NOTE 1. — LOUISE DE LA. VALLIÈRE A-T-ELLE EU DEUX FRÈRES ? I
Presque
tous ses biographes l'ont affirmé, suivant en cela l'Histoire généalogique du
P. Anselme. A
Jean-François, ils ajoutent Jean-Michel Emard de La Baume le Blanc, né en
1643, mort jeune. Il convient de dire que M. Lebrun, bien qu'il ait fait foi
au P. Anselme, avait conçu de très grands doutes à ce sujet. Examinons
d'abord les pièces qui ont pu autoriser cette opinion erronée. Elles ne
paraissent qu'au dix-huitième siècle. Première
généalogie[1] : Laurent Le Blanc, III, dit La Baume, sieur de La
Vallière, épouse en 1640 Françoise le Provost. Enfants
: 1° Jean-François, marquis de La Vallière. 2° Jean-Michel Ewrard de La Baume le Blanc, né en
4643. 3° Françoise, Louise de La Baume le Blanc, duchesse
de La Vallière. Autre
généalogie[2] : 1° Jean-François, né le 4 janvier 1642, baptisé à
Paris. 2° Jean-Michel Aimar, baptisé à Saint-Saturnin de
Tours, né le 19 août 1643. 3° Françoise-Louise, née à 3 heures du matin le 6
août 1644, baptisée à Saint-Saturnin ; eut pour parrain Pierre de La Baume le
Blanc, son grand-oncle, et pour marraine, Louise de La Baume le Blanc, sa
tante. Cette
seconde note présente deux particularités : 1° Jean-Michel est indiqué comme étant né le 19
août 1643, et comme ayant été baptisé à Saint-Saturnin de Tours. 2° Françoise-Louise est indiquée comme étant née à
3 heures du matin. Autre
généalogie[3] : Laurent, etc. Enfants
: 1° Jean-François de La Baume le Blanc, baptisé à
Saint-Jean en Grève, le 4 janvier 1642. 2° Jean-Michel Ewrard de La Vallière le Blanc, né
le 19 août 1643. 3° Françoise-Louise. D'autres
généalogies : 1° f° 3 et 4 ; 2° f° 5 ; 3° f° 16 à 31 ; 4° f° 23, ne donnent à
Laurent que deux enfants. Jean-François et Françoise-Louise. Enfin[4], une généalogie imprimée et qui
s'arrête vers 1725, généalogie de l'illustre maison de La Baume le Blanc de
La Vallière, ne mentionne que deux enfants. II
Les
documents découverts par M. Lemoine, et qu'il nous a gracieusement
communiqués, prouvent jusqu'à l'évidence que Laurent ne laissa qu'un garçon
et qu'une fille ; le conseil de famille, en 1651, en 1655, ne s'occupa que de
deux enfants. Nous
pensons pouvoir ajouter à ces éléments une preuve décisive : Le soi-disant
second fils serait Jean-Michel, Ewrard ou Aimard, né à Tours le 19 août 1643,
et baptisé dans l'église de Saint-Saturnin. Or,
nous avons recherché l'acte de baptême de ce personnage, et à la date
indiquée, on trouve le document suivant : Extrait des Registres des baptêmes
de la paroisse de Saint-Saturnin de Tours. Année 1643. « Ce
vingtième jour d'aoust mil six cent quarante-trois, Jean Michel d'Eswrard,
fils de messire Michel d'Esvrard, chevalier, capitaine d'une compagnie de
chevaulx légers pour le service de Sa Majesté, et de dame Louyse de La Baume
Le Blanc, son épouse, a été baptisé ; et fut son parrain messire Jean de La
Baume Le Blanc, chevalier, seigneur de la Gasserie et de La Valière et baron
de la Papelardière ; et fut sa marraine dame Marie Voisin, veuve de feu
messire Jacques d'Eswrard, chevalier, capitaine d'une compagnie de chevaulx
légers pour le service de Sa Majesté. « Suivent
les signatures : CHAUFFOUR, Marie VOYSIN, DE LA BAUME LE BLANC. » L'erreur
devient facile à expliquer. Il sera peut-être possible un jour de retrouver
ce Jean-Michel qui, en tous cas, n'a été que le cousin de Louise de La
Vallière. Nous
profitons, comme on dit, de l'occasion pour réintroduire dans la famille de
Louise une cousine germaine. Un petit papier isolé de la Bibliothèque
nationale, dossiers bleus n° 99, fol. 23, contient cette mention : « X.
cousine germaine de Mademoiselle de La Vallière, devenue folle par les romans
(1688). Elle (la duchesse) luy a légué 600 francs de
pension que la princesse de Conty a continuée. C'est Mademoiselle du Challas
; elle avait deux sœurs ainées qui, jalouses de ce qu'on la leur préférait,
luy firent tourner la cervelle. » Or,
dans le curieux document où un conseil de famille statua sur la somme à
allouer à Louise de La Vallière, et à son frère pour leur entrée dans le
monde, on trouve : « Messire Priam, Pierre du Chalard, conseiller du Roi en
ses conseils d'État et privés, commissaire provincial à la résidence des
garnisons de la province et gouvernement de Guyenne, Intendant des
fortifications des places fortes de Bourgogne, oncle maternel, présent. » Voilà
le père de la demoiselle trop grande liseuse de romans et de ses deux sœurs
trop jalouses. Dangeau,
dans son Journal, cite un du Chalard, capitaine du Vermandois,
vaisseau de 60 canons et de 350 hommes d'équipage[5]. Du
Chalard, capitaine du Trident, pris par les ennemis auprès du cap Bon, emmené
à Messine[6]. NOTE 2. — RETRAITE DE MLLE
DE LA MOTTE-ARGENCOURT ET SES CAUSES Mme de
Motteville[7] semble rapporter cet événement
à l'année 1657, ce qui est inexact. Je sais bien que le texte porte « vers
le même temps » ; mais cela fait craindre que ces Mémoires, comme ceux de
Mademoiselle de Montpensier, composés de fragments authentiques, n'aient été
rajustés par une main inexpérimentée. Benserade a donné une curieuse
narration en vers de cette exécution de Mlle de la Motte-Argencourt[8]. Un
ouvrage fort décrié, mais où se trouvent de bonnes indications, les Mémoires
de M. I. C. D. R. (de Rochefort), précise encore la date du fait qui nous
occupe. Enfin,
voyez Mademoiselle de MONTPENSIER[9]. Loret,
à propos d'un festin donné vers ce temps-là par Monsieur, dit : Et
la seule belle Vallière. Pucelle
rare et singulière, Par
son esprit et ses apas, Ne
fut point de ce grand repas, Icelle
fille tant prisée Etant
pour lors indisposée[10]. Dans l'Inventaire
général du mobilier de la Couronne (t. II, p. 5), édition Guiffrey, on cite un
portrait de Mlle de la Motte-Argencourt, plus de demi-figure, de 3 pieds et
demi, par Beaubrun. NOTE 3. — GABRIELLE GLÉ DE LA COTARDAIS BELLE-SŒUR DE
LOUISE DE LA VALLIÈRE Gabrielle
Glé était fille de Jean de Glé et de Marie de Montigny, comtesse de Beaufort.
Elle était baronne de Bécherel et de Médréac[11]. La Cotardais est un hameau de
la commune de Médréac, canton de Montauban, arrondissement de Montfort
(Ille-et-Vilaine), où se trouve un château. Bécherel est un chef-lieu de
canton de l'arrondissement de Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine). En 1513, on cite Jean Glé,
sieur de la Cotardais, escuier, y demeurant[12]. L'auteur du libelle intitulé
le Palais-Royal dit que Gabrielle Glé était une héritière bonne pour un
prince[13]. Loret[14] parle du mariage : Mardy,
monsieur de La Vallière, Marquis
de vertu singulière, Et
frère d'une illustre sœur, Par
l'hymen se vit possesseur D'une
demoiselle bretonne, Fort
jeune et fort riche personne. L'époux. Est
fort bien auprès de son roy. Mes
savants confrères, MM. Lemoine et Lichtenberger[15], ont donné de curieux détails
sur ce mariage, notamment sur le contrat qui le précéda[16]. Outre les parents des deux
familles, tout ce qu'il y avait de plus considérable en France signa au
contrat, à commencer par « très haut, très puissant et très excellent prince
Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, et très haute, très
puissante et très illustre princesse Marie-Thérèse, par la grâce de Dieu
reine de France et de Navarre » ; et après eux la Reine-Mère, Monsieur,
Madame, la duchesse douairière d'Orléans, le prince de Condé, le duc
d'Enghien, etc. « Parmi tant d'illustres signatures se remarquent un L et un
D majuscules informes (Louis, Dauphin) : témoignage touchant qu'on avait tenu la main au
petit dauphin, âgé de dix mois, pour lui faire témoigner sa satisfaction du
mariage de son fidèle serviteur. » C'est
grâce à M. Eug. Le Brun que ce document a été retrouvé dans l'étude de maître
Pierre Delapalme. Voici
les signatures, dans l'ordre où elles se trouvent à l'original que nous
reproduisons : Louis XIV. ANNE d'Autriche. MARIE-THÉRÈSE. L. D. Louis, dauphin. PHILIPPE, duc d'Orléans, frère unique du roi, Monsieur. HENRIETTE-ANNE
d'Angleterre, duchesse d'Orléans, Madame. MARGUERITE, Marguerite de Lorraine, duchesse douairière
d'Orléans. ISARELLE D'ORLÉANS. Isabelle ou Elisabeth
d'Orléans, Mlle d'Alençon, plus tard duchesse de Guise. Louis DE BOURBON, prince de Condé. Le grand Condé, Monsieur le Prince. HENRI JULES DE BOURBON, duc d'Enghien. Plus tard,
grand maître de France, Monsieur le Duc. JEAN-FRANÇOIS
DE
LA BAUME LE BLANC, marquis de La Vallière, frère
de Louise, le futur. GABRIELLE GLÉ de
la Cotardais, baronne de Bécherel et de Médréac, la future. COURTARVEL SAINT-REMY,
marquis de Saint-Remy, premier maître d'hôtel de la duchesse douairière
d'Orléans, beau-père. L. DE LA VALLIÈRE,
sœur, F. LE PROVOST,
marquise de Saint-Remy, mère. MARIE DE MONTIGNY, comtesse de Beaufort, mère de
Gabrielle Glé. F. DE MONTIGNY. JEAN DE MONTIGNY. DE MONTIGNY
LA
HAUTIÈRE. HENRY DE DAILLON, comte du Lude, premier
gentilhomme de la chambre du roi, capitaine et gouverneur de Saint-Germain-en-Laye. CHARLES DE SAINTE-MAURE, marquis de Montausier,
gouverneur de Saintonge et d'Angoumois, lieutenant-général des armées du roi,
commandant pour Sa Majesté en Normandie. JULIE D'ANGENNES, Mlle de Rambouillet, marquise
de Montausier, gouvernante des enfants de France. MALO DE COËTQITEN, marquis de Coëtquen, de la
Marzeliére et de Bain. LÉONOR-RENÉE DE BOUILLÉ, première femme du comte du
Lude. COLBERT, Jean-Baptiste Colbert, baron de Seignelay, intendant des
finances. FRANÇOIS VISDELOU,
évesque coadjuteur de Cornouaille, nommé à l'évesché de Léon. G. DE GRIEU. L. D'AVAUGOUR,
Louis de Bretagne, seigneur du Bois, baron d'Avaugour. GILLES DE BELOUAN. AMAURY GOUJON,
marquis de la Moussage. SAINT-AIGNAN,
François de Beauvilliers, comte de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la
chambre du roi, gouverneur de Touraine, des villes de Tours et de Loches. GUY DE CHAUMONT-GUITRY, marquis de Quitry, grand
maître de la garde-robe du roi. DE RYANTS,
Armand-Jean de Riants, procureur du roi au Châtelet de Paris. F. DE BEAUVAU,
François de Beauvau, marquis de Rivarennes, oncle, par sa femme Louise de la
Baume le Blanc. G. DE LA BAUME LE BLANC, Gilles, abbé de La Vallière,
plus tard évêque de Nantes, oncle. M. DE LA BAUME LE BLANC, Marie, dame d'Évrard, tante et
marraine de Louise de La Vallière. RENÉ DE NEVET, René, marquis de Nevet,
commandant pour le roi dans l'évêché de Quimper. CHARLES DE L'HOSPITAL, comte de l'Hospital, oncle. CHARLOTTE DE ROHAN, Charlotte de Rohan-Marigny,
comtesse de l'Hospital, tante. ALEXANDRE DE L'HOSPITAL, fils des précédents, cousin. FRANÇOIS DE L'HOSPITAL, fils des précédents, cousin. J.-A. DU BELLAY, Antoine, marquis du Bellay, du Plessis et de Masse. PHILIPPE DE LA TRÉMOILLE, marquis de Royan. RENÉ DE COËTLOGON, marquis de Coëtlogon,
gouverneur de Rennes. CRENAN, Pierre de Perrien, marquis de Crenan, plus tard grand échanson
en France. LOUIS HERCULES
DE
FRANCHEVILLE, ZAN DE MONTIGNY. DE SÉJOURNANT,
LE NORMAND, notaires. Le beau
portrait de Gabrielle Glé que nous reproduisons appartient à M. le baron
Hottinguer. C'est un chef-d'œuvre dont notre photogravure donne seulement
l'idée. Nous ne saurions trop remercier son possesseur de sa bienveillance à
notre endroit. NOTE 4. — EXTRAIT D'UNE RELATION SUR LE ROYAUME DE
FRANCE PAR LE CARDINAL CHIGI (1664), publié par E. RODOCANACHI.
Paris, 1894 M.
