LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

PREMIÈRE PARTIE. — MŒURS ET USAGES

 

CONDITION DES PERSONNES ET DES TERRES.

 

 

Le Moyen Age est le produit de la civilisation païenne, de la barbarie germanique et du christianisme. Il commence en 476, à la déposition d'Augustule, et finit en 1453, à la prise de Constantinople.

La chute de deux empires, celui d'Occident et celui d'Orient, marque ainsi les termes de sa durée, qui remplit environ dix siècles. Son premier acte est dû aux Germains ; ce fut la destruction de l'unité politique, que remplaça ensuite l'unité religieuse. Alors on vit naître sur les ruines du pouvoir central une multitude de forces éparses et désordonnées. Le joug de la domination impériale fut brisé par les barbares ; mais, loin de s'élever à la liberté, le peuple descendit à tous les degrés de la servitude ; au lieu d'un despote, il eut des milliers de tyrans, et ce fut avec une peine et une lenteur extrêmes, qu'il se dégagea des entraves de la féodalité.

Lorsque l'empire d'Occident fut dissous, les pays qui l'avaient composé furent occupés par des populations, différant d'origine, de mœurs et de langage, et sorties d'un grand nombre de nations rivales ou ennemies. Rien de plus divers ni de plus discordant, que les intérêts, les institutions, les états de la société livrée aux Germains. Il y avait d'abord des peuples conquérants et des peuples conquis, savoir : des Goths, des Bourguignons, des Vandales, des Allemands, des Francs, des Saxons, des Lombards ; et, d'autre part, des Romains ou des peuples devenus romains par un long asservissement à la domination romaine. Il y avait ensuite, chez tous, des hommes libres, des affranchis, des colons et des serfs ; il y avait plusieurs degrés dans la liberté, et plusieurs degrés dans la servitude. De même à l'égard du sol : il y avait des terres franches et des terres tributaires, des terres seigneuriales et des terres serviles. Selon leur condition, elles constituaient des aleus, des bénéfices ou fiefs, et des tenures. De plus, elles avaient chacune des coutumes et des usages particuliers, suivant les maîtres et les pays.

Il y avait donc partout diversité et inégalité ; et comme nulle part rien n'était réglé, ni limité, ni définitif, il y avait lutte et guerre partout. Enfin, et c'est ce qui rendait la situation plus déplorable, tout était corrompu et usé ; il ne paraissait plus un seul principe de vie, d'ordre et de durée ; on ne rencontrait que des éléments de barbarie et de destruction. Les peuples que la Germanie vomit sur la Gaule ne sont plus les peuples décrits par Tacite ; leurs vertus, s'ils en eurent, ils les ont laissées de l'autre côté du Rhin. Les Romains qu'ils ont assujettis sont des peuples dégénérés ; et de cette merveilleuse civilisation enfantée par Athènes et par Rome, il ne subsistait plus que des mœurs dissolues et des institutions énervées.

Ainsi, de part et d'autre, chez les vainqueurs et chez les vaincus, c'était la décadence et la désorganisation. Il ne restait, aux uns, que les instincts grossiers et malfaisants des peuples barbares ; aux autres, que la corruption des peuples civilisés : c'était ce qui valait le moins dans la barbarie comme dans la civilisation ; c'est pourquoi, lorsqu'ils furent réunis, ils n'eurent guère à mettre en commun, pour fonder une société nouvelle, que des ruines et des vices. Mais, il faut le dire, la part apportée par les conquérants était de beaucoup la plus mauvaise des deux. L'esprit d'indépendance qui les animait n'était qu'un penchant irrésistible à se livrer à des passions farouches et à des appétits brutaux. La liberté qu'ils connaissaient, la liberté qui leur était chère et pour laquelle ils bravaient les dangers, était celle de faire le mal ; car, lorsqu'ils affrontaient la mort, c'était moins par le mépris de la vie et l'amour de l'indépendance, que par la soif du butin. L'esprit de liberté individuelle, dont il leur est fait honneur et qu'ils auraient inoculé à l'Europe, est peu d'accord avec ce que nous connaissons de leur caractère national, et ne paraît pas avoir été plus vif dans leur cœur que dans le cœur des peuples auxquels ils l'auraient, dit-on, communiqué. N'était-il pas, en effet, de droit public, dans les forêts de la Germanie, que l'homme se mît au service de l'homme ? Où donc chercher ailleurs que dans ces forêts la patrie du vasselage ? Et lorsque les Germains fondèrent des États dans l'empire d'Occident, au lieu de placer les personnes les unes à côté des autres sur le même niveau, ne les ont-ils pas échelonnées les unes au-dessous des autres depuis le sommet jusqu'à la base de leur édifice social ? C'est l'esprit de servilité, qui domine dans leurs mœurs : dépendre d'un maître ou d'un seigneur est leur premier besoin, et la devise fondamentale de la féodalité.

La domesticité était, en effet, honorée dans tous les manoirs féodaux, aussi bien que dans le palais du souverain. Le vassal qui se faisait servir à table par son valet, servait aussi comme valet à la table de son seigneur ; les seigneurs faisaient de même entre eux, en remontant de l'inférieur au supérieur jusqu'au suzerain ; et tous ces services, véritablement corporels, étaient moins considérés comme des devoirs onéreux, que comme des droits et des honneurs. Naguère encore, parmi les grandes dignités du royaume, ne voit-on pas figurer les charges de maître d'hôtel, de chambellan, d'échanson, de connétable du roi ? De tels usages, dont l'origine est essentiellement germanique, suffiraient pour prouver combien les Germains avaient peu le sentiment de la dignité et de l'indépendance personnelles. Enfin, nous savons que la liberté, loin d'être dans leur pensée le premier des biens, était sacrifiée par eux à leurs passions, et qu'ils la risquaient volontiers au jeu, dans l'espoir de gagner quelque chose qui, sans doute, leur paraissait préférable.

Lorsque les Francs se furent emparés de la Gaule, leurs institutions et leurs coutumes firent nécessairement invasion dans la société romaine ; mais on serait fort en peine d'indiquer ce qu'elles ont produit de bon, tandis que le mal qu'elles ont fait aux peuples, aux gouvernements, comme aux lettres et aux sciences, est incalculable et frappe tous les yeux. C'est non-seulement sans le secours du germanisme, mais encore malgré lui, que la civilisation est sortie de ses ruines ; car, si nous observions avec attention la marche qu'elle a suivie, nous reconnaîtrions qu'elle ne s'est avancée, qu'au fur et à mesure que l'esprit tudesque s'est retiré du monde. Tant que cet esprit domina, il n'y eut pas plus de liberté individuelle que de liberté publique. On ne connut pas même de loi générale ni d'intérêt commun. La patrie se réduisait à la famille, et la nation, à la tribu.

Il était impossible aux peuples germains de concevoir des idées plus grandes et de former des associations plus étendues. Aussi, dans tous les pays qu'ils occupèrent, ils se réunirent en petites sociétés, proportionnées à leurs institutions sans grandeur. La Gaule, en particulier, se trouva bientôt morcelée en seigneuries presque indépendantes, et fut assez semblable à nos possessions d'Afrique, où vivent une foule de peuplades sous des chefs différents, sans parvenir jamais à constituer un peuple.

L'absence de protection générale et de pouvoir public contraignit chacun à chercher la sûreté de sa personne et de ses biens dans l'organisation des forces privées. Ces forces, en s'unissant, lâchèrent de se balancer. De là sortirent les commendises, puis les gildes, puis les communes ; de là, pour le faible, la nécessité de se mettre sous la protection et dans la dépendance du fort, ou de former, avec ses parents et ses égaux, des ligues capables de se défendre et de se faire justice elles-mêmes.

D'abord, tous les membres d'une même famille se protégeaient entre eux, et si quelqu'un souffrait d'une violence, il n'avait d'autre moyen que de s'adresser à ses parents pour en obtenir la réparation. C'était alors une question à vider entre deux familles, savoir, entre celle de l'offenseur et celle de l'offensé. Personne autre n'avait à s'occuper du débat, et nul pouvoir ne se mettait en peine de l'apaiser. Mais si les parties s'étaient recommandées à des hommes puissants, ceux-ci prenaient fait et cause pour elles, et la querelle grandissant pouvait allumer la guerre entre deux seigneuries. Enfin, celui qui s'était placé sous la protection du roi, recevait assistance de l'autorité royale ; autrement, le roi n'intervenait que dans les cas où la sûreté de sa personne et la paix de son royaume étaient directement menacées.

Les délits et les peines étaient d'ailleurs rachetables à prix d'argent, et le fils, par exemple, au lieu de venger la mort de son père sur la personne de l'assassin, recevait de celui-ci une certaine somme en indemnité, et la justice était satisfaite.

Le tarif des compositions à payer pour chaque offense, avait été réglé par l'usage, et faisait le fond, chez la principale tribu des Francs, de ce code barbare qu'on appelle la loi salique. Mais, pendant longtemps, nul ne fut contraint de s'y soumettre, qu'après l'avoir préalablement accepté, en renonçant à tirer de ses propres mains la satisfaction qui lui était due.

