Pendant
que La Vallière découragée reprenait tristement le chemin de Paris, Mme de
Montespan restait à Compiègne, avec la cour, jusqu'à la fin de juillet,
attendant les événements. En moins d'un mois, le roi s'était rendu maître de
Tournai et de Douai. Mais, au cours de ces opérations, il avait de nouveau
épuisé la force de ses troupes encore jeunes. « Afin d'éviter l'oisiveté[1] », il vint faire un tour à
Compiègne, et même il poussa, paraît-il, jusqu'à Saint-Cloud[2], pour voir Madame, qui avait
failli mourir des suites d'une fausse couche. La Vallière saisit-elle cette
occasion de se représenter à ses yeux ? A quoi boucles yeux de Louis étaient
pleins d'une autre image. Il regagna la cour en toute hâte. Laissant à Mademoiselle
de Montpensier son appartement, il se contenta de l'antichambre, d'où l'on
accédait chez la marquise de Montespan. Il la voyait chez elle tous les jours
et aussi tous les soirs, et les soirées duraient jusqu'au matin. Pendant un
dîner, la reine se plaignit de ce qu'on veillait trop tard, et s'adressant à
Mademoiselle : « Le roi ne s'est couché qu'à quatre heures. Il étoit grand
jour. Je ne sais pas à quoi il peut s'amuser. » — « Je lisois des dépêches,
répondit le roi, et j'y faisois réponse. » — « Mais vous pourriez prendre une
autre heure. » Louis détourna la tête pour cacher un sourire. Les assistants
regardaient leurs assiettes. Après dîner, suivant l'habitude, on s'en fut à
la promenade. « Mme de Montespan y venoit. Le roi étoit d'une gaieté admirable[3]. » D'ailleurs,
si Louis manquait à quelques-uns de ses devoirs envers sa femme, il ne
laissait rien perdre de ses biens dotaux. Il faisait même la guerre pour
mettre Marie-Thérèse en possession de son héritage. Aussi l'emmena-t-il à
Douai et à Tournai, pour la montrer aux populations conquises en son nom.
Chemin faisant, il achevait une autre conquête, celle de la dame d'honneur.
L'aveuglement de la reine persistait. Elle allait à toutes les églises,
visitait tous les couvents. La dame ne la suivait qu'à la messe, et quand on
l'interrogeait le soir, l'hypocrite « disoit qu'elle avoit dormi tout le jour[4] ». Enfin le roi, se préparant
au siège de Lille, renvoya la cour à Arras. La reine continua de témoigner
beaucoup d'amitié à la Montespan qui possédait, à vrai dire, un esprit plein
de ressources, habile à tourner tout en plaisanteries. Les histoires galantes
n'étaient pas de mode ; mais, pour alimenter sa verve, il suffisait d'une
visite à quelque hospice où l'on élevait des petites filles et où on leur
apprenait à travailler. Le soir, chez la reine, elle contrefaisait ces jeunes
artésiennes « le plus plaisamment du monde[5] ». Le moyen de se méfier de
cette gaieté innocente ! Vers ce
temps-là, toutefois, le service de la poste remit une lettre à la reine, qui
le lendemain en révéla tout naïvement le contenu à Mme de Montausier, à
Mademoiselle et à Mme de Montespan elle-même. « J'ai reçu, dit-elle, une
lettre qui m'apprend bien des choses, mais que je ne crois pas. On me donne
avis que le roi est amoureux de Mme de Montespan, et qu'il n'aime plus La
Vallière, et que c'est Mme de Montausier qui mène cette affaire ; qu'elle me
trompe ; que le roi ne bougeoit de chez elle à Compiègne ; enfin tout ce que
l'on peut dire pour me le persuader et pour me la faire haïr. Je ne crois
point cela, et j'ai envoyé la lettre au roi (1). » A cette confidence
inattendue, chacune de ces dames répondit suivant sa conscience. Mademoiselle
de Montpensier, sûre d'elle-même, se contenta de dire : « Votre Majesté a
fort bien fait. » Mme de Montespan parla fort de ses obligations envers la
reine, des bontés qu'elle en avait reçues, et, suivant l'éternelle tactique,
elle ajouta qu'elle se doutait bien d'où cela venait. Quant à la duchesse de
Montausier, cette austère personne répéta ce qu'elle disait peu de jours
avant : « Puisque l'on m'accuse de donner des maîtresses au roi, à qui ne
peut-on rendre de mauvais offices (2) ? » Et la reine de répondre : « Je vois
bien les choses, je ne. suis pas si dupe que l'on se l'imagine, mais j'ai de