Rodocanachi a publié, en 1894, dans la Revue d'histoire diplomatique, la
traduction d'un document intitulé : Relatione e osservatione del Regno di
Francia fatte dalcard. Chigi, anno 1664. L'éditeur
attribue la relation à un serviteur du cardinal. Elle est certainement
extra-diplomatique. Elle n'en paraît pas moins sincère et reproduit ce qu'un
étranger, relativement bien placé, pouvait savoir des petites intrigues de la
cour de France. Il
existé une Relation de la conduite présente de la cour de France, adressée
à un cardinal à Rome par un seigneur romain de la suite de Son Éminence,
Mgr le cardinal Flavio Chigi, légat du Saint-Siège vers le Roy Très
Chrestien, traduite d'italien en français, à Leyde, chez Antoine du Val, à la
Bible, MDCLXV. Elle se termine ainsi, p. 93 :
« Monseigneur, de Votre Éminence, le très humble, et très obéissant et très
acquis serviteur. L. T. De Paris, le 11 août 1664. » Cette
relation ne contient absolument rien qui soit relatif à la vie privée de
Louis XIV. Elle est suivie d'une lettre d'un gentilhomme français, traducteur
du texte précédent, et qui signe S. D. N. V., Paris, 11 août 1664. On cite
deux autres éditions : 1665, Cologne, J. Neelson ; — 1666, Fribourg, Simon le
Franc, rue Perdue, à la Fronde. RELATION. — « Son favori (du roi) en
matière de gouvernement est Colbert, dont nous parlerons plus bas. Le duc de
Saint-Aignan occupe une grande place dans le crédit du roi ; elle ne lui
vient pas de son immixtion aux affaires publiques, mais de la part qu'il
prend aux divertissements de la cour, dont il est le promoteur et
l'organisateur. C'est de ce seigneur que le roi se sert pour connaître ce
qu'on pense de lui à la cour. Mais la personne qui jouit plus que tout autre
de sa faveur, est Mlle de La Vallière. Il a eu
les prémisses de sa virginité, c'est une des dames d'honneur de la jeune
duchesse d'Orléans. Elle est de noble race. Le nom de La Vallière lui vient
d'un château dont elle est marquise Elle achève à peine sa vingtième année.
Elle est d'une stature plutôt grande que moyenne ; sa taille est bien prise ;
son visage effilé ; sa chevelure blonde ; à la blancheur de ses joues s'allie
je ne sais quel incarnat ; et elle est si bien proportionnée qu'une telle
harmonie de formes ne peut être (?) l'œuvre de la nature. En somme, sa beauté surpasse
de beaucoup celle de la jeune reine ; aussi, les Français disent-ils, par
plaisanterie, qu'un choix si digne prouve le bon goût de Sa Majesté. Elle ne
s'est jamais montrée fière de la faveur du roi qui vient régulièrement la
voir tous les jours. Elle aime beaucoup la poésie française et ceux qui la
cultivent ; mais elle n'a jamais voulu s'engager à demander pour l'un d'eux,
ou pour qui que ce soit, un emploi à Sa Majesté, qui apprécie beaucoup tant
de discrétion ; elle se montre, au contraire, d'une inépuisable générosité,
comme on l'a vu, quand le marquis, son frère, d'abord simple mousquetaire de
Sa Majesté, a obtenu la charge de cornette aux gardes du dauphin. Ce grade
équivaut à celui de capitaine, et il n'y en avait pas de plus élevé dans cette
compagnie. L'attachement
du roi pour cette demoiselle a pris naissance dans les nombreuses visites
qu'il faisait à la duchesse d'Orléans, dont elle était dame d'honneur ; et
cela dure déjà depuis trois ans sans qu'il y ait le moindre refroidissement.
Au début de ces amours, la jeune reine, quoique recevant des consolations de
la reine-mère à laquelle pareille liaison est loin de plaire encore
aujourd'hui, ne pouvait faire' moins que de ressentir les tristesses
naturelles à une épouse. Il parait que le temps a mis du baume sur cette
plaie, dont elle sent moins vivement la douleur. Au contraire, La Vallière
triomphe de l'amitié royale, chaque fois qu'elle est instruite du
mécontentement des deux reines ; mais elle ne s'est jamais montrée en leur
présence. A ce
propos, on chante en France, sur la personne de Mlle de La Vallière une
chanson que je veux citer : J'ay
pour gallant Le
plus grand roy du monde Constant
depuis trois ans, Malgré
la bru et la belle-mère ; Je
suis La Vallière, moy, je suis La Vallière, etc. Par une
conduite contraire, le roi ne s'inquiète point de ce que cet attachement peut
faire dire sur lui. On le voit même souvent en carrosse avec La Vallière ;
nous l'y avons aperçu de loin. On chante encore à ce propos une autre chanson
sur Sa Majesté elle-même : Vallière,
que dira-t-on de notre badinage ? Il
faut laisser les gens parler, Et
toujours persévérer, Courage,
courage, courage. Voilà
tout ce que je puis dire de Sa Majesté Très Chrétienne, après laquelle vient
la reine-mère, par ordre de dignité. Vient
ensuite la jeune reine, petite avec des cheveux noirs, un visage petit
également, délicat et très blanc, auquel l'art a ajouté un certain rose. La
longueur du nez offre quelque disproportion avec le reste du visage.
L'affection du roi, très vive dans les commencements du mariage, a diminué
depuis qu'elle se partage entre elle et La Vallière. Elle n'intervient jamais
dans les affaires publiques, et n'en sait même rien, sinon ce que les petites
confidences de la reine-mère peuvent lui en avoir appris[17]. Après
avoir brièvement parlé du roi, de la reine, du dauphin, du duc et de la
duchesse d'Orléans, il me reste à faire connaître les trois principaux
ministres d'État. Le premier d'entre eux est M. Colbert, qui a succédé au
cardinal Mazarin dans sa fortune et ses exploits, sans avoir toute son
autorité. Il doit son élévation au cardinal della Casa (Mazarin), dont il fut
premier majordome[18]. M.
Rodocanachi vient de publier une étude très intéressante sur Marguerite
d'Orléans, duchesse de Toscane. NOTE 5. — LETTRE DE LOUISE DE LA VALLIÈRE À MME DE
MONTAUSIER M. MATTER a publié le premier[19] la lettre de Louise de La
Vallière à Mme de Montausier. Il cite comme original un manuscrit de la
Bibliothèque royale de Munich. M. Clément a réimprimé la lettre d'après
l'édition donnée par M. Matter. Nous avons cru devoir remonter à la source,
et avec une obligeance complète, MM. les conservateurs du riche dépôt où se
trouve cette pièce curieuse m'ont envoyé des corrections au texte publié par
Matter, plus la copie d'une Réponse de la duchesse de Montausier, que je
soupçonnais avec raison devoir se trouver jointe à la lettre de Louise de La
Vallière. La réponse est évidemment fabriquée à plaisir. Les
deux textes proviennent de même source, d'une saisie faite par la police de
Louis XIV, en novembre 1670. Les signatures qui s'y trouvent ont été apposées
ne varietur par le saisissant et par le saisi, par La Reynie et par Thubeuf. « Tout
ce qui s'est fait d'infâme et de méchant, écrivait La Reynie à Colbert[20], a eu Thubeuf pour auteur. » Nous
tenons néanmoins la lettre de Louise de La Vallière pour authentique dans
presque toutes ses parties, mais en admettant qu'une plume amie a dû aider la
maîtresse abandonnée. Mme de
Montausier a-t-elle répondu à la duchesse ? Cela est vraisemblable. Toutefois
le texte de la réponse a été tout au moins arrangé en mal. On ne peut
méconnaître que la personne qui a travaillé à cet arrangement n'ait connu des
particularités alors très secrètes, si secrètes que je crois avoir été,
depuis lors, le premier à les signaler. Je veux parler de la première
rédaction, non rendue publique, des lettres de légitimation de Marie-Anne,
demoiselle de Blois. Cette
rédaction n'a pas été jusqu'à présent découverte. Peut-être a-t-elle été
supprimée. Mais qu'elle ait existé, on n'en peut pas douter. Cela est si vrai
qu'il est resté dans le texte imprimé des dispositions évidemment
contradictoires. « Nous voulons, dit le roi, qu'arrivant le décès de
Marie-Anne., soit avant ou après sa mère, la propriété de ce duché soit
conservée tout entière à ladite demoiselle de La Vallière, à la charge
néanmoins qu'elle n'en pourra disposer. Cet ou après révèle un grand trouble dans
la rédaction des lettres patentes. Mme de
Montausier, dans sa réponse, dit formellement que le texte des lettres a été
corrigé dans le sens des réclamations de Madame de La Vallière. Enfin,
dans une autre pièce, appartenant aussi à la Bibliothèque royale de Munich,
et intitulée : Relation de ce qui s'est passé en la visite rendue par Mme de
Montausier à lu duchesse de Vaujours, en conséquence de leurs lettres
réciproques sur l'érection de la duché de Vaujours, 1667, on lit ce qui suit
: « Cette lettre (celle de Mme de La Vallière) ayant été vue du roi, ou le
contenu en ic.'lle parvenu à ses oreilles, il en observa soigneusement toutes
les particularités, et dissimulant ce qui luy en pouvoit deplaire que son
amour rendit excusable, il trouva le reste si remply de raison qu'il auroit
cru faire tort à sa justice de ne pas relever cette dame de la peine qu'elle
avoit, en lui confirmant le tiltre et luy donnant en son nom la propriété de
la duché de Vaujours[21]. » NOTE 6. — ACQUISITION DU DOMAINE DE VAUJOURS POUR LOUISE
DE LA VALLIÈRE Le
désintéressement de Louise de La Vallière était notoire. Tout le constate,
même les chansons du temps ; témoin ce couplet : J'ai
le teint beau, je suis bien faite et blonde, Et
j'ay les yeux brillants ; J'ay
pour galant le plus grand Roy du monde, Constant
depuis trois ans, Et
cependant, quoyque je lui sois chère, Je
suis La Vallière, Moy, Je
suis La Vallière. Je cite
ce texte, très connu d'ailleurs, d'après un curieux recueil de chansons donné
à la bibliothèque de Falaise par M. d'Aubigni et que le savant M. Choisi a
bien voulu consulter à notre intention. — La date de 1659, qui s'y trouve,
est erronée. Il faut mettre 1664. Ce sentiment s'accentua, témoin cet autre
couplet : Vous
n'aurez, pendant votre jeune âge. Que
des crochets et des nœuds ; Vos
enfants n'auront pour appanage, Après
ce temps malheureux, Vos
enfants n'auront pour appanage, Que
l'hôpital des Enfants-Bleus. Suit
une note : « Dans le temps, le Roi quitta Mademoiselle de La Vallière pour
Madame de Montespan et ne voulut pas reconnaître les enfants qu'il avoit eus
d'elle, et lui avoit donné, l'année d'auparavant, un crochet et une boucle
estimée 100.000 livres[22]. » Cette note, inexacte dans
l'énoncé des temps, donne au fond une idée juste des dispositions peu
généreuses du roi. Louis
sentait cependant qu'il ne pouvait abandonner presque à la misère cette jeune
femme et la fi île qu'il avait eue d'elle. Lorsqu'il se décida à faire
quelque chose, Colbert se trouva là tout à point. Mon
ami, M. A. Moranvillé, l'un des censeurs de la Société de l'Histoire de
France, a exploré avec soin les correspondances privées adressées à Colbert,
et conservées à la Bibliothèque nationale. Il y a relevé des pièces
nombreuses prouvant que le ministre était à l'affût de toutes les bonnes
occasions. Voici une lettre et une note qu'il nous a communiquées : « Poitiers, 22 février 1665. — A Colbert (de
Terron). « J'ay
desjà un mémoire de toutes les terres qu'il y a à vendre dans cette
généralité. Je m'informerai de leur consistance et revenu et du prix pour
lequel elles pourroient estre adjugées. Je prendray la liberté de vous dire
que, dans ce beau dessein qu'a le Roy de récompenser par ces moyens ceux quy
l'auront bien servy, S. M. ne peut faire d'acquisitions plus utiles que dans
la Basse-Alsace »[23]. C'était
sans doute le prétexte mis en avant par Colbert pour expliquer sa demande de
renseignements. Son frère répondait en tomme convaincu à une lettre qui très
certainement avait le caractère d'une circulaire adressée aux divers
intendants. C'est ce que prouve une réponse de Fortia, sur les domaines à
vendre dans la généralité de Riom[24]. Voyons
maintenant de qui le domaine de Vaujours fut acheté. Il appartenait à la
famille de Bueil. Un érudit généreux, M. d'Achon, nous a fourni des
renseignements très précis sur cette famille. René de
Bueil et Françoise de Montalais, fille de Mathurin, seigneur de Chambellay.
eurent cinq enfants : 1° Anne
de Bueil, comtesse de Marans, mariée le 9 septembre 1654 à Pierre de Perrien,
marquis de Crenan, mort avant le 15 mars 1668, et qui était veuf, en
premières noces, de Marguerite de Bueil de Courcillon ; 2° Jean
VII, sire de Bueil, comte de Marans, seigneur de Vaujours, grand échanson de
France, mort sans postérité au mois de janvier 1665, après avoir été marié à
Françoise de Montalais, fille de Pierre, seigneur de Chambellay ; 3°
Françoise de Bueil, qui épousa, en 1665, Hugues de Lezay, chevalier, comte de
Lusignan, ou marquis de Lusignan, morte en avril 1674 ; 4°
Marie de Bueil, morte sans alliance ; 5° Renée de Bueil, dame de Chasteaux,
qui épousa François de Mesgrigny, comte de Brielle Par
contrats du 19 février et du 7 avril 1659, Jean de Bueil acheta les droits de
ses sœurs Françoise et Renée dans la terre de Chasteaux, et mourut peu après,
laissant pour ses héritiers ses neveux Jean de Bueil de Perrien et Armand de
Bueil de Perrien, sous la tutelle de Pierre de Perrien, leur père. C'est
pendant la minorité de ces derniers que la terre fut acquise pour le roi. Comme
on fut obligé, pour payer valablement, de recourir à une procédure en
ouverture d'ordre, on voit que les anciens propriétaires n'étaient pas bien
dans leurs affaires. Le domaine rentrait donc dans la catégorie de ceux que
recherchait Colbert. Nous
avons dit que l'acte de vente, censé daté du 13 mai 1667, avait été passé
chez Mes de Beauvais et Le Fouin, notaires au Châtelet de Paris. Le
répertoire seul avait été conservé, et la mention de notre acte y avait été
évidemment intercalée après coup. Pellisson[25] nous apprend que le prix
d'achat fut de 800.000 livres Avant
d'aller plus loin, il est bon de donner quelques détails sur la très curieuse
étude de notaire dont M. Phileas Vassal est aujourd'hui le titulaire. C'est
en même temps une occasion pour nous d'exprimer publiquement nos
remerciements pour l'accueil bienveillant que nous y avons reçu. Le
Fouin ou Le Fouyn était notaire du cardinal Mazarin. Ce ministre, qui ne
soignait pas moins bien ses intérêts privés que ceux de l'État, a passé dans
cette étude un grand nombre d'actes qui y sont conservés et dont il y
subsiste également un répertoire spécial ; c'est sans doute au cardinal que
Le Fouin fut redevable de la clientèle royale que ses successeurs
conservèrent. Malgré
cela, on chercherait en vain aujourd'hui dans les archives de l'étude des
pièces dont un grand nombre seraient précieuses. Pas un dossier n'a été égaré
: les minutes, année par année, sont toutes là, sauf celles qui intéressent
la famille royale, et qui ont disparu très probablement à la Révolution. Nous
entrons ici dans le champ des conjectures. A qui
imputer le coup ? à un collectionneur d'autographes ? Nous ne le pensons pas.