Observons encore, à ce sujet, que le principe d'égalité était si antipathique aux peuples germains, et surtout aux Saliens, que chez eux non-seulement les hommes avaient des droits différents dans l'ordre politique et dans l'ordre civil, mais que de plus la justice n'était pas la même pour tous. Plus on était puissant, plus on était protégé par la loi ; au contraire, plus on était faible, moins on était défendu par elle. Ainsi, pour ne parler que des hommes libres, la vie d'un Franc avait en droit deux fois plus de valeur que celle d'un Romain ; et la vie d'un antrustion ou client du roi en avait trois fois plus que celle de l'homme qui ne jouissait pas de la mainbourg royale. Au reste, la composition pour le meurtre d'un simple Franc s'élevait à deux cents sous d'or, somme qui représente environ 18.000 francs de notre monnaie. D'un autre côté, le châtiment était d'autant plus prompt et plus rigoureux, que le coupable était d'un rang moins élevé. Dans le cas de vol, par exemple, si le voleur était une personne considérable, il devait être traduit au tribunal du roi ; que s'il s'agissait, au contraire, d'un pauvre homme, le juge ordinaire étant suffisant, il le faisait pendre sur-le-champ.

Telles étaient l'égalité et la justice chez les peuples germains. Et comme leurs autres institutions n'avaient pas plus de grandeur et de libéralité, il nous est impossible d'apercevoir en eux les régénérateurs de l'ordre social. Il est même très-vraisemblable que si l'Europe n'avait pas eu d'autres instituteurs, elle serait encore aujourd'hui plongée dans la plus profonde barbarie. Les deux sources uniques de la civilisation moderne sont incontestablement l'antiquité classique et l'Évangile.

Après la chute des rois Mérovingiens, il y eut un progrès immense dans l'état politique et social des peuples sur lesquels ils avaient dominé. N'ayant pas su leur donner un gouvernement, ils les avaient dévoués à l'anarchie. Il est vrai qu'ils érigèrent plusieurs royaumes plus ou moins durables, mais ils furent tous incapables de constituer la royauté. Leur autorité d'ailleurs fut plus personnelle que territoriale, car ils commandèrent moins à des provinces qu'à des hommes. C'est donc avec raison qu'ils ont pris le titre de roi des Francs, et non celui de roi de France.

Ils avaient enlevé la Gaule aux Romains, pour la livrer au pillage des chefs de bandes armées. Il fallait maintenant la reprendre à ceux-ci et les forcer eux-mêmes à l'obéissance. Par la première conquête, le pays presque entier avait été réduit au pouvoir d'un seul peuple ; par la seconde, le pouvoir fut réduit dans les mains d'un seul homme : d'abord fut fondé le royaume, ensuite l'autorité du roi.

Charlemagne imposa sa volonté à tout le monde ; il domina, mais il protégea ; il sut s'emparer des passions et des ambitions personnelles ; il sut réunir, diriger et maîtriser les forces opposées, bâtir des villes et reconstruire un nouveau monde avec tous les instruments de la destruction. On le vit assigner à chacun sa place, créer à tous une communauté d'intérêts, faire d'une foule de petits peuples une grande et puissante nation ; enfin, rallumer au foyer de la barbarie le flambeau de la civilisation antique.

Lorsqu'il descendit au tombeau, après quarante-cinq ans du règne le plus glorieux, il légua tranquillement à son fils un empire immense dans une paix profonde.

Malheureusement, ce fils indigne renversa de fond en comble, par son incapacité et son manque de foi, l'édifice majestueux élevé par son père, et la société fut jetée de nouveau dans la confusion. Les grands se désunirent et se firent la guerre ; le pays fut morcelé, et l'autorité souveraine une seconde fois déchue. Mais la puissance, en se divisant, au lieu de redevenir personnelle comme elle avait été sous les Mérovingiens, fut locale et s'immobilisa. Au milieu de cette révolution, les vassaux s'approprièrent leurs bénéfices, et les serfs leurs tenures ; l'usurpation des grands ayant été imitée par les petits, l'appropriation fut générale, et se fit en bas aussi bien qu'en haut. La propriété, ainsi fixée dans les mains des seigneurs et des tenanciers, rendit territorial ce qui n'était qu'individuel auparavant, et détruisit, pour ainsi dire, la personnalité.

Les anciennes lois des peuples, qui toutes étaient personnelles, tombèrent en désuétude ; les races qu'elles représentaient se mélangèrent et se confondirent ; et en même temps disparurent les distinctions jadis observées entre les hommes de condition servile. Comme il n'y eut plus de Saliens, de Ripuaires ni de Visigots parmi les hommes libres, il n'y eut plus également de colons, de lides ni d'esclaves parmi les hommes privés de la liberté. Les limites des conditions furent effacées avec celles des lois, et la féodalité ramena sur plusieurs points l'uniformité.

Le système mobile des obligations personnelles, qui convenait à des aventuriers, était, en effet, devenu insuffisant et impropre à des hommes, pour ainsi dire, fixés au sol. Le seigneur ne devait plus demander son salut ni sa force à la bande ; il fallait qu'il les demandât au territoire ; il ne s'agissait plus pour lui de fortifier sa personne, mais sa demeure. Les châteaux allaient succéder aux associations. Ce fut le temps où chacun, afin de pourvoir à sa sûreté, se cantonna et se retrancha du mieux qu'il put. Les lieux escarpés ou inaccessibles furent occupés et habités ; les hauteurs se couronnèrent de tours et de forts ; les murs des habitations furent garnis de tourelles, hérissés de créneaux, percés de meurtrières. On creusa des fossés, on suspendit des ponts-levis ; les rivières et les défilés furent gardés et défendus ; les chemins barrés, les communications interceptées. Bientôt les lieux d'abri devinrent des lieux d'offense. Aposté chez soi comme un oiseau de proie dans son aire, on fondait sur la campagne d'alentour ; on attaquait non-seulement son ennemi, mais encore son voisin, le voyageur ou le passant. A la fin du dixième siècle, chacun avait pris définitivement sa place et son poste. La France était couverte de forteresses et de repaires seigneuriaux ; partout la société faisait le guet, et se tenait, pour ainsi dire, en embuscade : c'était le règne de la féodalité.

La royauté se trouvait retombée au même degré d'abaissement et de faiblesse vers la fin de la seconde race, que vers la fin de la première ; mais cette fois, elle devait avoir beaucoup plus de peine à se relever. Il ne s'agissait plus, en effet, pour elle, de terrasser des chefs de partis ni des associations armées, mais il lui fallait s'avancer pied à pied sur un sol hérissé d'obstacles et reprendre un pays retranché de tous les côtés. Aussi, les Capétiens furent-ils obligés, pour s'étendre, d'attaquer l'un après l'autre tous les châteaux-forts qui les comprimaient, et de mettre, pour ainsi dire, le siège devant chaque province. Les Carlovingiens furent à peu près maîtres de la Gaule dès leur premier règne, tandis que les descendants de Hugues Capet, par les obstacles que leur opposa la puissance territoriale, ne possédèrent la France, qu'au prix des plus grands efforts, après bien des siècles de négociations et de combats.

Les communes, les bourgeoisies et les États-généraux contribuèrent puissamment à la restauration du pouvoir royal, aussi bien qu'à la formation de la nationalité française.

Mais le plus grand bienfaiteur du Moyen Age est le christianisme, et ce qui frappe le plus dans les révolutions de ces temps demi-barbares, c'est l'action de la religion et de l'Église. Le dogme d'une origine et d'une destinée communes à tous les mortels, proclamé par la voix puissante des évêques et des prédicateurs, fut un appel continuel à l'émancipation des peuples. Il rapprocha toutes les conditions, et ouvrit la voie à la civilisation moderne. Quoiqu'ils ne cessassent pas de s'opprimer les uns les autres, les hommes se regardèrent comme les membres d'une même famille, et furent conduits par l'égalité religieuse à l'égalité civile et politique ; de frères qu'ils étaient devant Dieu, ils devinrent égaux devant la loi, et de chrétiens, citoyens.

Cette transformation de la société s'opéra graduellement, lentement, comme une chose nécessaire, infaillible, par l'affranchissement continu et simultané des personnes et des terres. Tant que la propriété fut incertaine ou imparfaite, la liberté personnelle le fut pareillement. Mais aussitôt que la terre se fut fixée dans les mains qui la cultivaient, la liberté civile s'enracinant dans la propriété, la condition de l'homme s'améliora, la société s'affermit, et la civilisation prit son essor. L'esclave, que le paganisme, en se retirant, remit aux mains de la religion chrétienne, passe d'abord de la servitude au servage ; puis, il s'élève du servage à la main-morte et de la main-morte à la liberté. Dans l'origine, il ne possède que sa vie, et encore d'une manière précaire ; c'est moins le pouvoir public que l'intérêt privé, moins la loi que la charité ou la pitié, qui la lui garantissent : garantie insuffisante, bien faible pour des siècles aussi cruels ! Puis, l'esclave devient colon ou fermier ; il cultive, il travaille pour son compte, moyennant des redevances et des services déterminés ; au demeurant, il pourra, en cédant une partie de ses revenus, de son temps et de ses forces, jouir du reste à sa guise, et nourrir sa famille avec une certaine sécurité, autant qu'on en peut trouver dans les temps de troubles et de guerres ; mais enfin son champ ne lui sera pas enlevé, ou plutôt il ne sera plus enlevé à son champ, auquel lui et ses descendants appartiendront à perpétuité. Ensuite le fermier se change en propriétaire ; ce qu'il possède est à lui ; à l'exception de quelques charges qu'il supporte encore, et qui deviendront de plus en plus légères, il use et jouit en maître, achetant, vendant comme il lui plaît, et allant où il veut. Entré dans la commune, il est bientôt admis dans l'assemblée de la province, et de là aux États du royaume il n'y a qu'un pas. Telle est donc la destinée du peuple dans la société moderne : il commence par la servitude et finit par la souveraineté.

