LA PAIX DE VIENNE. -
LE DIVORCE ET LE MARIAGE AUTRICHIEN. - RÉUNION DES ÉTATS DU PAPE A L'EMPIRE.
- PROJETS DE NAPOLÉON SUR L'ÉGLISE CATHOLIQUE
Les
négociations engagées à Altenbourg entre Napoléon et l'empereur François, à
la suite de l'armistice de Znaïm, étaient restées à peu près stationnaires
tant que l'issue des événements d'Espagne et de Belgique avait été
incertaine. Tout le monde sentait en effet que ces trois affaires, débattues
à de si grandes distances, constituaient ce qu'on appelle une partie liée, et
qu'une bataille perdue sur le Tage ou sur l'Escaut remettait en question tous
les avantages obtenus sur le Danube. Jamais il ne fut plus facile de
constater, selon une parole célèbre, que : « si ce sont les diplomates qui
rédigent les traités de paix, ce sont les généraux qui les font[1]. » Jusqu'au moment où l'on
apprit l'échec définitif de la campagne de Wellington dans la vallée du Tage,
et de la tentative des Anglais pour s'emparer d'Anvers, les conférences
d'Altenbourg ne furent qu'une espèce d'escarmouche diplomatique, où des deux
côtés l'on bataillait plutôt pour gagner du temps que pour connaître les
véritables intentions de ses adversaires. Aux prétentions inadmissibles que
Napoléon mettait en avant, c'est-à-dire au principe de l'uti possidetis
qui consistait à considérer tout le territoire occupé par nos troupes, avec
ses neuf millions d'habitants, comme une possession acquise, destinée à
devenir dans la négociation un objet d'échange en retour des portions du
domaine impérial que l'Autriche préférerait céder, on répondait du côté des
négociateurs autrichiens par le principe de l'intégrité de l'empire, et par
l'offre d'une indemnité purement pécuniaire, proposition qu'on savait bien
n'avoir aucune chance d'être acceptée par un vainqueur aussi exigeant que
l'était Napoléon[2]. Au
fond, les idées de l'empereur sur les cessions à exiger de l'Autriche furent
assez promptement arrêtées, et il n'est pas difficile de les dégager des
feintes diplomatiques sous lesquelles il les enveloppa d'abord. Sur sa
frontière italienne, il voulait une portion de territoire de nature à établir
une communication par terre entre la Vénétie et ses possessions de Dalmatie,
c'est-à-dire la Carinthie, la Carniole et la partie de la Croatie qui longe
l'Adriatique jusqu'à la Dalmatie. Sur l'Inn, il voulait avancer la frontière
bavaroise le plus près possible de Vienne. En Galicie enfin, il voulait, sous
prétexte d'arrondir et de fortifier le royaume de Saxe qui était son œuvre,
agrandir ce grand-duché de Varsovie qui était comme la pierre d'attente d'une
reconstitution de la Pologne. Mais sur ce dernier point il avait pour
parvenir à son but à tromper les défiances justement inquiètes de la
politique russe, avec laquelle il avait pris les engagements les plus
formels. Il y avait à méconnaître ces engagements un danger des plus graves,
car ce n'était pas l'empereur Alexandre, personnellement sympathique aux
Polonais, c'était la nation russe elle-même que ce nom seul de Pologne
irritait jusqu'à la fureur. Le czar eût certainement exposé sa couronne et sa
vie s'il eût voulu se mettre en opposition avec une haine nationale aussi
puissante. Chose bien caractéristique, tant que la guerre avec la Russie
avait duré, Napoléon avait refusé de rien faire pour la Pologne, alors qu'il
pouvait au moins le tenter avec impunité, sinon avec avantage. C'était depuis
qu'il s'était engagé formellement à n'y plus penser que la tentation agissait
sur son esprit, et qu'il encourageait sous main les patriotes polonais. On le
savait à Pétersbourg. Aussi n'avait-on pas perdu une occasion de le prémunir
contre de semblables visées, de l'avertir que ce serait là la fin de
l'alliance. C'était le sujet le plus habituel des entretiens du czar avec
notre ambassadeur Caulaincourt. Au moment même de l'ouverture des conférences
d'Altenbourg, Alexandre avait renouvelé l'avertissement dans les termes les
moins équivoques. Invité à s'y faire représenter par un négociateur et
prévoyant qu'il serait peut-être amené par-là à accepter la solidarité
d'actes qu'il ne pourrait approuver, il avait préféré s'en rapporter à ce que
Napoléon déciderait dans l'intérêt commun des deux puissances. Mais il lui
avait de nouveau recommandé avec une insistance toute particulière de ne pas
toucher à la question polonaise : « Mes intérêts sont dans les
mains de Votre Majesté, lui écrivait-il le 21 août 1809. J'aime à placer ma
confiance entière dans son amitié pour moi. Elle peut m'en donner un gage
certain en se rappelant ce que je lui ai bien souvent répété à Tilsit et à Erfurt
sur les intérêts de la Russie par rapport aux affaires de la ci-devant
Pologne, et ce que j'ai chargé depuis son ambassadeur de lui répéter. » La cour
d'Autriche n'ignorait nullement que ce terrain était dangereux pour notre
politique ; aussi ne négligeait-elle rien pour y attirer Napoléon, dont l'œil
pénétrant voyait très-bien le piège, sans qu'il pût toutefois s'empêcher de
céder à l'attrait du fruit défendu. Il prévoyait que l'Autriche exploiterait
contre lui ce grief à Pétersbourg afin d'entraver les négociations. Il
voulait donc ne prononcer que le plus tard possible ces noms dangereux de
Galicie et de Pologne, puis, au dernier moment imposer ses volontés par un
brusque fait accompli aux répugnances de la Russie, en alléguant pour
prétexte l'impossibilité morale d'abandonner aux vengeances de l'Autriche les
Polonais, qui s'étaient exposés pour nous. Il fallait tromper jusque-là cette
puissance, empêcher qu'on ne pût l'accuser prématurément lui-même de songer à
la Galicie. C'est dans ce but qu'il insista pour qu'on tînt un protocole
détaillé des conférences, proposition qui excita au plus haut point le
mécontentement de M. de Metternich et de Nugent, les deux négociateurs
auxquels était échue la pénible tâche de lui disputer les lambeaux de la
monarchie autrichienne. On s'explique difficilement que l'empressement de la
cour de Vienne à le pousser dans cette voie si périlleuse, n'ait pas fait reculer
Napoléon au moment de conclure une transaction qui devait aboutir fatalement
à la guerre de Russie. Mais on ne peut nier qu'il n'ait agi à bon escient, en
homme parfaitement averti et informé : « Mandez bien à Caulaincourt,
écrivait-il à Champagny, le 211 août, de prévenir M. de Romanzoff de se tenir
en garde contre les insinuations de l'Autriche, de l'assurer que le mot de
Galicie n'a pas été prononcé, que nous ne voulons pas le prononcer, quoique
l'on voie que les Autrichiens cherchent les moyens de commencer par-là la
question[3]. » Il le
voulait en dépit de ces rassurantes protestations. Mais ne pouvant avouer ses
projets sans compromettre sérieusement l'issue de la négociation, il prit un
chemin détourné. En présence du mutisme consterné et persistant des
négociateurs autrichiens, il s'était départi peu à peu de la rigueur de ses
premières exigences. Il leur donna à entendre que si l'Autriche consentait à
des sacrifices équivalents à ceux qu'elle avait faits lors de la paix de
Presbourg, il accepterait volontiers de son côté une moyenne entre ces
sacrifices et la base de l’uti possidetis, c'est-à-dire une cession de
quatre ou cinq millions d'habitants, au lieu de neuf millions qu'il avait
demandés d'abord. Il les amena ensuite à admettre en principe que cette
cession aurait lieu d'abord sur la frontière italienne, puis dans la haute
Autriche. Arrivé là ne voulant pas encore parler de la Galicie tout en
proposant d'arrondir la Saxe, il demanda qu'on annexât à ce royaume trois
cercles de la Bohème, persuadé que l'empereur François en viendrait de
lui-même à leur substituer une portion de la Galicie, acquisition nouvelle et
à laquelle il ne pouvait tenir autant qu'aux vieilles possessions de la
monarchie. En échange de ces cessions diverses, il restituait, disait-il,
Vienne, les cercles de Brünn et de Znaïm, toute la basse Autriche et la
Styrie[4]. C'était donner à entendre
assez clairement qu'il mettrait encore en avant de nouvelles exigences ; car
nos troupes et celles de notre alliée la Russie n'occupaient pas seulement
ces provinces, elles occupaient aussi près de la moitié de la Galicie, qu'il
n'avait pas été question de restituer. A cet égard, Champagny devait déclarer
que « ces pays devaient être l'objet d'une discussion particulière, et
former un uti possidetis à part. » Tout
accablée qu'elle fût des dures conditions que lui faisait son vainqueur, la
cour d'Autriche dut éprouver une satisfaction profonde lorsqu'elle le vit
enfin, après de si longues hésitations, étendre une main furtive vers la
proie qu'il convoitait. L'empereur François devint tout à coup beaucoup plus
communicatif qu'il n'avait été jusque-là Il envoya à Napoléon son aide de
camp, M. de Bubna, affectant de rejeter la lenteur des négociations
d'Altenbourg sur le formalisme de Metternich, de dire qu'on s'entendrait
beaucoup plus vite sans l'intermédiaire des diplomates. Napoléon accueillit
Bubna avec une courtoisie mêlée de familiarité, il prit la peine de déployer envers
lui ces grâces félines auxquelles il en était venu lui-même, après ses
flatteurs, à attribuer une sorte de pouvoir fascinateur ; il alla, dans le
cours de l'entretien, jusqu'à lui tirer la moustache, ce qui passait pour une
faveur tout à fait hors ligne. Il feignit de lui ouvrir son âme tout entière,
de n'avoir plus rien de caché pour lui. Il ne demandait qu'à vivre en paix
avec l'Autriche, ne tenait nullement à la démembrer, mais il était forcé de
prendre ses précautions contre la faiblesse de l'empereur François, qui était
devenu l'instrument de l'Angleterre et qui « était toujours de l'avis de
celui qui lui parlait le dernier. » Si l'Autriche avait eu un souverain
auquel il pût se fier, comme, par exemple, le grand-duc de Würzbourg,
l'ancien grand-duc de Toscane, frère de l'empereur actuel, Napoléon se disait
prêt à lui restituer tout le territoire qu'il occupait. Là-dessus, Bubna se
récriant pour affirmer que l'empereur d'Autriche n'hésiterait pas à abdiquer
s'il en était ainsi, Napoléon affecta de ne pas le croire, Il voyait bien,
disait-il, qu'on voulait l'obliger à recommencer la guerre, à répandre encore
du sang ; mais, dans ce cas, il ne se retirerait pas avant d'avoir séparé les
trois couronnes. Si l'on voulait la paix, il fallait le prouver en se
résignant aux concessions indispensables. Il insista sur la nécessité de prendre
des gages contre un souverain dont il avait éprouvé l'ingratitude et dont les
intérêts étaient d'ailleurs si opposés aux siens propres : « Votre
maître et moi, lui dit-il avec cette trivialité qu'il prenait pour de la
franchise militaire, nous sommes comme deux taureaux qui veulent coucher avec
la Germanie et l'Italie[5]. » Il repoussa d'ailleurs
avec vivacité une demande de Bubna relative à la restitution du Tyrol à la
maison d'Autriche, mais il réduisit sensiblement ses prétentions en se
déclarant prêt à accepter un sacrifice analogue à celui de Presbourg, ce qui
n'était plus exiger qu'environ trois millions cinq cent mille habitants. A la
suite de l'entrevue avec Bubna, Napoléon se détermina à faire le pas décisif.
On connaissait maintenant à n'en plus douter l'échec définitif de
l'expédition d'Anvers comme la retraite de Wellington sur le Portugal.
L'Autriche n'avait plus aucun secours à attendre de personne ; elle devait
donc être résignée à en finir, et la démarche personnelle de l'empereur
François auprès de Napoléon semblait indiquer cette disposition. D'autre
part, nos succès, quoique incontestables, n'avaient pas eu ce caractère foudroyant
qu'ils avaient eu à d'autres époques. En Autriche, une bataille plus que
douteuse, Essling, et une autre très-disputée, Wagram ; en Espagne, une
bataille perdue, Talavera ; en Hollande, un coup manqué par l'impéritie de
nos adversaires beaucoup plus que grâce au mérite de nos combinaisons, ce
n'étaient pas là des avantages qui nous permissent d'abuser beaucoup de la
victoire. Il fallait en conséquence réduire nos prétentions au minimum et
dicter la paix au plus vite. Napoléon sembla en effet comprendre la nécessité
d'une prompte conclusion, mais c'était moins pour hâter la paix que pour
prévenir l'immixtion de la Russie dans un traité qui allait être fait en
partie contre elle. Il prit donc le parti de démasquer enfin ses vues
réelles, et le 15 septembre, il écrivit à M. de Champagny « de presser le
plus qu'il pourrait les négociations », et de faire savoir aux diplomates
autrichiens que « pour mettre une prompte fin aux maux de la guerre qui
affligent les peuples et spécialement cette bonne nation autrichienne, » il
était prêt à conclure sur la base d'une cession de population de un million
six cent mille âmes sur les frontières de l'Inn et en Italie, et de deux
millions en Galicie « à partager entre la Saxe et la Russie[6]. » Ce
prétendu partage n'était dans son esprit qu'un mot destiné à apaiser
l'empereur Alexandre, car il lui réservait tout au plus un cinquième du
territoire qu'il demandait en Galicie. Ainsi se découvrit enfin cette
arrière-pensée funeste, si grosse de complications présentes et futures.