Cet amateur n'aurait pas oublié les pièces concernant Mazarin et bien
d'autres. Plus vraisemblablement, quelques amis de la famille royale,
peut-être le notaire lui-même, ont-ils, à la veille des événements de 1792,
1793, voulu mettre en sûreté des titres précieux et qu'on craignait de voir
saisir par des pouvoirs nouveaux. Quoi
qu'il en soit, que sont devenus ces papiers ? On l'ignore. Un seul d'entre
eux a reparu, l'inventaire des meubles d'Anne d'Autriche, qui fut mis en
vente publiquement avec une collection d'autographes. Le notaire, en ce
temps-là titulaire de l'étude, revendiqua sa minute, et, après procès, la
réintégra par arrêt dans ses archives. Cette
attitude vigoureuse a-t-elle déterminé les détenteurs de ces documents à les
cacher de nouveau ? On le croirait, si le marché des autographes n'était pas
international et si fréquenté par des acheteurs peu scrupuleux. L'acte
de vente du domaine de Vaujours est conservé aux Archives de Maine-et-Loire[26], sous la date du 13 mai 1667.
Il est passé par devant Noël de Beauvais et François Le Fouyn, notaires à
Paris, entre : le marquis de Crenan, grand échanson de France, père et tuteur
de Jean de Bueil de Perrien et autres mineurs ; Françoise de Bueil, épouse du
comte de Lusignan ; Renée de Bueil, épouse de François de Mesgrigny, comte de
Bueil ; messire Honorat de Bueil, marquis de Racan, demeurant rue Férou,
paroisse Saint-Sulpice, etc., représentant les créanciers de Jean de Bueil.,
en la présence et du consentement de haute et puissante dame Françoise de
Montalais, veuve et créancière dudit défunt seigneur comte de Marans, dernier
décédé, demeurant a Paris, rue Taranne Il
comporte vente à très illustre demoiselle, Mlle Louyse-Françoise de La Baulme
Le Blanc de la Vallière, demeurant à Paris, près le palais des Tuileries,
paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois. estant de présent au château de
Saint-Germain-en-Laye, pour elle, ses hoirs et ayant cause à l'avenir, des
baronnies, terres et seigneuries de Chasteau, de Vaujours, ci-devant Valjoyeux,
la dite baronnie et seigneurie de Chasteau qui était anciennement ville,
depuis ruinée par les guerres, dont les vestiges et masures paraissent encore
et la baronnie de Saint-Christophe en laquelle il y avait anciennement ville
et un fort château ruinés par les guerres des Anglais, moyennant la somme de
750.000 livres tournois. L'acte
est signé par la dite demoiselle de La Vallière, en son appartement au dit
château de Saint-Germain-en-Laye, où elle est à présent, auquel lieu les
notaires soussignés se sont exprès transportés de cette ville de Paris, l'an
mil six cent soixante-sept, le vendredi treizième jour de mai, après-midi. Cet
acte nous a été obligeamment communiqué par M. le chevalier d'Achon, à qui
nous sommes redevables de divers renseignements très intéressants utilisés
dans cette édition, et à qui nous sommes heureux d'adresser un remerciement
public. J'ai
connu d'abord par une bienveillante et libérale communication de M. d'Achon,
puis par une inspection directe faite à Château-La-Vallière, un Registre
pour servir aux délibérations du conseil de Madame la duchesse de La
Vallière, composé de M. de Gomoilt, Bilain, Le Fouin et Prieur, et de moy
Testu, secrétaire, contenant 144 feuilles. C'est un manuscrit in-folio en
papier, relié en parchemin et recouvert d'une peau de daim, aux armes. La
première séance a eu lieu le 26 septembre 1667, chez M. de Gomont. Le
lundi 23 mars 1669, M. Testu « a faict voir les cartes qu'il a fait
faire sur les lieux, tant de tout le duché que des bastiments ». Il
s'agit sans doute d'un très bel atlas, existant encore en deux volumes, et
qu'il nous a été donné de voir chez Mme la comtesse de Lezay-Marnesia.
Combien il serait intéressant de rapprocher ce terrier du cadastre moderne !
Puisque nous sommes sur ce sujet, mentionnons la Carte du duché de La
Vallière en Anjou, qui fut publiée par les soins de Colbert. C'est un travail
d'exécution médiocre, mais si curieux au point de vue historique, que nous le
reproduisons dans cette édition. Il est à noter qu'on a tenu à placer sur
cette carte Reugny, lieu d'origine des La Vallière. Pour en
revenir à notre registre, on a cessé de le tenir à partir de mai 1673.
Colbert y paraît deux fois ; la duchesse n'y paraît jamais. On ne sait même
pas positivement si elle a visité son domaine. Nous
citerons à ce sujet un curieux passage de l'un des continuateurs de Loret.
Pendant un des séjours de Louis XIV à Chambord, il fut question d'un voyage
de Sa Majesté à Vaujours. Louise était alors à Paris et avait, paraît-il,
rendu visite au dauphin légèrement indisposé. On
dit donc que Chambor se transfère à Saumur Et
que bien tost après le retour est coup seur, D'autant
que du dauphin la santé vacillante Rappelle
avec regret celte cour ambulante. Qui[27] dit que seulement la dame de
Vaujour, S'éclipsant
pour un temps de cette aymable cour, Va
porter en ce lieu ses vœux et ses offrandes, Qui,
comme vous jugez, seront belles et grandes Pour
l'heureuse santé de monsieur le Dauphin, Qui
ne peut manquer d'estre après cela bien sain, Et
de là doit tirer la duchesse chez elle Pour
attendre le Roy qui, dans parque sequelle, Va
visi ter ce duché nouveau-né Qu'aucuns
disent pourtant estre assez bien tourné[28]. Ce
passage est assez difficile à comprendre. La
Cour, qui est à Chambord, doit se rendre à Saumur, rappelée à Versailles ou à
Saint-Germain par la maladie du Dauphin. On dit
seulement que la duchesse de La Vallière, part en avant pour Saumur, porter
ses vœux et ses offrandes en faveur du dauphin, en d'autres termes fera un
pèlerinage à Notre-Dame des Ardilliers. Ensuite
elle ira à son château de Vaujours, et y attendra la visite du Roi. Le vers
Pour attendre le Roy qui dans parque sequelle, n'a pas de sens. Peut-être
faut-il lire et sans parc ou sequelle. Sans équipage ni suite. Ce qui
est plus sûr que cette correction, c'est que Louis XIV n'alla pas à Vaujours,
ni alors ni plus tard. NOTE 7. — LETTRES DE LÉGITIMATION DE LOUIS, COMTE DE
VERMANDOIS[29] Louis,
par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, à tous presans et advenir
salut. L'affection singulière que nous portons à Louis, comte de Vermandois,
nostre fils naturel, que nous avons eu de nostre chère et bien-amée cousine
la duchesse de La Vallière, nous obligeant de lui en donner des marques, nous
avons estimé qu'il n'en pourrait recevoir de plus expresses que celles de sa
légitimation, jointes à l'adveu et reconnaissance que nous faisons de sa
naissance ; à quoi nous nous portons d'autant plus volontiers que nous y
sommes excités par les bonnes qualitez qui commencent à paroistre dans les
premiers mouvements de son enfance et par l'espérance que nous concevons
qu'il répondra à la grandeur de sa naissance et aux soings que nous prenons
de son éducation. A ces causes, nous avons légitimé et, par ces présentes,
signées de notre main, légitimons et du titre de légitimation décoré et
décorons ledict Louis, comte de Vermandois, nostre fils naturel. Voulons.
que. en tous autres actes..., il soit tenu et réputé. pour légitime, et qu'à
cette fin il puisse. tenir et posséder en nostre royaume toutes charges,
estats, dignités et bénéfices, ensemble tous et chacuns les biens, meubles et
immeubles qu'il pourra cy-après acquérir ou qu'il lui pourroit être donnés ou
délaissés, soit par nous, ladicte dame duchesse de La Vallière, sa mère, ou
par tous autres. Donné à Paris, l'an de grâce mil six cens soixante-neuf et
de notre règne le vingt-sixième. Signé :
Louis. Sur le reply, par le roy, Colbert, et scellées du sceau de cire verte
et de soye rouge et verte, registrées le vingt febvrier mil six cens
soixante-neuf. Signé : DU TILLET. NOTE 8. — MORT DE MADAME Madame
se crut empoisonnée. Voilà le fait constant. A la
première nouvelle de cette croyance de la mourante, la Grande Mademoiselle
s'écria : « Ah ! quelle horreur ! Nous sommes de bonnes gens de notre race[30] » ; ce qui voulait dire :
Monsieur n'a pas pu empoisonner sa femme. D'autres croyaient donc la chose
possible. Mme de La Fayette dit qu'elle ne soupçonna pas Monsieur, et
cependant elle l'observa comme un accusé. Monsieur admit l'idée que les
Hollandais avaient eu intérêt à faire le coup et l'avaient fait[31]. Les
gens de la maison, la seconde Madame, l'ambassadeur d'Angleterre,
Saint-Simon, d'Argenson, accusent formellement le chevalier de Lorraine et
d'Effiat. Voilà,
dans l'entourage immédiat d'Henriette et chez de bons juges, une croyance
presque unanime à l'empoisonnement. Que
valent, dit-on, tous ces soupçons en présence du procès-verbal des médecins
qui concluent à la mort naturelle et déclarent n'avoir trouvé aucune trace de
poison, ni actif ni lent ? Constatons
à notre tour qu'on n'a pas publié le procès-verbal de ces médecins ; que
celui qui fut dressé porta, selon les apparences, les seules signatures des
médecins français ; qu'en admettant l'entière liberté de jugement de ces
derniers et leur parfaite bonne foi, ils opéraient dans un temps où la
médecine légale n'existait pas. On objecte que Guy-Patin partagea leur avis,
et cela est vrai[32] ; mais il jugeait d'après leur
rapport, et l'on peut ajouter que le même Guy-Patin, presque au même moment,
attribuait soit à une cause naturelle, soit à la maladresse de son médecin,
la mort de M. d'Aubray, bel et bien empoisonné par la Brinvilliers[33]. Olivier
d'Ormesson mentionna dans son Journal quelques détails qu'il semble avoir
appris de Mme de La Fayette[34]. Un
autre contemporain, Bouillant, déclare que les médecins anglais crurent à
l'empoisonnement. On peut donc dire que la déclaration de mort naturelle ne
fut pas unanimement admise et qu'elle ne parut pas revêtue d'une autorité
suffisante. Autre
difficulté : Monsieur, plusieurs autres personnes, burent de l'eau de
chicorée qu'on croyait empoisonnée et ne furent nullement incommodés. La
princesse Palatine détruit cette objection en prétendant que l'on empoisonna
non pas l'eau, mais la tasse même de Madame, et l'on sait que telle était la
pratique très fréquente des empoisonneurs de ce temps-là[35]. Abordons
la discussion des textes concluant formellement à l'empoisonnement. Le
premier à tous égards est celui de la seconde Madame. De ses lettres il
résulte : 1° que Monsieur croyait à la culpabilité des Hollandais, et qu'il
avait été amené à cette idée par les vrais coupables ; 2° que ces coupables
étaient le chevalier de Lorraine et d'Effiat, ayant pour complice un certain
Morel de Volonne, qui fut premier maître d'hôtel de la maison de Madame ; 3°
qu'un de ses valets de chambre lui déclara avoir vu d'Effiat frotter le
gobelet de Madame Henriette le jour où elle mourut. Le
second auteur est Saint-Simon Il écrit ce que lui a dit Joli de Fleuri, qui
tenait ses renseignements d'un sieur Purnon, premier maître d'hôtel de Madame
en 1670. C'est Purnon qui aurait été mené à Versailles et aurait tout avoué
au roi. A l'appui de son récit, Saint-Simon ajoute que, dans une seconde
conversation, Joli de Fleuri lui révéla cette particularité intéressante que
la seconde Madame avait été instruite de la vérité par le roi ; qu'elle avait
si bien fait, que le sieur Purnon, incapable de supporter une maîtresse qui
s'occupait de son ménage, aurait vendu sa charge à un sieur Morel de Volonne. Il y a
bien quelque contradiction entre ces deux témoignages : d'abord la princesse
Palatine dit qu'elle a appris ce qu'elle sait de la mort de la première
Madame, non du roi, non de Monsieur, mais d'autres personnes[36]. Mais la princesse écrit des
lettres et mesure peut-être ses confidences. En outre, Madame ne nomme que
Morel de Volonne, qu'elle semble regarder comme l'empoisonneur ; elle ne
nomme pas Purnon. Évidemment,
il s'est glissé une erreur dans le texte de Saint-Simon[37]. La Palatine n'a pu se tromper
sur le compte de Morel, et ce qui le prouve, c'est qu'un troisième témoin,
d'Argenson, raconte le même fait, et que ses éditeurs indiquent en note le
nom qu'il avait oublié, celui de Morel[38]. Il
existe une si extraordinaire ressemblance, non seulement dans la substance,
mais encore dans les termes, entre les lettres de la Palatine que Saint-Simon
ne connaissait pas, et ce qu'a rapporté à ce dernier Joli de Fleuri, qu'il
est difficile de leur refuser créance. Vraisemblablement, c'est le sieur
Purnon qui fut enlevé et conduit au Roi. Complice du crime, mais en ce sens
seulement qu'il ne l'avait pas empêché, il eut l'assurance de dire la vérité,
et le Roi put lui faire grâce. C'est Morel qui fut éconduit par la seconde
Madame. M. de
Boislisle, qui ne croit pas à l'empoisonnement de Madame, par conséquent qui
ne croit pas au récit de Saint-Simon, donne cependant un très puissant
