. Il devait en outre ajouter à ce prix de revient d'abord celui des marchandises prohibées en Angleterre, qu'il avait dû jeter à la mer, parce que Napoléon le forçait à les exporter, ensuite les frais fort onéreux de la licence elle-même, et enfin ses propres bénéfices. On devine à quel prix devaient monter des produits chargés dans de telles proportions, avant même d'être entrés dans nos manufactures ou dans nos magasins. Ceux qui provenaient des saisies étaient également rendus inabordables pour les acheteurs par les droits successifs, et surtout par le droit de cinquante pour cent, dont les avait grevés Napoléon.

Le résultat fut ce qu'on devait prévoir, les marchandises ne se vendirent pas. Leur cherté équivalait à une prime donnée à la contrebande qui gagna tout ce que le commerce régulier perdit. Les manufactures cessèrent leurs travaux, les banques qui leur avançaient des fonds ne recouvrant pas leurs avances, se virent forcées de suspendre leurs payements ; et toutes les industries étant solidaires, toutes se trouvant atteintes par la guerre, celles qui semblaient le plus à l'abri des influences extérieures, comme l'industrie des laines et des soies, furent entraînées dans le commun désastre.

Napoléon s'efforça d'arrêter la crise au moyen de quelques millions dont il fit, l'avance aux négociants les plus compromis, sans tenir compte des sages représentations de Mollien et des hommes compétents dont il était entouré. On ne put jamais lui faire ad mettre que sa volonté, qui pouvait tant de choses, ne pouvait rien sur le crédit. Ces secours ne sauvèrent personne. Il prêta jusqu'à quinze cent mille francs à la fois à une seule maison[5] ; mais bientôt il se vit forcé de renoncer à cet expédient en présence de l'énormité des demandes.

Les commandes de fournitures militaires, de mobiliers pour les palais impériaux, apportèrent un faible adoucissement à la détresse des classes ouvrières ; mais toutes les ressources du gouvernement, eussent-elles été consacrées intégralement à conjurer le fléau, étaient fort insuffisantes pour relever les affaires. Le seul soulagement efficace de tant de misères eût été le retrait des mesures qui avaient amené la crise ; mais ce moyen était aussi le seul dont Napoléon ne voulait pas entendre parler. Le 25 mars 1811, les délégués de la Chambre de commerce, conduits par deux grands industriels de l'époque, Martin et Ternaux, ayant essayé de lui présenter quelques observations timides sur les remèdes à apporter aux maux de l'industrie et du commerce, il leur coupa la parole sans leur laisser dire un mot pour exposer leurs doléances. Alors il se livra à une longue et incohérente apologie du système continental et de sa politique en y mêlant, à l'adresse de la Russie, des menaces au moins fort inconsidérées dans un moment ou il s'attachait encore à la tromper, et à nier ses armements :

« Les commerçants se plaignaient comme toujours, et cependant c'était par leur faute que la crise était arrivée. ils avaient voulu s'enrichir à tout prix, s'enrichir trop vite, gagner une fortune comme on gagne une bataille, au lieu de compter sur les résultats toujours lents du travail et de l'économie. Ils ne devaient s'en prendre qu'à eux-mêmes s'ils étaient, victimes de leur propre avidité. Quant à lui, il était resté fidèle à son système qui était de réduire l'Angleterre. On s'était beaucoup moqué de ses décrets de Berlin et de Milan, et cependant aujourd'hui l'Angleterre déclinait, elle était exclue ! Il possédait les côtes de toute l'Europe, il bâtissait vingt-cinq vaisseaux par an, avant peu il aurait une marine de deux cents vaisseaux, et l'Angleterre serait forcée de se soumettre. Jusque-là malheur aux Etats du continent qui refuseraient de le seconder I Toutes les trames que les Anglais essayeraient de nouer avec ces puissances il les couperait avec son épée il réunirait ces Etats comme il avait réuni tous ceux qui lui avaient résisté. A Tilsit, il avait fait grâce à l'Empereur de Russie en retour de ses promesses de concours, mais si ces promesses n'étaient pas tenues, il irait au besoin à Riga, à Moscou, à Pétersbourg ! il n'était pas un simple roi de France, il était l'Empereur du Continent, il avait deux cent millions dans les caves des Tuileries. La France était le pays le plus riche du globe, et dans aucun cas il ne changerait quoi que ce soit à son tarir des douanes, on devait se le tenir pour dit. »

Ces divagations, qui touchèrent à tout excepté à ce qui faisait l'objet précis des doléances du commerce, n'eurent d'autre effet que d'apprendre aux auditeurs interdits de Napoléon qu'à côté de son ancienne idée fixe de réduire l'Angleterre en affamant l'Europe, une autre préoccupation commençait à hanter le cerveau impérial, celle d'aller chercher un nouvel ennemi aux extrémités du continent. Les menaces dirigées contre la Russie dans cette malheureuse allocution eurent un immense retentissement à l'étranger. Pendant quelque temps les chancelleries et les gazettes ne furent occupées qu'à en reproduire les variantes, et cette impression parut si fâcheuse à l'Empereur lui-même, qu'il en fit publier un résumé qui équivalait à une sorte de rétractation.

Il était d'ailleurs exact, comme il l'avait avancé, que la crise continentale s'était répercutée en Angleterre. Ce pays ne pouvait en effet ne pas se ressentir des souffrances de l'Europe au moins par contre-coup ; mais il souffrait de l'encombrement et du trop-plein, ce qui n'est pas la même chose que de souffrir de la détresse. Ses Docks, qui étaient devenus l'entrepôt du monde entier, regorgeaient de marchandises, principalement en sucres et en cafés. L'industrie du coton avait seule été atteinte sérieusement par suite de spéculations imprudentes[6]. En France, l'encombrement n'existait que chez quelques manufacturiers, et chez quelques détenteurs privilégiés des denrées coloniales, partout ailleurs, c'était un profond dénuement, un appauvrissement continu. En Angleterre, c'était chez toutes les classes industrielles et commerçantes, une accumulation inouïe de richesses et de produits de tout genre, qui Momentanément ne trouvaient pas des débouchés suffisants, bien que toute concurrence eût été détruite à leur profit, mais qui étaient assurés de les trouver un peu plus tard. La preuve en était dans cette inépuisable puissance de crédit qui permettait à l'Angleterre d'emprunter un milliard par an, problème difficile, que le maître de l'Europe n'aurait certainement pas résolu à son honneur.

Au moment de la plus grande intensité de la crise, le 20 mars 1811, était né cet enfant dont Napoléon avait annoncé la naissance avant même d'avoir épousé Marie-Louise, comme si la nature elle-même était une sujette trop heureuse de lui obéir. Les mêmes acclamations qui avaient salué le mariage impérial retentirent autour du berceau du roi de nome, car depuis longtemps déjà l'enthousiasme n'était plus qu'un mécanisme savamment organisé dont on réglait à volonté le fonctionnement ; Mais les espérances pacifiques, qu'on avait fondées sur le mariage autrichien, avaient été trop cruellement déçues pour qu'on pût s'y livrer de nouveau, et la confiance lit cette fois complétèrent défaut aux manifestations de l'allégresse officielle. Jamais événement ne fut plus chanté, plus célébré, dans les temples, les palais et jusqu'au fond des plus obscurs villages. Les cent et un coups de canon qui l'annoncèrent à Paris furent répétés de Danzig à Cadix, dans toutes les localités où nous avions un régiment et une batterie. Wellington raconte dans sa correspondance, avec un étonnement qui n'est pas exempt d'ironie, qu'un officier français vint le prévenir de la part de Masséna, alors en pleine retraite, de la signification inoffensive de ces décharges d'artillerie. Malgré l'avertissement, il crut, dit-il, à une attaque, tant cette démonstration joyeuse lui paraissait invraisemblable de la part d'une armée si effroyablement éprouvée. Combien de fois ces mêmes canons et ces mêmes soldats n'avaient-ils pas annoncé au monde nos serments de « guerre éternelle aux tyrans ! » Comment croire qu'ils proclamaient aujourd'hui autre chose que notre éternelle mobilité ? Et si, comme on le disait avec une foi bien surprenante, la naissance de l'héritier impérial assurait la perpétuité du régime, quelle espérance pouvaient concevoir ces malheureux de voir jamais finir leurs maux ?

