HISTOIRE DU PARLEMENT DE NORMANDIE

DEPUIS SA TRANSLATION À CAEN, AU MOIS DE JUIN 1589, JUSQU'À SON RETOUR À ROUEN, EN AVRIL 1594

 

CHAPITRE HUITIÈME.

 

 

Caractère de la guerre civile en Normandie, à partir de 1592. — Surprise de Pont-Audemer par les Ligueurs. — Travaux de fortification à Caen. — Achat de canons en Angleterre pour le compte de la ville. — Caen menacé du passage d'un corps d'armée anglaise. — La peste sévit en Normandie. — Multiplicité des assassinats politiques et privés ; assassinat de François du Halot par le marquis d'Alègre. — Création d'une charge de grand-prévôt pour réprimer les brigandages. — Convocation des États-Généraux de la Ligue ; députés élus en Normandie ; arrêt du Parlement relatif à cette convocation. — Procès devant le Parlement entre les habitants et des marchands anglais. — Situation des esprits dans la ville ; querelle entre les habitants et la Cour des aides. Expédition du ligueur du Tourps dans le Val-de-Saire ; sa tentative sur Cherbourg. — Le duc de Montpensier vient à Caen ; incidents qui signalent sa réception ; il siège au Parlement ; discours de Groulart. — Le roi se décide à s'occuper de sa conversion ; Groulart est appelé à la Cour. — Il assiste à l'abjuration du roi ; détails qu'il rapporte dans ses Mémoires. — La nouvelle en arrive à Caen ; joie qu'elle y excite.

JUIN 1592 — JUILLET 1593.

 

Une sage transaction, avons-nous dit, apparaissait de plus en plus comme l'unique remède à la désolation des guerres civiles, et c'est vers ce but qu'allaient tendre désormais tous les efforts des hommes honnêtes et vraiment politiques. On était alors au mois de juin 1592, et plus d'une année encore s'écoula avant que les chefs des deux partis, continuant d'immoler à leur ambition personnelle le repos de la France, parlassent sérieusement de la paix. C'est une nécessité fatale pour l'intelligence humaine d'éprouver certaines idées au terrible creuset de la guerre ; mais, une fois l'épreuve faite et la vérité démontrée, on ne doit plus pardonner d'inutiles combats. Cette cruauté opiniâtre donne à la période qui va suivre un caractère affligeant et odieux. Il nous faudra, avant d'atteindre la paix, passer encore de longs mois entre le pillage aux champs et la peste dans les villes ; — partout le crime et la misère.

Pour la grande guerre, il y avait eu, après la levée du siège de Rouen, une trêve tacite et forcée ; mais les hostilités de ville à ville, de château à château, de compagnie d'arquebusiers à bande de soudards, continuaient sans relâche. La mêlée était si confuse qu'on n'y distinguait plus les royalistes des ligueurs, et, à vrai dire, les uns et les autres n'étaient guère que des brigands, comme autrefois les routiers et les tard-venus. Le désordre devint si épouvantable que le roi écrivit au Parlement de commander aux prétendues compagnies royales de se rendre à son armée, sinon qu'il leur fust courru sus, comme aux plus criminels ennemis de Sa Majesté, pour estre taillés et mis en pièces[1]. La trahison du gouverneur de Pont-Audemer, Haqueville, qui livra sa place à Villars (3 juillet 1592), raviva toutes les craintes de la Cour. Plus que jamais Groulart et La Vérune travaillèrent à mettre Caen en bon état de défense. On dressa des plans : un ingénieur royal fut appelé ; les travaux commencèrent[2] ; on travaillait surtout depuis la tour Chatimoine jusqu'à Vaucelles ; c'était la partie la plus faible de la ville. Jamais on n'avait déployé activité si grande. On sent que le Parlement était derrière les bourgeois et les pressait. Il leur fallut, bon gré, mal gré, fournir l'argent nécessaire, se mettre eux-mêmes à la besogne ou faire travailler par d'autres aux ouvrages de défense[3]. Qui s'y refusait était mis en prison et frappé d'une grosse amende. La règle était sévère et ne souffrait pas d'exceptions[4].

Les remparts construits, il fallut les armer. La ville avait déjà voté l'achat de dix-huit canons ; chaque corporation devait fournir le sien. Mais ces canons étaient encore plus difficiles à trouver que l'argent nécessaire à leur paiement.

Pour les acheter, deux échevins, munis de lettres du roi, partirent, vers la fin de juillet, pour l'Angleterre. Dès le 7 août, on eut de leurs nouvelles : reçus à Windsor, la reine les avait gracieusement accueillis ; seulement on ne paraissait pas disposé à leur vendre les canons. Pour triompher de cette résistance, ils priaient Groulart de les recommander à l'ambassadeur français, Beauvoir, et demandaient un cadeau pour appuyer la recommandation. Groulart écrivit la lettre, et les échevins l'envoyèrent au plus vite avec un service de linge de haute-lice qui devait aplanir toutes les difficultés. Les Anglais reçurent les présents, et n'en traitèrent pas moins leurs alliés de fort haut. Enfin ils vendirent quelques canons fort cher, en faisant encore payer double droit d'exportation. Les lettres des pauvres députés caennais sont toutes piteuses ; on les croirait perdus dans Londres. Il leur fallut y rester quatre longs mois, et c'est le 11 décembre seulement que les canons si désirés et payés si bon prix furent déposés à l'Hôtel-Dieu[5].

A ce moment même où les lettres des envoyés disposaient si mal les esprits à l'égard des Anglais, un bruit fut répandu que cinq mille hommes de leurs troupes allaient débarquer à Ouistreham et passer par Caen. Déjà Norry avait dû les annoncer à La Vérune[6]. Sans retard on fit appel à tous les protecteurs pour détourner ce fléau ; on écrivit à d'O, à Beuvron, à Norry, au duc de Montpensier, prince de Bombe, récemment nommé gouverneur de la province. S'ils passent, c'est la ruine de son gouvernement ; il n'y faudra plus chercher aides ni tailles ni quoi que ce soit. La protection la plus puis sante fut quatre cents écus qu'on donna aux Anglais pour obtenir qu'ils débarquassent ailleurs[7]. Au lieu de la Normandie, ils ravagèrent la Bretagne, et l'on peut voir, par les lamentables remontrances que firent au roi, en janvier 1593, les États de Bretagne, à quel fléau les échevins de Caen venaient de soustraire leur ville et la province, travaillées déjà par de trop lamentables misères[8].

Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, la peste ne cessa point de désoler l'Europe et, en particulier, la Normandie. En 1592, on la signale presque partout[9]. A Caen, on en remarqua d'abord plusieurs cas dans la conciergerie de la Cour, où les prisonniers étaient entassés avec le plus grand désordre. Bientôt la ville fut en proie au fléau. Le Parlement avait assemblé tous les médecins pour qu'ils conférassent sur les causes de l'épidémie et les moyens de la combattre. Mais ils déclaraient l'impuissance de leur art et faisaient leur testament[10]. Pendant plus d'une année, le fléau continua de sévir. Dans toutes les rues, dans le Vaugueux surtout, de nombreuses maisons étaient marquées d'une croix blanche, funèbre indice de la présence d'un pestiféré : on défendait aux malades de sortir de chez eux, sous peine de cinq cents écus d'amende. C'est alors, mais trop tard, que, reconnaissant la sagesse des réglementa proposés par la Cour, on ordonna de balayer, chacun devant sa maison. Cependant, lorsque le Parlement tenta d'établir un service de médecins, service trop nécessaire, les échevins refusèrent encore les fonds pour les payer. On ne s'entendait pas mieux sur le choix d'un asile où mettre les pestiférés ; on les relégua d'abord à Beaulieu, d'où l'on fit sortir les lépreux ; le local ne suffisant pas, on convoqua les habitants pour en choisir un autre. Ceux de Saint-Ouen et de Saint-Nicolas proposèrent l'Hôtel-Dieu ; ceux de Saint-Jean, la Maladrerie, c'est-à-dire qu'on se les renvoyait[11]. Chacun dut garder les siens et la contagion avec eux. Ce peu d'entente excitait au plus haut point l'indignation du Parlement, impuissant à vaincre le mauvais vouloir des uns et le funeste égoïsme de tous.

La guerre et la peste n'étaient pas les seuls fléaux qui désolassent la province. Elle était infestée de hordes de brigands qui tuaient pour voler, parfois même pour le seul plaisir de tuer ; tous ceux qu'on pouvait prendre étaient condamnés par la Cour et suppliciés sur la roue ; les supplices ne les effrayaient pas. D'autres hommes d'un rang plus élevé, d'un naturel non moins féroce, cachaient, sous un prétexte politique, des vengeances personnelles et les accomplissaient au grand jour, avec une impudente cruauté. Tel on vit le marquis d'Alègre. A une époque où les grands crimes n'étaient pas rares, celui qu'il commit frappa d'une sorte d'épouvante, par ses causes, par la &Ode barbarie de son exécution, par sa révoltante impunité.

François de Montmorency du Hallot, ardent royaliste, qui, depuis le commencement des troubles, n'avait cessé de rendre les plus grands services au roi, avait été nommé gouverneur de Gisors en remplacement du marquis d'Alègre, homme violent et sanguinaire, qui compromettait la cause royale par des rigueurs excessives. D'Alègre avait dû se retirer devant son successeur ; mais il avait fait serment de se venger, et par un sentiment propre aux esprits étroits et méchants, il fit porter sa vengeance sur l'infortuné du Hallot, qui n'avait en rien provoqué sa disgrâce. On entendit çà et là des gens de sa trempe dire, à la nouvelle de la mort de Larchant, capitaine des gardes de Henri IV, tué à Rouen : Larchant est tué, du Ballot sera bientôt de même. Ils connaissaient d'Alègre.

Les hommes disposés à faire un mauvais coup ne manquaient pas. D'Alègre en réunit plusieurs, se met à leur tête, marche sur Vernon où demeurait alors du Hallot. Il y arrive, y passe la nuit. Le lendemain matin, il appelle quatre gentilshommes de sa suite, leur demande, sans désigner personne, s'ils sont prêts à. jouer de l'épée. Sur la promesse de leur concours, il leur nomme la victime ; son nom ne les fait pas reculer.

Loin de là, ils préparent les armes, déjeunent tranquillement, puis montent à cheval pour se rendre au logis de du Hallot à qui d'Alègre demande à parler. Comme on ne lui connaissait pas de motifs de haine personnelle, rien n'éveillait les soupçons ; on prit même d'abord cette visite pour une marque d'honnêteté.

Appelé par un page, du Hallot descend de sa chambre : il avançait lentement, s'appuyant avec peine sur des béquilles, tout souffrant encore des blessures qu'il avait reçues au siège de Rouen. Il parvient enfin à la porte de sa maison, et, la main au chapeau, souhaite le bonjour au marquis. Mais celui-ci, sans se laisser émouvoir à cette noble confiance, saute à terre, et s'avançant vers sa victime : Il faut mourir ! s'écrie-t-il d'une voix farouche, et aussitôt il le frappe de plusieurs coups de poignard. Les sicaires de sa suite se ruent sur le malheureux et l'achèvent à coups d'épée, sans que deux de ses amis, saisis soudain et désarmés, puissent rien faire pour sa défense. Alors, leur forfait accompli, d'Alègre et les siens gagnent la porte de la ville, en lèvent la herse, s'échappent sans obstacle et, arrivés à la Roche-Guyon, s'y mettent joyeusement à dîner. Le soir, ils étaient en sûreté à Blainville[12].

