LES NOYADES DE NANTES

HISTOIRE DE LA PERSÉCUTION DES PRÊTRES NOYÉS

 

CHAPITRE III. — LA MAISON DE SAINT-CLÉMENT.

 

 

M. Douaud élu économe. — Quatre-vingt-seize prêtres à la maison de Saint-Clément. — Consigne de la maison. — Augmentation du nombre des prêtres détenus. — Pétition contre leur élargissement.

 

L'art. 8 de l'arrêté du 22 mars portait que les prêtres détenus éliraient entre eux un directeur ou économe. M. Gabriel-Urbain Douaud, chanoine, ancien secrétaire de Mgr de la Muzanchère, fut prié de remplir cette fonction. Un sauf-conduit lui fut accordé pour venir conférer avec les membres du Département sur les conditions de la vie matérielle des détenus. Le Directoire lui fit délivrer un mandat de mille deux cents livres ; l'allocation pour frais de nourriture était d'un franc par jour.

La municipalité avait été priée d'établir un corps de garde à la maison de Saint-Clément pour veiller à ce que ceux qui sont conduits soient à l'abri de toute insulte ; un ancien militaire avait été investi des fonctions de gardien[1].

Le procès-verbal de conduite des prêtres à Saint-Clément contient quatre-vingt-seize noms ; sept prêtres étaient restés au Séminaire.

L'état de dépenses de M. Douaud, qui contient jour par jour le nombre des prêtres emprisonnés, commence ainsi : 6 juin 1792, quatre-vingt-seize prêtres à souper, quarante-huit livres.

Le plus grand nombre de ces prêtres devaient quitter la France au mois de septembre, en exécution de, la loi sur la déportation ; voici les noms de ceux qui devaient mourir en prison ou être compris dans la noyade du 27 brumaire[2] :

MM. 1. Bernard (Nicolas) ; 2. Briand (Henri) ; 3. Briand (Barthélemy) ; 4. Brossaud (Yves) ; 5. Cam (René)  ; 6. Chrétien (Martin-Joseph) ; 7. Coat (Yves) ; 8. Costard (Pierre) ; 9. Debrest (Philippe) ; 10. Douaud (Gabriel-Urbain) ; 11. Dubois (Louis) ; 12. Dugast (Augustin) ; 13. Forget (François) ; 14. Gastepaille (Gilles) ; 15. Gueguen de Kermorvan (René) ; 16. Guérin (Pierre) ; 17. Hervé de la Banche (Rolland), 18. Juguet (Barthélemy) ; 19. Lacombe (Thomas) ; 20. de Lamarre (Siméon-François) ; 21. de Lapasseig (Charles-Étienne) ; 22. Lecerf (Julien) ; 23. Lenormand (Louis-Alexandre) ; 24. Mulonnière (Pascal) ; 25. Nouel de Kerbodec (Joseph) ; 26. Sezestre (Blaise) ; 27. Steven (Pierre) ; 28. Thobye (Barthélemy) ; 29. Tiger (Joseph). Parmi les prêtres restés au Séminaire se trouvaient M. Bonnet (Joseph-Thomas), du diocèse de Luçon ; le Père Pouessel (Armel), récollet, et M. Soret, qui mourut quelques jours après son élargissement en 1793 des suites de sa détention.

D'après la consigne établie par la Municipalité, personne ne pouvait entrer dans la maison de Saint-Clément que muni d'un ordre d'un officier. Les hommes du poste devaient éloigner de la porte tous ceux qui s'assembleraient ou tiendraient des propos injurieux contre les administrations ou les ecclésiastiques. Les visites ne pouvaient avoir lieu que le matin, de huit heures à midi, dans la grande salle en face du réfectoire ; dix ecclésiastiques seulement pouvaient en même temps recevoir des visiteurs, et, chacun d'eux, un seul visiteur. Permis aux ecclésiastiques de se promener dans le jardin de six heures du matin à huit du soir. Tous les paquets introduits devaient être examinés à l'entrée[3].

Le libre usage de la chapelle était concédé, et un procès-verbal des ornements de la maison fut dressé le 7 juin, avec autorisation de s'en servir ; toutefois si l'exercice du culte était toléré, c'était à la condition que les offices ne seraient ni chantés ni psalmodiés, mais seulement à voix basse, sans bruit ni son d'une cloche[4]. Le 7 juin était le jour de la Fête-Dieu, qui, avant la Révolution, ou plutôt avant le Concordat, se célébrait le jeudi, et, sur les feuillets qui contiennent les dispositions prises par le Département pour l'emprisonnement des prêtres à Saint-Clément, on rencontre la convocation de tous les membres des administrations à la procession, dont on se montre jaloux d'augmenter la solennité[5].