Le Sénat et le conseil d'État firent entendre à cette occasion leurs adulations accoutumées : « Nous venons les premiers, dit le président du. Sénat, faire retentir jusqu'aux pieds du trône ces transports de ravissement, et ces cris d'allégresse que la naissance du roi de Rome fait éclater dans tout l'empire. Vos peuples saluent par d'unanimes acclamations ce nouvel astre qui vient de se lever sur l'horizon de la France, et dont le premier rayon dis3ipe jusqu'aux dernières ombres des ténèbres de l'avenir[7]. » Toute la harangue sénatoriale était sur ce ton extatique, et si j'en cite ce passage, ce n'est pas qu'on doive y voir une hyperbole exceptionnelle, mais c'est qu'on n'aurait pas une juste idée de l'abjection des pouvoirs publics à cette époque, si je ne reproduisais l'accent et la note dominante du langage officiel. On peut juger par-là de l'essor que dut prendre l'imagination des poètes tenus par état d'aller plus loin encore. Au-dessus des astres il n'y avait que les dieux, et c'est là en effet qu'ils allèrent chercher leurs comparaisons en saluant la venue du nouveau Messie[8]. Le Moniteur publia d'innombrables paraphrases d'un vers fameux :

Jam nova progenies cœlo dimittitur alto.

« L'éclair luit, le ciel s'ouvre et t'offre ton image

Sous les traits de ton fils[9]. »

Le Corps législatif n'ayant été convoqué que deux mois plus tard manqua ainsi l'occasion de se distinguer par son émulation à flatter le maitre. En revanche, il fut un peu plus tard admis à l'honneur insigne de présenter ses hommages à l'enfant lui-même. Le président de ce corps législatif, qui était le descendant direct de la Constituante et de la Convention, vint, à la tête d'une députation choisie, haranguer cet enfant âgé de deux mois ; il lui parla du dévouement de l'Assemblée ; il reçut et transmit à ses collègues la réponse de la gouvernante ! Voici dans quels termes il leur rendit compte de cette glorieuse mission : « Nous lui avons, messieurs, porté l'expression de vos sentiments les plus tendres en y mêlant les vœux que l'amour de nos enfants peut nous inspirer. Mme la gouvernante les a reçus et nous en a remerciés au nom du jeune prince, en regrettant sans doute de ne pouvoir joindre ses sentiments personnels à ceux qu'elle exprimait au Corps législatif[10]. »

Ce discours prononcé sur le berceau du roi de Rome fut à peu près l'œuvre la plus considérable de la session législative de 1811. Napoléon, comme nous l'avons déjà dit, avait depuis longtemps l'arrière-pensée de supprimer le Corps législatif, comme il avait supprimé le tribunat. Avant de frapper cette ombre d'assemblée, il voulut que tout le monde fût bien convaincu de son inutilité. Il lui retira ainsi progressivement toutes ses attributions effectives, suppléa aux lois par des décrets, par des sénatus-consultes ou même par de simples arrêtés, et il en arriva enfin à ne lui rien laisser faire. En 1811, la démonstration fut aussi complète que possible. Aussi ne prit-il plus la vaine précaution de convoquer en 1812 le Corps législatif, dont l'absence fut à peine remarquée, tant, le public avait été habilement préparé à la suppression de ce rouage inutile. Les procès-verbaux de la session de 1811 sont un des monuments historiques qui en disent le plus long sur l'esprit des institutions napoléoniennes, et sur le rôle que Bonaparte voulait assigner à la représentation nationale, car c'est seulement alors que, de perfectionnement en perfectionnement, le Corps législatif arriva à la forme définitive qu'il lui avait toujours réservée, c'est-à-dire au néant absolu. Les comptes rendus des vingt séances dont se compose la session n'occupent pas cinquante pages.

Le budget, qui est la seule affaire importante dont l'Assemblée se soit occupée, est adopté et voté en une séance, sur un rapport de quelques lignes du député Mollérus, et sans qu'un seul orateur ait demandé la parole[11]. Les autres séances sont occupées par le message de l'Empereur, par l'exposé de la situation de l'empire, œuvre du ministre Montalivet, par la nomination du bureau, par des comptes rendus d'ouvrages offerts au Corps législatif, par des éloges des députés décédés, enfin par des lois autorisant des aliénations, acquisitions ou échanges de biens communaux, qui sont la seule tâche législative qu'on ait laissée aux représentants de la nation. Cela fait, les députés se retirent avec autant de résignation qu'ils en ont mis à venir, reconduits avec des hommages ironiques, mille fois plus blessants dans leur pompe dérisoire que ces baïonnettes dont on leur poussait la pointe au visage lorsqu'on les chassait de l'orangerie de Saint-Cloud.

En raison même de la nullité de cette session législative, les deux manifestes impériaux qui en signalèrent l'ouverture ne furent que plus remarqués. Après un coup d'œil jeté sur la situation de l'Europe, sur les nouvelles réunions de territoires, qui étaient présentées comme la conséquence toute naturelle « des principes adoptés par le gouvernement anglais, y et enfin sur l'affaiblissement progressif de « l'insurrection espagnole, » l'empereur faisant allusion aux dernières batailles livrées par Wellington, s'écriait : Le sang anglais a enfin coulé à grands flots !... Ce cri du cœur eut en Europe un long retentissement. Bien loin de se rendre compte de la force que l'Angleterre venait de communiquer à la résistance espagnole, en s'engageant à fond dans la péninsule, il n'y voyait que la certitude de la vaincre en Espagne au lieu d'avoir à la poursuivre sur les mers. Il prédisait déjà le jour où « la moitié de ses familles étant couvertes du voile funèbre, un coup de tonnerre vengerait l'Europe et l'Asie en terminant cette seconde guerre punique[12]. » C'était là tout l'enseignement qu'il avait retiré des graves événements qui venaient de s'accomplir dans la péninsule.

L'exposé de la situation de t'empire, qui fut lu dans la séance du 29 juin, n'était que la paraphrase du message impérial, mais sa rédaction froide et positive laissait encore mieux voir la profondeur des illusions de Napoléon. Il contenait surtout un examen comparé de la situation de la France et de l'Angleterre d'un optimisme qui était effrayant à force de parti pris. Chez nous tout allait pour le mieux, le système continental n'avait rien changé à notre situation, la prohibition des marchandises anglaises nous avait donné le continent pour débouché, enfin la France pouvait rester dix ans encore dans la même situation, sans augmenter sa dette et en faisant face à toutes ses dépenses. L'Angleterre, au contraire, avait fermé la moitié de ses comptoirs, elle empruntait 800 millions chaque année, elle n'avait d'autre ressource que la banqueroute ; nous allions bientôt avoir cent cinquante vaisseaux de ligne pour lui imposer la paix « Cette paix nous serait utile sans doute, mais elle était bien plus désirable pour nos ennemis que pour nous[13] ! »

L'exposé faisait allusion comme le message aux différends de Napoléon avec le Saint-Siège, sans laisser soupçonner toutefois à quels excès il s'était porté envers la personne du Pape : « Si la moitié de l'Europe, avait-il dit non sans vérité, s'est séparée de l'Église de Rome, on peut l'attribuer spécialement à la contradiction qui n'a cessé d'exister entre les principes de la religion qui sont pour tout l'univers, et des prétentions et des intérêts qui ne regardaient qu'un très-petit coin de l'Italie. J'ai mis fin à ce scandale pour toujours. J'ai réuni Rome à l'empire. J'ai accordé des palais aux papes à Rome et à-Paris. S'ils ont à cœur les intérêts de la religion, ils voudront séjourner souvent au centre des affaires de la chrétienté. C'est ainsi que saint Pierre préféra Rome au séjour de la Terre Sainte. » Montalivet acheva de déchirer le voile en annonçant que « le refus du Pape d'instituer les évêques nommés par l'Empereur avait rendu nul le concordat, qui n'existait plus[14]. »

Une grande partie du public connut ainsi pour la première fois la gravité d'une querelle, dont jusqu'à ce moment il remarquait à peine l'existence. On lui apprenait en même temps qu'un concile, qui devait être tenu à Paris, allait décider « si la France serait comme l'Allemagne sans épiscopat. » Que s'était-il donc passé entre le Pape et l'Empereur, pour que l'auteur du concordat vînt proclamer lui-même le néant d'une transaction, dont ii s'était tant de fois glorifié comme d'un chef-d'œuvre de sagesse ? Pour que l'implacable ennemi de la discussion et des assemblées en vint spontanément à convoquer un concile, qui allait être comme les états généraux de l'Église de France ?

