LA VIE PRIVÉE DE TALLEYRAND

SON ÉMIGRATION - SON MARIAGE - SA RETRAITE - SA CONVERSION - SA MORT

 

LA CONVERSION ET LA MORT DE TALLEYRAND.

 

 

I. Talleyrand à l'archevêché de Paris. — Le cardinal Alexandre-Angélique de Talleyrand-Périgord. — Diners ecclésiastiques. — Mgr de Quélen. — Premières démarches. — Les dispositions et les instructions de Rome. — Mme de Dino et M. de Quélen. — La mort de Mme Grand. — Instructions pour le curé de la Madeleine. — Invitation de Mgr de Quélen à Valençay. — II. Les sentiments de Talleyrand. — Mme de Rémusat. — La duchesse de Dino. — La carrière sacerdotale de M. de Talleyrand. — Souvenirs du passé. — Talleyrand et les ecclésiastiques. — Lectures et pensées. — Le Salve, Regina. — Prières de bonnes âmes — III. Invitation à diner de l'abbé Dupanloup. — Un diner rue Saint-Florentin. — Maladie de Talleyrand. — L'éloge du comte Reinhard. — Conversations avec l'abbé Dupanloup. — Une lettre décisive. — Nouvel entretien avec l'abbé Dupanloup. — Talleyrand essaye d'expliquer sa vie. — Les inquiétudes de Mgr de Quélen. — IV. La dernière maladie. — L'abbé Dupanloup au chevet de Talleyrand. — Déclaration et lettre au pape. — Hésitations et délais. — Une nuit d'angoisse. — La signature. — Visite royale. — Les derniers moments.

 

Ce fut un gros événement de l'année 1838  que la mort religieuse du prince de Talleyrand. A cette heure où Voltaire régnait, elle étonna. On se permit de petits sourires, des airs incrédules, des critiques, des railleries ; et il y eut de bons chrétiens pour s'en montrer déçus presque à l'égal des mécréants. Une mort à la Grégoire ou à la Montlosier aurait recueilli plus d'applaudissements. M. de Talleyrand, s'écriait, dans l'antichambre même du mort ; un jeune homme d'État qu'on a comparé quelquefois au prince de Bénévent quoiqu'il n'en ait pas eu l'envergure. M. de Talleyrand n'a pas su finir en politique. A quoi la duchesse de Dino, qui avait entendu, riposta : Monsieur, il est mort du moins en honnête homme. Un autre, vieux survivant de l'émigration, disait : Après avoir dupé les hommes, l'évêque d'Autun a voulu duper Dieu. Mme de Girardin accueillait les hôtes de son salon, où le vicomte de Launay mettait à l'essai les mots de ses Lettres parisiennes, par cette boutade : Eh bien, est-ce vrai la nouvelle ? On assure que M. de Talleyrand est mort en homme qui sait vivre. Et, toujours sur ce même sujet, l'écho de la grave maison du duc Victor de Broglie, Doudan, écrivait à Guizot : Le dix-huitième siècle me semble avoir fait triste figure... Il est visible qu'avec ce qu'il a de mauvais, il ne sait pas mourir. Même la duchesse de Broglie, qui avait dans l'âme trop de sérieux pour plaisanter ou pour juger, restait déconcertée, troublée : Cette scène de M. de Talleyrand est bien étrange, mandait-elle au baron de Barante. Dieu veuille avoir parlé lui-même à son rime et lui avoir dit ce que nulles voix humaines ne peuvent jamais dire. Je l'espère, je le crois ; Dieu soude les cœurs et les consciences, il est le Dieu de vérité et aussi de compassion. Quant à la comtesse de Boigne, grande darne tournée à la commère, elle a consacré tout un chapitre lie ses souvenirs à ramasser des cancans sur l'acte suprême de l'ancien évêque d'Autun. Il ne se trouva guère que Mgr de Quélen pour se réjouir sincèrement, de toute son âme, le jour où il suspendit, dans le sanctuaire de Notre-Dame de la Délivrande, un ex-voto de gratitude, et aussi, peut-être, le prince de Metternich qui, en apprenant comment son vieux partenaire du congrès de Vienne avait dit adieu à ce monde, déclara solennellement : La reconnaissance de l'Europe et de tous les honnêtes gens est due aux personnes qui ont contribué à cette belle mort !

Depuis lors. le silence ne s'est jamais fait. La fin chrétienne de M. de Talleyrand a continué de défrayer la chronique. Sainte-Beuve, Louis Blanc, Renan, pour ne citer que quelques noms, s'en sont occupés. Elle est devenue un fait d'histoire, et, à mon tour, en historien qui regarde les choses du dehors sans avoir la prétention un peu puérile de scruter les consciences, je voudrais la raconter, en rétablir les circonstances, en reconstituer les détails. La Chronique de la duchesse de Dino, qui est en train de paraître, vient justement de nous livrer un témoignage neuf et précieux, et je m'appuierai aussi sur des documents, dont plusieurs sont inédits : les instructions et les lettres de Mgr de Quélen, un récit de l'abbé Dupanloup et des notes écrites pour lui par Mme de Dino et M. de Bacourt, des relations du duc de Noailles et du comte de Sainte-Aulaire[1]. — tous acteurs ou assistants.

 

I

 

La réconciliation de Talleyrand avec l'Église ne fut pas, comme on l'a quelquefois prétendu, l'affaire d'une heure, — de la dernière heure. Elle fut préparée de longue main. Pendant des années, l'intéressé y pensa et, pendant plus d'années encore, d'autres y pensèrent autour de lui.

Personne n'eut plus à cœur la conversion de Talleyrand que son oncle, Alexandre-Angélique de Talleyrand-Périgord, que la Révolution avait trouvé archevêque-due de Reims et que la Restauration fit cardinal-archevêque de Paris. C'était pour lui une question personnelle. Si Talleyrand avait été prêtre, il pouvait se dire qu'il en était l'auteur responsable. Alors que ses maîtres de Saint-Sulpice avaient des doutes sur la vocation de l'abbé de Périgord, que M. de Beaumont retardait son admission au sacerdoce, il lui avait ouvert les portes de son diocèse de Reims et l'avait laissé recevoir l'ordination dans la chapelle même de son archevêché ; il l'avait nominé son vicaire général, il l'avait fait chanoine de sa cathédrale[2]. Ce souvenir était resté, dans la conscience si droite, si régulière, de M. de Talleyrand-Périgord, qui était lui-même regardé comme le modèle de toutes les vertus épiscopales[3], une plaie saignante, et il avait juré de rendre à Dieu cette aime de prêtre qu'il n'avait pas réussi à lui donner. A peine revenu à Paris, en 1814, grand aumônier de France, il avait revu son neveu et l'avait enveloppé de prévenances ; il l'attirait chez lui ; il faisait plus, il cherchait, en le consultant, à l'intéresser aux affaires de : Mgr de Quélen racontait plus tard à l'abbé Dupanloup que, pendant les laborieuses négociations du Concordat de 1817, Mgr de Talleyrand-Périgord l'envoyait souvent, le matin, rue Saint-Florentin, prendre l'avis du négociateur du Concordat de 1801. Quand le grand aumônier devint archevêque de Paris, les relations se resserrèrent encore. Ce ne furent plus seulement des politesses échangées, ce furent des invitations ; et l'on eut ce spectacle de l'ancien évêque d'Autun prenant place à des dîners ecclésiastiques entre le cardinal de Dausset et le cardinal de La Luzerne, M. Feutrier, futur évêque de Beauvais, et M. Borderies, futur évêque -de Versailles, M. Frayssinous, fondateur des célèbres conférences de Saint-Sulpice, le coadjuteur, M. de Quélen, les vicaires généraux, le supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, M. Duclaux, etc. Talleyrand se laissait faire ; il répondait par des égards aux avances de son oncle, il multipliait ses visites : lorsque le vieux cardinal était soutirant, il venait, presque chaque jour, passer auprès de lui quelques instants[4]. Les choses allèrent-elles plus loin ? Dans un entretien intime, Mgr de Talleyrand, qui sentait approcher la mort, osa-t-il aborder le sujet redoutable ? Nous ne savons pas. Il mourut le 20 octobre 1821, et sa dernière parole fut pour léguer à son coadjuteur et successeur, M. de Quélen, l'âme à sauver du prince de Talleyrand[5].

M. de Quélen convenait à la tache qui lui était confiée. De vieille souche bretonne, il était ardent et tenace ; il avait le zèle des âmes : apprenant que Napoléon désirait, à Sainte-Hélène, un prêtre français, il s'était, lui royaliste, écrié dans un élan : Je vais partir. Mgr Dupanloup le jugeait d'un mot qui, à ses veux, résumait tout : C'était un prêtre. Seulement M. de Quélen, qui avait suivi sa voie, sans fléchir, à travers les orages de la Révolution, éprouvait pour Talleyrand, fondateur de l'Église constitutionnelle, évoque marié, moins que de l'attrait, une sorte d'instinctif éloignement. Il l'avouait et il en souffrait. Du temps du cardinal de Périgord, il n'avait fréquenté l'ancien évêque d'Autun que par devoir : mauvaise condition, car ce n'est pas par devoir, c'est par amour, qu'une âme se conquiert. Et, en attendant que, chez Mgr de Quélen, le sentiment du devoir fit ce prodige de susciter l'amour, la glace devint un moment plus épaisse entre le successeur de Mgr de Talleyrand et son neveu. Qui la romprait ?

Une occasion s'offrit à la fin de 1823. Le Mémorial de Sainte-Hélène venait de paraître. Ç'avait été le prétexte, pour quelques journalistes, de rechercher la part des hommes du Consulat dans la mort du duc d'Enghien. Des accusations avaient été portées. Afin d'y répondre, dans une brochure qui fit du bruit[6], le duc de Rovigo, Savary, l'un des plus compromis, avait cru bon, tout en essayant de se disculper lui-même, de rejeter sur Talleyrand la responsabilité première du crime de Vincennes. Les vieilles passions sommeillantes s'étaient brusquement réveillées. Dans la presse, dans les salons, même à la cour, on avait pris parti. Il y avait eu, çà et là contre Talleyrand, un déchaînement. Non seulement son rôle lors de l'attentat avait été discuté, mais certains actes de son passé, — de ceux qu'il cherchait le plus soigneusement à voiler d'ombre, — étaient ressortis au grand jour des polémiques. Talleyrand, quelque habitué qu'il fût aux aventures, avait été fort ému ; de Valençay, où il vivait dans une retraite presque complète depuis sa fâcheuse intervention contre l'expédition d'Espagne, il était accouru à Paris, pour se défendre. Et, quoique Louis XVIII eût couvert son grand chambellan, que l'opinion, — à part le clan des ultras et celui des bonapartistes, — se fût prononcée en sa faveur, il avait traversé des heures dures. Talleyrand s'étonna que, dans cette crise, aucune parole de sympathie ne lui fût venue de l'archevêché ; il s'en plaignit, on le rapporta à Mgr de Quélen et, presque aussitôt, lui arriva une longue lettre. Ce n'était peut-être pas tout à fait celle qu'il attendait.

Mon Prince, lui écrivait l'archevêque, le tort apparent que vous me reprochez en cache un autre bien plus réel, qui peut vous expliquer, et qui doit justifier à vos yeux, j'espère, l'indifférence dont vous m'accusez... C'est le retard que j'ai mis jusqu'à ce jour à remplir vis-à-vis de vous une obligation qui me presse depuis plusieurs années ; un engagement sacré pris avec le vénérable patriarche que vous aviez pour oncle, et que j'ai eu pour père ; un devoir que ses bontés m'imposent, dont sa mort m'a chargé tout entier, et que je me reproche à d'agile instant de trop différer à accomplir. depuis le moment ou j'ai reçu, avec sou dernier soupir, sa dernière bénédiction : celui de réunir auprès de vous tous les titres qu'il m'est permis d'invoquer pour vous conjurer avec la plus vive instance de penser à ce que la Religion, l'Église, la France, vos amis, votre famille attendent de vous à la fin de votre carrière, à ce que demandent en même temps le soin et le salut de votre âme, prèle a entrer dans la demeure de son éternité. Voilà Prince, je le confesse, ce que j'ai trop négligé de vous dire, ce qui m'a si fuit tenu dans la réserve. — L'embarras où j'étais d'aborder avec vous un tel sujet, continuait M. de Quélen, m'a fait redouter, éviter, fuir même votre rencontre et votre approche, de peur de me découvrir avant le temps. ou de bal-Initier, quand il faudrait que ma parole fut libre et assurée, ou de ne pas vous trouver disposé à m'entendre et de reculer ainsi indéfiniment une époque que mes vœux les plus ardents et mes ferventes prières ne cessent d'appeler. Je n'ai pas jusqu'ici eu la force de m'adresser à vous, mais, sachant que Dieu, qui ressuscite les morts, n'a besoin de personne pour opérer les plus grands miracles, j'ai osé demander celui de votre conversion, quelque difficile qu'il paraisse, et vous ne saurez que dans l'éternité toutes les violences que j'ai essayé de faire an ciel et toutes celles qui se font encore dans mon diocèse pour l'obtenir. Il suffit maintenant de vous dire que jamais je ne suis monté au saint autel sans vous y conduire avec moi, ne s'est pas passé un seul jour où ma dernière prière n'ait été pour vous et que, pour vous encore, j'ai souvent prié pendant la nuit.

 

A mesure que l'archevêque déchirait le voile sur le secret de son âme, sa voix s'affermissait ; son accent devenait plus impérieux, plus pressant et plus tendre : c'était le prêtre, le juge de Dieu, qui parlait à présent du haut de son caractère sacré :

Des causes malheureuses, qu'il est inutile d'examiner en ce moment ; vous ont entrainé dans de déplorables conséquences, dans de terribles égarements, je ne dis pas seulement selon le monde, qu'il va falloir quitter et dont les jugements quels qu'ils soient ne peuvent presque rien souvent sur notre sort, mais devant Dieu, dont le jugement est décisif pour notre bonheur ou notre malheur éternel. Ces erreurs, ces égarements ne vous ont pas entièrement fait perdre la foi, on aime A le penser. Pourquoi abandonneriez-vous l'espérance qu'elle laisse à ceux qui viennent à la dernière heure ? Pourquoi n'employeriez-vous pas ce qui vous reste d'années à vivre, à régler de grands comptes et à effacer d'une seule rature, comme le dit Bossuet, d'énormes dettes que la miséricorde divine remet à qui le demande sincèrement et humblement ?

Évêque, vous avez beaucoup affligé l'Église, cependant vous ne l'avez pas haïe... Consolez-la donc maintenant, cette Église qui vous environna de ses premiers honneurs, qui vous offrit et vous donna ses richesses, et qui n'a perdu ni le droit ni la puissance de vous couvrir encore de gloire dans les jours de son abaissement et de sa pauvreté : consolez-la par un exemple qu'elle n'a pas vu même dans son plus bel âge. qua n'appartiendra peut-être qu'à vous seul de lui montrer et dont l'influence peut devenir si forte et si heureuse sur un grand nombre qui ont à réparer comme vous.

Français, quels services n'avez-vous pas rendus à la monarchie après nos désastres !... Les rois eux-mêmes vous doivent leurs couronnes, vous leur avez inspiré la reconnaissance, vous pouvez encore les forcer à l'admiration en vous assurant à vous-même une couronne immortelle, que les révolutions ne sauraient arracher ni flétrir, et à laquelle je ne saurais me persuader que vous avez pour jamais renoncé.

 

L'archevêque rappelait à Talleyrand ses maîtres de Saint-Sulpice, dont vous ne prononcez, disait-il, les noms qu'avec reconnaissance ; son oncle, le cardinal, laissant parmi les hommes une mémoire pleine de bénédictions ; sa pieuse grand'mère, et il disait :

Ne voulez-vous pas... vous réunir à eux après avoir conquis par le repentir les applaudissements de la terre et les récompenses du ciel qu'ils ont mérités par leur innocence ? Qui pourrait vous arrêter, ô Prince ? Les illusions de la vie sont passées : votre carrière s'achève, les affaires ne peuvent plus être désormais qu'un délassement pour vous, vous êtes sorti du tourbillon politique et de cette scène où d'autres ont paru. Votre réputation n'a rien à risquer de votre retour : plus il sera éclatant, plus il vous assurera de considération et d'estime de la part des hommes sensés, des bons esprits et de tout ce qu'il y a de vertueux et d'honnête. Quant aux méchants, aux esprits légers ou moqueurs, quant à ceux qui sont assez malheureux pour ne pas croire au repentir plus qu'à la vertu... que vous importe ?... Ne craignez point ceux qui ne peuvent rien sur l'âme ; mais plutôt craignez Celui qui peut à la fois perdre le corps et l'âme dans l'enfer.

L'archevêque terminait par ces mots, où l'on sent l'émotion trembler :

Peu de personnes peut-être vous ont tenu, mon Prince, un semblable langage. Je le confesse : si mon âme est soulagée, elle a aussi besoin de repos. J'ai rempli auprès de vous le devoir d'un évêque et d'un ami... Adieu, Prince, adieu : vous avez vu changer la figure de ce monde : bientôt elle va passer entièrement pour vous. et avec vous. Que je vous précède ou que je vous suive, il y a un tribunal suprême devant lequel nous nous retrouverons : sera-ce pour nous séparer à jamais ? Les adieux du temps ne sont rien pour ceux que la foi doit réunir ; mais qu'ils seront cruels pour ceux qui seront éternellement retranchés de la société des élus ![7]

 

Cette lettre resta douze ans sans réponse. Mais elle avait renoué un fil entre M. de Talleyrand et M. de Quélen : ni l'un ni l'autre désormais ne le laisseront se briser.

Pour commencer, l'hôte de la rue Saint-Florentin voulut qu'au jour de l'an la duchesse de Dino portât ses vœux à l'archevêché. Plus tard, il écrivit lui-même, et il chargeait sa nièce de lui rappeler, chaque année, cette lettre de famille[8]. Nous devons toujours, disait-il aux siens de M. de Quélen, le traiter en grand parent : il nous a été légué par mon oncle, le cardinal[9]. Afin de marquer à ce grand parent sa sympathie, il avait sans cesse l'esprit en éveil. Lorsque Mgr de Quélen eut l'idée de fonder à Paris une maison de hautes études ecclésiastiques, sous le nom de Maison des prêtres de saint Hyacinthe, il lui envoya 10 000 francs avec ces mots : Pour aider Mgr l'archevêque à relever l'ancienne Sorbonne ou à y suppléer CO[10]. En d'autres occasions, il s'efforça d'être utile au prélat, assure Mme de Dino, soit par des conseils qu'il croyait bons, soit en lui rendant... les témoignages les plus honorables[11].

