LES NOYADES DE NANTES

LES NOYADES DE NANTES

 

CHAPITRE VII. — NOYADES D'ENFANTS ET MARIAGES RÉPUBLICAINS.

 

 

Arrêtés du Comité relatifs aux enfants. — Kléber et Savary à Nantes. Leur démarche auprès de Carrier. — Révocation par Carrier de l'arrêté du Comité. — Triste sort des enfants de l'Entrepôt. — Arrêtés des représentants. — Nombreux témoignages de la disparition des enfants par la noyade. — Opinion de M. Michelet. — Déclaration de Moutier, Bignon, David-Vaugeois, Chaux, Jolly, Fonteneau. — Absence de témoignages contraires à ceux-là. — Mariages républicains. — Allusions nombreuses à ce fait par les écrivains contemporains. — M. Louis Blanc, premier des historiens révolutionnaires qui ait contesté son authenticité. — Examen approfondi de la question par M. Berriat Saint-Prix. — Défaut de preuves positives. — Radiation, sur le jugement, de ce chef d'accusation.

 

Les horreurs de ce temps sont telles, que l'on doit considérer en quelque sorte comme une question accessoire celle de savoir si l'on fit une noyade spéciale d'enfants, ou si, tout au moins, il n'y eut pas un nombre important d'enfants précipités dans la Loire. M. Berriat Saint-Prix[1] se refuse à admettre le fait d'une noyade spéciale, et il croit que ce bruit aura pris naissance à l'occasion de cadavres d'enfants morts de maladie, jetés en grand nombre dans le fleuve. Selon cette hypothèse, qui du reste ne repose sur aucun fondement, les témoins Moutier, Thomas, Phelippes[2] se seraient mépris en transformant un fait étrange, mais nullement délictueux, en une noyade de trois à quatre cents enfants.

J'ignore quel était le nombre exact des enfants enfermés à l'Entrepôt, mais certainement le nombre en était très considérable. Vial nous apprend que ceux qui avaient été, à la suite de la prétendue amnistie de Westermann, abrités à Angers, dans l'église Saint-Maurice, furent envoyés à Nantes[3] ; de plus, à la suite de la bataille de Savenay (3 nivôse, 23 décembre), trois cents enfants furent mis à l'Entrepôt, soit par les ordres du Comité révolutionnaire, soit par les ordres du district[4]. Que sont devenus tous ces enfants ?

Le conseil général de la commune, sur le rapport qui lui avait été fait qu'il se trouvait, à l'Entrepôt, des femmes enceintes, des jeunes filles attaquées de la petite vérole, des enfants, avait décidé que les enfants seraient mis dans quelques maisons d'infirmerie, et que les femmes seraient mises à la ci-devant communauté de Saint-Charles, pour y recevoir les secours nécessaires à leur état, le présent étant revêtu préalablement de l'approbation du représentant du peuple[5]. L'intention était bonne, mais le conseil général de la commune était parfaitement impuissant ; et ce qui prouve que son arrêté ne fut pas exécuté, c'est que le district ordonna exactement la môme chose le 22 nivôse, sur la demande de David-Vaugeois. Des citoyens et des citoyennes, émus de pitié pour les enfants, allèrent en réclamer à l'Entrepôt, et on leur en délivra ; quelques jours après, le 9 nivôse (29 décembre), le Comité révolutionnaire prenait, relativement aux enfants, un arrêté qui devait paralyser toutes les bonnes volontés[6].

Le général Kléber était alors à Nantes, revenant de Savenay, et Savary y était aussi.

Kléber, rapporte celui-ci dans ses Mémoires, vint me trouver sur les neuf heures du matin ; il paraissait vivement affecté. Il venait de lire dans un carrefour un avis du Comité révolutionnaire, qui enjoignait à tous les citoyens à qui il avait été permis de retirer du dépôt des enfants vendéens et de les élever, de les reconduire à cet antre d'infection sous peine d'être traités comme suspects. A ce récit, je dis à Kléber que j'allais courir chez Carrier pour savoir ce que cela signifiait. Je doute, me dit Kléber, que tu obtiennes plus de succès de cette nouvelle démarche ; n'importe, va... J'entre dans sa chambre ; il était encore au lit ; il paraît effrayé en entendant ouvrir sa porte et me demande ce qui m'amène si matin. A-t-on juré, lui dis-je, de faire périr tout ce qui respire dans la Vendée, jusqu'aux enfants au berceau ? Cette question l'étonne ; je lui parle de l'avis ou ordre du Comité ; c'était une énigme pour lui. Il entre en fureur, jure, tempête, saute de son lit. Carrier fait mander le Comité, qui arrive, le président à la tête[7]. Carrier entre de nouveau en fureur, court à son sabre, en menace le président ; je le retiens. Que signifie, dit-il en jurant, cet avis du Comité concernant les enfants vendéens, et qui t'a autorisé à le faire afficher ?Citoyen représentant, répondit en balbutiant le président, le Comité a pensé qu'il ne faisait que prévenir tes intentions : il n'a pas cru te déplaire en cela. — Si dans cinq minutes le Comité n'a fait afficher un avis qui détruise celui-ci, je vous fais tous guillotiner[8].

