LOUISE DE LA VALLIÈRE ET LA JEUNESSE DE LOUIS XIV

DEUXIÈME PARTIE. — 1663-1666

 

CHAPITRE III. — JANVIER 1666-NOVEMBRE 1666.

 

 

A la mort d'Anne d'Autriche, on avait interdit les fêtes et les mascarades ; mais, tout en supprimant le carnaval à la ville, la cour trouva bon d'apporter, dès le 13 mars, quelque diversion à sa douleur par un voyage à Mouchy[1], où le roi passa quinze mille hommes de troupe en revue. « Il y vint beaucoup de dames. Quoi qu'on fut en justaucorps de deuil, on se divertit fort bien. Le roi étoit d'une grande gaieté et fit des chansons, pendant le chemin, en revenant. » La Vallière se trouvait encore près du roi ; mais toutes les chansons ne se faisaient plus pour elle.

Le carême était déjà fort avancé. Le prédicateur de la cour, Bossuet, avait, le jour de l'Annonciation, rendu un premier et solennel hommage à la mémoire d'Anne d'Autriche[2]. Fidèle aux recommandations de la princesse, à celles de sa conscience, et cela seul suffisait, l'archidiacre de Metz, que déjà l'opinion publique proclamait évêque[3], ne ménagea pas ses conseils au jeune prince privé de son dernier frein. Louis ne les entendit qu'à des intervalles très irréguliers. L'orateur prêchait contre la vanité des plaisirs à une cour sans cesse en mouvement, de Saint-Germain allant au galop aux divertissements de Versailles, revenant de même à ceux de Saint-Germain. Entre le 6 et le 15 avril, commencèrent ces parties à Versailles, « où il y avoit très peu de monde » et qui « furent très agréables[4]. » Il faut entendre la Gazette rimée :

Dans ce lieux délicieux

Notre Cour s'ébaudit des mieux.

La ramasse, l'escarpolette,

Le volant avec la raquette

Et d'autres petits jeux nouveaux,

La chasse, le vol des oyzeaux

Et le plus souvent des cœurs mêmes

Sont là les délices suprêmes

Que l'on goûte à ce renouveau,

Où l'amour, mille fois plus beau,

Se fait de toutes les parties,

Qui sans lui sont mal assorties[5].

Ce dieu, puisque c'est un dieu, troublait, comme toujours, autant de cœurs qu'il en assortissait. Ce fut, par exemple, pendant un de ces petits jeux que Lauzun (Puy-Guilhem) se montra extraordinairement brutal envers sa tant aimée cousine, Mme de Monaco. Il avait su, à n'en pas douter, que cette princesse s'était au moins compromise dans une intrigue avec Louis XIV. La personne du roi étant sacrée, il se vengea sur l'infidèle en lui écrasant la main sous son talon. La victime eut plus de peur que de mal ; mais, quand elle apprit que l'auteur du coup était Lauzun, ses plaintes furent sans bornes. Lauzun jura qu'il avait agi par mégarde, offrit de se jeter par la fenêtre ; mais n'en fit rien. M. de Monaco, pauvre mari, déclara qu'il tirerait vengeance de cette injure et partit pour la Hollande, afin de se concerter avec Guiche, son beau-frère. Le roi, ennuyé de l'aventure, prit la peine de dresser une sorte de procès-verbal de l'incident et de l'envoyer à d'Estrades, à la Haye, avec ordre de surveiller Guiche et Monaco. « Vous sçaurez, écrivait-il, que lundi dernier, étant à Versailles, on jouoit dans le salon un bijou de douze cents pistoles, et que les dames étoient toutes assises à terre, sur un plancher fort net, pour y être plus fraîchement. J'étois debout et regardois le jeu avec quelque application pour voir qui le gagneroit. Il arrive que, m'étant retiré de deux pas pour mieux voir, ceux qui se trouvèrent entre moi et le mur, furent obligés de quitter ce poste, et, entre autres, Puy-Guilhem, lequel, sortant de ce lieu-là avec quelque hâte pour me faire place, marcha malheureusement, par hasard, sur la main de Mme la princesse de Monaco, qu'elle avoit, comme j'ai dit, sur le plancher, pour s'appuver, mais qui étoit couverte de sa jupe, en sorte qu'on ne pouvoit pas même la voir, circonstance fort remarquable pour tout ce que vous apprendrez dans la suite. »

