LOUISE DE LA VALLIÈRE ET LA JEUNESSE DE LOUIS XIV

TROISIÈME PARTIE. — 1667-1674

 

CHAPITRE II. — JUILLET 1667-FÉVRIER 1668.

 

 

Pendant que La Vallière découragée reprenait tristement le chemin de Paris, Mme de Montespan restait à Compiègne, avec la cour, jusqu'à la fin de juillet, attendant les événements. En moins d'un mois, le roi s'était rendu maître de Tournai et de Douai. Mais, au cours de ces opérations, il avait de nouveau épuisé la force de ses troupes encore jeunes. « Afin d'éviter l'oisiveté[1] », il vint faire un tour à Compiègne, et même il poussa, paraît-il, jusqu'à Saint-Cloud[2], pour voir Madame, qui avait failli mourir des suites d'une fausse couche. La Vallière saisit-elle cette occasion de se représenter à ses yeux ? A quoi boucles yeux de Louis étaient pleins d'une autre image. Il regagna la cour en toute hâte. Laissant à Mademoiselle de Montpensier son appartement, il se contenta de l'antichambre, d'où l'on accédait chez la marquise de Montespan. Il la voyait chez elle tous les jours et aussi tous les soirs, et les soirées duraient jusqu'au matin. Pendant un dîner, la reine se plaignit de ce qu'on veillait trop tard, et s'adressant à Mademoiselle : « Le roi ne s'est couché qu'à quatre heures. Il étoit grand jour. Je ne sais pas à quoi il peut s'amuser. » — « Je lisois des dépêches, répondit le roi, et j'y faisois réponse. » — « Mais vous pourriez prendre une autre heure. » Louis détourna la tête pour cacher un sourire. Les assistants regardaient leurs assiettes. Après dîner, suivant l'habitude, on s'en fut à la promenade. « Mme de Montespan y venoit. Le roi étoit d'une gaieté admirable[3]. »

D'ailleurs, si Louis manquait à quelques-uns de ses devoirs envers sa femme, il ne laissait rien perdre de ses biens dotaux. Il faisait même la guerre pour mettre Marie-Thérèse en possession de son héritage. Aussi l'emmena-t-il à Douai et à Tournai, pour la montrer aux populations conquises en son nom. Chemin faisant, il achevait une autre conquête, celle de la dame d'honneur. L'aveuglement de la reine persistait. Elle allait à toutes les églises, visitait tous les couvents. La dame ne la suivait qu'à la messe, et quand on l'interrogeait le soir, l'hypocrite « disoit qu'elle avoit dormi tout le jour[4] ». Enfin le roi, se préparant au siège de Lille, renvoya la cour à Arras. La reine continua de témoigner beaucoup d'amitié à la Montespan qui possédait, à vrai dire, un esprit plein de ressources, habile à tourner tout en plaisanteries. Les histoires galantes n'étaient pas de mode ; mais, pour alimenter sa verve, il suffisait d'une visite à quelque hospice où l'on élevait des petites filles et où on leur apprenait à travailler. Le soir, chez la reine, elle contrefaisait ces jeunes artésiennes « le plus plaisamment du monde[5] ». Le moyen de se méfier de cette gaieté innocente !

Vers ce temps-là, toutefois, le service de la poste remit une lettre à la reine, qui le lendemain en révéla tout naïvement le contenu à Mme de Montausier, à Mademoiselle et à Mme de Montespan elle-même. « J'ai reçu, dit-elle, une lettre qui m'apprend bien des choses, mais que je ne crois pas. On me donne avis que le roi est amoureux de Mme de Montespan, et qu'il n'aime plus La Vallière, et que c'est Mme de Montausier qui mène cette affaire ; qu'elle me trompe ; que le roi ne bougeoit de chez elle à Compiègne ; enfin tout ce que l'on peut dire pour me le persuader et pour me la faire haïr. Je ne crois point cela, et j'ai envoyé la lettre au roi (1). » A cette confidence inattendue, chacune de ces dames répondit suivant sa conscience. Mademoiselle de Montpensier, sûre d'elle-même, se contenta de dire : « Votre Majesté a fort bien fait. » Mme de Montespan parla fort de ses obligations envers la reine, des bontés qu'elle en avait reçues, et, suivant l'éternelle tactique, elle ajouta qu'elle se doutait bien d'où cela venait. Quant à la duchesse de Montausier, cette austère personne répéta ce qu'elle disait peu de jours avant : « Puisque l'on m'accuse de donner des maîtresses au roi, à qui ne peut-on rendre de mauvais offices (2) ? » Et la reine de répondre : « Je vois bien les choses, je ne. suis pas si dupe que l'on se l'imagine, mais j'ai de la prudence. » Prétention ne fut jamais moins justifiée. « La reine traita encore mieux Mme de Montespan (3). » Quant au roi, qui ne tolérait pas d'immixtion dans ses affaires intimes, il fit, un peu plus tard, chasser de la cour Mme d'Armagnac, auteur présumé de la lettre anonyme.