Cette scène se passait le 10, ou plutôt le H nivôse, car on en trouve un écho fort affaibli dans cette mention du procès-verbal de la séance du Comité, du 11, où on lit : Avis verbal du représentant Carrier, pour délivrer des enfants brigands, c'est-à-dire les filles à treize ans, et les enfants pas au-dessus de quinze, avis qui fut libellé le lendemain en forme d'arrêté signé des représentants Bourbotte, Carrier et Turreau[9].

Carrier avait-il joué une comédie ? On serait tenté de le croire, lorsqu'on lit sur le registre du Comité, à la date du 15 nivôse (4 janvier) : Réquisitoire à Jolly pour aller à l'Entrepôt demander au concierge les noms de ceux qui ont pris chez eux des enfants de brigands, conformément à la proclamation du Comité qui leur enjoignait de les reconduire à l'Entrepôt[10]. La plupart de ces enfants étaient malades, écrivait Dumais, étant arrivés avec peine, ayant presque tous mal aux pieds, moribonds, sans pouvoir bouger pour aller faire leurs besoins... On parlait de les faire sortir, mais personne ne donnait d'ordres[11]. Personne ne se souvenait que la Convention avait édicté une loi, le ter août 1.793, dont l'article 8 portait que les femmes, les enfants et les vieillards de la Vendée devaient être conduits dans l'intérieur du pays.

Dumais ne fut pas le seul à s'intéresser à ces enfants. David-Vaugeois et Bignon, tous les deux membres de la Commission militaire, essayèrent d'obtenir une décision qui leur fût favorable. Le premier s'adressa à Carrier, qui, dit-il, n'a pas ignoré que ces enfants étaient dans l'ordure jusqu'au cou. Il avait chargé Goudet d'en informer le représentant, qui se mit en fureur et se plaignit d'être troublé dans son sommeil[12]. Le second s'était adressé à Prieur, de la Marne, qui lui avait répondu d'en référer à la Convention ; Bignon écrivit au Comité de sûreté générale plusieurs fois, notamment le 18 nivôse (7 janvier), et il ne reçut pas de réponse[13]. Il se serait même adressé à Carrier, qui lui aurait répondu que ces enfants étaient des vipères qu'il fallait étouffer[14].

En outre de l'arrêté signé Carrier, Bourbotte et Turreau, du 12 nivôse, dont il semble que le Comité ne tint aucun compte, un arrêté du 23, signé de Carrier seul, autorisa de nouveau les citoyens à prendre des enfants au-dessous de douze ans ; et le 26 seulement le Comité s'occupa d'écrire à la municipalité, pour que l'on ouvrît un registre sur lequel les citoyens inscriraient l'engagement qu'ils prendraient de nourrir les enfants[15]. C'est cet arrêté que Chaux s'est vanté deux fois d'avoir obtenu du représentant après quinze jours d'importunités[16], pour arracher ces enfants aux fureurs de Fouquet et de Lamberty. Voilà qui témoigne assurément en faveur de l'humanité de Chaux ; mais on peut se demander pourquoi il sollicitait un second arrêté de Carrier, alors qu'il en existait déjà un dont la date remontait à une dizaine de jours ? De deux choses l'une, en effet : ou le premier était exécuté, ou il ne l'était pas ; s'il était exécuté, il était inutile d'en solliciter un second ; si le premier était lettre morte, il est permis de douter de l'efficacité du second.