argument à l'appui de ce dernier. C'est le témoignage de Gaignières, qu'il a
trouvé dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale[39]. Madame a été empoisonnée du
consentement de Monsieur, parle chevalier de Lorraine, qui envoya de Rome
Morel, ancien lieutenant aux gardes, qui devint maître d'hôtel de la Palatine[40]. Madame « a été très sûrement
empoisonnée », répète Gaignières. Il ne
manquait pas d'ailleurs de gens prêts à faire un mauvais coup. Une des femmes
de chambre de Madame, appelée Saint-Martin, était fille d'un sieur Lattinet,
empoisonneur de son métier. Elle fut empoisonnée elle-même, un peu plus tard[41], par son père, pendant qu'elle
méditait de traiter son mari de la même manière. Des
coquins dangereux, Guibourg, la Voisin et d'autres, entraient à Saint-Germain
comme ils voulaient. L'abbé
de Choisy[42], La Fare[43], l'un et l'autre habitués du
palais de Saint-Cloud, laissent entendre que la mort de Madame ne fut pas
naturelle. Le
président Hénault, qui avait connu le maréchal de Villeroy, dit positivement
dans son manuscrit que Henriette fut empoisonnée[44]. En
résumé, nous inclinons à croire qu'il y a eu empoisonnement. Reste à
expliquer comment Monsieur, comment le Roi laissèrent non seulement impunis,
mais encore jouissant de toutes sortes de faveurs, le chevalier de Lorraine
et d'Effiat. En ce
qui concerne Monsieur, on lui fit croire que les Hollandais étaient
coupables, et l'on sait son faible pour ses favoris. La
tolérance du Roi se comprend moins. Elle est expliquée par la nécessité
politique du maintien de son alliance avec le roi d'Angleterre. En
accueillant, comme si de rien n'était, le chevalier de Lorraine, ne
prouvait-il pas mieux que par tous les procès-verbaux de médecins sa croyance
absolue à la mort naturelle de la sœur du roi Charles ? N'avait-il pas à
craindre qu'au cours du jugement d'un si grand crime, il ne se produisit bien
des fâcheuses révélations ? Lors de l'enquête sur l'affaire des poisons, La
Bosse fut interrogée au sujet de la Saint-Martin. Elle avoua qu'elle l'avait
connue, qu'elle avait été femme de chambre au service de défunte Madame ;
qu'elle était venue une fois chez elle, au Marais, qu'elle a mené chez elle
(Saint-Martin) M. de Prade, à qui elle fit accroire qu'elle connaissait un
homme qui faisait le plus bel or du monde ; elle passe pour être morte d'un
breuvage qu'elle aurait pris pour se faire avorter. Un
jour, la Saint-Martin se rendit chez la Vigoureux, demandant qu'on fit une
neuvaine pour son mari. Là se trouvait la Chéron, portant une drogue que le
sieur Belot mêlait avec des crapauds. Seulement La Bosse n'a pu voir comment
Belot prépara la tasse d'argent ; elle sait que ce qu'il y mit était par
morceaux. La savante femme ajoute que la tasse ne peut avoir rien fait, parce
que le crapaud avait pissé un peu auparavant et, tous les médecins le diront,
quand le crapaud a pissé, il a jeté tout son venin ; de plus elle écura la
tasse. Il
paraît que La Bosse a confondu les temps, mais ce qu'il importe de constater,
c'est le procédé et le mélange de petits morceaux avec le pissat de crapaud[45]. Belot empoisonna une tasse
d'argent pour une femme qui avoua son crime, fut condamnée et exécutée[46]. La
Bosse mit encore la Saint-Martin en relations avec le grand auteur[47]. On ne
trouve pas la Saint-Martin parmi les femmes de chambre de Madame, mais l'État
de la France[48] mentionne le sieur Mazeau de
Saint-Martin, comme gentilhomme ordinaire de Monsieur, servant par quartier
aux gages de 1.000 livres. C'est pour lui qu'on voulait faire dire une
neuvaine. Ravaisson n'est pas éloigné de voir dans sa femme l'empoisonneuse
de Madame. Il nous suffit à nous de constater sa présence auprès de la
princesse. Lattinet,
père de la dame, connaissait Guibourg et prépara avec lui une poudre où il
entrait de la grenouillette, de la graisse d'épurge et de l'arsenic[49]. Or
Guibourg, dès 1660, disait des messes sacrilèges[50] au Palais-Royal. Lesage,
questionné hors l'interrogatoire par La Reynie, répondit qu'une messe lui fut
demandée à l'intention d'une grande princesse qui n'était plus et contre un
grand prince qui l'avait épousée. « Je n'ai rien demandé sur cela
précisément à Guibourg, et il dit qu'on ne lui devait dire à l'intention de
qui que lorsqu'il serait sur le lieu[51]. » Le vent de vertige qui
soufflait alors aurait-il atteint Madame Henriette ? On peut encore en douter
; mais il est certain qu'elle était environnée de gens qui maniaient le
poison avec habileté. Depuis
l'impression de la deuxième édition de ce livre, j'ai acheté un exemplaire de
l'Histoire de la guerre de Hollande, publiée à la Haye chez Henri de
Bulderen, en 1689. Les marges du premier volume sont couvertes de notes
manuscrites dont j'ai pu identifier l'écriture, grâce au concours de mon
confrère et ami M. C. Couderc. Ces notes émanent de Fabio Brulart de Silleri.
En attendant la publication prochaine de ces notes, j'en donne ici un
fragment : «
Madame fut empoisonnée par les favoris de Monsieur, à cause que, voyant le
grand service qu'elle venoit de rendre à la France, ils conçeurent, comme il
étoit vray, que cela l'alloit mettre dans un haut crédit auprès du Roy et
qu'elle les feroit chasser de la Cour[52]. » Pour la
quatrième fois, à plusieurs années d'intervalle, j'ai repris l'examen de
cette question délicate. J'ai relu tous les mémoires, surtout ceux dont les
conclusions sont contraires aux miennes. J'écarte toutefois celle des
médecins modernes, non parce que je doute de leur science, mais parce qu'ils
l'appliquent à un cas qui s'est produit il y a plus de deux siècles. En
résumé, on reste en présence des renseignements historiques des
contemporains, d'une part, et des procès-verbaux des médecins contemporains,
de l'autre. Ces
derniers concluent à la mort naturelle de Madame Henriette. C'est certain.
Mais leurs conclusions n'ont-elles pas été influencées par des considérations
politiques ? On
objecte que les médecins anglais ont émis la même opinion. Il faudrait
d'abord distinguer, entre ceux qui ont assisté à l'autopsie du corps de
Madame, et ceux qui n'y ont pas assisté. Or, on parle bien de médecins
anglais ayant pris part à cette enquête ; mais selon le contemporain
Bouillant, le fait est inexact. Aucun médecin anglais n'y assista. Entre
l'opinion administrative et celle que nous présentent les témoignages
historiques relevés par nous, l'hésitation n'est pas possible NOTE 8. — L'AFFAIRE DES POISONS Lorsque
la préparation de l'histoire de La Vallière m'amena à étudier l'affaire des
poisons, je commençai par douter et je me défendis longtemps contre
l'apparence dramatique de ce sinistre épisode. J'étudiai le dossier, la plume
à la main, comme avait pu le faire La Reynie J'en analysai toutes les pièces,
tour à tour accusateur, avocat, juge. Ma conscience m'obligea de reconnaître
la gravité, la vérité des charges qui accablaient les divers accusés et
particulièrement cette belle, cette spirituelle Montespan, si séduisante
malgré ses fautes et ses tristes erreurs. Bien
que François Ravaisson eût édité les documents du procès, il ne les avait pas
mis en œuvre et je puis dire aujourd'hui qu'il fallait un certain courage
pour faire connaitre au public cette effrayante affaire des poisons. Depuis
lors, Funck-Brentano a repris délibérément mon esquisse et complété le
tableau. Ses conclusions sont les miennes, sauf en ce qui concerne la mort de
Madame ; mais notre confrère Lemoine ne peut encore se décider à croire aux
actes sacrilèges de Mme de Montespan. Comme
j'ai la plus haute estime pour sa bonne foi et sa probité historique, j'ai
recommencé mon enquête, prêt à revenir sur mes premières appréciations. J'ai
relu les défenses de l'avocat du Plessis, si, habiles, je dirai même trop
habiles. J'ai écarté provisoirement du dossier les conclusions de La Reynie.
Cette sorte d'appel a laissé debout le premier jugement. Il l'a même aggravé. Et
cependant nous sommes loin de posséder tous les documents recueillis par
l'instruction. Le magistrat n'a pas osé pousser jusqu'au bout certain
interrogatoire, encore moins certaines recherches. Au fond, c'est le roi qui
décidait de tout, comme le prouve la pièce suivante : « Ce
jour d'huy. 10 oct. 1680, en exécution de l'arrest du 30 sept. audit an, qui
a condamné à mort Françoise Filhastre et Jacques-Joseph Cotton, leur a été
donnée la question ordinaire et extraordinaire ; mais la dite Filhastre ayant
fait, à la question et hors la question, des déclarations très considérables,
et le roy en ayant veu le procès-verbal avec les confrontations faites de la
ladite Filhastre, sur sesdites déclarations et le procès-verbal contenant de
nouvelles déclarations par elles faites dans la chapelle du château de la
Bastille, avant d'aller au supplice, Sa Majesté, pour des considérations
importantes à son service, ne voulut pas qu'il fust expédié des grosses
desdits actes pour servir à la Chambre, et elle fist scavoir à M. Boucherat,
qui présidoit à ladite Chambre, d'en cesser les séances. « ... le
roy s'estant trouvé dans ce temps fortement incité par plusieurs de ses
courtisans, et mesme par des personnes constituées en dignilé, pour faire
entièrement cesser la Chambre, et cela soubz de différents prétextes, dont le
plus spécieux estoit celuy qu'une plus longue recherche sur le fait des
poisons et des empoisonnemens descriroit la nation chez les étrangers. « ... M.
de la Reynie ayant esté entendu par le roy dans son cabinet, en la présence
de M. le chancelier et de MM. Colbert et marquis de Louvois, dans quatre
différents jours et pendant quatre heures chaque fois, Sa Majesté se
détermina enfin à la continuation de la Chambre, et ordonna à M. de la Reynie
de continuer ses instructions à l'ordinaire, néanmoins de ne rien faire sur
aucune des déclarations contenues aux procès-verbaux de question et
d'exécution de la Filhastre, que Sa Majesté, pour des considérations importantes
à.son service, ne voulut point être divulguées. » A ce
document si grave, il faut en ajouter un autre du 13 juillet 1709, que
François Ravaisson a publié[53]. Il s'agit de papiers relatifs
à la Chambre de l'Arsenal, provenant de Nicolas de La Reynie et de feu Sagot,
greffier de la dite Chambre. « Sa
Majesté étant en son conseil, après avoir vu et examiné les minutes et actes
qui lui ont été remis par M. le chancelier et les avoir fait brûler en sa
présence, a ordonné et ordonne que Gaudin, ses enfants et successeurs et
ayant cause, demeureront bien et valablement déchargés du coffre et des
papiers qui y étaient contenus. « Ces
papiers, fait observer Ravaisson, étaient les interrogatoires et les rapports
dont les juges n'avaient pas eu connaissance, et que le roi avait fait mettre
à part[54]. » On a
remarqué les motifs donnés « pour faire cesser la Chambre ». Le roi, en
faisant semblant de les adopter, cédait à d'autres considérations. Il ne
voyait plus où on allait. L'indiscrétion d'un greffier, d'un geôlier, pouvait
porter au grand jour les actes monstrueux auxquels avait concouru, sans
peut-être en comprendre la portée, la mère de ses enfants naturels. A la
vérité, elle n'était pas nommée dans l'acte de légitimation ; mais la France,
l'Europe la connaissaient. Il n'aimait plus cette belle Montespan, qui ne
savait pas vieillir. Il ne l'estimait pas, et qui sait si, dans sa secrète
pensée, il ne redoutait pas pour Mlle de Fontange le sinistre entourage de
cette ambitieuse marquise, entourage qui avait tout osé contre La Vallière ? Si, à
la rigueur, on comprend cette destruction de pièces que le roi considérait
comme n'intéressant que lui, on s'explique moins la grâce de la vie accordée
à un certain nombre de coupables. Lesage, Mariette, Guibourg vécurent
longtemps encore en prison. La Reynie, dans un de ses mémoires rédigés pour
Louis XIV, parle d'aveux faits par ces coquins, qui, dit-il, assureront
l'impunité à certains de leurs complices[55]. Quelle
était donc la raison de cette impunité ? Je n'en
trouve qu'une ; c'est qu'on ne jugerait pas les Guibourg et consorts, par
crainte du scandale ; c'est que le roi ne voulait pas rendre ces faits
publics, même devant les seuls membres de la Chambre. Partant, la peine
capitale ne pouvait être prononcée, et même aucune peine On les garda e :i
prévention jusqu'à la mort. Ce
serait faire trop d'honneur aux piètres canailles et aux rusées coquines que
nous avons vus opérer à Bonne-Nouvelle-sur-Gravois et ailleurs, que de
chercher dans leurs actes rien de plus que de vulgaires escroqueries. On dit
que certaines personnes à l'esprit malade assistent encore aujourd'hui à des
messes noires, aussi horribles que celles de Villebousin. Il faut les
plaindre et condamner ceux qui donnent un corps à ces abominables pratiques.