la prudence. » Prétention ne fut jamais moins justifiée. « La reine traita
encore mieux Mme de Montespan (3). » Quant au roi, qui ne tolérait pas
d'immixtion dans ses affaires intimes, il fit, un peu plus tard, chasser de
la cour Mme d'Armagnac, auteur présumé de la lettre anonyme. Le 10
septembre 1667, Louis, après de faciles succès, rentrait à Saint-Germain. On
ne pouvait toutefois lui reprocher de prendre des airs de triomphateur. « Il
est le plus modeste du monde. Le personnage de conquérant, qu'il pourroit
faire, l'adoucit plus tost qu'il ne lui donne de la fierté. » C'est un bon
juge et non prévenu, c'est Mme de (1)
Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 58. (2)
Dans une chanson du temps, sur l'air l'on relon ton, Mme de Montausier est
cruellement traitée. « La
Montausier passe pour m. » Mss. du temps, p. 315 : penès nos. (3)
Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 58. Longueville
qui rendit au roi ce témoignage. Ces yeux féminins remarquèrent un autre
détail, qui eût peut-être échappé à de plus fins politiques. Jusqu'alors.
Louis conversait peu avec les dames. Sa civilité manquait d'ouverture et
d'entretien. Quelques révérences, une réponse honnête quand on lui parlait,
rien de plus. Jamais il n'adressait le premier mot. « Mais à cette heure, ce
n'est plus ainsi ; il commence, il soutient la conversation, comme un autre
homme[6]. » On peut
écrire ici : « Fin de la jeunesse de Louis XIV. » C'est
auprès de Mme de Montespan que Louis avait pris cette assurance ; c'est elle
qui l'avait habitué à suivre, à provoquer un entretien ; elle enfin qui avait
transformé en vainqueur sûr de lui, maître des femmes comme des hommes,
l'amant naguère timide de la timide La Vallière. Louise
se trouvait alors à Saint-Germain. L'instinct maternel la rappelait auprès du
père de sa fille Marie-Anne et de cet autre enfant qu'elle portait encore.
Quel sort serait fait à ce posthume de l'amour ? La mère avouée d'une fille
du roi, légalement reconnue et titrée, ne mettrait-elle au monde qu'un bâtard
? Cette incertitude cruelle ne fut pas épargnée à la pauvre femme, plus
misérable avec son titre et sa fortune, qu'au temps où on l'appelait tout
simplement La Vallière. Elle fut prise à Saint-Germain des douleurs de
l'enfantement et, comme autrefois à Vincennes, obligée d'étouffer ses cris.
Elle accoucha « en cachette a, le samedi 3 octobre, d'un fils qu'on emporta
aussitôt, et dont l'existence resta secrète fort longtemps[7]. Comme à Vincennes encore, elle
fut obligée d'affecter de vivre de sa vie ordinaire. Le soir de ce même
samedi, on fit médianoche dans sa chambre. C'est bien pour elle qu'il avait
été dit : « Tu enfanteras dans la douleur ! » Les
douleurs physiques toutefois ne durent qu'un jour, et une mère les oublie
vite en regardant son enfant. Cette vue consolante, Mme de La Vallière en
était privée. Au contraire, après comme avant la naissance de ce fils,
l'inquiétude la dévorait. Louis, pendant plus d'une année, ne fit rien pour
rendre quelque sécurité à cette mère désolée. La politique remplaçait la
tendresse. Rappelons-nous le mot de Mademoiselle après l'élévation de La
Vallière au rang de duchesse : « On disoit qu'on ne verroit plus d'enfants. »
La princesse Palatine a laissé de cette conduite une explication trop
vraisemblable. « On avait fait croire au roi que l'enfant n'était pas de lui[8]. » Qu'on ait tenu le propos,
cela se peut, mais non que Louis y ait ajouté foi. Ce fut tout au plus le
prétexte sous lequel il dissimula ses véritables desseins, dont son ancienne
maîtresse subit le développement implacable. De la
fin de 1667 au commencement de 1674, pendant sept années, la vie de Louise de
La Vallière va se confondre avec celle de Mme de Montespan. Athénaïs,
toutefois, prend la première place et l'occupe superbement. A quelle date
commence ce nouveau règne ? On l'ignore. Qui a jamais su le jour précis où
cède une coquette ? Les yeux, les paroles, et, à défaut du cœur absent,
l'esprit, ont déjà maintes fois commis l'adultère, et la femme peut affirmer
encore qu'elle n'a pas manqué à ses devoirs. Voici une version jusqu'à