Ces petites choses entretenaient l'espérance dans lecteur de M. de Quélen. Il était à l'affût de ce qui le rapprocherait de Talleyrand. Sous prétexte d'œuvres, il voyait fréquemment Mme de Dino : il avait décidé, quoiqu'il la sentit à son égard peu bienveillante[12], qu'elle serait son alliée. Par elle, il tachait d'avoir des jours sur rame obscure qu'il convoitait ; par elle, il faisait dire au prince : on pense à Vous, on prie pour vous ; et il se désolait quelquefois de ne pas allumer en elle le feu d'apostolat dont lui-même était consumé. Ramener Talleyrand était devenu son idée fixe. Au milieu des tribulations que lui apporta la révolution de juillet, — pillages de son archevêché, menaces contre sa personne. injures et calomnies d'une certaine presse, sans parler des amertumes que lui furent la mort de Grégoire et la révolte de Lamennais, — il ne s'en détachait pas. Talleyrand était à présent à l'ambassade de Londres où il faisait grande figure, et la duchesse de Dino l'accompagnait. L'archevêque ne les voyait plus ; il n'eu entendait parler que de loin en loin, par les gazettes : mais il priait toujours. Au mois de septembre 1834, étant chez un de ses frères, en Normandie, il alla s'agenouiller dans le sanctuaire de Notre-Dame de la Délivrande et il s'y écria : Ô mon Dieu, je vous demande le salut de M. de Talleyrand. Pour l'obtenir je vous offre ma vie, et je consens même volontiers, si je l'obtiens, de l'ignorer à jamais : seulement, que je l'obtienne ! Depuis lors, ce fut sa prière de chaque soir[13].

Cependant Talleyrand vieillissait. Il avait quatre-vingts ans ; il n'allait pas bien, il était très occupé et préoccupé de sa santé. En novembre 1834, comme nous l'ayons dit, il renonça à son ambassade de Londres et, lei janvier suivant, le Moniteur universel publia sa lettre de démission. Mon grand âge, y disait-il en terminant, les infirmités qui en sont la suite naturelle, le repos qu'il conseille, les pensées qu'il suggère, rendent ma démarche bien simple, ne la justifient que trop, et en font même un devoir. M. de Quélen lut cette lettre. Mon grand âge... les pensées qu'il suggère[14]... N'était-ce pas une orientation nouvelle de l'esprit du vieillard, un retour vers des pensées graves ? M. de Quélen voulut être prêt à tout événement. Dès le 16 janvier, il écrivit à Rome, au cardinal Lambruschini, le priant de soumettre au pape ces deux questions : Quelle devrait être l'attitude de l'archevêque de Paris dans le cas où le prince de Talleyrand, ancien évêque d'Autun, ferait appel à son ministère ? Quelle devrait être son attitude dans le cas ou M. de Talleyrand mourrait impénitent ? La réponse de Rome fut prompte et précise. Nous la reproduisons, parce qu'elle montre clairement où en était, au regard de l'Église, l'ancien évêque d'Autun :

... Hier seulement, j'ai pu me procurer l'honneur d'être aux pieds du Saint-Père, et c'est d'après ses ordres que j'ai celui de vous signifier ce qui suit :

1° Dans la prévision du cas spirituel dont vous parlez, Sa Sainteté vous accorde toutes les plus amples facultés sans aucune restriction, et même celles qui auraient besoin d'une expresse mention.

2° Vous êtes autorisé à déléguer les mêmes facultés, pour le cas en question, aux deux archevêques par vous nommés de Bourges et de 'fours, où le personnage dont il s'agit pourrait se trouver à l'époque de sa mort, ou à tout autre évêque, selon le besoin, à votre choix.

3° La seule mesure émanée du Saint-Siège, sous le pontificat de Pie VII, en faveur de l'ancien évêque dont vous parlez, a été de le réduire à la communion laïque, salva obligatione perpetuæ custitatis servandœ, sur laquelle aucune dispense n'a jamais été donnée.

4° Pour faire usage des facultés qui vous sont déléguées à son égard, il sera nécessaire avant tout le repenti, et une réparation suffisante dont il est redevable à l'Église et aux fidèles. J'ai dit suffisante parce qu'il ne faut pas confondre le cas de l'ancien évêque dont nous parlons avec celui de Grégoire. Ce dernier était schismatique et l'autre ne l'est pas ; il a été réduit par un acte de l'Église à la communion laïque. Cette différence ne sera pas perdue de vue par Votre Grandeur, à la charité, discrétion et prudence de laquelle on s'en rapporte entièrement pour le mode extérieur de réparation que vous jugerez opportun, même per gerba generalia, d'exiger.

5° On ne croit pas convenable d'envoyer pour le moment la lettre ou bref dont Votre Grandeur, dans un zèle bien louable, me parle ; mais elle pourra à l'occasion, et quand elle le jugera prudent, l'aire connaître à la personne la peine et l'affliction du Saint-Père, et combien vivement il serait consolé de son retour.

6° Dans tous les cas, si le mourant ne refuse pas ouvertement les sacrements, on croit qu'il ne pourrait lui être refusé la sépulture ecclésiastique.

Au reste, Monseigneur, Sa Sainteté m'a chargé de vous assurer qu'elle priera de tout son cœur et fera même prier pour t'œuvre importante de charité et de miséricorde, de laquelle vous êtes occupé et qui est bien digne de votre zèle pastoral[15].

 

Mgr de Quélen venait de recevoir cette note du cardinal Lambruschini, lorsqu'une circonstance, qu'il n'attendait pas, — la confirmation de la petite Pauline de Périgord, — le remit à l'improviste en face de la duchesse de Dino. Il y avait quatre ans qu'ils ne s'étaient vus. Pendant ces quatre ans. le temps avait marché ; l'émeute avait fait choir des couronnes et couler le sang : elle avait dépouillé, bafoué, menacé l'archevêque : devant Mme de Dino, il n'y pensait déjà plus, il était ressaisi par l'idée de Talleyrand et, tout naturellement. l'entretien reprit où les événements l'avaient interrompu M. de Quélen fit part à la duchesse de sa démarche à Rome. rie la réponse du Saint-Siège ; il l'exhorta. avec plus de chaleur que jamais, à lui prêter son aide. Mme de Dino traversait sans doute une heure de lassitude : loin d'encourager le prélat, elle lui déclara qu'elle ne saurait, pour son compte, que se renfermer dans un rôle purement passif[16]. Mgr de Quélen n'insista pas ; il savait attendre, et Mme de Dino, à sa prochaine visite, s'aperçut vite qu'elle n'était point tenue quitte par ce Breton patient et obstiné[17].

Nous avons raconté plus haut qu'un soir de décembre 1835, pendant que l'archevêque de Paris donnait une audience dans le parloir des daines de Saint-Michel, rue Saint-Jacques, on l'avait soudain prévenu qu'une malade à l'agonie le faisait appeler : elle ne voulait se confesser qu'il lui. C'était la princesse de Talleyrand ! Mgr de Quélen, laissant là son audience, un conseil épiscopal déjà rassemblé, avait couru chez la princesse et, deux jours après, grâce à lui, l'ex-Mme Grand avait fait une mort plus édifiante que sa vie.

M. de Quélen n'avait pas rencontré Talleyrand au chevet de la mourante. Y avait-il compté ? Fut-il déçu ? Peut-être. Il ne fut pas découragé. Au lendemain de cette mort. qui n'avait pas pu ne pas remuer dans l'âme du vieillard les souvenirs de son passé, il crut le moment propice d'intervenir à nouveau pour y mêler des pensées de l'au-delà Le 12 décembre, il lui adressa cette lettre :

Mon Prince,

Une dame que vous reconnaîtrez facilement, sans qu'il soit besoin que je la désigne sous le nom que lui accorde la loi civile, mais qu'il ne m'est pas permis canoniquement de lui donner, vient de mourir rue de Bourbon[18], 87, après m'avoir exprimé le désir d'être réconciliée avec Dieu, après avoir demandé, en présence de témoins, pardon des scandales qu'elle avait pu causer, après avoir reçu les sacrements de l'Église. Le Seigneur, toujours plein de miséricorde envers ceux qui reviennent à lui dans la sincérité de leur cœur, a daigné se servir de mon ministère pour offrir à cette âme le secours de sa grâce, avant de l'appeler à son jugement. Puisse celle nouvelle, mon Prince, devenir pour vous, comme elle est pour nous, un sujet de consolation et d'espérance ! Quelle joie pour le ciel et pour la terre : quel bonheur pour vous si, averti par le coup que la mort vient de frapper presque à votre porte, vous vous hâtez de mettre à profit les instants désormais bien courts qui vous restent pour régler aussi les affaires de votre éternité !

Vous n'ignorez pas, cher Prince, quels sont les devoirs que m'imposent et le titre de pasteur et le souvenir de ce vénérable cardinal. qui m'a légué, pour vous en particulier, toute sa sollicitude et toute sa tendresse. C'est afin de les remplir, ces devoirs, sans en rien retrancher, que je saisis cette grave circonstance pour vous supplier de penser, de travailler sans délai au salut de votre âme, qui maintenant, à votre âge, avec ses infirmités, périclite à toute heure. C'est pour cela que je renouvelle les instances que je vous adressais, il y a douze ans à pareille époque, dans une lettre du 8 décembre 1823, dont la minute, retirée des décombres de l'archevêché, m'a été rapportée.

Je vous en conjure donc, mon Prince, au nom de Jésus-Christ, notre frère, notre pasteur, notre rédempteur, notre Dieu ; au nom de la très sainte et immaculée Vierge Marie, sa mère. refuge assuré des plus grands pécheurs, et que vous avez appris à invoquer dans votre jeunesse ; au nom de l'Église catholique, qui vous ouvre ses bras maternels ; au nom du Souverain Pontife, qui, m'accordant pour vous les plus -amples facultés, m'a autorisé à vous faire connaître sa peine et son affliction, et combien il serait consolé de votre retour ; au nom du cardinal de Périgord, auquel il est impossible que vous ne souhaitiez pas d'être réuni : au nom de votre famille, à laquelle j'appartiens depuis le lien sacré qui m'a associé à l'un de ses illustres chefs : au nom de vos vrais amis, dont j'ose me dire un des premiers ; ajouterais-je au nom de mes tribulations et de mes épreuves, acceptées, endurées, offertes sans cesse pour vous : revenez, revenez promptement, sincèrement, à votre foi, à votre cœur, à votre conscience. Le juge est à la porte ; vous arriverez devant son tribunal après une course longue, pénible, orageuse ; accordez-vous avec une conscience qui réclame, pendant qu'il en est temps encore, tandis que vous êtes encore dans la voie, avant la fin du jour qui est sur son déclin ; ne vous exposez pas à tomber coupable entre les mains du Dieu vivant, et à passer de là dans celles des exécuteurs de ses éternelles vengeances.

Ambassadeur de Jésus-Christ auprès des âmes de mon diocèse, spécialement délégué du Saint-Siège auprès de la vôtre, muni de pleins pouvoirs, chargé par office de vous porter des paroles de réconciliation, je n'ai pas besoin, mon Prince, de vous tracer ici les conditions de la paix que vous fait offrir le roi tout-puissant et miséricordieux de l'univers. Vous les connaissez aussi bien que personne. Vous savez aussi que, moins vous serez réservé, plus il sera généreux.

La défunte m'a prié plusieurs fois de recommander à vos bontés tous les gens de son service... Je m'acquitte, mon Prince, de cette commission donnée sur le lit de mort et que je me suis engagé à remplir. J'irais la faire personnellement, si je pouvais croire que vous avez entendu, que vous avez compris les vœux d'un cœur qui vous est si dévoué, et si je pouvais espérer que ma présence ne vous est pas importune, parce que mes prières auraient obtenu de vous me acquiescement, en échange duquel je donnerais volontiers mille fois ma vie.

Veuillez agréer l'hommage du tendre et respectueux attachement avec lequel je suis, mon Prince, votre très humble et très obéissant serviteur.

† HYACINTHE, archer. de Paris[19].

 

Cette fois, Talleyrand sortit de son silence. Cette lettre où l'archevêque de Paris avait mis tout son cœur, ne resta pas sans réponse. Le soir même, il recevait le billet suivant :

Monseigneur,

Le respect filial que vous conservez à celui qui vous aimait paternellement vient encore de se manifester dans une circonstance qui me touche particulièrement. J'aurais désiré vous parler moi-même du prix que j'attache à votre bienveillance, mais une indisposition prolongée ne me permettant pas de sortir, je demande à Mme de Dino de vous porter cette lettre et d'entrer avec vous, Monseigneur, dans quelques explications qui vous prouveront, je l'espère, le sincère attachement, le respect et la haute considération dont je vous prie d'agréer l'hommage.

LE PRINCE DE TALLEYRAND.

 

Plus remué peut-être qu'il ne voulait eu avoir l'air, le lendemain, 13 décembre, Talleyrand écrivit encore à Mgr de Quélen : il lui annonçait sa visite à l'archevêché, dans le courant de la semaine[20]. La semaine finit, d'autres semaines passèrent, et la visite n'eut pas lieu. Pourquoi ? Fut-ce quelque accès d'amour-propre qui l'empêcha ? L'ennui de paraître céder à une obsession ? Ou bien cet effroi des émotions qu'éprouvent parfois les vieillards ? M. de Quélen ne le sut pas. Le sphinx avait entr'ouvert les lèvres et s'était tu.

Vers cette date, Talleyrand fut malade très gravement. Depuis des mois, sa santé déclinait ; pendant quelques jours, sa vie meule inspira de l'inquiétude. Dans une lettre à M. de Barante, M. Molé déclarait, le 9 décembre : M. de Talleyrand n'est pas bien. Dans mon opinion de médecin, je le crois même dans un état imminent. L'affection au cœur fait des progrès et les moyens employés, tels que ventouses et sangsues, ôtent des forces à ses quatre-vingt-deux ans[21]. Le 15 décembre, il ajoutait : Il y a du mieux dans la santé de M. de Talleyrand. Je crains cependant qu'on ne prenne trop de confiance dans ce qu'on veut appeler sa convalescence[22]. Le danger dura jusqu'à la fin du mois et, même quand il fut dissipé, la sécurité avait à jamais disparu.

Mgr de Quélen avait été prévenu par Mme de Dino de la crise terrible qui avait failli emporter Talleyrand. Comme elle, il avait vécu des heures d'angoisse. Serait-ce donc au moment où il croyait son rêve prêt à devenir une réalité, qu'il pouvait s'évanouir dans un souffle ? D'accord avec Mme de Dino, maintenant aussi ardente que lui-même à poursuivre la conversion de son oncle, il jugea qu'il fallait prévoir. Si Talleyrand, pris d'un soudain étouffement, demandait un prêtre, on courrait au plus près, au curé de la Madeleine. Il importait que ce prêtre n'hésitât point, qu'il sût, d'avance, ce qu'il aurait à faire. La chose parut à l'archevêque si essentielle et en même temps si urgente, qu'il réunit, le Il janvier, un conseil de théologiens et d'amis du prince. Longuement, mot par mot, on y discuta les termes de la rétractation à exiger, l'heure venue, de l'ancien évêque d'Autun. Une première rédaction fut examinée, débattue, rejetée. Une seconde, moins brutale peut-être dans la forme, tout aussi précise dans le fond, rallia les suffrages. La voici :

Je soussigné, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, duc de Dino, prince de Talleyrand, pair de France, ancien ambassadeur en Angleterre, atteint d'une maladie qui peut d'un instant à l'autre terminer subitement mes jours, en présence des témoins ci-désignés : — — — —

Déclare devant Dieu que je veux mourir dans la foi, l'obéissance et la communion de notre Mère, la sainte Église catholique, apostolique et romaine, dans le sein de laquelle j'ai eu le bonheur de naitre. Je désavoue, condamne et rétracte tout ce qui, dans mes paroles, écrits ou actions, a pu être contraire à ses dogmes, à sa morale et à sa discipline, notamment ma participation au schisme de la constitution civile du clergé, et le mariage, illicite et nul d'après les lois canoniques, que j'ai eu le malheur de contracter devant les saints autels au moyen d'une interprétation arbitraire et forcée donnée à un bref du Souverain Pontife Pie VII, qui m'avait rendu seulement aux fonctions séculières et réduit à la communion laïque, sans aucune dispense sur le lien de chasteté perpétuelle que j'étais tenu de garder à cause-de mon ordination, de ma consécration épiscopale et de mon caractère indélébile. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes et scandales de ma vie, désirant être réconcilié avec lui par ma participation aux sacrements de l'Église.

Je désavoue en outre et condamne tout ce qui, dans les écrits, lettres ou mémoires qui pourraient paraître sous mon nom, serait tant soit peu contraire à la présente déclaration, que je dépose entre les mains de M. l'archevêque de Paris, l'autorisant et le priant de lui donner la publicité qu'il jugera convenable.

Fait à Paris, le —.[23]

 

Le conseil épiscopal s'était tenu le 11 janvier. Le 12, Mgr de Quélen fit parvenir, sous pli cacheté, la formule de réparation à M. Beuzelin, curé de la Madeleine. Pour le cas où Talleyrand manderait un prêtre subitement, des instructions claires et méticuleuses y étaient jointes. L'archevêque rappelait tout d'abord une règle générale de l'Église : même à l'article de la mort, l'absolution ne peut are accordée à certaines personnes, si ces personnes n'ont fait avant tout une réparation des scandales publics qu'elles ont donnés. — Vous devez donc exiger, continuait Mgr de Quélen, d'abord et avant tout, le repentir et une réparation suffisante, dont la personne en question est redevable à l'Église et aux fidèles. Vous exigerez cette réparation par vous-même et non par un autre, et vous aurez dès maintenant à prévenir tous les ecclésiastiques de votre paroisse, que, seul, vous êtes chargé de cet acte du for extérieur. Quant à la réparation à exiger, vous en trouverez la formule sous le pli scellé de mon sceau. Vous n'ouvrirez ce pli que dans la chambre du malade. Lorsque le malade aura signé, si le temps presse et qu'il ne soit pas possible de me consulter, on pourra commencer à entendre sa confession et donner l'absolution in articulo mortis. Mais dans l'hypothèse où le malade, à l'arrivée du prêtre, serait si bas qu'il ne prit signer ? Une adhésion verbale, répondait l'archevêque, clairement exprimée en présence de témoins, suffirait, à la condition toutefois qu'avant toute administration de sacrements, les témoins affirment par écrit ladite adhésion. Enfin, il serait possible qu'appelé trop tard auprès du malade, on vous assurât qu'il a adhéré verbalement à une déclaration semblable à celle que je vous transmets et dont j'envoie un double aux personnes qui sont auprès de lui : dans ce cas encore, vous demanderiez aux témoins qu'ils consignassent par écrit l'assurance qu'ils vous auraient donnée. Telle est, Monsieur le curé, disait pour conclure l'archevêque. la conduite que vous aurez à tenir, et maintenant prions, prions sans cesse... Ne perdez pas un instant de vue que, dans une affaire aussi délicate, il ne s'agit de rien moins que du salut d'une âme et de l'honneur de l'Église[24].