Le comte de Guiche s'appliquait alors à ne pas se faire oublier. Brave, comme on le connaissait, il avait servi avec les troupes françaises envoyées contre l'évêque de Munster. L'hiver, il s'était essayé à la diplomatie, et non sans habileté[6]. A cette heure, il se laissait aller à ses fantaisies. C'est ainsi qu'il se présenta un jour sur le Voorhout, vêtu de la façon la plus extraordinaire, partie à la grecque, partie à la romaine, avec emprunts aux costumes italiens, espagnols, hongrois, à la bizzaria. Avec lui faisait assaut d'excentricité un autre écervelé, qui venait lui aussi de se signaler sur le champ de bataille, le marquis de La Vallière. Mais on trouva que ce dernier n'avait pas su se dépouiller de ses façons françaises. Ces deux grands enfants n'avaient pas achevé leur mascarade qu'arrivait le comte de Louvigny, vêtu simplement en seigneur de la cour de France, et tout le succès fut pour lui. Guiche - et La Vallière paraissent là comme une paire d'amis. Les bons Hollandais, que les libellistes mettaient si bien au courant des histoires de la cour, ne devaient pas en croire leurs yeux[7]. Ce qui augmentait encore leur étonnement, c'était de voir avec quelle aisance ces jeunes fous rejetaient leurs déguisements pour endosser le harnois militaire. Le voyage, l'air du pays, les conseils de d'Estrades ayant calmé sans doute la colère de Monaco, il obtint de son beau-frère de s'embarquer avec lui sur la flotte hollandaise. Leur vaisseau, presque aussitôt engagé, fut abordé, coulé par les Anglais. Ils n'échappèrent qu'à grand'peine à la mort[8].

Jean-François avait servi sur terre et sous les ordres de Pradel, à la tête des chevau-légers du dauphin, dont il venait d'être nommé capitaine-lieutenant, et de recevoir ainsi le commandement effectif. Sa compagnie était un peu renouvelée, la plupart des officiers qui la composaient allant, conformément aux anciennes vues du Roi, former les cadres de corps nouveaux. Cependant, complétée par les plus beaux hommes de quatre autres compagnies, elle fit bonne figure, et à l'attaque du cimetière d'Oudenborch, près Bois-le-Duc, le marquis enleva la position, tua six cents ennemis sur huit cents, enleva un drapeau et fit prisonnier le colonel Carp, commandant des Hollandais.

Les plaisanteries de Louvois qui débutait, lui, au ministère de la guerre, confirment plutôt qu'elles n'affaiblissent le mérite du jeune La Vallière[9], son ancien camarade de plaisir.

On peut être bon soldat comme l'un de ces deux jeunes gens, bon administrateur comme l'autre, sans donner l'exemple de toutes les autres vertus. « Le jour où se répand le bruit de la paix avec Munster, le ministre fait une peinture complaisante de l'inquiétude émue des dames de Paris à la nouvelle du prochain retour du marquis. » Elles appréhendent que les lauriers que vous avez cueillis en pays étrangers ne vous rendent insolent dans le pays natal, et que votre langue ne leur soit plus dangereuse que votre plume.

« Je leur ai assuré que les héros des siècles passés avaient autant de douceur pour les demoiselles que de fureur pour les ennemis, que vous marchiez sur leurs pas, que vous étiez un gentilhomme d'honneur et que j'étois votre caution[10]. »

Ce ton assez rare alors entre un ministre et un jeune officier s'explique par la camaraderie intime dont on a parlé plus haut ; il faut peut-être y voir encore un effet des bruits qui couraient alors à la cour.

Dès le mois de mars 1666, le refroidissement du roi pour sa maîtresse était visible. Le 23 avril suivant, le prince de Condé écrivait à la reine de Pologne : « On croit que Sa Majesté va bientôt faire Mlle de La Vallière duchesse ; elle le mérite et on ne peut pas être plus aimée qu'elle n'est à la cour, ne faisant jamais de mal à personne et faisant toujours tout le bien qu'elle peut[11]. »

Au milieu de ces incidents et de ces parties « assorties par l'amour », l'œil exercé d'une femme découvrait chez le roi des symptômes d'ennui, indices d'une passion marquant l'heure propice aux passions nouvelles. C'est du moins ce qu'imagina Mme de Choisy, cette même personne qui avait donné à Madame Henriette « la petite La Vallière ». Peut-être n'avait-elle pas trouvé assez de reconnaissance dans sa protégée (c'est là le grand reproche), qui ne sollicitait pas plus pour les autres que pour elle. Quoi qu'il en soit, la dame produisit alors une héritière de Pousse, assez belle, un peu niaise, avec les minauderies d'une demoiselle de campagne. En ce point l'habile entremetteuse se méprit. Les passions se suivent et ne se ressemblent pas. Louis n'était plus dans cet âge tendre où l'homme se rend aux premières grâces ; cependant l'ex-patronne de la petite La Vallière n'était pas femme à tenter une entreprise dénuée de toutes chances. Elle avait manqué le but, mais d'autres pouvaient l'atteindre.

C'est alors qu'une femme se révéla, qui, pour combattre Louise, s'établit chez Louise même. Cette dernière, bien qu'elle eût logis au château, possédait à Versailles, rue de la Pompe, un petit pavillon qui subsiste encore[12]. Plus élégant que l'hôtel Brion, il n'en avait pas l'importance. Cette demeure élevée à l'amour subit d'étranges fortunes. A la Révolution, elle servit de tribunal, puis de prison, et, en 1792, une populace sanguinaire y égorgea un grand nombre de royalistes. A l'époque où se passe cette histoire, on y menait une vie joyeuse, en apparence du moins. Là on trouvait une sorte d'abri contre la foule. Il y venait cependant beaucoup de monde, et, dans ce monde, toutes ces dames de qualité, si dédaigneuses autrefois, si empressées à cette heure, quelques-unes même trop empressées. On y remarquait Mme de Montespan, « femme de beaucoup d'esprit, d'un esprit agréable, d'une conversation attachante ». La Vallière, disait-on, en a peu. Aussi, ajoutaient les bonnes langues, « on avait besoin de ce secours pour amuser le roi ».

