I. Mme Grand. - Calcutta et Paris. - La carrière d'une jolie femme. — II. Le citoyen Talleyrand et Mme Grand. - Une séance du Directoire. - Mme Grand divorce. - Les salons de l'hôtel Galliffet. - La villa de Neuilly. — III. Bonaparte veut le respect des bonnes mœurs. - Le Concordat et la clause de Mme Grand. - Le mariage des prêtres. - Non possumus. — IV. Talleyrand demande au Saint-Siège la permission de prendre femme. - Le rôle du cardinal Caprara. - Bref du 10 mars 1802. — V. Nouvelles négociations avec Rome. - Intervention du Premier consul. - Refus définitif du Saint-Siège. - Bref de sécularisation. — VI Le Conseil d'État enregistre le bref du 29 juin 1802. - M. Grand à Paris. - Comment on se débarrasse d'un mari. - Contrat de mariage et mariage civil. - Y eut-il un mariage religieux ? — VIII M. et Mme le Talleyrand. - L'esprit de la princesse de Bénévent. - Les princes d'Espagne à Valençay. - Le Restauration. - Séparation de M. et de Mme de Talleyrand. - Triste vieillesse de la princesse de Bénévent. — VIII. La mort de Mme de Talleyrand. Dans les premiers mois de 1802, un bruit courut Paris, qui fit sourire les uns, choqua les autres et surprit tout le monde. M. de Talleyrand, ancien évêque d'Autun, ministre des Relations extérieures. — le personnage le plus en vue de la République, après Bonaparte, — allait se marier. On chuchotait le nom de la dame ; c'était une étrangère, débarquée naguère à Paris, et dont la rayonnante beauté de blonde avait fait sensation dans le inonde peu trié du Directoire. Qui était-elle ? D'où venait-elle ? Personne ne le savait au juste. On l'appelait la belle Indienne, et les nouvellistes de salons colportaient sur son compte une foule d'histoires. M. de Talleyrand allait se marier ! Tout étrange qu'elle parue, la chose était vraie. Le Premier consul, qui prétendait mettre de l'ordre dans les affaires privées comme dans les affaires publiques, venait d'enjoindre à son ministre de se séparer d'une amie très chère, Mme Grand, qui présidait les fêtes magnifiques de l'hôtel Galliffet, ou de lui donner son nom. M. de Talleyrand avait choisi la seconde alternative ; et, tout de suite, il était entré en pourparlers avec Rome, afin d'être rendu à la vie séculière et relevé du célibat ecclésiastique. La négociation fut laborieuse ; elle provoqua, plus d'une fois, la mauvaise humeur du ministre, et le Concordat, qui était alors la grande préoccupation de la Cour pontificale, faillit en subir le contre-coup. C'est cette négociation que nous voudrions raconter d'après des documents, les uns inédits, les autres ignorés jusqu'ici en France. Mais, avant d'entamer ce récit, disons quelle était l'héroïne du roman, la future princesse de Bénévent. I Mme Grand s'appelait, de son nom de jeune fille, Catherine-Noël Worlée[1]. Elle était née le 21 novembre 1762, aux Indes, à Tranquebar, petite possession du Danemark. Mais elle n'était pas Danoise, ainsi qu'on l'a souvent prétendu, et pas davantage Anglaise ; elle était Française. Son père, chevalier de Saint-Louis, était attaché, comme fonctionnaire du roi de Fran ce ; au port de Pondichéry. — Catherine-Noël Worlée, dont les parents étaient catholiques, fut baptisée, quatre jours après sa naissance, dans l'église paroissiale de Tranquebar : une copie de son acte de baptême, traduit en français sur l'original en langue portugaise, se trouve dans un dossier des Archives nationales[2]. En 1777, la famille Worlée n'habitait plus Pondichéry, mais Chandernagor : M. Worlée était capitaine du port pour le roy en cette colonie. Catherine avait quinze ans ; on la disait la plus jolie