Ainsi qu'il en avait prévenu le curé de la Madeleine, Mgr de Quélen remit, le 15 janvier, la formule de réparation à la duchesse de Dino. Elle était en de bonnes mains. Restait à présent que Talleyrand dit le mot qui permettrait d'agir. Était-il prêt à le prononcer, ce mot, quand, au mois de septembre 1836, il invita l'archevêque de Paris à venir visiter Valençay ? Mgr de Quélen accepta d'enthousiasme, et Talleyrand en exprima sa joie. Il choisit lui-même la chambre du prélat ; il ordonna de préparer la chapelle du château ; il fit envoyer de Paris des ornements qui manquaient : Il faut, écrivait-il, que nous soyons fournis de tout au complet. — Au dernier moment, Mgr de Quélen fut retenu à Paris. Il s'en excusa par une lettre[25] qui, toute bonne qu'elle était, ne remplaçait pas une heure de causerie dans la paix libre des champs ; et l'occasion, cette fois-là fut passée.

 

II

 

Si les dispositions de l'Église vis-à-vis de Talleyrand apparaissent fort claires, en revanche, les dispositions de Talleyrand vis-à-vis de l'Église le sont moins. Au soir de sa longue vie, lorsqu'il lisait, sans mot dire, les lettres de Mgr de Quélen, ou qu'il invitait le prélat à venir à Valençay, que se passait-il en lui ? Ne demandait-il qu'à se reposer, en attendant l'inévitable, sur ce sommet des grandeurs humaines qu'il avait atteint ? Sous sa poitrine, constellée de toutes les décorations de ce monde, n'y avait-il qu'une âme satisfaite, tranquille. insouciante, sans désirs ni regrets ? Son visage impassible, le regard froid de ses petits yeux gris, sa parole toujours ferme ne permettaient pas de deviner l'énigme.

Cependant, ceux qui l'ont approché de près assurent que cet imperturbable calme n'était qu'une gageure audacieusement soutenue contre la destinée, une attitude. Il y avait des heures où il s'abandonnait. Déjà dans la cour de l'empereur, une femme avait été sa confidente. Petite-nièce de M. de Vergennes, le ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, Mme de Rémusat arrivait comme lui de l'ancien régime ; mais, vertueuse, elle avait cherché et trouvé le bonheur dans les vieux sentiers battus de la règle. Talleyrand se plaisait près d'elle. Le soir, après les heures remplies par les affaires ou les réceptions, il venait s'asseoir à son foyer, et là dans le demi-jour intime, oubliant les bruits du dehors, les agitations, les intrigues, les ambitions, il s'entretenait doucement avec la jeune femme ; sa voix élégante, traînante, mordante, se faisait, par moments, tendre et douloureuse quand il parlait de sa vie d'orages[26].

A mesure que les années s'étaient amassées sur sa tête, rassasié des honneurs qu'il avait tant poursuivis, isolé et comme dépaysé dans un monde nouveau où ni les hommes ni les idées n'avaient plus pour lui figure connue, malade et fatigué, Talleyrand éprouvait, plus souvent encore, des besoins d'épanchement. La timide et discrète Mme de Rémusat n'était plus là pour l'écouter. Une autre, qui ne lui ressemblait point, avait pris sa place. Ame de feu, qu'avaient traversée, pour l'élever, le trouble et la passion, noble et généreuse, toute en élans, la duchesse de Dino joignait à une grâce un peu sauvage une rare distinction d'esprit. Dans son salon, charmant et brillant, les hommes d'État de tous pays passaient. Elle excitait des enthousiasmes qui devenaient vite des attachements. Dès la première rencontre, elle avait conquis Talleyrand, lorsque au lendemain d'Erfurt, il l'avait mariée à son neveu : triste mariage qui rie lui avait pas donné le bonheur ! et, peu à peu, l'affection la plus vive et la plus profonde les avait unis. Ils ne se quittaient guère. A Vienne, à Londres, à Paris, elle avait tenu sa maison ; elle l'accompagnait à Valençay et le recevait à Rochecotte. Le guidant de ses conseils, l'entourant d'attentions et de soins, elle était près de lui comme une fille, et, devant elle, il pensait tout haut. C'était surtout dans leurs tête-à-tête de la Touraine ou du Berry. Quand les crépuscules d'automne noyaient de brume les horizons tranquilles, en cette fin des jours plus courts, image de la fin de la vie, une mélancolie amère envahissait le cœur du vieillard ; il s'attendrissait et s'attristait. M. de Talleyrand, racontait plus tard Mme de Dino à l'abbé Dupanloup, ne se résignait pas à vieillir. La mort des amis de sa jeunesse était pour lui comme un glas. Sans cesse, je le voyais morne et découragé. Les soirées à la campagne étaient particulièrement pénibles ; je ne parvenais pas à l'arracher à ses pensées sombres[27].

Talleyrand avait jadis écrit : Ce n'est que par du mouvement que l'on parvient à se fortifier assez pour ne pas être abîmé par toutes les secousses de l'âme. Les secousses de l'âme ! N'étaient-ce pas elles, de plus en plus fortes maintenant qu'approchait l'échéance, qui venaient troubler ses soirs et ses nuits, — les longues nuits sans sommeil pendant lesquelles, disait-il, on pense à terriblement de choses[28] ?

Naguère encore, le fondateur de l'Église constitutionnelle a été représenté sous les traits d'un apostat superbe, d'une sorte de Mathan qui

Voudrait anéantir le Dieu qu'il a quitté.

La vérité est peut-être moins grandiose et plus simple. A quiconque ne se paye pas de mots, Talleyrand n'apparaîtra jamais comme un ange déchu. Il était tout bonnement un homme d'intelligence supérieure et de caractère médiocre. Né dans cette vieille société française, heureuse et gâtée, qui ne sentait pas le besoin de Dieu, il avait été mis de force dans l'Église, sans vocation, sans goût. Tout d'abord, son cœur s'était soulevé : Je fus si malheureux, avouait-il un jour à Mme de Dino dans le salon de Valençay, que je passai mes deux premières années de séminaire sans presque parler à personne. Je vivais seul, en silence, retiré pendant les récréations dans une bibliothèque où je cherchais et dévorais les livres les plus révolutionnaires que je pouvais trouver, me nourrissant de l'histoire des révoltes, des séditions et des bouleversements de tous les pays. J'étais indigné contre la société, et je ne comprenais pas comment, parce que j'étais affligé d'une infirmité d'enfance, j'étais condamné à ne pas occuper la place naturelle qui m'appartenait[29]. Puis, le temps avait fait son œuvre ; il s'était apaisé ; il avait admis d'être prêtre, puisque c'était un moyen de parvenir. Prêtre d'habit, non d'âme. Pas un instant, il n'avait accepté qu'il serait sevré des joies de la vie. N'était-ce pas ainsi, d'ailleurs, que l'entendait sa famille ? Elle ne lui montrait le sacerdoce qu'à travers la pourpre des hommes d'Église-hommes d'État. Richelieu, Mazarin, Retz, Ximénès : c'étaient leurs mémoires ou leurs vies qu'on faisait lire au séminariste[30] ; et il avait si bien compris la leçon qu'il s'échappait, le soir, de sa cellule de Saint-Sulpice, pour aller rêver, dans la chapelle obscure de la Sorbonne, devant le mausolée de marbre du grand cardinal-ministre. Il était devenu prêtre, évêque ; peu même s'en fallut qu'il n'obtînt le chapeau. Son état d'âme n'avait point changé. Les dignités ecclésiastiques qu'il recherchait, il les appréciait en politique : non pour les devoirs qu'elles imposent, mais pour les profits qu'elles donnent. Elles l'avaient fait élire aux États généraux. Date décisive. Désormais, le prêtre était mort en lui : ce sera le député, ce ne sera pas l'évêque qui dira la messe du Champ-de-Mars ou sacrera l'intrus Gobel. Et, dans le branle-bas général, estimant bientôt le patronage de l'Église inutile et dangereux, il s'en était un beau jour évadé, sans esprit de retour. Il croyait abolir et oublier son passé. Il racontait plus tard que, le lendemain de sa démission, il avait cherché un duel pour bien prouver, à lui-même et aux autres, qu'il était laïc pour de bon[31]. Jamais plus les grandeurs d'Église ne devaient le tenter, même pas la pourpre de Richelieu ou de Ximénès. Nous avons rappelé qu'au temps du Concordat, quand Bonaparte lui proposa d'être cardinal, il refusa ; et il rejeta de même, en 1814, l'idée qu'avait eue le comte d'Artois, d'en faire un cardinal laïque, à la Mazarin.

Mais Talleyrand était sorti de l'Église sans haine, comme il y était entré sans amour, pour faire ou pour continuer sa carrière. En lui, rien de l'apostat ; rien de ce démon qui tourmente toujours le prêtre sacrilège et lui fait blasphémer ce qu'il n'adore plus. Il était un émancipé bien plus qu'un révolté. Il n'avait pas de fiel. Lorsqu'il écrivit, dans sa déclaration suprême au pape : J'ai recherché dans ma longue carrière politique les occasions de rendre à la religion et à beaucoup de membres honorables et distingués du clergé catholique tous les services qui étaient en mon pouvoir, ce n'était pas un vain mot. En pleine Révolution, il avait envoyé des secours d'argent à des prêtres de son diocèse d'Autun, émigrés en Allemagne[32]. Proscrit lui-même, un des Français qu'il avait le plus recherché en Amérique était un sulpicien, le futur cardinal de Cheverus. Au temps du Directoire, l'abbé de Beauregard, qui deviendra évêque d'Orléans, alors déporté à Cayenne, lui avait dû son salut[33]. Plus tard, à Paris même, tandis que son ancien collègue à la Constituante, l'abbé Sieyès, entrait en rage contre la résurrection de l'Église et traitait de charlatan l'auteur du Génie du Christianisme, lui s'était associé au Concordat et avait accueilli Chateaubriand avec distinction. A la même époque, — et rien ne prouve mieux qu'il n'avait conservé du passé aucune aigreur, — il multipliait les bons procédés pour son séminaire de Saint-Sulpice ; il faisait donner trois évêchés à d'anciens condisciples, les abbés Bourlier. Mannay et Duvoisin ; et il invitait, à sa table de ministre des Affaires étrangères, M. Émery, qui, en retour, lui apportait, pour sa collection d'autographes, une lettre de Fénelon. De cette sympathie pour Saint-Sulpice, où il entrait une sorte de gratitude, Talleyrand mit toujours, d'ailleurs, une coquetterie à fournir des témoignages. Sous la Restauration, prononçant à la Chambre des pairs l'éloge de cet évêque d'Évreux qu'il avait patronné, M. Bourlier, il y traçait cet exact et joli portrait des sulpiciens :

Presque toutes les congrégations religieuses ont fui le monde et s'en sont tenues à l'écart ; les sulpiciens, au contraire, habitaient les villes et y vivaient d'une manière assez retirée et assez occupée pour n'en craindre aucune des séductions ; ceux mêmes dont les talents, malgré eux, jetaient quelque éclat, se couvraient tellement de leur modestie qu'il est arrivé à plusieurs d'entre eux de se dérober au gouvernement qui aurait voulu les appeler à des places élevées. Napoléon, si habile à trouver cc qu'il cherchait, n'aurait jamais découvert M. Emery, ancien supérieur de Saint-Sulpice, sans la clairvoyance de M. de Fontanes... Ce n'est point, ajoutait-il, parce que j'y ai un plaisir particulier, mais c'est pour mieux faire connaitre M. l'évêque d'Évreux, que j'ai dd parler de, Saint-Sulpice, qui avait gravé profondément en lui les principes de conduite qui l'ont guidé pendant sa longue carrière. ll tenait de ses mitres de ne pas séparer par de trop fortes distances la vie ecclésiastique de la vie sociale ; et cette façon d'être exigeait une façon de parler, et même de se taire, qui faisait qu'avec des diversités d'opinions et de mœurs, on pouvait d'abord se trouver ensemble et quelquefois arriver à des rapprochements utiles[34]...

 

Ce n'était pas seulement en public, devant un auditoire de choix, que Talleyrand affichait de la déférence pour la religion et ses ministres. Mme de Rémusat note quelque part qu'il sentait le prix de la vertu chez les autres. Sa conversation, déclare-t-elle, n'est jamais ni immorale, ni irréligieuse ; il estime les bons prêtres...[35] Elle aurait pu ajouter : il les recherche. De fait, quelque étrange que la chose paraisse, cet ancien abbé malgré lui n'aimait rien tant que la société des ecclésiastiques. Mme de Dino écrivait à l'abbé Dupanloup : J'ai vu dans sa maison des cardinaux, des évêques, de simples curés de villages. Tous y étaient reçus avec de grands égards et entourés de soins délicats. Jamais un mot déplacé ne s'est prononcé devant eux ; M. de Talleyrand ne l'eût pas souffert. J'ai vu l'abbé Mammy, évêque de Rennes, passer des mois à Valençay ; l'abbé Bourlier, évêque d'Evreux, demeurer à l'hôtel Talleyrand à Paris et y vivre avec la même sainteté, la même liberté, y recevoir les mêmes respects que dans leurs diocèses[36]. Un beau jour fut pour Talleyrand celui où l'archevêque de Bourges, Mgr de Villèle, en tournée de confirmation, accepta l'hospitalité de Valençay. Habileté de politique, dira-t-on peut-être : le vieux diplomate, traité de mécréant par un monde dont il redoutait le jugement, s'entourait, pour en voiler ses côtés faibles, de robes violettes. Mais plus encore que les grands prélats, c'étaient les modestes prêtres que semblait goûter Talleyrand. Plusieurs fois chaque été, dans la salle à manger de Valençay, l'amphitryon du czar Alexandre et de toutes les excellences de la diplomatie présidait des dîners de curés berrichons. Il y prenait un vrai plaisir ; il se mettait en frais de bonne grâce, et les convives tombaient sous le charme. Il faut entendre avec quel accent admiratif et presque tendre ils parlaient plus tard de leur illustre voisin. M. de Talleyrand, dit l'un d'eux, était plein d'attentions pour moi. Il m'interrogeait sur les besoins de ma paroisse et il me donna souvent des conseils utiles pour mes œuvres. L'éducation des enfants l'intéressait beaucoup. Avant trouvé, raconte un autre, qu'on chantait mal dans mon église, il me fit toute une conférence sur la musique religieuse. Je n'aime, nie disait-il, que le plain-chant ; rien n'est beau comme un psaume latin chanté par des voix d'hommes. Le curé de Valençay, qui célébrait la messe, le dimanche, dans la chapelle du château, écrit de son côté : Quand nous nous retrouvions au salon, il me demandait si les enfants apprenaient bien le catéchisme, si je leur enseignais l'histoire ecclésiastique ; et surtout il me questionnait sur des points de théologie, il s'informait quels étaient les auteurs suivis aujourd'hui en ces matières. Les mêmes prêtres du Berry étaient fort édifiés par la tenue aux offices du châtelain de Valençay. Sous aucun prétexte, assure encore le curé du village, il n'aurait manqué à la messe les dimanches et fêtes obligatoires, et il tenait à ce que toute sa maison y assistât. Lui-même la suivait avec dévotion et recueillement, lisant l'Imitation de Jésus-Christ[37].

Mieux encore que des gestes ou des propos qui pouvaient n'être, après tout, de la part du grand seigneur, qu'un raffinement de bonne éducation, les lectures de Talleyrand, pendant les dernières années de sa vie, font pénétrer dans sa conscience. Les livres, depuis qu'il s'était retiré des affaires, devenaient les compagnons de sa demi-solitude. Chaque année, il en faisait venir quelques-uns à Valençay. J'ai sous les veux, écrite au crayon d'une main tremblante, la liste de ceux qu'il commanda à son libraire en 1837[38]. Leurs titres sont significatifs : les Oraisons funèbres et les Méditations sur l'Évangile de Bossuet, la Religion chrétienne méditée dans le véritable esprit de ses maximes (chez Prault, quai de Grèves), les Pensées de Pascal. Le prince, disait à l'abbé Dupanloup le libraire qui lui remit cette liste, ne m'achetait guère plus, pendant les derniers temps, que des livres de ce genre. Ce fut aussi en 1837, pendant son séjour à Rochecotte, qu'apprenant l'arrestation de l'archevêque de Cologne, il relut le discours de Fénelon pour le sacre d'un de ses prédécesseurs. L'abbé Dupanloup, qui eut son exemplaire entre les mains, fut frappé des passages qu'il avait soulignés ; les voici : Jetons les yeux sur l'Église, c'est-à-dire sur cette société visible des enfants de Dieu qui a été conservée dans tous les temps : c'est le royaume qui n'aura point de fin. Toutes les autres puissances s'élèvent et tombent : après avoir étonné le monde, elles disparaissent. Talleyrand avait mis dans la marge : Très beau ! Un peu plus loin, il avait marqué d'un trait tout un passage sur les rapports et les limites du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Pour finir, en face de cette phrase : Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté d'un cœur, il avait écrit : Que cela est vrai et profond ! comme si, note l'abbé Dupanloup, pensant à sa jeunesse contrainte, il avait voulu s'en faire à lui-même l'application.