L'agrandissement du duché de Varsovie, c'est-à-dire de la Pologne, dont il n'avait
pas été question jusque-là dépassait à lui seul celui qu'on avait réclamé
pour l'Italie et la Bavière. Cette divulgation tardive d'une convoitise long-
temps inavouée dévoilait à la fois les plans ultérieurs qu'on avait en vue,
et la cause des dissimulations qu'on avait cru devoir s'imposer d'abord. La cour
d'Autriche n'eut garde de repousser une prétention qui lui était au fond si
avantageuse ; elle fit fort peu d'objections à nos demandes au sujet de la
Galicie, elle nous eût au besoin cédé cette province tout entière, mais elle
s'attacha avec passion à nous disputer son territoire sur les autres points
en litige. Maintenant que Napoléon s'était démasqué, elle avait autant
d'intérêt à prolonger cette discussion qu'il en avait à l'abréger. Ce calcul
n'échappa point à son pénétrant adversaire qui en ressentit une violente
irritation. Avec tout son génie, Napoléon était à la fois trop impatient et
trop impérieux pour être un bon diplomate. Dans toutes les négociations qu'il
conduisait en personne, après avoir préparé avec un art consommé le piège où
il voulait faire tomber ses 'antagonistes, il lui arrivait rarement de ne pas
se laisser deviner avant l'heure, et de perdre ainsi tout le bénéfice de ses,
stratagèmes ; alors, pour dernière raison, il leur montrait la pointe de son
épée. Cet argument était souverain en effet, mais il ajoutait l'humiliation à
la défaite, et suscitait chez les vaincus des ressentiments d'autant plus
profonds qu'on avait d'abord fait appel à des idées de transaction et
d'équité. Dans son dépit d'avoir fait une fausse démarche, il accabla
l'empereur et ses conseillers des plus injurieuses invectives : « Je ne
sais pas, écrivait-il à Champagny, comment on fait dire à ce prince de pareilles
bêtises ; il faut que messieurs de la cour de Dotis n'aient aucune notion
de géographie... il faut leur laisser les rabâchages.... L'empereur ne sait
ce qu'il dit[7]. » Ces
rabâchages avaient pour but de lui arracher quelques milliers de sujets, de
gagner encore du temps, s'il était possible, et c'était là en effet ce que l'Autriche
pouvait faire de plus habile. Mais Napoléon n'était pas homme à laisser tirer
avantage de la fausse position où il -venait de se placer. La diplomatie
étant devenue inutile depuis qu'il avait résolu d'imposer à tout prix ses
volontés, il attira brusquement à lui la négociation, et traita directement
avec Butina et le prince Jean Liechtenstein, le même qu'il avait si bien su
ménager, caresser et enguirlander à la suite de la bataille d'Austerlitz.
C'était dire à l'avance que les choses allaient être menées militairement et
que les conférences d'Altenbourg étaient désormais inutiles. Il fit prendre
ostensiblement à son armée des positions stratégiques, en inspecta les
principaux postes, la passa en revue, puis, ces précautions prises, il
signifia aux deux généraux son ultimatum. Sur la frontière italienne, il se
contenta de la Carniole ; en Carinthie, du cercle de Villach ; en Croatie, de
la rive droite de la Save jusqu'à la Bosnie ; sur la frontière de Bavière, il
céda Lintz et garda Salzbourg. C'était en tout un million cinq cent mille
âmes, au lieu de un million six cent mille. En Galicie, il se contenta d'une
population d'un peu plus de deux millions d'âmes. Il demanda en outre la
réduction de l'armée autrichienne à cent cinquante mille hommes, l'exclusion
des étrangers qui servaient en Autriche, enfin une contribution de guerre de
cent millions (30 septembre). Les
démonstrations menaçantes dont il accompagna ces demandes produisirent leur
effet sur la cour de Dotis, et l'on ne disputa plus que sur le montant de la
contribution de guerre. L'obstination que Napoléon mettait à ne rien céder
sur le chiffre qu'il avait d'abord fixé semblait devoir prolonger ce dernier
débat au-delà de toute limite raisonnable, lorsqu'un incident bien propre à
frapper son esprit vint lui faire sentir la nécessité d'y mettre fin. Le 12
octobre 1809, au moment où il passait ses troupes en revue à Schœnbrünn, un
jeune homme sort de la foule et cherche à s'approcher de lui. Repoussé une
première fois, il s'approche de nouveau, et par son insistance- attire
l'attention de l'entourage de l'Empereur. Rapp et Berthier le font arrêter ;
on le fouille et on découvre un long couteau très-affilé qu'il portait caché
sous son habit. C'était un jeune homme de dix-sept ans, presque un enfant, à
la physionomie triste et douce, fils d'un pauvre pasteur de Naumbourg ; il se
nommait Frédéric Staabs. Interrogé par l'Empereur en présence de Corvisart,
il répondit avec un calme, une assurance qui dénotaient une résolution
inflexible. Corvisart ne put que constater la parfaite régularité de son
pouls. Staabs déclara sans aucune forfanterie qu'il s'était déterminé à tuer
Napoléon pour délivrer l'Allemagne de son oppresseur. Du reste, il n'avait eu
ni confidents ni complices, et ne témoigna ni regret ni repentir. « Je
n'ai démêlé en lui ni fanatisme religieux ni fanatisme politique, » écrivait
Napoléon à Fouché le jour même en lui rendant compte de l'événement. C'était
donc le patriotisme seul qui avait armé son bras. Cette
première apparition des implacables passions de 1813 ne produisit sur
l'esprit de Napoléon qu'une impression passagère, et la leçon que contenait
cet acte de fanatisme fut perdue pour lui. Elle ne lui suggéra d'autre idée
que la nécessité de s'éloigner au plus vite d'une résidence devenue malsaine.
Il n'y vit pas un témoignage de la haine des peuples, mais le crime d'une
exaltation solitaire, et il eût volontiers fait passer Staabs pour un malade
atteint d'aliénation mentale, si l'on n'avait constaté sa parfaite lucidité.
Du reste, très-soigneux de sa sûreté personnelle, il n'eut pas à se défendre
contre des sentiments de clémence qui ne furent jamais dans son cœur. Il ne
sut pas comprendre qu'ayant eu avec Staabs un entretien personnel, il lui
devait sa grâce. La vraie grandeur est toujours généreuse ; entrer en
discussion avec un ennemi vaincu, c'est lui pardonner. Il n'ignorait
pas combien ces actes désespérés sont contagieux ; il recommanda qu'on fît le
moins de bruit possible de l'attentat comme de l'expiation. Il donna l'ordre
à M. de Champagny de signer immédiatement la paix, en transigeant s'il le
fallait sur le chiffre des cent millions. Bubna et Liechtenstein consentirent
à accepter celui de quatre-vingt-cinq millions, en réservant la ratification
de leur cour. Napoléon n'attendit pas que les ratifications fussent échangées.
Ajoutant une dernière ruse à tous les artifices qu'il avait mis en œuvre dans
le cours de ces négociations, quitta Vienne le 15 octobre, après avoir
bruyamment annoncé à tout le monde une paix qui n'était pas encore conclue.
Cette nouvelle si longtemps attendue provoqua partout des manifestations de
joie, qui rendaient tout retour en arrière impossible à la cour d'Autriche,
quoique fussent son dépit et son désappointement. L'échange
des ratifications eut lieu en effet le 20 octobre, au grand déplaisir de
cette cour, qui avait tout intérêt à faire durer la discussion. Peu de jours
après, les troupes françaises évacuèrent la ville de Vienne, en faisant
sauter les remparts inoffensifs de cette capitale, mesquines représailles,
cruauté inutile qui détruisait, non une fortification, mais un souvenir
historique et une promenade chère aux Viennois, comme pour les punir d'avoir
osé arrêter pendant deux jours le roi des rois. D'après le Moniteur lui-même,
les Viennois avaient admirablement soigné nos blessés de Wagram. Notre
état-major les en avait chaleureusement remerciés dans une proclamation qui
se terminait ainsi « Le grand Napoléon saura que vous avez des droits à sa
bienveillance ![8] » Il leur témoigna sa
reconnaissance en mutilant leur ville. Cette exécution sommaire rappela aux
populations, trop promptes à l'oublier, que leur empereur n'était plus que le
vassal du plus impitoyable des maîtres. La paix
de Vienne avait été achetée à de telles conditions qu'elle ne pouvait laisser
derrière elle qu'humiliations, ressentiments, haines nationales. Cependant,
grâce à la politique tortueuse que nous avions suivie, ce n'est pas chez le
peuple vaincu, mais chez le peuple qui avait avec nous profité de la
victoire, qu'elle provoqua le plus de mécontentement. En apprenant les
dispositions du traité relatives à la Galicie, l'empereur Alexandre fut
blessé au vif. Il parcourut en silence ce document en présence de notre
ambassadeur Caulaincourt ; puis, lorsqu'il eut achevé sa lecture, il prit sur
la table un ordre du jour qui destituait le général prince Gortchakoff pour
avoir exprimé des sympathies en faveur de l'Autriche, il fit remarquer à
Caulaincourt la date toute récente de ce jugement, qui était un témoignage
irrécusable de sa fidélité à l'alliance, et là-dessus rompit l'entretien sans
vouloir écouter les justifications embarrassées du diplomate. La
violation des engagements contractés à Tilsit était aussi flagrante qu'elle
pouvait l'être, et Napoléon ne s'était pas dissimulé la mauvaise impression
qu'on en ressentirait à Pétersbourg. Mais il s'était flatté de la dissiper
promptement, soit par les avantages qu'il assurait à la Russie, soit par ses
protestations en faveur du maintien de l'alliance, soit enfin par la crainte
qu'il inspirait. Dans son désir de désarmer à tout prix cette couvi, il
voulut qu'Alexandre connût la réparation en même temps que l'offense, et lui
offrit spontanément une sorte de garantie pour l'avenir. Le jour même de la
signature du traité de Vienne, c'est-à-dire le 20 octobre 1869, Champagny
adressait à M. de Romanzoff -une longue apologie au sujet des cessions
galiciennes. Il assurait que Napoléon n'y avait consenti qu'à son corps
défendant, afin de dérober aux vengeances de l'Autriche des hommes qui
s'étaient sacrifiés pour lui, qu'il veillerait à réprimer tout esprit
révolutionnaire dans les pays cédés à la Saxe, enfin qu' « il était prêt
à accepter que les noms de Pologne et de Polonais disparussent, non-seulement
de toute transaction, mais même de l'histoire. » De
telles assurances dépassaient la mesure, et ce n'était pas par un manque de
dignité qu'on pouvait effacer un manque de bonne foi. Elles ne dissipèrent
nullement la défiance d'Alexandre. Il garda son grief, mais il conçut un
instant l'espérance de tirer parti de la garantie qui lui était offerte.
Cette illusion ne tarda pas à se dissiper, et les choses s'envenimèrent peu à
peu : il résulta bientôt de cette paix tant vantée une sorte de querelle
ouverte entre la Russie et nous. Pendant
que la maison d'Autriche signait la paix avec Napoléon, on continuait à
mourir pour elle dans une des provinces que les guerres antérieures avaient
détachées de la monarchie. Le Tyrol, dont l'insurrection eût été si utile à
l'Autriche s'il avait été géographiquement placé au cœur de l'empire, au lieu
d'être situé dans une position excentrique et isolée, avait été négligé après
les premiers efforts de Lefebvre pour le soumettre, comme une sorte de
forteresse dont on se borne à occuper les avenues et à masquer les débouchés.
La fin des grandes opérations et la signature de la paix permirent à Napoléon
de concentrer contre cette malheureuse province les forces nécessaires pour
la réduire, et la remettre sous le joug détesté de la Bavière. Drouet, Wrède,
Vial et Baraguey d'Huiliers y pénétrèrent en même temps par les vallées du
nord et par celles du sud, avec de fortes colonnes dont le nombre devait
écraser toute résistance. Avant de reprendre les hostilités, le prince Eugène
fit offrir aux insurgés une amnistie qu'ils semblèrent un instant disposés à
accepter. Mais, enthousiaste mystique et ignorant, mené par des fanatiques
qui exploitaient sa crédulité et son courage, Hofer refusa de céder aux
conseils qu'on lui faisait donner de Vienne ; il reprit les armes après quelques
hésitations. Battu, forcé de s'enfuir dans la montagne, il fut saisi à la
suite d'une dénonciation, dans l'asile où il se cachait, et conduit
prisonnier à Mantoue (19 janvier 1810). Le
prince Eugène, dont l'âme était humaine et généreuse, aurait voulu sauver ce
hardi chef de partisans, qui avait plus d'une fois arraché nos soldats
prisonniers à la fureur des vengeances populaires. Le crime de Hofer n'était
après tout que du patriotisme ; il méritait quelque indulgence de notre part,
car c'était par de semblables criminels que la France avait été sauvée sous
la révolution. Mais de telles inspirations furent toujours étrangères à une
âme qui ne connut jamais que le calcul : « Mon fils, écrivit Napoléon à
Eugène le 11 février 1810, je vous avais mandé de faire venir Hofer à Paris ;
mais puisqu'il est à Mantoue, envoyez l'ordre de former sur-le-champ une
commission militaire pour le juger et le faire fusiller à l'endroit où votre
ordre arrivera. Que tout cela soit l'affaire de vingt-quatre heures[9]. » Cet ordre montre par un
trait frappant ce que c'était que cette justice impériale qui pouvait
prescrire à la fois la mise en jugement, la sentence et l'exécution sans
révolter jamais l'indépendance des juges. André Hofer fut fusillé à Mantoue
le 25 'février 1810. Il refusa jusqu'au bout à ses juges le désaveu qu'ils sollicitaient
de lui, pour un recours en grâce qui eût soulagé leur conscience ; il mourut
sans repentir et sans faiblesse simple, fidèle, intrépide, comme on doit
mourir pour son pays, laissant chez ses concitoyens la mémoire d'un patriote
et d'un héros[10]. Au
moment où Hofer tombait dans les fossés de Mantoue, victime de son dévouement
à la monarchie autrichienne, une grande et solennelle réconciliation
s'opérait entre l'auteur du meurtre et celui qui avait bénéficié du
sacrifice. L'empereur François donnait sa fille en mariage à Napoléon, sans
que ni Fun ni l'autre parussent soupçonner combien cette tache de sang était
d'un mauvais augure sur un pareil contrat. Mais, si l'on y réfléchit bien,
chaque ligne de ce contrat extraordinaire n'était-elle pas en quelque sorte
écrite avec du sang ? Que de vies généreuses n'avait-il pas fallu immoler de
part et d'autre pour qu'une semblable alliance fût possible entre l'ancien et
le nouveau César ! La
pensée d'une alliance de famille avec une des races royales de l'Europe était
déjà ancienne chez Napoléon ; elle était conforme à tous ses instincts de
restaurateur de l'ancien régime : mais les événements ne lui avaient pas
permis jusque-là de la réaliser. Il n'avait pu y songer au milieu de guerres
sans cesse renaissantes, et d'ailleurs l'éclat inouï de sa fortune ne lui
avait pas encore tout fait pardonner. Dès l'époque de la loi sur le divorce,
on avait attribué au secret désir de contracter un second mariage l'étrange
facilité qu'il avait fait prévaloir en matière de rupture du lien conjugal,
et Joséphine avait suivi les discussions du conseil d'État avec un intérêt plein
d'une douloureuse anxiété. A plus d'une reprise les courtisans, toujours
empressés de deviner les volontés du maitre, avaient devancé par leurs
indiscrètes prévisions son projet de divorcer avec Joséphine. A Erfurt il
avait pour la première fois osé dire son secret, en faisant pressentir
Alexandre sur la possibilité d'un mariage avec la grande-duchesse Catherine,
l'une des sœurs du czar. Alexandre, tout en se montrant favorablement
disposé, pour son compte personnel, avait allégué la difficulté de vaincre la
résistance de sa mère, et la négociation n'avait pas été poussée plus loin.