Le 10 septembre 1667, Louis, après de faciles succès, rentrait à Saint-Germain. On ne pouvait toutefois lui reprocher de prendre des airs de triomphateur. « Il est le plus modeste du monde. Le personnage de conquérant, qu'il pourroit faire, l'adoucit plus tost qu'il ne lui donne de la fierté. » C'est un bon juge et non prévenu, c'est Mme de

(1) Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 58.

(2) Dans une chanson du temps, sur l'air l'on relon ton, Mme de Montausier est cruellement traitée.

« La Montausier passe pour m. » Mss. du temps, p. 315 : penès nos.

(3) Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 58.

 

Longueville qui rendit au roi ce témoignage. Ces yeux féminins remarquèrent un autre détail, qui eût peut-être échappé à de plus fins politiques. Jusqu'alors. Louis conversait peu avec les dames. Sa civilité manquait d'ouverture et d'entretien. Quelques révérences, une réponse honnête quand on lui parlait, rien de plus. Jamais il n'adressait le premier mot. « Mais à cette heure, ce n'est plus ainsi ; il commence, il soutient la conversation, comme un autre homme[6]. »

On peut écrire ici : « Fin de la jeunesse de Louis XIV. »

C'est auprès de Mme de Montespan que Louis avait pris cette assurance ; c'est elle qui l'avait habitué à suivre, à provoquer un entretien ; elle enfin qui avait transformé en vainqueur sûr de lui, maître des femmes comme des hommes, l'amant naguère timide de la timide La Vallière.

Louise se trouvait alors à Saint-Germain. L'instinct maternel la rappelait auprès du père de sa fille Marie-Anne et de cet autre enfant qu'elle portait encore. Quel sort serait fait à ce posthume de l'amour ? La mère avouée d'une fille du roi, légalement reconnue et titrée, ne mettrait-elle au monde qu'un bâtard ? Cette incertitude cruelle ne fut pas épargnée à la pauvre femme, plus misérable avec son titre et sa fortune, qu'au temps où on l'appelait tout simplement La Vallière. Elle fut prise à Saint-Germain des douleurs de l'enfantement et, comme autrefois à Vincennes, obligée d'étouffer ses cris. Elle accoucha « en cachette a, le samedi 3 octobre, d'un fils qu'on emporta aussitôt, et dont l'existence resta secrète fort longtemps[7]. Comme à Vincennes encore, elle fut obligée d'affecter de vivre de sa vie ordinaire. Le soir de ce même samedi, on fit médianoche dans sa chambre. C'est bien pour elle qu'il avait été dit : « Tu enfanteras dans la douleur ! »

Les douleurs physiques toutefois ne durent qu'un jour, et une mère les oublie vite en regardant son enfant. Cette vue consolante, Mme de La Vallière en était privée. Au contraire, après comme avant la naissance de ce fils, l'inquiétude la dévorait. Louis, pendant plus d'une année, ne fit rien pour rendre quelque sécurité à cette mère désolée. La politique remplaçait la tendresse. Rappelons-nous le mot de Mademoiselle après l'élévation de La Vallière au rang de duchesse : « On disoit qu'on ne verroit plus d'enfants. » La princesse Palatine a laissé de cette conduite une explication trop vraisemblable. « On avait fait croire au roi que l'enfant n'était pas de lui[8]. » Qu'on ait tenu le propos, cela se peut, mais non que Louis y ait ajouté foi. Ce fut tout au plus le prétexte sous lequel il dissimula ses véritables desseins, dont son ancienne maîtresse subit le développement implacable.

