Les prêtres enfermés à Saint-Clément sont placés au Château. — Ordre d'arrêter tous les prêtres non assermentés du département. — Descente dans les maisons religieuses. — Consigne du Château. — Loi. du 26 août 1792 relative à la déportation. — Notification de la loi aux prêtres détenus. — Exécution de la loi sur la déportation. — Exemption des prêtres sexagénaires et infirmes.Le 14 août 4792 on commença le transport des lits de Saint-Clément au Château. Les Pères Forget, récollet, Gueguen de Kermorvan, capucin, et M. Marin Leroy, furent dans la matinée envoyés au Séminaire, probablement pour cause de maladie. Tous les autres prêtres détenus à Saint-Clément se trouvaient, le 16 août, établis dans le local du vieil arsenal. Le procès-verbal de leur installation est très détaillé ; on y trouve les noms de cent cinq prêtres, avec l'indication des chambres plus ou moins vastes dans lesquelles ils furent groupés[1]. Une liste d'appel, datée du 26 mars, sur laquelle sont inscrits les prêtres, qui auraient dû être à Nantes selon l'arrêté du 22 mars, plutôt que ceux qui y étaient réellement, comprend trois cent quatre-vingt-onze noms ; plus des deux tiers des prêtres, par conséquent, ne s'étaient pas soumis. Ceux-là se cachaient, et il parut aux patriotes qu'ils étaient d'autant plus dangereux. C'était le moment de la session du Conseil de département, on en profita pour obtenir l'arrêté suivant : Il sera fait perquisition et saisie de la personne des prêtres et ecclésiastiques non assermentés existant dans la ville de Nantes qui ne se sont pas rendus à la maison de sûreté, et voulant empêcher que cette opération ne soit la cause ou l'occasion de quelques troubles, charge MM. Chiron, Gandon et Letourneux de se concerter sur les moyens d'exécution avec la Municipalité de Nantes. Quant à ceux des prêtres qui sont répandus dans les campagnes, enjoint aux commissaires du département de les faire arrêter partout où ils les trouveront, et de les faire conduire au Château de Nantes. A la suite de cet arrêté, le 22 août, treize prêtres ou religieux furent, dans la même journée, saisis, les uns par les commissaires dits bienveillants, les autres par les gardes nationaux, et amenés à la Permanence de la Municipalité, qui les envoya au Château. Le registre de la Permanence contient seulement douze des noms, mais les états de M. Douaud accusent une augmentation de treize détenus pour ce jour-là. Parmi ces prêtres se trouvaient M. Brianceau, prêtre de Sainte-Croix, et le Père Legrand (René-Joseph), capucin[2]. Les commissaires avaient signalé les maisons religieuses comme des repaires obscurs où les prêtres se retiraient et allaient la nuit scandaleusement distiller le venin de leurs opinions. Pour mettre fin à cet abus, le Conseil de département décide que demain 23 août, à six heures du matin, il sera descendu dans toutes les maisons religieuses de femmes de cette ville, et aussi chez les frères de la Doctrine chrétienne et les prêtres irlandais, pour y faire les perquisitions des prêtres qui y sont cachés. Un piquet de cent cinquante hommes était demandé à cet effet[3]. Le 23 août, entrée au Château du Père Remeur, capucin ; le 24, de dom Bazille, bénédictin, envoyé par la Permanence, de M. Richard (Hilaire) et de M. Bodet (René). Les Pères Forget et Gueguen de Kermorvan y étaient rentrés le 20 avec M. Leroy (Marin). En revanche, une décision de la municipalité, en date du 27, autorisait dom Bazille, MM. Lenormand et Hilaire Richard, attaqués de maladies graves, à se retirer dans un local sain et commode, sur dépôt, par chacun d'eux, d'un cautionnement de trois mille livres[4]. La consigne du Château, beaucoup plus sévère que celle de Saint-Clément, enlevait complètement aux détenus la consolation de recevoir leurs amis. Les médecins eux-mêmes ne pouvaient pénétrer que sur la présentation d'un permis délivré par les commissaires municipaux. Les ouvriers devaient se faire reconnaître par leurs patrons. Deux barbiers, nominativement désignés, avaient néanmoins le droit d'entrer. Une barrière, pour contenir les prêtres, fut peu après établie sous la voûte vis-à-vis le corps de garde[5]. Une lettre de M. Hervé de la Bauche, curé de Machecoul adressée à un officier municipal, le 21 août, montre que, durant les premiers jours d'emprisonnement Su Château, la faculté de dire la messe fut refusée aux prêtres : A M. Kirouard, officier municipal. Vous aviez promis qu'il nous serait libre de dire la sainte messe dans la chapelle du Château... Cependant M. l'officier de garde s'est cru en droit de nous en empêcher, et même il s'est emparé de la clef, ajoutant que la chapelle n'était pas pour nous, et que nous pouvions dire la sainte messe dans nos chambres. Nous nous en tenons, Monsieur, à votre parole, et à celle de M. le maire, qui est d'accord avec vous. Il ne dépend que de vous et de la Municipalité de nous faire rendre la clef qu'on nous a ôtée. J'ai une entière confiance que vous le ferez. L'année passée, les messieurs qui étaient détenus avaient l'avantage de pouvoir dire la sainte messe ; c'est aujourd'hui la seule consolation qui nous reste. J'ai l'honneur, etc. Signé : HERVÉ DE LA BAUCHE[6]. Le 26 août, entrée de M. Matisse, amené d'abord à la Permanence ; le 30, de MM. Lesayeulx, Mongis et Hallouin. Les patriotes étaient alors à la veille d'obtenir ce qu'ils désiraient depuis si longtemps, une loi ordonnant l'expulsion du territoire français de tous les ecclésiastiques non assermentés. L'Assemblée législative vota cette loi le 26 août 1792[7]. Les proscrits devaient sortir du royaume dans le délai de quinzaine à partir de la publication de la loi. Il n'y avait d'exception que pour les prêtres sexagénaires et pour ceux dont un officier de santé, nommé par le Conseil général de la commune, aurait constaté les infirmités (art. 8). Ceux qui invoqueraient à juste titre cette exception devaient être réunis au chef-lieu du département, dans une maison commune dont la Municipalité aurait l'inspection et la police (art. 9). Dans la séance du 6 septembre, le Conseil de département, réuni au District et à la Municipalité, s'occupa de l'exécution de la loi nouvelle. Il fut arrêté que dès le lendemain des commissaires se rendraient au Château et au Séminaire pour en faire notification aux prêtres (art. 7), et les prévenir qu'ils eussent à déclarer, dans les vingt-quatre heures, s'ils avaient des raisons pour demeurer en France aux termes de la loi. Quelques membres manifestèrent la crainte que le peuple n'entrât au Château et ne se fît justice[8]. Lecture fut donnée d'une pétition des Amis de la Constitution, demandant que la déportation eût lieu dans le plus bref délai et par mer. Les Amis de la Constitution avaient toujours raison, et on exécuta ce qu'ils avaient proposé. Le lendemain, l'un des membres du Département apporta la reconnaissance de la notification faite aux prêtres ; M. Hervé de la Bauche (Marin), curé de Couffé, avait signé pour ceux du Séminaire, et M. Douaud, l'économe, pour ceux du Château. Les déclarations par lesquelles chacun d'eux fit connaître ses intentions, relativement à l'application de la loi du 26 août, furent reçues le 8 septembre par des commissaires. Ces déclarations très sommaires contiennent simplement les nom, prénoms, âge, lieu de naissance de chaque prêtre, le parti qu'il compte prendre, et sa signature ; elles sont au nombre de cent soixante-trois[9] ; cent trente-neuf furent faites par les prêtres détenus au Château, et vingt-quatre par ceux du séminaire. Le 10 septembre, dit Huet dans l'Annuaire de l'an XI[10], on comptait, tant au Château qu'au Séminaire, cent soixante-trois prêtres détenus, et, ce jour-là, quatre-vingt-dix-sept furent déportés en Espagne. Un long procès-verbal constate que, dès le matin le 10 septembre à cinq heures, les prêtres du Château qui avaient manifesté le désir de partir furent appelés et qu'on leur donna des passeports ; ceux du Séminaire vinrent également au Château, mais plus tard, et on leur donna aussi des passeports. Ils partirent au nombre de quatre-vingt-dix-sept, sur des gabares, accompagnés par des gardes nationaux, et n'arrivèrent que le 14 septembre en vue de Paimbœuf. Le chef de l'escouade qui les accompagnait prétend, dans le procès-verbal de ce voyage, que sans sa protection ils ne seraient pas arrivés sains et saufs. A Paimbœuf ils furent placés : quarante-cinq sur le Télémaque ; quarante-quatre sur la Marie-Catherine ; les huit autres sur le Citoyen, le Saint-Géréon et le Frederick. Les religieux avaient été invités à changer de costume, et les capucins à couper leur barbe, afin d'éviter les outrages de la foule[11]. |
[1] Procès-verbal de Goullin des 14, 15 et 16 août 1792. (Archives départementales.)