Aujourd'hui, entouré du prestige nouveau que lui donnait la paix de Vienne,
plus puissant en apparence qu'à Erfurt, quoique moins solide en réalité,
Napoléon était en droit de croire qu'on ne lui opposerait plus ni faux fuyants
ni prétextes. Il n'y avait plus autour de lui sur les trônes de l'Europe que
des vassaux ou des complaisants ; il était certain de voir sa demande agréée
ou de faire payer cher un refus ; son parti était pris. Quelle
était en ceci sa pensée dominante ? Était-ce orgueil ? désir de s'affermir
lui-même en gagnant un allié parmi les souverains de l'Europe ? Ou bien,
comme il s'en est vanté, sacrifiait-il à l'État ses affections personnelles
dans le but d'assurer un héritier à l'empire ? Le lien qui unissait Napoléon
à Joséphine n'était plus depuis longtemps qu'un attachement où l'habitude
avait plus de part que la tendresse, et qui était sujet à beaucoup de
variations. Avant d'être rompu par le divorce, combien de fois ce lien
n'avait-il pas été dénoué par le caprice ? On pouvait donc contester le
mérite d'un sacrifice qui consistait à substituer une femme jeune et belle à
une épouse vieillie et délaissée. Quant aux idées d'avenir que supposait ce
désir, aussi tardif qu'immodéré, de laisser un héritier, elles ont en général
pour résultat de rendre l'homme prévoyant, prudent, ménager de ses
ressources, en lui donnant cette sagesse qui, selon le langage de nos lois,
appartient au « bon père de famille » ; or il est difficile de ne pas
remarquer combien elles parassent avoir été étrangères à l'esprit de Napoléon
jusqu'à la fin de son étonnante carrière. Quelque chimérique qu'il fût à
certains égards, surtout lorsqu'il s'agissait d'enfanter des projets, est-il
admissible qu'il ait poussé l'illusion jusqu'à croire que l'empire, avec ses
proportions démesurées, pourrait être maintenu par un autre que par lui-même
? Les idées de durée, de consolidation, de perpétuité n'étaient-elles pas
incompatibles avec l'audace et la mobilité de ce joueur incorrigible,
toujours prêt à risquer sa fortune sur un coup de dé ? Il avait toute sa vie
rêvé la gloire d'Alexandre et l'éblouissement du monde, et non la carrière
sévère, patiente et laborieuse des véritables fondateurs d'empire. Ce mariage
avec une fille de race royale était d'ailleurs le complément naturel de ce
système monarchique dont il avait relevé avec tant de soin les mœurs, le cérémonial
et jusqu'aux préjugés. De tous les emprunts qu'il avait voulu faire au passé,
un seul s'était trouvé hors de sa portée, celui du prestige héréditaire. Il
avait cru y suppléer en parlant à tout propos de « son prédécesseur
Charlemagne », mais on n'avait guère pris au sérieux cette parenté
carlovingienne. Il se flattait d'obtenir plus de succès en se parant des
souvenirs d'une antique dynastie. Il est donc permis de croire que, tout en
se rendant compte de l'effet rassurant qu'un tel acte était appelé à produire
sur les esprits, par cela seul qu'il annonçait pour l'avenir des vues
prévoyantes, des dispositions sages et pacifiques, son principal mobile était
surtout d'effacer en lui le dernier stigmate du révolutionnaire et du
parvenu, de traiter d'égal à égal avec les souverains par la grâce de Dieu,
d'humilier enfin ces vieilles dynasties autrefois si dédaigneuses, en leur
ôtant la seule consolation qui leur restât, l'orgueil de naissance et de race.
Au reste, l'impatience et la susceptibilité excessive dont Napoléon fit
preuve dans la négociation relative à son second mariage, montrèrent bientôt
combien la vanité avait plus de part à cette détermination que les
considérations de sagesse dont on a voulu lui faire honneur. Le 26
octobre 1809, il arrivait à Fontainebleau avant toute sa cour, à laquelle il
avait donné rendez-vous dans cette résidence, et il s'ouvrait aussitôt à son
confident Cambacérès du projet qui occupait toutes ses pensées. Ce prudent
personnage fut frappé du ton de majestueuse hauteur et de souveraine
assurance que prit l'Empereur en lui exposant ses vues. Napoléon, a-t-il
écrit, « avait l'air de se promener au milieu de sa gloire[11] » ; image qui rend bien le
changement qu'une infatuation, trop concevable après de si grands succès,
avait apporté dans ses manières autrefois brusques et inquiètes plutôt que solennelles.
Cambacérès était trop sensé, il connaissait trop bien son maître, pour ne pas
comprendre qu'une alliance avec les vieilles dynasties, loin de le rendre
plus sage, aurait pour effet de porter au paroxysme un enivrement devenu si
dangereux. Mais la confiance même qu'on lui témoignait, prouvait assez que
l'archichancelier ne se compromettrait jamais par des avis inopportuns. Il se
borna à alléguer timidement la popularité dont jouissait Joséphine, le danger
d'indisposer la nation en lui faisant craindre une restauration de l'ancien
régime. Mais, aussitôt qu'il vit que c'était chez l'Empereur une résolution
bien arrêtée, il se chargea lui-même, comme toujours, de préparer les voies
et d'aplanir les difficultés. Après
avoir longtemps redouté le malheur qui allait fondre sur elle, l'impératrice
Joséphine avait fini par ne plus y croire à force de le voir ajourné. Pendant
des années, l'éventualité d'un divorce avait fait la préoccupation et le
tourment de sa vie ; elle était redevenue calme et confiante au moment même
ou l'événement était à la veille de se réaliser. On n'avait rien fait pour
l'y préparer. On possède encore la lettre dans laquelle Napoléon lui faisait
savoir sa prochaine arrivée à Fontainebleau. Les termes en étaient plus
affectueux que jamais, comme s'il eût voulu entretenir ses illusions jusqu'au
moment où ii lui porterait un coup si douloureux. « Je me fais une fête
de te revoir, lui écrivait-il de Nymphenburg, le 21 octobre ; j'attends ce
moment avec impatience. Je t'embrasse. Tout à toi[12]. » A Fontainebleau,
pourtant, elle fut frappée de sa contrainte et de sa froideur, des airs
triomphants de ses ennemis jurés, les frères et les sœurs de Bonaparte, qui
s'étaient empressés n'accourir auprès de lui, les uns, pour lui présenter
leurs hommages, les autres, pour rajeunir une faveur compromise par cette
longue absence. Une
particularité significative vint ajouter aux angoisses qu'il lui fallait
cacher sous un front riant, au milieu des fêtes quotidiennes de la cour de
Fontainebleau. Elle s'aperçut que la communication secrète de son appartement
avec celui de l'empereur avait été interrompue, comme si on avait voulu
l'avertir que c'en était fait de l'intimité d'autrefois[13], La cour quitta Fontainebleau
le 15 novembre, pour revenir à Paris. Tous les souverains soumis au système
de Napoléon, et fidèles satellites de sa puissance, avaient été convoqués par
des invitations qui étaient des ordres déguisés. Là les bruits de divorce
prirent une telle consistance que l'infortunée ne put bientôt plus douter du
sort qui l'attendait. Le soir du 30 novembre, le préfet du palais était de
service dans une pièce contiguë au salon où se trouvaient l'Empereur et
Joséphine, lorsqu'il entendit retentir des cris déchirants, et reconnut avec
stupeur la voix de l'impératrice. Quelques instants après la porte s'ouvrit,
et Napoléon l'ayant fait entrer, il put voir l'Impératrice en proie à une
violente attaque de nerfs, proférant des paroles de détresse et de désespoir.
Il aida Napoléon à la transporter dans son appartement et à lui donner les
premiers soins, non sa.as avoir eu Occasion de s'apercevoir que si la douleur
n'était pas feinte, l'évanouissement avait été joué[14]. L'éclat
tant redouté avait eu lieu. L'Empereur, d'abord décidé à attendre l'arrivée
du prince Eugène à Paris, afin d'adoucir par la présence et les consolations
d'un fils tendrement aimé, l'amertume de la communication qu'il voulait faire
à Joséphine, avait laissé échapper son secret dans une heure d'impatience et
de dureté. Lorsqu'il annonça cette terrible nouvelle, qu'elle seule était
encore à ignorer, à la femme qui avait si exceptionnellement contribué à sa
fortune en lui apportant dans sa corbeille de mariage le commandement en chef
de l'armée d'Italie, il y avait déjà huit jours qu'il avait chargé Champagny
de demander pour lui la main de la sœur de l'empereur Alexandre. C'était à la
Russie son alliée, qu'il avait jugé devoir s'adresser d'abord de préférence
sur l'Autriche, soit que cette dernière puissance lui partit avoir été trop
cruellement traitée pour être séduite par l'appas d'une union de famille,
soit qu'un refus lui semblât moins probable de la part d'Alexandre, soit
enfin qu'il estimât avec raison plus dangereux de blesser un souverain si
redoutable que d'ajouter un déplaisir aux disgrâces d'une monarchie affaiblie
et vaincue. Le 22 novembre, Champagny écrivait à Caulaincourt qu'à Erfurt
l'empereur Alexandre avait dit à Napoléon « que la princesse Anne sa
sœur était à sa disposition », altération étrange d'une
proposition qui était venue non de la Russie mais de nous, et imaginée par
Napoléon dans le but de rendre le refus plus difficile. Caulaincourt devait
en conséquence aborder la question simplement et franchement avec Alexandre,
et lui dire « que l'Empereur, pressé par toute la France, se disposait au
divorce. Pouvait-on compter sur la sœur du czar ? Que Sa Majesté y pense deux
jours, et réponde franchement non comme à l'ambassadeur de France, mais comme
à une personne passionnée pour les deux familles[15]. » L'affaire
n'était ni aussi simple ni aussi aisée qu'on feignait de le croire à Paris,
surtout depuis qu'on avait blessé au vif le sentiment national des Russes en
faisant reparaître si fâcheusement à leurs yeux le spectre menaçant de la
Pologne. Quant aux difficultés que pouvait soulever le divorce, elles
n'étaient pas de nature à embarrasser la toute-puissance de Napoléon.
L'archichancelier avait indiqué la procédure à suivre. La dissolution du lien
civil était facile à obtenir, puisqu'il suffisait d'après le Code, du
consentement mutuel pour que le divorce fût prononcé. Il y avait bien une
disposition d'un certain décret qui interdisait le divorce aux membres de la
famille impériale[16]. Mais si l'empereur trouvait
bon que cet article fût appliqué au roi Louis son frère dont les infortunes
conjugales étaient si connues, il n'entendait nullement s'y soumettre
lui-même. Et d'ailleurs, qui eût osé l'invoquer contre lui ? En revanche, la
dissolution du lien religieux présentait plus d'un obstacle, car elle
dépendait de la juridiction ecclésiastique. A l'époque du sacre, dans le but
de dissiper les craintes de Joséphine et d'apaiser les scrupules du pape,
Napoléon avait consenti, sur les instances du cardinal Fesch son oncle, à
contracter secrètement un mariage religieux, et la consécration lui avait été
donnée par le cardinal lui-même dans un appartement des Tuileries. L'Église
catholique n'admettait, pas le divorce, ou du moins elle ne l'avait toléré
que dans des cas très-rares, pour payer certaines faveurs qui lui coûtaient
cher, puisqu'elle les achetait au prix de sa considération. Il fallait donc
faire prononcer la nullité du mariage religieux, ce qui revenait au même que
le divorce. Mais l'autorité compétente en ce qui concernait les souverains
était le pape, et le pape était le prisonnier de Napoléon ; on ne pouvait
rien attendre de sa complaisance. Ici encore le savant et avisé jurisconsulte
prit sur lui de dénouer, par des moyens sûrs et discrets, la difficulté qu'il
y eût eu scandale et péril à trancher trop brusquement. Depuis
la triste scène qui avait divulgué les déchirements intimes de la famille
impériale, le divorce était devenu l'entretien de la cour et de la ville. La malheureuse
Joséphine, soutenue par l'affection de ses enfants qui n'étaient guère moins
frappés qu'elle., et convaincue de l'inutilité de sa résistance, s'était
soumise, sinon résignée, après de mortelles angoisses à une volonté désormais
inflexible. Pour paraître consentante, il fallait qu'elle se montrât. On la
traînait donc dans toutes les grandes réceptions officielles, et le public,
avide de médisances, épiait sur ses traits l'étendue et les progrès de sa
disgrâce. Les échos du palais répétèrent plus d'une fois ses plaintes et ses
sanglots ; mais on voulait que cette victime de l'orgueil et de la politique
parût heureuse du sacrifice, et on ne lui fit pas grâce d'une représentation.
Dans les fêtes qui furent données au commencement de décembre, pour célébrer
l'anniversaire du couronnement, Paris la vit, la mort dans l'âme et le
sourire sur les lèvres, portant avec grâce le désespoir qui la torturait,
jouant pour la dernière fois son rôle de souveraine, entourée de ses enfants
qui, selon" l'expression d'un contemporain, dansèrent aux funérailles de
leur mère. Le 15
décembre 1809, dans un conseil de famille auquel assistaient tous les
membres.de la famille impériale présents à Paris, l'Empereur lut une
déclaration destinée à faire connaître la détermination qu'il avait prise de
se séparer de Joséphine : « La politique de sa monarchie, l'intérêt et
le besoin de ses peuples, voulaient qu'après lui il laissât à des enfants,
héritiers de son amour pour eux, le trône où la Providence l'avait placé.