Nous allons maintenant passer en revue les différentes conditions de personnes pendant le Moyen Age : nous commencerons par le haut de la société.

Le roi tenait ses droits de sa naissance et non de l'élection. Son autorité était absolue, c'est-à-dire qu'elle n'avait d'autre limite que sa force ; et celle-ci, il la tirait de son génie, de ses richesses, du nombre et du dévouement de ses vassaux. Son gouvernement ressembla longtemps au commandement d'un général d'armée. Les pouvoirs étant tous réunis dans les mains de ses officiers, comme dans les siennes, le même homme était à la fois chargé de gouverner une province, d'administrer la justice et les finances, et de conduire les hommes de guerre. Il n'y avait pas de ministres spéciaux pour les différents genres d'affaires du royaume. Quand le roi ne gouvernait pas par lui-même, celui ou ceux qu'il mettait à sa place décidaient sur toutes les questions. Un seul magistrat joue un rôle officiel dans les ordonnances royales ; c'est celui qui, sous le nom de référendaire ou de chancelier, devait les vérifier, y mettre le sceau et les expédier.

Le roi avait néanmoins des officiers particuliers pour le service de sa maison ou de sa personne. Ainsi, par exemple, un comte du palais était attaché à sa cour, et avait pour attributions principales la conduite des procès portés au tribunal du souverain. Durant la première race, un autre officier, nommé maire du palais, s'était élevé de l'administration des biens et revenus royaux à l'exercice de la suprême puissance. L'archichapelain présidait à la chapelle et réglait en outre les affaires ecclésiastiques. Le camérier ou chambellan était chargé du service de la chambre, et le comte de l'étable ou connétable, de celui des écuries. Ces deux derniers offices, avec celui de chancelier et ceux de grand aumônier et de grand-maître de l'hôtel, devinrent, sous la troisième race, les premières dignités de la couronne.

Pour toutes les affaires importantes, le roi consultait les grands qui se trouvaient auprès de lui. Comme, dans les quatre ou cinq premiers siècles de la monarchie, il n'avait pas de résidence fixe et qu'il faisait sa demeure tantôt dans une de ses terres, tantôt dans une autre, il est difficile de croire que son conseil ait été permanent et composé d'une manière uniforme, ni qu'il ait eu son siège dans le même lieu, ou qu'il ait accompagné en corps le roi dans ses voyages ; il est plus vraisemblable qu'il se formait en partie des ministres qui suivaient sa personne et en partie des grands qui venaient le visiter ou qui habitaient dans son voisinage. Ce fut seulement sous les Capétiens, que le conseil royal reçut une organisation particulière, et qu'il s'assembla régulièrement.

Le roi vivait, comme il vient d'être dit, alternativement dans les différentes terres dont se composait son domaine ; mais elles n'avaient pas toutes des châteaux en état de le recevoir. ; alors, il faisait venir, dans celles où il séjournait, les provisions amassées dans les autres. Une tenait d'ailleurs sa cour qu'au temps des grandes fêtes ; et quand il n'était pas en campagne avec son armée, il n'avait guère autour de lui, que sa famille et les ministres ou autres officiers, nécessaires tant pour l'expédition des affaires publiques que pour celle de ses propres affaires et pour le service de sa maison. Les Romains qui vivaient avec lui sont appelés ses convives, convivæ regis, dans la loi salique ; leur wergeld, d'après la même loi, était trois fois plus fort que celui des autres Romains, c'est-à-dire que celui qui donnait la mort à un convive du roi payait une composition de 300 sous d'or, tandis qu'il n'en devait qu'une de 100 ou même de 45 sous, s'il tuait un autre Romain.

Depuis l'origine de la monarchie jusqu'au treizième siècle, il n'y eut, à proprement parler, ni impôt public ni trésor public. Il se payait au roi, soit en argent, soit en nature, des prestations et des droits souvent très-forts ; mais, excepté dans quelques cas rares et pressants, tout ce qu'il percevait n'était perçu que dans ses domaines et n'avait pas d'autre caractère que celui de redevances. L'État même n'existait pas. Les peuples germains, bien que plus cupides et plus avares que le fisc impérial, laissèrent périr le système financier romain, qui n'était pas moins inaccessible à leur intelligence qu'incompatible avec leurs institutions. Ce qu'on payait au roi, à la reine, au duc, au comte, au seigneur, était perçu par des officiers appartenant à ces divers personnages, et levé généralement à titre de redevances privées. Si le roi venait à concéder quelques-uns de ses droits ou de ses revenus à une église, à une abbaye ou à qui que ce fût, c'était souvent au concessionnaire ou à ses officiers que la charge d'en opérer le recouvrement était aussitôt dévolue. Ces espèces de percepteurs étaient donc purement privés, et ce qui entrait dans leurs caisses, dans leurs granges, leurs greniers ou leurs celliers, n'avait guère de ressemblance avec un impôt public.

Les grands du royaume vivaient, les uns dans leurs gouvernements, les autres dans leurs fiefs, et avaient chacun leur maison montée sur le modèle de la maison du roi. Tous jouissaient de privilèges nombreux et considérables, qui les élevaient au-dessus des autres hommes libres. Ils formèrent, lorsque les offices et les fiefs furent devenus héréditaires, l'ordre de la noblesse, qui fut alors définitivement constitué. Il y eut désormais un intérêt très-grand pour les familles à conserver leurs titres généalogiques, car elles y trouvaient non-seulement une satisfaction d'amour propre, mais de plus une preuve et une garantie pour les avantages qui leur étaient conférés par la naissance. L'hérédité fut, je crois, le plus solide appui de la société, au milieu de la mobilité et de la variété infinie du Moyen Age, et ce qui l'empêcha de tomber à chaque instant dans la confusion ou de devenir la proie de la violence. Ce principe, qui parut sacré pour tous et aux yeux de tous, petits ou grands, et qu'on peut considérer comme la légitimité des siècles féodaux, transmit et perpétua de père en fils les droits et les devoirs, les offices et les services, les dettes et les créances de chacun ; il lui assigna d'avance sa place, sut l'y maintenir ou l'y rétablir, et il pourrait en quelque sorte passer pour bienfaisant, s'il n'avait pas eu malheureusement pour conséquence l'immobilité plus encore que la conservation.

Lorsque les lois des Francs cessèrent d'être personnelles pour devenir réelles, le droit de la propriété territoriale se développa et reçut aussitôt une grande exagération. Ce ne fut plus la personne qui commanda la terre, ce fut la terre qui commanda la personne. Tout propriétaire fut maître et seigneur chez lui ; son domaine devint une seigneurie, et lui-même eut, en général, juridiction sur toutes les personnes qui l'habitaient. Aussi, n'était-il presque toujours habité que par des hommes placés dans sa dépendance ; car l'homme libre qui avait son établissement sur la terre d'autrui, avait perdu plus ou moins sa liberté. Quant aux gens de condition servile, ils étaient, à plus forte raison, plus dépendants encore du propriétaire. Enfin la noblesse fut quelquefois inhérente à la terre, et se transmit avec celle-ci à la personne ; de sorte que tel roturier qui devenait possesseur d'un fonds noble était, au moins à la longue, anobli par le seul fait de sa possession. D'après les Établissements de saint Louis, les descendants du roturier étaient censés gentilshommes à la troisième génération, et leurs biens se partageaient noblement, pourvu qu'ils eussent résidé sur le fief et qu'ils en eussent fait le service. D'un autre côté, la personne communiquait souvent sa condition à la terre ; et telle terre, par exemple, sur laquelle avaient pesé les charges serviles, devenait franche et noble en passant dans les mains de la Noblesse. Néanmoins, le principe qui séparait le sol et l'homme, et qui les mettait dans l'indépendance l'un de l'autre, finit par prévaloir généralement. Les biens ne changèrent plus de qualité en changeant de maître, et le noble put tenir une terre roturière sans perdre sa noblesse, de même que le roturier possédait un fief sans devenir gentilhomme.

Aux compagnons ou comités qui s'attachaient, suivant Tacite, aux chefs germains, succédèrent les leudes mérovingiens, dont le corps forma ce qui fut appelé le comitat du roi. Les leudes étaient ses hommes particuliers et les personnages les plus considérables de son royaume ; ils composaient son conseil, et s'opposaient souvent à ses volontés ; ils lui faisaient même violence quelquefois. Ainsi, pendant que l'armée de Thierri, roi d'Orléans et de Bourgogne, massacrait le maire du palais Protade, occupé au jeu avec un médecin dans la tente royale, les leudes arrêtaient le roi pour l'empêcher de porter secours à son favori. Les leudes fréquentaient la cour ; mais le serment de fidélité qu'ils prêtaient au souverain, ne les empêchait pas, à ce qu'il paraît, d'y vivre à son égard dans une assez grande licence. Au moins, d'après le témoignage de Grégoire de Tours, leur conduite avait-elle inspiré au roi Gontran de fâcheux soupçons : Je crois bien, disait ce bon roi, que Clotaire n'est pas le fils de Chilpéric, mais qu'il est le fils de quelqu'un de nos leudes.

Le nom de leudes, étant tombé en désuétude dès le commencement de la seconde race, fut remplacé par celui de fidèles, qui toutefois n'était pas nouveau, et qui fut donné, non-seulement à tous les vassaux du roi, mais encore à tous ses sujets en général, aussi bien qu'aux vassaux des comtes et des autres grands seigneurs.