[2] Les dix autres furent déportés au mois de septembre suivant.
[3] Registre du Cons. de départ. 22 août 1792, f° 41.
[4] Cons. gén. de la Comm., f° 109.
[5] Conseil général de la Commune, 25 et 30 août 1792.
[6] Archives départementales.
[7] Duvergier, Collection de lois, t. IV, p. 361.
[8] Registre du Conseil de Département, f° 55. — C'est probablement cette inquiétude de voir le peuple faire violence aux prêtres qui a donné lieu à l'anecdote d'après laquelle un acteur du théâtre de Nantes aurait, à une date que les uns placent en août 1793, les autres au mois d'octobre de la même année, sauvé la vie à plusieurs centaines de prêtres. Cette anecdote se trouve dans la Vendée militaire de Crétineau-Joly, et dans plusieurs autres auteurs plus récents. Il existe même à la Bibliothèque nationale une petite brochure publiée au Mans en 1852 sous ce titre : Une bonne action sous la Terreur. L'intervention de Gourville, ainsi nomme-t-on cet acteur, serait du 15 août 1793 ; or à cette époque il n'y avait d'autres prêtres détenus à Nantes que ceux que nous retrouverons sur le navire la Thérèse, et le Château avait même cessé d'être une prison depuis le mois de mai, peu après l'ouverture de la maison des Saintes-Claires. L'auteur de cette petite brochure déplore l'ingratitude des Nantais envers Gourville. Il y eut bien un mouvement dans la population au moment de l'envoi des prêtres au Château en juillet 1791 ; il y avait aussi, je crois, à Nantes un acteur surnommé Gourville ; le reste semble avoir été écrit dans le but de donner crédit à cette pensée paradoxale de Montesquieu : Les histoires sont des faits faux composés sur des faits vrais, ou bien à l'occasion des vrais.
[9] Les déclarations reçues au Château et au Séminaire sont au nombre de cent soixante-trois, et les procès-verbaux où se trouve consignée la destination que reçurent les prêtres le 10 septembre contiennent aussi cent soixante- trois noms, mais ce ne sont pas les mêmes noms.
Sur les cent soixante-trois déclarants, soixante-cinq entrèrent ce jour-là aux Carmélites, et sur les quatre-vingt-dix-huit autres, quatre-vingt-quinze sont mentionnés comme embarqués ce même jour, 10 septembre. Le procès-verbal est muet sur la destination des autres, savoir : 1° M. Gallouin, qui reçut un passeport le 8 septembre et partit de suite pour Paimbœuf ; 2° M. Ertaud, clerc tonsuré, qui partit par un autre convoi et reçut un passeport le même jour ; 3° M. Thobye (Barthélemy), qui, sans doute à cause de son grand âge, avait été autorisé à se retirer en ville, ou avait été envoyé dans quelque hôpital. Total cent soixante-trois.
A l'inverse, les quatre-vingt-dix-sept qui partirent sur les barques le 10 septembre étaient : quatre-vingt-quinze qui avaient fait leur déclaration, et deux dont l'un était M. Borin, supérieur du séminaire, et un inconnu, inscrit sous le nom de Lepage par erreur, car M. Page, vicaire de Varades, seul prêtre dont le nom puisse être confondu avec Lepage, ne peut figurer deux fois sur la liste des embarqués du 10 septembre. On retrouve le nombre cent soixante-trois en ajoutant aux soixante-cinq désignés sur le procès-verbal comme entrés aux Carmélites M. Pierre de Lamarre, vicaire de Rezé, arrêté le 10 septembre, et qui, pour cette raison, n'avait pas fait de déclaration.
[10] Recherches économiques et statistiques sur le département de la Loire-Inférieure. Annuaire de l'an XI, in-4°, p. 446. Huet avait été, en 1791, l'un des rédacteurs de la Chronique de la Loire-Inférieure.
[11] Registre de la Permanence et du Conseil de la Commune, 8 et 9 septembre 1792. — Procès- verbal signé Lechivez. (Archives municipales.) Diverses liasses. (Archives départementales.)