présent inédite, et d'ailleurs très acceptable. « La première fois que le roy
la vit en particulier, ce fut par une surprise à laquelle elle ne s'attendoit
pas elle-mesme. Mme d'Hûdicourt couchoit toujours avec elle, et un soir que Mme
de Montespan estoit couchée la première. Mme d'Hûdicourt, qui estoit dans la
confidence du roy, sortit de la chambre, où le roy entra déguisé en suisse de
M. de Montausier[9]. » L'amour, ce jour-là, revêtit
une vilaine casaque. Quoi
qu'il en soit, la fille des Mortemart, bien qu'elle eût depuis longtemps
détrôné sa rivale, la redoutait encore. N'ayant jamais aimé, jamais elle ne
fut sûre d'être aimée. En vain célébrait-on sa beauté triomphante, les
charmes de son esprit et sa verve intarissable, intérieurement elle se
sentait inquiète devant la beauté amaigrie de Louise, et surtout devant la
sincérité de son cœur. Jamais l'amour hypocrite n'a plus complètement avoué
son infériorité. Cette belle et spirituelle jeune femme ne reprenait quelque
assurance qu'auprès de la chiromancienne et de ses acolytes les magiciens[10]. Vers la
fin de 1667, les visites au hideux cabinet de la rue Beauregard
recommencèrent. La Voisin vendait des poudres pour l'amour. Ossements
calcinés de crapaud, dents calcinées de taupe[11], poussière humaine : il entrait
de tout dans ces mélanges fantastiques. La sorcière effrontée y ajoutait des
drogues d'un effet plus certain. Un des fournisseurs de la Voisin possédait
une recette où la cantharide s'alliait aux prunes sèches et à la limaille de fer[12]. Peut-on après cela s'étonner
des vapeurs dont se plaignait le roi et auxquelles ses médecins ne
comprenaient rien ? Et cependant tous ces philtres ne suffisaient plus à Mme
de Montespan. Lesage, le savant ami de la Voisin, établissait une grande
différence entre les sortilèges et la magie. A l'emploi des poudres, il
opposait les charmes et les incantations. C'étaient là ses talents et ses
profits particuliers[13]. Dans plus d'un cas, Lesage
semble avoir agi peu délicatement envers son associée, dont il détournait la
clientèle. En ce qui regarde la marquise, cela ne parut pas. Elle ne trouvait
jamais trop de chiromanciens et de magiciens. Ce rusé coquin l'emmena chez
lui, où le prêtre Mariette, moins hideux que Guibourg, célébrait des messes
moins sanglantes que celles du château de Villebousin, mais tout aussi
impies. C'est rue de la Tannerie[14], à deux pas de la place de
Grève et en vue du pilori, que se trouvait l'antre de ces damnés. Dans une
petite chambre, ils dressaient un autel, et Mariette, revêtu de ses
ornements, procédait aux incantations. Lesage chantait le Veni Creator
; Mariette lisait un évangile sur la tête de la marquise, qui, agenouillée
sous l'étole, récitait une conjuration contre La Vallière[15]. Ces cérémonies prenaient
beaucoup de temps, et la dame d'honneur n'était pas toujours libre d'opérer
avec ses magiciens. Ils trouvèrent une combinaison qui lui permît d'agir
seule. On lui demanda, elle apporta deux cœurs de pigeon. Sur ces cœurs,
Mariette dit la messe, une vraie messe cette fois, dans l'église même de
Saint-Séverin. Il les fit passer sous le calice. Ensuite la marquise suivit
Mariette et Lesage dans leur chambre, où l'on conjura de nouveau contre La
Vallière. Les deux cœurs furent enfermés dans une boîte de vermeil, avec une
formule qui comprenait l'évangile des rois, quelques paroles d'une hymne, Ortus
refulget Lucifer, une étoile, une petite hostie consacrée. Athénaïs,
désormais, pouvait « faire la conjuration en son particulier ». Ce
n'est pas tout. Au commencement de 1668, Lesage et Mariette eurent l'audace
de se rendre à Saint-Germain, au château, au logement même qu'occupait Mme de
Thianges, sœur de leur cliente. Le prêtre en surplis, avec étole, commença
par quelques aspersions d'eau bénite, puis récita l'évangile sur la tête de
la marquise, pendant que Lesage faisait des fumigations et brûlait de
l'encens. La cérémonie se termina, comme toujours, par la formule contre La
Vallière. Ces cyniques coquins l'avouèrent plus tard. « Le nom du roi était