Le commissaire ordonnateur de la marine avait proposé de faire, parmi les enfants de l'Entrepôt, un choix de ceux qui lui paraîtraient capables d'être employés comme matelots sur les vaisseaux de la République[17]. Ces enfants furent réclamés, et cependant il est constant qu'un juge de la Commission militaire s'est opposé à la délivrance de ces enfants[18]. Le point de savoir quelle suite fut donnée à la proposition de l'ordonnateur de la marine ne fut point éclairci au procès. La réception d'une lettre de Carrier, relative aux enfants de l'Entrepôt, est mentionnée au procès-verbal du Comité du 29 nivôse (18 janvier). Malheureusement cette lettre n'a point été conservée. Elle renseignerait peut-être sur la valeur de la déposition de Moutier, le forgeron, qui habitait le quartier de l'Entrepôt, et qui prétendit que des enfants ayant été mis à part par l'ordonnateur de la marine, Carrier aurait dit à celui-ci : Tu veux sauver ces enfants, tu es un scélérat, je te ferai guillotiner[19].

Toutefois, s'il est vrai que des enfants aient été noyés en masse, ils l'ont été postérieurement au 25 nivôse (14 janvier), car il résulte d'un état informe en date de ce jour, qu'il y avait encore à cette époque, à l'Entrepôt, cent soixante-huit enfants mâles au-dessous de quinze ans.

Plusieurs des dépositions déjà citées, celles de Griault, de Charpentier notamment, ne permettent pas de douter qu'antérieurement on avait noyé des enfants. Mais pour avoir une certitude absolue d'une noyade spéciale d'enfants, il faudrait avoir fait une étude approfondie de l'état et du personnel des prisons ; je me bornerai donc pour l'instant à noter quelques témoignages :

D'abord celui de M. Michelet, que je n'enregistrerai que pour mémoire. Dans un récit très dramatique, très mouvementé, où il a brouillé les faits et les dates, M. Michelet dit que des centaines d'enfants (environ trois cents) disparurent dans les noyades[20].

Les autres témoignages sont empruntés aux comptes rendus du procès :

Je sais, dit Fonteneau, marin gréeur, qu'il a été noyé beaucoup d'enfants qui avaient été mis de côté pour le service de la République[21]. — A l'égard des enfants prétendus noyés, dit Goullin, je déclare que la Commission militaire doit être interpellée sur ce fait, parce qu'elle avait la surveillance de ces enfants, et qu'elle a donné son adhésion au sacrifice que l'on en a fait[22]. A cette interpellation, David-Vaugeois répondit en rappelant les efforts qu'il avait tentés pour sauver ces enfants, efforts dont il a été parlé plus haut, et il termina en citant ce mot de Carrier : Point de pitié, ce sont des vipères. Bignon prit ensuite la parole pour dire qu'en vain la Commission militaire représentait-elle à Carrier et au Comité révolutionnaire que les jeunes enfants déposés dans les prisons pouvaient être utiles aux armateurs, et qu'il fallait les leur livrer. Carrier avait prononcé l'arrêt de mort de ces enfants ; il eut la barbarie de le faire exécuter[23]. Parlant des trois cents enfants de Savenay qui avaient été confiés au Comité et déposés à l'Entrepôt, Chaux, l'auteur des vanteries que j'ai citées, dit au tribunal : Lamberty et Fouquet ne s'en sont pas moins permis de les enlever[24]. Jolly, qui passait une partie de son temps à l'Entrepôt, où il était chargé d'amener les détenus à la Commission militaire, est moins explicite, mais il a entendu dire que les enfants auraient été noyés ; ce à quoi le président répliqua : N'est-ce pas vous qui les avez conduits à l'eau ?[25] Mainguet, membre du Comité : Je n'ai point eu connaissance de cette noyade, mais j'ai entendu dire que ces enfants étaient disparus[26]. Fourier, directeur de l'hospice révolutionnaire : J'ai connaissance que l'on faisait noyer cinquante à soixante enfants à la fois[27]. Qu'il y ait eu de l'exagération dans les dépositions des témoins, je suis très disposé à le croire. Tous les enfants, assurément, ne furent pas noyés ; mais si quelques-uns d'entre eux seulement l'ont été, comment, parmi les cent cinquante témoins et accusés, tous Nantais, membres des administrations, commissaires bienveillants, commissaires adjoints, ne s'est-il pas trouvé quelqu'un pour dire : Ces enfants que vous cherchez, mais ils vivent ! Après les noyades, on les mit dans telle maison ! Ils y sont encore, ou bien on les a embarqués !