On ne doit pas confondre, à mon avis, avec les leudes ni avec les fidèles, les antrustions dont il est parlé sous les rois de la première race. Ceux-ci étaient les personnes de toutes conditions, placées sous la protection particulière et immédiate du roi, et jouissaient d'un wergeld triple de celui d'un simple homme libre. Tous les antrustions étaient des fidèles, mais les fidèles n'étaient pas tous des antrustions.

Sous les rois de la troisième race, la haute Noblesse possédait ce qu'on appelait les grands fiefs de la couronne. Les Bénédictins, dans l'Art de vérifier les dates, ont publié le tableau chronologique des grands fiefs de France, au nombre de cent cinquante environ ; mais il y en avait beaucoup d'autres qu'ils ont laissés à l'écart.

On désignait en général, sous le nom de barons, les grands feudataires, c'est-à-dire les vassaux qui relevaient directement et immédiatement du roi, et dont la plupart possédaient des châteaux-forts. On appelait chevaliers les autres nobles. Les chevaliers bannerets étaient les chevaliers qui levaient bannière et menaient à la guerre une compagnie de vassaux. Les fiefs de Haubert, feoda loricœ, ainsi appelés en Normandie et en Bretagne, devaient fournir des chevaliers couverts de cottes de mailles et munis de toutes les armes nécessaires pour le combat. Tous les chevaliers servaient à cheval, comme leur nom l'indique. Mais il ne faudrait pas confondre ceux-ci, qui étaient chevaliers de naissance, avec ceux qui n'entraient dans l'ordre de chevalerie qu'après une réception particulière et solennelle, et encore moins avec les membres des différents ordres de chevalerie, qui présentent un autre caractère : par exemple, avec les chevaliers de la Toison d'or, institués par Philippe II, duc de Bourgogne ; avec ceux de Saint-Michel, dont l'institution appartient à Louis XI ; avec ceux du Saint-Esprit, qui eurent Henri III pour fondateur, ou avec les chevaliers de Saint-Louis, qui ne datent que de Louis XIV. L'ordre du Saint-Esprit était des plus honorés, et n'admettait que les nobles et les hommes les plus distingués de la cour ou de l'État. Celui de Saint-Louis était purement militaire, et les roturiers pouvaient y être reçus. Il y avait encore les chevaliers de Saint-Lazare, ceux de Malte, ceux du Mérite militaire, et plusieurs autres.

Pour revenir aux temps anciens, les possesseurs de bénéfices s'efforcèrent généralement de les convertir en aleus. Aussi, voit-on, avant le dixième siècle, les rois et les seigneurs accorder à beaucoup de bénéficiers le droit de propriétaires, jus proprietarium, comme il est dit dans une foule de diplômes. Au contraire, lorsque les bénéfices, après avoir été concédés à temps, c'est-à-dire ordinairement pour la vie du seigneur ou pour celle du vassal, devinrent en principe héréditaires et commencèrent à prendre le nom de fiefs, la condition bénéficiaire s'étant ainsi améliorée, la propriété ou l'aleu tendit à se transformer pour se convertir en fief, et diminua de plus en plus, sans toutefois disparaître entièrement. Ainsi l'axiome, nulle terre sans seigneur, ne fut jamais rigoureusement exact en France, surtout dans les provinces du Midi, qui conservèrent toujours un grand nombre d'aleus.

Le bénéfice ou fief n'était pas autre chose qu'un usufruit, qui mettait l'usufruitier dans la dépendance personnelle du propriétaire, auquel il devait fidélité, et dont il devenait l'homme. Cette institution, si contraire à l'indépendance naturelle, fut apportée dans la Gaule par les Germains. Le chef de bande germain récompensa d'abord ses compagnons en leur donnant des chevaux, des armes, les dépouilles de l'ennemi vaincu, et très-souvent la nourriture ; ensuite, lorsqu'il se fut établi sur le sol romain, il leur distribua les terres qu'ils avaient conquises en commun. Alors toute espèce d'immeubles, et même les églises furent concédées en bénéfices ; enfin on concéda de la même manière les dignités, les offices, les droits, les revenus, et jusqu'à des titres fictifs.

Anciennement les vassaux étaient obligés envers leurs seigneurs à une assistance générale et perpétuelle, c'est-à-dire à les suivre et à les aider partout où ceux-ci avaient besoin d'eux, principalement à la guerre et en justice : c'était en quelque sorte l'assistance que prêtaient à leur chef les membres d'une même famille. De la part du vassal, il était dû obéissance et respect, fidélité et dévouement ; et, de la part du seigneur, sollicitude paternelle, protection et secours. Une concession de bénéfice peut être, en effet, considérée comme une espèce d'adoption, qui mettait le vassal en jouissance d'une partie des biens de la famille, et qui lui imposait en partie les devoirs de la parenté.

Les hommes libres qui ne possédaient pas de fiefs étaient généralement moins riches et moins considérables que les grands vassaux. Leur position était difficile à conserver intacte entre le vasselage d'une part, et la servitude de l'autre.

Ceux qui étaient propriétaires et qui vivaient sur leurs propriétés commandaient à tous ceux qui s'y étaient établis, et avaient juridiction sur leurs personnes. Dans ces temps où l'autorité était pour ainsi dire patrimoniale, et l'organisation du pouvoir public, à peu près nulle, tout homme libre était le maître dans sa terre, qui formait pour lui une sorte de gouvernement. Souvent aussi, lorsqu'un territoire était partagé entre plusieurs hommes libres, ceux-ci constituaient une espèce de société civile, et jouissaient en commun de certains usages, suivant la nature des lieux.

Ceux qui n'avaient pas leur demeure sur leurs propriétés, ou qui ne possédaient aucune portion de terrain, étaient soumis à la juridiction, soit du propriétaire chez lequel ils habitaient, soit du seigneur qu'ils s'étaient choisi. Un assez grand nombre habitaient sur les terres du roi. Ceux qui allaient se fixer sur celles des églises ou des abbayes passaient sous la juridiction des évêques ou des abbés.

Les hommes libres, lorsqu'ils ne se sentaient pas assez forts pour se maintenir par eux-mêmes dans la jouissance de leur liberté ou de leurs biens, avaient recours à des personnages puissants, et se rangeaient sous leur patronage. Ils leur abandonnaient ce qu'ils possédaient en propre, à la condition d'en conserver la jouissance perpétuelle et héréditaire, moyennant un cens annuel et fixe.

D'autres, qui étaient tombés dans la pauvreté, prenaient des terres à bail, ou se mettaient au service d'autrui, sans toutefois descendre en servitude.

Les hommes libres, établis sur un fonds étranger et vivant sous la puissance d'autrui, étaient aliénés avec le sol qu'ils occupaient, et passaient dans le domaine du nouveau propriétaire. Ils étaient même quelquefois vendus, donnés ou échangés isolément sans la terre. Enfin, la misère les obligeait souvent à vendre leur liberté ; mais, dans ce cas, ils avaient la faculté de se racheter en remboursant le prix de vente, augmenté d'un cinquième.

Ainsi, la liberté était loin d'offrir les mêmes droits et les mêmes avantages à tous ceux qui en jouissaient. Il est d'ailleurs constant que, en général, on était d'autant plus libre qu'on était plus fort, et que plus on avait de richesse ou de puissance, plus on était ménagé, non-seulement par le roi ou ses officiers, mais encore par la loi.

Le nombre des hommes libres, en France, jusqu'à l'institution des communes, alla toujours en augmentant ou en diminuant, suivant l'idée qu'on attache à la liberté. Si l'on entend par ce nom l'état des personnes qui n'étaient ni en vasselage ni en servage, les hommes libres, qui ne sont alors que les hommes indépendants, furent toujours de moins en moins nombreux, et finirent presque par disparaître au dixième siècle. A cette époque, presque tous les habitants de la France étaient hommes de quelqu'un, quoiqu'à des conditions fort différentes, les uns étant astreints à des obligations personnelles d'un ordre libéral, les autres à des obligations serviles.

Mais, si l'on entend généralement par libres tous ceux qui n'étaient pas serfs, la classe des hommes libres se grossit continuellement sous l'influence et la protection de la religion chrétienne, qui attaquait la servitude dans son principe, et qui, en la combattant sans relâche, finit par en délivrer la plus grande partie de l'Europe.

La propriété de l'homme libre était originairement l'aleu, alodis. Il emportait avec soi exemption des devoirs féodaux, mais non des charges publiques ; car il était placé sons la juridiction des magistrats royaux, et soumis à l'obligation du service militaire, et, si je puis m'exprimer ainsi, a celle du service judiciaire, sans parler de quelques autres obligations.

Le maître de l'aleu avait bien la justice et la police des personnes qui s'y étaient fixées ; mais il était gouverné par le délégué du roi. Du reste, il ne tenait que de lui-même son droit de propriété, et n'était passible d'aucun cens ni d'aucun impôt direct. Il avait l'entière disposition de son bien, sauf le consentement de sa famille et de ses héritiers, qui paraît avoir été requis ordinairement, surtout à partir du déclin de la seconde race. Beaucoup d'aleus étaient réunis à des fiefs ou à des censives, c'est-à-dire que la même personne possédait à la fois ces différentes espèces de terres. Dans la suite des temps, l'aleu perdit la plupart de ses franchises, et dut acquitter les charges communes.