Il y a plus. L'envoûtement a encore, paraît-il, des adeptes. Des méchants
sont assez crédules pour y recourir, de braves gens assez simples pour les
redouter, NOTE 10. — ICONOGRAPHIE DE LOUISE DE LA VALLIÈRE Personne
aujourd'hui ne serait assez téméraire pour prétendre donner une iconographie
complète des portraits peints et gravés de Louise de La Vallière. Dès qu'un
marchand possède un tableau représentant une femme du temps de Louis XIV,
jeune, blonde, des boucles de cheveux sur le front, sur les tempes, sur le
cou, il la baptise La Vallière, et discuter cette identification serait peine
perdue. Les catalogues des musées du Louvre et de Versailles n'ont pas
échappé à ces illusions, contre lesquelles les savants conservateurs de ces
dépôts réagissent aujourd'hui. Les
erreurs commises à propos des tableaux ont, par voie de conséquence, fait
errer les graveurs et les dessinateurs. Voici
la liste des portraits peints qui nous ont paru dignes d'être signalés : — PORTRAIT PEINT PAR LEFEBYRE VERS 1661, en Diane, avec Actéon
dans le fond, cité dans les Mémoires de Brienne et dans le chapitre
III du présent ouvrage. Sort inconnu. Un tableau, représentant le même sujet,
mais que nous ne prétendons pas être celui de Lefebvre, était conservé au
château de Bures Il appartient aujourd'hui à Mme Le Féron d'Éterpigny à
Compiègne TABLEAU DU MUSÉE DE DARMSTADT. — Ce tableau, qui provient
d'une acquisition moderne, est attribué à Mignard. La touche en est
spirituelle et le coloris brillant. On ne peut guère le dater que de l'année
1661. En effet, il représente une des scènes que l'imagination des
contemporains a plusieurs fois alors retracées. Louis
XIV y figure en Apollon, au milieu des demoiselles d'honneur de Madame
Henriette, en muses ou en nymphes. Madame est très reconnaissable Non loin
d'elle, on voit Louise de La Vallière qui porte à ses lèvres un doigt de sa
main droite. Dans l'Inventaire
général du mobilier de la couronne de Louis XIV, publié par J. GUIFFREY, Paris, 1886, 2e partie (p. 5 et 6), on lit : « 86. —
Un portrait de Mademoiselle de La Vallière, habillée en Flore, hault de 7
pieds environ ; par Nocret. « 87.
— Un autre portrait de Mademoiselle de La Vallière, demye figure avec un
petit Amour, hault de 3 pieds 1/2 ; par le même. « 89. —
Un autre portrait de Mademoiselle de La Vallière sur un châssis octogone,
haut de 2 pieds 1/2 environ ; par le même. » Nocret
a donc été le peintre favori de la jeune favorite. Dans le
même recueil, on trouve encore : « 426
— Un tableau du portrait du roy habillé en masque, couvert d'une glace, dans
une bordure dorée ; le dit tableau haut, sans la bordure, de 13 pouces, large
de 9 pouces 1/2, par fessé. « 427.
— Un autre tableau représentant Made la duchesse de La Vallière habillée en masque,
aussy couvert d'une glace dans une bordure dorée de mesme haulteur et largeur
que le précédent » Mon
savant confrère J. Guiffrey pense que sous le nom de Jessé on a voulu
désigner « Henry de Gissey ». Ce que je tiens à constater, c'est que les deux
tableaux 426 et 427 doivent être de même main et que l'un a été le pendant de
l'autre. J'estime encore que, malgré le titre de duchesse donné à La
Vallière, ces portraits sont antérieurs à 1666 et doivent être attribués soit
à 1662, soit à 1663. Aucun d'eux n'est aujourd'hui connu. Espérons que la
publication faite par Guiffrey, et renouvelée dans ce livre, permettra à
quelque heureux chercheur de les découvrir — PORTRAIT ATTRIBUÉ À MIGNARD, PROPRIÉTÉ DE M. ED. LE BERQUIER. A l'Exposition universelle de 1878, parut un portrait de Mlle
de La Vallière, appartenant à M. Edmond Le Berquier, avocat à la Cour d'appel
de Paris ; le catalogue de l'Exposition, rédigé par M. Jouin[56], l'attribue à Mignard. Nous
avons précédemment formulé des réserves contre cette attribution, non
seulement en ce qui concerne le peintre, mais encore le modèle. Grâce à
la complaisance de M. E. Le Berquier, j'ai pu examiner plus attentivement ce
tableau qui était fort mal exposé en 1878 et dont la photographie, éditée
chez Braun, avait altéré l'expression. J'ai
acquis la conviction que c'est bien La Vallière que le peintre a représentée.
En effet, deux gravures, dont il sera parlé plus loin, œuvre de Bary, éditées
chez de Jonghe, procèdent directement de ce portrait, qui est donné comme
celui de la duchesse de La Vallière. La
gravure de Bary a été reproduite, au siècle dernier, chez Vignières. On
constate certainement quelques différences dans la pose des bras et, au
premier moment, cette gravure est si dure qu'on a peine à reconnaitre le
visage, peint avec tant de charme et de noblesse dans le tableau de M. Le
Berquier ; mais un examen attentif ne permet pas de s'arrêter à cette
impression. Peut-être le graveur a-t-il travaillé d'après un dessin
incorrect, peut-être n'a-t-il pas voulu reproduire exactement le tableau, de
peur d'être accusé de contrefaçon. D'où
vient ce portrait ? Une lithographie de Delpech, exécutée avec un très grand
soin, nous apprend que le tableau appartenait à M. de Villenave. Cette
personne ne peut être autre que l'homme de lettres rédacteur de la
Quotidienne, né en 1762, et mort en 1846. Tout ce qu'on sait ensuite, c'est
que M. Le Berquier l'a acheté d'un marchand qui l'a donné comme provenant
d'un château du Calvados, mais l'identité entre le tableau Le Berquier et le
tableau Villenave n'est pas plus contestable que la ressemblance de la
personne qu'il représente avec le portrait de La Vallière gravé par Bary.
C'est une œuvre capitale et dont les jeux ont peine à se détacher. La
photographie est impuissante à en reproduire l'expression. Maintenant,
ce portrait est-il de Mignard ? Si l'on ne regarde que les qualités, on peut
l'attribuer à cet artiste ; l'extrême simplicité des moyens, l'absence voulue
de tout détail, la concentration de l'intérêt sur le visage, font de ce
portrait une œuvre exceptionnelle digne du pinceau des plus grands maîtres. — PORTRAIT DE WINDSOR vers 1671. Ce
curieux portrait, dont une copie figure au Musée de Versailles, fait l'objet
d'une note et d'une description spéciales. — PORTRAIT PAR MIGNARD vers 1674. —La duchesse est
représentée avec ses enfants. Une copie existe au Musée de Versailles,
d'après l'original appartenant à Mme la marquise d'Oilliamson. L'auteur
de la Vie de Pierre Mignard parle du portrait de la duchesse de La
Vallière. « Elle est peinte au milieu de ses deux enfants, le comte de
Vermandois, jeune prince que le ciel n'a fait que montrer à la terre, et
Mademoiselle de Blois, depuis la princesse de Conty, que Mignard, bon connoisseur,
assuroit dès lors devoir être un jour la plus grande beauté de son siècle.
Madame de La Vallière est représentée tenant un chalumeau d'où pend une bulle
de savon, autour de laquelle est écrit : Sic transit gloria mundi[57]. » Dans le
tableau appartenant à Mme la marquise d'Oilliamson, la duchesse tient non pas
un chalumeau, mais une rose dont quelques pétales s'effeuillent. L'inscription
se retrouve dans le tableau de Versailles, mais gravée sur la base d'une
colonne. Nous pensons que l'auteur de la Vie de Mignard s'est trompé. Il aura
fait confusion avec un portrait du même maître représentant Marie-Anne,
légitimée de France, qui se voit aujourd'hui au Musée de Versailles.
Marie-Anne fait des bulles de savon, une reproduction à la sanguine en a été
donnée dans le journal l'Artiste. Nous ne
croyons pas non plus que ce tableau ait été gravé, quoi qu'en aient dit
certaines personnes. Dans
l'inventaire dressé après la mort de la princesse de Conti, il est fait
mention d'un tableau représentant la Duchesse de la Vallière avec ses
enfants. Le
Tableau de Mignard est conservé depuis la moitié du dix-huitième siècle dans
la famille de M. le marquis d'Oilliamson à qui il a été donné par le Régent
en 1720. Il se trouve depuis lors dans le château de Saint-Germain-l'Angot,
aux environs de Falaise. Il fut généreusement prêté pour figurer à une
exposition d'art rétrospectif organisée dans cette dernière ville. M. de
Chennevières l'y remarqua et le signala à M. E. Soulié, prédécesseur de M.
Clément de Ris, qui demanda et obtint la permission d'en faire une copie pour
son Musée de Versailles. Cette copie fut exécutée par M. Schmiz. Il nous a
été gracieusement accordé de faire photographier l'original, et M. Magron, un
maître dans cet art, nous a libéralement prêté son concours à cet effet.
Toute son habileté n'a pu cependant faire venir certaines parties du tableau,
surtout les fonds, la peinture ayant un peu noirci. Nous avons donc dû
demander à M. de Nolhac, l'éminent conservateur du Musée de Versailles, la
permission de faire photographier la copie de Schmiz. Toutefois, nous avons
fait notre reproduction d'après l'original, et l'on pourra ainsi se rendre
compte du mérite de l'œuvre de Mignard. On
remarquera une notable modification dans la coiffure de La Vallière si on la
compare à celle que l'on voit dans le portrait de M. Le Berquier. En effet,
un grand changement s'était produit dans la mode, changement dont Mme de
Sévigné nous a conservé l'histoire. Elle nous dit, parlant de la duchesse de
Nevers : « La Martin l'avait brétaudée par plaisir comme un patron de mode :
elle avoit donc tous les cheveux coupés sur la tête, et frisés naturellement
par cent papillottes qui lui font souffrir mort et passion toute la nuit. Cela
fait une petite tête de chou ronde, sans que rien accompagne les côtés. Ma
fille, c'étoit la plus ridicule chose que l'on pût imaginer[58]. » Le 4
avril, la marquise se déclare rendue et conseille à sa fille d'adopter cette
coiffure : « Vous serez comme un ange et cela est fait en un moment.
Imaginez-vous une tête partagée à la paysanne jusqu'à deux doigts du
bourrelet ; on coupe les cheveux de chaque côté, d'étage en étage, dont on
fait de grosses boucles rondes et négligées qui ne viennent pas plus bas
qu'un doigt au-dessous de l'oreille ; cela fait quelque chose de fort jeune
et de fort joli et comme deux gros bouquets de cheveux de chaque côté. Il ne
faut pas couper les cheveux trop courts ; car, comme il faut les friser
naturellement, les boucles qui en emportent beaucoup ont attrapé plusieurs
dames, dont l'exemple doit faire trembler les autres. On met les rubans comme
à l'ordinaire et une grosse boucle nouée entre le bourrelet et la coiffure ;
quelquefois on la laisse traîner jusque sur la gorge. Je ne sais si nous vous
avons bien représenté cette mode ; je ferai coiffer une poupée pour vous
l'envoyer[59]. » Nous
nous sommes arrêtés sur ce point, parce que cette date de mars-avril 1671,
peut être considérée comme le commencement d'une ère nouvelle dans la
coiffure. L'émail
de Petitot nous paraît représenter exactement la mode décrite par Mme de
Sévigné. Il porte, au dos, la date de 1673. Le catalogue dans sa sincérité
déclare qu'on n'ose pas affirmer que ce portrait soit celui de La Vallière,
surtout si on le compare aux portraits gravés. Nous avons partagé cette
hésitation ; mais elle a presque entièrement disparu depuis que nous avons
étudié plus à fond le tableau de Mignard. Assurément la coiffure y est déjà
modifiée. Ce n'est plus un simple amas de boucles comme dans la miniature du
Louvre. La duchesse, dans cette représentation en quelque sorte
testamentaire, n'a peut-être pas voulu se rajeunir. Peut-être aussi la mode
avait-elle déjà changé. Quoi qu'il en soit, l'émail et le tableau
d'Oilliamson sont très voisins l'un de l'autre. — A
l'Exposition universelle de 1878, on a produit plusieurs émaux attribués
naturellement à Petitot. Ils appartenaient, l'un au Musée de Châteauroux, les
autres à M. Bordier. En
résumé, de la première série de portraits peints, aucun ne nous est parvenu,
et cette époque n'est représentée que par la gravure de Larmessin indiquée
plus bas. La
seconde série, postérieure à 1666, est représentée par la gravure d'Edelinck,
La Vallière avec manteau de duchesse, et par le portrait Le Berquier et son
imitation par le graveur Bary. A la
troisième série appartiennent très authentiquement le tableau de Windsor, le
tableau de Mme la marquise d'Oilliamson (1674) et peut-être l'émail de Petitot. Avant
de passer à l'examen des portraits gravés, disons deux mots d'un médaillon
qu'il serait bien curieux de retrouver. Dans l'Inventaire des richesses d'art
de la France[60] se trouve un état des «
monuments existant au dépôt des Petits-Augustins, qui ne doivent être rendus
ni à Saint-Denis, ni aux églises, etc. » Sous le n° 261, on cite : «
Médaillon en marbre, représentant Madame de La Vallière, par Coisevox ; »
sous le n°262, trois médaillons en marbre blanc représentant Louis XIV,
Marie-Thérèse d'Autriche et Henry de Fourcy, prévôt des marchands, par
Coisevox. En marge, note de Lenoir. « N° 261, 262 et 263. Ces médaillons
en marbre ont été achetés par moi à M. Balleux, marbrier, rue d'Assas[61]. » Suivant une note de mars
1811[62], le n° 262 aurait été désigné
pour être envoyé à Saint-Denis pour obéir au décret du 24 février 1811.