Dans le silence des interminables nuits où il ne dormait pas, taudis que sa petite lampe mettait un point de lumière sur la grande face d'ombre de Valençay et que, la prenant pour une veilleuse funèbre, des paysans attardés sur la route se signaient au passage[39], — nous avons vu que Talleyrand ne lisait pas seulement : il écrivait des pensées. Et certaines, qui sont d'une tristesse poignante, montrent une âme humble, dolente, misérable, qui sent le néant de tout et qui ne s'v résigne pas. On cherche sur quoi s'appuyer, s'écriait-il une fois : les appuis que vous offre le monde sont de faibles étais ![40] La mort de ceux qu'il aimait le troublait et l'inquiétait ; il écrivait à Bacourt : Mme de Vaudemont et Mme de Tyskiewitz sont une partie de moi-même que j'ai perdue. Je sais bien que, depuis quelque temps, tout annonçait une lin prochaine, mais le moment de l'éternelle séparation n'en est pas moins pénible : jamais on n'est préparé pour cette dernière heure ![41]

Talleyrand avait-il donc le besoin de croire, sans en avoir le courage ? Il semble en tout cas qu'il portait une sorte d'admiration jalouse à ceux qu'il voyait s'attacher aux choses qui ne passent pas. C'est ainsi que, par sa piété exquise, la fille de Mme de Dino, sa petite-nièce Pauline, avait inspiré au vieillard une affection mêlée de respect. Lorsqu'elle avait fait à Londres, au mois de mars 1834, sa première communion, et qu'avant d'aller à la Table sainte, elle lui avait demandé sa bénédiction, il avait été ému profondément. Que c'est joli, dit-il le soir à Mme de Dino, la piété d'une jeune fille, et que l'incrédulité, chez les femmes surtout, est une chose contre nature ! Depuis, il s'était bien un peu alarmé à la pensée que le confesseur de la petite pouvait la mettre en défiance de lui ; mais, quand on l'eut rassuré, il ne songea plus qu'à encourager sa dévotion. Il avait même fini, si l'on en croit la duchesse de Dino, par tirer une sorte de vanité personnelle de la piété de Pauline. Il la faisait, quitte à en être gêné, conduire au catéchisme dans sa propre calèche, et il lui arriva de retarder, au dernier moment, un départ, pour que la jeune fille ne manquât point un office du dimanche[42].

Dans le soigneux relevé qu'il fit plus tard des indices qui pouvaient déceler chez son pénitent une persistance du sentiment religieux, Mgr Dupanloup collectionna encore quelques bien curieuses anecdotes. Tout habitué qu'on soit avec Talleyrand à des surprises. il en est une notamment qui ajoute à sa physionomie morale un trait si inattendu, qu'il faut la reproduire. Mgr Dupanloup la tenait de la duchesse de Dino. La voici telle qu'elle la lui raconta : Un dimanche que j'assistais à la messe avec mou oncle dans la chapelle de Valençay, je demeurai, après que tout le monde fut sorti, à prier quelque temps. Il m'attendit à la porte de la chapelle. Quand je parus : Quelle prière disiez-vous donc là ?Je récitais un Pater : c'est la prière que je dis le plus habituellement. — Vous avez raison, c'est une prière admirable... Mais moi, continua-t-il après quelques moments d'hésitation, il y en a une qui me touche encore plus, qui me va mieux... C'est le Salve, Regina. — Comment ! Une prière à la Sainte Vierge ?Oui, reprit-il. Est-ce que vous ne priez pas la Sainte Vierge ?Si fait, mais plus rarement. — Vous avez tort ! Dites surtout le Salve, Regina ; vous vous en trouverez bien. Venez, vous asseoir, je vais vous l'apprendre, car je le sais par cœur. Je vous l'apprendrai en latin et je vous le ferai comprendre... Il se mit à dire le Salve, Regina avec une accentuation particulière et très solennelle, expliquant chaque parole. Après quoi, il les redisait en latin et, à tout instant, il s'interrompait : Connaissez-vous rien de si doux, de si consolant ?... Salve, Regina, mater misericordiœ : ce sont des paroles ravissantes... Vita, dulcedo et spes nostra, salve : notre vie, notre douceur, notre espérance ! Apprenez-les et dites-les souvent, elles vous feront du bien... Il continua ainsi à réciter et à commenter les invocations jusqu'à la dernière : O clemens, o pia, o dulcis Virgo Maria ! Alors, il me les fit répéter plusieurs fois devant lui, pour les graver dans ma mémoire. Je les sais aujourd'hui par cœur, je ne les ai jamais lues dans un livre ; c'est lui seul qui me les a apprises[43]. — Comme le remarquait Mgr Dupanloup en marge de ce récit : Qu'il y a de choses cachées dans le cœur de l'homme et qui pourra se vanter d'en comprendre les mystères !

Talleyrand en était arrivé à ce point qu'il lui plaisait qu'on s'intéressât à son salut. Quelques saintes personnes, des religieuses qu'il avait autrefois rencontrées dans le monde, — une carmélite, Mme de Chabannes, une dame du Sacré-Cœur, Mme de Marbœuf, — lui firent savoir qu'elles priaient à son intention. Loin d'en sourire, il s'en montra touché. J'ai des amies, disait-il, parmi les bonnes âmes. Ou encore : Les bonnes âmes ne veulent pas désespérer de moi[44]. Mme de Marbœuf lui avait envoyé une médaille de la Sainte Vierge : on la retrouva, après sa mort, dans sa bourse[45]. Même de la part d'un inconnu, une invite à se convertir ne l'offusquait pas. Un curé des Alpes, dont il n'avait jamais entendu parler, lui avant écrit, à je ne sais quelle occasion, pour l'adjurer de faire pénitence, il lut sa lettre, la fit lire à son entourage et la conserva précieusement.

Mais la démarche qui alla le plus au cœur de Talleyrand eut pour auteur la duchesse Mathieu de Montmorency. C'était la fille de la duchesse de Luynes, chez qui, abbé de Périgord, il avait fréquenté, et la veuve de ce Mathieu de Montmorency, son ancien collègue à la Constituante, son camarade de plaisirs et d'illusions au temps de la Révolution, qu'un deuil tragique — la mort de son frère sur l'échafaud — avait, en pleine jeunesse, jeté au pied du crucifix, et qui, après n'avoir phis vécu depuis lors qu'en Dieu, avait fini comme un prédestiné, quelques années auparavant, un vendredi saint, dans l'église Saint-Thomas d'Aquin, pendant l'adoration de la croix. La lettre de la duchesse de Montmorency est datée du 11 décembre 1835, — le lendemain de la mort de Mme de Talleyrand. Journellement, disait la duchesse sans prononcer de nom, tous vos contemporains disparaissent.... les personnes qui vous soignent tremblent pour vous, et nul n'ose aborder la question importante, celle du salut. C'est moi qui, du fond de la solitude on mes malheurs de cœur m'ont plongée volontairement, ose aborder ce sujet redoutable. Au nom des vieux souvenirs qui les unissaient, de cette duchesse de Luynes, ma mère, qui vous aimait tant. Mme de Montmorency s'écriait : Ah ! mon prince, vous avez trop d'esprit, et j'ose dire trop de supériorité, pour vous croire égal à la bête. Votre âme, cette portion immortelle de votre être qui ne périra jamais, que deviendra-t-elle en sortant du corps après une vie si orageuse ?... Mes peines cruelles seraient presque annulées, si j'avais l'espérance d'avoir contribué, à votre bonheur futur... La miséricorde de Dieu est si prodigieuse, aucune faute n'est irrémissible ; il ne faut que vouloir... Les longs jours qui vous sont accordés ont l'air d'attester le vœu du ciel... Dans le séjour des bienheureux, il y a tant de joie pour un pécheur qui fait pénitence et qui donne au monde l'exemple d'une bonne et sincère conversion[46]... Talleyrand ne cacha pas son émotion, en recevant cette lettre ; il la plaça dans un petit portefeuille de poche qui ne le quittait pas, et souvent il l'en tirait, pour la relire[47].

Voilà où en était l'ancien évêque d'Autun, lorsque l'abbé Dupanloup entra en scène.

 

III

 

L'abbé Dupanloup était alors, avec son contemporain et ami l'abbé Lacordaire, le prêtre le plus en vue du jeune clergé de France. Les catéchismes de la Madeleine, les conférences de Notre-Daine les avaient classés hors de pair. L'un s'adressait davantage aux croyants de tradition : il leur trempait l'aine par des leçons viriles et, les avant armés pour la contradiction, il les poussait à entrer Hardiment dans ce monde moderne, qu'on les avait un peu trop habitués à maudire de loin. L'autre se tournait de préférence vers les incrédules : par la magie de sa parole, il les rassemblait autour de sa chaire, et leur enseignait cette Église qu'ils ne connaissaient guère qu'à travers des préjugés d'école. Dupanloup plus profond, plus réfléchi ; Lacordaire plus brillant, plus audacieux : tous deux également éloquents, également passionnés pour le bien des aines.

L'abbé Dupanloup, pendant qu'il était vicaire à la Madeleine, avait eu la fille de Mme de Dino, Pauline, parmi les enfants de son catéchisme. Elle l'avait, depuis, gardé pour confesseur. Maintenant qu'il était supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, elle allait encore le trouver, presque chaque semaine, et c'était souvent son grand-oncle Talleyrand qui la conduisait dans sa voiture[48]. Il n'entrait pas, il attendait à la porte, au fond de sa calèche ; ce rôle de bon aïeul l'amusait. A une dame qui, rencontrant le grand-oncle et la petite-nièce, demandait : D'où venez-vous donc ?Mais, de chez notre confesseur, répondit Talleyrand avec un sourire[49]. Non seulement Pauline, mais sa mère, parlaient de l'abbé avec un tel enthousiasme que le prince, à la fin, eut envie de le voir : Je ne serais pas fâché, dit-il un jour de janvier 1838 à Mme de Dino, de connaître cet abbé Dupanloup. Mme de Dino saisit la balle au bond. Justement une occasion se présentait. Le 6 février, pour la sainte Dorothée, sa fête[50], la duchesse réunissait à dîner quelques parents : elle envoya, de la part de son oncle, une invitation au supérieur de Saint-Nicolas.

En recevant le billet de Mme de Dino, le 2 février, jour anniversaire de la naissance du prince, — était-ce une coïncidence voulue ? — l'abbé Dupanloup fut surpris et même contrarié. Il venait de subir des épreuves rudes ; il était attristé, meurtri ; il ne cherchait, à cette heure, que le silence et l'ombre. A quoi bon un dîner chez M. de Talleyrand ? Pourquoi quitter, ne fût-ce qu'un soir, la retraite apaisante de Saint-Nicolas et s'aventurer dans le salon de parade de la rue Saint-Florentin ? Au reste, l'abbé Dupanloup avoue qu'il était plein de préventions à l'égard de Talleyrand. Il ne l'avait, jusque-là aperçu que de loin, et son impression avait été mauvaise. La première fois, c'était le 3 mai 1826, place Louis XVI — aujourd'hui place de la Concorde — : une procession d'amende honorable se faisait en souvenir de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Madame Élisabeth, morts, là sur la guillotine ; et, tout chamarré de décorations, Talleyrand se tenait debout derrière le roi Charles X. Me rappelant ses précédents révolutionnaires, dit l'abbé Dupanloup, et quoiqu'il eût toujours témoigné son horreur des crimes de la Terreur, je n'avais pu le voir, en ce lieu et en ce jour, sans un froissement de cœur[51]. La seconde fois. Talleyrand était venu à la messe du roi, aux Tuileries, dans la chapelle du château. La troisième, il assistait, dans l'église de l'Assomption, à un service funèbre : Sa figure, dit encore l'abbé Dupanloup, m'y avait tristement frappé. — Qu'irait-il faire chez M. de Talleyrand ? Il ne dînait même pas chez l'archevêque... Il déclina l'invitation[52].

Rue Saint-Florentin, la déception fut vive. Ce refus m'étonne, déclara Talleyrand d'un ton fâché ; on m'avait dit que l'abbé Dupanloup était homme d'esprit ; si c'était vrai, il serait venu : il aurait compris de quelle importance était son entrée dans cette maison.

Mme de Dino, navrée, courut chez l'archevêque et à Saint-Nicolas : Mgr de Quélen fut consterné ; M. Dupanloup, inconsolable. Que faire ? Ce fut Talleyrand qui arrangea les choses. Tandis que, sans rien trouver, l'archevêque, l'abbé, la duchesse se consultaient et se lamentaient, lui, son moment d'humeur passé, avait flairé le malentendu : l'abbé n'avait pas compris... Et, sans rien dire à personne, par un mot de sa main[53], il le convia de nouveau à dîner pour le vendredi ou le dimanche de la semaine suivante, à son choix. Délicatement, il prévenait que, le vendredi, sa table serait servie de maigre. L'abbé Dupanloup préféra le dimanche.

L'abbé Dupanloup était déchargé d'un gros poids ; ce ne fut pas cependant d'un cœur allègre que. le dimanche, après vêpres. — on dînait à cinq heures chez le prince, il gagna l'entresol célèbre de la rue Saint-Florentin. Il songeait : J'étais comme tout le monde, croyant très peu à la bonne foi du prince de Talleyrand, sachant son habileté, et moi n'en avant aucune ; trouvant tout cela embarrassant, et cependant obligé, par le devoir de mon ministère et par ma conscience, à le subir, mais en revanche décidé à marcher droit, à rompre en visière le plus tôt possible, et à ne pas accepter un rôle, en supposant qu'on m'en eût préparé un.

L'accueil du prince fut charmant. Il y avait vingt convives au dîner, mais il ne se mit en frais que pour un seul : l'abbé. Tout de suite, il lui parla de Mgr de Quélen, des œuvres de charité auxquelles il dévouait sa vie : Personne, déclara-t-il, ne sait mieux donner que lui. Et, à cette occasion, il lit des réflexions sur l'Angleterre et la manière dont il avait remarqué qu'on y pratiquait ou plutôt qu'on n'y pratiquait pas la charité : C'est une chose, dit-il, qu'ignorent les Anglais : le fond mérule de leur caractère qui est : chacun pour soi, et que ne corrige pas la sécheresse du protestantisme, les rend insensibles aux misères du prochain. Toute la soirée, la conversation, qu'il ne laissa pas un instant, tomber, se tint à des sujets religieux : il évoqua des souvenirs de Saint-Sulpice, de ses anciens maîtres, de M. Emery, dont il loua, avec une grande effusion de cœur, la haute vertu et l'admirable conduite dans des circonstances difficiles ; il cita le mot de Fénelon mourant à Louis XIV : Je ne connais rien de plus apostolique, de plus vénérable que Saint-Sulpice. Il fit l'éloge de l'Église de France et de ses jours d'épreuves glorieux ; de là il passa au pape Pie VII, pour en célébrer les mérites ; il flétrit les insensés qui attaquent l'idée religieuse : Triste temps que le nôtre, s'écria-t-il, où plus rien n'est respecté ! L'abbé Dupanloup écoutait, plaçant çà et là un mot, séduit, conquis. Il se retira de bonne heure, le premier, et, pendant que la voiture du prince, dans la nuit froide de février, le ramenait à Saint-Nicolas, il ne pouvait s'empêcher de se dire : Voilà bien certainement une des plus édifiantes conversations qui se soient tenues ce soir dans Paris ; il ne manquait vraiment qu'une croix sur cette poitrine pour me persuader que je conversais avec un des plus vénérables évoques de France.

Repensant, quelques jours plus tard, à son dîner rue Saint-Florentin, l'abbé Dupanloup écrivait : J'ai le sentiment qu'il n'y a pas à désespérer de M. de Talleyrand... D'après tout l'ensemble de sa conversation et de mes observations, l'état de sa conscience me paraît plus mûr que je ne l'avais pensé d'abord pour un retour sincère à la religion[54]. De son côté, Talleyrand avait eu une excellente impression. Votre abbé me plaît, disait-il à Mme de Dino : il sait vivre. Mais ce n'était là qu'un premier acte, une prise de contact, et le temps pressait.

Talleyrand était de nouveau fort malade. A la fin de janvier, il s'était foulé le pied dans le salon de l'ambassadeur d'Angleterre ; on l'avait soigné par des douches, et, la température étant très froide, il avait pris un rhume. Le rhume était devenu un catarrhe. Il toussait, il étouffait ; il avait perdu l'appétit et le sommeil, il était sombre, inquiet. Les insomnies surtout l'affectaient, — les insomnies toutes chargées de pensées. Un jour, devant sa nièce, il avoua : Durant ces longues nuits, je repasse dans mon souvenir bien des événements de ma vie. Vous les expliquez-vous tous ? lui demanda Mme de Dino. — Non, en vérité ; il y en a que je ne comprends plus du tout, d'autres que j'explique, que j'excuse ; mais d'autres aussi que je blâme d'autant plus sévèrement que c'est avec une extrême légèreté que j'ai fait les choses qui, depuis, m'ont été le plus reprochées ; si j'avais agi dans un système, par principe, à la bonne heure, je comprendrais ; mais non, tout s'est fait sans y regarder, avec l'insouciance de ce temps-là comme nous faisions à peu près tout dans notre jeunesse[55]. — On commençait à être très effrayé dans l'entourage du prince, à redouter quelque dénouement brusque ; dans le monde, toujours friand de mauvaises nouvelles. des bruits vagues et contradictoires, tous alarmants, couraient.

Mais Talleyrand était un homme à surprises. Au moment même où les badauds, avec de petits hochements de tête. le disaient au plus bas, il préparait une réapparition solennelle en public. Il avait demandé à l'historien Mignet, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales, de lui céder la parole pour l'éloge funèbre d'un de ses anciens collaborateurs diplomatiques, le comte Reinhard. Le projet semblait insensé. Sou médecin, sa famille, des amis tels que Royer-Collard, des collègues le conjuraient d'y renoncer. En vain ! Sur un ton qui n'admettait pas la réplique, il déclara : Ce sont mes adieux au public ; rien ne m'empêchera de les lui faire[56]. Et, le samedi 3 mars, comme il l'avait décidé, on le vit, soutenu par deux laquais en livrée, monter les marches de l'Institut. Sur la dernière, Mignet l'attendait[57]. Il lui prit le bras, puis, avec lui, pendant que l'huissier de service annonçait : le Prince ! il fit sou entrée dans la salle des séances. Elle était comble. Rien que des hommes : politiques, écrivains, grands seigneurs, — tous debout. Le président, M. Droz, ouvrit tout de suite la séance. Alors, d'une voix forte qui ne laissait perdre aucun mot, Talleyrand commença son discours. C'était moins le portrait du pâle et incolore Reinhard, que le sien. Dès les premières phrases, personne ne s'y trompa : il le montrait jeune homme, faisant de la théologie avant de faire de la diplomatie et acquérant, dans ses études de séminaire, une force et en même temps une souplesse de raisonnement que Fon retrouve dans toutes les pièces qui sont sorties de sa plume. Il évoquait le souvenir des théologiens diplomates :

Pour m'ôter à moi-même la crainte de nie laisser aller à une idée qui pourrait paraître paradoxale. je me sens obligé de rappeler ici les noms de plusieurs de nos grands négociateurs, tous théologiens, et tous remarqués par l'histoire comme ayant conduit les affaires politiques les plus importantes de leur temps : le cardinal chancelier Duprat, aussi versé dans le droit canon que dans le droit civil, et qui fixa avec Léon X les bases du concordat dont plusieurs dispositions subsistent encore aujourd'hui ; le cardinal d'Ossat, qui, malgré les efforts de plusieurs grandes puissances, parvint à réconcilier Henri 1V avec la cour de Rome :... le cardinal de Polignac, Théologien, poète et négociateur, qui, après tant de guerres malheureuses, sut conserver à la France, par le traité d'Utrecht, les conquêtes de Louis XIV. C'est aussi au milieu de livres de théologie qu'avait été commencée par son père, devenu évêque de Gap, l'éducation de M. de Lyonne...