De la fin de 1667 au commencement de 1674, pendant sept années, la vie de Louise de La Vallière va se confondre avec celle de Mme de Montespan. Athénaïs, toutefois, prend la première place et l'occupe superbement. A quelle date commence ce nouveau règne ? On l'ignore. Qui a jamais su le jour précis où cède une coquette ? Les yeux, les paroles, et, à défaut du cœur absent, l'esprit, ont déjà maintes fois commis l'adultère, et la femme peut affirmer encore qu'elle n'a pas manqué à ses devoirs. Voici une version jusqu'à présent inédite, et d'ailleurs très acceptable. « La première fois que le roy la vit en particulier, ce fut par une surprise à laquelle elle ne s'attendoit pas elle-mesme. Mme d'Hûdicourt couchoit toujours avec elle, et un soir que Mme de Montespan estoit couchée la première. Mme d'Hûdicourt, qui estoit dans la confidence du roy, sortit de la chambre, où le roy entra déguisé en suisse de M. de Montausier[9]. » L'amour, ce jour-là, revêtit une vilaine casaque.

Quoi qu'il en soit, la fille des Mortemart, bien qu'elle eût depuis longtemps détrôné sa rivale, la redoutait encore. N'ayant jamais aimé, jamais elle ne fut sûre d'être aimée. En vain célébrait-on sa beauté triomphante, les charmes de son esprit et sa verve intarissable, intérieurement elle se sentait inquiète devant la beauté amaigrie de Louise, et surtout devant la sincérité de son cœur. Jamais l'amour hypocrite n'a plus complètement avoué son infériorité. Cette belle et spirituelle jeune femme ne reprenait quelque assurance qu'auprès de la chiromancienne et de ses acolytes les magiciens[10].

 

Vers la fin de 1667, les visites au hideux cabinet de la rue Beauregard recommencèrent. La Voisin vendait des poudres pour l'amour. Ossements calcinés de crapaud, dents calcinées de taupe[11], poussière humaine : il entrait de tout dans ces mélanges fantastiques. La sorcière effrontée y ajoutait des drogues d'un effet plus certain. Un des fournisseurs de la Voisin possédait une recette où la cantharide s'alliait aux prunes sèches et à la limaille de fer[12]. Peut-on après cela s'étonner des vapeurs dont se plaignait le roi et auxquelles ses médecins ne comprenaient rien ? Et cependant tous ces philtres ne suffisaient plus à Mme de Montespan. Lesage, le savant ami de la Voisin, établissait une grande différence entre les sortilèges et la magie. A l'emploi des poudres, il opposait les charmes et les incantations. C'étaient là ses talents et ses profits particuliers[13]. Dans plus d'un cas, Lesage semble avoir agi peu délicatement envers son associée, dont il détournait la clientèle. En ce qui regarde la marquise, cela ne parut pas. Elle ne trouvait jamais trop de chiromanciens et de magiciens. Ce rusé coquin l'emmena chez lui, où le prêtre Mariette, moins hideux que Guibourg, célébrait des messes moins sanglantes que celles du château de Villebousin, mais tout aussi impies. C'est rue de la Tannerie[14], à deux pas de la place de Grève et en vue du pilori, que se trouvait l'antre de ces damnés. Dans une petite chambre, ils dressaient un autel, et Mariette, revêtu de ses ornements, procédait aux incantations. Lesage chantait le Veni Creator ; Mariette lisait un évangile sur la tête de la marquise, qui, agenouillée sous l'étole, récitait une conjuration contre La Vallière[15]. Ces cérémonies prenaient beaucoup de temps, et la dame d'honneur n'était pas toujours libre d'opérer avec ses magiciens. Ils trouvèrent une combinaison qui lui permît d'agir seule. On lui demanda, elle apporta deux cœurs de pigeon. Sur ces cœurs, Mariette dit la messe, une vraie messe cette fois, dans l'église même de Saint-Séverin. Il les fit passer sous le calice. Ensuite la marquise suivit Mariette et Lesage dans leur chambre, où l'on conjura de nouveau contre La Vallière. Les deux cœurs furent enfermés dans une boîte de vermeil, avec une formule qui comprenait l'évangile des rois, quelques paroles d'une hymne, Ortus refulget Lucifer, une étoile, une petite hostie consacrée. Athénaïs, désormais, pouvait « faire la conjuration en son particulier ».