Les patriotes avaient reçu satisfaction ; néanmoins la détention des prêtres, arbitrairement ordonnée par le Département, pouvait cesser par un acte de sa volonté. Quelques membres avaient-ils parlé de leur désir de revenir au respect de la légalité ? La chose est vraisemblable, puisque deux semaines ne se sont pas écoulées depuis l'entrée des prêtres à Saint-Clément, et que déjà les patriotes redoutent les mesures de clémence. Le 19 juin 1792, nouvelle pétition aux membres du Département : Le bruit s'est répandu dans cette cité, et on dit hautement que vous êtes sur le point de prononcer sur l'élargissement des prêtres renfermés. Les bons citoyens ont été alarmés d'apprendre que trois de ces prêtres ont été mis en liberté ; craignant que cette indulgence funeste ne devînt générale, ils se sont réunis et demandent :

1° Que les prêtres détenus ne soient point élargis jusqu'à ce que le décret de l'Assemblée nationale qui les concerne ne soit officiellement arrivé.

2° Considérant cependant qu'il est intéressant pour le bien général que des prêtres, qui troublent la société et qui désirent la quitter, n'éprouvent aucune entrave dans cette démarche, nous demandons qu'après l'obtention d'un passeport vous preniez les mesures les plus sûres pour vous assurer qu'ils quittent réellement le royaume[6].

 

Inutile de dire que cette pétition fut accueillie avec faveur par le District et le Conseil général de la commune, qui l'appuyèrent auprès du Département[7].

Le 27 juin 1792, le nombre des prêtres enfermés à Saint-Clément s'élève à cent dix, et, parmi les nouveaux arrivants, je relèverai les noms de MM. Couvrant, recteur de Besné, Boutheron et Hallereau, ces deux derniers chartreux, et de M. Loyand, curé de Varades[8]. Ce même jour, M. Douaud envoyait au Département l'état de ses dépenses, — ou plutôt le chiffre de ses compagnons de captivité, puisque la somme attribuée à chacun d'eux était fixée d'avance, — et il l'accompagnait des lignes suivantes :

Je supplie les administrateurs du département de la Loire-Inférieure de recevoir favorablement l'état que j'ai l'honneur de leur présenter, car quelque misérable que soit la vie que nous menons, à raison de la cherté prodigieuse des vivres, il nous est impossible de satisfaire les fournisseurs 'et de nous procurer l'absolu nécessaire.

 

La cherté des subsistances à Nantes, dont on trouve de nombreux témoignages à cette époque, était le résultat de la guerre civile, qui diminuait ou retardait l'envoi des denrées au moment même où de toutes parts les patriotes réfugiés affluaient dans la ville.

Le mois de juillet paraît s'être écoulé sans incidents notables. M. Bonnet (Joseph-Thomas) fut transféré du Séminaire à Saint-Clément, le 17 ; M. Poulain de la Guerche entra le 24 juillet.

Deux mesures concernant les biens des prêtres furent prises par le Département. Le 19 juillet, on fit aux prêtres dont la résidence en France n'était pas connue l'application des décrets concernant les émigrés[9], et les biens de ces prêtres furent déclarés séquestrés au profit de la nation. Un arrêté, en date du 30 du même mois, dont une partie concernait le même objet, obligeait tous les prêtres détenus à faire retirer, des cures qu'ils occupaient auparavant, le mobilier et les domestiques qu'ils y avaient laissés, afin que, dans tous les cas, les maisons presbytérales soient disponibles pour l'habitation des curés nouveaux élus ou des desservants qui y seront envoyés[10].

Le 3 août entra un nouveau détenu destiné, comme les autres que j'ai nommés, à être noyé le 27 brumaire ; c'était un prêtre de Saint-Similien, M. Lucien Lamarre.