 

Françoise de Montespan appartenait à une illustre famille, et près d'elle une La Vallière était du commun. Sur l'arbre antique des Rochechouart un rameau avait poussé, le rameau Mortemart, un peu tard venu, mais plein de sève. Le chef de cette branche, admis à l'honneur d'être l'auxiliaire de Richelieu contre Cinq-Mars, était père d'un garçon, Vivonne, camarade et favori de Louis XIV enfant, et de trois filles, belles et spirituelles, une des trois strictement vertueuse, l'autre vertueuse et coquette, la troisième altière et conquérante. Produite à la cour en 1661, à l'âge de vingt ans, cette dernière se faisait appeler Athénaïs de Tonnay-Charente. Les dames dont la fleur de jeunesse s'était ouverte aux grands jours de la régence d'Anne d'Autriche, alors que la beauté n'était admise qu'aimable et gracieuse, trouvaient Athénaïs froide et d'un esprit agressif. Elle ne réussissait à plaire aux uns qu'en blessant les autres, rieurs et victimes lui restant d'ailleurs très indifférents.

Quand cette belle parut, le roi aimait La Vallière, et, tout à sa passion, il eût défié les plus vives attaques. Monsieur avait un cœur que nulle femme ne pouvait enflammer. Point de place à prendre. Ne trouvant à qui céder, la Tonnay-Charente se maria et, par dépit, devint dame de Montespan. La mariée avait vingt et un ans, le mari vingt. Premier défaut de proportions dans cette union précipitée.

Homme d'esprit et de courage, le jeune Montespan possédait dans les Pyrénées, à Bellegarde, un de ces châteaux posé sur la cime des monts et qu'environne un vaste domaine de rochers stériles. Qui eût entendu lire le contrat de mariage des nouveaux époux se fût imaginé qu'assez sages pour renoncer à la cour, ils iraient chercher dans les facilités de la vie provinciale la sécurité de leur bonheur. M. de Mortemart donnait, en apparence, cent cinquante mille livres de dot à sa fille, et, de fait, n'en comptait que soixante mille, se réservant de fournir la rente du surplus, rente comme toujours mal servie. Ces soixante mille livres, péniblement versées, furent avidement empruntées par les père et mère du Montespan, bien entendu à charge d'intérêts, payés comme ceux de la dot, quand cela se pouvait, rarement.

Le jeune ménage se trouva vite endetté, s'obligea : pour payer ses dettes, et, de dettes échues en obligations nouvelles, arriva promptement à cette misère sans honneur, inévitable meurtrière de l'amour imprudent. Ils prirent alors de l'argent de toutes mains, et la spirituelle Mortemart devait signer ces actes d'emprunts, pénibles soutiens d'une existence mesquine[13].

Se voir autant et plus de beauté que pas une, se sentir assez d'esprit pour tromper mari, reine, favorite, le roi lui-même avec eux, et cependant végéter ! Quel supplice ! En 1666, Mme de Montespan courait, l'après-midi, chez La Vallière, y soutenait l'agrément de la conversation, le soir jouait le même rôle chez la reine. Détail plus répugnant, elle couvrait sa légèreté caustique du manteau de la piété et communiait fréquemment. Dominée par ses vues ambitieuses, froidement sacrilège, la jeune femme cherchait sa voie, la voulait large, ascendante, et montant jusqu'auprès du trône. Telle était Françoise, lorsqu'en 1666 on partit pour Fontainebleau.

Les lieux ne changent pas, les hommes changent. Les regards du roi, cherchés, sollicités, se tournèrent enfin vers cette beauté, qui vraiment paraissait un autre soleil.

Tous les jeunes gens, selon l'usage, et entre eux le duc de Longueville, âgé de dix-sept ans, se chargeaient de signaler aux plus attentifs l'ascension de cet astre éclatant. La déesse nouvelle, « pour faire voir à la reine sa bonne conduite et persuader au roi qu'elle ne songeoit qu'à lui, faisoit tous les jours quelques plaisanteries de ses amans (on dirait aujourd'hui adorateurs) au coucher de la reine et redisoit ce que chacun lui avoit dit[14] ». Louis s'intéressait à ces confidences, et l'un des jeunes admirateurs de Mme de Montespan, ayant cru que le prince avait quelque dessein, se retira en bon ordre[15] : le mot est de lui. Bientôt tous les autres l'imitèrent. Ainsi dans ce même palais, en 166i, avaient fait Brienne et Guiche.

Mme de Montespan était alors dans toute sa beauté. De deux ans plus âgée que Louise de La Vallière, elle paraissait plus jeune de quatre ans. Mère de deux garçons, on l'eût encore prise, non pour une femme, mais pour une de ces étranges jeunes filles dont on ne saurait dire si elles sont naïves ou provocantes. Avec l'air superbe de la vertu sûre d'elle-même, elle déployait toutes les séductions de l'esprit[16] ; et cependant, elle ne se fiait pas à ses charmes.