Toutefois il ne reparaît pas dans l'état de 1816[63]. Le
médaillon de La Vallière figure au Musée impérial des monuments français[64]. On
croit que ce médaillon est entré au Louvre, mais on n'a aucune certitude à ce
sujet et il y est inconnu. Peut-être se trouve-t-il sans attribution.
Peut-être celle que lui a donnée Lenoir est-elle discutable Encore une
découverte à faire. Cette
nomenclature ne serait pas complète si nous ne citions divers tableaux que
nous nous étions réservés d'examiner en détail. 1° PORTRAIT DE BONNELLES, appartenant à M. le duc
d'Uzès. Le
tableau conservé au château de Bonnelles est signé Mignard. Il n'est jamais
sorti de la famille. Mlle de La Vallière y est représentée en Madeleine, le
coude appuyé sur une sorte de rocher, le pied droit nu, le buste voilé par
ses cheveux. Ce
tableau aurait été peint au moment où Louise se réfugia au couvent de
Chaillot. Elle en fit don à sa fille, la princesse de Conti. Celle-ci le
légua à son neveu, le duc de La Vallière, dont la fille unique, la duchesse
de Chatillon, eut pour héritière la duchesse d'Uzès morte en 1843. Ces
renseignements m'ont été communiqués avec la plus grande obligeance par Mme
la duchesse d'Uzès, à laquelle j'adresse ici l'expression de ma très vive
reconnaissance. 2° PORTRAIT DE VICENCE, dont je dois l'indication à mon savant ami M. Héron
de Villefosse. M. le
Conservateur du Musée de cette ville a bien voulu faire faire une
photographie de ce tableau. Le personnage qu'il représente ne répond à aucun
des types connus, le costume ne correspond pas à cette période du règne de
Louis XIV ; l'attitude même de la figure ne donne pas l'impression d'un
tableau du temps. 3° PORTRAITS APPARTENANT AU DUC DE PORTLAND. M. Richard W. Goulding,
bibliothécaire de Sa Grâce le duc de Portland, nous a communiqué des
photographies de portraits faisant partie de l'admirable collection conservée
à Welbeck Abbey, Worksop. La
plupart de ces peintures sont assurément des œuvres d'art de la plus grande
valeur. Il est à regretter que les attributions ne correspondent pas à leur
beauté et à leur noblesse. Le
catalogue comporte trois numéros pour La Vallière. N° 252
Madame de La Vallière, en réalité Marie-Adélaïde de Savoie, duchesse de
Bourgogne, d'après l'attribution donnée par M. R. W. Goulding. N° 508.
Portrait de La Vallière par G. Netscher. Cette toile
remarquable représente le portrait d'une grande dame, mais il ne peut être
celui de la duchesse de la Vallière. N° 806.
Madame de La Vallière, en Flore, miniature sur vélin, par Charles Lebrun ;
attribution non justifiée. N° 554.
Madame de La Vallière par Mignard. Œuvre d'art des plus remarquables, mais
attribution non justifiée. Nous
sommes infiniment reconnaissants à Sa Grâce Ip duc de Portland de la
bienveillance qu'il nous a témoignée par l'entremise de M. Richard W.
Goulding, nous lui demandons la permission de lui renouveler publiquement ici
l'expression de notre gratitude. Nous
citerons maintenant, pour mémoire, quelques portraits mentionnés aux
catalogues du Musée de Versailles et du Musée du Louvre : Portrait d'après un
original (?) faisant partie de la galerie du
Palais-Royal[65]. Il a été lithographié. Portrait
(?) de la duchesse de La Vallière,
assise, portant un voile noir et un manteau bleu[66]. Portrait
(?) de la duchesse de La Vallière,
armée d'un arc et d'un carquois, tenant un chien en laisse[67]. Il a été gravé Attribution non
justifiée. Portrait
(?) exécuté d'après un pastel
ancien[68]. Portrait
(?) de Louise de La Vallière, vêtue
d'une robe blanche, recouverte d'un manteau bleu, avec agrafe de diamants[69]. Portrait
(?) présumé de la duchesse de La
Vallière. Musée du Louvre[70]. Le catalogue est aussi peu
affirmatif que possible, et avec raison. Peinture
sur émail, représentant Mlle de La Vallière (?), d'après les portraits gravés
sur un type convenu. Travail moderne. Musée du Louvre[71]. Ce portrait est celui d'Anne
de Gonzague, d'après Mignard. On
donne généralement comme étant le portrait de Mme de La Vallière un grand
tableau de Le Brun représentant la Magdeleine qui se dépouille de ses
ornements. Ce tableau, aujourd'hui au Louvre, a appartenu aux Carmélites du
Grand Couvent, et, en l'y voyant, on a dû penser à la duchesse, qui, de
l'autre côté des grilles, s'imposait une si dure pénitence. Mais il ne faut
pas aller plus loin ni chercher de ressemblance entre les traits de la
favorite et ceux de la sainte. Il en
existe une excellente gravure par G. Edelinck. Les amateurs en distinguent
cinq états[72]. PORTRAITS GRAVÉS. — On n'en possède aucun qui
soit antérieur à 1666, puisque tous donnent à La Vallière son titre de
duchesse. Toutefois,
nous pensons que le portrait gravé par N. de Larmessin, cum privilegio
Regis, où Louise est représentée avec une coiffure en plumes et tenant
une pomme dans la main gauche, vient d'un original datant de 1661-1662. Cette
coiffure, alors à la mode, avait disparu en 1666 ; au moins n'en
trouvons-nous plus d'exemple. Il est aussi très peu admissible qu'en 1666
Louise eût consenti à se faire peindre avec la pomme, attribut de Vénus.
L'air de visage, il est vrai, n'est pas très jeune, mais cela tient à la
médiocrité de la gravure. C'est
sans doute en vue de corriger ce défaut que Larmessin grava un autre
portrait, édité chez Bertrand. Les plumes, la pomme ont disparu, mais sans
changement dans la coiffure. Point de manteau de duchesse, si ce n'est aux
armoiries. Il faut
attribuer à la même époque une gravure d'Edelinck où cette fois le manteau
est indiqué. C'est sans doute le premier portrait fait après 1666. Dans
une reproduction appartenant à la suite des portraits d'Odieuvre, celui qui
précède est ainsi indiqué : P. Mignard pinxit, Chaulet sculpsit. Si
cette indication est exacte, Edelinck aurait gravé d'après Mignard. En tous
cas, le tableau original est aujourd'hui inconnu. Il faut
reconnaître que ces trois gravures présentent un même type. Vient
ensuite le portrait gravé par J.-B. Bary et édité chez de Jonghe. Nous avons
dit plus haut que nous y voyons une reproduction du tableau appartenant à M.
Ed Le Berquier Il faut descendre jusqu'en 1834 pour trouver une lithographie
de Belliard qui a dû paraître dans l'Iconographie française publiée
par Mme Delpech. On indique comme original un tableau possédé par M. de
Villenave et qui est incontestablement celui qu'on voit aujourd'hui chez M.
Le Berquier. La
lithographie de Belliard a été reproduite nombre de fois. Je possède une
peinture sur émail évidemment faite d'après une de ces lithographies. Un peu
plus tard, l'éditeur Vignère a fait reproduire le portrait gravé par Bary. La
troisième classe des portraits gravés provient de l'émail de Petitot. Voici
maintenant la liste des portraits gravés : I.
Louise-Françoise de La Baume Le Blanc, duchesse de LaVallière, hauteur 218
mm., largeur 155 mm ; 1 cr état avant l'adresse de la veuve Moncornet, gravé
par G. Edelinck ; encadrement de feuilles de chêne ; au fond, un paysage. II. Le
même, réduit, Louise-Françoise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière,
morte à Paris le 6 juin 1710, âgée de 66 ans, moins 2 mois. P. Mignard pinx.,
Chaulet sculp., suite d'Odieuvre. Le tableau de Mignard nous est inconnu. III.
Louise-Françoise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière. N. de
Larmessin sculp., chez Bertrand. Ressemble au précédent. Tête à droite,
boucle de cheveux sur l'épaule droite. Bijou en filigrane, manches brodées.
Armes coupées : or et gueules. IV. Le
même, chez Larmessin : armes coupées or et azur. V.
Autre portrait, par Larmessin. Louise de La Vallière est représentée avec une
coiffure ornée de plumes. Voir ci-dessus. VI.
Louise de la Miséricorde, cy devant appelée Louise-Françoise de La Baume Le
Blanc, duchesse de La Vallière, maintenant religieuse de l'ordre des
Carmélites. De Plaetz pinxit ; J. Gole sculps. ; ex formis N. Visscher.
Parait fait d'imagination. VII. Le
même, en habit de religieuse, chez Visscher ; Plaatz pinx. ; Gole sculps. Il
semble qu'on n'a rien changé à la gravure du visage du portrait n° VI. VIII.
La duchesse de La Vallière ; J-B. (Bary) sculps. ; Clem. de Jonghe exc. ; hauteur 310 mm.,
largeur 298. Le
même, Clem. de Jonghe exc. J.-B. sculps. IX.
Madame de La Vallière. Devéria del., Sixdeniers sculps. Composé d'après les
portraits gravés par G. Edelink et par Larmessin. Sans valeur. X.
Madame de La Vallière, Mignard pinx., Alfred Johannot sculp. Gravure
fantaisiste faite pour quelque édition des œuvres de Bossuet, les Oraisons
funèbres probablement. Sans valeur. XI. Le
véritable portrait de sœur Louise de La Miséricorde, décédée le 6 juin 1710.
P. Serin del. A Paris, chez Langlois. « Elle s'animoit aux pratiques de la
piété et de la pénitence par l'exemple de l'Enfant prodigue, et, sur une
image qu'elle en avoit dans son bréviaire, elle a écrit : « L'eau de nos
larmes, Seigneur, éteint le feu de vostre colère, et, les âmes qui, après
avoir eu le malheur de vous perdre, reçoivent la grâce de retourner à vous,
au lieu d'y rencontrer la rigueur d'un juge sévère, y trouvent la tendresse
d'un père charitable. » Sœur Louise est debout, un crucifix à la main,
l'autre main posée sur un livre où est écrit : Vanitas vanitatum et omnia
vanitas. XII. «
Très-noble et très-pieuse sœur Louise de la Miséricorde, fille de Laurent de
La Baume Le Blanc, chevalier, seigneur de La Vallière, baron de Maisonfort,
capitaine-lieutenant mestre de camp de la cavalerie légère de France, et de
dame Françoise Le Prévost, à présent religieuse au couvent des Carmélites du
faubourg Saint-Jacques, pour y terminer par la grâce de Dieu heureusement ses
jours. » De Larmessin sculpebat. La figure a été copiée sur le portrait cité
plus haut et gravé par Larmessin. V. n° III. XIII.
Louise de La Vallière, en religieuse, chez Montcornet, sans nom de graveur,
mais évidemment copié sur le portrait gravé par G. Edelinck, n° I. Sœur
Louise est debout, tenant un crucifix. XIV.
Madame de La Vallière, religieuse carmélite, chez Bonnart. « Elle
donna son cœur autrefois à la terre, etc. » Figure debout, main droite
étendue, main gauche sur la poitrine. — Sans valeur. XV.
Sœur Louise est représentée morte, couchée sur un grabat, un crucifix dans
ses mains jointes. XVI. Le
même, chez Remy. XVII.
Autre chez Guérard : la pose est un peu différente. XVIII.
Autre, avec la mention du n° XI. Ce portrait nous a été communiqué par M. A.
Gazier, professeur adjoint à la Faculté des Lettres de Paris. En face de la
gravure insérée au t. III de l'Obituaire de Port-Royal des Champs, il a été
écrit la note suivante : Dans les dernières années de la vie de la sœur
Louise de la Miséricorde, ses supérieurs ecclésiastiques luy ont fait
souffrir des peines considérables en la privant des livres de piété où elle
trouvait ses consolations. » Cette
mention, dont on ignore l'origine, tendrait à établir que sœur Louise était
Janséniste. Nous l'avons reproduite à titre de curiosité, mais sous toutes
réserves. XIX.
Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière. Duflos sculpsit, chez
Savoye ; joint d'ordinaire à l'édition des Réflexions. Le succès fut si grand
qu'on a dû à plusieurs reprises remanier la planche. XX.
Sœur Louise de la Miséricorde. Sevin del. 1689. Élisabeth Bouchet Le Moine
fecit cum privilegio. — Sœur Louise est représentée debout, un livre à la
main. Sur le livre : Vanitas vanitatum et omnia vanitas. A droite, son
chiffre, des L enlacés ; à gauche, ses armes. M.
Clément a cité dans son article d'iconographie (t. II, p. 280) un portrait de Louise de La
Vallière (ætatis
suæ nono) avec
un bouquet de fleurs à la main. Cette gravure se trouvait bien dans la
collection de la Bibliothèque nationale ; mais elle ne reproduit qu'un
portrait d'une petite nièce de Louise de La Vallière. La
collection du cabinet des estampes contient un portrait des plus curieux que
nous devons citer ici : c'est celui de Marie de La Vallière, tante de Louise,
avec ces vers en légende : Le
ciel a pris plaisir de la rendre parfaite, Afin
qu'elle servît aux autres de leçon. On
n'en voit plus de la façon. La nature a rompu le moule qui l'a faite. P.