La nouvelle de ce crime se répandit et souleva les populations dans toute la Normandie ; elle alla jusqu'à Paris, jusqu'en Angleterre[13]. De toutes parts s'élevèrent des cris de vengeance. Le 17 septembre, la veuve de la victime et deux de ses parents adressèrent une requête au Parlement pour qu'il fût informé de l'assassinat. Cette cruauté, l'affection qu'on portait à du Hallot avaient affecté tout particulièrement la Cour. Par ses recherches particulières, par celles des substituts du procureur du roi à Vernon, elle s'efforça de saisir le coupable[14]. Mais — et c'est là ce qui complète cette peinture des mœurs du temps —, malgré l'horreur excitée par son crime, malgré la réprobation dont auraient dû le frapper tous les partis, d'Alègre, en ceignant l'écharpe de la Ligue, sollicita, pour prix de cette nouvelle trahison, le privilége de Saint-Romain. II est triste de voir ce touchant droit de grâce appliqué à de tels scélérats. Le Parlement de Caen avait déjà défendu au chapitre de Notre-Dame de Rouen de délivrer aucun prisonnier ; on n'avait pas tenu compte de ses défenses. Cette fois, la Cour descendit aux représentations particulières, presqu'aux prières, pour empêcher un si grand scandale ; mais l'aveuglement des partis les empêche trop souvent de sentir combien certaines actions les déshonorent. Eu haine des royalistes, d'Alègre obtint le privilége et fut sauvé[15].

L'impunité lui fut acquise à la faveur des troubles politiques ; les autres, ceux dont les crimes trop -vulgaires n'excitaient pas l'attention, étaient à peine poursuivis. Les registres du Parlement nous révèlent ce fait presqu'incroyable, que les honnêtes gens ne craignaient guère moins les prévôts, vice-baillis, archers, chargés de les défendre, que les voleurs de grand chemin. Vers le mois d'avril 1592, le roi avait créé un grand-prévôt de Normandie avec deux lieutenants, deux exempts, cinquante archers, dont la mission spéciale était la poursuite de ces coupe-jarrets. Le Parlement, sana même donner de motifs, refusa d'enregistrer les lettres de création. Le roi insiste ; nouveau refus. Peut-être n'y faudrait-il voir qu'un acte de jalousie, contraire aux vrais intérêts du pays. Mais le procureur des États, représentant très-sincère de ces mêmes intérêts, ne s'opposa pas moins vivement que la Cour à la création de ce nouveau pouvoir : il déclara même qu'il était contraire au bien public, coûterait beaucoup et produirait peu de bien ; que déjà il y avait à Pont-de-l'Arche un vice-bail] i, qui ne servait qu'à fouler encore plus le pauvre peuple. Les avocats du nouveau grand-prévôt, de Suresne, faisaient valoir, de leur côté, le pressant besoin d'une force répressive. La Cour, dans son incertitude, renvoya les partis devant le Conseil du roi qui confirma l'institution dont les effets, malgré les craintes conçues d'abord, furent vraiment salutaires[16].

Nous touchons heureusement à la fin de ces misères. Depuis longtemps Mayenne avait convoqué les États-Généraux, appelés à résoudre une des plus grandes questions qui puissent signaler la vie politique d'une nation. Au mois d'octobre 1592, les élections de députés avaient eu lieu dans la province de Normandie, élections telles qu'on pouvait les faire au milieu des troubles, fort incomplètes. Néanmoins tous les bailliages étaient représentés : celui de Caen, par Adrien de Malfillâtre, curé de Baron ; celui de Cotentin, par l'évêque d'Avranches, Péricard. On remarque, parmi les autres députés, un avocat-général au Parlement ligueur et le grand-pénitencier Dadré[17]. Après leur avoir indiqué successivement plusieurs villes comme lieu de réunion, Mayenne les convoqua enfin à Paris pour le 17 janvier1593. Dans une déclaration, où il exposait en termes justes et modérés la situation de la France, tout en relevant avec force les dangers qu'apporterait l'élévation au trône d'un prince protestant[18], il insinuait qu'on ferait peu de difficultés à reconnaître le roi de Navarre converti. Mais Henri, loin de se montrer prêt aux concessions, répondit avec emportement et menaça des peines les plus sévères quiconque se rendrait à cette convocation. Il écrivit en ce sens à tous ses parlements, et celui de Châlons, toujours prompt à l'exagération, condamna d'avance la ville où se tiendraient ces États à être rasée jusqu'aux fondements. Moins violent dans ses menaces, le Parlement de Caen se contenta d'enregistrer la déclaration du roi, de l'imprimer, de la répandre dans la province en y joignant les contre-propositions que faisaient à Mayenne les seigneurs catholiques du parti de Henri IV. Il ajouta seulement qu'on informerait des personnes qui se rendraient aux États, ou entretiendraient des intelligences avec eux[19].

Les députés ligueurs ne s'en acheminèrent pas moins sur Paris, sans éclat, il est vrai, et en prenant des sentiers détournés ; ceux de Normandie, bien que Villars, qui était à leur tête, Mt suivi d'une bonne escorte, eurent soin de dérouter l'ennemi par plusieurs contremarches[20]. Arrivés à Paris, ils y trouvèrent un certain nombre de leurs collègues, venus des autres provinces, et la réunion offrit bientôt un aspect imposant. A mesure que l'époque fixée pour l'ouverture de l'assemblée approchait, les affaires de l'Union semblaient prendre un caractère plus sérieux et plus calme. Toutes les influences se courbaient devant une puissance nouvelle celle des États-Généraux, qui dominait, de toute la hauteur du droit et de la raison, les ambitions soulevées par l'espoir d'une couronne[21].

La vie politique ainsi concentrée tout entière à Paris, le Parlement de Caen n'avait plus à s'occuper que d'affaires de détail ; il eut à juger un procès entre les habitants de Caen et des marchands anglais[22]. Pour quelques services rendus par eux à Henri IV et qu'ils savaient bien se faire payer, ces Anglais croyaient avoir droit à tous les privilèges, exigeaient tout, ne concédaient rien, et, à la première opposition, se plaignaient au roi, qui n'osait leur donner tort. Ils faisaient alors à Caen un commerce considérable de draps et de cordonnerie. Vendant d'abord dans leurs navires, ils en étaient venus à tenir boutique ; et font de présent plus que les antres habitants. Non contents d'accaparer le commerce, ils se refusaient à payer aucun droit. Des marchands caennais, ruinés par cette concurrence, les attaquèrent devant le Parlement et les firent condamner. Mais le Conseil du roi évoqua l'affaire, leur donna gain de cause, en se plaignant encore de la ville qui montrait si peu de bienveillance aux alliés du roi[23].