C'est que les démêlés de Napoléon avec le Saint-Père avaient pris, dans ces derniers temps, un tel caractère d'exaspération, par suite de la patiente ténacité du pontife et de la violence de l'Empereur, que les conseillers de ce dernier l'avaient déterminé à force d'instances à adopter ce terme moyen. On le détourna ainsi des fâcheuses extrémités auxquelles il avait été sur le point de se laisser entraîner. Aucune résolution, aucun acte nouveau de la part de Pie VII n'avaient provoqué ces emportements. Dans la dure captivité où on le maintenait à Savone, séparé de tous ses conseillers, dépouillé non-seulement de tous ses privilèges, mais de tous ses droits, le Pape continuait à se servir de la seule arme qui lui eût été laissée pour revendiquer sa liberté, il refusait d'instituer les évêques nommés par l'Empereur. Pour le forcer dans cette position toute défensive, Napoléon avait imaginé un moyen fort ingénieux de procurer à ses évêques nommés une sorte d'institution provisoire. Il obligeait les chapitres à les élire comme vicaires capitulaires, ce qui leur conférait un droit intérimaire d'administrer les diocèses. Cet expédient, qui permettait de se passer de l'institution du Pape, eût à la longue neutralisé son opposition, si Pie VII n'avait intimé aux chapitres une défense expresse d'élire les évêques nommés comme vicaires capitulaires. Cette démarche, qui n'excédait en rien ses attributions spirituelles, et qui n'était qu'une mesure conservatrice d'un droit incontestable du Saint-Siège, est la seule que se fût permise le prisonnier de Savone depuis les ouvertures que Napoléon lui avait fait faire, par l'entremise des cardinaux Spina et Caselli à Savone.

Parmi les chapitres avertis, se trouvaient notamment les chapitres de Florence, d'Asti, et celui de Paris, déjà en lutte depuis quelque temps contre son évêque nommé et non institué, le cardinal Maury, instrument docile et complaisant des vues de Napoléon. Ce prélat fut en quelque sorte mis en interdit par la défense pontificale, qui trouva au sein du chapitre des propagateurs ardents et dévoués. A la fête de ces hardis opposants se distinguait le chanoine d'Astros, grand vicaire capitulaire, à qui était échu le dangereux honneur de recevoir les communications de Pie VIT. Brusquement interpellé, en présence de toute la cour et des grands corps de l'État, par Napoléon qui soupçonnait ses menées, l'abbé d'Astros se troubla devant les menaces et les invectives de l'Empereur. ; Son arrestation fut, immédiatement résolue. Au sortir de l'audience, Maury le conduisit lui-même dans sa voiture chez Savary. Le ministre, chargé de l'arrêter, avait confié au cardinal cette honorable mission, afin d'éviter tout scandale[15]. La circonvenu par les ruses du ministre de la police, d'Astros finit par avouer non-seulement qu'il avait reçu les brefs du Pape, mais qu'il les avait communiqués à son cousin Portalis, le conseiller d'État, directeur de la librairie. Portalis avait en effet reçu cette confidence, mais loin de propager le document incriminé, il en avait signalé l'existence au préfet de police Pasquier qui était son ami, et on ne pouvait lui reprocher d'autre crime que de s'être abstenu de dénoncer son parent d'Astros.

Mais Napoléon voulait arrêter d'un seul coup ce qu'il appelait « la lutte scandaleuse de la prêtraille contre son autorité[16] ». Il s'inquiétait fort peu du plus ou moins de légitimité des ses griefs, lorsqu'il avait résolu de produire un grand effet d'intimidation. Plus celui qu'il voulait frapper occupait un rang élevé dans l'élite des fonctionnaires, plus le choix de la victime convenait à ses desseins. C'était bien en effet au sommet de la hiérarchie qu'il fallait viser pour que le coup eût toute sa portée et tout son éclat. Le 4 janvier, en plein conseil d'État, après quelques vagues plaintes au sujet des trames ecclésiastiques, il apostropha tout à coup le magistrat tremblant, lui reprocha en termes sanglants son ingratitude et sa trahison, puis sans lui laisser le temps ni de se défendre ni de se remettre de son trouble, lui intima l'ordre de sortir de la salle du conseil et de n'y jamais reparaître. Le malheureux Portalis, d'abord anéanti comme un homme frappé de la foudre, balbutia quelques paroles sans suite et s'éloigna la tête perdue, laissant ses collègues, muets d'épouvante et d'humiliation, en tête à tête avec le courroux impérial qui s'éteignit dans le vide et le silence. Pasquier seul osa dire quelques mots en faveur du conseiller disgracié, et rappela, non sans courage, la confidence qu'il avait reçue.

Cette scène à grand fracas était destinée à avertir. les fonctionnaires, et les magistrats de tout ordre, qu'on attendait d'eux une obéissance qui devait aller au besoin jusqu'à la dénonciation de leurs propres parents. Des mesures encore plus significatives prouvèrent au clergé qu'on frapperait impitoyablement les ecclésiastiques, qui préféreraient obéir au Pape plutôt qu'à l'Empereur. D'Astros avait été emprisonné à Vincennes où il fut détenu jusqu'à la fin,' de l'empire. Les cardinaux di Pietro, Oppizoni, et Gabrielli, convaincus d'avoir répandu les manifestes du Pape, y furent enfermés comme lui. Les meneurs des chapitres d'Asti et de Florence, reconnus coupables du même délit, furent jetés dans les cachots de Fenestrelle, où se trouvaient déjà le cardinal Pacca et beaucoup d'autres ecclésiastiques.

Mais ce n'était rien de frapper les instruments, si l'on n'atteignait aussi la main qui les avait dirigés. Ces hommes n'étaient après tout que des complices ; le véritable criminel, aux yeux de Napoléon, c'était le Pape, et quel nouveau châtiment infliger à un souverain qu'il avait déjà dépouillé de ses États, et réduit à la plus dure captivité ? Dans le premier moment, l'Empereur songea à faire déposer Pie VII, non plus comme prince mais comme pontife. On a de lui, adressée à son bibliothécaire Barbier, et datée du lendemain même du jour où il avait chassé Portalis du conseil d'État, une note dans laquelle il s'informe « s'il y a des exemples d'empereurs qui aient déposé des Papes[17]. » En attendant que ce doute fût éclairci, il donna des ordres pour que le prisonnier de Savone fût traité avec la dernière rigueur ; il fit supprimer le peu de confort qu'on avait laissé à sa maison, et assimiler sa pension à celle d'un employé de quatrième ordre. On le garda à vue, on lui retira ses voitures, on lui interdit toute communication et toute correspondance avec le dehors, on emprisonna son confesseur et ses serviteurs les plus intimes, on saisit ses papiers, on lui enleva son écritoire, ses plumes, son bréviaire et jusqu'à une bourse en peau qui contenait quelques pièces d'or. Enfin pour couronner dignement ces outrages, on lui fit demander, par le capitaine de gendarmerie Lagorse, l'anneau du pêcheur, que les agents chargés de la perquisition n'avaient pas su découvrir. Telle fut la lâche et basse persécution à laquelle osa recourir, contre un vieillard infirme et sans défense, l'homme qui devait un jour faire tant de bruit des rigueurs de la captivité de Sainte-Hélène, toujours si clémente lorsqu'on la compare aux traitements dont il usa envers ses adversaires[18].

Ces mesures d'intimidation, quelque terrifiantes qu'elles fussent pour un clergé qui ne brillait pas par la fermeté, ne résolvaient rien et la difficulté restait entière. Le chapitre de Paris protesta de sa soumission et de son dévouement dans une adresse sans dignité ; les chapitres d'Italie imitèrent son exemple avec une complaisance servile. Mais les siéger épiscopaux n'en restaient pas moins vacants, faute de l'institution canonique. Dans son impatience d'en finir, Napoléon eût volontiers fait trancher la question par le sénat. Ses conseillers lui représentèrent que cette assemblée n'aurait peut-être pas aux yeux des catholiques toute la compétence désirable. C'est ainsi que l'Empereur fut insensiblement amené à l'idée, si extraordinaire à première vue, de convoquer un concile. Il avait toujours trouvé les ecclésiastiques si faibles et si dociles qu'il se croyait certain de dominer toute assemblée générale du clergé, de la transformer en une sorte de corps législatif pour les affaires spirituelles. Le concile bien dirigé mettrait fin aux difficultés existantes, il écarterait tout danger de schisme, il lui permettrait de se passer du Pape et peut-être de gouverner l'Église.