Anciennement toute propriété foncière d'une certaine étendue se composait de deux parties distinctes : l'une, occupée par le maître, constituait le domaine ou manoir ; l'autre, distribuée entre des personnes plus ou moins dépendantes, formait ce qu'on appelle des tenures. La première partie était seigneuriale par rapport à la seconde, qui restait perpétuellement soumise envers elle à des obligations de différents genres. Cette seconde partie, composée des tenures, se divisait elle-même en deux sections, selon que les obligations dont elle était chargée étaient libérales ou serviles. Dans le premier cas, les tenures, comme on l'a dit, étaient nobles et possédées par des hommes libres, qui prenaient le nom de vassaux ; elles étaient appelées bénéfices ou fiefs. Dans le second cas, elles étaient ignobles et concédées à des colons, à des lides, à des serfs ; elles constituaient ainsi des colonies ou censives.

La terre salique, si célèbre dans nos annales, et sur laquelle on a tant disserté, n'était autre que la terre attachée au principal manoir, soit qu'elle fût possédée par un Salien, soit qu'elle appartînt à tout autre propriétaire. Il est certain aujourd'hui qu'on ne peut l'entendre du lot distribué à chaque Salien après la conquête. Et ce qui suffirait pour le prouver de la manière la plus évidente, c'est que les terres saliques se rencontrent principalement, non pas chez les Francs saliens, mais chez les Ripuaires, les Allemands, les Saxons et les Bavarois, et que partout elles appartiennent à des hommes de l'une de ces quatre dernières nations. Si même l'expression de terra salien ne se trouvait dans quelques manuscrits de la loi salique, il serait impossible de la découvrir dans d'autres documents, concernant soit la tribu entière des Saliens, soit seulement des personnes ou des terres quelconques dépendant de cette tribu. Nous sommes donc parfaitement autorisés à croire que la terre salique était la terré affectée à la maison du maître ou au principal manoir, et que celle qui, dans nos vieilles coutumes, est désignée sous le nom de vol du chapon, la représentait, sinon en totalité, au moins en partie.

En continuant de descendre l'échelle sociale, la classe que nous trouvons immédiatement au-dessous des hommes libres est celle des colons.

Ces colons n'ont rien de commun avec les habitants des colonies romaines. Ils remontent néanmoins au temps de l'empire Romain ; car, sans qu'il soit possible d'ailleurs d'en fixer l'origine, on les voit déjà répandus dans cet empire dès le règne de Constantin.

C'étaient des hommes inséparablement attachés à la culture d'un fonds étranger, dont les fruits leur appartenaient moyennant une redevance fixe, payée par eux aux propriétaires. Vivre et mourir sur le sol où ils sont nés, c'est là leur destin comme celui de la plante ; mais, esclaves par rapport à la terre, ils sont libres à l'égard des personnes, et, quoique placés ainsi dans une condition intermédiaire entre la liberté et la servitude, ils sont, en définitive, mis au rang des hommes libres par le droit romain.

Le colon ne pouvant être distrait de la terre colonaire, il arrivait que, si cette terre était vendue, le colon était vendu avec elle.

Sous la domination des Francs, le colonat, de même que la plupart des institutions romaines, fut gravement altéré. Il s'écarta de la liberté pour dégénérer de plus en plus et descendre chaque jour vers la servitude. L'esclavage, au contraire, tempéré par la charité chrétienne, tendit, en devenant de plus en plus doux, à s'élever jusqu'au colonat. Ce qui distingue surtout le colon romain du colon du Moyen Age, c'est que, sous les empereurs, le colon n'avait été soumis qu'à des redevances envers le maître, tandis que, sous les rois des Francs et des autres peuples germains, le colon fut, en outre, assujetti à des services corporels, connus plus tard sous le nom de corvées.

Sa condition continua toutefois d'être moins misérable que celle du serf. D'après la loi salique, la composition pour le meurtre d'un Romain tributaire, le même, à ce qu'il paraît, que le colon, était fixée à 45 sous d'or (environ 4.000 francs), tandis que le meurtre d'un esclave se rachetait par 35 sous d'or (environ 3.100 francs) de composition. La loi des Allemands lui était plus favorable encore, car elle accordait au colon une composition égale à celle de l'Allemand. Il avait aussi le droit de poursuivre une action en justice, de servir de témoin dans les contrats, de posséder et d'acquérir à titre perpétuel et héréditaire. Enfin, quoiqu'il fût attaché à la glèbe et qu'il jouît ainsi d'une liberté fort incomplète, il possédait souvent des serfs, envers lesquels il exerçait l'autorité d'un maître.

Son droit sur le sol qu'il habitait alla toujours croissant, et devint même un véritable droit de propriété vers le déclin du dixième siècle. Alors le colonat s'éteignit tout à fait, au moins en France, et fut remplacé par le villenage. Les terres s'étant généralement converties en fiefs, les habitants des campagnes formèrent cette nombreuse classe de la population qui reçut le nom de vilains.

Les colons, à la différence des esclaves romains, qui cultivaient en commun les terres de leurs maîtres, possédaient chacun une habitation avec une certaine quantité de terrain qu'ils exploitaient pour leur compte, mais pour laquelle ils étaient soumis à des redevances et à des services déterminés et invariables. Ce petit fonds, que l'on désignait ordinairement sous le nom de manse, était d'une contenance fort inégale, qu'on peut néanmoins évaluer, en moyenne, à environ dix hectares. Souvent un seul manse était occupé par plusieurs ménages de colons.

Les redevances des colons étaient presque toutes acquittées en nature ; quelques-unes seulement se payaient en argent. Les services corporels qui leur étaient imposés embrassaient tous les travaux nécessaires pour la culture des champs, pour la clôture des propriétés, pour la fauchaison, la moisson et la vendange, pour la coupe des bois, pour le transport, la garde et la vente des fruits. Ces services étaient réguliers et fixes, et exigeaient de la part des colons un, deux, ordinairement trois jours de leur temps par semaine, rarement davantage, et sans aucun salaire. Ils étaient, en outre, obligés à des services laissés à la discrétion des maîtres ; par exemple, ils devaient conduire et escorter les convois qui se faisaient par terre ou par eau, pour le compte de la seigneurie ; ils étaient tenus de porter les ordres et de s'acquitter de toutes les commissions qui leur étaient données ; d'entretenir, de réparer et de construire les édifices seigneuriaux, c'est-à-dire de fournir ou d'amener les pierres, la chaux et le bois nécessaires, de recueillir les abeilles dans les forêts, de veiller aux ruches naturelles ou artificielles, etc.

A partir de la fin du dixième siècle, les chartes et les autres documents témoignent d'une grande révolution opérée dans les plus basses comme dans les plus hautes régions de la société : ce sont d'autres institutions, d'autres droits, d'autres usages. Les colons et tous les hommes non libres sont confondus avec les serfs, pour ne composer avec eux qu'une seule classe de personnes, les vilains. Les redevances et les services apparaissent sous une forme nouvelle, et ne représentent plus, comme autrefois, le prix du fermage, ni les charges de l'usufruit : ce sont des droits féodaux, payés par des hommes de pôté (de potestate) à leurs seigneurs. Les seigneurs levaient sur les habitants de leurs fiefs ce que les anciens propriétaires percevaient de leurs colons : il s'agissait maintenant de droits seigneuriaux, et non plus de fermage. La propriété de son champ n'était plus contestée au vilain, qui l'avait définitivement conquise ; s'il a désormais à combattre, ce n'est plus pour la propriété, mais pour la franchise et la dépendance de sa terre.

Au-dessous de la classe des colons et au-dessus de celle des serfs, était la classe des lides. Toutefois, si l'on s'en tenait au tarif des compositions de la loi salique, on serait en droit de considérer la condition de lide comme supérieure non-seulement à celle de serf, mais encore à celle de colon. En effet, il résulte, de divers articles de cette loi, que le wirgeld ordinaire du lide était de 100 sous d'or (9.000 francs), tandis que celui du Romain tributaire ou du colon était de 45 sous seulement, celui de l'esclave ne s'élevant pas au-dessus de 35 sous. Mais on trouve ailleurs la preuve que le lide occupait la place intermédiaire que nous lui avons assignée, ou du moins il est certain qu'il y était déjà descendu dans le neuvième siècle.

Le lide vivait dans la dépendance personnelle d'un maître, sans être pour cela réduit en servitude. Il avait moins de liberté que le colon, sur lequel le propriétaire ne possédait qu'un pouvoir indirect et très-limité. Celui-ci ne servait que la terre : le lide servait l'homme et la terre en même temps. Il était donc à la fois cultivateur et valet. Il jouissait néanmoins du droit de propriété et de celui de se défendre ou de poursuivre en justice, et conservait avec sa famille les liens de la solidarité. Pour le serf, au contraire, il n'y avait ni cité, ni tribunal, ni famille. Enfin le lide avait la faculté de se racheter de son service, aussitôt qu'il avait amassé une somme suffisante pour payer le prix de sa liberté.

Les serfs étaient placés au plus bas degré de l'état social. Ils succédèrent aux esclaves en faisant un pas vers la liberté. Le temps de l'esclavage pur, qui réduisait l'homme à n'être qu'une chose, et qui le mettait dans la dépendance presque absolue de son maître, se prolongea dans notre occident jusqu'à la conversion des peuples au christianisme ; puis, il se changea en servitude, et la condition humaine fut reconnue, respectée, protégée dans le serf, sinon d'une manière suffisante par les lois civiles, au moins plus efficacement par celles de l'Église. Alors le pouvoir du maître fut contenu généralement dans de certaines limites ; un frein fut mis à la violence ; la règle et la stabilité l'emportèrent sur l'arbitraire, et le serf, en cultivant la terre d'autrui, sema pour lui-même les germes de la propriété et de la liberté. Ensuite, pendant le règne de l'anarchie féodale, qui date du commencement du dixième siècle, la servitude s'étant transformée en servage, les maîtres disparurent, il n'y eut plus que des seigneurs, et le tribut fut remplacé par le cens et par la dîme ; enfin le servage conduisit à la roture, et le cens et la dîme disparurent à leur tour devant l'impôt.