Aussi l'humeur des bourgeois devenait chaque jour plus irritable. Si la paix devait leur rendre, comme à tous les Français, une vie plus calme et plus heureuse, ils prévoyaient, avec une sorte de jalousie, qu'ils ne retireraient pas particulièrement de grands avantages de leur fidélité. Sans cesse ils avaient des députés en Cour. Le roi leur faisait bon accueil, s'informait avec complaisance de leurs affaires, de la beauté de leur ville, parlait avec enthousiasme du dévouement de ses bons amis les Caennais et de son ardent désir de les voir ; mais, quand paraissaient les requêtes, il les renvoyait au Conseil, qui les renvoyait au roi, sans qu'ils obtinssent jamais rien[24]. Déjà on leur avait repris ou plutôt ils n'avaient jamais possédé cette foire de Guibray désiraient tant ravir à Falaise. Quant au maintien dans leur ville de la Cour de Parlement, de la Chambre des Comptes et de la Cour des Aides, en vain se passaient-ils de main en main les lettres de translation perpétuelle, ils n'osaient plus y croire[25]. Tout leur manquait à la fois. On leur avait accordé l'exemption de tailles pour les terres tenues à ferme ou labourées par eux. La Cour des Aides refusait de reconnaître l'exemption. Pour triompher d'elle, les bourgeois mirent tout en jeu : protections, prières, menaces. Une dame partait pour la Cour, munie d'un sauf-conduit ; on en profite et elle est chargée de porter au syndic un service de linge de table qu'il offrira au chancelier, quand il en sera temps. On charge un bourgeois, chez qui logeait le président de la Cour des Aides, de le rendre favorable en cette affaire. Rien n'y fait. On a recours alors à l'intimidation. Trois cents bourgeois s'attroupent devant le lieu des séances de la Cour des Aides, profèrent des plaintes, même des menaces. Le Parlement dut intervenir. La Cour des Aides ne céda pas.

En-dehors de ces détails de peu d'importance, on ne voit de sérieux qu'une tentative des Ligueurs sur Cherbourg, qui, par la singulière façon dont elle fut déjouée, mérite un instant d'attention.

Ce que de Vicques avait fait dans l'Avranchin, un autre ligueur, du Tourps l'imitait dans le Cotentin ; mais avec moins d'éclat, et presqu'autant comme pillard qu'en partisan politique. Dans le principe, beaucoup de grosses paroisses du Cotentin, les villes même de Valognes et de Coutances, s'étaient déclarées pour la Ligue. Mais Coutances revint bientôt au parti du roi, et le château de Valognes fut, dès 1592, rendu à Thorigny par son gouverneur qui, en récompense, conserva son commandement. Seul, du Tourps continuait sa petite guerre sans qu'on pût le réduire. Le Parlement l'avait maintes fois décrété de prise de corps ; plusieurs de ses compagnons, parmi lesquels le curé de Montebourg, furent pris, amenés à Caen et condamnés à mort ; leur chef restait insaisissable. Thorigny, Sainte-Marie d'Aigneaux, Canisy l'avaient tour à tour attaqué, battu, traqué de retraite en retraite : il échappait toujours pour reparaître ensuite, plus puissant et plus redoutable. C'est ainsi qu'en 1593, après tous ses revers, il conçut le plan audacieux de surprendre et d'enlever Cherbourg[26].

Cette ville était restée invariablement fidèle au roi, et l'on y avait transporté le bailliage et la recette des tailles établis à Valognes. Du Tourps s'assura d'abord des intelligences dans la place, dont un des conjurés promit de lui livrer les clefs. Il réunit ensuite cinq à six hommes de sa bande, hommes excellents pour un coup de main. Enfin, voyant tout préparé, il fixa le coup au jour des Rameaux, à l'heure où les habitants, empressés dans les églises, étaient le moins sur leurs gardes. La veille, lui et les siens marchant par petits groupes, s'approchent de Cherbourg où l'on était sans défiance. Mais, pendant la soirée du samedi, une vieille femme, qui ramassait des branches desséchées dans un bois des environs, entend deux hommes parler du complot. Ils l'aperçoivent et vont, en l'égorgeant, assurer leur secret. La vieille fait la sourde, trompe leur défiance, s'esquive. Tout émue, elle hâte sa marche vers la ville et y donne l'alarme. Aussitôt la garnison, les compagnies bourgeoises se mettent sur pied ; dès le point du jour, on fait une sortie contre les Ligueurs, qui, surpris à leur tour, sont battus et poursuivis jusqu'à Thiéville. Ce fut la dernière expédition de du Tourps ; il y perdit la vie. Après le combat, on fit le procès aux conjurés. Le Parlement, qui n'avait pas tardé à être instruit de l'affaire, hâta la lenteur des juges. Quatre des accusés furent condamnés à mort, et leurs têtes, avec celle de du Tourps, placées sur une des portes de Cherbourg, où on les voyait encore, à ce qu'il paraît, en 1689. En mémoire de cet événement, les habitants instituèrent une procession solennelle, la procession de la bonne femme, qu'on fit chaque année, la veille du dimanche des Rameaux, jusqu'à la Révolution[27].

Jeté dans une terreur excessive par cette échauffourée des Ligueurs du Cotentin, le Parlement appelait à grands cris le nouveau gouverneur, Henri de Montpensier, qui ne se pressait pas de venir. François de Montpensier était mort à Lisieux dans le courant du mois de juin 1592. Son fils, le prince de Dombes, lui succéda dans le gouvernement de Normandie, tout en gardant celui de Bretagne qu'il possédait déjà[28]. Il avait déclaré au Parlement son intention de marcher en bon accord avec lui. Enfin, vers le milieu de mai, il annonça son arrivée prochaine à Caen. Aussitôt on fit de grandes dispositions. Les échevins préparèrent leur présent ordinaire de linge de table[29] ; une maison fut choisie dans Vaucelles pour que les orateurs de l'Université haranguassent le duc plus à l'aise. La Cour des Aides, la Chambre des Comptes, le Parlement nommèrent leurs députations. On s'efforça de suivre en tous points le mode de réception usité jadis à Rouen. Mais le résultat ne répondit point à ces bonnes intentions, et rappela la malencontreuse procession de 1590.