fille de l'endroit. Ce fut alors qu'un jeune Anglais, Georges-François Grand[3], employé de l'Idian Civil Service, la rencontra, s'éprit d'elle et obtint sa main. Catherine était d'ailleurs un parti modeste ; elle n'apportait en dot que ses habits, son linge, des joyaux et des bijoux, plus 12.000 roupies sicca. Les deux fiancés passèrent contrat par-devant notaire, le 9 juillet[4]. Ils furent unis le 10, à une heure du matin, par un prêtre catholique, dans l'église Saint-Louis ; à huit heures, par un ministre protestant. Malgré cette double bénédiction, leur mariage ne devait pas être heureux. Mme Grand fut vite remarquée à Calcutta, où son mari avait ses bureaux. Grande et svelte, avec un teint d'une fraicheur éblouissante, des cheveux aux admirables boucles blondes, des veux bleus sous les sourcils noirs, elle avait un charme étrange. Elle émerveillait par l'éclat de sa beauté : et, par sa grâce un peu nonchalante, elle séduisait[5]. Le malheur fut que Georges-François Grand se trouvait juste l'opposé de sa femme : autant elle était légère et brillante, autant il était lourd et terne. Sujet anglais. — natif de Waudsworth, dans le comté de Surrey, — il descendait, lui aussi, par son père comme par sa mère, Françoise Leclerc de Virlv ; de deux familles françaises Les Grand et les Virlv étaient des calvinistes : proscrits par la révocation de l'édit de Nantes, les premiers s'étaient réfugiés en Suisse, près de Lausanne, les autres en Angleterre, près de Londres. A vingt ans, après avoir tâté sans succès de la carrière commerciale, Georges s'était engagé dans l'armée britannique, était parti pour les Indes. et, maintenant, il occupait un poste dans l'administration civile, grâce à l'appui du gouverneur général des possessions anglaises, Warren Hastings. Si on le juge d'après un Récit[6] où il a copieusement et solennellement étalé son infortune conjugale, il ne devait avoir ni distinction ni esprit, mais il avait du cœur et son malheur lui causa une cruelle blessure. M. et Mme Grand étaient mariés depuis un an à peine que déjà la paix du ménage était en péril. Parmi les conseillers du gouvernement du Bengale, il y avait, à cette époque, un Anglais fort bel homme, célèbre par ses aventures et ses boutades, sir Philip Francis, — l'auteur présumé de ces mystérieuses Lettres de Junius, qui, étincelantes d'un esprit à la Voltaire, ont passionné longtemps et intriguent toujours l'opinion d'outre-Manche. Philip Francis, admiré par les femmes et craint par les hommes, jeta sou dévolu sur la jeune Mme Grand. Il l'entoura de soins, la grisa d'hommages, offrit un bal dont elle fut la reine, et, en fin de compte, le 24 novembre 1778, put écrire dans son journal quotidien ces mots de triomphe : Omnia vincit amor. Le 8 décembre, il ajoutait cyniquement : Cette nuit, le diable à quatre est dans la maison de G.-F. Grand, esq.[7]. Si, le 8 décembre, Philip Francis pénétra aisément, grâce à une échelle de bambou, chez G.-F. Grand, esq., il éprouva ensuite quelque difficulté à sortir. Ce soir-là, Mme Grand était seule au logis ; son mari dînait dehors, chez des amis ; elle avait éloigné sa fille de service. Lorsque Francis, sautant par la fenêtre, fit irruption dans sa chambre, personne ne s'en aperçut, et le tête-à-tête ne fut point troublé. Mais, à l'heure de la retraite, tous les domestiques, intrigués par la découverte de l'échelle, étaient sur pied. Ils distinguèrent un homme qui se faufilait dans les ténèbres, l'empoignèrent, l'assirent de force sur une chaise, reconnurent Francis, et l'un d'eux, pendant que le prisonnier méditait sous bonne garde, courut