Depuis plusieurs années il avait perdu l'espérance d'avoir des enfants de son
mariage avec sa bien-aimée épouse, c'est ce qui le portait à sacrifier les
plus douces affections de son cœur, à n'écouter que le bien de l'État et à
vouloir la dissolution de leur mariage... » Lorsque Joséphine se leva
pour lire à son tour la déclaration qu'on lui avait remise toute rédigée, et
qui constatait un consentement si peu en accord avec ses vrais sentiments,
les sanglots lui coupèrent la parole. Il lui fut impossible, malgré ses efforts,
d'articuler une seule phrase de ce rôle étudié, on ne vit plus que les
convulsions de sa douleur, et pour un instant la vérité seule apparut
au-dessus des mensonges officiels. Regnault de Saint-Jean d'Angély, prenant
le papier des mains tremblantes de Joséphine, donna lecture de ce document,
qui dissimulait sous des formules de convention, les tortures d’une âme
blessée à mort par l'humiliation, les regrets et le désespoir. Le lendemain,
16 décembre, le procès-verbal de cette double déclaration fut présenté au
Sénat avec le sénatus-consulte destiné à légaliser la dissolution du mariage.
Ce sénatus-consulte déclarait dissous le mariage contracté entre Napoléon et
Joséphine ; il fixait à deux millions de revenu annuel sur le trésor de
l'État le douaire de l'Impératrice divorcée, qui conservait son titre et son
rang. L'Empereur ajouta à cette dotation une rente d'un million sur la liste
civile. Le
prince Eugène, qui avait cruellement ressenti le coup porté à sa mère, et qui
venait de perdre lui-même ses espérances de royauté en Italie, dut venir
témoigner devant le Sénat des sentiments de reconnaissance de sa famille, et,
ce qui dépassait peut-être la mesure, « de la satisfaction mêlée
d'orgueil avec laquelle sa mère verrait tout ce que ses sacrifices devaient
produire d'heureux pour la patrie et pour l'Empereur. » Regnault célébra
dans un discours larmoyant « Joséphine immolant sa tendresse pour le meilleur
des époux, par dévouement pour le meilleur des rois, par attachement pour le
meilleur des peuples » ; il adjura les sénateurs « d'accepter au nom de
la France attendrie, aux yeux de l'Europe étonnée, ce sacrifice, le plus
grand qui eût été tait sur la terre ![17] » Cette hyperbole rendait
l'adulation bien difficile à ceux qui devaient parler après lui. Lacépède, à
qui l'attendrissement ne faisait pas perdre son esprit d'à-propos, préféra
offrir son encens au sacrificateur plutôt qu'à la victime. Il fit observer au
Sénat que « chose bien digne de remarque, parmi les treize rois de France que
leur devoir de souverain avait contraints à dissoudre les nœuds qui les
unissaient à leurs épouses, on devait compter quatre des monarques les plus
admirés et les plus chéris, Charlemagne, Philippe Auguste, Louis XII et Henri
IV. » Grâce à cette interprétation de l'histoire, quoi que fit désormais
Napoléon, il ressemblait désormais à un grand homme, et le divorce n'était
qu'une perfection de plus du moment où c'était Napoléon qui divorçait. A la
suite de ces deux discours, le sénatus-consulte fut voté par quatre-vingts
voix contre sept. La
dissolution du lien religieux, poursuivie devant l'officialité diocésaine,
provoqua d'abord quelques scrupules chez les membres de ce tribunal
ecclésiastique, qui se fussent récusés avec joie, si on leur en avait laissé
la faculté. Compétents vis-à-vis des particuliers, ils alléguaient, non sans
apparence de raison, leur incompétence vis-à-vis d'un souverain, et le long
usage qui attribuait aux papes cette juridiction spéciale. Le subtil
Cambacérès répondait que l'intervention du pape, nécessaire peut-être pour dissoudre
un mariage régulier, était inutile pour prononcer la nullité d'un mariage
dans lequel aucune règle n'avait été observée, où il n'y avait eu ni témoins,
ni propre prêtre, ni même consentement. En effet, disait la requête
impériale, appuyée des témoignages de Duroc, de Talleyrand et de Berthier, l'Empereur
n'avait donné qu'un simulacre de consentement, dans le but d'apaiser
Joséphine et de rassurer la conscience du pape ; mais il n'avait pas sérieusement
consenti, puisqu'il avait dès lors la certitude de se voir obligé de
contracter un second mariage. En d'autres termes, il avait trompé à la fois
Joséphine, le cardinal Fesch et le pape[18]. Cambacérès
ne refusa pas toutefois de calmer les consciences timorées de l'officialité.
Il leur apporta une déclaration d'un comité, composé de sept évêques,
certifiant que le tribunal de l'officialité était compétent pour trancher la
question. L'officialité commença donc un semblant d'instruction sur les moyens
de nullité invoqués par l'Empereur. L'argument tiré de l'absence de témoins
et du propre prêtre, c'est-à-dire du curé de la paroisse, aurait eu une
grande valeur, si le cardinal Fesch n'avait déclaré, avec une franchise qui
n'était pas sans courage, que le pape l'avait expressément dispensé, en
raison des circonstances, de suivre les formes ordinaires ; particularité
embarrassante pour des consciences catholiques. Ce fut donc sur le défaut de
consentement de l'Empereur, sur l'espèce de violence morale que ce singulier
mineur avait subie, c'est-à-- dire, en réalité, sur la tromperie calculée
dont Joséphine avait été victime de la part de son mari, que les ayants cause
durent insister. Mais l'argument sur lequel ils comptaient le plus, et qui
avait le plus de prise sur l'esprit de ces malheureux juges, était celui
qu'on ne disait pas c'était le pouvoir sans limites et le caractère connu de
ce terrible justiciable. Le tribunal de l'officialité ne se piquait pas de
plus de vertu que Pie VII lui-même n'en avait montré à une autre époque ; il
ne demandait qu'un prétexte pour se soumettre. Il prononça, en conséquence,
l'annulation du mariage religieux ; et le tribunal métropolitain s'empressa
de confirmer cette sentence (janvier 1810). Joséphine,
que la solitude était venue chercher au milieu même de la cour des Tuileries
avant que la répudiation fût consommée, alla ensevelir ses chagrins à la
Malmaison, où elle acheva ses jours, peu d'années après, dans l'isolement et
l'abandon. Napoléon alla chasser à Trianon pendant une semaine, afin de
marquer la séparation qui commençait. Les négociations avec Pétersbourg pour
la conclusion d'un mariage russe ne s'étaient pas ralenties un seul instant.
Le 28 décembre 1809, Caulaincourt avait fait à l'empereur Alexandre
l'ouverture dont Champagny l'avait chargé. Lorsque cette demande fort
inattendue vint le surprendre, Alexandre était encore tout entier à ses
appréhensions au sujet du rétablissement de la Pologne, appréhensions
provoquées par les cessions galiciennes, et qui se traduisaient chez toute la
nation russe par une vive et profonde irritation. Sous l'influence de ses
propres craintes, et sous le coup des reproches que lui adressait assez
ouvertement l'opinion publique, qui était alors beaucoup plus libre en Russie
qu'en France, il avait accueilli avec un_ empressement facile à imaginer,
l'offre inespérée que lui avait fait faire Napoléon, à la date du 20 octobre
précédent, de concourir avec lui à effacer tous les anciens souvenirs, et « à
faire disparaître le nom de Pologne et de Polonais, non-seulement de toute
transaction politique, mais même de l'histoire. » S'il obtenait seulement
qu'on le fit disparaître du Moniteur où il figurait presque chaque jour, la
concession ne serait pas sans importance. Connaissant
le caractère de son allié, et désirant que de telles promesses ne restassent
pas à l'état de vaines paroles, il s'occupa immédiatement de les faire
formuler en un projet de convention destiné à avoir force de loi. Ce projet
fut rédigé sur les bases suivantes 1° engagement réciproque à ne jamais
laisser rétablir la Pologne ; 2° suppression des noms de Pologne et de
Polonais dans tous les actes publics et privés ; 3° suppression des anciens
ordres de Pologne et de toute autonomie du duché de Varsovie. Ce fut au
moment où Alexandre et ses conseillers étaient en train de débattre avec
Caulaincourt les termes de cette convention, que la demande en mariage vint
leur apprendre quel prix Napoléon entendait mettre à son abandon de la
Pologne ; car il était difficile de croire que le hasard seul avait réuni
deux propositions si différentes. Pour
donner une idée des sentiments que la demande de Napoléon dut inspirer à
Alexandre, il suffit de dire que le czar avait pénétré à fond son allié. Son
jugement intime était donc fort éloigné de l'admiration banale et officielle
qu'il se croyait obligé de professer pour lui. Non-seulement il avait eu avec
lui des rapports personnels fréquents, qui auraient suffi pour une
appréciation des moindres nuances du caractère, mais il avait pu le mettre à
l'épreuve dans la paix comme dans la guerre, dans les petites comme dans les
grandes affaires. Alexandre, dont le seul défaut, au milieu de qualités
généreuses et élevées, a été un penchant marqué pour la ruse, était un
observateur assez pénétrant pour voir juste, On a de lui, datées de cette
époque même (novembre et décembre 1809), des conversations recueillies jour par jour par
son interlocuteur, le prince Adam Czartoryski, et dans lesquelles il est
facile de saisir son jugement sur Napoléon. Tout en exprimant son opinion
avec beaucoup de calme et de réserve, il manifestait envers lui une défiance
extrême. Il déclarait que « c'était un homme à qui tous les moyens
étaient bons, pourvu qu'il parvint à son but, et chez qui tout était calcul
jusqu'à l'emportement. » Il affirmait avoir la preuve en main qu'au
moment même où Napoléon lui proposait d'effacer de l'histoire les noms de
Pologne et de Polonais, et faisait faire au Corps législatif, par M. de
Montalivet, des déclarations équivalentes, il faisait assurer aux Polonais
que c'étaient là de pures feintes destinées à tromper leurs communs ennemis.
Enfin, son sentiment dominant au sujet de Napoléon était celui que peut
inspirer une puissance redoutable et perverse, à un caractère naturellement
bienveillant, c'est-à-dire une aversion mêlée de crainte[19]. Ces
dispositions pouvaient passer pour amicales auprès de celles dont la cour et
la nation étaient alors animées à notre égard, par suite des encouragements
donnés à la Pologne et des vexations provoquées par le blocus continental.