La députation du Parlement, composée de deux présidents et de dix conseillers, vêtus de robes noires et montés sur des mulets, se rendit à la porte Millet et y attendit auprès de l'Hôtel-Dieu l'arrivée de Montpensier. A peine s'y étaient-ils arrêtés, qu'un membre de la Cour des Aides accourt, tout effaré, annoncer que les compagnies bourgeoises, alors sous les armes, avaient tiré sur lui et sur ses collègues force arquebusades, et prétendaient le faire par ordre du Parlement. On l'assure qu'il n'en est rien. Les bourgeois se vengeaient de la résistance de Messieurs des Aides à l'octroi de leurs privilèges, en effrayant leurs mulets.

Autre événement ! La députation de la Chambre des Comptes s'arrête auprès du cimetière de l'Hôtel-Dieu, en-dedans du mur de ville, privilége réservé au seul Parlement. On avertit les conseillers de ne point usurper ce droit ; ils répondent qu'ils n'ont rien à apprendre de la Cour, et sauront se ranger à leur devoir. Nouvel arrêt, nouvelle signification. Messieurs des Comptes refusent même de l'entendre. Cependant, sur le bruit de l'arrivée de Montpensier, ils franchissent la porte Millet, et vont au-devant de lui jusqu'à l'autre porte, du côté du faubourg[30]. Le duc faisait alors son entrée sous un poêle que lui avait offert la ville, et, après une harangue du président Le Jumel, le cortège, suivant la rue Saint-Jean, se rendit à l'église Saint-Pierre. Là, de nouvelles usurpations froissèrent encore la susceptibilité du Parlement. A la faveur du tumulte, les conseillers de la Chambre des Comptes s'étaient glissés parmi ceux de la Cour, et La Vérune avait audacieusement pris rang à côté du président Le Bretel[31] !

Le lendemain, le Parlement put observer dans sa rigueur l'étiquette des réceptions, quand Montpensier vint siéger au palais, où un dais de velours violet lui avait été préparé. En quelques paroles fort simples, il remercia la Cour de l'honneur qu'elle avait bien voulu lui faire. Mais Groulart, qui depuis longtemps n'avait eu si belle occasion, voulut prononcer un discours d'apparat, avec force figures et citations grecques ou latines. — On désespérait, Montpensier parait, l'espérance avec lui. Lorsque la mer est douce, le maître du navire peut abandonner le gouvernail au premier venu, lui cédant l'honneur de commander, conviant ainsi ses gens aux vertueux exploits ; mais quand viennent les tempêtes, les plus expérimentés ne sont pas trop bons pour la conduite. La Normandie a eu le père de Montpensier pour gouverneur ; cependant omnes Tytidem patre meliorem credunt. Il aura de grands devoirs à remplir ; mais magna curas magna merces. — Tout est dans ce goût. Qu'il y a loin de ces déclamations aux remontrances si fermes et si vivement senties, dans lesquelles Groulart avait exposé aux yeux effrayés de Henri HI les misères de sa province[32] !

Montpensier était venu avec des projets belliqueux, et demandait des fonds pour assiéger Honfleur, Pont-Audemer, Bernay. Les échevins de Caen avaient déjà promis cinq mille écus[33]. En même temps le gouverneur de Dieppe, de Chattes, venu en toute hâte prêter serment comme vice-amiral de Normandie, annonçait l'arrivée imminente des ennemis sous les murs de Saint-Valery-en-Caux. D'un autre côté, on avait arrêté à Argentan un homme venant de Bretagne et chargé de papiers destinés à Mayenne, qu'on exhortait à ne point traiter, surtout à ne point reconnaître un roi huguenot. Mais, malgré ces alarmes, malgré ces préparatifs de nouveaux combats, il était évident que la paix approchait. A Caen et dans toutes les villes de Normandie, des processions, au caractère à la fois politique et religieux, allaient d'église en église implorer son retour. Ce n'était plus seulement le tiers-parti, c'était la France entière dont la voix s'élevait, de plus en plus forte, pour réclamer l'exécution des promesses du roi. Henri avait déjà dû consentir à l'ouverture des conférences de Suresne, où les principaux chefs des deux partis cherchaient entre eux les bases d'un accord. Il fut grandement alarmé, quand il vit les États repousser, avec une indignation toute française, les propositions de l'Espagne, et agiter sérieusement l'élection d'une dynastie nouvelle. A part quelques villes, où l'exaltation religieuse avait égaré le patriotisme, presque toutes les autres demandaient, comme Rouen, l'élection d'un roi, prince français et catholique[34]. Si l'on s'accordait sur le choix d'un homme, la Ligue devenait invincible, et Henri perdait la moitié de son prestige. Ce nom de roi, qu'on respondoit au Qui-vive, sentoit quelque chose de plus impérieux que celui de l'Union, dit d'Aubigné[35]. Bientôt chaque parti aurait eu son roi. Henri se résigna donc à s'occuper sérieusement de sa conversion. Il appela près de lui les princes du sang, les grands seigneurs, tous les hauts fonctionnaires du royaume. C'est sur sa demande que Groulart se rendit à la Cour, vers le commencement de juillet.

Ces graves questions de tolérance, de séparation de l'Église et de l'État, étaient si peu mûres encore, même chez les esprits les plus avancés, que celui de Groulart était resté longtemps indécis. Nous l'avons vu tour-à-tour n'oser parler au roi de conversion, et accuser ceux qui le pressaient de s'instruire ; refuser avec obstination l'entrée de la Cour à un conseiller protestant, et s'emporter contre ces âmes foibles qui ne peuvent goûter l'obéissance qu'on doibt à son prince, de quelque religion qu'il fasse profession[36]. La nouvelle de l'abjuration prochaine du roi mit un terme à cette incertitude de sa pensée, et Groulart, tout heureux, se hâta de se fendre près de lui, pour assister à cet événement tant souhaité. Au camp, il trouva déjà réunis presque tous les premiers présidents des autres Cours, et parmi eux de Harlay qui lui fit de gracieux compliments. C'étaient deux âmes également dévouées, également intrépides et vraiment dignes de se comprendre. Groulart vit le roi, et assista plusieurs fois au Conseil.