Quand de tous côtés on saluait déjà dans sa personne la favorite de l'avenir, elle en était encore à consulter la magicienne et les sorciers.

Comme Mme de Soissons, cette ambitieuse se rendit chez la Voisin et lui demanda les secours de son art contre La Vallière. La chiromancienne ne fut pas surprise.

Depuis quelque temps et « de toutes parts », on la sollicitait aux mêmes fins. Force gens de qualité « cherchoient à faire des pactes avec le diable et les scelloient de leur propre sang, pour détrôner Mlle de La Vallière hors d'auprès du roi (sicJ pour entrer en sa place[17] ». Ce sont les propres termes d'un des associés de cette coquine.

Tout ce qui suit est tiré d'une longue et minutieuse instruction judiciaire. menée par un homme intègre et d'une rare pénétration. Plus tard, l'autorité royale voulut anéantir les traces de ces odieuses superstitions ; mais la vérité s'est fait jour et est venue jusqu'à nous. Il est avéré que beaucoup de dames demandèrent à la Voisin les moyens de plaire au roi. Le funèbre jardin de la Villeneuve-sur-Gravois reçut Mme de La Motte, qui voulait être aimée du prince et, par occasion, se défaire de son amant, M. d'Albret. Ce pauvre homme devait de toutes façons mal finir et fut tué par les gens de M. de La Motte, au château de Pinon, en Picardie[18]. Là vinrent encore Mme de Grammont, née Hamilton[19], Mme de Polignac, née du Roure[20], âgée de vingt-cinq ans à peine, et qui voulait supprimer La Vallière. Pour la consultation, elle donna quatre pistoles, environ deux cents francs d'aujourd'hui. M. de Polignac d'ailleurs connaissait, paraît-il, « les desseins de madame sa femme d'être bien auprès du roi[21] ». Ce qu'il ne savait pas, c'est qu'elle voulait aussi se débarrasser de lui, débarras qu'elle eût payé plus de quatre pistoles. Cette jeune personne n'entendait pas toutefois être prise au dépourvu ; elle demandait, en même temps, aux sorciers la continuation de l'amitié de M. le comte du Lude, de M. le vicomte de l'Arbouste et M. d'Oradour[22].

Une autre solliciteuse se présentait encore, qui, elle aussi, voulait être « mise bien avec le roi » et faire place nette en empoisonnant La Vallière. Mais, à ce coup, pour ne pas se sentir émue en entendant une telle demande sortir d'une telle bouche, il fallait être la Voisin. La femme, qui ne craignait pas de provoquer la mort d'une innocente, c'était la d'Artigny, devenue comtesse du Roure et digne belle-sœur de Mme de Polignac[23]. L'abominable intrigante cherchait à mordre la main qui l'avait nourrie, à la mordre avec des dents venimeuses. A cette riche clientèle ajoutez Mme de Montespan, et l'on verra que la Voisin, si son mari perdait ses boutiques, était en passe de bien achalander la sienne.

Elle ne se plaignait pas, et cependant elle avait à subir une concurrence qu'elle qualifiait de déloyale. On lui volait ses pratiques, parce qu'elle était trop confiante avec ses confrères. Malgré la grande science « que Dieu lui avait donnée », cette artiste consciencieuse jugeait bon d'invoquer parfois le concours d'autres savants. Elle en connaissait tout particulièrement trois. Le premier, parisien d'origine, de la paroisse Saint-Eustache, était alors âgé de cinquante-six ans environ et se nommait Étienne Guibourg[24].

Il se donnait comme fils naturel de M. de Montmorency, celui qui avait été exécuté à Toulouse. Prêtre à Paris, puis à Saint-Spire de Corbeil, puis aumônier du comte de Montgomery, au château de Villebousin, on le trouve encore à Versailles, où il desservait la chapelle du Buisson et à Saint-Denis, comme prêtre habitué de l'église Saint-Marcel. L'honnête curé de cette paroisse lui recommandait bien de ne pas fréquenter certaines personnes soupçonnées de sorcelleries. Peine perdue. Guibourg, sorcier, empoisonneur artiste, habile à la recherche de toutes sortes de maléfices, ayant connu La Boissière, un des élèves de Sainte-Croix, ayant connu Sainte-Croix lui-même, l'opérateur de la Brinvilliers, Guibourg, ami ou plutôt complice de la Voisin, de la Filastre, était acoquiné depuis vingt ans avec une autre empoisonneuse et en avait eu plusieurs enfants, que presque tous il avait fait périr. Son physique était digne de l'emploi. Très coloré de teint, louche, il tournait tout à fait un œil[25]. On l'appelait le Prieur, soit parce qu'il avait obtenu le prieuré de Bois-Courtilz, près le mont Saint-Michel, soit plutôt parce qu'on était sûr de lui faire prononcer, pour quelque argent, les prières les plus exécrables.