C'est des colons, des lides et des serfs, ramenés à la même condition et confondus dans une seule et même classe, que s'est formé le peuple des temps modernes. Ceux qui restèrent attachés aux travaux de l'agriculture furent les pères de nos paysans, tandis que ceux qui se livrèrent à l'industrie et au commerce s'établirent dans les villes et donnèrent naissance à la bourgeoisie.

Si nous suivons les progrès de cette transformation, nous trouvons, dès les commencements de la troisième race, une masse considérable de population libre dans les villes et dans les campagnes. Elle se révèle surtout dans les chartes, qui, bien que fortement empreintes des marques de la féodalité, témoignent de la diminution du nombre des serfs et de l'adoucissement de la servitude. Dans les siècles suivants, l'institution des communes et des bourgeoisies élargit encore les portes de la liberté. Les rois, les églises, les abbayes, les grands feudataires et tous les nobles, s'empressèrent d'affranchir les hommes de leurs domaines, pendant qu'ils étaient encore maîtres d'imposer des conditions à l'affranchissement ; presque tout le monde eut la liberté, mais presque personne n'eut l'immunité. Tous se liguaient pour résister à l'oppression et forcer les hommes puissants à composer avec eux. Ils n'avaient, du reste, aucune prétention à l'égalité ; ils voulaient seulement régler et transformer les droits seigneuriaux, et ne songeaient pas encore à les abolir. La commune mettait un frein à l'arbitraire des seigneurs, et non un terme aux charges féodales des habitants.

Le droit fondamental d'une commune était celui de se gouverner elle-même. Elle constituait un petit État presque indépendant pour ses affaires intérieures, mais subordonné au pouvoir politique du roi, et plus ou moins lié, par des conventions ou des coutumes particulières, à l'égard des seigneurs locaux. Elle tenait des assemblées publiques, principalement pour l'élection de ses premiers magistrats, et ceux-ci exerçaient personnellement ou par délégation tous les pouvoirs. Leurs attributions embrassaient donc à la fois l'administration, la justice civile et criminelle, la police, les finances et la milice.

Chaque commune avait un hôtel de ville, un sceau, un trésor et un beffroi. Ses lois et ses coutumes étaient fixes, et ordinairement rédigées par écrit. Il y était déclaré que ses membres étaient libres, eux et leurs biens, et par conséquent exempts de droits de prise, de taille, de prêt forcé et autres exactions. Elle mettait sur pied une milice armée, soit pour se défendre, soit pour assister à la guerre le roi et quelquefois le seigneur avec lequel elle se trouvait en rapport immédiat. Les tours, les remparts, les fossés, les souterrains dont elle était munie, attestent avec l'histoire son droit et son obligation de prendre les armes. On remarque même que, dans plusieurs chartes de communes, le roi leur accorde ou leur reconnaît, comme Philippe le Bel dans la charte de commune de Saint-Jean-d’Angély, le droit de s'armer et de se battre contre tous leurs adversaires. Mais à ces libertés, dont elles n'usèrent pas toujours à leur avantage, étaient souvent attachées des conditions assez dures, par exemple celle de payer de grosses sommes d'argent, et de satisfaire à certaines exigences féodales.

Les communes, pour assurer leur existence, avaient besoin de la confirmation du roi. Le prix qu'il exigeait d'elles dans ces occasions doit être considéré, en beaucoup de cas, moins comme une pure extorsion, que comme la juste indemnité de la protection, quelquefois pour lui assez onéreuse, qu'il leur donnait dans le présent et qu'il s'engageait à leur continuer dans l'avenir. Tant que la sanction royale leur manquait, leur sort était précaire et à la merci d'une surprise ou d'une défaite ; leur état, par rapport aux seigneurs dont elles s'étaient affranchies, restait un état de guerre, puisqu'elles n'avaient encore pour elles que le fait et non le droit. Mais lorsque le souverain les reconnaissait, il les plaçait aussitôt sous la sauvegarde de sa couronne, et les incorporait dans la constitution du royaume. Voilà pourquoi Louis le Gros, qui, le premier, les confirma par ses lettres, fut appelé le fondateur de la liberté communale en France, quoique beaucoup de communes se fussent établies et organisées avant lui, et que celle du Mans, entre autres, date de plus de trente ans avant son règne.

Nous devons aussi croire, d'après la remarque judicieuse de M. Leymarie, qu'un assez grand nombre de communes sont plus anciennes que leur charte d'institution, et que c'est seulement après avoir vécu paisiblement et sans bruit, qu'ayant eu des difficultés avec leurs seigneurs, elles en sont venues à pactiser avec eux et à consigner par écrit les clauses de leurs traités : de sorte que ces chartes donnent plutôt la date des conflits des communes, que celle de leur première fondation.

Les rois se servirent des institutions communales pour battre en brèche la puissance de la féodalité ; puis, à partir de Louis XI, quand ils furent parvenus à la réduire, ils se retournèrent contre les bourgeois leurs alliés, et les dépouillèrent successivement de toutes les prérogatives qui pouvaient porter ombrage à leur despotisme. Les États Généraux et les États Provinciaux contribuèrent aussi beaucoup, je crois, à la décadence des communes. Placés plus près de la couronne, ils les éclipsèrent et les dominèrent tout d'abord, puis finirent par les absorber.

La bourgeoisie, ayant reçu d'elles un accroissement et une force considérables, devint en état de tenir tête au clergé et à la noblesse ; et lorsqu'elle eut vaincu ces deux classes, elle l'emporta aussi bientôt après sur la royauté.

Les bourgeois composaient, avec les vilains, ce qu'on appelait la roture. Les premiers étaient les habitants des villes et des bourgs, et les seconds les habitants de la campagne ; le nom de bourgeois s'appliquait particulièrement à tout homme qui, possesseur et habitant d'une maison dans une ville, participait à tous les privilèges dont cette ville jouissait, soit qu'elle eût une commune, soit qu'elle n'en eut pas. Ainsi, les habitants de Paris sont appelés bourgeois dans l'ordonnance du roi Louis le Gros, de 1134 ; et c'est un des premiers exemples de l'emploi de ce terme. Le mot bourgeoisie est moins ancien, car il ne se rencontre, suivant Brussel, dans aucune ordonnance antérieure à celle de Philippe le Bel, datée du jour de la Pentecôte 1287.

Le nom de bourgeois fut aussi employé, comme on va le voir, dans un sens un peu différent. Les seigneurs, qui voulaient défricher et peupler les déserts de leurs seigneuries, exciter autour d'eux l'industrie et le commerce, augmenter le nombre de leurs sujets et accroître de -cette manière leur puissance et leurs revenus, ouvraient dans leurs terres des espèces d'asiles. Ils offraient, à ceux qui venaient s'y fixer, du terrain, des maisons ou des biens d'une autre nature, leur concédaient la jouissance de certains droits et de certaines libertés, et leur promettaient sécurité et protection à perpétuité : le tout à des conditions plus ou moins équitables, plus ou moins avantageuses aux deux parties. Ces fondations donnaient naissance à des bourgs, souvent clos d'une enceinte murée et pourvus presque toujours d'un marché. Ceux qui les habitaient étaient aussi appelés bourgeois, mais ils vivaient sous la loi et les Coutumes établies par les seigneurs.

La formation de ces bourgeoisies seigneuriales, qui se multiplièrent de tous côtés dans le onzième et le douzième siècle, supposent nécessairement l'existence d'une nombreuse population déjà dégagée des liens de la servitude.

Personne ne pouvait jouir du droit de bourgeoisie en deux endroits en même temps. Et comme les bourgeois, en général, devaient être des hommes libres, aucun serf ne devait être admis parmi eux ; mais, plus tard, cette exclusion eut beaucoup de peine à se maintenir, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

Il y a une autre espèce de bourgeoisie qui ne doit pas être passée sous silence, et dont l'introduction ne servit pas peu à l'extension du pouvoir royal. Je veux parler des bourgeois du roi. On nommait ainsi les hommes libres, qui, bien qu'établis dans les terres et sous la juridiction d'un seigneur, où tous les habitants étaient privés de la liberté, n'en conservaient pas moins la leur, en s'adressant au roi ou à ses officiers, qui leur donnaient des lettres de bourgeoisie et de protection. De plus, lorsqu'un vilain ou le serf d'un comte ou d'un baron achetait un fonds dans un bourg royal, la coutume s'établit qu'il y devenait libre et bourgeois du roi, après y avoir demeuré un an et un jour sans avoir été réclamé par son seigneur. Alors les vilains et les serfs se mirent à émigrer de tous côtés, et les seigneuries menacèrent d'être désertes. Pour se préserver de ce danger, les seigneurs s'empressèrent aussi de fonder des bourgeoisies dans leurs fiefs, et d'améliorer la condition des personnes qui les habitaient. Les serfs furent affranchis ; ils obtinrent la propriété des terres qu'ils cultivaient, et le droit de disposer de leurs meubles par testament ; la faculté de faire le partage de leurs immeubles entre leurs héritiers leur fut aussi accordée ; enfin toute personne put venir se fixer dans une seigneurie sans cesser d'être libre. Ces concessions étaient, certes, considérables, et n'auraient pas manqué, dans les siècles précédents, de peupler les terres des seigneurs et de les rendre florissantes. Mais, alors, elles étaient beaucoup moins estimées que celles dont jouissaient les bourgeoisies royales. Celles-ci offraient plus de sécurité et plus de protection, sans parler d'autres avantages inhérents à la qualité de sujets immédiats du roi. Aussi, furent-elles partout préférées, tandis que les bourgades ou bourgeoisies seigneuriales tombèrent insensiblement dans l'oubli.