Avant de prendre une résolution aussi grave, il convenait toutefois d'arrêter d'abord, le plus nettement possible, le programme des questions à sou- mettre au concile, et de s'enquérir des chances de succès qu'on pourrait avoir. Pour s'éclairer à cet égard, Napoléon fit consulter le comité ecclésiastique, dont il modifia la composition en y introduisant quelques prélats selon son cœur, tels que le cardinal Caselli et l'abbé de Pradt, archevêque nommé, mais non institué, de Malines. Les questions posées au comité étaient celle mêmes qui devaient l'être plus tard au Concile. Toute communication se trouvant interrompue avec le Pape, à qui fallait-il s'adresser pour obtenir soit les dispenses dont il disposait, soit l'institution canonique qu'il refusait aux évêques nommés ? En ce qui concernait les évêques, la question était des plus embarrassantes et des plus complexes.

Les formes de leur intronisation avaient en effet beaucoup varié dans le passé. Mais à quelque époque qu'on remontât, on y trouvait toujours la double intervention de l'élément laïque et de l'élément ecclésiastique. Au temps même de l'élection des évêques, si c'étaient les fidèles qui nommaient, c'était le métropolitain qui instituait. Il y avait toujours là le concours simultané de deux pouvoirs distincts et indépendants l'un de l'autre. Or, ce que Napoléon voulait au fond, c'était la suppression de l'un de ces éléments au profit de l'autre, car dans l'organisation actuelle des pouvoirs politiques et religieux, le métropolitain n'avait plus l'indépendance suffisante pour exercer l'autorité que tant de révolutions successives avaient dévolue au Pape. On n'aurait pu rendre l'institution au métropolitain qu'en l'affranchissant de tout lien de dépendance envers l'autorité civile, et encore l'Église seule avait-elle, aux yeux des catholiques, la compétence nécessaire pour sanctionner un pareil retour aux traditions primitives.

La difficulté n'était pas nouvelle. C'était la même, au fond, que celle qui avait entravé les efforts de la Constituante, au moment où elle décréta la constitution civile du clergé. Depuis lors, elle s'est produite bien souvent, sous une forme ou sous une autre, et comme elle ne peut être résolue que par l'indépendance réciproque de l'Église et de l'État, il n'est pas surprenant qu'aujourd'hui encore, des gouvernements, plus soucieux de leur autorité que de la liberté des cultes, l'aggravent en s'imaginant en venir à bout par des coups de force. Les membres du comité ecclésiastique de 1811 ne pouvaient se faire illusion sur la vraie portée des prétentions de l'Empereur, mais ils avaient un immense désir de ne pas déplaire, et leur réponse peu concluante porta l'empreinte de ce double sentiment. Ils exprimaient leur profonde douleur de voir toutes communications rom- pues avec le Pape, « centre de l'unité ecclésiastique », leur espérance de les voir se rétablir. Ils pensaient que des conciles provinciaux pourraient donner l'institution, si le Pape la refusait « sans alléguer de raison canonique », mais c'était à un concile national qu'il appartenait de décider la question. Ils en appelaient donc la réunion de tous leurs vœux, mais après qu'on aurait envoyé au Pape une députation, pour l'éclairer sur les besoins de l'Église de France[19].

En dernière analyse, le comité n'avait fait qu'indiquer la procédure à suivre, pour arriver à une conciliation qu'il conseillait sans l'espérer. Le plus éclairé et le plus éminent de ses membres, l'abbé Émery, ne dissimula nullement à l'Empereur, que selon toute probabilité, le Pape ne renoncerait jamais à son droit d'institution[20]. Ce fut donc sans beaucoup d'illusion, et plutôt avec l'arrière-pensée de rejeter tout le mal sur l'obstination du pontife qu'avec l'espoir de le convertir à ses vues, que Napoléon se décida à lui envoyer la députation. Il n'en prit pas moins les plus savantes précautions, pour profiter du trouble d'esprit où l’avaient jeté les mesures d'intimidation adoptées contre lui.

Il voulut que la démarche des évêques lui fût présentée comme une résolution toute spontanée de l'épiscopat français, que le programme du concile, dont Napoléon était le seul auteur, eût l'air d'une sorte d'ultimatum adressé au Saint-Père par l'Église de France, au moment de rompre avec Rome. Pour créer une apparence si propre à ébranler l'imagination du prisonnier de Savone, il eut soin de fixer l'époque de la convocation du concile, avant le départ de la députation, par une circulaire qui était un véritable acte d'accusation contre Pie VII. Il semblait ainsi avoir pris d'avance son parti d'une rupture considérée comme inévitable, et ne lui laissait d'autre alternative que celle de se soumettre ou de tout refuser. Il fit en outre signer par dix-neuf évêques, réunis chez le cardinal Fesch, et qui semblaient exprimer l'opinion du clergé français tout entier, une sommation des plus nettes, dans laquelle ces prélats suppliaient le Souverain Pontife « de ne pas réduire l'Église de France à l'extrémité si fâcheuse de pourvoir elle-même à sa propre conservation[21] ». La menace était très-directe, bien qu'elle fût déguisée sous la forme d'une prière.

Les trois évêques, désignés pour se rendre auprès -du Pape, étaient plus connus par leur science théologique et leurs talents distingués que par leur indépendance de caractère. C'étaient l'archevêque de Tours, de Barrai ; l'évêque de Nantes, Duvoisin, et l'évêque de Trèves, Mannay. ils avaient pour instruction d'offrir à Pie VII le rétablissement du concordat, à la double condition qu'il consentirait à instituer les évêques déjà nommés, et qu'il exercerait à l'avenir son droit d'institution dans les trois mois qui suivraient la nomination faite par l'Empereur, faute de quoi l'institution serait faite par le métropolitain. -Si le Pape montrait des dispositions conciliantes, on pourrait lui proposer un traité plus étendu, fondé sur les bases suivantes : le retour à Rome, à la condition de prêter serment à l'Empereur. A défaut du serment, on se contenterait d'une simple promesse de ne rien faire contre les libertés gallicanes, mais dans ce cas la résidence du Pape serait fixée à Avignon. Il recevrait un traitement de deux millions ; il aurait auprès de lui les chargés d'affaires de la chrétienté, et jouirait de l'administration spirituelle. Dans aucun cas, il ne pourrait être question de rétablir la souveraineté temporelle des papes[22]. Les députés ne devaient avouer leurs pouvoirs que lorsqu'ils trouveraient le Saint-Père dans une disposition d'esprit raisonnable. »

 En arrivant à Savone dans les premiers jours du mois de mai 1811, les trois évêques trouvèrent Pie VII soumis à l'espèce de régime cellulaire que Napoléon lui imposait depuis près de cinq mois sous la haute surveillance du préfet de Montenotte, M. de Chabrol. Tout avait été si bien combiné pour l'intimider, qu'il crut un instant que les trois prélats venaient pour instruire son procès devant le concile. Ils ont, raconté eux-mêmes qu'ils eurent à le rassurer à cet égard[23]. Après avoir dissipé ses craintes par les plus vives démonstrations de respect et de dénouement, ils abordèrent le sujet de leur mission, lui représentèrent la nécessité de mettre un terme à la fâcheuse situation de l'Église de France, en lui laissant croire qu'ils parlaient au nom du clergé, puis ils examinèrent en termes généraux les conditions d'un arrangement, mais sans faire connaître immédiatement à Pie VII la promesse que l'Empereur exigeait de lui relativement aux libertés gallicanes.

Le Pape, agréablement détrompé au sujet des nouvelles rigueurs qu'il redoutait, montra des dispositions conciliantes : il parla avec une bonté touchante de son ancienne amitié pour Napoléon, et sans acrimonie de la dure captivité à laquelle il était réduit. Mais il insista avec raison sur l'impossibilité où il était de prendre une détermination, tant qu'il ne serait pas libre et entouré de ses conseillers habituels. Sur ce terrain il était invincible, car, pour tout esprit impartial, il y avait un révoltant abus de la force à vouloir faire signer un traité, destiné à modifier si profondément la constitution de l'Église, à un prisonnier non-seulement séparé de ses conseils, et en butte à des traitements faits pour lui ôter toute liberté d'esprit, mais privé de tout élément d'étude et d'appréciation.

Dans les entrevues qui suivirent, le Pape discuta les termes de la transaction proposée. Il montra aveu beaucoup de sens que la translation au métropolitain du droit d'instituer, après un certain délai, équivalait à la suppression de l'institution pontificale et ne laissait debout que le droit de l'Empereur. Il fit observer qu'il ne pouvait reconnaître les libertés gallicanes, condamnées par un de ses prédécesseurs, tout en étant personnellement disposé à ne jamais les mettre en question ; il revint sur la nécessité où il était de consulter les docteurs de l'Église avant de prendre une détermination.