Ainsi cette loi fondamentale de l'État, que, pour monter au trône, il fallait être mâle, capable de la couronne et habile au sacre[37], Henri était contraint de la reconnaître. Toutefois, il ne se dégageait qu'avec peine des liens qui l'avaient retenu trop longtemps. En mars 1593, il déclarait encore aux pasteurs protestants d'Angers, que, si on leur disoit qu'il se détraquoit de sa religion, qu'ils n'y creussent point, qu'il y mourroit[38], et il en coûtait à son orgueil de manquer à une parole trop légèrement engagée ; il en coûtait plus encore à son esprit, si fier, de paraître céder à l'insistance, presque aux menaces des catholiques de son parti, surtout ale puissance de la Ligue. A ces marques d'hésitation, tous ceux dont cette abjuration renversait les desseins ambitieux semaient des bruits d'hypocrisie et de duplicité, et il avait eu le tort, par des propos- échappés à sa vive nature ou aux ennuis de sa situation, de donner prise à ses ennemis.

Le 23 juillet, deux jours seulement avant qu'il abjurât dans le sein du Conseil où se trouvait Groulart, Henri, dans un dernier combat de sa fierté vaincue, se plaignit en termes fort vifs qu'il n'avoit tenu qu'à ses serviteurs que Paris ne fust réduict en grande nécessité, mais qu'ils se contentoient de faire des forts et y entretenir grandes garnisons, et, quelques deffenses qu'il y eust, permettoient soubs passeports de faire conduite de vivre à Paris et leur donnoient moyen de continuer leur rebellion. Puis, tirant Groulart de côté, il lui dit que c'était de M. d'O surtout qu'il entendait parler. Je n'eus garde de lui répondre sur cela, dit naïvement Groulart. D'O était un des seigneurs catholiques qui demandaient le plus vivement la conversion du roi, et c'était là sans doute son plus grand tort. Le matin de ce même jour, Henri avait écrit à Gabrielle : Ce sera dimanche que je feroy le saut perilleux ; et il s'était répandu en plaintes contre ceux qui le voulaient instruire. Par ces éclats de mécontentement, par ces paroles déplacées, il manquait à la décence, il se manquait à lui-même, et, quant à ces dehors de sa conduite, il ne faut point l'excuser[39].

On ne doit pas non plus la juger, quant au fond, avec la même rigueur. Henri, avec une humeur un peu fanfaronne, avait une âme honnête et c'est par là qu'il s'élève au-dessus de tous les princes de son temps. C'est là ce qui faisait dire à Groulart, qu'il n'avait jamais douté de sa conversion, pour avoir esté le roy recogneu toujours homme de parole, et pour estre si homme de bien que l'on esperoit que Dieu auroit particulièrement soing de lui[40]. Il sut enfin sacrifier son orgueil tout ensemble au bonheur de la France et à son propre intérêt ; le Ciel l'en a récompensé par sa protection, la France par son amour. Les esprits religieux aiment à voir dans la grâce divine la cause de cette transformation merveilleuse qui s'opéra dès lors en lui. Ce qui est certain, c'est que Henri, entré dans Saint-Denis avec une nature noble, mais trop impérieuse, des pensées honnêtes, mais incertaines, et flottant au vent des passions, sortit de la royale basilique, sinon parfait, du moins plus assuré dans ses principes, et que bientôt, de l'épanouissement de ses belles qualités, surgit un roi vraiment français, dont le cœur battit avec le cœur de son peuple, le plus habile à bien faire, le plus aimé, le plus populaire des Bourbons et le plus grand de sa propre grandeur. De quelle joie fut inondée l'âme fidèle de Groulart, quand il vit, au sortir de l'imposante cérémonie, un rayon céleste éclairer le front de Henri, et les Parisiens, oubliant leurs haines, accourir tout transportés sur son chemin. Dans le récit, qu'il en donna quelque temps après, en retentit encore un heureux écho[41].

Comme son premier président, le Parlement de Normandie tressaillit d'allégresse à cette bonne nouvelle. Elle parvint d'abord à La Vérune par un conseiller qui, revenant de l'abjuration du roi, avait trouvé sur sa route toutes les villes en réjouissance. Emporté par sa joie, le gouverneur voulait qu'on chantât le Te Deum sans plus attendre. Sur la prière de la Cour, on différa la cérémonie jusqu'au lendemain samedi 31 juillet. Ce jour-là, le Parlement voulut déployer une pompe depuis longtemps inusitée. Les robes d'écarlate reparurent au soleil : les présidents, quittant le deuil, reprirent les manteaux de velours, fourrés d'hermine, et les mortiers enrichis de drap d'or. Arrivée à Saint-Pierre, la Cour y trouva réunis, La Vérune, les échevins, le clergé des paroisses. La Cour des Aides prit place dans la chapelle Notre-Dame, le Parlement dans le chœur. La foule remplissait l'église, le carrefour, les rues voisines. L'office commença par le psaume 125, In convertendo ; puis, au son des orgues et en musique, furent chantés le Te Deum, le psaume 19, Exaudiat te Dominus, et autres prières pour rendre grâces à Dieu et requérir paix et repos en ce royaume. L'enthousiasme était si grand qu'il éclata dans un magnifique transport. Au moment où les chantres se préparaient à entonner le Vivat Rex, la foule pressée dans l'église les devança. A ces acclamations, ceux qui étaient dehors les imitèrent à leur tour, et bientôt la ville entière retentit, d'un bout à l'autre, d'un immense cri de Vive le Roi ! Les canons du château tonnaient incessamment, et portaient aux campagnes réjouies les échos de la fête.