Alexandre ne put donc qu'être surpris très-désagréablement par l'ouverture
inattendue que lui fit Caulaincourt. Trop politique et trop courtois pour ne
pas dissimuler sa contrariété, il déclara que pour son compte il verrait avec
plaisir une union si bien faite pour fortifier l'alliance entre les deux
pays. Mais la décision, ajouta-t-il, ne dépendait pas de lui seul. Un ukase
spécial de l'empereur Paul, son père, avait donné à l'impératrice mère la
disposition exclusive de ses filles ; il s'efforcerait donc d'obtenir son
consentement ; mais pour ménager la susceptibilité de l'Empereur, il ne
parlerait de sa demande que comme d'une démarche possible et éventuelle[20]. Les
sentiments de sa mère à l'égard de Napoléon lui étaient depuis longtemps
connus. C'était pour échapper à une première ouverture de mariage, qu'après
Erfurt, l'impératrice mère avait mis une si grande hâte à marier la
grande-duchesse Catherine au duc d'Oldenbourg, quelque peu brillante que fût
cette alliance. Alexandre ne pouvait donc se méprendre sur le résultat de sa
tentative ; mais il voulait, d'une part, convaincre Napoléon qu'il avait tout
fait pour réussir ; de l'autre, il tenait à conclure dans toute éventualité
la convention qu'on lui avait promise relativement à la Pologne, et qu'on
entendait lui faire payer d'une rançon si chère et si nouvelle. De son côté,
Caulaincourt avait reçu de Champagny l'autorisation de signer tout ce qu'on
lui demanderait au sujet des Polonais, en réservant toutefois la ratification
de Napoléon, précaution aussi significative que cette latitude était
inusitée. Dans son désir de mener à bonne fin la négociation du mariage,
notre ambassadeur devait tout naturellement s'exagérer l'in fluence que la
conclusion de la convention exercerait sur l'heureuse issue du projet de
mariage. Le 4 janvier 1810, au moment où Alexandre commençait à lui exprimer
l'espoir de fléchir sa mère, Caulaincourt signa la convention relative à la Pologne,
persuadé que cette importante concession de notre part allait décider du
mariage, tandis que, par un calcul tout semblable, le czar traînait en
longueur les pourparlers avec sa mère, et laissait espérer le mariage,
persuadé que Napoléon allait ratifier le traité. Les
choses en étaient là lorsque, le I 0 janvier 1810, Caulaincourt reçut l'ordre
de demander une réponse catégorique dans un délai de dix jours. Cet
ultimatum, vraiment extraordinaire en pareille situation, a été attribué
jusqu'ici à l'impatience et â l'irritation que Napoléon aurait éprouvées eu
présence des lenteurs de la cour de Russie. Un simple examen des dates suffit
pour démontrer le peu de fondement de cette supposition. L'empereur Alexandre
avait été absent de Pétersbourg jusqu'au 27 décembre, le fait est constaté
par le Moniteur lui-même[21], et c'est seulement le 28 qu'il
avait eu pour la première fois connaissance de la demande exprimée par
Napoléon. Caulaincourt avait transmis sa réponse le jour même, mais comme les
courriers mettaient alors de quinze à vingt jours pour aller de Pétersbourg à
Paris, il était matériellement impossible que Napoléon connût la première
dépêche de Caulaincourt, lorsqu'il imposa à ce diplomate la démarche
singulière et presque blessante, que l'ambassadeur de France dut faire auprès
d'Alexandre le 10 janvier 1810. Par une coïncidence remarquable, c'est au
moment même où Caulaincourt demandait à Alexandre la main de la
grande-duchesse Anne, que Napoléon renonçait définitivement à ce projet
d'alliance, car il était trop perspicace pour se dissimuler qu'une rupture était
l'inévitable résultat d'un ultimatum aussi peu convenable[22]. Que s'était-il donc passé de
nature à modifier si brusquement ses résolutions ? La perspective d'un
mariage non pas plus honorable ni plus avantageux, mais au point de vue
dynastique plus flatteur pour l'orgueil de Napoléon, s'était présentée, et il
l'avait embrassée aussitôt avec le capricieux engouement d'un enfant gâté de
la fortune, sans se préoccuper des suites politiques d'un pareil revirement. Lors de
la dernière soirée que l'impératrice Joséphine présida aux Tuileries,
c'est-à-dire un peu avant le 15 décembre, date de son départ pour la
Malmaison, un secrétaire de l'ambassade d'Autriche, M. de Floret, causant
avec M. de Sémonville, un des esprits les plus déliés du temps, lui exprima
dans la conversation son regret de voir le divorce aboutir à un mariage
russe, tandis que l'Autriche eût été, selon lui, enchantée de donner à
Napoléon une de ses archiduchesses. Sémonville feignit la surprise, et affecta
de ne voir dans les paroles du diplomate qu'un regret de politesse. Sur les
assurances réitérées de M. de Floret qu'il parlait très-sérieusement,
Sémonville s'empressa de rapporter le propos au duc de Bassano, qui le répéta
immédiatement à l'Empereur. Napoléon venait de recevoir des renseignements
tout semblables sur les dispositions de la cour de Vienne par M. de Narbonne,
alors de passage dans cette capitale[23]. Il chargea en conséquence le
duc de Bassano de faire, aussi secrètement que possible, une ouverture dans
ce sens au prince de Schwarzenberg, ambassadeur d'Autriche, en s'efforçant
d'obtenir sa parole sans s'engager lui-même. M. de Laborde, qui avait servi
en Autriche pendant l'émigration, et qui était, lié avec le prince de
Schwarzenberg, fut l'intermédiaire choisi pour cette négociation délicate. Il
trouva le prince désolé du mariage russe, qu'il considérait comme un nouveau
malheur pour l'Autriche. Dès les premiers mots de M. de Laborde,
l'ambassadeur saisit comme une bonne fortune inespérée l'occasion qui lui
était offerte. Il s'empressa d'en écrire à sa cour, qui était dévorée des
mêmes regrets et des mêmes inquiétudes. C'est
qu'en effet le projet de mariage russe était une conjoncture bien grave et
bien menaçante pour la cour de Vienne. Pendant tout le cours des négociations
qui avaient précédé la paix, l'Autriche n'avait poursuivi qu'un but,
indépendamment de sa préoccupation bien naturelle d'alléger le plus possible
les charges que lui imposait la défaite, celui d'indisposer la Russie contre
la France, de mettre fin à une alliance qui était un insurmontable obstacle
au rétablissement de sa puissance. Ce but, elle l'avait en partie atteint en
offrant la Galicie aux convoitises de Napoléon ; et au moment où elle
s'applaudissait de son ouvrage, et voyait avec une joie secrète grandir la
mésintelligence entre Alexandre et Napoléon, surgissait un événement imprévu
qui allait mettre à néant toutes ses espérances. Bien qu'il fût impossible à
des esprits vraiment politiques de se faire beaucoup illusion sur les
avantages d'une alliance dynastique, dans une époque de révolution et avec un
souverain tel que Napoléon, la cour de Vienne savait que, pour quelques
années au moins, l'intimité entre les deux empereurs en serait plus étroite,
et les deux États n'ayant presque en toute chose que des intérêts communs et
pas une opposition réelle et profonde, il y avait de sérieuses chances pour
que l'alliance s'affermit avec le temps au lieu de se dissoudre. Ce mariage
était donc un coup de grâce pour l'Autriche ; il ne lui laissait aucun espoir
de se relever dans un temps prochain. On
devine, d'après ces circonstances, avec quels sentiments la communication du
prince de Schwarzenberg dut être accueillie à Vienne. On lui transmit immédiatement
l'avis que si la demande à laquelle il faisait allusion était faite, elle
recevrait une réponse favorable ; et c'est évidemment sur cette assurance que
Napoléon fit adresser à Alexandre l'espèce de sommation peu convenable, sinon
blessante, d'avoir à se prononcer dans un délai de dix jours. Une autre preuve
non moins forte que sa préférence était donnée à l'Autriche, résulte de la
démarche publique qu'il fit à ce moment, comme pour se fournir à lui-même, aux
yeux de l'Europe, de nouveaux arguments à l'appui de la résolution qu'il
avait prise. L'ultimatum signifié à Alexandre lui laissait jusqu'au 20
janvier 1810, pour donner une réponse définitive. Dès le 21 janvier,
c'est-à-dire quinze jours au moins avant de connaître cette réponse, Napoléon
réunissait aux Tuileries un conseil privé, composé de tous les grands dignitaires
de l'empire, pour soumettre à leurs délibérations le choix entre les deux
grandes alliances qui s'offraient à lui. Une semblable discussion, ouverte en
un pareil moment, était souverainement offensante pour la Russie, puisqu'elle
donnait à entendre aussi clairement que possible qu'on ne se considérait
nullement comme engagé par la demande qu'on lui avait faite. De l'étude
attentive des faits et des dates, il résulte donc avec évidence que Napoléon
renonça au mariage russe, au moment même où son ambassadeur Caulaincourt
formait la demande auprès d'Alexandre, et que le conseil privé, dans lequel
fut débattue la question des alliances, n'était à ses yeux qu'un moyen de se
dégager dans le cas où la réponse du Czar eût été favorable. Napoléon
connaissait trop bien, en effet, ses conseillers pour ne pas savoir que la
majorité se prononcerait toujours dans le sens de ses propres désirs. Jamais
il ne se décida d'après leurs avis ; ce n'était pas un conseil qu'il leur
demandait dans cette circonstance, mais une manifestation qui eût le double
avantage de lui offrir à la fois un de ces effets de théâtre qu'il aimait
tant, et un prétexte pour masquer sous un prétendu intérêt d'État une
volte-face inspirée par la vanité. L'intérêt d'État n'était pas douteux, quoi
qu'on pût dire ; il était tout entier du côté de l'alliance russe. Le mariage
autrichien pouvait-il nous rendre l'amitié de la cour de Vienne ? Comment le
croire après tous les coups successifs dont nous avions frappé cette
puissance, après les guerres qui lui avaient fait perdre en si peu d'années
tant de belles provinces, la Lombardie, la Vénétie, le Tyrol, la Souabe, la
Dalmatie, -l'Illyrie, la nouvelle Galicie sans parler de la Belgique, de la
couronne impériale d'Allemagne, enfin du grand-duché de Toscane qui
appartenait à un de ses archiducs ? Comment supposer que le bonheur de donner
une archiduchesse à un parvenu si longtemps l'objet de sa haine, allait lui
faire oublier tant de pertes et de griefs ? Mais ce mariage n'était pour elle
qu'un sacrifice et une humiliation de plus, si l'on ne supposait pas qu'elle
y voyait un grand avantage politique. La douloureuse confession que fit plus
tard l'empereur François ne permet aucun doute à cet égard : « Pour
conjurer des maux incurables, disait-il dans son manifeste du 12 août 1813,
et pour s'assurer le gage d'un meilleur avenir, S. M. livra ce qui était
le plus cher à son cœur ! » Au reste plus ce calcul était humiliant, plus
il importait de nous le faire pardonner. Si Napoléon était disposé à faire à
l'Autriche des restitutions de nature à la satisfaire, l'alliance
autrichienne pouvait être un événement heureux, une garantie pour la paix de
l'Europe ; mais rien n'était plus éloigné de sa pensée qu'un acte semblable.
C'était donc une ennemie intime qu'on allait avoir en elle, au lieu d'une
ennemie déclarée, et ses menées devaient être d'autant plus dangereuses, que
son désappointement aurait été plus amer. On
pouvait non sans vérité, reprocher à l'alliance russe d'encourager Napoléon à
une politique d'aventures qui n'était que trop conforme aux tendances de son
génie, mais l'impunité avec laquelle il avait pu jusque-là s'exposer à ce
danger, attestait la sécurité qu'il y trouvait, même lorsque la Russie ne le
secondait qu'à demi, comme dans la dernière campagne. Elle lui donnait du
moins la force, elle ne lui coûtait ni rétrocessions ni sacrifices, elle ne
lui imposait que le maintien du statu quo au sujet de la Pologne. Il convient
d'ajouter à ces considérations qu'un refus n'avait rien de blessant pour
l'Autriche, puisque de ce côté-là on n'avait pas à retirer une demande qu'on
n'avait pas faite, tandis qu'une simple renonciation était offensante pour la
Russie, même dans le cas où elle n'eût pas été disposée à accorder ce qu'on
lui demandait, parce qu'on n'avait pas attendu sa réponse pour se décider.
Conclure avec la Russie, c'était porter un dernier coup à l'Autriche déjà
accablée ; mais conclure avec l'Autriche, c'était rompre avec la Russie
encore puissante et intacte. On n'a
aucun compte rendu officiel de la délibération du conseil privé ; mais cette
lacune ne paraît pas fort à regretter. La plupart des personnages qui étaient
appelés à s'y faire entendre, savaient de reste à quoi s'en tenir sur
l'importance de l'avis qu'on leur demandait. On n'y vit en général qu'une
cérémonie destinée à faire connaître au monde entier que toutes les maisons
souveraines d'Europe se disputaient l'honneur de donner une épouse à
Napoléon. Des deux opinions qui avaient le plus de poids, celle de Talleyrand
fut favorable à l'Autriche, et celle de Cambacérès à la Russie ; et toutes
deux furent également bien motivées, à cette différence près que le système
préconisé par Talleyrand, praticable après Austerlitz, avec les tempéraments
et les concessions que lui-même jugeait alors nécessaires, exigeait
aujourd'hui beaucoup plus de sacrifices, et aussi de sagesse politique qu'on
n'en pouvait espérer de Napoléon. Les autres avis étaient dictés ou par la
complaisance ou par la situation personnelle de leurs auteurs. Le prince
Eugène, préoccupé surtout de l'idée de conserver la paix en Italie et de
maintenir l'intégrité du royaume de son beau-père, le roi de Bavière, se
prononça pour l'Autriche, tandis que Murat, animé de l'hostilité que
nourrissait la famille Bonaparte contre les Beauharnais, se déclara avec
énergie pour le mariage russe, au nom des principes et des intérêts de la
Révolution menacés, disait-il, par une union dans laquelle la nation verrait
une sorte de réconciliation avec l'ancien régime. En résumé, deux voix se
prononcèrent pour la Russie, cinq pour l'Autriche, deux pour le mariage avec
une princesse saxonne dont il n'avait pas été question sérieusement, et qui
ne figurait là que pour faire nombre. On affirme d'ordinaire, dans les comptes
rendus qui ont été faits de cette singulière délibération, que Napoléon se
borna en cette circonstance à écouter les avis sans en émettre aucun_
Cependant le roi Louis, qui assista à ce conseil et opina pour la princesse
saxonne, assure dans ses Mémoires, que Napoléon répondit à Murat et se
déclara avec chaleur pour l'alliance autrichienne. Le 10
janvier, Caulaincourt fit connaître à Alexandre le terme que Napoléon lui
fixait pour répondre. Cette exigence, qui ne pouvait s'expliquer que par l'arrière-pensée
de rompre la négociation était d'autant plus singulière qu'il S'agissait, on
ne pouvait l'ignorer à Paris, d'une jeune fille à peine âgée de seize ans. Il
était impossible de résoudre dans un délai si court les questions
très-délicates qui se liaient à ce projet. Il est fort probable qu'Alexandre
n'eût jamais accepté un ultimatum aussi insolite, s'il n'avait été avant tout
préoccupé de faire ratifier la convention relative à la Pologne. Il s'efforça
donc de ne pas décourager Caulaincourt, tout en évitant avec soin de
s'engager formellement. Il lui dit qu'il avait le plus grand espoir de venir
à bout des résistances de sa mère, mais qu'on devait tenir compte de ses
scrupules et de ses craintes. Elle avait perdu deux de ses filles pour les
avoir mariées trop jeunes. La grande-duchesse Anne n'était pas encore nubile
; il fallait par conséquent attendre un ou deux ans. La différence de
religion était une autre difficulté. L'impératrice voulait que non-seulement
sa fille ne changeât pas de communion religieuse, maïs que l'exercice du
culte grec lui fût assuré, dans tous les cas. Elle rappelait que ce rite ne
permet pas le mariage avec un homme divorcé, qu'elle s'était liée
antérieurement par une promesse faite à un duc de Cobourg. Enfin ni les
objections ni les prétextes ne lui manquèrent pour justifier ses répugnances,
et le délai fixé par Napoléon s'écoula sans que l'empereur Alexandre eût pu
lui faire transmettre autre chose que des assurances de bonne volonté. Les
dépêches de Caulaincourt annonçant que la cour de Russie n'avait pas encore
pris de détermination, arrivèrent à Paris le 6 février. Sur l'heure même,
Napoléon lui fit écrire qu'il se considérait comme dégagé à l'égard
d'Alexandre. Et ce qui prouve à la fois combien il comptait sur ce dénouement,
et combien les négociations avec la cour de Vienne avaient marché pendant ce
mois où il était censé attendre une réponse favorable de Pétersbourg, c'est
qu'il put le jour même faire rédiger son contrat de mariage avec
l'archiduchesse Marie-Louise, et le faire signer le lendemain 7 février 1810,
par le prince Schwarzenberg Les raisons qu'il allégua pour motiver sa
renonciation à la main de la sœur d'Alexandre, tendraient à démontrer que son
thème était fait même pour le cas, assez invraisemblable il est vrai, où sa
demande aurait été agréée. « Vous lui ferez connaître, écrivait-il à
Champagny, qu'un conseil a eu lieu il y a peu de jours, et que les opinions y
ont été partagées entre les princesses russe et autrichienne ; que les
opinions sont partagées en France spécialement à cause de la religion, et que
les personnes qui attachent le moins d'importance à la religion, ne peuvent
s'accoutumer à l'idée de ne pas voir l'impératrice suivre les cérémonies de
l'Église à côté de l'Empereur ; que la présence d'un pope paraît un plus
grand inconvénient encore et que ce serait se reconnaitre une grande
infériorité que de constater par un traité, la présence d'un pope aux
Tuileries... L'Empereur a remarqué que la princesse Anne n'était pas
encore réglée, que parfois les filles restent deux années entre les premiers
signes de la nubilité et la maturité, et rester trois ans sans espérance