Un peu plus jeune que Guibourg, apparenté par sa mère à une très bonne famille, le second collaborateur de la Voisin, François Mariette, était prêtre de Saint-Séverin. Il avait aussi une maîtresse, la Leroux, empoisonneuse de profession. Sa sœur, appelée Chapelle, ne valait pas mieux que lui. Mariette se chargeait d'exposer les enfants dont la naissance était importune. Sa famille habitait les environs de Montlhéry, détail qui n'est pas inutile à l'intelligence de cette histoire[26].

Le trio était complété par un sieur Lesage, dit du Buisson, de son vrai nom Cœuret, homme de trente-huit ans environ, originaire de Venoix, près Caen[27]. En apparence commerçant en laine, en réalité il vendait des poudres de taupes et d'autres de toute provenance. Bien qu'il eût laissé une femme en Normandie, il tenta d'entrer dans la famille de la Desmarets, personne du genre de la Voisin. Éconduit après renseignements pris par une mère prudente[28], il se rabattit sur la Voisin elle-même, gaillarde de trente ans, mariée il est vrai, mais qui pouvait devenir veuve. Très rusé, le bas Normand affectait de ne rien connaître aux poudres ; il savait seulement où l'on en vendait. Ni souffleur, ni artiste, ni simple magicien de la magie blanche ; en somme, coquin de basse mine[29].

Des mains de la Voisin, Mme de Montespan passa bientôt à celles de ses acolytes ; de la chiromancie elle tomba dans la magie, de la magie dans la sorcellerie. La Voisin regardait un peu dans la main, beaucoup dans les yeux, entendait à demi-mot, donnait des poudres pour l'amour. Ces poudres, le prêtre Mariette les faisait passer sous le calice, et le magicien Lesage récitait sur elles les plus magiques paroles. C'était beaucoup, et ce n'était rien comparé à une certaine messe que Guibourg seul savait dire.

Or, entre les femmes de chambre de Mme de Montespan figurait une demoiselle Desœillets, intimement liée avec un sieur Le Roy[30], gouverneur des pages de la Petite Écurie[31]. Le Roy possédait une maison au hameau du Mesnil, tout auprès du château de Villebousin[32], où Guibourg avait habité comme aumônier des Montgomery. Le Mesnil et Villebousin avoisinaient Villiers, dont était seigneur M. d'Aubray, père de la marquise de Brinvilliers, et qui précisément mourut empoisonné cette année-là. Cette marquise allait de temps en temps à Villiers, où elle entretenait un jardinier habile à cultiver ses plantes. Exili et Sainte-Croix avaient passé par là[33].

Le château, construction du quatorzième siècle, était d'ailleurs bien choisi pour de ténébreuses incantations. Situé à demi-lieue de la route de Paris à Orléans, on y arrivait aisément. Entouré de douves profondes, remplies d'eau vive[34], il était facile d'y éviter une surprise. Ce fut donc à Villebousin qu'on résolut de célébrer la cérémonie diabolique destinée à détacher de Louise de La Vallière le cœur d'un prince déjà trop inconstant. Le Roy, ce singulier gouverneur de pages, s'en fut à Saint-Denis traiter avec Guibourg, qu'il sollicitait depuis plus d'un an. Il lui promit cinquante pistoles et un bénéfice de 2.000 livres. Le misérable eût travaillé pour dix écus. Au jour fixé, il se rendit à Villebousin de son côté ; Mme de Montespan et « une grande créature » y allèrent du leur, accompagnées de Le Roy et d'un second personnage dont on ne dit pas le nom, mais qui se donnait pour un des gentilshommes de M. l'archevêque de Sens.

Le château possédait une chapelle bien connue de Guibourg. C'est là qu'au jour convenu une jeune femme s'étendit sur l'autel. Selon le rite sacrilège, elle aurait dû paraître entièrement nue ; mais, par un reste de pudeur, celle qui se livrait à ces superstitions ne montrait à découvert que son ventre[35]. Les coiffes rabattues cachaient le visage et les seins. L'autel ainsi préparé, les cierges allumés, Guibourg entra. Il posa une serviette blanche sur le ventre nu, sur la serviette son calice. La messe commença et se suivit avec toutes ses cérémonies, jusqu'au baiser donné d'ordinaire par le célébrant à la pierre de l'autel, posé cette fois par le louche Guibourg sur la chair frissonnante d'une jeune femme[36]. A la consécration, l'obscène disparut devant l'horrible. Parfois, on se contentait d'offrir en sacrifice quelque avorton ; mais ce jour-là on fit grandement les choses, et ce fut un petit enfant bien vivant que « la grande créature », assistante de la marquise, offrit au sorcier. Ce dernier l'avait acheté un écu, disant à la malheureuse mère réduite à le vendre qu'il était destiné à une autre femme obligée de se faire téter. L'officiant prononça alors la conjuration : « Astaroth, Asmodée., princes de l'amitié et de l'amour, je vous conjure d'accepter le sacrifice que je vous présente de cet enfant pour les choses que je vous demande. Je vous conjure, esprits, dont vos noms sont dans ces papiers écrits, d'accompagner la volonté et le dessein de la personne pour laquelle la messe a été célébrée[37] ». Puis la femme couchée sur l'autel formula son désir : « Je demande l'amitié du roi, et que j'obtienne tout ce que je lui demanderai pour moi et pour mes parents, que mes serviteurs et domestiques lui soient agréables, qu'il quitte et ne regarde plus La Vallière[38] ».

