LES NOYADES DE NANTES

LES NOYADES DE NANTES

 

CHAPITRE VIII. — CONCLUSION.

 

 

Énumération des noyades certaines. — Opinions des auteurs et des témoins sur le nombre des victimes. — Incertitude des chiffres basés sur de simples appréciations. — Recherches du chiffre approximatif des noyés au moyen des nombres connus des détenus, des exécutés, des morts de maladie et des survivants. — La peur, cause de tous les maux qui ont affligé la ville de Nantes.

 

Mon enquête est finie ; j'aurais préféré qu'elle fût plus courte ; mais, la question une fois entamée, j'ai pensé qu'il valait mieux faire l'exposé complet et donner tous les témoignages imprimés ou manuscrits venus à ma connaissance. Si quelques documents inédits des archives locales m'ont échappé, c'est à moi seul que je devrai m'en prendre, car je ne : saurais trop louer la profonde connaissance que MM. Léon Maître et de la Nicollière-Teijeiro ont des dépôts qui leur sont confiés, et l'obligeance avec laquelle ils aident les travailleurs dans leurs recherches.

Les documents produits suffisent à prouver que le supplice :de la noyade fut à Nantes, par les ordres de Carrier et la complicité du Comité révolutionnaire, un moyen raisonné de destruction, employé à des intervalles plus ou moins rapprochés, depuis le milieu de novembre 1793 jusqu'à la fin de janvier 1794.

Il y a lieu, en effet, de considérer comme absolument certaines.les noyades suivantes :

1° Celle des prêtres.de Nantes, le 27 brumaire an. II —17 novembre 1793 ;

2° Celle des cinquante-huit prêtres d'Angers, le 20 frimaire —10 décembre 1793 ;

3° Celle du Bouffay, le 24 frimaire-14 décembre 1793 ;

4° Celle du 3 nivôse - 23 décembre 1793, — dont la date a été donnée par Affilé ;

5° et 6° Celles qui eurent lieu les 4 et 5 nivôse — 24 et 25 décembre — pendant le séjour de Benaben à Nantes. — Lettre lue à la Commune de Paris, où il est dit : Cette opération se sait continuellement.

7° Celle du 7 nivôse — 27 décembre 1793, — à laquelle assista Charpentier ;

8° La première des trois noyades présentant ce caractère particulier que les noyés avaient d'abord été transférés. sur des galiotes ; elle dut avoir lieu dans les jours qui suivirent le 9. nivôse — 29 décembre. (Déclaration de la femme Pichot.)

9° La seconde des noyades de cette catégorie, qui eut lieu très probablement, selon la déclaration de Mlle Hotessier, le 16 nivôse (5 janvier). — On continue de noyer[1], écrivait Loyvet à la date du 20 nivôse.

10° La troisième de ces mêmes noyades, qui est celle à laquelle échappa Jeanne Chesneau ; elle eut lieu le 20 nivôse - 18 janvier.

11° Celle des prisonniers de l'Entrepôt, du 10 au 12 pluviôse — du 29 au 31 janvier, — au moment où l'on nettoya et vida cette prison. — Le témoin Allard, parlant de la scène de Gonchon, qui eut lieu le 9 pluviôse, ajoute : Les noyades n'en continuèrent pas moins.

Je ne fais point entrer dans cette énumération plusieurs faits que le défaut de dates, même approximatives, et de circonstances spéciales ne permet pas de distinguer nettement des onze exécutions ci-dessus ; dans cette catégorie de faits incertains, je rangerais :1° la noyade d'une vingtaine de fera-mes conduites à une galiote par Coussin ; 2° celle de deux cents brigands, en frimaire, dont le récit fut fait au témoin Lemoine par Robin ; 3° celle de trois cents prisonniers qui, amenés d'Ancenis dans un bateau, auraient été noyés sans avoir été débarqués ; 4° celle dont le médecin Thomas a déposé d'après le récit du batelier Perdreau ; 5° celle des enfants ; 6° celle des femmes de mauvaise vie enfermées à Mirabeau.

Voilà pour les exécutions ; mais combien de noyés ?