d'avoir des enfants contrarierait les intentions de l'Empereur. »
Champagny devait faire observer, en outre, combien les lenteurs de la Russie
contrastaient « avec l'empressement et le dévouement de l'Autriche, »
afin sans doute qu'Alexandre sût avec certitude qu'on avait négocié avec
cette puissance en même temps qu'avec lui. Il devait conclure en déclarant
que Napoléon se considérait comme délié « non d'un engagement, puisqu'il
n'y en avait jamais eu, mais d'une obligation de tacite honnêteté que lui
imposait son amitié pour Alexandre, par le délai d'un mois qu'il avait mis à
répondre à une question si simple[24]. » Un message daté du
lendemain devait faire connaître « qu'il s'était décidé pour
l'Autrichienne. » Mais ce
n'était pas assez pour son ressentiment de rompre, avec cette brusquerie
presque injurieuse, un projet qu'il ne pardonnait pas à Alexandre d'avoir
accueilli froidement, bien qu'il y eût si vite renoncé lui-même. Il tint à
lui prouver immédiatement que ce n'était pas là de sa part l'effet d'un dépit
momentané, mais bien un véritable changement de politique, comme s'il avait
craint qu'Alexandre ne fût pas assez sensible à l'inconvenance de ses
procédés. Le même jour 6 février, il fit notifier à la Russie son refus de
ratifier la convention signée par Caulaincourt, et dont il avait provoqué
lui-même la conclusion. Lui qui avait offert d'effacer de la politique et
même de l'histoire le nom de Pologne et de Polonais, il déclarait « contraire
à sa dignité » de déclarer « que le royaume de Pologne ne serait jamais
rétabli » (art. 1er de la convention). Et quant aux dénominations de Pologne et de
Polonais, il était « absurde et ridicule » de prendre l'engagement de les
supprimer[25]. Il n'acceptait pas même la
clause qui abolissait les anciens ordres de chevalerie polonais. Il avait des
objections contre tous les autres articles de la convention, et leur
substituait un projet de sa façon, dont la rédaction ambiguë se prêtait aux
plus subtiles interprétations, mais dont le but principal était véritablement
de contredire et de mécontenter une puissance qui ne devait pas tarder à
relever ses défis. L'empereur
Alexandre était trop fier pour laisser percer le moindre dépit au sujet de la
rupture du mariage ; il affecta même de féliciter Caulaincourt des heureux
effets que ce rapprochement avec l'Autriche allait produire pour la paix de
l'Europe. Nais comme il était aussi trop clairvoyant pour être dupe des
défaites fort peu satisfaisantes qu'on lui offrait, il fit observer à notre
ambassadeur combien il était impossible que le contrat de mariage eût été
signé le 7 février, si l'on n'avait pas négocié avec la cour de Vienne
longtemps avant cette date, c'est-à-dire à une époque où l'on n'avait encore
aucune réponse de Pétersbourg. Pour que les choses fussent aussi avancées à
ce moment-là il fallait de toute évidence que les négociations eussent
commencé dès le mois de décembre. A cet argument sans réplique, il ajouta une
autre observation qui n'était pas moins embarrassante. Sans relever ce
qu'avait de peu sérieux la crainte de blesser les susceptibilités religieuses
des Français, par la présence d'un pope aux Tuileries, dans la bouche d'un
homme qui avait enlevé le souverain pontife de Rome et qui le retenait captif
à Savone, il se borna à rappeler à Caulaincourt la déclaration qu'on lui
avait faite dès le début, à savoir, « que la différence de religion ne
serait point un obstacle. » L'ambassadeur n'avait aucune bonne raison à
opposer à ces reproches, il se contenta de déplorer les lenteurs qui, selon
lui, avaient tout perdu. Ces justes griefs n'étaient pas de nature à rendre
plus facile l'acceptation du projet que Napoléon avait substitué à la
convention russe. Alexandre en fit ressortir avec une certaine amertume les
équivoques et les sous-entendus ; il opposa à la rédaction de Napoléon un
nouveau contre-projet plus net, sans se dissimuler le peu de chance qu'il
avait d'être accueilli, et il laissa échapper devant Caulaincourt ces paroles
remarquables, qui prouvent qu'il ne se faisait aucune illusion sur la portée
de l'alliance autrichienne : « Ce n'est pas moi qui troublerai la
paix de l'Europe ni qui attaquerai personne ; mais si on vient me chercher,
je me défendrai[26]. » Pendant
que ce point noir, si imperceptible encore, si facile à dissiper jusqu'au
moment où il éclata par le coup de foudre de la guerre de Russie, grossissait
insensiblement à l'horizon, Paris se livrait avec une aveugle confiance aux
fêtes, aux démonstrations, aux transports de joie qui saluaient partout le
grand, l'heureux événement destiné à assurer la paix du monde. La paix, tel
était le sens qu'on était convenu universellement d'attacher au mariage,
comme pour enchaîner l'Empereur par l'expression des vœux publics. « Elle
annonce à la terre des jours sereins. » Cette inscription semblait la devise
de la nouvelle impératrice. Napoléon, pour mieux marquer sa métamorphose
définitive de parvenu en souverain de l'ancien régime, avait voulu copier en
tout le cérémonial employé aux noces de Louis XVI avec Marie-Antoinette. On
reproduisit non-seulement mot pour mot le contrat de mariage et les formules
épistolaires de la vieille cour de France, mais jusqu'aux moindres minuties
de l'étiquette. Une commission du ministère des affaires étrangères fut
spécialement chargée du soin de reconstituer cette archéologie galante. Marie-Louise,
épousée à Vienne par l'archiduc Charles, au nom de l'empereur Napoléon, fut
remise le 16 mars, à Braunau, à la reine de Naples. Là conformément à un
antique usage, on la déshabilla des pieds à la tête, et elle revêtit de
nouveaux vêtements, symbole de la vie nouvelle dans laquelle elle allait
entrer. A Compiègne, par une infraction assez malséante au cérémonial
convenu, Napoléon passa plusieurs nuits sous le même toit que Marie-Louise ;
mais cette dérogation même était encore un plagiat : il imitait Henri IV, qui
en avait agi ainsi, disait-on, avec Marie de Médicis. Le 2 avril, les deux
fiancés firent leur entrée dans Paris au milieu d'un cortège de rois et de
reines, et d'une véritable cohue de chambellans, de dames d'honneur, de pages
et de courtisans de toute grandeur. Les représentants les plus illustres de
l'ancienne aristocratie s'étaient disputé l'honneur de faire partie de leur
suite. Un prélat catholique, un Rohan, avait demandé à être attaché à leurs «
augustes personnes, » et il avait écrit : « Le grand Napoléon est mon
Dieu tutélaire ![27] » Ce
n'étaient partout que banquets, illuminations, danses, concerts,
distributions de vivres au peuple. Le lendemain eut lieu le mariage. Le même
jour, à la même heure, dans tous les lycées de l'empire, tous les professeurs
de rhétorique prononcèrent un discours latin sur les gloires de cet hymen ;
dans toutes les églises, tous les prêtres durent le célébrer et le bénir.
Plus de cent cinquante poètes le chantèrent dans leurs épithalames. Le Sénat,
le Corps législatif, le conseil d'État se surpassèrent eux-mêmes par des
adulations qui touchaient à l'apothéose. Mais ils s'attachèrent surtout à
démontrer que le mariage c'était la paix : « Et cette paix, s’écria Regnault
dans son discours au Sénat, quelle garantie l'Europe vient d'acquérir pour sa
solidité et sa durée ! Vous avez vu arriver au sein de la France transportée
de joie et d'amour une auguste messagère de paix, un gage révéré d'une
alliance éternelle ! le monde y voit le présage du repos de l'univers ! » Le
président du Sénat ne fut pas moins lyrique dans ses confiantes prédictions :
« Quel intérêt a répandu sur nos travaux ce glorieux hyménée Quelles longues
années de douceur et de repos se sont présentées à nos souvenirs et à nos
espérances ! » Folles espérances, justement déçues ! propos d'esclaves se
flattant d'influencer un maitre qu'ils se repentent d'avoir fait, et qu'ils
n'oseraient contredire. Malgré tout, ces journées d'ivresse et d'illusion
n'avaient pas le profond contentement des prospérités durables. Elles
n'étaient que l'éblouissement passager de tout un peuple. Ces fêtes
bruyantes, ces transports d'allégresse, ces pompes d'une magnificence inouïe
n'étaient qu'une apparence, une grossière tromperie qui nous dérobaient le piège
où nous allions bientôt tomber. La vérité de notre situation n'était pas là ;
elle était dans les événements qui s'accomplissaient aux confins de la
péninsule ibérique, sur ces 'rochers de Torrès Vedras, témoins déjà désignés
du désastre de notre armée d'Espagne ; elle était sous ce sombre ciel du Nord
où commençaient à se montrer les signes précurseurs de la catastrophe de
1812. Quelque
imposant que fût le spectacle de ces splendeurs et de ces prospérités, il
était trop artificiel pour que la réalité ne s'y trahît pas par quelque note
discordante. Ce fut pendant la cérémonie même du mariage qu'éclata cette dissonance.
L'office religieux venait à peine de commencer, lorsqu'on vit Napoléon lancer
des regards furieux vers les bancs à moitié dégarnis où devaient siéger les
vingt-sept cardinaux présents à Paris, puis s'adressant à l'archevêque de
Malines : « Où sont les cardinaux ? lui dit-il, je ne les vois point.» Comme
le prélat énumérait ceux qui assistaient à la cérémonie, et cherchait à
excuser les absents sur leurs infirmités : « Ah les sots ! » s'écria-t-il à
plusieurs reprises avec l'accent d'une vengeance concentrée[28]. Cette scène déchirait
brusquement le voile de convention qui cachait aux yeux l'état réel de ses
relations avec l'Église. Elle eût pu se renouveler pour chacun des
représentants des puissances qui assistaient au mariage, s'il leur avait été
permis de montrer leurs véritables sentiments,' car tous n'y pouvaient
figurer qu'à contre-cœur ; celui de la Russie, parce qu'on avait trahi
l'alliance ; celui de la Prusse, parce qu'il subissait en ce jour, une
nouvelle défaite ; celui de l'Autriche elle-même, parce qu'en attendant les
bénéfices fort problématiques du mariage, sa cour n'en avait recueilli qu'une
humiliation de plus. Si les mouvements du cœur avaient pu se montrer à la
place, des démonstrations officielles, sur tous les visages où se lisait uni
satisfaction de commande, on aurait vu éclater les défiances, les rancunes,
la haine et la guerre. La
seule présence de ces cardinaux à Paris disait assez dans quel bouleversement
profond l'Église venait d'être jetée, par celui qu'un peu auparavant elle
nommait avec tant de complaisance « le restaurateur des autels. » A
la suite de son enlèvement de Rome, le pape Pie VII avait été traîné de ville
en ville jusqu'à Grenoble, puis de là ramené à Savone où il était gardé
prisonnier. Mais la captivité du pontife n'avait été que le prélude des
mesures de Napoléon pour transformer l'Église. Craignant avec raison ce que
les cardinaux pourraient entreprendre pour suppléer à cette sorte de vacance
du Saint-Siège, et déterminé à les entraîner de gré ou de force dans la
direction nouvelle qu'il entendait imprimer à la religion catholique, il
avait enlevé de Rome et dirigé sur Paris le collège des cardinaux tout
entier, en exceptant seulement ceux qui avaient allégué pour excuse leur
grand âge ou leurs infirmités. On peut facilement apprécier d'après ces faits,
quel était le degré de culpabilité des cardinaux qui n'avaient pas cru devoir
figurer à la cérémonie du mariage. Amenés par force à Paris, il eût été de
leur droit strict, autant que de leur dignité de ne paraître dans aucune
réunion officielle, mais ils étaient loin d'avoir poussé l'audace jusque-là
Leur crime consistait uniquement dans le refus de s'associer à un acte qu'ils
considéraient comme la méconnaissance des droits de leur chef spirituel, seul
juge à leurs yeux des difficultés relatives aux mariages dei souverains« Si
c'était une protestation, elle était bien timide, puisqu'elle ne se
manifestait que par le silence et l'abstention. Dès le lendemain, ils étaient
à la réception des Tuileries, comme pour racheter par une prompte soumission
leur hardiesse d'un instant. C'est là que les attendait une vengeance aussi
cruelle que raffinée. Après les avoir maintenus pendant plusieurs heures dans
l'incertitude, exposés aux regards moqueurs des courtisans, Napoléon les fit
chasser du palais comme des serviteurs infidèles. Non content de leur
infliger publiquement cette sanglante injure, il les fit dépouiller de la
pourpre, leur intima la défense de porter désormais aucun des insignes du
cardinalat, fit confisquer leurs biens personnels, supprimer leurs
traitements en ne leur laissant pour toute ressource qu'une paye insuffisante
à leur entretien, et enfin les relégua deux par deux dans différentes villes
de province[29]. Ces
procédés « du nouveau Charlemagne » à l'égard des cardinaux,
donnent une juste idée de l'autorité qu'il entendait exercer désormais sur
l'Église catholique. Il agissait envers elle comme un créateur, et il
entendait être obéi sans un murmure, Il se rendait un compte fort exact de
l'état d'anéantissement dans lequel il l'avait trouvée à l'époque du
concordat, et de la puissance qu'il lui avait rendue. L'Église l'avait
célébré alors comme son sauveur et le mot n'était point exagéré. Mais en se
rappelant ses propres bienfaits, Napoléon avait complétement perdu la mémoire
des services qu'il avait lui-même reçus et de la part que l'Église avait eue
à son élévation. H oubliait aussi la force de résistance et de propagande
qu'il avait rendue aux idées religieuses. Dans la dernière révolution
consommée à Rome par le décret de Schönbrunn, comme dans tous les actes qui
l'avaient préparée, il avait rencontré chez le souverain pontife, comme chez
les princes de l'Église, tant de douceur, de résignation, de faiblesse, qu'il
s'était dit que rien, ni dans ces caractères amollis ni dans ces institutions
vieillies, n'était plus de force à résister à ses volontés. Il agirait donc à
l'égard de Rome comme à l'égard de tant d'autres États, également usés par le
temps, qu'il avait transformés pour mieux les assimiler et les soumettre ; il
agirait comme un réorganisateur qui achève et perfectionne un merveilleux
instrument de règne. Ce
n'étaient pas seulement les cardinaux qu'il voulait avoir à Paris ; le Pape
lui-même devait bientôt y être attiré à son tour, et moitié séduction, moitié
crainte il y subirait inévitablement son ascendant. Pie VII ne tarderait pas
à comprendre que mieux valait pour lui partager avec l'Empereur le
gouvernement du monde, accepter de lui un magnifique établissement soit à
Saint-Denis soit à Reims, rendre la paix à l'Église en acceptant la loi d'un
pouvoir si redoutable, que de persévérer dans une bouderie inutile et une
opposition sans espoir. En attendant celte soumission prévue, Napoléon avait
voulu selon sa constante méthode accumuler en peu de temps les
transformations et les faits accomplis de façon à rendre tout retour en
arrière impossible. Étonné de la facilité avec laquelle il avait pu renverser
le gouvernement pontifical, du peu de bruit que sa chute avait fait dans le
monde, de l'indifférence profonde qui avait accueilli ses protestations, de
la docilité incroyable avec laquelle cette organisation autrefois si
puissante se laissait manier, il avait fait transporter à Paris à la suite du
collège des cardinaux tous les organes essentiels de la vieille
centralisation catholique, les généraux d'ordre, les membres des tribunaux de
la pénitencerie et de la daterie. Il avait fait avertir en même temps les
représentants des diverses puissances auprès du Saint-Siège, que les affaires
ecclésiastiques seraient dorénavant expédiées à Paris, et que là devait être
leur résidence, invitation qu'aucune puissance catholique n'était alors en
état de décliner. Les archives du Vatican, chargées sur des convois de cent
voitures qui partaient de huit jours en huit jours, avaient été aussi
dirigées sur Paris pour y être installées par Daunou à l'hôtel Soubise. Il
poussa la précaution jusqu'à y faire venir également la tiare, un exemplaire
saisi de l'anneau du pécheur, et tous les autres insignes et ornements du
pouvoir pontifical. C'était
en quelque sorte le personnel et le matériel tout entier de l'Église
catholique qu'il se trouvait avoir désormais dans sa main. Aux yeux de
Napoléon tout n'était-il pas là ? Avait-il jamais tenu compte des forces
morales ? L'âme lui opposerait-elle plus de résistance que le corps` ? Il
pouvait croire que non d'après la facilité avec laquelle s'étaient accomplis tous
ces changements. Ces violences n'avaient pas soulevé un seul cri de révolte,
pas même une plainte. L'excommunication, aussitôt étouffée que produite,
semblait avoir été le suprême effort de l'énergie pontificale. Les cardinaux
se montraient à toutes ses réceptions, ils couraient les salons de Paris, ils
touchaient pour la plupart avec résignation lp traitement de trente mille
francs qui était la consolation de leur servitude. Quant à ceux qui avaient
osé s'abstenir de paraître à la cérémonie du mariage, ils étaient dispersés,
muets, terrifiés de leur propre audace. Le clergé de France, trop soumis pour
essayer d'une protestation directe, avait tenté une opposition déguisée en
organisant des missions ; les missions avaient été immédiatement interdites,
et tout était rentré dans le silence accoutumé. Bien plus, Napoléon se
flattait d'amener ce clergé, sous couleur de gallicanisme, à être son
coopérateur dans une entreprise dont le seul but était de confondre en sa
personne les deux pouvoirs spirituel et temporel. Dès le
mois de novembre 1809, il avait fait réunir un comité d'évêques bien-pensants,
choisis par lui, dont le rôle devait consister à lui indiquer le moyen de
tourner les difficultés ou de briser les obstacles sans sortir de la doctrine
catholique, à couvrir d'une autorité sacrée ses actes contre la cour de Rome.