La conjuration prononcée, Guibourg avec un canif piqua l'enfant à la gorge et en versa le sang dans le calice. L'innocente victime fut emportée ; mais bientôt on représenta son cœur et ses entrailles, dont il fut fait une seconde oblation, comme devant être calcinés et réduits en poudrer à l'usage de Louis de Bourbon[39].

Que la fille des Mortemart, cette femme à l'esprit si vif et si délicat, ait cru au pouvoir occulte de ces coquins, le doute n'est pas permis[40]. Maintenant, cette Athénaïs, si fière de son corps, le soumit-elle aux vils regards de ces goujats ? Tout le dit, et cependant on voudrait croire qu'il y eut substitution et qu'une des sorcières de la cabale agit au nom de la marquise. C'est la seule circonstance atténuante qu'on puisse invoquer.

Cela se passait en 1666[41], à l'époque où, le jour, à Versailles, chez La Vallière, Mme de Montespan divertissait le roi ; où, le soir, elle laissait entendre à la reine qu'elle n'avait pas omis d'assister le matin au saint sacrifice de la messe.

Pour en revenir au mois de mai 1666, on continuait les incantations. Les charmes opéraient. La Montespan n'en pouvait douter. Il n'y avait plus d'éloges que pour Athénaïs. Sans son secours, on déclare La Vallière incapable « d'amuser le roi ». Voilà le symptôme grave. La Grande Mademoiselle, avec son coup d'œil toujours sûr pour ces observations désagréables, ajoute : « Si La Vallière avoit été plus prudente, elle auroit cherché quelque dame dont la beauté et les charmes de sa personne n'auroient pas répondu à celles de son esprit[42] ». Erreur ! ce ne fut que longtemps après que Mademoiselle comprit la situation ; Louise n'avait pas l'esprit politique d'une Mortemart.

Exempte de toute ambition mondaine, comme elle s'était éprise sans calcul, ainsi continuait-elle d'aimer sans défiance. Elle fut assurément la dernière à apprendre, si elle les apprit, les projets dont le bruit commençait de se répandre dans le public, qu'on voulait de nouveau la marier, qu'on parlait de la faire duchesse d'Aumale, et que les habiles y voyaient « un signe de retraite et de changement[43] ». Ce projet ne fut point mis à exécution, soit par quelque retour de tendresse, soit à cause d'une circonstance qui rendit cette mesure inutile ou prématurée.

Des deux enfants que Louis avait eus de La Vallière, un était mort, mais l'autre existait, et ce lien vivant et si fort, alors que tous ceux de son amour se relâchaient, imposait au roi d'impérieuses obligations. Il aimait d'ailleurs ce petit garçon, qui, paraît-il, lui ressemblait ; souvent il l'allait voir aux Tuileries, où on l'élevait. Or, vers la fin de juillet, l'enfant mourut presque subitement[44]. Colbert accourut de Fontainebleau pour prendre les dispositions nécessaires, car il semble que la pauvre mère, comme on l'avait écartée du berceau de ses enfants, n'eut pas la consolation de s'approcher de leur lit de mort. Au contraire, les fêtes continuaient et s'imposaient à sa peine. La cour avait accepté la favorite, la favorite était rivée à la cour.

De la maternité, Louise ne connut jamais que les souffrances et physiques et morales. Elle était, à la mort de son fils, obligée de cacher ses larmes, et sa nouvelle grossesse, consolation pour toute autre mère, ne lui apportait qu'un tourment de plus.

En effet, trois mois à peine avaient passé sur ce deuil intérieur que, Louise se trouvant à la suite de la cour au château de Vincennes[45], les douleurs de l'enfantement la saisirent. -Ces palais n'avaient été construits que pour la vie publique et les fêtes ; les chambres mêmes y étaient accommodées comme des lieux de réception, où il semblait qu'on ne dût jamais être ni triste ni malade. Précisément celle qu'occupait l'infortunée maîtresse du roi était commandée et servait de passage aux grands appartements. C'est là qu'il lui fallut s'aliter, appeler le médecin, comprimer ses gémissements pour ne pas laisser éclater sa honte. Tout à coup la porte s'ouvre. Quelqu'un s'avance. La Vallière reconnaît Madame Henriette, jadis sa maîtresse et sa rivale, Madame, qui a pu oublier, mais dont le regard féminin va droit à la patiente. « Ah ! Madame, j'ai la colique, je meurs ! » Et, Henriette passée : « Dépêchez-vous, s'écrie la malade, s'adressant à Boucher ; je veux être accouchée avant qu'elle revienne ! » Dans ses précédentes épreuves, elle avait pu garder son enfant au moins quelques heures près d'elle. Cette fois, à peine une petite fille était née, qu'on l'enlevait en étouffant ses cris. On dit, et, quoiqu'ils sortent de sources assez troublées, ces détails sont admissibles, que, l'enfant venu à bien, La Vallière, ne se sentant plus responsable que de sa seule vie, en fit un héroïque sacrifice à son respect pour la reine. Voulant cacher à sa souveraine l'offense qu'elle lui faisait dans son propre palais, Louise commanda de remplir sa chambre de plantes et de fleurs, sans se préoccuper de leurs odeurs meurtrières pour une femme en son état ; elle se para, reçut des visites, donna à jouer, et le soir fit médianoche. Ce second supplice, pire que le premier, dura douze heures.