Mais déjà les députés s'étaient aperçus que la résistance du vieillard devenait moins énergique. Il était surtout très-ébranlé à la pensée que ses refus pourraient amener un schisme. Ses inquiétudes lui avaient fait perdre le sommeil ; sa santé toujours faible se ressentait de ses tourments de conscience Et depuis que sa résolution fléchissait, les instances des prélats devenaient plus vives. Le Pape n'avait pour tout confident intime que son médecin, qui avait été gagné par M. de Chabrol, et qui appuyait de son mieux les supplications des évêques, le langage tour à tour obséquieux et menaçant du préfet de Montenotte. En butte à ces incessantes obsessions, l'esprit troublé par le sentiment d'une responsabilité dont il n'était pas de force à porter le poids, le pape Pie VII faiblit comme dans toutes les circonstances décisives de sa vie[24]. Il consentit, non pas à signer, mais à accepter une note, par laquelle il s'engageait 1° à instituer les évêques déjà nommés par l'Empereur ; 2° à laisser l'institution au métropolitain, dans le cas où le Pape n'aurait pas exercé son droit dans le délai de six mois ; 3° à examiner les projets d'arrangement qui auraient pour but le rétablissement de la paix de l'Église.

Les prélats n'eurent pas plutôt quitté Savone que sa- vive imagination lui représenta, avec une force extraordinaire, les conséquences de cet acte de faiblesse. Il se le reprocha comme une simonie, comme un déshonneur, comme un crime. Il voulut le rétracter immédiatement, et ne retrouva un peu de repos que lorsqu'il eut fait courir après les évêques, pour leur faire savoir que la note n'était qu'un projet, sans aucun caractère définitif et officiel. Ces combats intérieurs ces scrupules de conscience dont on ne peut contester la sincérité, montraient assez combien était difficile à résoudre cette question de l'institution des évêques, surtout dans les termes où Napoléon s'obstinait à la poser, c'est-à-dire en annulant le pouvoir spirituel au profit de l'autorité civile. Ces difficultés, l'Empereur les comprenait si peu, ou du moins il en tenait si peu compte, que, loin de se montrer satisfait des concessions excessives, inespérées, que ses artifices avaient arrachées à la faiblesse du Saint-Père, il espéra obtenir beaucoup mieux encore de la docilité des membres du Concile. De là le silence profond qu'il imposa d'abord aux trois évêques sur le résultat de leur négociation avec le Pape. E serait toujours temps, pensait-il, d'y revenir comme à un pis-aller si cette assemblée ne tenait pas tout ce qu'on attendait de sa complaisance.

Le concile de 1811, n'était à proprement parler, ni un concile national dans le sens ordinaire du mot, puisqu'il comprenait les évêques de France et d'Italie, ni un concile œcuménique, comme Napoléon l'eût préféré, puisqu'on avait été forcé de reculer devant l'impossibilité de convoquer les évêques d'Espagne et de quelques autres contrées de la catholicité. C'était une imposante réunion ecclésiastique, dont la composition offrait d'ailleurs à l'Empereur toutes les garanties de soumission qu'il pouvait désirer. Il connaissait personnellement la plupart de ces prélats, il avait mis assez souvent leur complaisance à l'épreuve pour savoir qu'il y pouvait compter. Mais son génie tout mathématique commettait une grave méprise, en supposant que l'esprit d'une assemblée est la somme exacte des caractères individuels qui concourent à sa formation, et qu'un concile composé d'évêques dévoués ne pouvait être que servile.

Les hommes réunis en corps ont, en effet, des scrupules, des susceptibilités auxquels ils sont fort insensibles comme individus. C'est ce qui fait que les assemblées trompent si souvent l'attente de ceux qui croient le mieux les connaître. Ouverte au nom de l'Empereur le 17 juin 1811, la première séance du concile se termina par un serment solennel d'obéissance au Pape. Ce serment qui n'était qu'une formalité presque banale, mais qui, prêté à un prisonnier d'État en présence de son persécuteur, et retentissant au milieu du silence de la servitude, empruntait un sens tout nouveau aux circonstances périlleuses où se trouvait l'Église catholique, saisit fortement les imaginations ; il prit à l'improviste le caractère et l'accent d'une sorte de serment du jeu de Paume sacerdotal. Et quel fut le metteur en scène, involontaire à coup sûr, de cette manifestation presque hostile ? Ce fut le cardinal Fesch, président du concile, l'oncle de l'Empereur, l'homme le plus intéressé, par situation autant que par goût, à apaiser les esprits, à éviter tout incident scabreux.

Ce serment, ce cri semblable à une explosion des âmes longtemps comprimées, l'élan passionné qu'on y mit, la signification imprévue qu'on lui donna, indisposèrent au plus haut point Napoléon. Il consentit sur les représentations de ses conseillers, à ne voir dans cette manifestation qu'une cérémonie traditionnelle ; mais il donna, dès le lendemain, au concile deux surveillants en la personne de Bigot de Préameneu et de Marescalchi, les ministres des cultes de France et d'Italie. Un message impérial, rempli d'expressions offensantes à l'égard de Pie VII, fit ensuite connaître aux membres du concile ce qu'on attendait de leur bonne volonté. Après avoir dénoncé les projets sinistres du Pape, et les funestes effets de ses bulles « qui avaient excité l'indignation générale », Napoléon retraçait l'historique de ses démêlés avec le Saint-Siège, mais en s'abstenant avec soin de faire la moindre allusion à ses propres violences envers la personne du Saint-Père. Il rappelait les bienfaits dont il avait comblé l'Église, il annonçait son intention de « pourvoir à la transmission de l'épiscopat de la manière qui serait indiquée par le concile, » et de ne plus souffrir que désormais « un seul prétendît se substituer au pouvoir de tous[25]. » Personne ne songea, ni à relever ce qu'avait d'étrange cette maxime républicaine dans la bouche de l'auteur du 18 brumaire, ni à flétrir les injures que le tout puissant empereur adressait à sa victime.

Mais quoique contenus par la terreur, les sentiments de l'assemblée ne s'en firent pas moins jour dans la séance où l'on discuta l'adresse qui devait servir de réponse au message : « Eh quoi ! s'écria l'évêque de Chambéry, Dessolle, nous discutons une adresse, et il n'y est pas question de la liberté du Pape ! allons tous, s'il le faut, nous jeter aux pieds de l'Empereur pour la lui demander[26] ! » Ce mouvement oratoire produisit sur l'assemblée un effet indescriptible. 04 se lève, on applaudit, on veut aller sur le champ à Saint-Cloud supplier l'Empereur, et ce n'est qu'à grand'peine que le cardinal Fesch, secondé par quelques prélats complaisants ou circonspects, obtient que la démarche sera ajournée.

Napoléon, de plus en plus désappointé et irrité de l'indépendance tout à fait inattendue, quoique bien timide, qu'il rencontrait chez les membres du concile, leur témoigna son déplaisir en refusant de recevoir leur adresse. Il leur rappela, avec dureté, qu'il n'attendait d'eux que le règlement de l'institution canonique et rien de plus. Il leur donnait huit jours pour décider la question. Il fallut donc, en venir au plus vite, à l'examen de cette difficulté si délicate. Dès la première séance de la commission chargée d'étudier la question, se présenta une objection capitale, à laquelle il semble qu'on avait bien peu songé jusque-là Dans l'affaire de l'Institution, deux droits se trouvaient en présence, celui de l'Empereur et celui du Pape. Or un concile national, c'est-à dire restreint, quelle que fût son autorité, était-il compétent pour prononcer sur un droit qui appartenait au Saint-Siège ? Il est de toute évidence que, même au point de vue des idées gallicanes, un tel pouvoir ne devait appartenir qu'à l'Église elle-même, c'est-à-dire à un concile œcuménique. Partagée entre le sentiment de ses devoirs et la crainte d'exaspérer l'Empereur, la commission employa plusieurs jours à chercher un moyen de concilier les opinions contradictoires, ou plutôt les intérêts si opposés qui étaient en jeu dans ce débat. Mais après de longues tergiversations, les partisans de l'incompétence, les évêques de Tournay, de Bordeaux, de Gand, l'emportèrent sur les champions de l'omnipotence impériale, Fesch, Duvoisin, de Barrai.