 

Les respirations étaient suspendues. On attendait qu'il ajoutât : et moi-même, ancien séminariste de Saint-Sulpice, j'ai aidé Bonaparte à conclure son concordat...

Un autre passage fit éclater les applaudissements ; il traçait le portrait du parfait ministre des Affaires étrangères :

La réunion des qualités nécessaires à un ministre des Affaires étrangères est rare. Il faut, en effet, qu'un ministre des Affaires étrangères soit doué d'une sorte d'instinct qui, l'avertissant promptement, l'empêche, avant toute discussion, de jamais se compromettre. Il lui faut la faculté de se montrer ouvert en restant impénétrable : d'être réservé avec les formes de l'abandon, d'être habile jusque dans le choix de ses distractions ; il faut que sa conversation soit simple, variée, inattendue, toujours naturelle et parfois naïve ; en un mot, il ne doit pas cesser un moment, dans les vingt-quatre heures, d'être ministre des Affaires étrangères.

Cependant, toutes ces qualités, quelque rares qu'elles soient, pourraient d'être pas suffisantes, si la bonne foi ne leur donnait une garantie dont elles ont presque toujours besoin. Je dois le rappeler ici, pour détruire un préjugé assez généralement répandu : non, la diplomatie n'est point une science de ruse et de duplicité. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c'est surtout dans les transactions politiques, car c'est elle qui les rend solides et durables. On a voulu confondre la réserve avec la ruse. La bonne foi n'autorise jamais la ruse, mais elle admet la réserve ; et la réserve a cela de particulier, c'est qu'elle ajoute à la confiance.

Dominé par l'honneur et l'intérêt dit prince, par l'amour de la liberté fondée sur l'ordre et sur les droits de tous, un ministre des Affaires étrangères, quand il sait l'être, se trouve ainsi placé dans la plus belle situation à laquelle un esprit élevé puisse prétendre.

 

Talleyrand termina par quelques mots, dits en appuyant, sur la religion du devoir.

La lecture, avait duré en tout une demi-heure. Elle avait été écoulée dans un silence recueilli ; lorsque l'orateur se tut, l'enthousiasme déborda, unanime et profond. Le prince eut à passer, au retour, raconte Sainte-Beuve, entre une double haie de fronts qui s'inclinaient avec un redoublement de révérence ; chacun en sortant exprimait son admiration à sa manière, et Cousin, selon sa coutume, plus haut que personne ; il s'écriait en gesticulant : C'est du Voltaire ! C'est du meilleur Voltaire ! — Sainte-Beuve persifle aigrement le pauvre Cousin ; il ne veut pas de sa comparaison et, avec une passion dont son bon sens et son bon goût le mettaient d'ordinaire à l'abri, il cherche à écraser Talleyrand sous la supériorité morale de Voltaire[58]. Je n'apprécie pas plus que Sainte-Beuve le rapprochement fait par Cousin, mais ce n'est pas pour le même motif : au soir d'une vie, la représentation d'Irène fut une scène de cabotinage tout à fait ridicule, tandis que l'Éloge de Reinhard, d'une inspiration si grave, apparaît avec de la noblesse et de la grandeur.

Rentré chez lui après sa semi-apothéose, la première pensée de Talleyrand fut d'envoyer à Mgr de Quélen et à l'abbé Dupanloup un exemplaire de son discours. Il écrivit de sa main sur chaque brochure : De la part de l'auteur.

L'écho des applaudissements de l'Institut n'était pas encore arrivé jusqu'au petit séminaire de Saint-Nicolas. L'abbé Dupanloup en était au renseignement que lui avait apporté, le 2 mars, un officieux : M. de Talleyrand est au plus mal ; tenez-vous prêt... Quand il reçut, le matin du 4, la grande enveloppe, cachetée de noir aux armes du prince, il eut un saisissement. Talleyrand était-il mort ? Était-ce là de sa part, un document suprême ? L'abbé déchira l'enveloppe en tremblant ; il vit le discours, se mit à le lire : dès les premières lignes, l'élévation de la pensée le frappa et l'émut. Ce discours fut pour moi, a-t-il écrit, une sorte de révélation : Il était d'une âme que la religion gagnait insensiblement, à qui elle faisait déjà parler son langage et qui lui laissait espérer d'autres consolations que de bonnes paroles. Aussitôt qu'il eut achevé, il adressa un mot à Pauline de Périgord, pour savoir d'elle si Talleyrand n'était pas trop fatigué et pourrait le recevoir. La jeune fille accourut ; elle aussi était troublée. Elle raconta que, la veille de la séance de l'Institut, son grand-oncle, en train de lire le discours à sa mère, s'était interrompu aux mots la religion du devoir, et avait dit avec un sourire : Voilà je pense, qui plaira à l'abbé Dupanloup[59]. N'était-ce pas un encouragement ?

L'abbé Dupanloup se rendit le 9 mars rue Saint-Florentin. Pauline l'introduisit elle-même dans le salon du prince, mais elle se retira tout de suite en disant : Bon oncle, je vais vous laisser tous deux ensemble, je craindrais de vous déranger. Pour la première fois, Talleyrand et l'abbé Dupanloup se trouvèrent seuls, tête à tête. Il y eut un silence que Talleyrand rompit : Eh bien, Monsieur l'abbé, j'ai parlé du devoir dans mon discours à l'Académie... j'ai voulu le faire en cette occasion... L'abbé répondit que le mot n'avait échappé ni à l'archevêque, ni à lui-même, et qu'ils en avaient éprouvé de la consolation, n'osant pas dire de l'espérance. Mais le prince l'interrompit : J'ai fait, ajouta-t-il, de la théologie : ce que j'ai dit est certain et je suis bien aise de l'avoir fait remarquer. Après quoi, prestement, dans le dessein bien visible de ne pas permettre à l'abbé Dupanloup de sortir du rôle d'auditeur, il vint, comme l'autre soir, à évoquer des souvenirs de jeunesse, Saint-Sulpice, l'ancienne Église de France. De là sans transition, il parla de sa santé : il s'attrista sur ses palpitations et ses catarrhes, sur ses jambes de plus en plus faibles, au point d'avoir besoin, pour ne pas fléchir, d'une sorte d'armature faite de feuilles et de bandes d'acier. On parle souvent, conclut-il en souriant, des malades imaginaires, il faudrait bien dire aussi quelque chose des bien portants imaginaires. Puis, avec un geste las : Je suis bien vieux. Monsieur l'abbé, je suis bien vieux !... Cette saison est bien mauvaise... Je vais mal... Oui, cela va mal... L'abbé, qui était embarrassé ou peut-être intimidé, n'osa pas prendre la parole, et il se fit de nouveau un silence. Quelques instants plus tard, l'abbé Dupanloup quittait M. de Talleyrand.

Cette entrevue, où il paraissait qu'on eût parlé pour ne rien dire, fut un peu, quoi qu'il ait pensé plus tard, une déconvenue pour l'abbé Dupanloup[60]. Elle en fut une surtout pour Mme de Dino. Mieux que personne, la duchesse constatait le déclin journalier de son oncle ; le docteur Cruveilhier le lui montrait sous le coup d'une mort soudaine. N'allait-il point subitement passer avant de s'être réconcilié avec l'Église ? Et n'y aurait-il pas quelque affreux scandale, un refus de sépulture religieuse, un enterrement à la Grégoire ? Elle était terrifiée. Son angoisse devint si poignante qu'elle voulut s'en ouvrir à Mgr de Quélen. La chose la plus difficile à obtenir de, Talleyrand, c'était, lui semblait-il, que l'autorité ecclésiastique se réservât le droit, les fautes ayant été publiques, de rendre public aussi leur désaveu ; elle implora l'archevêque pour qu'il rayât cette clause du projet de rétractation ; elle-même en prépara un nouveau[61]. L'archevêque fut inflexible. L'abandon pour la publicité, lui répondit-il, doit être laissé à la discrétion de l'Église qui tient ici partes Dei, les intérêts de Dieu ; et, avec une douceur ferme, il lui reprocha d'être plus occupée des conséquences que du sujet principal, des suites que de l'objet même de la réparation. Pour moi, ajoutait M. de Quélen[62]... j'ai presque passé les bornes du devoir : il ne reste plus qu'à prier jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucun espoir d'obtenir ce que vous appelez avec raison un miracle. Trois jours après, en donnant, si l'on peut dire, à l'abbé Dupanloup l'investiture pour absoudre Talleyrand, il lui envoyait tel quel le texte de la rétractation arrêté en 1836 et le double des instructions qu'il avait alors reluises au curé de la Madeleine[63].

Cependant l'abbé Dupanloup avait à cœur de sortir du vague. Il était trop prêtre pour vouloir paraître plus longtemps, aux yeux soupçonneux du monde, ne chercher ou ne porter rue Saint-Florentin qu'une distraction mondaine. Il jugeait close l'heure des discours et des conversations académiques. Puisqu'on lui désignait une âme à sauver, il parlerait à cette âme avec netteté et avec force et, afin de donner à sa voix une autorité plus haute, il eut l'idée de la faire entendre à travers celle d'un des Pères de l'Eglise de France, de Fénelon. Justement il avait publié naguère, avec un grand succès, son Christianisme présenté aux hommes du monde, extrait des œuvres de Fénelon ; il en adresserait au prince un exemplaire.

Pour plus de sûreté, il tint à demander avis à Mme de Dino. Ce fut Pauline, qui, après avoir parlé à son oncle, répondit le 22 mars. Talleyrand accepterait le livre ; il voulait même davantage : par l'entremise de sa petite secrétaire intime, il priait le supérieur de Saint-Nicolas de lui faire visite un matin, ou plutôt, pour que cela le dérangeât moins, de fixer le jour où il lui serait possible de dîner avec nous[64].

L'abbé Dupanloup n'accepta pas le dîner, mais il envoya le volume. Il v joignit une lettre où les allusions étaient claires :

Les vertus, le caractère sacré de l'archevêque de Cambrai, y pouvait-on lire, et surtout ses malheurs et son admirable retour, donnent à sa vie quelque chose d'incomparable et d'achevé, à sa parole, une force et une douceur irrésistibles, à sa mémoire enfin, je ne sais quoi de vénérable et d'attendrissant. Oserais-je vous le dire encore. en toute simplicité ? Fénelon fut, comme vous, élève de Saint-Sulpice ; il en conserva toute sa vie le souvenir... Lors donc que j'ai retrouvé, dans vos discours, cette profonde et aimable reconnaissance de Fénelon pour ceux qui avaient élevé sa jeunesse cléricale ; lorsque je vous ai entendu, à son exemple, vous faire une joie des souvenirs de Saint-Sulpice, et louer avec effusion de cœur les mitres vénérables de vos premières années,... enfant ignoré de Saint-Sulpice et admirateur obscur de Fénelon. je me suis senti ému et j'ai eu la confiance qu'un livre, protégé par un si grand nom, serait bien accueilli de vous.

 

Aux deux extrémités de votre longue vie, disait pour finir l'abbé Dupanloup, vous avez connu, vous protégeant de leurs prières et de leurs vertus, des aines d'élection : Pauline et le cardinal de Périgord, — cette enfant, véritable ange de grâce et de piété, dont les soins, la tendresse et l'innocence entourent votre vieillesse, et ce pieux et auguste homme saint et véritablement apostolique... que l'Église de Paris a vu vieillir dans la longue et laborieuse carrière du devoir, qu'elle a vu mourir dans la paix des justes, et dont la mémoire sera à jamais en bénédiction.

L'abbé Dupanloup attendait anxieusement l'effet de sa lettre. Il fut vite rassuré. Dès le lendemain, à la première heure, il recevait de la duchesse de Dino ce billet :

Je ne veux pas perdre une minute pour vous dire, Monsieur l'abbé, que votre admirable lettre a provoqué enfin cette grande conversation si attendue... J'en espère de bons résultats, et je viens en réjouir votre bon cœur. Je suis encore si émue et si épuisée que ma main tremble — D.[65].

Le même jour, Mgr de Quélen, qui avait été lui aussi averti, écrivait :

La bonne dame m'avait donné la bonne nouvelle, mon cher ami... Je prends espérance... Je ne puis m'empêcher de voir dans tout ceci depuis quelque temps un travail de la grâce et une pétition (sic) soutenue de la Sainte Vierge... Réjouissons-nous en Dieu s'il veut bien se servir d'instruments aussi faibles et aussi misérables que nous[66].

 

Voici ce qui s'était passé. Le mardi matin 27 mars, au moment où Mme de Dino, selon son habitude, entra dans la chambre de son oncle pour savoir comment il avait passé la nuit, elle le trouva tenant un papier à la main. Je viens de recevoir, lui dit-il, une lettre de l'abbé Dupanloup. La connaissez-vous ?Non, répondit la duchesse. — Eh bien, lisez-la. Mme de Dino se mit à lire. Lisez tout haut, fit Talleyrand. Elle obéit : mais, peu à peu gagnée par l'émotion, elle dut, vers la fin, s'interrompre dans un sanglot. Achevez donc cette lettre, s'écria Talleyrand avec une certaine brusquerie. Il ne s'agit pas de s'attendrir ; tout cela est sérieux. La lecture terminée, il reprit : Si je tombais sérieusement malade, je demanderais un prêtre ; pensez-vous que l'abbé Dupanloup viendrait avec plaisir ?Je n'en doute pas, repartit la duchesse ; mais, pour qu'il pût vous être utile, il faudrait que vous fussiez rentré dans l'ordre commun, dont vous êtes malheureusement sorti. — Oui, oui, j'ai quelque chose à faire vis-à-vis de Rome, je le sais et il y a même assez longtemps que j'y songe. — Et depuis quand ? ne put s'empêcher d'interroger, toute surprise, Mme de Dino. — Depuis la dernière visite de l'archevêque de Bourges à Valençay, et depuis encore, lorsque l'abbé Taury y est venu. Je me suis demandé alors pourquoi l'archevêque, qui était là plus directement mon pasteur, ne me provoquait pas ; pourquoi ce bon sulpicien ne me parlait de rien. La duchesse saisit les mains île son oncle et, debout devant lui, les yeux pleins de larmes : Mais pourquoi attendre une provocation ? Pourquoi ne pas faire spontanément, librement, généreusement, la démarche la plus honorable pour vous-même, la plus consolante pour l'Église et pour les honnêtes gens ? Vous trouveriez Rome bien disposée, je le sais. Mgr l'archevêque de Paris vous est fort attaché. Essayez. — Je ne le refuse pas, répondit Talleyrand. J'ai quelque chose à faire, je le sens bien... Mais savez-vous ce qu'on veut de moi ? Pourquoi ne me le dit-on pas ?Voulez-vous que je vous le dise, offrit Mme de Dino... Je vous le dirai, si vous voulez. — Dites. Alors, se rappelant la leçon de Mgr de Quélen, elle lui expliqua qu'il devait désavouer la part qu'il avait prise à la constitution civile du clergé, le sacre des premiers évêques intrus, et reconnaître le scandale de son mariage, conclu en violation des lois de l'Église. Mais j'étais libre, se défendit Talleyrand ; le bref de Pie VII m'avait délié de mes vœux de prêtre et d'évêque... Elle tâcha de lui faire comprendre qu'il se trompait, que sa sécularisation n'avait jamais été aussi complète[67]. Malheureusement on annonça une visite, elle dut s'interrompre et s'éloigner.

Talleyrand, au retour de sa nièce, ne reprit pas l'entretien. Il ne fit même aucune allusion à une note qu'elle avait rédigée eu le quittant, pour mieux préciser les exigences de l'Église et les lui placer sous les yeux. Mais, quelques jours plus tard, il écrivit à l'abbé Dupanloup : lettre gracieuse qui était une invitation à revenir le voir ; et il lui envoya peu après une Imitation de Jésus-Christ d'une vieille édition Elzévir. C'était un souvenir de prix ; ce petit livre était le seul qu'il eût sauvé, lorsque émigré en Angleterre, au temps de la Terreur, il y avait vendu sa bibliothèque d'évêque d'Autun, et, depuis lors, parmi toutes ses aventures et toutes ses métamorphoses, il l'avait conservé toujours, comme une relique[68].

Talleyrand fit alors, sans le dire, presque en cachette, — on ne l'apprit qu'après sa mort, — une démarche encore plus significative. Il alla chez son notaire et, ayant rouvert son testament politique[69], il écrivit en tête : Je déclare d'abord que je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine. Dans ce même acte, parlant de sa sécularisation par le bref de Pie VII, il avait mis en 1836 : J'étais libre, ce qui signifiait évidemment libre de me marier ; il biffa les mots j'étais libre et, de sa main, les remplaça par : je me croyais libre. Demi-aveu, sinon aveu complet.

Avec le printemps, la santé de Talleyrand parut se raffermir. Il recouvrait des forces, refaisait des promenades, réédifiait des projets, songeait à Nice pour l'hiver suivant ; il se sentait renaître, dit Mme de Dino, et son entourage se laissait aller à la quiétude. L'abbé Dupanloup, qui le visita vers le moment de Pagnes, lui trouva si bon air qu'il ne crut pas devoir le presser. Après une conversation, qui avait roulé sur les prédicateurs du carême et sur l'affluence de la foule aux tombeaux du jeudi saint, il se contenta de déposer sur la table, en se levant pour prendre congé, une Journée du chrétien dont il était l'auteur et où ce n'était plus Fénelon, mais Bossuet, qui avait la parole.