Le 11 janvier 1810, il soumettait au comité entre autres questions celle de
savoir : si en présence de' l'obstination du pape il ne convenait pas de
réunir un concile ; si l'on ne devait pas donner à Pie VII une sorte de
conseil de famille composé de prélats de tous pays ; s'il n'y avait pas de
mesures à prendre pour prévenir les excommunications ; si le Pape pouvait
pour des motifs temporels refuser son intervention dans les affaires
spirituelles[30]. Les réponses du comité furent
vagues et embarrassées, sauf en ce qui concernait l'excommunication qui fut
nettement qualifiée « d'abus de pouvoir, » mais cet embarras même semblait
prouver, que ces évêques sauraient se convertir au moment opportun. Le
complément-naturel de toutes ces mesures fut le fameux sénatus-consulte, du
17 février 1810, qui réunit les États de Rome à l'Empire. Le pape devait
jouir d'un revenu de deux millions, avoir un palais « dans les
différents lieux de l'Empire où il voudrait résider » (art. 15), ironie peu séante à l'adresse
d'un prisonnier gardé à vue. Les papes devraient, lors de leur exaltation,
prêter serment de ne jamais rien faire contre les propositions de l'Église
gallicane. L'empire prenait à sa charge les dépenses du Sacré-Collège et de
la Propagande. Les États du pape formaient les deux départements de Rome et
du Trasimène. La ville de Rome devenait la seconde ville de l'empire,
et la résidence d'un prince du sang ou d'un grand dignitaire. Enfin
l'héritier dont on annonçait, non-seulement la naissance mais le sexe, avant
même que le mariage ne fût consommé, devait porter le titre de roi de Rome. A
l'appui de ce sénatus-consulte, Regnault lut au Sénat, sous le titre d'exposé
des motifs, une diatribe des plus violentes contre l'administration de Pie
VII. Aux griefs de Napoléon, le pontife aurait pu opposer des récriminations
plus fondées ; mais en approuvant, en consacrant même par un acte solennel,
tant qu'on les avait appliqués à d'autres souverains, les odieux procédés
dont il était victime aujourd'hui, il avait perdu toute autorité pour les
réprouver. Le jour où il avait sacré empereur le meurtrier du duc d'Enghien,
le jour où il s'était exposé à être appelé par un catholique aussi fervent
que de Maistre -un polichinelle sans conséquence », Pie VII avait perdu toute
influence sérieuse sur l'opinion européenne, et même sur l'opinion des
croyants. Il n'avait plus d'autre prestige que celui de ses malheurs, de ses
vertus privées et de sa faiblesse. L'exposé
de Regnault ne touchait qu'incidemment aux grands, aux vrais griefs qu'on
pouvait formuler au nom de l'histoire contre l'existence même du pouvoir
temporel. Il aurait pu montrer les papes livrant incessamment Malle, à la
conquête, à l'invasion étrangère, aux discordes civiles, afin d'y prévenir
tout établissement national durable qui eût été -une menace pour le pouvoir
pontifical, les intérêts spirituels de l'Église elle-même sans cesse
sacrifiés aux intérêts politiques du Saint-Siège. Mais une telle accusation
eût été la critique la plus irréfutable de l'homme qui avait relevé ce même
pouvoir temporel, dans le seul but de le faire servir à ses ambitieux
projets. Plus ces griefs étaient justes et fondés, plus Napoléon était
inexcusable de n'en avoir tenu aucun compte. Au reste l'Empereur sentait
mieux que personne que là était en réalité la seule justification possible du
renversement de la souveraineté politique des papes. On n'arrive pas à remuer
le monde et à gouverner de grandes nations, sans posséder un sens historique
pénétrant. Napoléon avait depuis longtemps compris et, jugé le rôle de la
papauté en Italie, sa déplorable influence sur les destinées de ce pays. Le
plaidoyer qu'il ne jugeait pas à propos de faire mettre dans l'exposé de
Regnault, il voulait le faire développer dans les ouvrages d'histoire et de
doctrine, afin d'en pénétrer tous les esprits éclairés. Le but de ces
ouvrages devait être selon lui : « 1° de prouver que la cour de Rome a
toujours employé ses armes spirituelles pour maintenir et agrandir son état
temporel ; 2° qu'elle a toujours été l'ennemie de la puissance prépondérante
en Italie.... et employé son pouvoir pour détruire cette puissance[31]. » Ce thème historique,
rigoureusement vrai, fut le programme même du livre substantiel et savant que
Daunou écrivit sur ce sujet[32], livre dont le seul tort fut
d'avoir été publié par ordre, au profit d'un césarisme qui n'était pas moins
dangereux que la théocratie. Le
jugement que Napoléon formulait ici au sujet du rôle historique de la
papauté, avait déjà été exprimé au seizième siècle par Machiavel. Jamais
arrêt n'avait été plus juste, et condamnation plus méritée. Mais la question
était plus complexe que Napoléon et ses apologistes n'affectaient de le
croire. En politique on ne doit jamais perdre de vue les conséquences d'une
mesure, et il s'agissait de savoir non-seulement si la destruction du pouvoir
temporel était légitime, mais au profit de qui elle allait s'opère. Or cette
destruction ne pouvait profiter, dans les conditions où elle allait être
faite, ni à la civilisation ni à la liberté de conscience. Tous les actes de
Napoléon à cette époque, indépendamment de ses confidences de Sainte-Hélène
si souvent trompeuses, mais d'accord ici avec les faits, nous disent assez
haut quel régime il se proposait de substituer au système qu'il venait de
détruire. Ce régime était une sorte de patriarche oriental dans lequel le
pape, assermenté, payé, inspiré par lui n'eût plus été qu'un grand
fonctionnaire de l'Empire, un collègue de Cambacérès, une sorte
d'archichancelier ecclésiastique : « Quel levier ! quel moyen
d'influence sur le reste du monde !... s'écriait-il plus tard avec
enthousiasme, en faisant un retour sur ses idées favorites de ce temps-là au
sujet de l'Église. J'aurais fait du pape une idole, il fût demeuré près de
moi. Paris fût devenu la capitale du monde chrétien, et j'aurais dirigé le
monde religieux ainsi que le monde politique.... J'aurais eu mes sessions religieuses
comme mes sessions législatives. Mes conciles eussent été la représentation
de la chrétienté, les papes n'en eussent été que les présidents[33]. » Toutes les notes,
toutes les lettres et tous les actes de Napoléon, à cette époque, prouvent
que c'était là en effet, le dernier mot de ses projets en matière
d'organisation religieuse. Une fois l'Église asservie à ses volontés,
disciplinée comme un régiment, et les deux pouvoirs, confondus en la personne
de l'empereur, il n'est pas douteux, vu les perfectionnements infinis qu'il
avait déjà donnés à son despotisme, que ce système aurait produit la tyrannie
la plus absolue que le monde eût jamais vue, et auprès d'un pareil fléau
qu'étaient-ce que les abus de la souveraineté temporelle des papes ? Quelque
grandiose qu'elle fût, cette conception était entachée du vice qui infirmait
tous les plans politiques de Napoléon, et qui devait tôt ou tard conduire son
règne à un immense avortement. Elle était sans proportion réelle avec ses
forces, contraire à l'esprit du temps, incompatible avec la marche constante
de la civilisation. Les trois siècles de libre discussion qui s'étaient
écoulés depuis le moyen âge avaient répandu dans le monde trop de lumières,
d'indépendance d'esprit, pour qu'un absolutisme aussi monstrueux fût encore
réalisable. Tous les manifestes de Napoléon étaient remplis d'invectives et
de déclamations sur la folie de Grégoire VII et de Boniface VIII ; son rêve
n'était que leur système retourné au profit d'un empire encore plus chimérique
que ne l'avait été leur théocratie. Mais cette utopie de despote n'avait pas
l'excuse d'avoir été conçue dans un siècle de barbarie et de ténèbres. Un
observateur perspicace eût pu dès lors reconnaître l'inanité de ce rêve à un
fait qui est la pierre de touche des idées fausses. Le signe auquel West
facile de reconnaître les faux systèmes, c'est que, même lorsque les hommes
sont disposés à s'y soumettre, les choses leur résistent, et il suffit alors
du plus petit obstacle pour les tenir en échec. Napoléon était arrivé au
point où il pouvait croire que les plus grandes difficultés étaient vaincues.
Il avait sous la main, à Paris, tous les organes, tous les instruments de
l'ancien gouvernement pontifical, il en détenait tous les chefs, devenus pour
la plupart ses prisonniers volontaires, soumis à ses caprices, et portant
avec une parfaite résignation leurs chaînes dorées ; il avait pour lui
l'opinion publique trompée, la philosophie indifférente aux malheurs de ceux
qui l'avait si longtemps persécutée. Le pape lui-même semblait avoir pris son
parti de la perte de ses États, il n'osait ni protester, ni se plaindre, il
ne parlait qu'avec amitié de son ancien allié[34]. Pie VII aurait pu, puisqu'on
lui reprochait si souvent d'imiter Grégoire VII, essayer de se servir des
armes spirituelles que ce pontife avait employées ; il aurait pu en jetant un
interdit sur la France, en y déclarant un schisme, y suspendre sur tous les
points du territoire l'exercice du culte, il aurait pu renouveler en les
aggravant des anathèmes que Napoléon redoutait tout en affectant d'en rire.
Il recula devant l'emploi de ces moyens énergiques, il se borna pour toute
défense à s'enfermer systématiquement dans le silence et l'abstention. Eh
bien, le césarisme religieux échoua contre cet imperceptible obstacle, et
cette résistance passive suffit à elle seule pour paralyser tous les plans de
Napoléon. En
ressuscitant la vieille théorie impériale et pontificale, Napoléon avait en
partie réveillé les démêlés de l'époque carlovingienne entre le pape et
l'empereur. Dès les premières mésintelligences, la querelle des investitures
avait reparu en ce qui concernait l'institution des évêques. Le pape avait
refusé, sous différents prétextes, de pourvoir les évêchés vacants, ce qui
jetait le trouble et le désordre au sein des populations. Plus tard, sur les
représentations de ses conseillers, il avait consenti à instituer les évêques
nommés par l'empereur, mais à la condition de ne pas faire mention de ce
dernier dans les bulles d'institution, ce qui était en quelque sorte lui
dénier en droit la prérogative qu'on voulait bien lui reconnaître en fait. A
la suite de son enlèvement et de sa captivité, le pape refusa toute
institution, sous quelque forme qu'elle fût, alléguant avec raison qu'il
n'était plus libre et ne pouvait plus remplir aucun des offices du
pontificat. Le nombre des évêchés vacants s'accrut rapidement, il monta
bientôt au chiffre de vingt-sept. L'empereur, conseillé par des hommes fort
experts en matière canonique, chercha un moyen de tourner la difficulté. Il
crut l'avoir trouvé en faisant attribuer aux évêques nommés, et non
institués, le titre de vicaires capitulaires. Ces
vicaires sont, comme on sait, les administrateurs provisoires, élus par les
chapitres pour gérer le diocèse, en attendant qu'il soit pourvu à sa vacance
par l'institution du Saint-Siège. En faisant élire par les chapitres les
évêques nommés par lui, Napoléon se flattait de créer une espèce d'épiscopat
provisoire qui gouvernerait en paix les diocèses jusqu'à l'époque où sa
réconciliation avec le pape viendrait régulariser la position de ces prélats.