Après l'office, on offrit, de la part de la ville, au président Le Jumel et à La Vérune, deux torches richement ornées de velours et destinées à allumer les feux de réjouissance. Les compagnies bourgeoises, rangées en armes dans le carrefour, en saluèrent les premières flammes par des décharges de mousqueterie. Pendant toute cette journée, la ville fut en fête : on multiplia les feux ; point de maison qui ne fût illuminée, de bon citoyen qui ne se sentît heureux. Le lendemain, les processions, les messes d'actions de grâces, les panégyriques recommencèrent avec grande dévotion et cérémonie. L'annonce d'une trêve vint mettre le comble à la joie publique en affermissant l'espoir d'une paix définitive ; et, dans les villes royalistes et dans celles de, tous les hommes sincères s'unirent en un même sentiment, présage de la concorde qui bientôt allait finir leurs longues divisions.

Arrêtons un instant notre pensée sur les sentiments que durent éprouver alors ces hommes courageux du Parlement. Le succès leur apportait une joie d'autant plus vive qu'ils l'avaient conquise, au prix d'un long combat, plus méritant que glorieux, et qui avait exigé encore plus de constance que de courage. Tous n'étaient pas de grands esprits sans doute ; mais, hommes honnêtes, guidés par un homme supérieur, fidèles à leur parti, même aux heures incertaines, ils avaient affermi le dévouement des royalistes, arrêté de nombreuses défections, soutenu le roi et préservé la France d'une affreuse anarchie. Parvenus au but de leurs efforts, ils pouvaient faire cette réflexion qu'un de leurs collègues, envisageant ces mêmes événements, exprima plus tard dans un mâle et fier langage : Notre monarchie peut dire avoir esté conservée singulièrement pendant les troubles et guerres civiles esmeu es en ce royaume... non-seulement par les armes victorieuses de notre brave et valeureuse noblesse, mais aussi par l'authorité, prudence et prévoyance des Parlements, fermes colonnes et arcs-boutants de cet Estat[42]. On retrouve surtout le caractère et comme le retentissement de leur allégresse dans le choix de ce psaume 125 qu'ils chantèrent en actions de grâces, ce jour mémorable du 30 juillet, quand ils étaient en grande pompe, avec tout l'éclat de leur majesté, réunis dans le chœur de l'église Saint-Pierre. Après avoir traversé tant d'épreuves, subi tant d'humiliations, triomphé de si grands obstacles, ils pouvaient, sans trop d'orgueil, chanter, avec le roi-prophète : Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans la joie. Ils marchaient et s'en allaient, pleurant et jetant la semence sur la terre, mais ils reviendront avec des transports de joie, en portant les gerbes de leur moisson. Eux aussi, malgré la misère des temps, malgré les douleurs et les humiliations, sans désespérer de l'avenir, ils avaient continué de jeter la semence de dévouement au roi et d'amour du pays ; et, en ce jour, ils allaient quitter la terre d'exil, et reprendre avec des transports de joie le chemin de leur palais, en portant, comme les gerbes de leur moisson, le triomphe de leur prince, le salut et la prospérité de la France.

 

 

 



[1] Reg. secr., 3 sept. 1592.

[2] Plan de la ville, dressé par Pierre Gondouin et payé 20 écus. Arch, de la ville, reg. 31, f° 5-6. — L'ingénieur royal était noble homme Guillaume du Couldray, sieur du Boys. Ibid., f° 15. — V. Reg. 31, f° 276, un plan de défense rédigé par La Vérune lui-même ; Reg. 31, f° 1, 2, 5, 6, 15, 140. Origines de Caen, ch. VII, p. 43. Manuscrit de M. Du Feugray. Bibl. de Caen.

[3] Arch. de la ville, reg. 31, f° 24. Dans ce même registre sont toutefois conservés deux petits billets très-curieux : l'un de Jacques de Cahaignes, demandant à un échevin qu'au lieu de son frère, on impose un autre bourgeois lequel a bon moyen d'avancer cette somme... d'autant que la requête ne me semble incivile, parce qu'il n'y va point du dommage de la ville, car la somme n'en sera diminuée, je n'ay faict difficulté de vous la faire. L'autre est un billet de La Vérune : M. de Maizet, le sieur de Busenval vous nommera un homme an lieu de Pelletier, son voysin ; je vous prye, mettez-le avant que je le signe ; car si j'ay une fois signé, je suy résolu de n'y toucher, quant ce seroit pour mon frère. La Vérune. Ibid., f° 84, 85.

[4] Le détail de cette délibération est consigné dans le registre 30, f° 49. Elle est du 20 mars 1591.

[5] Arch. de la ville, reg. 31, f° 38, 61, 62, 118, 151, 160. Leurs lettres sont de curieux spécimens de langue normande : Vous pouvoys pensser que toutes les meschancetés de ce qui peuvent nous faire icy, nous les font et ne savons d'où c'est que sella vient. — Quant pour le faict de nostre canon, etc.

[6] Arch. de la ville, reg. 31, f° 156.

[7] Arch. de la ville, reg. f° 156, 157, 168, 165, 172.

[8] Dom Taillandier, Histoire de Bretagne, Preuves, t. III, col. 1557.

[9] A Rouen, Reg. de l'hôtel-de-ville de Rouen, 28 janv. 1592 ; — à Coutances, Lecanu, Hist. des évêques de Coutances, p. 322 ; — au château d'Arques, Mém. de la Chambre des comptes, 1597, f° 49. Archives de la Seine-Inférieure.

[10] Notons cependant un ouvrage de Jacques de Cahaignes : De popularis dysenterice natura, causis et curatione, Cadomi, 1592, in-8°. Nous voyons encore dans le Matrologium Medicinæ Facultatis Cadomensis, les professeurs de la Faculté visitant les officines des marchands anglais et flamands qui avaient apporté à Caen Simplicia laxativa. F° 125 v°. Bibl. de Caen. Dans ce même manuscrit se trouve mentionné le testament du médecin de Cahaignes.

[11] Arch. de la ville, reg. 34, f° 111, 112, 118 129. Reg. secr., 9 sept., 8 octob. 1593.

[12] Reg. secr., 26 sept. 1592. Floquet, Histoire du Privilége de Saint-Romain, I, 370.

[13] Mémoires de L'Estoile, II, p. 275. Lettre des envoyés caennais, datée de Londres, 22 sept. Reg. 34, f° 116.