Il y a presque autant de chiffres que d'historiens. Pour M. Michelet, c'est deux mille à deux mille huit cents ; M. Berriat Saint-Prix, s'attachant aux nombres indiqués par les témoins de chaque noyade et les additionnant, arrive à mille huit cent soixante-dix-sept noyés[2] ; M. Guépin dit trois mille cinq cents au plus[3] ; M. Crétineau-Joly a écrit qu'il y eut, de l'aveu du Comité révolutionnaire, vingt-trois noyades, dont la plupart comptent huit ou neuf cents victimes[4].

Les témoins du procès, interrogés spécialement sur le nombre des noyés, ont également beaucoup varié. Selon la veuve Dumais, concierge à l'Entrepôt, Fouquet aurait prétendu avoir fait périr neuf mille prisonniers[5]. Ce chiffre de neuf mille fut également donné par le forgeron Moutier, qui, d'après les paroles du président, avait été le témoin oculaire de toutes les noyades[6]. Carrier se serait vanté, en nivôse — la date n'est pas autrement précise —, d'avoir fait jeter deux mille huit cents individus dans la baignoire nationale. Coron, ancien procureur, devenu membre de la compagnie Marat, a donné le chiffre de quatre mille[7]. David-Vaugeois, que ses fonctions appelaient souvent à l'Entrepôt, et qui, par conséquent, a dû voir les choses de plus près que les autres, estimait que l'on avait sacrifié, — c'est son expression, — deux mille quatre cents femmes et enfants de l'Entrepôt[8]. Aucun des témoins — y compris Vaugeois, qui ne parle point des hommes — ne donne un chiffre inférieur à quatre mille ; mais, en pareille matière, on ne peut se contenter d'impressions personnelles, toujours plus ou moins vagues. Ce n'est pas parce qu'on a assisté à un naufrage que l'on connaît toujours exactement le nombre de ceux qui y ont péri, et il est plus sûr de comparer le rôle d'équipage à la liste de ceux qui se sont sauvés. Aussi ai-je recueilli avec soin quelques données certaines qui me semblent pouvoir servir de base à un calcul raisonné.

Personne n'a jamais sérieusement contesté ce fait que l'immense majorité des brigands amenés à Nantes, depuis le mois d'octobre jusqu'à la fin de février 1794, y sont morts de misère ou de maladie, ou bien ont été fusillés, guillotinés ou noyés. Les beaux jours des sans-culottes sont venus, écrivait, de Nantes au journal le Postillon des armées l'un de ses correspondants, — les mesures rigoureuses du représentant Carrier et du Comité révolutionnaire nous ont débarrassés de tous les gens suspects[9]. — On assure, — écrivait de Nantes, quelques jours après, Jullien fils à Robespierre, — que Carrier a fait prendre indistinctement, puis conduire dans dés bateaux et submerger dans la Loire, tous ceux qui remplissaient les prisons de Nantes[10]. Les patriotes eux-mêmes croyaient donc à l'extermination générale des brigands amenés à Nantes, seulement ils s'inquiétaient peu d'en connaître le nombre.

Les listes officielles contenant leurs noms ne se retrouvent pas, et, les retrouvât-on, par une raison que Bachelier a donnée et que j'ai reproduite, ces listes ne contiendraient qu'une partie du nombre total. Si l'on veut un chiffre, il faut donc se contenter de celui de Lamarie, officier municipal ; selon ce témoin, il y avait à Nantes, à un moment de la mission de Carrier qu'il ne précise pas, douze mille prisonniers[11]. Ce chiffre, — il est à peine besoin de le faire remarquer, — en admettant qu'il ait été exact à un certain moment, ne peut comprendre la totalité des brigands qui ont traversé l'Entrepôt et les autres prisons, puisqu'il est notoire que, si chaque semaine des centaines de prisonniers disparaissaient par l'effet des exécutions en masse, il en arrivait continuellement de nouveaux[12].

Je crois devoir néanmoins admettre, comme base de mes calculs, ce chiffre de douze mille individus emprisonnés à Nantes durant la mission de Carrier.