Mais d'une part, ces fonctions du vicariat capitulaire étaient peu
recherchées par les titulaires des évêchés, parce qu'elles ne leur
conféraient qu'une autorité précaire, disputée, compromettante pour leur
dignité future[35] ; de l'autre, les choix étaient
déjà faits pour la plupart, lorsque l'empereur s'avisa de cet expédient, et
les évêques nommés par l'empereur ne pouvaient prendre possession de leur
siège, sans se mettre en opposition à la fois avec le pape et avec les chapitres.
L'obstacle restait donc tout entier et le refus du pape paralysait tout.
Ainsi au moment même où il s'était emparé de ce merveilleux mécanisme
catholique, perfectionné par les siècles, et se flattait de le faire
fonctionner à son profit, Napoléon s'aperçut qu'en dépit de toutes ses
précautions, il lui manquait le moteur destiné à le mettre en mouvement. Il y
avait là entre les deux pouvoirs une solution de continuité presque
invisible, et qui suffisait pour annuler son influence. Tenir le pape impuissant
et enchaîné n'était rien, s'il ne parvenait à le décider, de gré ou de force,
à donner à l'Église cette première impulsion sans laquelle elle tombait dans
l'immobilité, et en quelque sorte cette chiquenaude initiale dont, selon le
mot de Pascal, Descartes n'avait pu se passer pour mettre en mouvement ses
tourbillons. Il
s'agissait donc de vaincre à tout prix la résistance passive de Pie VII,
entreprise difficile, car les âmes les plus faibles sont capables de
persévérance et de courage lorsqu'elles n'ont à en faire preuve que sous
forme d'inertie. Le pape, quoique entouré à Savone des égards compatibles
avec la captivité, avait été absolument séparé de tous ses anciens
conseillers. Il n'avait autour de lui que quelques serviteurs. Napoléon qui
connaissait de longue date ses qualités vraiment touchantes de douceur, de bonté,
de résignation, et qui disait de lui « qu'il avait le caractère d'un agneau
», avait compté sur cet isolement, sur la tristesse, sur le découragement,
pour avoir plus facilement raison de l'obstination du pontife, mais le
résultat n'avait pas répondu à son attente. Pie VII avait paru plutôt soulagé
qu'accablé, depuis qu'il n'avait plus à porter la responsabilité et les
soucis du gouvernement pontifical. Ses goûts, qui étaient d'une simplicité
monastique, s'étaient fort bien accommodés de sa nouvelle vie. Il avait même
repoussé le supplément de luxe et de représentation que le comte Salmatoris
lui avait offert au nom de l'empereur, se contentant pour lui et ses
serviteurs du plus strict nécessaire : Il n'avait aucun regret de son
opulence passée, et Napoléon avait commis une lourde méprise en se figurant
exercer une séduction sur son esprit, par la perspective des gros traitements
et des magnificences impériales. On ne pouvait rien espérer de ce genre de
tentation ; on fit agir sur lui des mobiles mieux faits pour le toucher. Des
cardinaux, des évêques, Fesch, Caprara, Maury, durent écrire au Pape pour le
supplier de rendre la paix à l'Église en instituant les évêques nommés par
l'empereur ; il refusa avec fermeté de se rendre à leurs instances. Un peu
plus tard, un diplomate autrichien, M. de Lebzeltern, vint à Savone sous
prétexte d'y régler quelques affaires de son gouvernement, et dans le but
réel de sonder les dispositions de Pie VII à l'égard de Napoléon. Il s'assura
que tout en conservant une sorte d'affection pour son terrible adversaire, le
pape était plus que jamais résolu à persister dans son système d'abstention :
« Nous ne demandons rien, s'écria le vieillard en faisant allusion à sa
situation personnelle, nous n'avons plus rien à perdre. Nous avons tout
sacrifié à nos devoirs. Nous sommes vieux, sans besoins. Nous ne voulons pas
de pensions, nous ne voulons pas d'honneurs. Les aumônes des fidèles nous
suffiront. Quelle considération personnelle pourrait donc nous détourner de
la ligne que notre conscience nous prescrit de suivre ?[36] » Sur ce
terrain, Pie VII était invincible, parce que aucune contrainte ne pouvait l'y
atteindre. Les cardinaux Spina et Caselli, qui vinrent le visiter peu de
temps après, afin de tenter un nouvel effort dans le même sens, le trouvèrent
inébranlable. C'était trop pour l'impatience et l'irritabilité de Napoléon.
Il répondit à l'inflexibilité du pontife en faisant donner aux évêques nommés
l'ordre de se rendre sur-le-champ dans leurs diocèses, de les administrer à
titre épiscopal et de ne tenir aucun compte de la résistance des Chapitres[37]. Pour donner plus d'éclat à
cette guerre qu'il déclarait non plus au pape roi, mais au chef spirituel de
l'Église, il nomma à l'évêché de Paris l'illustre et éloquent défenseur du
clergé de France sous la révolution, le cardinal Maury, après avoir dépossédé
de ce siège le cardinal Fesch, son propre parent, qui en était le titulaire
provisoire, et qui montrait souvent une honorable indépendance à l'égard de
l'empereur. Maury avait passé à Rome près de quinze ans d'exil ; il y avait
perdu beaucoup de ses illusions et de son ancienne âpreté ; son bon sens
naturel s'y était fortifié par l'observation des grandes scènes de
l'histoire, mauvaise condition pour bien servir la cause catholique, dans un
moment où toute transaction semblait impossible et où les passions seules
étaient écoutées. L'évêque de Nancy, M. d'Osmond, fut nommé à l'archevêché de
Florence. En même temps, pour rendre par une prompte exécution ses décrets aussi irrévocables qu'un arrêt du destin, Napoléon travaillait avec une incroyable ardeur à effacer des États romains jusqu'au dernier vestige du gouvernement pontifical. Non content de les avoir transformés en deux départements français, d'en avoir entièrement renouvelé l'organisation civile et militaire, il voulut en déraciner à fond le cléricalisme qui y était comme incarné dans les mœurs, les institutions et jusqu'au fond des familles. Tous les tribunaux suprêmes de l'Église avaient été transférés à Paris ainsi que les chefs d'ordre, le collège des cardinaux, les archives, mais le personnel inférieur était resté tout entier à Rome ; il formait une innombrable légion recrutée dans le monde entier. On s'attaqua d'abord aux évêchés. Il y avait dans les États romains trente évêques, c'est-à-dire environ un évêque pour vingt-cinq mille âmes. Dans le reste de l'empire la proportion était en moyenne d'un évêque pour six à huit cent mille âmes, et souvent pour un million ; on réduisit ce nombre à quatre évêques pour les deux départements de Rome et du Trasimène. Le nombre des cures, des chapitres, des couvents, des prêtres bénéficiaires étrangers n'était pas moins exorbitant, ce malheureux pays en était littéralement dévoré, Les prêtres étrangers reçurent les premiers l'ordre d'avoir à regagner leur pays natal[38]. Tous les couvents furent ensuite supprimés, leurs biens réunis au domaine, leurs membres renvoyés dans leur pays avec de petites pensions. Le total des biens de main morte dans les États romains montait à deux cent cinquante millions, Napoléon en saisit et fit aliéner immédiatement pour une somme de cent cinquante millions[39]. Le nombre des paroisses de Rome dut être réduit à vingt. Pour se défaire plus facilement des curés comme des évêques on leur imposa, ainsi qu'à tous les religieux et ecclésiastiques, l'obligation de prêter serment à l'Empereur et de professer la déclaration des libertés gallicanes. Le refus équivalait à une démission, aussitôt suivie de l'exil et de la confiscation : « Donnez ordre à la consulte, écrivait Napoléon, de faire prêter serment à tous les évêques, d'envoyer en France ceux qui le refuseraient, de faire meure le séquestre sur leurs biens[40]. » Et deux jours plus tard : « Je suppose que tous les évêques, curés, vicaires, chanoines auront, à l'heure qu'il est prêté serment ou seront sur la route de France, que leurs biens auront été saisis par l'enregistrement. Quant aux évêques, il faut qu'on saisisse non-seulement leurs biens ecclésiastiques mais aussi leurs biens patrimoniaux[41]. » Ces mesures, auxquelles Napoléon prit goût en raison des biens immenses que les confiscations faisaient tomber dans ses mains, furent étendues au Piémont, à la Ligurie, à la Toscane, aux États de Parme et de Plaisance ; elles furent appuyées par une forte occupation militaire et de nombreux envois de troupes. Au bout de quelques mois, c'est par centaines que se comptaient les malheureux prêtres Italiens déportés dans l'île de Corse ou internés dans nos départements[42]. Rome, privée de son pape, dépouillée des pompes pontificales, de ses légions de prêtres, de religieux, de cardinaux, gouvernée par un général, prit en peu de temps l'aspect uniforme et décoloré d'une préfecture française. Au gouvernement des prêtres on substitua le régime militaire, qui ne vaut guère mieux. En échange de ce qu'elle avait perdu, Rome ne reçut que le vain titre de seconde ville de l'empire ; et les cendres mêmes de cet antique foyer du catholicisme furent comme dispersées et jetées au vent. |
[1]
Discours de M. Thiers sur les négociations avec la Prusse, 1871.
[2]
Voir les lettres de Napoléon à M. de Champagny, du 24 juillet au 19 août 1809.
[3]
Napoléon à Champagny, 24 août 1809.
[4]
Napoléon à Champagny, lettre du 15 août au 4 septembre.
[5]
Napoléon à Champagny, 10 septembre 1809.
[6]
Napoléon à Champagny, 15 septembre 1809.
[7]
Napoléon à Champagny, 21, 22 septembre 1809.
[8]
Voir le Moniteur du 23 juillet 1809.
[9]
Cette lettre, parfaitement authentique, est de celles qui ont été retranchées
de la Correspondance de Napoléon.
[10]
Voyez sur l'insurrection de Hofer les Mémoires du prince Eugène, tome
VI, et l'Histoire de la guerre du Tyrol en 1809, publiée en allemand par
Hormaye, l'un des chefs de la révolte.
[11]
Expression de Cambacérès dans ses Mémoires inédits, cités par M. Thiers.
[12]
Napoléon â Joséphine, le 21 oct. 1809.
[13]
Bausset, Mémoires d'un préfet du palais.
[14]
Bausset, Mémoires d'un préfet du palais.
[15]
Dépêche de Champagny à Caulaincourt, 22 nov. 1809. Archives des affaires
étrangères, Russie, 14i9.
[16]
Décret du 30 mars 1808, art. VII.
[17]
Séance du Sénat conservateur du 16 novembre 1809. Archives Parlementaires.
[18]
V. Thiers, d'Haussonville, l'abbé Lyonnet : Vie du cardinal Fesch.
[19]
Alexandre Ier et le prince Czartoryski : correspondance et conversations
(à la date du 26 décembre 1809).
[20]
Bignon. La dépêche de Caulaincourt manque aux Archives.
[21]
Moniteur du 21 janvier 1810.
[22]
Les documents relatifs au second mariage de Napoléon ont pour la plupart
disparu des archives des affaires étrangères ; mais si l'on pouvait douter que
le changement de Napoléon à l'égard de la Russie se soit opéré à la fin de
décembre 1809, on en trouverait la preuve dans une lettre du 31 décembre,
adressée Alexandre, et singulièrement maussade et sèche. Une dépêche de
Champagny, datée du même jour, indique un complet changement de ton et de
politique (Archives des affaires étrangères : Russie, 149).
[23]
La note de Narbonne, dont on a contesté l'existence, est une pièce sans date ni
signature, mais qui est évidemment de la fin de nov. 1809. La proposition est
faite par Metternich qui ajoute : « Cette idée est de moi, mais je suis certain
que l'empereur y sera favorable. » (Archives des affaires étrangères : Autriche,
363.)
[24]
Napoléon à Champagny, 6 février.
[25]
Napoléon à Champagny, 6 février 1810.
[26]
Dépêches de Caulaincourt, du 12 au 26 février, 8 et 10 mars 1810 (Archives
des affaires étrangères : Russie, 150).
[27]
Décision en date du 15 février 1810. La requête porte en marge cette réponse : « Le
duc de Frioul fera payer au premier aumônier 12,000 fr. sur la caisse des
théâtres. »
[28]
De Pradt, Les quatre Concordats.
[29]
Mémoires du cardinal Consalvi.
[30]
Correspondance de Napoléon : Questions au comité des évêques, 11
janvier 1810.
[31]
Napoléon à Champagny, 15 décembre 1809.
[32]
Essai sur le pouvoir temporel des papes, par Daunou.
[33]
Mémorial de Sainte-Hélène, par Las Cases.
[34]
Dépêche de M. Lebzeltern à M. de Metternich, 16 mai 1810, datée de Savone.
[35]
Lettre du ministre des cultes, Bigot de Préameneu, à Napoléon, 7 déc. 1809.
[36]
Dépêche de Lebzeltern à Metternich, 16 mai 1810.
[37]
Napoléon à Bigot de Préameneu, 16 nov. 1810.
[38]
Napoléon à Bigot de Préameneu, 15 avril 1810.
[39]
Napoléon à Gaudin, duc de Gaëte, 17 mai 1810.
[40]
Napoléon à Gaudin, duc de Gaëte, 7 mai 1810.
[41]
Napoléon à Gaudin, duc de Gaëte, 9 mai 1810.
[42]
Voir les documents inédits cités par M. d’Haussonville, L'Église romaine et
le premier Empire.