Le 8, M. Douaud, à bout de ressources, se vit contraint d'implorer la charité du Département :

L'économe des prêtres détenus en la maison de Saint-Clément a l'honneur de vous représenter qu'il lui est impossible de fournir à leur subsistance en ne recevant que vingt sols par jour pour chacun d'eux. Vous n'ignorez pas, Messieurs, à quel prix sont portées toutes les choses nécessaires à la vie. L'honnêteté avec laquelle vous avez accueilli les représentations que le suppliant a eu l'honneur de vous faire de vive voix, à ce sujet, lui donne tout lieu d'espérer que vous aurez égard à la demande qu'il vous fait de lui accorder pour chacun desdits détenus vingt-cinq sous par jour, à compter du jour de leur détention, par ce moyen il sera en état, en usant d'une grande économie, de s'acquitter avec les fournisseurs et de frayer aux dépenses nécessaires[11].

 

Cette requête fut exaucée, et, de ce moment, la somme allouée à chaque prêtre fut de vingt-cinq sous par jour.

La maison de Saint-Clément était une prison, puisque ceux qui l'habitaient ne pouvaient en sortir ; néanmoins le caractère de sa destination première, la faculté de se promener dans le jardin, distinguaient ce local de toute autre prison. Le moment approchait où les prêtres seraient réduits à en regretter le séjour.

Les gardes nationaux se plaignirent du service pénible qu'exigeaient des postes nombreux et des patrouilles fréquentes. Le Conseil général de la commune délibéra aussitôt. La surveillance de Saint-Clément, — porte la délibération, —exige un service très dur et une garde très nombreuse ; la sûreté même des ecclésiastiques pourrait exiger de nouvelles précautions, et il est du devoir des autorités constituées de mettre tous leurs soins à éviter des événements funestes 1[12]. Le Département sera donc invité à ordonner la translation au Château des prêtres de Saint-Clément.

Deux commissaires de la municipalité, dont l'un est Goullin, ont déjà visité le Château et préparé leur rapport ; il leur paraît que le premier et le deuxième étage du vieil arsenal est un local suffisant et convenablement disposé. Le Département approuve et ordonne sans délai la translation tant pour la sûreté des ecclésiastiques que pour prévenir les désordres et les troubles[13].

 

 

 



[1] C'était un nommé Roullet, sergent -major au ci-devant régiment de Beaujolais. (Reg. du bureau municipal, 6 juin 1792.) Il fut successivement gardien des prêtres à Saint-Clément, au Château et aux Carmélites jusque dans les premiers jours de janvier 1793.

[2] Des notices spéciales étant consacrées à chacun d'eux, je ne donne ici que leurs noms et prénoms.

[3] Registre du bureau municipal, juin 1792, f° 182. (Archives municipales.)

[4] Procès-verbal du 7 juin 1792. (Archives départementales.)

[5] Registre du département, f° 77. — Même invitation fut faite à toutes les autorités pour la procession de la Fête-Dieu en 1793. Reg. du Conseil de la Commune, 28 mai 1793, f° 187.

[6] Déjà, par arrêté du 18 juin 1792, M. Delaville, curé de Paimbœuf, avait été autorisé à partir pour l'Angleterre. Un arrêté du 4 juillet accorda la même faculté à MM. François Camus, aumônier de l'hôpital ; Majeune, cordelier ; Rolland Guyard, vicaire de Vertou ; Daniel, dominicain ; Buor, curé de Saint-Étienne de Corcoué, et à trois prêtres de Bouzillé (diocèse d'Angers), enfermés, eux aussi, à Saint-Clément : MM. Élie Beurier, Maurice Bouvet, René Benoît. M. Delaville partit pour Paris ; des autres prêtres compris dans l'arrêté du 4 juillet, M. Buor et les prêtres d'Angers partirent seuls à ce moment.

[7] Registre du district de Nantes, f° 17. — Séance du Conseil de la Commune de Nantes du 26 juin 1792.

[8] Il n'existe aucun registre d'écrou des prisons des prêtres. Les dates des entrées sont empruntées aux documents les plus divers des trois dépôts d'archives de Nantes, registres du département, des districts de la municipalité, des tribunaux, liasses des émigrés, etc.

[9] Notamment du décret du 30 mars 1792. Duvergier, t. IV, p. 93.

[10] Reg. du dép., 30 juillet 1792, f° 166.

[11] Archives départementales. — M. Marchegay, dans ses Documents relatifs à la déportation des prêtres angevins, a publié la note d'hôtel à Nantes du commissaire chargé de les amener (p. 69). Le repas de simple table d'hôte était de deux livres dix sous ; une soupe à l'oignon, une livre dix sous.

[12] Séance du Conseil général de la Commune du 13 août 1792. (Archives municipales.)

[13] Arrêté du Département du 13 août 1792, f° 188. (Archives départementales.)