Une autre conséquence de l'institution des bourgeoisies royales, fut que les seigneuries elles-mêmes se peuplèrent d'une foule de personnes exemptes de la juridiction seigneuriale, et soumises seulement à celle du souverain. Alors l'autorité du roi s'étant fortifiée, put couvrir tous les habitants du royaume, et la royauté domina, non-seulement dans ses domaines, mais encore dans ceux des seigneurs et de leurs vassaux.

Néanmoins, comme les révolutions sociales, opérées d'une manière insensible par le temps, n'abolissent pas subitement toutes les institutions antérieures, et qu'au contraire elles laissent subsister après elles des restes du régime observé dans les siècles précédents, nous retrouvons encore, à la suite des communes et des bourgeoisies, plusieurs sortes de servitudes.

Voici, d'après Beaumanoir, quelles étaient les différentes conditions de personnes au déclin du treizième siècle. On doit savoir, dit-il (XLV, 30), qu'il y a trois états parmi les laïques : ce sont les gentilshommes, les personnes franches et les serfs. Tous les gentilshommes sont francs, mais tous les francs ne sont pas gentilshommes. En outre, la gentillesse vient de par le père, et la franchise de par la mère. Ce que d'autres anciens jurisconsultes, dans la licence de leur langage, ont exprimé par cette formule : La verge anoblit, et le ventre affranchit. La seconde partie de cette formule est d'ailleurs conforme à la maxime du droit romain : Fructus ou partus sequitur ventrem. Toutefois, je dois faire observer que, dans plusieurs Coutumes, telles que dans celles du duché et du comté de Bourgogne, l'enfant suivait la condition du père et non de la mère, et que, dans d'autres, il suivait la pire condition de ses parents. Le gentilhomme, continue Beaumanoir, n'est pas de droit chevalier ; il ne le devient que par la grâce spéciale du roi. Les personnes franches, proprement dites, qu'il appelle de pôté, pour les distinguer des personnes franches de gentillesse, sont d'ailleurs, suivant sa définition, celles qui ont le pouvoir de faire ce qu'il leur plaît, sauf le mal et ce qui est défendu par la religion. Les bâtards étaient libres, et quiconque prouvait sa bâtardise gagnait sa liberté (XLV, 16 et 30).

Quant aux serfs, il en reconnaît de deux conditions (XLV, 31). Les uns sont tellement dans la dépendance de leur seigneur, que celui-ci est en droit de leur prendre, s'il le veut, tout ce qu'ils ont, pendant leur vie et à leur mort, et qu'il peut les détenir en prison, quand il le juge à propos, à tort ou à raison, sans en répondre qu'à Dieu. Les autres serfs sont menés plus débonnairement ; car, à moins qu'ils ne se rendent coupables de quelque mal, le seigneur ne peut leur demander, pendant leur vie, rien autre chose que les cens, rentes et autres redevances qu'ils ont coutume de payer à cause de leur servitude. Mais lorsqu'ils se marient avec des femmes franches ou quand ils meurent, tout ce qu'ils ont, meubles et héritages, échoit à leur seigneur. Ceux qui se formarient lui payent une taxe laissée à sa discrétion, et ceux qui meurent n'ont pas d'autre héritier que lui ; leurs enfants n'ont rien de leur succession, à moins qu'ils ne le rachètent du seigneur, comme feraient des étrangers. Dans la Coutume de Beauvaisis, ajoute Beaumanoir, il n'y a que des serfs de cette seconde condition. Quand ils ont payé ses droits au seigneur, ils ont la faculté d'aller servir hors de sa juridiction et d'y demeurer ; mais ils continuent d'être tenus envers lui au formariage, à moins qu'ils ne s'établissent dans les villes où il suffit, pour-acquérir la franchise, d'habiter un an et un jour, ou un autre espace de temps marqué par la Coutume, sans être réclamé par le seigneur (XLV, 36).

Au reste, il y avait formariage, non-seulement lorsqu'un serf se mariait avec une femme libre, mais encore lorsqu'il se mariait hors de la terre de son seigneur ; et Beaumanoir emploie ici ce mot dans cette dernière acception.

Il est aussi de coutume dans le Beauvaisis, dit-il plus loin, que tout ce que les serfs gagnent par le commerce leur appartient entièrement, sans que le seigneur puisse s'en emparer. Néanmoins, le seigneur trouve encore à cela un grand profit, par le haut prix qu'il en retire dans le cas de formariage et à la mort des serfs. Celui qui écorche une fois, selon le proverbe, ne peut tondre deux ni trois. C'est pourquoi les serfs, dans les pays où le seigneur leur prend chaque jour ce qu'ils ont, se contentent de gagner le nécessaire pour vivre et soutenir leur famille (XLV, 37).

Ainsi il restait encore, au treizième siècle, des serfs dont tout l'avoir appartenait à leurs seigneurs, et sur lesquels ceux-ci jouissaient d'un pouvoir presque absolu. La seule différence que j'aperçoive entre les serfs de cette espèce et les esclaves de l'antiquité, consiste en ce que ceux-ci pouvaient être transportés, mutilés et mis à mort par leurs maîtres, tandis qu'un pareil droit sur ceux-là était refusé à leurs seigneurs.

Au reste, cette servitude, encore si accablante, dont parle Beaumanoir, n'était plus admise, de son temps, dans le Beauvaisis, comme il a soin de nous en avertir, et même ne semble pas avoir été très-répandue ailleurs à la même époque ; car on serait, je crois, fort en peine d'en retrouver beaucoup de vestiges dans les chartes et les autres documents contemporains.

Les serfs de l'autre espèce, quoique traités plus débonnairement, avaient toutefois une condition très-dure, puisqu'ils ne pouvaient rien transmettre de leurs biens à leurs enfants, ou du moins qu'ils ne pouvaient disposer par testament au-delà de la valeur de 5 sous (environ 25 francs), ainsi que Beaumanoir le dit dans un autre endroit (XII, 3). Mais, outre qu'ils étaient eux-mêmes peu nombreux, comparativement à la classe des hommes de pôté, mis par notre jurisconsulte au rang des personnes franches, ils ne tardèrent pas à jouir d'un sort meilleur et à conquérir pour leurs enfants le droit d'hérédité.

En effet, dès le quatorzième siècle, il n'y avait plus de servitude ou de servage, que dans la mainmorte, dont il nous reste à parler.

On l'appelait condition serve, en quelques provinces, comme dans le Nivernais et le Bourbonnais, et taillabilité en d'autres, telles que dans le Dauphiné et là Savoie.

On a vu que toutes les personnes qui n'étaient ni du clergé ni de la noblesse, composaient la classe des roturiers, et que ceux-ci se partageaient en bourgeois et en vilains. C'est donc parmi les bourgeois et les vilains qu'il s'agit de découvrir le mainmortable et de reconnaître les caractères qui servent à le distinguer.

Or, ce qui constitue essentiellement la mainmorte, c'est la privation du droit de disposer librement de sa personne et de ses biens. Celui qui n'avait pas la faculté, soit d'aller où il voulait, soit de donner, de vendre, de léguer et transmettre ses meubles et ses immeubles à qui il voulait, était dit homme de mainmorte. Ce nom lui fut donné, à ce qu'il paraît, parce que la main, considérée comme étant, en général, le symbole de la puissance, et, en particulier, l'instrument de la donation, était chez lui privée de mouvement, paralysée et frappée de mort. C'est à peu près dans le même sens, que l'on appelait aussi gens de mainmorte les gens d'église, parce qu'il leur était également interdit de disposer de ce qui leur appartenait.

Il y avait deux espèces de mainmortes, savoir la mainmorte réelle et la personnelle ; l'une inhérente à la terre, l'autre à la personne ; c'est-à-dire qu'une terre mainmortable ne changeait pas de nature, quelle que fût la condition de la personne qui l'occupait, et qu'une personne mainmortable ne cessait pas de l'être, en quelque terre qu'elle allât s'établir. La mainmorte mixte ne constituait pas, à proprement parler, une espèce particulière, puisqu'elle n'était qu'un composé des deux autres et n'imposait aucune condition différente.

La différence essentielle entre la mainmorte personnelle et la réelle était donc que le mainmortable de la seconde espèce, en abandonnant la terre qui seule l'obligeait, s'affranchissait aussitôt de toutes ses charges, et recouvrait sa liberté avec le pouvoir d'aller demeurer où bon lui semblait ; tandis que le mainmortable de la première espèce, qu'on appelait aussi serf de corps, était taillable et homme de poursuite, à l'égard de son seigneur, quoiqu'il abandonnât sa terre, et en quelque lieu qu'il se retirât ; car, dans le cas de son admission dans une commune ou dans une bourgeoisie, son seigneur avait toujours le droit de le revendiquer et d'exiger de lui les redevances et les services d'usage.