Talleyrand était mieux, — d'un mieux fragile, à la merci du moindre choc. Le 28 avril, son frère cadet, Archambaud, duc de Talleyrand, mourut subitement. Ils n'avaient jamais été très unis. Le duc, paralysé depuis des mois, n'avait plus sa tête et le prince, absorbé en lui-même comme le sont souvent les vieillards, évitait d'en parler. N'importe : c'était un dernier lien qui se brisait avec le passé. Ce deuil émotionna Talleyrand. Lorsque Mme de Dino lui en donna la nouvelle, il mit les mains sur ses yeux et, la voix changée : Encore un avertissement, dit-il, ma chère enfant... Savez-vous si mon frère a retrouvé la mémoire avant de mourir !Non, Monsieur, malheureusement, répondit la duchesse. Talleyrand se recueillit, puis, avec une extrême tristesse : Savez-vous que c'est affreux de tomber ainsi d'une vie toute mondaine dans l'enfance et de l'enfance dans la mort ![70] L'impression dura ; elle s'enfonçait dans son âme... Quand l'abbé Dupanloup vint lui apporter ses condoléances, Talleyrand commença par s'attendrir sur la douleur des séparations, il nomma sa mère qu'il avait perdue il y avait vingt-neuf ans et qu'il pleurait toujours ; mais bientôt, laissant là ses souvenirs, il m'entretint, note le futur évêque d'Orléans, de la mort et de la nécessité de s'y préparer... Loin que ces graves et tristes pensées l'agitassent, il paraissait s'y complaire. Il raconta un trait, qui l'avait saisi : Il s'est passé, dit-il, ces jours-ci, quelque chose de curieux à la Chambre des députés, dans la salle des conférences. On y parlait de la mort de mon frère, qui, depuis quatre ans, privé de ses facultés, n'avait pu se reconnaître avant de mourir. Je voudrais mourir comme cela, dit M. X..., nous faisons un ménage excellent, ma femme et moi, mais nous sommes en dissentiment sur un point ; ma femme voudrait se reconnaître avant de mourir, moi je voudrais mourir de mort subite... foudroyé. Et, s'adressant à M. Royer-Collard qui était présent : Qu'en pensez-vous, Monsieur Royer-Collard ?Monsieur, lui répondit M. Royer-Collard, quand on se donne le droit de tout dire, on s'expose à tout entendre ; le vœu que vous formez est animal. — Vous êtes bien sévère, fit M. X... un peu étonné. — Non, je suis juste. — Vous pensez donc à la mort ?Oui, Monsieur, tous les jours. Assez déconcerté, M... X. se tourna vers un autre député, qui avait tout entendu : Et vous, Monsieur B..., vous êtes plus jeune et plus homme du monde, êtes-vous du même avis ?Oui, Monsieur. Quand il eut achevé, sans laisser l'abbé Dupanloup placer un mot, il reprit son récit jusqu'à mourir de mort subite... foudroyé ; alors, il s'arrêta et d'une voix profonde : Mourir d'un coup de foudre ! C'est trop fort ! — Et l'expression de sa physionomie, constate l'abbé Dupanloup, compléta sa pensée.

Ce fut le même jour, en reconduisant son visiteur, qu'à propos des tribulations de M. de Quélen, pauvre, errant, depuis le pillage de l'archevêché, et si cligne, Talleyrand cita l'apostrophe du comte de Montlosier à la Constituante : C'est une croix de bois qui a sauré le monde ! J'y étais, dit-il ; l'impression en fut extraordinaire. Nous étions douze cents ; les tribunes étaient remplies. Quand l'orateur prononça ces paroles, il n'y eut pas un applaudissement, mais toutes les respirations restèrent suspendues et, lorsqu'il eut terminé, quelques moments après, on entendit tout le monde respirer.

L'abbé Dupanloup sortit plein d'espoir et de confiance. Cette conversation, note-t-il dans son récit, était fort significative ou plutôt... toute transparente ; il y avait été perpétuellement question de la vie, de la mort, des principes et des sentiments les plus intimes de M. de Talleyrand sous des noms déguisés qui semblaient être une convention tacite entre lei et moi. Sans nous expliquer davantage, ce jour-là il fut évident à mes veux que nous avions fait un grand pas.

Les jours qui suivirent, Talleyrand intrigua fort son entourage. Lui qui redoutait la solitude, il la recherchait. On le voyait, assis à son bureau, écrire, raturer, songer, relire ; et, s'il entendait quelque pas indiscret, vite, il cachait son manuscrit et prenait un livre. Qu'était cela ? Un matin que Mme de Dino partait pour le Sacré-Cœur de Conflans, où devait avoir lieu, sous la présidence de Mgr de Quélen, une distribution de prix aux orphelines du choléra[71], elle eut la clef du mystère. Tenez, lui dit Talleyrand en lui tendant une grande feuille de papier tout entière couverte de sa petite écriture tremblée, voici quelque chose qui vous fera bien recevoir là où vous allez : vous me direz ce qu'en pensera M. l'archevêque[72]. C'était une déclaration politique et religieuse !

Je n'ai pas eu cette pièce sous les yeux ; je ne la connais que par l'analyse copieuse, mais assez vague, et par les citations qu'en fournit Mgr Dupanloup. Elle était, remarque-t-il, fort longue, très détaillée, trop peut-être. Dans ce résumé de sa vie, il semble en effet que Talleyrand présentait une explication plutôt qu'une excuse ou un désaveu de sa conduite. Français par-dessus tout, serviteur passionné de son pays, il avait fait, assurait-il, consister son patriotisme à combattre la Révolution, qui dure depuis cinquante ans[73] ; il avait cherché à l'arrêter sous toutes les formes de gouvernement, sous tous les maîtres : il se donnait comme le défenseur constant de la monarchie française, et il en appelait au jugement des hommes impartiaux. Après la politique, la religion. Il protestait de son attachement à l'Église : Si j'ai cessé d'être son ministre, je n'ai jamais cessé d'être son enfant ; mais le respect que je dois à la mémoire de ceux de qui j'ai reçu le jour ne me défend pas de dire que toute ma jeunesse a été conduite vers une profession pour laquelle je n'étais pas né. Le Saint-Siège, sur ce point, avait du reste prononcé : il avait été, disait-il, délié par le vénérable Pie VII. De son rôle à l'époque de la constitution civile du clergé, il alléguait cette raison : le protestantisme, cet ennemi de l'unité... dangereux auxiliaire de la République, menaçait ; le péril était imminent, et, seule, l'application de la loi pouvait en sauver la France. D'ailleurs, il était tout prêt, si l'Église le juge nécessaire, à condamner de nouveau le schisme constitutionnel. Il avait aidé au Concordat... Pas un mot de son mariage... Il concluait : Mes derniers vœux seront pour l'Église et pour son chef suprême, et il demandait à l'archevêque de faire passer sous les yeux de Sa Sainteté les explications sommaires qui précèdent et la déclaration qui les termine.

Au retour de Conflans, Talleyrand s'inquiéta de ce qu'avait dit de son papier M. de Quélen. Il en a été vivement touché, répondit sa nièce : mais elle ajouta qu'il désirait que les sentiments qui y étaient exprimés fussent présentés sous une forme plus canonique et qu'il comptait, dans peu de jours, m'envoyer, pour la lui montrer, la formule ecclésiastique. Talleyrand ne fit pas d'objections ; il signifia seulement qu'il avait aussi l'intention d'écrire au pape une lettre explicative, et, après être entré dans certains détails, il finit par cette recommandation : Ce que je ferai devra être daté de la semaine de mon discours à l'Académie ; il ne faut pas qu'on puisse dire que j'étais intellectuellement affaibli[74].

Mgr de Quélen n'avait pas été très satisfait. Il espérait de Talleyrand plus et mieux :

Comme vous devez bien le penser, écrivait-il à Mme de Dino, le lendemain de sa visite à Conflans, je suis fort préoccupé du sujet de notre conversation d'hier. Si la chose n'est pas encore ce qu'elle doit être, je ne me décourage pas cependant. parce que j'espère que Dieu, qui commence et qui achève en nous. continuera jusqu'à la perfection. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le faire remarquer, ce que vous m'avez montré peut être une explication, je n'ose dire une excuse, valable devant Dieu et devant les hommes, mais ce n'est pas un acte satisfactoire d'un mal commis, ni déclaratoire d'un principe immuable. L'Église catholique, immuable dans sa foi et dans sa morale, ne peut, toute indulgente qu'elle est, rien relâcher à cet égard, sous peine de n'être plus l'Église de vérité... Elle a condamné le schisme constitutionnel, elle le condamne encore : elle ne peut laisser dire qu'on a rompu l'unité afin de conserver l'unité ! Je suis trop attaché à M. le prince de Talleyrand pour ne pas le conjurer de ne pas écrire une chose qui ne ferait honneur ni à son esprit, ni à son jugement, ni à ses connaissances. Le point du célibat violé coutre la discipline de l'Église est encore si clair qu'il n'y a pas moyen de dissimuler là-dessus. C'est tellement chose publique que l'on ne peut trouver aucun subterfuge, subterfuge qui n'appartient d'ailleurs ni à un chrétien ni à un gentilhomme, encore moins à un évêque... Rien n'empêche que, pour satisfaire à la justice et à la vérité, on expose les motifs de ses actions, mais il faut nécessairement condamner Faction elle-même, lorsque cette action est déclarée condamnable par Celle qui a le jugement infaillible, par l'Église. Où est en cela la faiblesse, ou plutôt n'est-ce pas de la gloire et de la magnanimité[75] ?

Quelques jours plus tard, il reprenait avec une fermeté douloureuse :

Je tremble d'être obligé de devenir juge après avoir exercé, depuis bien des années, l'office d'ami et de pasteur. Je ne me décourage pourtant pas. On prie dans mon diocèse et ailleurs... Je vous quitte pour aller dire la messe et vous devinez l'intention... Jour et nuit, je crie vers le ciel pour obtenir le miracle, et toutefois je me demande sans cesse si j'ai satisfait entièrement à tous mes devoirs, si j'ai libéré mon âme, si enfin je serai responsable de la perte éternelle de celui pour qui j'ai tant de fois offert ma vie...

 

Et, comme Mme de Dino le trouvait bien exigeant et qu'elle plaidait l'indulgence, le pauvre archevêque, dont le cœur était, si l'on peut dire, étreint entre son devoir de prêtre et sa sympathie d'ami, laissait échapper cette plainte émouvante :

Je puis être maladroit, malhabile, malheureux ; je ne serai jamais ni malveillant ni malhonnête : si vous blâmez, excusez-moi ; plaignez-moi, si vous n'approuvez pas[76].

 

L'abbé Dupanloup avait éprouvé, en lisant les pages de Talleyrand, la même déception que M. de Quélen. Les explications politiques lui paraissaient réellement, déplacées dans un acte semblable, et les explications religieuses, malgré des choses fort remarquables, fort consolantes, semées de beaucoup trop de lacunes et d'obscurités. Il ne fallait certes pas rejeter le texte de Talleyrand, mais il était nécessaire, en conservant tout ce qui pouvait être conservé, de le reprendre de fond en comble, de lui donner une forme ecclésiastique. L'archevêque et l'abbé se mirent à l'œuvre[77]. Afin de simplifier, ils décidèrent, suivant d'ailleurs en cela une idée de Talleyrand, de faire deux actes distincts : une déclaration de soumission à l'Église et une lettre explicative adressée au Saint-Père. Des théologiens et des amis, convoqués à une sorte de conseil, approuvèrent et, le 9 mai, Mgr de Quélen envoya les deux pièces à M. Dupanloup, pour qu'il les soumît à la signature du prince. Il y avait joint ces lignes, qui font honneur à son âme de prêtre :

Cher ami, voici les formules définitives. Et maintenant, si c'est la miséricorde qui prépare, laissons la faire. Du reste, Dominus tecum sit ; seulement : Est, est : non, non, c'est le cas. Rappelons-nous le beau et simple commentaire de Bossuet sur ces paroles de Jésus-Christ : Cela est, cela n'est pas... Oui, non... la vérité simple... sans détour ni embarras.... le chrétien ne ment jamais[78].

La surprise de Talleyrand, lorsque sa nièce lui avait rapporté la première impression de l'archevêque, avait été extrême. Comment ! Il s'attendait à un transport de joie et de reconnaissance, et voilà qu'on discutait sa déclaration, qu'on en pesait les ternies, qu'on émettait des réserves, qu'on préparait des retouches et des corrections ! Il ne manifesta aucune colère, il n'eut ni plaintes ni menaces ; mais Mme de Dino, qui lisait en lui comme en un livre ouvert, reconnut les sentiments qui l'agitaient, et elle s'en effraya. Le pire était que Talleyrand, dans sa surprise, pouvait être sincère. L'éloignement de ses actes coupables, les grands événements qui depuis étaient survenus, effaçant tant de choses, les rôles illustres qu'il avait remplis, le tourbillon des affaires, les explications et les excuses qu'il avait imaginées, sa légèreté d'esprit, l'insouciance de l'âge avaient peu à peu enveloppé dans une ombre trompeuse les fautes d'autrefois. Et il faut avouer, ainsi que le remarque finement quelque part M. Dupanloup, que le monde avait tout fait pour le bercer et l'endormir dans cette illusion. L'abbé rapporte à ce propos un joli trait d'enfant. C'était au château de Courtalin, cinq ou six ans plus tôt. Talleyrand v était venu en visite chez sou amie Mme tic Montmorency. On l'avait accueilli, comme partout. avec une profusion d'honneurs et d'hommages, et un jeune garçon de dix ans, le voyant entouré de tant de courbettes, d'égards et de respects, par de beaux messieurs et de belles daines qui, derrière, le traitaient d'évêque marié, fut tout scandalisé ; il avisa, dans une embrasure de fenêtre, le curé, — un bon curé de village gauche et timide, qui ne disait mot, — et, le tirant par sa manche : Monsieur le curé, lui chuchota-t-il à l'oreille, tout cela me fait de la peine. Ils finiront pas lui persuader qu'il est innocent[79]. — Innocent, Talleyrand n'allait pas jusque-là ; seulement il était très convaincu qu'il était peu coupable, d'une faute à peine réelle sous les circonstances atténuantes : et les scrupules de M. de Quélen lui semblaient d'un bien petit esprit. Mais pourquoi n'en appellerait-il pas de l'archevêque au pape ? Pourquoi no traiterait-il pas son affaire, d'homme à homme, avec Grégoire XVI ? Sa santé était meilleure ; il pouvait aller en Italie. Le voyage fut décidé, la date même du départ choisie : ce serait après les funérailles de son frère Archambaud à Valençay, le jeudi 17 mai.

 

IV

 

Le lundi 14 mai, un billet pressé était remis à l'abbé Dupanloup de la part de la duchesse de Dino :

J'ai reçu, lui mandait-elle, une lettre de Rome que je voudrais vous communiquer. Mais j'ai surtout besoin de vous parler... des inquiétudes que, depuis trente-six heures, me donne la santé de M. de T. Il a éprouvé un accident qui, au début, semblait n'être qu'un accès de fièvre ordinaire, mais, depuis hier au soir, il s'y est joint un symptôme qui me paraît avoir de la gravité. Il ne s'en doute pas et peut-être suis-je au delà du vrai ; mais je crois qu'il est plus essentiel que jamais de s'entendre et de se tenir prêt à tout événement[80]...

Qu'était-il donc arrivé ?

L'avant-veille, le samedi[81], quelques personnes dînaient à l'entresol de la rue Saint-Florentin : la princesse de Lieven, le duc de Noailles, la baronne de Talleyrand. M. Bertin de Vaux, la duchesse de Dino, Montrond. La soirée était froide. Talleyrand gronda ses gens qui n'avaient pas allumé de feu : il avait l'air un peu fatigué, un peu distrait. Cependant, à table, il causa comme à l'ordinaire. Même il s'anima fort à propos du projet de conversion des rentes, que venait de présenter le gouvernement : il le critiquait et, M. de Noailles avant déclaré qu'il voterait contre à la Chambre des pairs, il voulut, selon une mode anglaise, choquer son verre contre le sien. Après dîner, il se plaignit de nouveau du froid. Un grand feu brûlait au salon : il s'en approcha et la conversation reprit. Mais il devenait visible qu'il était mal à l'aise. Courbé sur son fauteuil, les mains tendues vers la flamme, il s'interrompit plusieurs fois pour dire : Je ne conçois pas que je ne puisse pas me réchauffer. Soudain, une sorte de frisson le secoua, il se tut : il avait la figure ravagée. Mme de Dino, très alarmée, lui offrit de le conduire dans sa chambre. D'un signe, il refusa. Le front dans sa main, il restait là immobile et muet. Ce ne fut qu'au bout d'une demi-heure qu'il releva la tête et demanda qu'on roula son fauteuil dans sa chambre à coucher. À ce moment, il était redevenu maître de lui ; entendant Noailles et Bertin de Vaux, qui ne voulaient pas paraître troublés par l'incident, parler du dernier livre de M. de Lamartine, la Chute d'un ange, il leur dit : Je n'ai point lu le poème, mais j'ai lu l'avertissement que je trouve charmant. Dans sa chambre, il fut pris de suffocations et de vomissements ; on eut beaucoup de peine à le mettre au lit et, bientôt, on constata qu'il avait la fièvre[82].

La nuit fut assez calme ; la fièvre baissa. Dans l'après-midi du dimanche, Talleyrand se sentit si bien qu'il exigea d'être levé, malgré une petite douleur au bas des reins, et il reçut plusieurs visites dans son salon. Était-ce la détente ? Le soir, de nouveau, la fière montait-, plus intense ; la douleur aux reins devenait lancinante, et le docteur Cruveilhier diagnostiqua un anthrax à forme gangreneuse. Mal terrible aux vieillards ! Trois ans auparavant, un autre survivant octogénaire de la Révolution, Rœderer, en était mort. — Le lendemain matin, l'état avait empiré. Le professeur Marjolin, chirurgien réputé, que Cruveilhier appela en consultation, estima urgente une opération. Elle eut lieu à six heures du soir, longue et cruelle : on n'avait pas encore le chloroforme. Talleyrand la supporta avec une fermeté stoïque. Pendant que l'opérateur taillait dans la chair vive, on l'entendit seulement murmurer : Savez-vous que vous me faites beaucoup de mal ! Quand ce fut fini, sans écouter l'avis des médecins, il se fit porter dans son salon. M. de Bacourt, l'ancien premier secrétaire de son ambassade à Londres, qui vint vers neuf heures prendre de ses nouvelles, le trouva en robe de chambre, dans son fauteuil accoutumé, au coin du feu ; quoiqu'il souffrit encore et qu'il eût la fièvre, il causait comme à son habitude : il raconta avec malice que le docteur Marjolin, au moment de commencer l'opération, avait mis à la porte son chien qui lui aboyait aux mollets[83].