DE LASSERRE. Née le
25 mars 162, morte le 27 décembre 1712, veuve en deuxièmes noces d'Évrard du
Chastelet, Marie de La Vallière a donc survécu à sa nièce. Cette
gravure montre un visage charmant, une physionomie douce, fine, aimable.
C'est une La Vallière enfin. MADAME DE LA VALLIÈRE, après avoir pris le voile,
d'après Mignard, tirée du cabinet de M. Rhodes, dessinée par L. Lemasle,
élève de David ; gravé par le Page, à Paris, chez Basset, rue Saint-Jacques. Déposé
à la Bibliothèque impériale. Cette
lithographie ne saurait, en aucune façon, représenter Louise de La Vallière.
Le voile est celui des veuves. L'ensemble de la toilette montre un retour de
coquetterie. Je ne crois pourtant pas que ce portrait soit purement dû à
l'imagination des artistes. Peut-être est-ce celui de la belle-sœur de La
Vallière, ou d'une de ses deux tantes, qui toutes deux furent deux fois
veuves. En
résumé, à notre avis, les meilleurs portraits sont, comme portraits peints,
ceux qui appartiennent à Mme d'Oilliamson et à M. Ed. Le Berquier ; comme
portraits gravés, ceux qui sont cités sous les numéros I, II, III, IV, V. On a
récemment mis en vente en Angleterre — chez M. Newberry, auctioner,
Upper-Morwood, Sydenham, près Londres — un portrait qu'on croit être celui de
Louise de La Vallière. On a bien voulu me communiquer une photographie de ce
portrait, et, autant qu'on peut en juger par une photographie, je croirais
volontiers que cette peinture représente Mme de Montespan. ARMES DE LOUISE DE LA VALLIÈRE
L'Hermite[73] décrit ainsi les armes des La
Vallière : Écu coupé de gueules et d'or au lion léopardé coupé d'argent et de
sable, en support deux lévriers d'argent accolés de gueules et cloués d'or. Le P.
Anselme[74] varie quant à la disposition :
coupé d'or et de gueules au lion léopardé coupé d'argent et de sable. Il y a
là faute évidente Il faudrait au moins : coupé d'or et d'argent. L'État
de la France pour 1669 donne en description et en dessin un écu coupé d'or et
de gueules au lion coupé de sable et d'argent. Le
portrait édité par Bertrand, avant 1673, montre un écu coupé d'azur et d'or.
Le lion n'est pas assez bien gravé pour qu'on puisse reconnaître les marques
héraldiques. Évidemment
l'azur était une indication erronée. Larmessin, éditant ce même portrait un
peu plus tard, corrigea cette faute et substitua la couleur de gueules à
celle d'azur. Le lion est d'argent et de sable. Les
armes jointes au portrait gravé par G. Edelinck présentent la faute qu'on a
relevée plus haut : coupé d'azur et d'or. Même
erreur dans les armes des portraits en religieuse édités par la veuve
Montcornet et par Sevin, en 1683. Le
portrait gravé par Chaulet, d'après celui d'Edelinck, n'a pas reproduit la
faute commise par son modèle : l'écu est coupé de gueules et d'or au lion
léopardé d'argent et de sable. Telles
sont les véritables armes de L. de La Vallière. Il
n'était pas sans intérêt de montrer les erreurs commises à ce sujet, même du
vivant de la duchesse. NOTE SUR UN TABLEAU DU CHÂTEAU DE WINDSOR ET SUR UN
AUTRE TABLEAU DU MUSÉE DE VERSAILLES I
J'ai eu
trois fois l'occasion de visiter le château de Windsor, deux fois à titre
personnel, et tout dernièrement avec les membres de l'Institut de France,
délégués à Londres, à la réunion des académies. J'avais
déjà noté sur un des guides à l'usage des voyageurs, un tableau ainsi désigné
: «
Henriette, duchess of Orleans and her two daughters. » En
1904, grâce à l'hospitalité que Sa Majesté daignait nous accorder, il m'a été
possible de revoir ce tableau avec un peu plus de loisir, et je l'ai marqué
sur mon carnet d'un point d'interrogation. L'attribution me semblait
douteuse. Toutefois,
l'impossibilité où j'étais d'étudier les détails, la révérence du lieu, le
caractère de famille reconnu à ces portraits ne me permit pas de pousser ma
critique plus avant. Tout
dernièrement, un ami m'apporta une gravure de Bourne, artiste anglais du
dernier siècle. Voici les énonciations qui se trouvent au bas de la gravure :
« Henriette of Orléans, daughter of Charles I, from the picture. Royal
collection. London. James. » Il va
de soi que ces énonciations ne sauraient faire un titre au tableau, et
indiquent seulement ce que l'on croyait à l'époque où Bourne publiait sa
gravure. Mais ce qu'on ne peut contester, c'est que cette gravure reproduit
assez exactement le tableau dans ses grandes lignes. Bien
que j'accompagne ce travail de la photogravure du tableau de Windsor je vais
en donner une description sommaire[75] : Au
centre, la soi-disant Henriette d'Angleterre, assise dans un fauteuil ou sur
une chaise à dos, le dos terminé par une pomme sculptée de forme ovoïdale. A son
côté droit, un enfant s'appuyant sur ses genoux et tenant une rose. Derrière
l'enfant, une table couverte d'un tapis. Sur cette table, un vase à deux
anses en forme de dauphins ; le col orné d'un guillochage en creux ; dans ce
vase, des fleurs variées. A
gauche de la princesse un autre enfant debout, montrant, de la main droite,
un coussin sur lequel se trouvent une épée et un baudrier, un livre, un autre
livre à terre. La
coiffure de la princesse est bouffante et se termine sur le front par trois
ou quatre boucles de chaque côté, la dernière à la hauteur de l'oreille. La
robe est décolletée, bordée en haut d'un rang de perles séparées par une
broche d'où part un troisième rang de perles. La
manche est courte, serrée par un ruban orné, d'où sort une avant-manche en
dentelle. Par-dessus
la robe, un manteau de cour, tombant aux pieds, couvert de fleurs de lys sans
nombre. Une fleur de lys orne le bout du soulier. Les
enfants sont en robe et en bonnet. Un coup
d'œil et un instant de réflexion suffisent pour faire rejeter l'attribution
de ces trois portraits à Madame Henriette et à ses deux enfants. Ces
enfants ont été : 1° Philippe-Charles, duc de Valois, né le 16
juillet 1664, mort le 8 décembre 1666 ; 2° Marie-Louise, Mademoiselle d'Orléans, née le 27
mars 1662, mariée à Charles II, roi d'Espagne, le 31 août 1679, morte le 12
février 1689 ; 3° Une fille mort-née (1665). 4° Anne-Marie d'Orléans, demoiselle de Valois, née
le 27 août 1669, qui épousa le 10 août 1684 Victor-Amédée-François, duc de
Savoie. Or, les
deux enfants du tableau de Windsor ont visiblement, l'un huit ans, l'autre
six ans environ. Philippe,
l'aîné, est mort à deux ans. Marie-Louise
a eu six ans le 27 mars 1669. Anne-Marie
a eu six ans le 27 août 1675. Comme
Henriette est morte en 1670, on n'a jamais pu la peindre qu'avec sa fille
aînée, âgée de sept ans, et Anne-Marie, âgée à peine d'un an. La
présence de l'épée est inexplicable. Inutile d'insister. II
La
publication connue sous le nom de Galerie historique de Versailles[76], contient une gravure
d'Audibran, d'après un tableau de Murat qui est exactement semblable, trait
pour trait, à celui que je viens de décrire. Cependant,
le compas en main, on trouve certaines différences dans les plans. Voici
la légende du tableau : « Élisabeth-Charlotte de Bavière (Madame) duchesse d'Orléans † 1722, avec
ses deux enfants : Philippe d'Orléans, régent du royaume f 1723 ;
Élisabeth-Charlotte d'Orléans, duchesse de Versailles et de Bar (Mlle de
Chartres † 1744). » Le
catalogue du Musée[77] donne l'explication suivante : « 3564.
Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d'Orléans et ses enfants, par H.
Murât, H. 1m,99. L. 1m,46 ». « La
princesse, assise, porte un manteau fleurdelisé, cueille une fleur de
grenadier dans un vase posé sur une table, et tient de la main gauche Mlle de
Chartres (depuis
duchesse de Lorraine)
qui s'appuie sur elle. Son jeune fils, Philippe d'Orléans (depuis régent), est debout devant elle, en
bonnet et en robe ; à ses pieds une épée posée sur un coussin rouge. « La
peinture originale faisait partie de la collection du château d'Eu »[78]. Pour
éviter des longueurs inutiles, suivons cette indication du catalogue : « La
peinture originale faisait partie de la collection du château d'Eu. » Or,
dans l'Indicateur de la galerie des Portraits, tableaux et bustes qui
composent la collection du Roi au château d'Eu, Paris, 1836, on lit, p. 133 à
208 : « Elisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d'Orléans (Madame), fille de Charles-Louis, duc de
Bavière, électeur et comte Palatin du Rhin et de Charlotte de Hesse-Cassel,
née le 27 mars 162, mariée le 21 novembre 1671 à Philippe de France, duc
d'Orléans, morte à Saint-Cloud le 8 décembre 1722 ; « Et
ses deux fils : Alexandre d'Orléans, duc de Valois, né à Saint-Cloud le 2
juin 1673, mort au Palais-Royal le 15-16 mars 1676 ; « Et
Philippe d'Orléans, duc de Chartres, depuis duc d'Orléans et régent, né à
Saint-Cloud le 2 août 1674, mort à Versailles le 2 décembre 1723. En pied,
peint par Mignard. » L'Indicateur
reproduit ce qu'on lit textuellement dans un ouvrage en cinq volumes, le
château d'Eu (t. III, p. 249), et dans un autre livre : les Résidences royales, le château
d'Eu (p.
422, 441), par
Vatout, bibliothécaire du roi Louis-Philippe, membre de l'Académie française,
chansonnier de la ville d'Eu. La
collection comprenait, en 1836, deux portraits de la Palatine, l'un se
trouvait dans le cabinet du Roi, côté de la cour, l'autre dans la salle à
manger particulière, côté du parc. C'est
tout ce que j'ai pu apprendre de positif sur le tableau du château d Eu. Murat (Jean), auteur de la copie de
Versailles, était né à Felletin (Creuse) en août 1807, entré à l'École des
Beaux-Arts en 1828 ; après y avoir obtenu le grand prix en 1837, il fut
envoyé à Rome et en revint en 1842. C'est entre cette époque et l'année 1848
qu'il a pu travailler pour le Musée de Versailles. Venons
à l'attribution des portraits : Vatout y voit, — les a-t-il seulement
regardés ? — ceux de la Palatine et de ses deux garçons Alexandre et
Philippe. Or,
Alexandre, Vatout le dit lui-même, était mort à l'âge de deux ans. Cette
distraction n'a pas été commise par les auteurs du catalogue du Musée de
Versailles. Ils ont, au prince mort, substitué Mademoiselle de Chartres,
future duchesse de Lorraine. Alors,
tout peut s'expliquer. L'enfant de gauche devient le futur régent qui, pour
se distinguer de sa sœur, montre du doigt l'épée, insigne de son sexe. III
La
correction apportée par Eudore Soulié au dire de M. Vatout, quant aux deux
enfants, laisse subsister l'identification de la mère avec la princesse
Palatine. Nous la
croyons inadmissible. Pour la
présenter au public, il faut, nous le répétons, que le bibliothécaire du Roi
n'ait pas regardé son tableau. En effet, dans son grand ouvrage, il cite ce
passage des lettres de la seconde Madame : « Il
faut que je sois cruellement laide, écrit Madame. Je n'ai jamais eu aucun
trait passable. Mes yeux sont petits ; j'ai le nez court et gros, les lèvres
longues et plates. J'ai de grandes joues pendantes, une figure longue, et je
suis très petite de stature. Ma taille et mes jambes sont grosses ; somme
totale, je dois être une vilaine petite laideron[79]. » J'ai
sous les yeux le portrait de la Palatine conservé au Musée Condé et dû au
pinceau de Largillière. Malgré les efforts du peintre pour sauver l'ensemble
de son modèle, il reste conforme à la description que Madame a donnée de sa
personne. Impossible de la voir dans cette femme d'une trentaine d'années,
élégante, fine et de belle taille. Allons
plus loin. Pour
figurer dans ce tableau avec un enfant de huit ans, la Palatine, mariée en
1672, n'a pu se faire peindre qu'en 1681 environ. Or, la
coiffure de la dame, coiffure en large, avec trois ou quatre boucles de
chaque côté, était en vogue vers 1670, 1672 ; mais dix ans plus tard, elle
était grandement modifiée. La forme en largeur avait disparu : le nombre des
boucles sur le front avait presque doublé[80]. Même
observation quant à la toilette. En 1680, les manches à bouillons sont plus
longues. Le corset n'a pas conservé sa forme en pointe et s'est évasé par le
haut. Tous ces détails donnent l'idée que le tableau de Windsor a été peint
en 1670-1672 et non en 1680-1682. IV Jusqu'à
présent, cette étude a été purement négative. Peut-on aller plus loin et dire
qui ce tableau représente ? Peut-être. Mais il convient d'abord d'examiner
une dernière question. Le
tableau de Windsor et celui dont le Musée de Versailles possède une copie, ne
font-ils qu'un seul et même tableau ? Les
gravures de Bourne et de Audibran établissent l'affirmative. On ne saurait la
détruire qu'en prouvant l'existence simultanée de deux tableaux semblables à
Eu et à Windsor. Mais
cette démonstration ne saurait aller plus loin et laisserait toujours
subsister l'idée d'un type commun. La
galerie formée au dix-septième siècle par la Grande Mademoiselle ne parait
pas avoir contenu le portrait de la seconde Madame, duchesse d'Orléans.