Autre peine à dévorer en silence. Louis, qui précédemment s'était à ce moment d'épreuve tenu aussi près d'elle que possible, Louis n'était pas là. Parti le matin même pour Versailles, il visitait en revenant, rue Quincampoix, une manufacture de point de France[46], où il achetait de beaux cadeaux « pour les dames ».

 

 

 



[1] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 30. — Gazette de France, 1666, p. 515. La cour partit le 13 et revint le 18 mars. Notons à ce sujet une inexactitude de Mademoiselle de Montpensier, qui dit : « On fit en carême un voyage à Mouchi. » L'éditeur, M. Chéruel, citant Olivier d'Ormesson, indique le 14 mars. Voyez Journal, t. II, p. 451, éd. Chéruel.

[2] FLOQUET, Études sur la vie de Bossuet, t. II, p. 476. — BRUNETIÈRE, Sermons choisis de Bossuet, p. 230. — LEBARCQ, Histoire critique, p. 223.

[3] « Abbé, digne d'être prélat. » Continuateurs de la Muze historique de Loret, n° du 2 mai 1666, t. I, p. 836.

[4] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 133.

[5] Continuateurs de la Muze historique de Loret, 10 avril 1666, t. I, p. 806, lettre de Robinet.

[6] Mémoires du comte de Guiche, t. II, p. 26, éd. 1744.

[7] Lettre de Saint-Évremond à Mme de Mazarin, Œuvres de Saint-Évremond, t. II, p. 334, éd. de Londres, 1706.

[8] Mémoires du comte de Guiche, t. II, p 77, éd. 1744.

[9] LEMOINE, j. c., p. 32 et suiv.

[10] De La Vallière à Montespan, p. 77.

[11] De La Vallière à Montespan, p. 83.

[12] LE ROI, Histoire des rues de Versailles, p. 111, 2e éd.

[13] V. Procédure de séparation de corps entre M. et Mme de Montespan, dans l'ouvrage de P. CLÉMENT, Madame de Montespan, p. 369.

[14] LA FARE, Mémoires, p. 69.

[15] LA FARE, Mémoires, p. 70.

[16] V. le beau portrait gravé par Picard.

[17] Mémoire dicté par Lesage à Desgrez : Archives de la Bastille, t. VI, p. 120.

[18] Déclaration de la Voisin : Archives de la Bastille, t. VI, p. 5 et 6. M. d'Albret fut tué en août 1678.

[19] Déclaration de Lesage : Archives de la Bastille, t. VI, p. 32.

[20] Déclaration de la Voisin, 10 octobre 1679 : Archives de la Bastille, t. VI, p. 7. — Jacqueline de Beauvoir de Grimoard du Roure.

[21] Déclaration de Lesage, 28 octobre 1679 : Archives de la Bastille, t. VI, p. 31.

[22] Déclaration de Lesage, 28 octobre 1679 : Archives de la Bastille, t. VI, p. 31.

[23] Interrogatoire de la Voisin, 9 octobre 1679 : Archives de la Bastille, t. VI, p. 4.

[24] Archives de la Bastille, t. VI, p. 230.

[25] Archives de la Bastille, t. VI, p. 251.

[26] Confrontation de la Philibert avec la Bosse. Archives de la Bastille, t. V, p. 487, 488. V. aussi Archives de la Bastille, t. VI. p. 11, 56, 152.

[27] M. Ravaisson dit : né à Vernon, Normandie (Archives de la Bastille, t. IV, p. 11), puis à Gênons, près Caen (t. V, p. 285). Il faut lire : Venoix, commune du canton de Caen. Le nom de Cœuret est encore commun dans le pays. J'ai cherché à retrouver l'acte de baptême de Cœuret ; par malheur, les registres de la commune de Venoix ne remontent pas au-delà du dix-huitième siècle. Je dois ces renseignements à l'obligeance de mon excellent maître M. Charles Marie, ancien professeur au lycée de Caen.

[28] Interrogatoire de la Desmarets : Archives de la Bastille, t. V, p. 376.

[29] Que Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV, ait fait de Lesage un abbé, c'est une erreur de détail très pardonnable. On s'explique moins que M. Clément, qui a eu en main toutes les pièces de la procédure, parle de l'abbé Lesage, aumônier de la maison de Montmorency. V. Police sous Louis XIV, p., 180. Il a confondu Lesage avec Guibourg, et Montgomery avec Montmorency.

[30] Archives de la Bastille, t. VI, p. 232, 237, 336.