Cependant, dès le point du jour, le mardi, tout espoir était évanoui, et, en même temps que le danger, l'inquiétude de Mme de Dino croissait. Un émissaire fut dépêché à l'abbé Dupanloup. Malheureusement, c'était jour de promenade ; l'abbé avait quitté de bonne heure Saint-Nicolas avec les enfants et il fallut, pour le joindre, pousser jusqu'à Gentilly. Il accourut. Dans l'escalier de l'hôtel de la rue Saint-Florentin, il croisa le docteur Cruveilhier : Si vous pouvez quelque chose, lui glissa le médecin à l'oreille, faites sur-le-champ ; le temps presse[84]. Très troublé, l'abbé Dupanloup continua sa marche. Pourquoi avait-il attendu quelques jours avant de présenter au prince la déclaration arrêtée par l'archevêque ? Je me reprochai, dit-il, de ne pas m'être hâté davantage. Il est vrai que j'étais loin de prévoir une fin si prochaine. Mais que de sollicitudes nous eussent été épargnées si j'avais achevé de traiter cette grande affaire avec lui pendant qu'il jouissait d'une parfaite santé ![85]

Talleyrand, prévenu par Pauline de l'arrivée de l'abbé, le reçut tout de suite. Assis, presque debout, sur le bord de son lit, la tête tombant sur la poitrine, il était effrayant : corps déjà en agonie, mais où le regard brillait. Monsieur l'abbé, dit-il, il y a longtemps que nous ne nous sommes vus ; me voilà bien malade. Sans tarder et sans hésiter, l'abbé lui répondit : Prince, je vous rapporte, de la part de Mgr l'archevêque, les deux pages que vous lui aviez envoyées ; et il lui offrit de les lire, telles qu'elles avaient été modifiées. Mais Talleyrand l'arrêta : Monsieur l'abbé, j'avais bien réfléchi à ce que j'écrivais ; j'ai tout mis dans ces deux pages, et ceux qui sauront les bien lire y trouveront tout ce qu'il faut. M. Dupanloup eut un serrement de cœur. J'étais prêt, a-t-il noté dans son récit, à me lever et à sortir, lui offrant mes vaux et mes regrets, lorsque Dieu m'assista... Je lui répondis aussitôt : C'est vrai, mon Prince, je le reconnais : ceux qui sauront lire y trouveront ce qu'il faut. Mais vous n'ignorez pas que, dans ce pays-ci, beaucoup de gens ne savent pas lire... Permettez-moi de l'ajouter : on sera d'ailleurs très difficile pour vous ; on ne voudra pas bien lire ; on ne trouvera pas ce qu'il, faut dans ces deux pages, on ne voudra pas comprendre ce que vous y avez mis. Talleyrand souleva la tête : Vous avez raison, dit-il. L'abbé poursuivit : Les deux pages que je vous rapporte sont dans le fond, et même souvent dans la forme et dans les termes, ce que vous avez écrit ; il y a de plus, seulement, quelques modifications qui les rendent inattaquables et, si vous me permettez de l'ajouter, plus honorables pour vous, plus consolantes pour votre famille, plus satisfaisantes pour l'Église... Permettez-vous que je les lise ?Volontiers, répondit le prince. Mais, se reprenant et tendant la main : Plutôt, donnez-les-moi, je les lirai moi-même. L'abbé Dupanloup lui remit les papiers, et, lentement, gravement, Talleyrand lut.

La déclaration était ainsi conque :

Touché de plus en plus par de graves considérations, conduit à juger de sang-froid les conséquences d'une Révolution qui a tout entraîné et qui dure depuis cinquante ans. je suis arrivé, au terme d'un grand âge et après une longue expérience, à blâmer les excès du siècle auquel j'ai appartenu, et à condamner franchement les graves erreurs qui, dans cette longue suite d'années, ont troublé et affligé l'Église catholique, apostolique, romaine, et auxquelles j'ai eu le malheur de participer.

S'il plaît au respectable ami de ma famille, Mgr l'archevêque de Paris, qui a bien voulu me faire assurer des dispositions bienveillantes du Souverain Pontife à mon égard, de faire arriver au Saint-Père, comme je le désire, l'hommage de ma respectueuse reconnaissance et de ma soumission entière à la doctrine et à la discipline de l'Église, aux décisions et jugements du Saint-Siège sur les affaires ecclésiastiques de France, j'ose espérer que Sa Sainteté daignera les accueillir avec bonté.

Dispensé plus tard par le vénérable Pie VII de l'exercice des fonctions ecclésiastiques, j'ai recherché, dans ma longue carrière politique, les occasions de rendre à la religion et à beaucoup de membres honorables et distingués du clergé catholique tous les services qui étaient en mon pouvoir. Jamais je n'ai cessé de me regarder comme un enfant de l'Église. Je déplore de nouveau les actes de ma vie qui l'ont contristée, et mes derniers vœux seront pour elle et pour son chef suprême.

 

Et voici la lettre au pape :

Très Saint-Père,

La jeune et pieuse enfant, qui entoure ma vieillesse de ses soins les plus touchants et les plus tendres, vient de me faire connaître les expressions de bienveillance dont Votre Sainteté a daigné récemment se servir à mon égard, en m'annonçant avec quelle joie elle attend les objets bénits qu'Elle a bien voulu lui destiner : j'en suis pénétré comme au jour où Mgr l'archevêque de Paris me les rapporta pour la première fois.

Avant d'être affaibli par la maladie grave dont je suis atteint, je désire, très Saint-Père, vous exprimer toute ma reconnaissance et en même temps mes sentiments. J'ose espérer que non seulement Votre Sainteté les accueillera favorablement, mais qu'Elle daignera apprécier dans sa justice toutes les circonstances qui ont dirigé mes actions. Des mémoires, achevés depuis longtemps mais qui, selon mes volontés, ne devront paraître que trente ans après ma mort, expliqueront à la postérité ma conduite pendant la tourmente révolutionnaire. Je me bornerai aujourd'hui, pour ne pas fatiguer le Saint-Père, à appeler son attention sur l'égarement général de l'époque à laquelle j'ai appartenu.

Le respect que je dois à ceux de qui j'ai reçu le jour ne me défend pas non plus de dire que toute ma jeunesse a été conduite vers une profession pour laquelle je n'étais pas né.

Au reste, je ne puis mieux faire que de m'en rapporter, sur ce point comme sur tout autre, à l'indulgence et à l'équité de l'Église et de son vénérable chef.

Je suis avec respect, très Saint-Père, de Votre Sainteté le très humble et très obéissant fils et serviteur.

 

Lorsque Talleyrand eut terminé sa lecture, après un moment de silence, il releva la tête et dit simplement : Je suis très satisfait de ce papier. Puis, il le plia, le glissa dans une poche intérieure, et d'un ton calme, qui n'admettait pas la réplique : Vous voulez bien me le laisser ? Je désire le relire encore une fois. Il n'y avait rien à objecter ; l'abbé Dupanloup s'inclina. Une conversation suivit, très intime, sur l'état du prince, sa mort peut-être prochaine, Dieu qui pouvait seul le sauver. Jusqu'au soir, l'abbé Dupanloup ne quitta point l'hôtel Talleyrand.

Le mal fut stationnaire pendant cette journée du mardi. Le duc de Noailles, qui fut admis dans la chambre du prince, raconte qu'il eut avec lui une conversation d'homme en santé. Talleyrand lui récita des vers de du Bellay sur la longueur des nuits douloureuses ; il lui parla de ses pansements qui le faisaient beaucoup souffrir et lui dit qu'il ne se soutenait qu'avec du quinquina dans du scherry. A propos de vins, il discuta le mérite de ceux qu'on buvait à Londres. N'eût été le corps écroulé entre les coussins que calaient, à droite et à gauche, le duc de Valençay et M. de Bacourt, il aurait donné l'illusion, tant la pensée restait robuste et ferme, de tenir son habituelle audience de l'après-midi[86].

Le mercredi, après une nuit qui n'avait pas été trop mauvaise, le malade fut réveillé à quatre heures du matin par des palpitations et des étouffements. Était-ce la fin ? Lui-même le crut ; il interrogea le docteur Cruveilhier :

Prince, lui répondit le médecin qui était chrétien, la force de votre âme me permet de vous dire la vérité : vous êtes dans cet état où tout homme grave met ordre à ses affaires[87].

Sur ces entrefaites, arriva l'abbé Dupanloup. Pauline avertit son oncle, et il fut introduit. Prince, lui dit-il, je bénis Dieu de vous revoir un peu plus paisible ce matin... et si la mort qui vous menace — ici, les sanglots firent trembler sa voix — nous pénètre tous de douleur, du moins nous remercions Dieu qui vous la rendra plus douce après vous avoir ménagé le temps et la force de mettre ordre aux affaires de votre conscience et de votre salut éternel... L'abbé s'arrêta, son émotion était si violente qu'il étouffait. Mais Talleyrand, le fixant de ses veux tranquilles, répondit de son ton le plus naturel : Je vous remercie. L'abbé Dupanloup reprit courage. Avec une sorte de hardiesse de zèle que Dieu me prêta... je lui parlai alors, rapporte-t-il, dans les termes les plus forts et les plus énergiques, de son âme, de la mort, de l'éternité ; je ne lui cachai pas qu'il touchait au dernier ternie de sa longue et orageuse carrière... qu'il pouvait, au premier moment, paraître devant le tribunal de Dieu... J'étais entraîné par une émotion poignante et irrésistible. Je lui dis qu'il était temps et sage de prévenir ce jugement terrible en se jugeant lui-même. Je lui rappelai surtout alors que, s'il avait admiré cette croix de bois qui a sauvé le monde, c'était aussi cette meule croix qui devait bénir ses derniers instants, sauver son âme, purifier sa vie, préparer son éternité... et obtenir pour la religion cette juste et indispensable satisfaction qu'il lui avait promise et qu'elle le conjurait, par ma bouche, de ne plus différer... A ces mots, Talleyrand saisit les mains de l'abbé : Oui, oui, je veux tout cela, s'écria-t-il avec chaleur. Je le veux. Vous le savez, je vous l'ai déjà dit, je l'ai dit à Mme de Dino. Et, continue Mgr Dupanloup, reprenant la conversation intime de la veille, faisant justice complète de sa vie entière, il eût immédiatement commencé l'œuvre de sa réconciliation avec Dieu, si je ne lui avais fait observer que sa confession ne pouvait s'achever qu'après sa déclaration... C'est juste, répondit-il. Alors, je veux voir Mme de Dino, je veux relire ces deux actes avec elle, je veux v ajouter quelque chose, et nous terminerons ensuite. Que signifiait ce nouveau délai ?

Toute la journée, l'abbé Dupanloup resta près de Talleyrand, dans sa chambre. Assis près de la fenêtre, il récitait son chapelet ou lisait son bréviaire. De temps en temps, il lui demandait s'il ne le fatiguait pas. Vous me faites du bien, fut toujours la réponse... vous me faites du bien. Une fois même, le prince ajouta : J'aurais déjà l'ait ce que je vous ai promis, si je ne souffrais pas tant. L'abbé ne s'éloigna que vers midi, pour aller porter des nouvelles à l'archevêque. Mgr de Quélen, qui ne savait comment sa présence serait acceptée, n'avait pas osé venir. J'espère, avait-il écrit dès le mardi matin à la duchesse de Dino, que vous parlez de mon intérêt, de ma douleur, de mon désir... Vous connaissez les motifs de ma détermination à ne pas me présenter en personne... Si cependant j'étais de quelque utilité, souvenez-vous que je suis disponible à toute heure : à la vie, à la mort[88].

Pendant cette journée du mercredi, on attendit, d'heure en heure, la fin. La nouvelle de la maladie du prince s'était répandue et, de tous côtés, des gens venaient s'inscrire. Beaucoup montaient à l'entresol : hommes politiques, hommes du monde ; les salons étaient remplis, et c'était un spectacle étrange que celui de ces groupes où, à deux pas d'une agonie, on parlait affaires et frivolités[89]. Talleyrand se confesserait-il ? Même à cette heure où l'ombre de la mort s'abaissait déjà les passions ne s'éteignaient pas. Quelques-uns étaient pour, bien plus étaient contre. Parmi ceux-ci. On remarquait un jeune homme d'État, pour lequel Talleyrand avait manifesté une prédilection ; il avait eu vent que le moribond désavouait la Révolution et rejetait ses erreurs de conduite sur le désordre des idées, et il n'en prenait pas son parti : Je ne lui pardonnerai pas, s'écriait-il en agitant ses petits bras, je ne lui pardonnerai pas de renier le dix-huitième siècle ! Un de ses amis, autre familier de Talleyrand, qui avait encouragé ses débuts d'historien, reprenait : Ce serait le coup le plus violent que nous ayons reçu depuis cinquante ans. Mais le plus monté, c'était Montrond, —Montrond qui devait aussi, au moment suprême, se courber au pied de la croix[90]. — Lorsqu'il voyait passer l'abbé Dupanloup, il ricanait : Que fait-il donc avec ce prêtre ? et, pour atténuer d'avance l'impression d'un retour chrétien, il ajoutait : S'il signe, c'est qu'il n'a plus sa tête. Talleyrand eut-il quelque obscur pressentiment de ce qui se disait derrière sa porte ? Il paraît qu'il s'inquiéta plusieurs fois de savoir si Montrond était encore là et Mme de Dino pensait plus tard qu'un des motifs qui avaient retardé la signature de son oncle, était qu'il ne voulut pas accomplir un acte aussi grave tandis qu'était tout proche ce mauvais singe de Voltaire[91]. A quelques pas, dans un autre cercle où les vœux étaient différents, Royer-Collard déclarait de sa voix stridente : Lui qui a toujours été l'homme de la pacification fie refusera pas de faire sa paix avec Dieu avant de mourir. Le mot fut rapporté à Talleyrand, dont la figure s'éclaira : Je ne le refuse pas, dit-il, je ne le refuse pas.

Les heures passaient. On voyait distinctement baisser les forces du malade. L'angoisse de l'abbé Dupanloup était à son comble. Sur sa prière, à un moment où il sembla qu'il se produisait dans les souffrances une relâche, Mme de Dino se décida à tenter une démarche personnelle près de son oncle. Quelques instants après, elle sortit de la chambre. Il avait de nouveau répété qu'il acceptait tous les termes de la déclaration, qu'il les reconnaissait connue siens, qu'il voulait les signer et mourir en vrai et fidèle enfant de l'Eglise catholique : Vous le savez, Madame de Dino, il y a longtemps que je vous l'ai déclaré : je le veux. Mais, lorsqu'elle lui avait proposé de signer sur-le-champ : Je ne tarderai pas, avait-il répondu ; seulement je veux les revoir. Je tiens à y ajouter quelque chose et je suis en ce moment trop fatigué ; je dirai quand il sera temps. Mais, Prince, avait insisté la duchesse, pendant que votre main le peut encore ? Il s'était obstiné : Qu'on soit tranquille ; je ne tarderai pas.

A la fin de la soirée, n'y tenant plus, l'abbé Dupanloup s'approcha lui-même du lit. Prince, dit-il, je vais faire donner de vos nouvelles à Mgr l'archevêque que votre état inquiète et tourmente vivement. Voudriez-vous, auparavant, signer voire déclaration, afin que je puisse lui donner en même temps la douce consolation de vous savoir prêt à paraître en paix devant Dieu ?Remerciez bien Mgr l'archevêque, répondit Talleyrand, dites-lui que tout sera fait. Pauline, qui était là intervint : Mais quand sera-ce, bon oncle ?Demain, entre cinq et six heures du matin. — Demain ?Oui, demain, entre cinq et six heures. Cela, d'une voix forte et résolue. L'abbé Dupanloup reprit : Je puis donc, Prince, donner cette espérance... — Ne dites pas cette espérance, interrompit vivement Talleyrand, dites cette certitude : c'est positif. Ces derniers mots avaient été prononcés avec une énergie telle que l'abbé Dupanloup en fut saisi.

De loin, l'archevêque s'associait aux angoisses et aux prières. Il mandait à l'abbé Dupanloup : Toute la nuit, on fera ici l'adoration continuelle. Demain, toutes les communions à nos intentions. Non, la Sainte Vierge ne nous abandonnera pas ![92]

Vers onze heures, nouvelle alerte. Le docteur Cruveilhier crut s'apercevoir que la raison du malade s'obscurcissait. L'abbé Dupanloup était sorti, et d'ailleurs qu'aurait-il pu ? M. de Bacourt eut l'idée de faire faire par Pauline une tentative suprême. Tenant à la main une plume et les deux papiers, elle entra doucement chez son oncle. La pièce n'était éclairée que par une bougie que portait M. de Bacourt. Au fond de son grand lit aux rideaux verts, Talleyrand apparaissait plus mort que vivant, d'une pâleur livide, les paupières closes, la respiration haletante. Bon oncle, dit la jeune fille, tu es calme en ce moment. Ne voudrais-tu pas signer ces deux papiers dont tu as approuvé le contenu ? Cela te soulagera. Le prince sortit de sa torpeur : Mais il n'est pas six heures ; et, comme personne n'osait répondre : Je t'ai dit que je signerais demain entre cinq et six heures du matin : je te promets encore de le faire. Après un instant de silence, il se mit à causer avec M. de Bacourt, très naturellement. Il dit quelle douceur lui était la présence de sa petite-nièce : C'est un ange, c'est un ange. répétait-il. M. de Bacourt craignait de le fatiguer et se taisait. Mais lui voulait maintenant parler. Ne trouvez-vous pas, demanda-t-il, que la religion protestante est une religion bien sèche, bien peu consolante ?C'est peut-être, répondit Bacourt, parce qu'elle ne s'adresse qu'à la raison, qu'il ne lui est pas facile de convaincre. La religion catholique s'adresse tout à la fois à la raison, au cœur, à l'imagination, et tous ceux qui veulent franchement être convaincus peuvent l'être par elle. Talleyrand lui serra la main : Vous avez bien raison, oui, bien raison[93].

La nuit fut extrêmement pénible. Talleyrand souffrait beaucoup ; il s'agitait et, parfois, gémissait... Vers cinq heures, au petit Jour, arrivèrent. les témoins requis par l'archevêque au cas où, le moribond n'avant plus la force de signer, on devrait se contenter d'une déclaration verbale. C'étaient le duc de Poix, MM. Royer-Collard, Molé[94], de Sainte-Aulaire et de Barante. Ils restèrent dans le salon, en silence, prêts à répondre au moindre appel ; la porte de la chambre n'était d'ailleurs pas fermée, et ils pouvaient voir, par-dessus un paravent, ce qui s'y passait.

Talleyrand avait ouvert les veux ; il les promena sur ceux qui l'entouraient et, d'une voix claire qui les fit tressaillir, demanda : Quelle heure est-il ?Six heures, répondit quelqu'un. Mais l'abbé Dupanloup ne voulut pas qu'il fût trompé, même à ce moment, et il rectifia : Prince, il n'est guère plus de cinq heures. Bien, fit Talleyrand. Et l'attente recommença... Un peu plus tard, on introduisit dans la chambre une des petites-nièces du malade : Marie de Talleyrand, fille du baron Alexandre et de cette mystérieuse Charlotte qu'avait jadis élevée le prince de Bénévent. Elle devait faire, ce matin-là sa première communion et elle était déjà dans sa robe blanche ; elle se mit à genoux près du lit : Mon oncle, dit-elle, je vais bien prier Dieu pour vous ; je vous demande votre bénédiction. Talleyrand se souleva avec peine, et l'on entendit ces mots :

Mon enfant, je te souhaite beaucoup de bonheur pendant ta vie et, si j'y puis contribuer par quelque chose, je le ferai de tout mon cœur. — Vous le pouvez en la bénissant, dit Mme de Dino. Il étendit la main et la bénit. La petite avait fondu en larmes. Pendant qu'elle s'éloignait, il dit à M. de Bacourt : Voilà bien les deux extrémités de la vie : elle va faire sa première communion... et moi... Il n'acheva pas.