Ce n'est pas tout. Au commencement de 1668, Lesage et Mariette eurent l'audace de se rendre à Saint-Germain, au château, au logement même qu'occupait Mme de Thianges, sœur de leur cliente. Le prêtre en surplis, avec étole, commença par quelques aspersions d'eau bénite, puis récita l'évangile sur la tête de la marquise, pendant que Lesage faisait des fumigations et brûlait de l'encens. La cérémonie se termina, comme toujours, par la formule contre La Vallière. Ces cyniques coquins l'avouèrent plus tard. « Le nom du roi était dans cette conjuration ainsi que celui de Mme de La Vallière. On conjurait pour obtenir les bonnes grâces du roi et pour faire mourir Mme de La Vallière[16]. »

Tout semblait réussir au gré de Mme de Montespan. C'était à faire croire à la magie les magiciens eux-mêmes. De plus, en janvier, un renfort inattendu leur vint. On joua « la belle comédie d'Amphitryon[17] » due à la libre inspiration du poète[18], d'autant meilleure. On a pu croire depuis que cette œuvre avait été composée sur commande. Mais le roi, encore réservé, eût interdit de telles allusions, et Molière, toujours prudent, n'eût pas osé se les permettre. Pour être fortuite, la rencontre n'en était pas moins piquante. En un point surtout, Louis ressemblait au maître des dieux. Comme Jupiter, il savait entretenir une longue nuit autour d'un amour adultère, avec l'aide d'un Saint-Aignan, « duc de Mercure, d'un duc et d'une duchesse de Montausier » et de plusieurs autres. Au même moment, d'ailleurs (novembre 1667-janvier 1668), ce prince mystérieux et rusé déployait une habileté politique incomparable. Il laissait divulguer, en plein ballet, une partie de ses desseins belliqueux, dissimulant d'autant mieux leur prochaine et foudroyante réalisation.

On dansait alors à Paris la Mascarade royale (18 janvier 1668). Le roi y représenta le Plaisir, puis un masque sérieux.

Voyez de quelle grâce en cadence il se meut.

Il n'est pas de cœur qu'il n'entraîne.

Enfin, c'est un plaisir de reine,

Et n'en goûte pas qui veut.

Et, pendant que le roi dansait, le poète parlait de l'Espagne :

Elle doit cet hyver détourner ses malheurs ;

Sinon, au retour du Zéphire,

Je crains qu'elle n'ait lieu de dire :

Pour un plaisir mille douleurs[19].

En effet, sous ce masque de fête, un prince sérieux, appliqué, infatigable au travail, cachait le dessein d'une prochaine campagne. Quinze jours après, sans même attendre le zéphyr, dès que Condé fut prêt, il partit (2 février 1668) seul cette fois, et non plus en carrosse[20], mais à cheval, en soldat.

La reine était revenue à Saint-Germain. Mme de Montespan s'y trouvait en vertu de sa charge. La Vallière l'avait suivie et commençait son purgatoire sur la terre. Parfois les deux dames allaient se promener à pied dans le parc avec Mademoiselle. Nulle apparence de discorde, pas même de défiance. Le roi, d'ailleurs, ne laissa pas aux complications intestines le loisir de se former. A peine apprenait-on son arrivée sur le théâtre de la guerre, qu'il annonçait son retour. En vingt-deux jours, il avait pris la Franche-Comté, donnant l'exemple du courage et de l'ardeur.

 

Une conseillère pire que la Voisin, la gène, saisissait alors la fière Athénaïs.