dans cette conjuration ainsi que celui de Mme de La Vallière. On conjurait
pour obtenir les bonnes grâces du roi et pour faire mourir Mme de La Vallière[16]. » Tout
semblait réussir au gré de Mme de Montespan. C'était à faire croire à la
magie les magiciens eux-mêmes. De plus, en janvier, un renfort inattendu leur
vint. On joua « la belle comédie d'Amphitryon[17] » due à la libre inspiration du
poète[18], d'autant meilleure. On a pu
croire depuis que cette œuvre avait été composée sur commande. Mais le roi,
encore réservé, eût interdit de telles allusions, et Molière, toujours
prudent, n'eût pas osé se les permettre. Pour être fortuite, la rencontre
n'en était pas moins piquante. En un point surtout, Louis ressemblait au
maître des dieux. Comme Jupiter, il savait entretenir une longue nuit autour
d'un amour adultère, avec l'aide d'un Saint-Aignan, « duc de Mercure, d'un
duc et d'une duchesse de Montausier » et de plusieurs autres. Au même moment,
d'ailleurs (novembre 1667-janvier 1668), ce prince mystérieux et rusé déployait une
habileté politique incomparable. Il laissait divulguer, en plein ballet, une
partie de ses desseins belliqueux, dissimulant d'autant mieux leur prochaine
et foudroyante réalisation. On
dansait alors à Paris la Mascarade royale (18 janvier 1668). Le roi y représenta le
Plaisir, puis un masque sérieux. Voyez
de quelle grâce en cadence il se meut. Il
n'est pas de cœur qu'il n'entraîne. Enfin,
c'est un plaisir de reine, Et
n'en goûte pas qui veut. Et,
pendant que le roi dansait, le poète parlait de l'Espagne : Elle
doit cet hyver détourner ses malheurs ; Sinon,
au retour du Zéphire, Je
crains qu'elle n'ait lieu de dire : Pour
un plaisir mille douleurs[19]. En
effet, sous ce masque de fête, un prince sérieux, appliqué, infatigable au
travail, cachait le dessein d'une prochaine campagne. Quinze jours après,
sans même attendre le zéphyr, dès que Condé fut prêt, il partit (2 février
1668) seul cette
fois, et non plus en carrosse[20], mais à cheval, en soldat. La
reine était revenue à Saint-Germain. Mme de Montespan s'y trouvait en vertu
de sa charge. La Vallière l'avait suivie et commençait son purgatoire sur la
terre. Parfois les deux dames allaient se promener à pied dans le parc avec
Mademoiselle. Nulle apparence de discorde, pas même de défiance. Le roi,
d'ailleurs, ne laissa pas aux complications intestines le loisir de se
former. A peine apprenait-on son arrivée sur le théâtre de la guerre, qu'il
annonçait son retour. En vingt-deux jours, il avait pris la Franche-Comté,
donnant l'exemple du courage et de l'ardeur. Une
conseillère pire que la Voisin, la gène, saisissait alors la fière Athénaïs. Le 1er
mars 1668, maîtres Crespin et Carré, maîtres Letemplier et Séjournant,
notaires, reçurent la visite de la noble dame, accompagnée de son mari, qui
empruntait quatorze mille livres[21]. De cet argent, on peut le
croire, une certaine partie servit à acheter des poudres et des cœurs de
pigeon, qui d'ailleurs réussissaient à merveille. La cliente des sorciers
jouissait à la fois de la faveur du roi et de celle de la reine ! Il
semblait, à cette heure où l'on ne cachait presque plus rien, que
Marie-Thérèse ne voulût rien voir et fermât l'oreille aux insinuations de la
cour. Cependant, aux portes mêmes du palais on n'insinuait pas ; on criait
des insultes. Un jour, une femme qui avait perdu son fils, mort d'accident
aux travaux de Versailles, se vit encore durement taxée par une chambre de
justice. Elle attendit Louis au passage, et l'accabla d'injures, le traitant
de roi « p......, de roy machiniste, de tyran ». — « Le Roy n'en croyoit pas
ses oreilles ; il demanda si elle parloit à luy, à quoy elle répliqua que ouy
et continua. » On saisit la malheureuse, on la jeta aux Petites-Maisons,
après l'avoir fouettée publiquement, « avec une rigueur extrême, sans qu'elle
laissât échapper une plainte, souffrant ce mal comme un martyre et pour
l'amour de Dieu ». Peu après, malgré l'exemple, un homme se répandit en
semblables propos. Il fut condamné aux galères et à avoir la langue coupée.