L'œuvre qui nous occupe ne se trouve pas dans la liste laissée par elle dans
ses Mémoires. Elle n'est pas marquée des lettres C M, collection de
Mademoiselle. Cette collection ne fut guère augmentée par les propriétaires
successifs du château, qui n'y résidèrent pas, si l'on excepte le duc
de-Penthièvre (1775-1793). A la
Révolution, les objets d'art transportés à Dieppe ne furent renvoyés à Eu
qu'à l'époque où le château devint une sénatorerie — celle de Rouen,
titulaire comte Rampon. En
1821, le duc d'Orléans visita le château et fit tirer de la poussière des
greniers ce qui restait de l'antique collection de portraits. On fit refaire
ceux qui avaient disparu ou qui avaient été trop dégradés[81]. On en
ajouta un grand nombre, les uns copiés dans les musées royaux, les autres
dans la galerie Condé[82], plusieurs achetés dans les
ventes publiques, par exemple celui du duc d'Albe (n° 72), attribué par les vendeurs à
Van Dyck, par Vatout à Porbus. Le roi
Louis-Philippe et ses conseils avaient plus de zèle que de goût. En
1848, les biens de la famille d'Orléans furent frappés de séquestre, et en
1852, de confiscation. J'ai
fait demander aux représentants de Mgr le duc d'Orléans si le tableau n° 208
de l'ancienne collection s'y trouvait encore en 1871. Les termes dont se sert
le catalogue du Musée de Versailles, et qu'on a lus plus haut, autorisent à
croire qu'il avait disparu. D'après
les renseignements provenant de Windsor le tableau conservé dans la Queen's
presence room a été acquis en 1848. J'ai
publié la photographie d'un tableau de Mignard représentant Mme de La
Vallière et ses deux enfants. La mère est assise, étendant la main vers un
vase de fleurs diverses dont elle cueille deux ou trois. Dans
les deux tableaux la coiffure de la mère est identique, elle est, en terme de
métier, faite en largeur. Trois
ou quatre boucles de chaque côté retombent jusqu'à l'oreille, grande
innovation sur les longues boucles tombantes. Il n'en
reste qu'une s'étendant sur l'épaule droite. Je
crois même que le portrait d'Oilliamson est postérieur de deux ou trois ans à
celui de Windsor. Cette
mode n'a duré que cinq ou six ans, et elle a été, sinon remplacée, au moins
modifiée quant au nombre des boucles qui est toujours allé en augmentant[83]. Le
corsage de la robe est un peu différent dans les deux portraits, mais les
manches sont exactement les mêmes. Cependant, dans le tableau de Windsor, la
mère porte un manteau de velours bleu couvert de fleurs de lys sans nombre. Nous
reviendrons sur ce détail. Les
deux enfants de La Vallière ont grandi. Le jeune Vermandois, habillé en
garçon de son rang, et déjà amiral de France, étudie la géographie et la
cosmographie. Mademoiselle de Blois tient une rose. En admettant l'identité
des deux enfants, il s'ensuit, comme conséquence, que le second tableau a été
peint deux ans environ après le premier. Le
décor est agrandi et représente une salle avec colonnade et non plus un fond
de draperie ; mais il est impossible de ne pas reconnaître dans les deux
sujets un même fauteuil, ou chaise à dos avec une sorte de pomme ovoïdale, un
même vase de fleurs, un même coussin portant l'épée dans un cas et servant de
siège au comte de Vermandois dans l'autre. Cette
similitude qui n'étonnerait pas dans deux photographies de personnages
absolument différents, ne saurait s'expliquer au dix-septième siècle. Un
artiste n'aurait pas mis dix ans plus tard Madame, duchesse d'Orléans, dans
les meubles de La Vallière. Un
détail est encore à remarquer dans le tableau de Windsor ; celui qu'on
suppose être le futur régent désigne du doigt la petite épée à ses pieds sur
un coussin. A mon sens, c'est Mademoiselle de Blois qui montre l'épée de
l'amiral son frère. Dans le
tableau d'Oilliamson le coussin se retrouve et le jeune Vermandois est assis
dessus, aux pieds de sa mère. Mais sa sœur, au lieu d'attirer l'attention du
spectateur, désigne du doigt sa mère. Il
semble évident que le tableau de Windsor représente la duchesse de La
Vallière et ses deux enfants. Reste
une difficulté ; le manteau aux fleurs de lys sans nombre. On en voit un
pareil sur les épaules de la Palatine, dans le portrait peint par Rigaud,
vers 1690 au plus tôt ; mais, dans un autre du Musée Condé, peint par
Largillière, le manteau de cette princesse est purement et simplement en
velours bleu. Ces
mêmes fleurs de lys figurent dans certaines gravures sur le manteau
d'Henriette d'Angleterre ; mais on a vu que le portrait de Windsor ne peut
pas représenter Henriette. La
Vallière était duchesse et pair de France ; mais ni les ducs ni les pairs ne
pouvaient posséder plus de droits que les princes du sang. Or,
Louis XIV n'autorisait que deux rangs de fleurs de lys sur les manteaux de
ces derniers. Faut-il
voir là les conséquences d'un de ces mouvements d'orgueil, dont la modeste
favorite s'est accusée ? Une flatterie du peintre ? Je ne le crois pas. En
examinant attentivement les fleurs de lys du manteau de Windsor, on constate
une grande différence entre leur forme et celle des mêmes fleurs sur les
manteaux d'Anne d'Autriche, de Marie-Thérèse, de Louis XIV, de la Palatine
enfin. Ces dernières sont encore héraldiques et se rapprochent du type
archaïque. Au
contraire, à Windsor, les fleurs de lys paraissent contemporaines de Louis
XVIII. 10 octobre 1906. |
[1]
Bibliothèque nationale, département des manuscrits, dossiers bleus, 99.
[2]
Bibliothèque nationale, département des manuscrits, dossiers bleus, fol. 21.
[3]
Bibliothèque nationale, département des manuscrits, dossiers bleus, fol. 43.
[4]
Bibliothèque nationale, département des manuscrits, dossiers bleus, fol. 57.
[5]
DANGEAU, Journal,
année 1690, t. III, p. 165.
[6]
DANGEAU, Journal,
t. V, p. 162.
[7]
Mémoires, t. IV, p. 86.
[8]
Œuvres, t. II, p. 401.
[9]
Mémoires, t. IV, p. 357.
[10]
Muze historique, liv. II, lettre XXXVI, v. 108, t. III, p. 401.
[11]
Le P. ANSELME, Histoire
généalogique, t. V, p. 494.
[12]
V. Evesché de Saint-Malo, Anciennes Reformations, publiées par H. DESSABELLES, Paris,
1864, p. 183, 184.
[13]
Histoire amoureuse des Gaules, t. II, p. 41.
[14]
Muze historique, t. IV, p. 64.
[15]
De La Vallière à Montespan. p. 36.
[16]
La copie de ce contrat de mariage est résumée à la Bibliothèque nationale,
département des manuscrits, carrés de d'Hozier, vol. 97, fol. 302. La minute en
est conservée en l'étude de Mc Pierre Delapalme, notaire à Paris, qui a bien
voulu nous permettre d'en reproduire les derniers feuillets portant les
signatures de la famille et de la Cour. Nous lui renouvelons ici l'expression
de notre reconnaissance.
[17]
Relation, p. 9 à 11.
[18]
Relation, p. 27.
[19]
MATTER, Lettres
et pièces rares inédites, p. 320 et suivantes.
[20]
COLBERT, Lettres,
Instructions, t. VI, p. 401.
[21]
Cod. Gall, n° 307, f° 64.
[22]
Manuscrit de la bibliothèque de Falaise, t. II, p. 209.
[23]
Bibliothèque nationale, Correspondance de Colbert, vol. 127 bis, fol.
995.
[24]
24 février 1665. Bibliothèque nationale, Correspondance de Colbert, vol.
127 bis, fol. 1015.
[25]
PELLISSON, Histoire
de Louis XIV, t. II, p. 149.
[26]
Série G, chap. Saint-Maurice d'Angers, G. 350.
[27]
Il faut lire : on.
[28]
En marge : [Mlle de La Vallière.] Les continuateurs de Loret, t. III, p. 971.
[29]
Archives nationales, Registres du Parlement, XI A 8867, fol. 62. V. SAINT-SIMON, éd. Boislisle, t. XIX, p. 387, note 5.
[30]
MADEMOISELLE, Mémoires,
t. IV, p. 144.
[31]
« Ils ont fait croire à Monsieur que les Hollandais avoient donné à Madame du
poison lent dans du chocolat. » Correspondance de madame la duchesse
d'Orléans, t. I, p. 252. « On dit aussi qu'elle prit, du chocolat en
passant la mer, dont elle se sentit fort échauffée. » Relation, par BOURDELOT., l. c.,
p. 417.
[32]
GUY-PATIN, Lettres,
t. III, p. 392.
[33]
GUY-PATIN, Lettres,
t. III, p. 384. Renaudot, Esprit, Brayer sont accusés de la mort de M d'Aubray.
« Il est mort accablé de charlatans. Il esl tombé dans la fosse qu'il avoit
creusée. C'étoit de sa i harge de chasser les charlatans de la ville. »
[34]
ORMFSSON, Journal,
t. II, p. 592, 595.
[35]
Suivant Bourdelot, c'est dans la tasse même que l'on aurait bu. Son dire est
contraire à celui de la princesse Palatine ; en tous cas, on ne but dans la
tasse qu'une demi-heure après que Madame avait été empoisonnée. La tasse avait
pu être passée au feu.
[36]
Correspondance générale, t. II, p. 207.
[37]
Depuis la rédaction de celle note, M. de Boislisle a démontré l'erreur de nom
commise par Saint-Simon, qui a écrit Purnon au lieu de Morel (Œuvres,
VIII, 637.) Nous ne pouvons faire mieux que de renvoyer le lecteur au travail
du savant et consciencieux éditeur. Toutefois, cette preuve d'impartialité
donnée, je maintiens mon appréciation.
[38]
Les Loisirs d'un ministre, t. II, p. 93.
[39]
Recueil de Gaignières, Bibliothèque nationale, manuscrits français, 12618, p.
369.
[40]
Saint-Simon, t. XII, p. 658.
[41]
Archives de la Bastille, t. V, p. 240, 246.
[42]
« Madame mourut d'une manière si subite, qu'on ne la voulut pas croire
naturelle. » CHOISY,
Mémoires, t. III, p. 154. édition de 1727.
[43]
« Il ne se pouvoit guère qu'on ne soupçonnât une telle mort de poison. » Mémoire
et Réflexions, par M. DE
LA FARE,
p. 102.
[44]
Je possède ce ms. Hénault n'a pas dévoilé sa pensée dans le texte imprimé ; on
faisait toujours le silence sur l'événement. Voici le texte du ms. : « De qui
le roy se servit-il pour déterminer Charles second, roi d'Angleterre, à se lier
avec luy contre la Hollande ? — De la duchesse d'Orléans, sœur du roi
d'Angleterre. Il lui confia son projet et elle se chargea de l'exécution. Elle
partit dans le mois de may. Elle se rembarqua le 12 de juin et mourut
empoisonnée à Saint-Cloud, le 20 du mesme mois. » Ms., t. V, p. 64. 65.
[45]
Archives de la Bastille, t. V, p. 246.
[46]
Archives de la Bastille, t. V, p. 227.
[47]
Archives de la Bastille, t. V, p. 344.
[48]
État de la France, édition 1669, p. 402.
[49]
Archives de la Bastille, t. VI, p. 450.
[50]
Archives de la Bastille, t. VI, p. 450.
[51]
Note de M. de La Reynie, Archives de la Bastille, t. VI, p. 379.
[52]
Histoire de la guerre de Hollande, t. I, p. 8.
[53]
Archives de la Bastille, t. XII, p. 182.
[54]
Cf. Catalogue de la Bibliothèque de l'Arsenal, t. IX, p. 64, Archives de la
Bastille, 10359. Notes de Duval prises sur les dossiers de l'affaire des
poisons.
[55]
Archives de la Bastille, t. VI. p. 337, 417.
[56]
Notice des peintures et portraits exposés dans les galeries des portraits
nationaux, p. 33, Paris, 1879.
[57]
Vie de Pierre Mignard, p. 99.
[58]
Lettre du mercredi 18 mars 1671.
[59]
Lettre du 4 avril 1671.
[60]
Archives des monuments français, t. III, p. 164.
[61]
Archives des monuments français, p. 189.
[62]
Archives des monuments français, p. 136.
[63]
Archives des monuments français, p. 164.
[64]
Paris, 1810, p. XXXVI.
[65]
Musée de Versailles, n° 2111. Catalogue, t. II, p. 187.
[66]
Musée de Versailles, n° 3539. Catalogue, t. III, p. 167.
[67]
Musée de Versailles, n° 3540. Catalogue, t. III, p. 167.
[68]
Musée de Versailles, n° 3541. Catalogue, t. III, p. 167.
[69]
Musée de Versailles, n° 4265. Catalogue, t. III, p. 330.
[70]
Emaux, n° 1475. Catalogue, p. 248.
[71]
Collection Lenoir, n° 157. Catalogue, p. 63.
[72]
V. LE BLANC, Manul de
l'amateur d'estampes.
[73]
Inventaire généalogique-de la province de Touraine, p. 335.
[74]
Histoire généalogique, t. V, p. 474.
[75]
Cette gravure m'a été communiquée avec la plus grande obligeance par MM. Goupil
et Cie, qui en ont donné une héliogravure dans la belle monographie de Charles
Il par Osmund Airy.
[76]
Série X, section V.
[77]
Musée de Versailles, salle n, 158, notice 3e partie. Deuxième étage. Page 172.
[78]
Deuxième partie, 1er étage, p. 190, 2e édition.
[79]
VATOUT, t. III,
p. 253.
[80]
V. les portraits de Mlle de Fontanges et de la dauphine de Bavière.
[81]
VATOUT, t. I, p.
10.
[82]
Henri de Bourbon, n° 129.
[83]
Voir notamment les portraits de Mlle de Fontanges. 1680.