On a noyé des hommes, des femmes, des femmes enceintes, des enfants ; est-ce là toute l'histoire des noyades ? Faut-il encore admettre comme fondée l'accusation portée contre les noyeurs de Nantes, d'avoir lié ensemble des gens do sexes différents, qu'ils jetaient à l'eau après s'être égayés de cette union, à laquelle ils avaient donné le nom de mariage civique ou républicain ?

La tradition des mariages républicains est fortement enracinée dans l'histoire, et, à la différence de certains traits de cruauté reprochés à des royalistes, tels que les chapelets de Machecoul, par exemple, que tous les auteurs ont empruntés au témoignage suspect d'un renégat, la tradition des mariages républicains a été propagée au moment du procès par des écrivains qui, à des titres divers, avaient été complices de la Terreur.

Toutes les publications du temps, pamphlets[28], journaux, chansons, contiennent, des allusions à cette horreur, qui constitue le septième chef de l'acte d'accusation du procès de Carrier.

Lecointre en fait honte à son collègue, dans sa brochure contre les membres des anciens comités[29]. On trouve les mariages républicains mentionnés dans le rapport de Romme, où il est dit qu'une foule de lettres parlent de ce qu'on appelait à Nantes le mariage républicain[30]. M. Berriat Saint-Prix a donné la liste de la plupart des auteurs qui ont admis le fait à la suite de Prudhomme[31], et dans cette liste figurent MM. Guépin et Étiennez[32]. M. Louis Blanc est le premier historien qui l'ait contesté ; mais il se borne à dire qu'il n'est nullement établi[33].

Les comptes rendus du procès ne présentent aucune négation formelle de Ja. chose. Ainsi Chaux, tout. en déclarant l'avoir ignorée, dit que Lamberty et Fouquet, exécuteurs des ordres de Carrier, étaient bien capables d'avoir inventé et de s'être livrés à de pareilles atrocités[34] ; Fourier, directeur de l'hospice révolutionnaire, dit avoir eu connaissance des mariages républicains, qui se faisaient quelquefois. en attachant ensemble un vieillard et une vieille femme[35]. Boutel n'a déposé que de ouï-dire[36] ; Phelippes ne précise pas. Le batelier Perdreau, selon la déposition de Thomas, appelait mariages civiques le fait d'attacher par les poignets deux prisonniers, que l'on jetait à l'eau après les avoir dépouillés[37]. Nicolon, médecin et patriote fort ardent de Saint-Étienne-de-Montluc, a vu sur le bord de la Loire les cadavres nus d'un homme et d'une femme attachés ensemble parmi les cadavres épars sur le bord du fleuve[38].

En 1861, M. Berriat Saint-Prix se livra à une enquête sur ce sujet, et, parmi les lettres qui lui furent adressées en réponse à ses demandes, il cite celles de MM. Ramet, Guépin et Dugast-Matifeux. Il résulte de la lettre de M. Ramet que trois vieillards lui auraient attesté, lors de la publication du livre' de Mellinet, la réalité des mariages républicains. M. Guépin ne se prononçait point ; mais, selon lui, les documents que l'on pouvait consulter depuis 1848 établissaient qu'il avait exagéré, dans son livre, les horreurs de 1793 à Nantes.

M. Dugast écrivit qu'il regardait le fait comme absolument controuvé ; et il ajoutait :

Je me fonde principalement en cela sur le procès fait, presque aussitôt, aux deux agents des noyades, Fouquet et Lamberty, procès dans lequel il fut bien question de noyades, mais uon des mariages républicains, qu'on n'eût point manqué de rappeler à leur charge, s'ils avaient eu lieu. J'ajoute que, m'étant informé de leur réalité à Bachelier, dernier membre survivant du Comité révolutionnaire de Nantes, que j'ai connu, il me les a démentis, tout en déplorant les noyades et autres excès commis.

Un démenti de Bachelier en pareille matière, même de Bachelier pénitent, est peu de chose et ne vaut guère la peine qu'on s'y arrête. Quant au procès de Fouquet et Lamberty, je suppose que M. Dugast-Matifeux en parlait d'après des souvenirs lointains car il n'est pas dit un mot des noyades dans le réquisitoire et dans le jugement prononcés contre ces scélérats, et il ne viendrait à l'idée de personne de tirer argument de ce silence pour nier qu'ils aient été les principaux agents des noyades. Fouquet et Lamberty furent condamnés à mort par la commission Bignon, le 25 germinal an II (14 avril 1794), pour avoir, dans un intérêt qui se devine, soustrait plusieurs femmes des rebelles à la vengeance des lois. Un décret de la Convention, du 2 brumaire an III, ordonna l'envoi des pièces de cette procédure à Paris, où elles se sont perdues ; mais il résulte de brouillons et autres pièces informes restés à Nantes, que, s'il fut question des noyades dans la procédure secrète, ce fut uniquement au point de.vue de savoir si Lamberty avait reçu de Carrier des pouvoirs illimités sur les détenus de l'Entrepôt.