[14] Reg. secr., 17, 16 sept. 1592.

[15] Floquet, Histoire du Privilége de Saint-Romain, I, 392.

[16] Reg. secr., 13 oct. 1592, 7 avril 1593. Il serait curieux d'étudier plus en détail le caractère et les attributions de ce procureur des États. En 1502,1e gouverneur d'Alençon établit, de son chef, un impôt d'une livre par pipe de vin ou de cidre, pour en employer le produit à fortifier la ville. Le procureur des États s'y opposa devant la Cour des aides (Arch. de la ville de Caen, reg. 3, f° 8). La même année, le procureur apprend qu'une augmentation de vingt sols par minot de sel allait être établie, et que des lettres à cet effet étaient présentées au bureau des trésoriers généraux. Il y forme opposition, au nom des trois Étais de la province (Ibid., f° 64). C'était une sorte de représentant permanent des États avec le droit de veto. M. Du Feugray, dans un manuscrit déjà cité, a très-judicieusement indiqué le caractère de ce personnage.

[17] V. la liste complète dans les Procès-verbaux des États-Généraux de 1593, publiés par M. Bernard dans la Collection des documents inédits, p. 1-13.

[18] Les exemples voisins, la raison, et ce que nous expérimentons tous les jours, nous devroient faire sages, et apprendre que les sujets suivent volontiers la vie, les mœurs et la religion même de leurs rois, pour avoir part à leurs bonnes grâces, honneurs et bienfaits, qu'eux seuls peuvent distribuer à qui il leur plaist ; et qu'après en avoir corrompu les uns par faveur, ils ont toujours le moyeu de contraindre les autres, avec leur autorité et pouvoir... Déclaration de M. le duc de Mayenne, décembre 1592.

[19] Proposition des princes, prélats, officiers, etc. — Caen, chez Jacques Lebas, imprimeur du Roy, 1593. Declarations du Roy contre la convocation faicte en la ville de Paris par le duc de Mayenne leues, publiees et rçgistrees, oy et requerant le procureur general du Roy, suivant l'arrest de la Court de ce jourd'hui et ordonné que les vidimus d'icelle seront envoyez par les bailliages de ce ressort... à Caen, en Parlement le 28e jour de février, 1593. Signé : de Boislévêque.

[20] Documents inédits. Procès-verbaux des États-Généraux de 1593, préface, p. 5. Mémoires de L'Estoile, t. II, p. 342.

[21] États-Généraux de 1593, préf., p. 48. M. Bernard est plus juste envers ces États que M. A. Thierry, qui semble être encore sous l'impression des railleries de la Satire Ménippée. Histoire du Tiers-État, I, 179.

[22] Reg. secr., 3, 10 mars, 14 avril 1593.

[23] Reg. secr., 14 avril 1593. Arch. de l'hôtel-de-ville de Caen, reg. 29, f° 84, 163 ; — reg. 31,, f° 95, ibid., lettre de Lesage, 15 déc. 1593 ; — reg, 32, f° 118.

[24] Lettre du procureur-syndic Lesage, 23 déc. 1592. Arch. de l'hôtel-de-ville de Caen, reg. 34, f° 170, 176.

[25] On a conservé un petit billet autographe, par lequel M. de Bras prie un échevin de lui prêter ces lettres-patentes. L'écriture est tremblée, incorrecte, comme celle d'un vieillard.

[26] Demons, Hist. civ. et rel. de Cherbourg. — Masseville, t. V, p. 804. — Delalande, Hist. des guerres de relig. dans la Manche, p. 175. Reg. secr. du Parlem., passim.

[27] Demons, Hist. civ. et relig. de Cherbourg. Les renseignements locaux sont très-confus. M. Delalande, Hist. des guerres relig., etc. p. 304, prétend les éclaircir par une longue dissertation, et rapporte cette surprise de Cherbourg à l'année 1591. Mais les registres du Parlement ne permettent pas de les placer dans une autre année qu'en 1593. La date du 4 avril est inexacte. De 1590 à 1593, le jour des Rameaux n'est point tombé le 4 avril. — V. Reg. secr. du Parlement, 17 avril 1593.

[28] Masseville, t. V, p. 316. Dom Taillandier, Hist. de Bretagne. Preuves, t. III. Col. 1557.

[29] Arch. de l'Hôtel-de-Ville, reg. 32, f° 84.

[30] Consulter, pour l'intelligence de ces détails, le plan de Caen par Belleforest, légende D, 11, 17, 31.

[31] Reg. secr., 13 mai 1593.

[32] Reg. secr., 17 mai 1593.

[33] Reg. secr., 17 mai 1593. — Arch. de l'Hôtel-de-Ville, reg. 32, f° 87.

[34] Reg. de l'hôtel-de-ville de Rouen, 9 janv. 1593. Reg. XX, f° 73, 74. Les Ligueurs n'abdiquaient pas leur caractère normand, et réclamaient la conservation de leur charte. V. art. VII.

[35] D'Aubigné, t. II, p. 285, édit. 1820. — Lettre du roi d'Espagne à son envoyé. Bibl. imp., collect. Fontan., ms. 400.

[36] Ce conseiller était Jacques Moynet, il ne fut reçu qu'en 1597. Pasquier était dans les mêmes idées que Groulart. Aussi me délibéré-je de vivre et mourir sous celui qui nous gouvernera désormais, sans entrer dans aucun examen de sa conscience ; car tel que Dieu nous l'a donné, il nous faut le prendre. Lettres, liv. XIV, lettre II.

[37] Dialogue du Maheutre, append. à la Satire Ménippée, III, 380, id. 1726.

[38] David de Lignes, contemporain, cité par Mourin. La Réforme et la Ligue en Anjou, p. 296.

[39] Jung, Henri IV, considéré comme écrivain, thèse soutenue à la faculté des lettres de Paris. Lettres missives de Henri IV, III, 821.

[40] Mémoires de Groulart, ch. IV.

[41] Mémoires de Groulart, ch. IV.

[42] La Roche-Flavyn, Les XIII Parlements de France, p. 2.