[31] L'Etat de la France pour 1665 mentionne un sieur Le Roy, gouverneur des pages de la Petite Ecurie. Il figure également sur l'Etat pour 1669, p. 148 : « En octobre, le sieur Le Roy, 75 l. de gages, et 50 l. de récompense. »

[32] Villebousin, hameau de la commune de Longpont, canton de Longjumeau (Seine-et-Oise). Le château appartenait au comte de Montgomery. — LEBEUF, Histoire du diocèse de Paris, t. X, p. 139. Notice sur la paroisse de Longpont. — PINARD, Histoire archéologique du canton de Longjumeau, p. 199. Il s'agit de François de Montgomery, arrière-petit-fils de Gabriel de Montgomery, décapité en 1574. Il avait épousé Marie-Louise de Brisson, dame de Villebousin, dont les ancêtres possédaient ce domaine depuis longtemps.

[33] Dreux d'Aubray et Antoine d'Aubray ont pris la qualité de seigneurs de Villiers. L'abbé Lebeuf écrit que Villiers a appartenu à la marquise de Brinvilliers. « On ajoute même que c'était là, qu'elle composait ses poisons. » Histoire du diocèse de Paris, t. X, p. 139. L'abbé Lebeuf était bien renseigné. V. la déposition de Mme Briancourt dans le procès de la Brinvilliers. « La dame lui fit entendre qu'elle avait une maison de campagne nommée Villiers, où elle allait fort souvent ; que la Chaussée était un homme expéditif qui devait être son jardinier à Villiers. » Archives de la Bastille, t. IV, p. 201.

[34] PINARD, Histoire du canton de Longjumeau, p. 200.

[35] Interrogatoire de Guibourg, du 26 juin 1680 : Archives de la Bastille, t. VI, p. 232. — Interrogatoire du 3 octobre : ibid., p. 328. — Interrogatoire du 10 octobre 1680 : ibid., p. 334 et 335. Nous n'avons que des résumés de ce dernier interrogatoire, qui fut mis de côté parce que Guibourg nommait Mme de Montespan.

[36] Archives de la Bastille, t. VI, p. 335.

[37] Archives de la Bastille, t. VI, p. 328.

[38] Le texte entier rapporté par La Reynie, qui fut très frappé de la mémoire de Guibourg, semble avoir été formé et augmenté à diverses reprises. En 1666, Mme de Montespan ne devait demander que la disgrâce de La Vallière. V. Archives de la Bastille, t. VI, p. 335.

[39] Guibourg a avoué le sacrifice de cinq enfants. Archives de la Bastille, t. VI, p. 433.

[40] Archives de la Bastille, t. VI, p. 336. Ces récits furent rapportés de mémoire par plusieurs accusés dont le souvenir mélangeait les temps, car la Montespan eut recours pendant plus de dix ans à ces abominables pratiques. La Reynie comprit bien que ces coquins et coquines ne pouvaient, séparés et isolés, reproduire ces invocations sans les avoir précédemment maintes fois répétées. LEMOINE et LICHTENBERGER, De La Vallière à Montespan, p. 185, relèvent comme ridicule la phraséologie de l'incantation ; mais il n'y a qu'à se reporter aux livres de sorcellerie. C'est bien le style propre à ce commerce et à sa clientèle.

[41] La Reynie, récapitulant toute l'instruction, dit : « Quant aux trois messes avec sacrifices, le temps n'en est pas bien marqué. Guibourg paraît l'ignorer ; mais par tout ce qui a pu être recueilli, par les circonstances, le temps de ces premières messes se peut rapporter, pour l'année de la sollicitation, en 1665, et 1666 pour l'exécution au Mesnil. » Archives de la Bastille, t. VI, p. 434. La Reynie ajoute : « Circonstances considérables, la longue sollicitation de Le Roy, gouverneur des pages de là Petite Écurie, et du gentilhomme de M. l'archevêque de Sens, par Mme de Montespan. - Enfin il conclut à la culpabilité de Mme de Montespan. Ibid., p. 436.

[42] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 33.

[43] D'ORMESSON, Journal, t. II, p. 460, à la date du 29 mai 1666.

[44] D'ORMESSON, Journal, t. II, p. 463 (29 juillet). MADEMOISELLE, Mémoires, t. IV, où l'on dit que l'enfant mourut de la frayeur qu'il ressentit d'un coup de tonnerre. Mademoiselle fait la réflexion assez niaise que cette peur ne convenait pas au fils d'un roi. Ormesson dit que Mlle de La Vallière avait déjà perdu un garçon et une fille. Colbert et Mademoiselle de Montpensier ont toujours parlé de deux garçons. La fille aurait dû naître vers la fin de 1665, et à ce moment Louise n'a cessé de paraître à la cour. C'est dans un libelle, composé avant 1666, qu'il est parlé d'une fille de La Vallière.

[45] La cour vint s'installer à Vincennes le 19 août 1666. Elle y resta jusqu'au 9 octobre. Gazette de France.

[46] Gazette de France, octobre 1666. — La petite fille née à Vincennes (2 octobre 1669) fut nommée Marie-Anne, puis Mlle de Blois.