Un argument plus sérieux est celui que M. Berriat Saint-Prix a tiré de l'examen de la minute du jugement de Carrier. Tronson-Ducoudray avait dit dans sa plaidoirie : Je ne parlerai pas de ces atrocités plus révoltantes encore, appelées mariages républicains, qui n'ont pas été suffisamment constatées dans les débats, mais dont l'infâme dénomination suppose toujours la plus infâme des barbaries[39]. Le fait des mariages républicains était inscrit. sur la feuille, préparée à l'avance, où se trouvaient les questions à poser au jury ; le président a rayé le passage. Il semble, avec raison, à M. Berriat Saint-Prix que, si les mariages, étaient ressortis des débats, le président n'aurait pas fait disparaître de la minute la question qui les concernait.

Les mariages républicains, considérés en tant que pratique accessoire des noyades, ne sont donc point un fait historique ; c'est une légende, mais je serais très porté à penser que cette légende, comme beaucoup d'autres, a un fond de vérité. L'imagination toute seule, si déréglée qu'on la suppose, n'a pu inventer de toutes pièces une pareille horreur. Je serais, pour ma part, très disposé à croire que, dans le cours des scènes abominables auxquelles les noyades ont donné lieu, il sera arrivé un jour que les bourreaux, capables de tout, comme le disait très bien Chaux, auront attaché leurs victimes dans une posture qui leur aura semblé plaisante ; l'un d'eux aura dit : Voilà un mariage républicain. Le mot aura paru joli dans ce monde de coquins obscènes et cruels ; on l'a répété ; il n'en faut pas davantage pour créer une légende.

 

 

 



[1] La Justice révolutionnaire, p. 79.

[2] Voir leurs dépositions. Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 319, 260, 236.

[3] Discours de Vial déjà cité, p. 157.

[4] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, Déposition de Chaux, VI, 232 ; de Bignon, VII, 52.

[5] Arrêté du 6 nivôse an II, 26 décembre 1793. (Archives municipales.)

[6] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 323.

[7] Goullin était alors président du Comité révolutionnaire.

[8] Guerres des Vendéens et des chouans, t. III, p. 31.

[9] L’arrêté est du 12 nivôse an II ; il porte que les enfants au-dessous de douze ans pourront être délivrés aux bons citoyens. Suite du rapport de Carrier, représentant du peuple français, sur sa mission dans la Vendée, p. 34.

[10] Registre du Comité, délibérations des 11 et 15 nivôse (31 déc. 1793, 4 janv. 1794). (Archives du greffe.) Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p. 323.

[11] Lettre de Dumais, concierge de l'Entrepôt, à la Commission de salubrité. (Archives municipales.) Cette lettre n'est pas datée, mais elle doit être de la première moitié de nivôse, Dumais étant tombé malade et ayant été remplacé le 27 nivôse (16 janvier).

[12] Déposition de David-Vaugeois. Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VII, p. 24.

[13] Déposition de Bignon. Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p. 362.

[14] Mercure français du 15 brumaire an III, p. 287.

[15] Lettre du Comité du 26 nivôse an II à la municipalité, à laquelle est annexé l'arrêté du 23 nivôse. (Archives municipales.)

[16] Chaux au peuple français, p. 24. — Supplément au mémoire de Chaux, p. 4.

[17] V. à ce sujet deux lettres aux représentants, en date du 23 nivôse an II, 12 janvier 1794, l'une de David-Vaugeois, l'autre des citoyens commissaires de bienfaisance. (Papiers de la Commission militaire. Archives du greffe.)

[18] Paroles de Bignon. Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 362.

[19] Déposition de Moutier. Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p. 319.

[20] Histoire de la Révolution, t. VII, p. 107 et suiv.

[21] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p. 346.

[22] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p., 261.

[23] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p., 261.