Six heures sonnèrent. Dans la chambre étaient présents la duchesse de Dino et sa fille, le duc de Valençay et Bacourt qui soutenaient le malade, le docteur Cruveilhier, le vieux valet de chambre Hélie qui, par la volonté expresse de Talleyrand, représentait les domestiques de sa maison, enfin l'abbé Dupanloup. Pauline s'avança : Bon oncle, il est six heures. Veux-tu que je te présente ces papiers que tu as promis de signer ? Talleyrand fit un grand effort pour se dresser, mais il retomba, et il fallut l'aider ; il prit la plume des mains de Pauline. Monsieur de Talleyrand, proposa Mme de Dino, voulez-vous que je vous relise ces papiers ?... Vous les connaissez, mais voulez-vous que je vous les relise encore ?Oui, lisez. Mme de Dino lut la déclaration. Aussitôt qu'elle eut terminé, Talleyrand trempa lui-même sa plume dans l'encrier et, sans le moindre signe de trouble ou d'incertitude, il signa : CHARLES-MAURICE, PRINCE DE TALLEYRAND. — Mais, remarqua-t-il en parcourant des veux les dernières lignes, il y a certaines choses que je ne retrouve pas dans ce qu'on vient de lire, et que je tiens à envoyer au Saint-Père. — Mme de Dino lui répondit que ces choses avaient été mises dans la lettre destinée au pape, et elle en fit la lecture. De nouveau, il signa. Prince, questionna-t-on, quelle date désirez-vous donner à cet acte ? Comme sil y avait déjà de lui-même pensé, il dit, avec un accent déridé : La semaine de mon discours à l'Académie... De quel jour est mon discours à l'Académie ?Du 3 mars. — Eh bien, écrivez le 10, afin que ce soit de la même semaine.

Après cet effort, on laissa Talleyrand reposer. Pendant que Barante lisait les actes aux autres témoins et leur montrait les signatures encore humides, l'abbé Dupanloup courut à l'église la plus voisine célébrer une messe d'actions de grâces. Mme de Dino était si émue qu'elle avait une crise de nerfs et de larmes.

Cependant le roi, — témoignage d'estime sans précédent, — avait annoncé sa visite. Il vint à huit heures avec Madame Adélaïde. Talleyrand, qui l'attendait, avait voulu que son valet de chambre lui fit sa toilette habituelle et le peignât. et, comme il se trouvait un peu moins mal, il s'était assis sur son lit. L'entrevue aurait été émouvante, sans Louis-Philippe : la grandeur manquait au monarque des barricades. Vêtu d'un habit marron, avec des bottes vernies, il s'avança, tournant son chapeau dans ses mains, le front très rouge sous le toupet frisé, fort peu à son aise. Je suis fâché, commença-t-il, Prince, de vous voir souffrant. Et il s'assit sur le bord d'un fauteuil, ne sachant plus que dire et ne disant plus rien. — Sire, répondit Talleyrand, vous êtes venu assister aux derniers moments d'un mourant... C'est un grand honneur que le roi fait à cette maison que d'y venir aujourd'hui. Pour se conformer à une vieille règle d'étiquette, il nomma les personnes présentes : son petit-neveu Valençay, Bacourt, le docteur Cruveilhier et son aide, et même le valet, de chambre Hélio. Le roi se retira, tandis que Madame Adélaïde serrait la main du prince qui murmura avec émotion : Je vous aime bien...[95]

La visite royale avait beaucoup fatigué Talleyrand : il tomba dans une prostration complète et, lorsque l'abbé Dupanloup revint de dire sa messe, il était si accablé, si absorbé, qu'il ne pouvait être question de le confesser. Ce fut une nouvelle anxiété. Comment raviver la lueur qui défaillait ? Une lettre de l'archevêque, qu'on lui remit deux heures plus tard, rendit à l'abbé un peu de cœur. Béni soit Dieu mille fois ! écrivait M. de Quélen. Soyez, je vous prie, mon interprète ; vous connaissez mon cœur et vous parlerez à qui le connaît. Dieu vous donne courage jusqu'au bout...[96] L'abbé Dupanloup s'approcha : Prince, Mgr l'archevêque me charge de vous dire combien il est occupé de vous... Talleyrand entr'ouvrit les veux et, d'une voix faible mais encore distincte : Je suis bien sensible aux bontés de Mgr l'archevêque ; je le remercie... beaucoup. — Mgr l'archevêque, continua l'abbé, bénit Dieu surtout de votre courage à consoler la religion et à mettre votre conscience en paix... Oui, mon Prince, vous avez ce matin donné à l'Église une grande consolation. Maintenant, je viens, au nom de l'Église, vous offrir les dernières consolations de votre foi, les derniers secours de la religion. Vous vous êtes réconcilié avec l'Église catholique que vous aviez affligée, le moment est venu de vous réconcilier aussi avec Dieu par un nouvel aveu et par un repentir sincère de toutes les fautes de votre vie. A ces mots, le moribond fit un mouvement, comme pour s'avancer ; il saisit les deux mains de l'abbé dans les siennes et, les pressant avec une force et une émotion extraordinaires, il ne les quitta plus, pendant tout le temps que dura sa confession. Mais il faut laisser la parole à l'abbé Dupanloup : il reçut, dit-il, l'absolution avec une humilité, un attendrissement, une foi qui me firent verser des larmes et qui, sans doute, touchèrent le cœur de Dieu... Dieu sait le secret des cœurs, mais je lui demande de donner à ceux qui ont cru pouvoir douter de la sincérité de M. de Talleyrand, je demande pour eux, à l'heure de la mort, les sentiments que j'ai vus dans M. de Talleyrand mourant, et dont le souvenir ne s'effacera jamais de ma mémoire.

Après cette confession, Talleyrand voulut prononcer quelques mots : Dites bien à M. l'archevêque... Mais la voix était si faible, si embarrassée, qu'on ne put comprendre. Vous savez, mon oncle, lui dit alors Valençay, combien Mgr l'archevêque vous est... demeuré toujours attaché. — Au point, ajouta l'abbé Dupanloup, que, ce matin encore, il me disait qu'il donnerait volontiers sa vie pour vous. Talleyrand essaya de sourire, et on entendit très distinctement : Il a un bien meilleur usage à en faire ! Ce furent ses dernières paroles. L'abbé Dupanloup lui administra l'extrême-onction et récita les litanies des saints ; aux invocations : Saint Maurice, saint Charles, priez pour nous ! le moribond fit un signe d'assentiment. A en croire les assistants, il garda jusqu'au bout sa connaissance. Il s'éteignit à trois heures et demie.

Nous n'avons pas à nous prononcer ici sur la valeur des sentiments suprêmes de Talleyrand. Une question cependant nous sera permise : pourquoi aurait-il menti en mourant ? à cette heure où il allait quitter les visages mobiles et fuyants des hommes pour ne rencontrer que le visage éternel de Dieu, — celui qu'on ne trompe pas ?

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Ces divers documents, originaux ou copies, font partie du dossier qu'avait formé sur Talleyrand Mgr Dupanloup. Le récit de l'abbé Dupanloup, sans avoir été publié, a été, comme je l'ai dit, employé déjà par son historien, Mgr Lagrange. (Vie de Mgr Dupanloup, t. I, chap. XIV et XV.) Une lettre très importante de la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup, datée du 10 mai 1839, a été insérée par Mme la princesse Radziwill dans la Chronique de la duchesse de Dino, II, 226-245. La relation de Sainte-Aulaire a paru dans le Gaulois du 17 avril 1898.

[2] Voyez mon livre, Talleyrand, évêque d'Autun, 33 et suivantes.

[3] Cardinal DE BAUSSET, Notice historique sur Mgr le cardinal de Périgord.

[4] Récits de Mgr de Quélen à l'abbé Dupanloup et lettre de la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup, sans date. (Documents de Mgr Dupanloup.)

[5] HENRION, Vie de Mgr de Quélen (2e éd.), 76.

[6] Extrait des mémoires de M. le duc de Rovigo concernant la catastrophe de M. le duc d'Enghien. (Paris, imprimerie Dentu.) La brochure du duc de Rovigo parut le 28 octobre 1823 ; en moins d'un mois, elle eut quatre aditions en France et une autre en Angleterre.

[7] Mgr de Quélen avait gardé le brouillon de cette lettre : il disparut en 1830, dans le pillage de l'archevêché, mais, quelque temps après, il fut retrouvé par hasard au milieu de débris et rapporté à l'archevêque. C'est ce brouillon dont l'abbé Dupanloup eut une copie. (Documents de Mgr Dupanloup.)

[8] Mot de la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup.

[9] Lettre de la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup, du 10 mai 1839. Je cite d'après le texte de la lettre que reçut l'abbé Dupanloup et non d'après celui, un peu différent, qu'a publié Mme la princesse Radziwill.

[10] Documents de Mgr Dupanloup.

[11] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[12] Dans sa Chronique, Mme de Dino prouve, en effet, qu'elle avait vis-à-vis de Mgr de Quélen la critique facile : elle ne lui rendit pleine justice qu'après sa mort, quand il eut été remplacé sur le siège de Paris par Mgr Affre.

[13] Documents de Mgr Dupanloup. Cf. HENRION, Vie de Mgr de Quélen, 396.

[14] Il est assez piquant de noter que cette phrase, qui avait frappé M. de Quélen, n'était justement pas de Talleyrand, mais de Royer-Collard, à qui la duchesse de Dino avait communiqué le brouillon de la lettre de démission. Chronique de la duchesse de Dino, I, 376.

[15] Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[16] Chronique de la duchesse de Dino, I, 327-328.

[17] Chronique de la duchesse de Dino, I, 392.

[18] La rue de Lille s'était appelée rue de Bourbon sous la Restauration.

[19] Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[20] Documents de Mgr Dupanloup (copies).

[21] Souvenirs du baron de Barante, V, 220.

[22] Souvenirs du baron de Barante, V, 223.

[23] Documents de Mgr Dupanloup. Original de la formule remise à lui-même en 1838.

[24] Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[25] Lettre à la duchesse de Dino du 7 octobre 1836. Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[26] Mémoires de Mme de Rémusat, III, 333 et suivantes.

[27] Note de Mgr Dupanloup.

[28] Lettre de la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup, du 10 mai 1839. Documents de Mgr Dupanloup.

[29] Note de l'abbé Dupanloup

[30] Mémoires de Talleyrand, I, 19.

[31] Chronique de la duchesse de Dino, I, 63.

[32] Note de l'abbé Dupanloup.

[33] Lettre de l'abbé Taury, sulpicien, à l'abbé Dupanloup, du 10 février 1841.

[34] Éloge de M. Bourlier, évêque d'Évreux, prononcé à la Chambre des pairs le 13 novembre 1821.

[35] Mémoires de Mme de Rémusat, III, 329.

[36] Lettre du 10 mai 1839. J'ai suivi le texte de la lettre reçue par l'abbé Dupanloup.

[37] Lettres écrites à l'abbé Dupanloup, en 1839 et 1840, par le curé de Valençay et d'autres prêtres du Berry. Documents de Mgr Dupanloup.

[38] Documents Mgr Dupanloup.

[39] Lettre de la supérieure des sœurs de Saint-André à l'abbé Dupanloup, s. d.

[40] Documents Mgr Dupanloup.

[41] Lettre du 4 novembre 1834. Correspondant du 10 mars 1893, 840-841.

[42] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839, et récit fait par elle à l'abbé Dupanloup.

[43] Récit fait par la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup et recueilli par lui.

[44] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[45] Note de l'abbé Dupanloup.

[46] Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[47] Récit de Mme de Dino à l'abbé Dupanloup.

[48] Tous les détails que je donnerai désormais, sans en indiquer l'origine, sont tirés du récit fait par l'abbé Dupanloup de ses relations avec Talleyrand (voyez Appendice), ou de notes prises par lui à leur sujet et qu'il n'a pas insérées dans ce récit. Les citations qu'en a faites l'abbé LAGRANGE, dans sa Vie de Mgr Dupanloup, toujours scrupuleusement exactes quant au fond, ne sont pas toutes textuelles, et il peut se trouver de petites différences dans une même citation faite par lui et par moi.

[49] Note de l'abbé Dupanloup, qui n'a pas cité le mot tout à fait de la même façon dans son récit.

[50] Chronique de la duchesse de Dino, II, 211.

[51] Note détachée de l'abbé Dupanloup. Comparez son récit, Appendice.

[52] Lettre écrite à la duchesse de Dino, s. d. Documents de Mgr Dupanloup.

[53] Documents Mgr Dupanloup. Le prince de Talleyrand serait heureux si M. l'abbé Dupanloup lui faisait l'honneur de venir diner vendredi ou dimanche, comme il préférera. Il trouvera vendredi des plats maigres.

[54] Note au crayon datée du 27 février. Documents de Mgr Dupanloup. Voyez aussi le récit de Mgr Dupanloup où se retrouve presque la même formule.

[55] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[56] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[57] Sainte-Beuve dit : Dans la pièce qui précédait celle des séances. (M. de Talleyrand, 187.) J'ai suivi la version d'une note de l'abbé Dupanloup.

[58] SAINTE-BEUVE, M. de Talleyrand, 194.

[59] Note de l'abbé Dupanloup qu'il n'a pas reproduite dans son récit, où, au contraire, il dit n'avoir appris ce mot de Talleyrand qu'après le dénouement. Voyez Appendice.

[60] Dans une note qui s'applique à cette conversation, l'abbé Dupanloup écrivait : M. le prince de Talleyrand a été, ce jour-là charmant et bon ; il a dit d'excellentes choses ; mais il ne m'a guère laissé parler. Je n'ai pas pu toucher encore au grand sujet.

[61] C'est ce petit écrit qu'elle montra le 16 mars à l'abbé Dupanloup et non, comme le dit l'éditeur de sa Chronique, une lettre du prince de Talleyrand pour Rome (II, 229). Talleyrand, ainsi qu'on le verra, ne prépara une déclaration qu'au commencement de mai.

[62] Lettre de Mgr de Quélen à la duchesse de Dino, 17 mars 1838. Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[63] Documents de Mgr Dupanloup.

[64] Lettre de Pauline de Périgord à l'abbé Dupanloup, 22 mars. Documents de Mgr Dupanloup (autographe).

[65] La duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup, 27 mars. Documents de Mgr Dupanloup (autographe). Cf. Chronique, II, 223.

[66] Mgr de Quélen à l'abbé Dupanloup. 27 mars. Documents de Mgr Dupanloup (autographe).

[67] Cette conversation est tirée du récit de Mgr Dupanloup. Elle est plus complète que celle qui se trouve dans la lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839, tout en lui étant tout à fait conforme.

[68] Note de l'abbé Dupanloup.

[69] Le testament politique de Talleyrand, daté du 1er octobre 1836, a été en partie seulement publié par le duc DE BROGLIE, dans la préface des Mémoires de Talleyrand, I, I-V.

[70] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[71] On sait que Mgr de Quélen avait fondé une œuvre, au moment de l'effroyable épidémie de 1832, pour recueillir les enfants des victimes du choléra ; les Dames du Sacré-Cœur s'étaient chargées d'un certain nombre d'orphelins.

[72] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[73] Je mets entre guillemets les phrases que l'abbé Dupanloup indique comme étant textuelles dans la note où il a analysé et apprécié cette pièce. Il les a d'ailleurs presque toutes reproduites dans son récit.

[74] Lettre de la duchesse de Dino, du 10 mai 1839.

[75] Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[76] Documents de Mgr Dupanloup (copie non datée).

[77] M. de Sainte-Aulaire, qui fait une première erreur en disant que le projet de déclaration de Talleyrand fut écrit en 1837, se trompe encore lorsqu'il prétend que l'archevêque de Paris l'envoya à Rome où on le jugea insuffisant. (La mort de M. de Talleyrand, dans le Gaulois du 17 avril 1898.) Ce document ne fut remis au pape qu'après la mort de Talleyrand, avec la rétractation définitive. D'autre part, Mme de Boigne, dont je ne relève pas toutes les inventions, dit que le texte de la déclaration fut remanié par l'archevêque, l'abbé Dupanloup et l'internonce Mgr Garibaldi (IV, 724) ; l'abbé Dupanloup ne cite nulle part Mgr Garibaldi.

[78] Documents de Mgr Dupanloup (original).

[79] Documents de Mgr Dupanloup (note détachée).

[80] Documents de Mgr Dupanloup. (Original.)

[81] Et non le vendredi, 11, comme le disent entre autres le Temps, du 18 mai, et Mme de Boigne, IV, 225.

[82] Tous ces détails sont tirés du récit du duc de Noailles. Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[83] Notes de M. de Bacourt. Documents de Mgr Dupanloup. (Copie.)

[84] Récit de Mgr Dupanloup.

[85] Note détachée de l'abbé Dupanloup reproduite dans son récit.

[86] Récit du duc de Noailles. Documents de Mgr Dupanloup.

[87] C'est ainsi que l'abbé Dupanloup rapporte le mot.

[88] Documents de Mgr Dupanloup. (Copie.)

[89] COLMACHE, Revelations of the Life of prince Talleyrand, 345-346.

[90] Lettre de l'abbé Petitot à la baronne de L[ascours], s. d. Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[91] Note de la duchesse de Dino. Documents de Mgr Dupanloup. Il y avait d'ailleurs longtemps que Talleyrand cherchait à éloigner de sa vie M. de Montrond. Voyez Chronique de la duchesse de Dino, I, 5, 51, 114, 249, etc.

[92] Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[93] Notes de M. de Bacourt. Documents de Mgr Dupanloup (copie).

[94] La présence de M. Molé, dont ne parle pas Sainte-Aulaire dans son récit, fut contestée par divers journaux, notamment par le Moniteur, mais le Journal général l'affirma. D'autre part, la Gazette de France du 28 mai 1838, qui raconta les derniers moments de Talleyrand avec des détails très circonstanciés et très précis, et l'abbé Dupanloup lui-même font assister M. Molé, du salon voisin, à la scène de la signature.

[95] Note sans nom d'auteur dans les Documents de Mgr Dupanloup, et COLMACHE, Revelations..., 342-343.

[96] Documents de Mgr Dupanloup (copie).