Le 1er mars 1668, maîtres Crespin et Carré, maîtres Letemplier et Séjournant, notaires, reçurent la visite de la noble dame, accompagnée de son mari, qui empruntait quatorze mille livres[21]. De cet argent, on peut le croire, une certaine partie servit à acheter des poudres et des cœurs de pigeon, qui d'ailleurs réussissaient à merveille. La cliente des sorciers jouissait à la fois de la faveur du roi et de celle de la reine ! Il semblait, à cette heure où l'on ne cachait presque plus rien, que Marie-Thérèse ne voulût rien voir et fermât l'oreille aux insinuations de la cour. Cependant, aux portes mêmes du palais on n'insinuait pas ; on criait des insultes. Un jour, une femme qui avait perdu son fils, mort d'accident aux travaux de Versailles, se vit encore durement taxée par une chambre de justice. Elle attendit Louis au passage, et l'accabla d'injures, le traitant de roi « p......, de roy machiniste, de tyran ». — « Le Roy n'en croyoit pas ses oreilles ; il demanda si elle parloit à luy, à quoy elle répliqua que ouy et continua. » On saisit la malheureuse, on la jeta aux Petites-Maisons, après l'avoir fouettée publiquement, « avec une rigueur extrême, sans qu'elle laissât échapper une plainte, souffrant ce mal comme un martyre et pour l'amour de Dieu ». Peu après, malgré l'exemple, un homme se répandit en semblables propos. Il fut condamné aux galères et à avoir la langue coupée. L'opinion, dont on ne coupe pas la langue, s'émut de ces rigueurs et protesta contre ces supplices arbitraires[22].

Ainsi commença la seconde phase des amours de Louis XIV. Dans le public, on avait toléré la passion d'un prince jeune pour une jeune fille sans ambition et dont la faute disparaissait presque sous le voile atténuant de la grâce et du désintéressement. On se montra plus dur pour cet amour adultère et pour un roi de trente ans, subjugué par l’altière Montespan.

A la cour, bien entendu, on ne prenait pas les choses au tragique. On chantonnait :

On dit que La Vallière

S'en va sur son déclin ;

Ce n'est que par manière

Que le roi suit son train ;

Montespan prend sa place.

Il faut que tout y passe

Ainsi de main en main.

Chansons, d'ailleurs, seulement murmurées. Car autant on avait noué d'intrigues contre La Vallière, autant déployait-on de complaisance envers la marquise. Mme de Montausier s'abaissait au rang d'entremetteuse. On ne peut même innocenter son mari, homme brave, homme de principes, mais qui tenait pour maxime que le roi était au-dessus des principes et des lois. Déplorable faiblesse et d'autant moins pardonnable qu'elle apportait plus de faveurs. A ce moment, l'objet de l'ambition des plus grands seigneurs, était le poste de gouverneur du Dauphin. L'opinion désignait le maréchal de Bellefonds, ou le duc de Navailles[23], dont nous avons vu la noble conduite quand sa femme fit son devoir, même contre le roi. Les habiles pariaient pour le mari de Mme de Montausier, favorite des favorites.

 

Nous sommes en février 1668, temps où Lesage et Mariette opèrent au château de Saint-Germain. C'est alors qu'un grave incident se produisit et, pendant plusieurs mois, rendit fort incertaine l'issue de ces machinations. On achevait cependant de payer le domaine que Louise n'avait pas demandé. Un arrêt du Parlement (22 février 1668) autorisa dame Louise-Françoise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière, à déposer entre les mains de Robert, commis principal au greffe, la somme de 248.000 livres, pour solde de son acquisition des terres de Vaujours et de Saint-Christophe[24]. Il ne faudrait pas croire pourtant que la duchesse fût alors très à son aise. Elle était au contraire si gênée que le 1er janvier 1668, jour des étrennes (la date est à noter), elle dut emprunter 20.000 livres à un frère Jean Pottier, qui ne stipula point d'intérêts. Louise lui promit de rembourser la somme quand il la demanderait, mais comme elle était encore mineure elle s'engagea à ratifier son engagement dès qu'elle aurait atteint ses vingt-cinq ans, ce qu'elle fit le 8 août 1669 ; mais le prêteur ne fut remboursé que le 28 janvier 1673, par un transport dont la nature n'est pas indiquée et dont Jean Pottier se contenta[25].

 

 

 



[1] Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 306.

[2] 6 juillet, Monsieur va voir Madame à Saint-Cloud ; 10 juillet, le roi à Compiègne ; 16 juillet, le roi va voir Madame à Saint-Cloud. (Gazette, 1667, p. 690, 737.) Madame, alors souffrante, ne se rétablit que vers le 5 août. D'Ormesson, Journal, t. II, p. 511.

[3] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 52.

[4] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 55.

[5] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 57.

[6] Lettre de Mme de Longueville à Mme de Sablé, du 15 septembre 1667. V. COUSIN, Madame de Sablé, p. 387, éd. 1854.