[24] P. 232 ; v. aussi, Pièces remises à la Commission des Vingt et un, p. 68, la déclaration de Goullin que c'est par ordre de Lamberty et de Fouquet, exécuteurs de Carrier, que les enfants ont été noyés.

[25] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 260. A la page 322, on voit que Jolly prétendit avoir sauvé autant d'enfants qu'il avait pu et avoir conseillé aux citoyens de dire que les enfants qui leur étaient confiés étaient malades, pour les soustraire à la noyade.

[26] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p. 265.

[27] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, p. 267. — On lit dans le compte rendu du journal de Tallien, l'Ami des citoyens, Journal du Commerce et des Arts, numéro du 2 brumaire an III : On a noyé et fusillé près de six cents enfants.

[28] Voici quelques vers extraits de pamphlets rimés qui se vendaient à Paris durant le procès :

(Air de la romance de Gabrielle de Vergy.)

Tout est lugubre dans l'histoire

Que nous allons vous raconter ;

Les faits sont vrais, ils sont notoires,

Aucun ne peut les contester.

Jamais la justice sévère

N'eut à punir autant d'horreurs ;

Aux larmes de la France entière,

Peuple sensible, ouvrez vos cœurs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'instrument qui tranche les têtes,

Pour son objet parut trop lent ;

Carrier ordonne qu'on apprête

Un plus meurtrier instrument.

C'est un bateau fait à coulisse,

Qui semble ferme sur les eaux,

Mais, par un secret artifice,

Il s'ouvre et descend dans les flots.

 

Vers cette machine fatale,

Quatre cents enfants sont conduits ;

Une férocité brutale

Les dépouilles de leurs habits.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Chaque jour un nouveau carnage

Leur présente un plaisir nouveau.

Hommes et femmes de tout âge

Sont renfermés dans le bateau,

Et pour insulter la nature,

Là, les deux sexes confondus,

L'un à l'autre se montraient nus.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Complainte sur les horreurs commises à Nantes par ordre de Carrier, comprenant quatorze couplets, in-8. de 4 p. s. n. n. d.)

A Nantes, précédé de ses liches complices,

Le féroce Carrier proclame la Terreur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les éléments pour lui deviennent des bourreaux,

Vieillards, femmes, enfants, expirent dans les eaux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'un à l'antre enchaînés, nus, d'effroi palpitants,

Les sexes confondus roulent dans les abîmes.

(Les Crimes des terroristes, par le citoyen Granger, artiste du Théâtre Italien ; in-8°. de 8 p. Paris, imp. Forget, an III.)

Dans un récit en vers de quatre pages, imprimerie Franklin, rue Cléry, intitulé La grande Aventure de Carrier aux enfers, on raconte que Carrier, descendu aux enfers, a peine à s'orienter ; il tombe dans le Styx :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'équilibre manquant, notre homme s'en fut boire

Dans le fleuve fatal ; il cria très longtemps

Sans qu'on vint le tirer de l'infernale Loire ;

Le noyeur se noyait, quand ses piteux accents,

Prolongés par l'écho de la région noire,

Éveillèrent enfin l'austère nautonier.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Caron lui demande le prix de son passage ; mais Carrier a tout perdu dans le maudit bourbier, et il répond à Caron :

Attendez un instant, s'il vous plaît ; je vous jure

Que dans peu vous verrez paraître Bachelier ;

Il soldera pour moi ; ce n'est pas imposture,

Il est du Comité l'honnête trésorier.

— En ce cas, dit Caron, sans te faire une injure,

Je vais te reposer dans ton gîte premier.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Bibliothèque du British Muséum.)

[29] Crimes des sept membres des anciens comités, p. 163.

[30] Moniteur du 23 brumaire an III, p. 229.

[31] La Justice révolutionnaire, p. 82 et suiv.

[32] Histoire de Nantes, 1839, p. 464. — Guide du voyageur à Nantes, 1861, p. 80.

[33] Histoire de la Révolution, in-18, t. X, p. 173.

[34] Mercure français, du 5 brumaire an III, p. 222.

[35] Mercure français, n° du 15 brumaire, p. 288.

[36] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VII, n° 3, p. 11.

[37] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 253.

[38] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 336. Un autre témoin, dont le nom ne se trouve pas au Bulletin, a vu des cadavres encore attachés qui surnageaient, VI, 307.

[39] Plaidoyer de Tronson-Ducoudray dans l'affaire du Comité révolutionnaire de Nantes, p. 27.