Ge fut alors seulement, qu'en présence de l’impossibilité d'arriver à un résultat et du peu d'efficacité de ses railleries contre ceux qu'il appelait « les bedeaux de l'Église[27] », Napoléon se décida à faire connaître à la commission les concessions que les trois évêques, députés à Savone, avaient obtenues du Pape

492 HISTOIRE DE NAPOLÉON I or

La transaction étant ainsi proposée avec l'assentiment du Saint-Siège, il semblait que tous les obstacles fussent aplanis. Mais cette communication tardive n'eut pas tout le succès qu'il en espérait, soit que le retard même inspirât des soupçons bien naturels, soit qu'il eût transpiré quelque chose du changement qui s'était opéré dans l'esprit de Pie VII. La commission, d'abord convertie aux idées de l'Empereur, revint presque aussitôt à son premier sentiment sur l'incompétence du concile. Elle consentit toutefois à accepter le décret proposé au nom de l'Empereur, mais en stipulant expressément qu'il serait soumis à l'approbation du Pape. Le 10 juillet 1811, le concile se réunit de nouveau pour entendre la lecture du rapport de l'évêque de Tournay, qui se fit l'interprète des idées de la commission. Ses conclusions répandirent le trouble et l'agitation au sein de l'assemblée. Les partisans du Pape et ceux de l'Empereur en vinrent aux accusations réciproques, se reprochant tour à tour l'usurpation des droits de l'Église ou la bulle d'excommunication : « Si un Pape ne peut excommunier un souverain, condamnez donc l'Église qui l'a ainsi établi ! » s'écria l'archevêque de Bordeaux.

C'était là beaucoup plus que ne pouvait supporter le partisan du pouvoir de tous contre le pouvoir d'un seul. Ces paroles furent l'arrêt de mort du concile national. Dès le lendemain, parut un décret impérial qui en prononçait la dissolution. Napoléon avait bien voulu d'un concile, mais c'était à la condition que le concile serait toujours de son avis, or les prélats avaient singulièrement oublié ce point essentiel du rôle qu'ils étaient appelés à remplir. Les trois principaux chefs de l'opposition, les évêques de Tournay, de Gand et de Troyes furent arrêtés et jetés dans les cachots de Vincennes, sans qu'on pût leur reprocher d'autre crime que celui d'avoir exprimé et soutenu un avis qu'on leur demandait. Ce dénouement était d'ailleurs dans la logique d'un régime incompatible avec l'existence de toute assemblée libre. C'était un 18 brumaire contre les représentants de l'Église, faisant suite à un 18 brumaire contre les représentants de la nation. Et déjà Napoléon, qui avait expérimenté tout ce que peut la crainte comme moyen d'influence parlementaire, s'apprêtait à tirer des débris tremblants du concile épuré, le même parti qu'il avait tiré des membres dispersés des Conseils, après son coup d'État.

Loin de se considérer comme battu, il se regardait comme définitivement maître du terrain, car il n'avait plus à compter avec les convictions, mais avec les défaillances. Ce n'était plus sur une assemblée, toujours inquiète lorsqu'elle est le plus docile, mais sur les évêques pris isolément, qu'il avait résolu d'agir, assuré, grâce à la connaissance qu'il avait de ces hommes pusillanimes, de leur faire dire en les prenant un à un le contraire de ce qu'ils affirmaient réunis. Par quels moyens il opéra cette triste conversion, il est facile de le deviner lorsqu'on sait qu'il y employa l'action combinée de son ministre des cultes et de son ministre de la police : « C'est alors, écrit Savary avec un admirable euphémisme, que l'Empereur m'ordonna de tourner les regards de mon administration vers le concile qu'il m'avait expressément recommandé jusque-là de laisser à lui-même[28]. » Sous cette inspiration, qui n'était pas tout à fait celle du Saint-Esprit, les membres du concile signèrent les uns après les autres, au nombre de quatre-vingt-cinq, un décret qui attribuait au métropolitain l'institution canonique, si dans un délai de six mois, le Pape n'avait pas fait usage de son droit. Ce décret devait être soumis à la sanction du Pape, mais dans le cas où il la refuserait, le concile passerait outre. Jamais conduite honorable ne fut démentie par une plus honteuse rétractation. Cela fait, les malheureux prélats, confus et humiliés de leur propre faiblesse, furent de nouveau convoqués en concile le 5 août 1811. Vainqueurs et vaincus se retrouvèrent en présence, ayant à rougir également de la victoire et de la défaite ; puis ils votèrent le décret, la tête basse et en silence, comme accablés sous le poids de ce reniement public.

Dans les premiers jours de septembre, une nouvelle députation, composée de cardinaux et d'évêques, se rendit à Savone pour soumettre à Pie VII le décret du concile. En lui présentant ce résumé des délibérations de la vénérable assemblée, ces prélats n'eurent garde de lui faire connaître les moyens de persuasion que l'Empereur avait employés pour la convaincre. Sous l'influence de ces conseillers choisis, qui étaient unanimes à lui commander la prudence et à lui démontrer la nécessité des concessions, le Saint-Père, dont le premier mouvement avait été de revenir à son ancien thème et de soutenir « qu'il ne pouvait rien décider tant qu'il ne serait pas libre, » abandonna de nouveau ce terrain sur lequel il était si fort, et suivit avec résignation l'exemple du concile, la conscience plus tranquille sur sa propre faiblesse, depuis qu'il pouvait invoquer comme prétexte ou comme excuse celle d'un si grand nombre de princes de l'Église. Il donna son approbation aux décrets du concile sous la forme d'un bref adressé aux évêques, en y joignant toutefois quelques réserves au sujet des doctrines gallicanes.

Ces concessions du Pape étaient pour Napoléon un triomphe inespéré. Elles lui donnaient complétement gain de cause, et il ne tenait qu'à lui de profiter de ce succès pour mettre fin à une querelle dangereuse. Mais ces avantages n'étaient rien auprès de ceux qu'il se flattait d'obtenir plus tard. Il s'empressa de mettre à profit sa victoire, en faisant enregistrer comme loi de l'État le décret du concile et en faisant instituer les évêques nommés. Mais il se réserva de déférer au conseil d'État le bref pontifical, comme contenant des restrictions contraires aux principes de l'Église gallicane.

De plus en plus engagé dans ses préparatifs de guerre contre la Russie, convaincu que cette guerre allait lui donner un surcroît de prestige, de grandeur et de force sans précédent dans l'histoire du monde, Napoléon s'abstint de répondre à la lettre affectueuse que lui écrivit Pie VII pour -lui annoncer sa décision. Il laissa en suspens les affaires de l'Église jusqu'au moment où, selon son expression, l'empire d'Occident se trouvant rétabli, les Papes reprendraient le râle modeste qu'ils avaient rempli sous les empereurs d'Occident. Ces mots d'empire d'Occident, d'empereur du continent revenaient alors sans cesse sur ses lèvres ; ils trahissaient l'idée fixe qui obsédait son esprit. Nos relations diplomatiques avec la Russie étaient entrées dans cette nouvelle phase qui, sous le règne de Napoléon, présageait invariablement des hostilités imminentes. De la période des armements secrets, couverts par d'affectueuses protestations, il avait passé brusquement à celle de l'ostentation de ses forces et de la menace ouverte. Le calme, la constante modération d'Alexandre lui avaient toujours fait, croire qu'à la longue il finirait par l'intimider. Aussi bien Napoléon ne pouvait plus se dissimuler l'inutilité de ses efforts pour donner le change sur des faits connus de l'Europe entière.

Il changea donc de tactique. Il convint avec Kourakine que c'était bien contre la Russie que ses préparatifs étaient dirigés, qu'en alléguant la crainte d'une expédition anglaise dans la Baltique, il n'avait vu là qu'un prétexte[29], aveu peu propre à inspirer confiance pour l'avenir. Il chargea en même temps Lauriston de déclarer à l'empereur de Russie « que Napoléon avait armé, qu'il armerait encore, qu'il avait dépensé cent millions d'extraordinaire, qu'il pouvait en dépenser cent autre sans toucher à ses réserves, qu'à la conscription de 1811 il allait joindre bientôt celle de 1812, qu'il avait levé trente mille chevaux, que tous ses alliés imitaient son exemple, que cependant il était toujours prêt à écouter toutes les propositions qui ne seraient pas incompatibles avec son honneur[30]. »