[7] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 62. « Tout le monde soupçonna ses couches ; on le sut, et elle vouloit qu'on n'en eût rien appris. » Mêmes Mémoires révisés, éd. de Maëstricht, t. V, p. 338.

[8] Correspondance de la duchesse d'Orléans, t. I, p. 306. « Quand un des enfants de la Montespan mourut, le roi fut sensiblement touché ; mais il ne fut point ému de la perte du pauvre comte de Vermandois, car la Montespan et la vieille avaient fait croire au roi que cet enfant n'était pas à lui, mais à Lauzun ; mais il eût été à désirer que tous les bâtards du roi eussent été à lui aussi sûrement que celui-là ; Mme de La Vallière n'était pas une maîtresse étourdie et volage, et elle l'a bien montré par son repentir et sa pénitence jusqu'à la fin de sa vie. C'était une personne tout à' fait agréable, bonne, douce, tendre. Elle n'avait pas aimé le roi par ambition, mais elle avait pour lui une passion sincère, et de sa vie elle n'a aimé personne, si ce n'est lui. »

[9] Abrégé de l'histoire de France, t. IV, p. 22. Mss. de notre bibliothèque, ouvrage du président Hénault, qui avait reçu les confidences du maréchal de Villeroi. V. ses Mémoires, p. 18.

[10] Voyez la déposition si nette et si accablante de la tille Voisin, 13 août 1680. Archives de la Bastille, t. VI, p. 289.

[11] Lesage fournissait des taupes à la Philbert, une émule de la Voisin. Archives de la Bastille, t. V, p. 287. La Voisin distillait des crapauds et, faillit s'asphyxier un jour au milieu de ce beau travail.

[12] Il s'appelait Gallet. V. Archives de la Bastille, t. VI, p. 305.

[13] Il prétendit plus tard que s'il détournait les pratiques de la Voisin, c'était pour les empêcher d'être séduites par cette empoisonneuse. Interrogatoire de Lesage, 15 novembre 1680. Archives de la Bastille, t. VI, p. 357, 359. C'est ainsi qu'il se fit indiquer à Mme de Polignac comme un magicien qui ferait mieux son affaire sans qu'il y parût. Confrontation de la Voisin et de Lesage, 16 janvier 1680.

[14] La rue de la Tannerie donnait d'un bout sur la place de Grève, de l'autre rue Planche-Mibrai. Les bâtiments de l'Assistance publique occupent une partie de son emplacement.

[15] Il faut lire le rapport de La Reynie (Archives de la Bastille, t. IV, p. 126, 33), les interrogatoires de Lesage et de Mariette (t. VI, p. 357, 359, 381, 386.)

[16] « Mariette dit pour l'éloigner seulement. » M. DE LA REYNIE, Mémoires. Les pièces si curieuses du procès des empoisonneurs contiennent le récit d’un fait semblable où Mme de Polignac est nommée. Mais une étude très attentive m'a démontré que Lesage et Mariette avaient en effet usé des mêmes procédés au service de l'une et de l'autre de ces dames superstitieuses. La Reynie le reconnut très bien, et, dans toute cette affaire, son témoignage fait foi.

[17] Gazette de France, 16 janvier 1668.

[18] L'imitation de la comédie de Plaute avait été déjà tentée par Rotrou. La Vie de M. de Molière, par GRIMAREST, dans les Œuvres de M. de Molière, Paris, 1718, t. I, p 55.

[19] BENSERADE, le Carnaval, mascarade royale, dansée par Sa Majesté en 1668. Œuvres, t. II, p. 378.

[20] Il ne prit de carrosse que pour traverser Paris.

[21] Acte de séparation de corps de Mme de Montespan. Pierre CLÉMENT, Madame de Montespan, p. 373.

[22] D'ORMESSON, Journal, t. II, p. 552.

[23] GUY-PATIN, Lettres, t. III, p. 190.

[24] Acquit de solde de tout compte donné à la duchesse le 4 mai 1668. — Acte passé devant Nera et Le Fouvn, notaires. Bibl. nat., THOISY, vol. 126, fol. 73-76.

[25] Ch. BONNET, Documents inédits par Mlle de La Vallière, p. 7 et 14.