Les mainmortables étaient ordinairement soumis à la plupart des obligations féodales imposées anciennement aux serfs, c'est-à-dire qu'ils étaient obligés à cultiver les vignes et les champs, à couper les prés, les blés et les bois de leur seigneur, à lui payer la taille quand elle était exigée, ou seulement, dans certains cas déterminés, par exemple lorsque le seigneur mariait sa fille, lorsqu'il était fait prisonnier de guerre, lorsqu'il était armé chevalier, lorsqu'il allait en terre sainte, lorsqu'il achetait des terres pour agrandir son domaine. Ils étaient, en outre, astreints à différents services domestiques ; et ceux qui exerçaient des arts ou des métiers, comme les maçons, les charpentiers et les autres artisans, devaient travailler de leur profession au profit de leur seigneur, pendant un certain temps et sans recevoir de salaire.

Mais, je le répète, ce qui caractérisait leur condition était le droit que leur seigneur avait de s'emparer de tous leurs biens meubles et immeubles, lorsqu'ils décédaient sans enfants, ou lorsque leurs enfants, ayant renoncé à vivre avec eux, tenaient ménage à part. Dans plusieurs Coutumes moins rigoureuses, la succession du mainmortable décédé sans postérité passait à ses plus proches parents qui s'étaient associés avec lui, et qui, habitant sous le même toit, usaient, comme on disait alors, de son pain et de son sel. Au contraire, si les parents et même les enfants du mainmortable se trouvaient partis, c'est-à-dire s'ils ne demeuraient pas en celle, cella, suivant l'expression d'usage, ou, autrement, s'ils ne vivaient pas en commun dans la même maison et ne tenaient pas ménage ensemble, ils étaient déchus de leur droit à la succession, et le seigneur s'emparait de la portion contingente aux partis. Dans aucun cas, les gens de mainmorte, comme jadis les serfs, ne pouvaient disposer par testament ou d'autre manière au delà d'une certaine valeur.

Un autre caractère distinctif de la mainmorte, mais qu'on doit, je pense, considérer seulement comme accessoire, quoiqu'il en fût peut-être inséparable, était le formariage, dont nous avons déjà parlé. Ainsi, une personne mainmortable qui, sans le consentement de son seigneur, épousait une personne franche, ou se mariait hors de sa seigneurie, ou même entrait dans les ordres, était punie d'une amende, souvent très-forte, au profit de son seigneur. Mais le formariage étant, à mon avis, plutôt une conséquence nécessaire qu'un principe constitutif de la mainmorte, ne suffirait pas seul pour en constater l'existence ; et, s'il n'est guère possible de rencontrer la mainmorte sans formariage, il est, je crois, permis de supposer le formariage sans mainmorte.

On était mainmortable de trois manières différentes, savoir, par naissance, par convention expresse et par convention tacite. 1° L'enfant né de gens de mainmorte suivait la condition de ses parents ; et si les parents étaient de condition différente, il suivait, comme on l'a dit, tantôt la condition du père, tantôt celle de la mère, tantôt la pire des deux, selon la Coutume du pays. 2° L'homme ou la femme libre pouvait toujours, en vertu d'une convention expresse, faite avec un seigneur, renoncer à la liberté pour entrer dans la mainmorte. Elle y restait engagée toute sa vie, et de plus y engageait ses enfants à naître, sauf les cas exposés ci-dessus. 3° On devenait mainmortable par convention tacite, lorsqu'on allait demeurer dans un lieu de mainmorte et qu'on y prenait ou recevait un établissement. Dans quelques provinces, au moins dans le comté de Bourgogne, un homme franc qui demeurait dans le meix ou la maison de mainmorte de sa femme, était lui-même réputé mainmortable, s'il y mourait. Voilà pourquoi, dans ce pays, lorsque cet homme tombait dangereusement malade, et même lorsqu'il était mourant, on s'empressait souvent de le transporter dans une terre ou dans une maison de franchise, pour soustraire sa succession à l'empire de la mainmorte.

Le seigneur qui affranchissait des mainmortablés leur imposait presque toujours des conditions onéreuses. Les uns maintenaient à leur égard d'anciens droits féodaux, d'autres les modifiaient, d'autres en constituaient de nouveaux tout différents. Ainsi, tantôt le seigneur se réservait des banalités et des corvées, tantôt il exigeait des cens, tantôt il stipulait que les affranchis ne pourraient hériter de leurs parents mainmortablés établis dans sa seigneurie.

Mais il ne suffisait pas, pour devenir libre, d'être affranchi par son seigneur direct ; il fallait l'être encore par tous les seigneurs supérieurs jusqu'au suzerain ; car si l'un de ces seigneurs avait accordé l'affranchissement sans le consentement de son supérieur, il aurait lui-même encouru, au profit de celui-ci, une amende fixée à 60 livres, parce que l'affranchissement d'un homme de mainmorte était considéré comme un abrégement et, en quelque sorte, un démembrement de fief. Ces dispositions, qui sont inscrites dans les Établissements de saint Louis, dans le livre de Beaumanoir et dans la Coutume de Vitri-le-Français, auraient nécessairement retardé le progrès de la liberté, si elles avaient pu se maintenir ; mais, dès la fin du quatorzième siècle, elles étaient tombées en désuétude dans la plupart des provinces.

Les personnes libres ou franches, comme on les appelait, soit qu'elles appartinssent à la classe des bourgeois, soit qu'elles fissent partie de celle des vilains, n'en étaient pas moins généralement assujetties envers les seigneurs à des redevances et à des obligations d'un caractère servile : de sorte qu'on serait quelquefois tenté de les considérer comme des mainmortables. Mais ce qui empêchera de les confondre avec ceux-ci, c'est qu'on n'observera jamais sur leurs personnes ou sur leurs possessions les deux marques distinctives que nous avons reconnues dans la mainmorte.

On doit bien se garder aussi de considérer les hommes de pôté comme étant tous de mainmorte. Tous les mainmortables étaient, il est vrai, des gens de pôté, mais ceux-ci n'étaient pas tous, ni même la plupart des mainmortables. En effet, les hommes libres ou non libres qui dépendaient d'une seigneurie, s'appelaient, en général, les hommes de pôté, c'est à-dire les hommes placés sous la puissance (sub potestate) du seigneur.

Il n'y avait donc pas de serfs au-dessous ni au-dessus de la mainmorte, dans laquelle s'étaient réfugiés les restes de l'esclavage antique et de la servitude du Moyen Age. Quelque dégradée que fût cette condition, la loi qu'elle subissait était aussi imposée au gentilhomme ; car le vassal privé d'enfants ne pouvait pas, non plus, disposer de son fief, qui, dans ce cas, faisait retour à son seigneur. Et lors même qu'il laissait des enfants, au moment de son décès, ceux-ci étaient obligés, pour être maintenus dans la possession du fief paternel, de payer au seigneur un droit de rachat ou relief. Le dernier dauphin viennois, Humbert, qui pressura ses sujets tant qu'il vécut, affranchit tous les barons et autres seigneurs ses vassaux, à condition qu'ils feraient de même à l'égard de leurs propres hommes. Or, il arriva que plusieurs de ces seigneurs ayant continué d'exercer le droit de mainmorte sur les gens de leurs seigneuries, et étant décédés sans postérité, nos rois, comme successeurs du dauphin, les traitèrent comme des mainmortables et se mirent en possession de leurs fiefs, au préjudice de leurs parents collatéraux et de leurs légataires. En effet, dans le Dauphiné surtout, il y avait assimilation presque complète entre les fiefs et les mainmortes.

La mainmorte n'était plus reconnue en France au dix-huitième siècle, que dans un petit nombre de provinces. Elle avait été abolie, non par des lois positives, mais par la jurisprudence des parlements et des autres cours souveraines, qui, généralement, en cette matière, interprétèrent les Coutumes et rendirent leurs jugements dans le sens le plus favorable à la liberté. Au reste, si l'on s'en rapporte aux Mémoires publiés par le chapitre de Saint-Claude, qui maintint la mainmorte dans ses domaines jusqu'à la veille de la Révolution, le sort de la plupart de leurs mainmortables était préférable à celui des autres paysans, et les villages habités par eux étaient plus prospères que beaucoup d'autres du même pays.

Enfin Louis XVI, par son édit du mois d'août 1779, supprima la mainmorte, tant la réelle que la personnelle, dans toutes les terres du domaine royal, et le droit de suite, c'est-à-dire la mainmorte personnelle, dans toute l'étendue du royaume.

Dix ans après, l'Assemblée Constituante, dans la célèbre nuit du 4 août 1789, abolit, sans indemnité, tous les droits et devoirs qui tenaient à la mainmorte réelle ou personnelle.

Son décret fut confirmé et développé par la loi du 15 mars suivant, qui continua néanmoins d'assujettir tous les fonds tenus en mainmorte réelle ou mixte, aux autres charges, redevances, tailles ou corvées réelles, dont ils étaient grevés, et qui, de plus, appliqua cette disposition aux tenures en bordelage du Nivernais et aux tenures en motte et en quevaise de la Bretagne. Ainsi, quoique la mainmorte fût abolie, les droits seigneuriaux qui en dérivaient ou qui l'accompagnaient, n'en avaient pas moins été respectés. Mais ils ne le furent pas longtemps ; les lois du 17 juillet et du 2 octobre 1793 et celle du 7 ventôse de l'an II les anéantirent pour toujours.

Le décret impérial du 9 décembre 1811 supprima dans les départements hanséatiques toutes les coutumes analogues à la mainmorte, et à l'heure qu'il est, elles sont emportées par la tempête révolutionnaire dans tous les États de l'Europe, la Russie seule exceptée.

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.

 

BENJAMIN GUÉRARD, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.