Par malheur, ce qu'il déclarait incompatible avec son honneur c'étaient justement les deux seuls arrangements qui fussent de nature à satisfaire la Russie, à savoir une restitution pure et simple des États dont il s'était emparé au détriment du duc d'Oldenbourg, ou encore, une compensation dans la partie de la Pologne qu'il avait donnée à la Saxe. Ces premières démonstrations paraissant produire peu d'impression sur le cabinet de Pétersbourg, qui se retranchait imperturbablement dans son système défensif, Napoléon voulut y ajouter un éclat public, comme si le scandale devait donner plus de sérieux à l'avertissement. Dans la grande réception du 15 août 1811, après le feu d'artifice, l'Empereur fit, selon son habitude, le tour des salons du Palais des Tuileries encombrés ce soir-là d'une foule brillante, puis, arrivé dans la salle du trône, il alla tout droit à Kourakine. Alors, le prenant seul à partie en présence des ambassadeurs des cours étrangères, il lui adressa à brûle pourpoint une de ces interpellations fameuses qui annonçaient périodiquement à l'Europe qu'une nouvelle guerre était résolue. Il y avait trois ans, jour pour jour, que Metternich avait éprouvé un accident tout pareil, et personne n'en avait oublié les suites. Cette sortie, dont toutes les violences étaient calculées et qui dura plus de deux heures[31], ne pouvait être d'ailleurs qu'une accusation sans réponse, ce qui en caractérise suffisamment l'inconvenance et le mauvais goût. Pour un ambassadeur, tenu de peser chaque parole, et soucieux avant tout de ne pas compromettre son gouvernement, il y avait impossibilité à accepter un débat diplomatique dans un tel lieu, devant de tels auditeurs, contre un tel adversaire. Il était condamné à recevoir tous les coups sans pouvoir les rendre, et Napoléon, en abusant du privilége de sa propre position, jouissait de l'embarras de son adversaire, comme s'il y voyait une première victoire remportée sur la puissance qui avait encouru sa disgrâce.

Dans ce long réquisitoire contre la Russie, Napoléon reprit l'un après l'autre tous ses griefs vrais ou faux. Il se plaignit de ce qu'on répondît par des préparatifs de guerre aux avances qu'il faisait depuis six mois, à ses offres d'indemnité pour le duc d'Oldenbourg qui, après tout, était son vassal sinon son sujet, et dépendait beaucoup plus de la France que de la Russie, puisqu'il était membre de la confédération du Rhin. On voulait sans doute cette indemnité en Pologne, mais jamais il n'en céderait un pouce de terrain ; et puisqu'on ne l'acceptait pas en Allemagne, c'était donc qu'on désirait la guerre. De là ces armements précipités, ces divisions rappelées du Danube au moment où l'on en avait le plus besoin contre les Turcs, au risque d'être battu par eux, comme on l'avait été en effet devant Rutschuk. Cela étant, comment espérait-on lui faire croire qu'on ne voulait pas la guerre ? Il était, quant à lui comme l'homme de la 'nature qui, lorsqu'il ne comprend pas, se méfie ! Il avait donc armé à son tour, armé pour se défendre. Mais bien qu'il eût plus d'argent et de moyens que la Russie, il ne pourrait pas toujours continuer ces mêmes sacrifices. Un moment viendrait où la mesure serait comblée, où, pour en finir, il serait forcé malgré lui de tirer l'épée.... Cependant il persistait à ne pas vouloir la guerre, bien qu'il pût avant peu mettre en ligne six cent mille hommes contre la Russie, tout en continuant à en envoyer vingt-cinq mille par an en Espagne. Si on en venait à cette extrémité, si cette guerre funeste se faisait, Alexandre et Romanzoff seraient seuls responsables des maux qu'elle entraîne avec elle, car on sait bien quand elle commence, mais on ne sait jamais quand ni comment elle finit. Il y avait là de leur part un inconcevable aveuglement. On avait le vertige à Pétersbourg ; on y était comme un lièvre qui a reçu du plomb dans la tête et qui tourne sans savoir il va. Mais, on devait s'y souvenir qu'il n'avait pas l'habitude d'être battu ; on devait s'y rappeler le sort de la Prusse qui elle aussi avait voulu courir à sa perte[32] !

Lorsque l'Empereur termina cette longue algarade, les salons du palais étaient vides, et tous les témoins de cette pénible scène s'étaient éclipsés les uns après les autres, à l'exception des ambassadeurs d'Autriche et de Naples, protestation muette, mais significative, qui traduisait assez bien le mot charmant de Talleyrand : « Quel dommage qu'un si grand homme ait été si mal élevé ! » Le pauvre Kourakine, encore malade des suites des brûlures dont il avait été atteint dans l'incendie du palais Schwarzenberg, resta debout sous cette avalanche, bien que ses jambes le fissent cruellement souffrir, « sans paraître, écrivait-il, un instant abattu, inquiet ou impatienté, avec une attitude immobile, l'air le plus calme, et le sourire toujours à la bouche[33]. » Le lendemain tout le monde sut qu'une rupture avec la Russie était devenue imminente. Au point où en étaient venues les choses, les hostilités auraient immédiatement commencé si la saison avait été moins avancée. Les menaces publiques que Napoléon venait d'adresser à la Russie ne modifièrent en rien l'attitude de cette puissance. Elles n'eurent d'autre résultat que d'amener Alexandre à déclarer immédiatement à Lauriston E, qu'il refuserait toute indemnité en Pologne, et qu'il s'en tenait strictement à la restitution d'Oldenbourg. »

On continua cependant à parler de paix, à entretenir ces semblants de négociation où l'on ne cherche plus qu'un moyen de mettre l'adversaire dans son tort, et qui sont comme les premiers tâtonnements de deux fers déjà croisés. On alla même jusqu'à proposer un désarmement[34]. Les deux empereurs se disaient également prêts à y consentir, et tous deux redoublaient d'activité dans leurs préparatifs. Alexandre désarmait en ordonnant une levée de cent mille hommes, et Napoléon en appelant la conscription de 1812. On n'en persistait pas moins à jurer de plus belle que jamais on ne tirerait l'épée le premier. Alexandre annonçait le départ d'un nouveau négociateur chargé de tout arranger, et Napoléon feignait d'attacher une très-grande importance à l'arrivée de ce diplomate qui ne venait pas. Il n'y avait plus là que de vaines feintes. Au fond, ni l'un ni l'autre ne voulaient plus reculer, mais tous deux sentaient l'énormité d'une telle guerre, les conséquences incalculables qu'elle pouvait avoir, et ils cherchaient à en éviter la responsabilité au moins immédiate. Sur ce terrain, qui n'était plus que celui des formes et des apparences, Napoléon n'avait pas mieux conservé l'avantage que sur celui du droit, car si Alexandre disait encore comme il dit jusqu'au bout : Je n'attaquerai pas, je me défendrai ; Napoléon commençait à dire : On me forcera d'attaquer pour me défendre.

Assuré désormais d'avoir avec lui toute l'Europe, et jusqu'à ces gouvernements de Prusse et d'Autriche qu'il avait traités avec une si impitoyable rigueur, il s'affermissait dans ses desseins par la certitude d'avoir mis toutes les chances de son côté. Il en était déjà à évaluer les ressources que devait lui procurer cette guerre. Elle devait lui donner non-seulement l'empire du monde, mais un moyen de relever ses finances ! « Je ferai cette guerre dans un intérêt politique, mais aussi dans l'intérêt de mes finances. N'est-ce pas toujours par la guerre que je les ai rétablies ? » s'écriait-il, en réponse aux représentations de ses ministres Gaudin et Mollien[35]. Il est permis de supposer, d'après quelques propos qui lui échappèrent de loin en loin, et d'après la lenteur peu ordinaire qu'il mit à se décider, qu'il éprouvait parfois quelques appréhensions sur l'issue de son entreprise, mais l'immense étendue de ses préparatifs, l'extrême précision de ses calculs qui embrassaient et prévoyaient tout, ne faisaient que mieux lui cacher le piège où il allait tomber. D'après toutes les données positives du formidable problème, n'était-il pas sûr de le résoudre à son avantage ? N'avait-il pas à la fois la supériorité du nombre, celle des ressources, des troupes, du commandement ?

A ce point de vue, le seul décisif à ses yeux, sa victoire pouvait être en quelque sorte démontrée scientifiquement. Mais n'y avait-il pas à tenir compte d'autres éléments aussi réels, quoique moins connus ? A côté de cette Europe officielle, prosternée si bas à ses pieds, n'y avait-il pas une autre Europe, celle des peuples, menaçante, irritée, impatiente de se lever contre lui ? A côté de la force des armements, n'y avait-il pas celle du patriotisme, de l'amour de la liberté, des haines, des vengeances nationales ? Enfin, au-dessus des ressources de la stratégie régulière, n'y avait-il pas les surprises, aussi terribles qu'imprévues, de cette tactique du désespoir, dont les Espagnols avaient déjà prouvé l'efficacité ?