avertir le maitre de la maison. M. Grand se fit attendre. Sorti, raconte-t-il dans sa Narrative, avec la conviction qu'il possédait la plus belle et la plus vertueuse des épouses, il perdit la tête en apprenant la radieuse nouvelle ; il commença par répandre un torrent de larmes, alla conter sa peine à un ami, puis à un autre à qui il emprunta une épée pour transpercer Francis ; enfin, accompagné du major Palmer, secrétaire du gouverneur général, il se décida à rentrer chez lui. Là, plus de Francis ! Assis sur la chaise, à sa place, un certain M. Shee, très en colère, parlementait avec les domestiques. Qu'était-il arrivé ? Le jemalar — chef des domestiques — raconta que Francis avait lancé un coup de sifflet, qu'une troupe d'hommes avait envahi la maison, qu'on s'était battu, qu'au milieu de la bagarre Francis s'était éclipsé, mais qu'on avait arrêté M. Shee. Le pauvre M. Grand, tout décontenancé, délivra le prisonnier. Le lendemain matin, il provoqua Francis à un duel à mort. C'était trop de générosité : le triste personnage, qui n'avait pas plus d'honneur que de scrupules, répondit par un billet impertinent qu'il ne savait pas ce qu'on lui voulait. L'affaire se dénoua en justice[8]. Le 6 mars 1779, la Suprême Cour de Calcutta, présidée par sir Elijah Impey, condamna Francis à verser 50.000 roupies de dommages à G.-F. Grand, qui se déclara pleinement satisfait, content et payé. Quant à Mme Grand, elle était séparée de son mari depuis la fameuse soirée. Après une scène de lamentations déchirantes[9], où, dans l'émoi du premier moment, elle avait tout avoué, elle était retournée chez ses parents, à Chandernagor. La vie y était monotone et fade ; elle s'y ennuya bien vite, elle regretta ses fêtes et ses succès de Calcutta, et, lorsque, le procès jugé, sir Francis reparut eu consolateur ; elle le suivit sans se faire prier. Ils vécurent ensemble près d'une année. Cette intimité sous le même toit, dont son indiscret journal porte la trace presque quotidienne, n'a pas empêché Francis d'assurer toujours qu'il n'avait été pour sa jolie compagne, mariée à un vilain, vieux, sordide Français, qu'un ami platonique ; et le plus merveilleux ; c'est que sa femme, lady Francis, l'a cru et s'est portée garante de la pureté de ses actes[10] ! — Au mois de novembre 1780, désireuse peut-être de faire peau neuve dans un pays où elle frit moins connue, Mme Grand quittait les Indes sans 'esprit de retour ; elle faisait voile vers l'Europe sur un navire hollandais. Où débarqua la voyageuse ? En Angleterre, commue le prétend lady Francis, ou bien eu France ? Il est difficile de le démêler. En tout cas ; elle était à Paris au mois d'avril 1782 : elle y faisait, chez le joaillier de Monsieur, au Palais-Royal, des commandes montant à 1816 livres[11]. Peu après, elle habita, rue du Sentier, une maison appartenant à M. de Presle ; puis, le 1er mai 1790, elle loua, moyennant un lover annuel de 1. 200 livres, un hôtel de la rue d'Artois. Elle avait de l'argent. Des hommes de la finance s'intéressaient à elle : Valdec de Lessart, bientôt ministre de la Législative, qui avait logé rue du Sentier porte à porte avec elle, et qui l'aima, dit-on, éperdument[12] ; ensuite, un fondé de pouvoirs d'agent de change, porteur d'un nom galant, Rilliet-Plantamour, et, enfin un banquier, Louis Monneron, député des Indes à la Constituante[13]. — Quelle vie menait-elle ? Une ombre, faite d'une quantité d'histoires peu édifiantes, l'enveloppe depuis son arrivée en France jusqu'à sa liaison avec M. de Talleyrand Nous n'essaierons pas de la percer. Qu'importe qu'elle ait eu des aventures à