L'opinion, dont on ne coupe pas la langue, s'émut de ces rigueurs et protesta
contre ces supplices arbitraires[22]. Ainsi
commença la seconde phase des amours de Louis XIV. Dans le public, on avait
toléré la passion d'un prince jeune pour une jeune fille sans ambition et
dont la faute disparaissait presque sous le voile atténuant de la grâce et du
désintéressement. On se montra plus dur pour cet amour adultère et pour un
roi de trente ans, subjugué par l’altière Montespan. A la
cour, bien entendu, on ne prenait pas les choses au tragique. On chantonnait
: On
dit que La Vallière S'en
va sur son déclin ; Ce
n'est que par manière Que
le roi suit son train ; Montespan
prend sa place. Il
faut que tout y passe Ainsi
de main en main. Chansons,
d'ailleurs, seulement murmurées. Car autant on avait noué d'intrigues contre
La Vallière, autant déployait-on de complaisance envers la marquise. Mme de
Montausier s'abaissait au rang d'entremetteuse. On ne peut même innocenter
son mari, homme brave, homme de principes, mais qui tenait pour maxime que le
roi était au-dessus des principes et des lois. Déplorable faiblesse et
d'autant moins pardonnable qu'elle apportait plus de faveurs. A ce moment,
l'objet de l'ambition des plus grands seigneurs, était le poste de gouverneur
du Dauphin. L'opinion désignait le maréchal de Bellefonds, ou le duc de
Navailles[23], dont nous avons vu la noble
conduite quand sa femme fit son devoir, même contre le roi. Les habiles
pariaient pour le mari de Mme de Montausier, favorite des favorites. Nous sommes en février 1668, temps où Lesage et Mariette opèrent au château de Saint-Germain. C'est alors qu'un grave incident se produisit et, pendant plusieurs mois, rendit fort incertaine l'issue de ces machinations. On achevait cependant de payer le domaine que Louise n'avait pas demandé. Un arrêt du Parlement (22 février 1668) autorisa dame Louise-Françoise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière, à déposer entre les mains de Robert, commis principal au greffe, la somme de 248.000 livres, pour solde de son acquisition des terres de Vaujours et de Saint-Christophe[24]. Il ne faudrait pas croire pourtant que la duchesse fût alors très à son aise. Elle était au contraire si gênée que le 1er janvier 1668, jour des étrennes (la date est à noter), elle dut emprunter 20.000 livres à un frère Jean Pottier, qui ne stipula point d'intérêts. Louise lui promit de rembourser la somme quand il la demanderait, mais comme elle était encore mineure elle s'engagea à ratifier son engagement dès qu'elle aurait atteint ses vingt-cinq ans, ce qu'elle fit le 8 août 1669 ; mais le prêteur ne fut remboursé que le 28 janvier 1673, par un transport dont la nature n'est pas indiquée et dont Jean Pottier se contenta[25]. |
[1]
Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 306.
[2]
6 juillet, Monsieur va voir Madame à Saint-Cloud ; 10 juillet, le roi à
Compiègne ; 16 juillet, le roi va voir Madame à Saint-Cloud. (Gazette,
1667, p. 690, 737.) Madame, alors souffrante, ne se rétablit que vers le 5
août. D'Ormesson, Journal, t. II, p. 511.
[3]
Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires,
t. IV, p. 52.
[4]
Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires,
t. IV, p. 55.
[5]
Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires,
t. IV, p. 57.
[6]
Lettre de Mme de Longueville à Mme de Sablé, du 15 septembre 1667. V. COUSIN, Madame de
Sablé, p. 387, éd. 1854.