Ces énergies latentes, qui n'étaient autre chose que le réveil tardif des forces morales de la société européenne, ne comptaient pas- aux yeux de Napoléon. C'était en les niant et en les foulant aux pieds qu'il avait réussi à élever si haut sa fortune, comment aurait-il pu leur reconnaître après coup une puissance qu'il leur avait toujours refusée ? Les avertissements ne lui manquèrent pas. On lui avait signalé déjà bien des fois les plans désespérés de la Russie, sa résolution sauvage de tout détruire autour de lui pourvu qu'il fût enveloppé lui-même- dans la destruction de l'empire. On lui dénonça avec plus d'insistance encore les conspirations allemandes. Alquier lui transmit de Stockholm un propos significatif d'Alexandre : « Si l'empereur Napoléon éprouve des revers, avait-il dit, toute l'Allemagne courra aux armes pour s'opposer à sa retraite, ou à l'arrivée des renforts. » Son frère Jérôme, qui était mieux placé encore pour savoir ce qui se passait en Allemagne, lui faisait part, dès le mois de janvier 1811, de la proposition qu'on lui avait faite d'entrer dans une ligue secrète contre la France. Napoléon, pour tout remerciement, lui reprocha d'avoir encouragé ces ouvertures, par sa conduite équivoque[36]. Jérôme revint sur ce sujet en juillet, puis en décembre 1811

« Si on parle à Votre Majesté de tranquillité et de soumission, on la trompe. La fermentation est au plus haut degré, les plus folles espérances sont entretenues et caressées avec enthousiasme, on se propose d'imiter l'exemple de l'Espagne, et si la guerre vient à éclater, toutes les contrées situées entre le Rhin et l'Oder seront le foyer d'une vaste et active insurrection[37]. » Le maréchal Davout, et le général Rapp lui transmirent à la même époque, de Hambourg et de Danzig, des informations toutes semblables. Mais loin d'encourager ces confidences, Napoléon s'en irrita, soit qu'il ne voulût pas qu'on pût douter de sa fortune, soit qu'il y vît une sorte d'offense contre l'infaillibilité de son génie :

« Il n'y -a rien de commun entre l'Espagne et l'Allemagne, écrit-il à Davout.... Il n'y a rien à craindre, l'Allemand fût-il aussi oisif, aussi fainéant, aussi assassin, aussi livré aux moines que l'est le peuple d'Espagne où il y avait trois cent mille moines. Jugez donc de ce qu'il y a à redouter d'un peuple si sage, si raisonnable, si froid, si tolérant, tellement éloigné de tout excès, qu'il n'y a pas d'exemple qu'un homme ait été assassiné en Allemagne pendant la guerre.... S'il y avait un mouvement en Allemagne, il finirait par être pour nous et contre les petits princes ! » Les avis de Rapp sont encore plus mal reçus : « Je ne sais pas pourquoi Rapp se mêle de ce qui ne le regarde pas.... De quoi va-t-il parler, de ce qui se passe en Hongrie, de l'esprit qui anime la confédération et ces pays, lui qui en est si éloigné !... Je vous prie de ne pas me remettre de pareilles rapsodies sous les yeux. Mon temps est trop précieux pour que je le perde à de pareilles fadaises.... tout cela ne sert qu'à me faire perdre mon temps et à salir mon imagination par des tableaux ou des suppositions absurdes[38]. »

En présence de cette hallucination d'orgueil et d'infatuation, on croit entendre Macbeth insultant dans son délire les messagers qui lui annoncent l'approche des armées ennemies : « Loin de moi ces pelles visages de poltrons ! Qu'on ne m'apporte plus de messages ! je ne veux plus en recevoir. Ni l'esprit qui me mène, ni le cœur que je porte, ne peuvent être ébranlés par le doute ou abattus par la peur ! » Ainsi ce parvenu, ce grand calculateur, cet observateur, autrefois si pénétrant, si prompt à s'emparer de toutes les circonstances qui pouvaient le servir, en était venu à s'emporter comme un enfant contre la puissance tranquille et souveraine des faits. Il considérait comme n'existant pas les faits qui avaient le malheur de lui déplaire, ou plutôt il les traitait comme des courtisans révoltés, qu'un grand roi supprime et destitue en les chassant de sa présence. Il ne daignait plus entrer en discussion avec la force des choses. Un obstacle n'existait plus, du moment où il l'avait nié. Voilà ce que dix ans de pouvoir absolu avaient fait de lui ! Un jour cependant, un des derniers jours de cette année 1811, qui s'achevait sous de si tristes auspices, un éclair de sagesse et de raison traversa cet esprit déjà saisi de vertige, et Napoléon écrivit à son bibliothécaire pour lui demander, « tout ce que nous avons de plus détaillé en français, sur la campagne de Charles XII en Pologne et en Russie[39]. » Que d'enseignements dans ce nom de Charles XII et dans les désastreux souvenirs de Pultawa t Ce n'était pas un hasard qui amenait sous sa plume ce nom fatidique. Que devait-il y voir ? un pressentiment ? un suprême avertissement de la destinée ? ou bien n'y devait-il trouver qu'une occasion de s'applaudir et de s'exalter lui-même aux dépens du grand aventurier suédois ? Les impressions que fit naître en lui cette lecture sont demeurées secrètes, mais la suite de ses actes nous a suffisamment prouvé que la leçon fut perdue. A qui veut se perdre tout est piège et péril, même un instrument de salut.

 

FIN DU CINQU1ÈME VOLUME

 

 

 



[1] Napoléon à Clarke, 23 juin 1811.

[2] Rapports de Saint-Jean d'Angély et de Lacépède, séances du 10 et du 13 décembre 1810.

[3] L'auteur tient ce fait d'un homme dont le témoignage est irrécusable, puisqu'il parle de ce qui lui est arrivé à lui-même.

[4] Voir dans le Bulletin des Lois les décrets d'ailleurs fort incomplets des 12 janvier, 5 avril et 23 septembre 1811.

[5] Mollien, Mémoires d'un ministre du Trésor.

[6] Report from the Select committee on the date of comrnercial credit ; mars 1811.

[7] Discours du comte Garnier, président du Sénat, 22 mars 1811.

[8] Le Noël nouveau, hommage d'un troubadour, par Armand Gouffé.

[9] Delrieu.

[10] Discours du président de Montesquiou dans la séance du 25 juillet 1811.

[11] Séance du 15 juillet 1811 : Archives parlementaires.

[12] Discours d'ouverture, 16 juin 1811

[13] Exposé de la situation de l'empire, du 29 juin 1811.

[14] Exposé de la situation de l'empire, du 29 juin 1811.

[15] Mémoires du duc de Rovigo.

[16] Napoléon au prince Eugène, 5 janvier 1811.

[17] A la date du 5 janvier 1811.

[18] Ces indignités avaient souvent été imputées aux agents de Napoléon. Les lettres inédites de l'Empereur qui ont été publiées par le comte d'Haussonville prouvent péremptoirement que Napoléon seul en fut l'auteur,

[19] Fragments relatifs à l'histoire ecclésiastique, par Mgr de Barrai, archevêque de Tours. Ce recueil reflète les vues du comité et reproduit les principaux documents émanés de ses chefs.

[20] D'Haussonville.

[21] De Barral, Fragments sur l'histoire ecclésiastique.

[22] Instructions pour les trois évêques, 26 avril 1811.

[23] Première lettre des évêques, 10 mai 1811.

[24] Les rapports du préfet Chabrol, publiés pour la première fois par M. d'Haussonville dans sa remarquable Histoire de l'Église romaine sous le premier empire, jettent un jour tout nouveau sur les moyens employés par Napoléon, pour vaincre la résistance de Pie VII.

[25] Discours d'ouverture, remis par l'Empereur au ministre des cultes le 18 juin 1811.

[26] Journal de l'évêque de Gand, Mgr de Broglie, publié par M. D'Haussonville.

[27] Vie du cardinal Fesch par l'abbé Lyonnet, t. II.

[28] Mémoires du duc de Rovigo.

[29] Dépêche du prince Kourakine à la date du 7 mai 1811 : Archives russes.

[30] Napoléon à Maret, 21 juin 1811.

[31] Archives russes : dépêche du prince Kourakine en date du 15 août 1811.

[32] Archives russes : dépêche du prince Kourakine en date du 15 août 1811.

[33] Archives russes : dépêche du prince Kourakine en date du 15 août 1811.

[34] Napoléon à Maret, 6 novembre 1811.

[35] Mémoires de Mollien.

[36] Correspondance du roi Jérôme, t. V. 16 et 21 janvier 1811.

[37] Jérôme à Napoléon, 5 décembre 1811.

[38] Napoléon à Davout, 2 décembre 1811.

[39] Napoléon à M. Barbier, 19 décembre 1811.