Versailles ou à Spa ? Que le jeune Frénilly ait attelé à sa berline une paire de chevaux blancs[14], ou qu'elle ait dîné tête à tête avec Edouard Dillon, — le beau Dillon, — habillée seulement par ses admirables cheveux blonds[15] ? Ses comptes, récemment retrouvés, la montrent menant grand train, achetant bijoux, rubans et plumes ; abonnée aux Italiens, aux Français et à l'Opéra ; recevant des journaux et souscrivant à des livres. Le 22 février 1787, dans la maison de la rue du Sentier qu'elle avait fait remettre à neuf, elle donna un bal : elle y parut avec un fourreau de taffetas blanc bordé d'une frange de soie rose, une jupe de crêpe blanc rayé de ruban de satin blanc pailleté en argent, bordé de même ruban, les parements bordés idem et fleurs de laurier ; les manchettes à deux rangs de blonde bâtarde, les moignons de crêpe blanc pailleté rattachés par un bracelet de pied d'alouette rose, une guirlande de mi tries fleurs pour la taille, une ruche de tulle au bord du corset. Coût : 264 livres. Lessart, qui avait lui-même orné son habit un nœud d'épée de ruban violet à mouche souci, paya les violons et la robe[16]. Avant de faire danser, elle avait, en 1783, fait faire son portrait. Un magnifique portrait, œuvre du peintre à la mode de la Cour de France, Mme Vigée-Lebrun[17]. Assise au fond d'un grand fauteuil, le bras droit appuyé sur un coussin de velours vert, Mme Grand tient à la main une lettre dépliée. Sa taille souple et gracieuse s'abandonne dans une attitude de repos. Elle songe ; ses grands veux candides semblent suivre à travers l'espace un rive heureux. Les traits du visage, éclairés de côté, sont d'une finesse exquise ; le menton est délicat ; les lèvres s'entr'ouvrent pour un sourire ; les cheveux, relevés et frisés, entourent le front d'une auréole légère, et retombent en boucles somptueuses sur la gorge nue. Enfin, pour compléter le sujet. une toilette d'une élégance très sobre, où le bleu pâle, le gris et le blanc se fondent harmonieusement, et qui n'a pour ornements, qu'un fichu de mousseline encadrant le décolletage, un large nœud de soie bleue dans les cheveux, un autre sur la poitrine[18]. — Qui dirait, devant le portrait de cette jeune femme, au regard doux et sentimental, qu'un orage avait déjà bouleversé sa vie ? Mme Grand habitait encore Paris au début de la Révolution. Elle y est une femme élégante. Elle suit la mode : elle s'habille maintenant de batiste, de linon et de crêpe de laine, et arbore, dans ses cheveux ou au corsage, des cocardes tricolores ; elle délaisse l'Opéra pour les Français et le théâtre de Monsieur ; elle lit le Journal de Paris. que rédige Rœderer, et, comme il n'est plus bien porté de ne pas mettre l'orthographe, elle prend un maître d'écriture[19]. Mais, malgré les concessions à l'esprit du jour, Paris devient dangereux aux gens de son espèce. Elle va émigrer. Le soir du 10 Août, dans l'épouvante d'avoir vu le portier de sa maison de la rue Mirabeau, — un Suisse, massacré sous ses fenêtres par la populace qui revenait des Tuileries, elle se serait enfuie pour l'Angleterre précipitamment. Elle serait arrivée à Douvres, n'y connaissant hue qui vive, dénuée de tout, n'avant guère qu'une douzaine de louis dans sa poche. Que devenir, toute seule, dans ce pays anglais ? Mme Grand était née sous une heureuse étoile. Un jeune aspirant de marine, Nathaniel Belchier, qui se trouvait là, fut frappé de l'allure mélancolique et préoccupée de cette étrangère si jolie ; il l'interrogea, se mit à ses ordres et, sans hésiter, avec un camarade, alla quérir à Paris, au prix de mille efforts et de mille