Pour trouver un autre chiffre certain, il faut se reporter à trek mois au delà, au moment où Bourbotte ordonna au Comité révolutionnaire de' dresser la liste des détenus. Pendant ces trois mois, le Comité révolutionnaire ayant ordonné, ou simplement enregistré la détention de mille deux cent quatre-vingt-trois individus[13], il convient d'ajouter ce chiffre à celui de douze mille qui nous sert de point de départ, soit donc un total de treize mille deux cent quatre-vingt-trois personnes entrées dans les prisons.

Or le chiffre certain des détenus lorsque Bourbotte fit dresser la liste, dans les premiers jours de prairial (fin de mai 1794), était seulement de trois mille. Il y avait, — ce sont les termes de Bachelier, — sept maisons d'arrêt contenant ensemble trois mille détenus[14].

Comment cette population de treize mille détenus s'est-elle à ce point réduite ? Où sont allés les dix mille deux cent quatre-vingt-trois qui sont sortis de prison ?

Il est facile de répondre pour les deux mille quatre cent vingt-trois qui furent jugés, et dont mille neuf cent soixante et onze furent condamnés et exécutés, et quatre cent cinquante-deux acquittés ou élargis[15] ; mais les autres, au nombre de sept mille huit cent soixante, que sont-ils devenus ? n'ont été ni guillotinés, ni fusillés, ni élargis, c'est donc qu'ils sont morts de maladie ou qu'ils ont été noyés.

Pour connaître le chiffre des noyés, il suffit par conséquent de déterminer celui des individus morts de maladie.

Les actes de l'état civil n'ayant point été dressés, il faut renoncer à cette source d'information. Je ne crois pas non plus qu'on puisse admettre le chiffre avancé par Goullin. Combien est-il péri de citoyens dans les prisons ? lui demanda le président. Mais environ deux mille, répondit l'accusé[16]. Goullin aura répondu en homme préoccupé de réduire tous les chiffres afin d'atténuer l'horreur de cette effroyable destruction de prisonniers.

On sait que les réfugiés, si nombreux à Nantes, la population indigène, et surtout les hôpitaux militaires[17], encombrés de tous les malades et blessés des armées qui combattaient dans l'Ouest, fournirent un chiffre énorme de victimes à la contagion du typhus et de la petite vérole ; mais les prisonniers, affaiblis comme ils l'étaient par la misère, entassés dans des espaces trop étroits, donnaient plus de prise au fléau que les autres habitants, et le chiffre de trois mille morts dans les prisons me paraît plus vraisemblable que celui de Goullin.

Dans ce nombre de trois mille morts de maladie, la seule prison de l'Entrepôt figurerait pour environ deux mille, à raison de trente et quelques morts par jour durant la période du grand encombrement[18], c'est-à-dire depuis le milieu de frimaire au milieu de pluviôse (premiers jours de décembre 1793 aux premiers jours de février 1794) ; mille prisonniers environ seraient morts dans les autres prisons durant une période plus longue de trois mois[19].

Je reprends mon calcul :

Total des emprisonnés

13.283

Condamnés et exécutés

1.971

Acquittés ou élargis

452

Morts de maladie

3.000

Prisonniers vivants

3.000

Total des prisonniers dont le sort est connu

8.423

Noyés

4.860

Les faits, tels que je les ai exposés, rendent-ils invraisemblable ce chiffre de quatre mille huit cent soixante noyés ? Le lecteur jugera. Ce chiffre a, toutefois, sur ceux qui ont été produits jusqu'à présent, l'avantage de s'appuyer sur quelque chose de plus solide que des ouï-dire et des hypothèses.