[7]
Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires,
t. IV, p. 62. « Tout le monde soupçonna ses couches ; on le sut, et elle
vouloit qu'on n'en eût rien appris. » Mêmes Mémoires révisés, éd. de
Maëstricht, t. V, p. 338.
[8]
Correspondance de la duchesse d'Orléans, t. I, p. 306. « Quand un des
enfants de la Montespan mourut, le roi fut sensiblement touché ; mais il ne fut
point ému de la perte du pauvre comte de Vermandois, car la Montespan et la
vieille avaient fait croire au roi que cet enfant n'était pas à lui, mais à
Lauzun ; mais il eût été à désirer que tous les bâtards du roi eussent été à
lui aussi sûrement que celui-là ; Mme de La Vallière n'était pas une maîtresse
étourdie et volage, et elle l'a bien montré par son repentir et sa pénitence
jusqu'à la fin de sa vie. C'était une personne tout à' fait agréable, bonne,
douce, tendre. Elle n'avait pas aimé le roi par ambition, mais elle avait pour
lui une passion sincère, et de sa vie elle n'a aimé personne, si ce n'est lui.
»
[9]
Abrégé de l'histoire de France, t. IV, p. 22. Mss. de notre
bibliothèque, ouvrage du président Hénault, qui avait reçu les confidences du
maréchal de Villeroi. V. ses Mémoires, p. 18.
[10]
Voyez la déposition si nette et si accablante de la tille Voisin, 13 août 1680.
Archives de la Bastille, t. VI, p. 289.
[11]
Lesage fournissait des taupes à la Philbert, une émule de la Voisin. Archives
de la Bastille, t. V, p. 287. La Voisin distillait des crapauds et, faillit
s'asphyxier un jour au milieu de ce beau travail.
[12]
Il s'appelait Gallet. V. Archives de la Bastille, t. VI, p. 305.
[13]
Il prétendit plus tard que s'il détournait les pratiques de la Voisin, c'était
pour les empêcher d'être séduites par cette empoisonneuse. Interrogatoire de
Lesage, 15 novembre 1680. Archives de la Bastille, t. VI, p. 357, 359.
C'est ainsi qu'il se fit indiquer à Mme de Polignac comme un magicien qui
ferait mieux son affaire sans qu'il y parût. Confrontation de la Voisin et de
Lesage, 16 janvier 1680.
[14]
La rue de la Tannerie donnait d'un bout sur la place de Grève, de l'autre rue
Planche-Mibrai. Les bâtiments de l'Assistance publique occupent une partie de
son emplacement.
[15]
Il faut lire le rapport de La Reynie (Archives de la Bastille, t. IV, p.
126, 33), les interrogatoires de Lesage et de Mariette (t. VI, p. 357, 359,
381, 386.)
[16]
« Mariette dit pour l'éloigner seulement. » M. DE LA REYNIE, Mémoires. Les pièces si
curieuses du procès des empoisonneurs contiennent le récit d’un fait semblable
où Mme de Polignac est nommée. Mais une étude très attentive m'a démontré que
Lesage et Mariette avaient en effet usé des mêmes procédés au service de l'une
et de l'autre de ces dames superstitieuses. La Reynie le reconnut très bien,
et, dans toute cette affaire, son témoignage fait foi.
[17]
Gazette de France, 16 janvier 1668.
[18]
L'imitation de la comédie de Plaute avait été déjà tentée par Rotrou. La Vie
de M. de Molière, par GRIMAREST, dans les Œuvres de M. de Molière, Paris, 1718,
t. I, p 55.
[19]
BENSERADE, le
Carnaval, mascarade royale, dansée par Sa Majesté en 1668. Œuvres,
t. II, p. 378.
[20]
Il ne prit de carrosse que pour traverser Paris.
[21]
Acte de séparation de corps de Mme de Montespan. Pierre CLÉMENT, Madame de
Montespan, p. 373.
[22]
D'ORMESSON, Journal,
t. II, p. 552.
[23]
GUY-PATIN, Lettres,
t. III, p. 190.
[24]
Acquit de solde de tout compte donné à la duchesse le 4 mai 1668. — Acte passé
devant Nera et Le Fouvn, notaires. Bibl. nat., THOISY, vol. 126, fol. 73-76.
[25]
Ch. BONNET, Documents
inédits par Mlle de La Vallière, p. 7 et 14.