J'ai parlé, au début de ce travail, de mobiles bas et honteux qui auraient été la cause déterminante des noyades. De ces mobiles, le principal fut, en effet, la peur : peur des Vendéens ; peur de la rareté des subsistances ; peur de la contagion ; Grandmaison le donne clairement à entendre, dans le passage de son mémoire de prairial an II, déjà cité. Mais la peur du seul Carrier, représentant aux pouvoirs illimités, fit plus que toutes les autres peurs. Savary raconte que, dans les premiers jours de nivôse, il essaya d'obtenir de Carrier la liberté des prisonniers de l'Entrepôt. Il lui avait fait comprendre que la clémence était le meilleur moyen d'assurer la paix dans la Vendée. Carrier réfléchit, hésita, donna quelques ordres dans ce sens : Je consens, dit-il à Savary, à rendre la liberté à ces prisonniers. — Eh bien ! reprit celui-ci, donne-m'en l'autorisation ou l'ordre par écrit, et je me charge du reste. — Un ordre par écrit, répondit Carrier, je ne veux pas me faire guillotiner[20]. Il est, en effet, permis de douter que la peur de Carrier ait été une vaine peur. Le Comité de salut public, s'il n'a pas ordonné, a tout su, tout connu, tout laissé faire. Avant que Carrier fût dénoncé, dit Laignelot à la Convention, j'allai voir Robespierre, qui était incommodé ; je lui peignis toutes les horreurs qui s'étaient commises à Nantes ; il me répondit : Carrier est un patriote, il fallait cela dans Nantes[21].

 

 

 



[1] Carrier, dit Chaux dans le cours.des débats du procès, a, pendant sa mission à Nantes, mis constamment en réquisition la terreur et la mort, la Loire, la guillotine et la contre-révolution. (Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 289.)

[2] La Justice révolutionnaire, p. 61.

[3] Histoire de Nantes, 1839, p. 439.

[4] Histoire de la Vendée militaire, 1850, t. II, p. 57.

[5] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 268.

[6] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 319.

[7] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 292.

[8] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 295. — On lit dans une lettre du général Léchelle, du 22 octobre 1793, insérée au Moniteur de l'an II, n° 37, p. 152 : Les brigands traînent après eux quatre mille cinq cents femmes qui ne contribuent pas peu à accélérer leur destruction.

[9] Lettre du 29 nivôse an II (18 janvier 1704), Postillon des armées du 6 pluviôse, n° 263.

[10] Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre, p. 361. Lettre écrite de Tours par Jullien, venant de Nantes, le 16 pluviôse an II (4 février 1794).

[11] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 332.

[12] On lit, dans le compte rendu de la séance du Conseil général de la commune de Nantes du 26 pluviôse (14 février), ce passage d'un discours de l'agent national : Le représentant Carrier, à votre séance du 29 nivôse (18 janvier)... vous dit que la quantité de brigands qui étaient de tous côtés conduits dans nos murs, pour y subir la peine due à leur rébellion... l'infectaient soit par leur amas nombreux dans les maisons d'arrêt, etc. (Registre du Conseil de la commune, Archives municipales.)

[13] Voici, prison par prison, le relevé des emprisonnements inscrits sur le registre du Comité révolutionnaire du 25 pluviôse an II (15 fév. 1794), jusqu'au 9 prairial an II (28 mal 1794), jour de la dernière séance.

1° Envoyés à la prison des Saintes-Claires  278

2° Envoyés à la prison du Bon-Pasteur : 243

3° Envoyés au Bouffay : 93

4° Envoyés aux Pénitentes : 5

5° Prêtres étrangers envoyés aux galiotes : 50

6° Envoyées à l'Éperonnière, femmes de la Vendée, dont deux cent vingt-deux le 5 germinal : 351

7° Envoyés au Sanitat : 24

8° Envoyés à Municipalité poix les loger et les nourrir, le Comité ne sachant où les mettre, femmes et enfants : 239

Au total : 1.283

[14] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VII, 4. — Si à ce moment les prisons autres que l'Entrepôt, qui avait été évacué, étaient à ce point engorgées qu'on renvoyait à la Municipalité les nouveaux venus, ne sachant où les mettre, et si néanmoins le total des détenus ne dépassait pas trois mille, comme le dit Bachelier, il paraîtra peu vraisemblable que sur les douze mille emprisonnés durant la mission de Carrier, il n'y en ait eu que huit mille quatre-vingt-treize à l'Entrepôt, chiffre donné par Bignon. Comment, en effet, quatre mille détenus à cette époque auraient-ils pu tenir dans des prisons qui, trois mois plus tard, étaient trop étroites pour trois mille ?

[15] A cette époque, trois tribunaux envoyaient à Nantes les rebelles à la fusillade ou à la guillotine :

1° La commission du Mans, venue à Nantes et présidée tour à tour à tour par Bignon, Gonchon ou Lalouet, du 9 nivôse au 27 pluviôse (elle ne prononça depuis ce jour que de rares condamnations qui, sauf l'assise du Château-d'Eau, se chiffrent par unités), envoya à la fusillade, à Nantes : 1.641 personnes, et prononça une douzaine d'acquittements.

2° La commission Lenoir rendit à Nantes 127 jugements de condamnations capitales ; les prévenus acquittés furent au nombre de 255.

3° Le tribunal révolutionnaire proprement dit, présidé par Phelippes-Tronjolly, fit guillotiner, du 1er octobre 1793 à fa fin de mai 1794, 203 personnes, et en acquitta 115.

Il mit en liberté ; à défaut de dénonciations, en novembre 1793, des détenus au nombre de 20.

Des élargissements eurent lieu par les ordres de Carrier ou du Comité, mais en si petit nombre que Goullin, lors du procès, ne put en citer aucun (Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 224) ; on peut les évaluer à une cinquantaine.

Soit un total de 2.423 personnes : 1.971 condamnés et 452 acquittés.

[16] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 224.

[17] Il y avait partout des hôpitaux militaires, dit M. le docteur Le Borgne dans son livre déjà cité, p. 147. — Dix ou douze, lit-on dans une pétition à la Convention en date du 6 frimaire an II, pétition signée de Renard, maire, de Minée, président du département, et de Thomas, président de la société Vincent-la-Montagne. (Archives départementales.)

Le 5 frimaire (25 nov. 1793), dix-huit cents malades et blessés furent évacués de Rennes sur Nantes par ordre de Rossignol, treize cent dix furent placés à Nantes dans diverses maisons et églises. (État détaillé, Archives municipales.)

Le 5 nivôse (25 décembre 1793), le département invitait le Conseil de la commune à ouvrir un nouveau cimetière, l'ancien étant insuffisant, soit à raison des maladies qui règnent dans la cité, dans les nombreux hôpitaux militaires et autres, et dans les maisons d'arrêt, soit à raison des jugements et condamnations à mort. (Registre du département.)

[18] Ce n'est pas arbitrairement que je me suis arrêté à ce chiffre de deux mille morts pour l'Entrepôt. Le moment de la plus grande mortalité fut évidemment celui où le Conseil de la commune ordonna que, pour éviter la contagion, les cadavres seraient enterrés le jour même du décès ; or cet arrêté est du pluviôse 1er (20 janvier 1794), et il résulte d'un rapport de Gilbert, l'un des commissaires préposés aux inhumations, que dans la journée du 5 pluviôse on a conduit dans les carrières de Gigant les corps de trente brigands morts à l'Entrepôt. (Archives municipales.)

A la fin de prairial (milieu de juin 1794), le nombre des cadavres déposés dans les carrières de Gigant s'élevait à quatre mille six cent trois, dont seize cent soixante-dix environ provenaient des fusillades de la Commission militaire ; c'est là que furent portés, à cause de la proximité, les morts de l'Entrepôt, que j'évalue à deux mille ; on peut très naturellement supposer que les quartiers voisins de l'Entrepôt et de Gigant, en y comprenant l'hôpital du Sanitat, ont fourni les neuf cent trente-trois autres corps.

[19] J'ai réuni beaucoup de documents sur les prisons de Nantes pendant la Terreur, mais les lacunes que je ne désespère pas de combler sont trop nombreuses pour que je sois en mesure d'établir une statistique raisonnée. Je puis dire seulement qu'au Bouffay, « qui pouvait contenir aisément quatre cents prisonniers, a au dire du concierge (sa pétition du 18 germinal an II), il mourut cent trente-six prisonniers, du commencement de frimaire à la fin de prairial (21 nov. 1793-18 juin 1794). État des décès du Bouffay, mois par mois, en date du 19 brumaire an III, et signé Bernard Laquèze. (Archives départementales.)

[20] Savary, Guerres des Vendéens et des chouans, III, 31.

[21] Journal des Débats et des Décrets, n° 801, frimaire an III, p. 1055.