dangers, sa vaisselle d'or, ses bijoux, ses valeurs et sa bourse. Plus tard, Nathaniel Belchier se plaisait à rappeler cet exploit, et les conteurs d'anecdotes s'en sont emparés[20]. De cette histoire, le fond tout au moins parait exact. Mme Grand, autant qu'on peut se prononcer en l'absence de preuves formelles, quitta bien Paris au mois d'août. Préciser le jour serait difficile. Le 30 avril, songeant peut-être au départ prochain, elle avait sous-loué un appartement dans la maison qu'elle habitait[21]. Le 18 mai, le comité de la section Mirabeau avait fait perquisitionner à son domicile et dresser des inventaires. Il semble qu'elle eût déjà déménagé ; et son départ avait dû être brusque. On trouva, on effet, dans une malle oubliée, beaucoup d'objets précieux : plats et plateaux, cuillères, fourchettes, flambeaux, corbeilles, boites à thé, cafetières, théières, pinces à sucre, poivrières, etc., en argent ou en vermeil. Une armoire était remplie de fourrures, parmi lesquelles un manchon de renard argenté, une 'palatine de renard bleu, sept bandes de queues de martres, onze morceaux de queues de visons[22]. Et, dans sa bibliothèque, dont elle réclama plus tard les livres au Directoire, voisinaient pêle-mêle un Buffon, le Voyage d'Anacharsis, l'Histoire de Prusse, par M. de Mirabeau, les Contes de Boccace et ceux de Voltaire, les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, un Boileau en deux volumes reliés en maroquin rouge, de Didot, le Chevalier de Faublas, les Fables de La Fontaine, la Henriade et la Pucelle d'Orléans, un recueil d'ariettes, les Entretiens du Palais Royal, la Femme vertueuse, etc.[23]. — Cependant, le 31 juillet, elle pava encore son terme et, le 2 août, commanda la faon d'une chemise grecque en taffetas changeant gris glacé de vert[24]. Après quoi, sa trace est perdue. Si l'on en croit la chronique légère. Mme Grand eut à Londres beaucoup d'aventures. Passons. Dans la société britannique un peu hautaine, prude et fermée. la beauté, quand elle était seule, ne suffisait pas à forcer l'entrée. Mme Grand tâchait bien de se donner des airs respectables ; elle se présentait comme une dame royaliste et émigrée, mais elle avait beau faire, un mystère planait sur elle, et les salons n'ouvraient point leurs portes. Que n'était-elle à Paris ! Dans ce Paris révolutionnaire où, toutes les barrières sociales ayant croulé, des femmes à son image, une Tallien ou une Beauharnais, étaient en voie de devenir les reines de la mode, adulées et choyées ! Dès que les échafauds curent quitté les places publiques et qu'elle ne craignit plus pour sa tête, Mme Grand sollicita du ministre danois un passeport sous un faux nom : elle l'obtint et reprit le chemin de la France. II C'est au mois de prairial an V de la République qu'on retrouve à Paris Mme Craint. En compagnie d'un diplomate de la république de Gènes, Cristoforo Spinola, elle a traversé la Manche. Spinola, marié à une fille du maréchal de Lévis, cherchait à rentrer en possession des biens de son beau-père qu'avait guillotiné la Terreur. Ne faisait-il que des démarches d'intérêt privé ? La police, qui, en ces temps troubles, cherchait partout des conspirateurs. le soupçonna d'être un agent de Malmesbury. Son amie serait sa complice. Ils furent aperçus, le lit messidor. au Luxembourg, on le général Sérurier apportait les derniers trophées de l'armée d'Italie, et, trois jours plus tard, le Directoire prononçait contre eux un arrêt d'expulsion. Spinola regagna mélancoliquement le bateau d'Angleterre ; moins compromise ou mieux protégée, Mme Grand resta à Paris[25]. A quelques semaines de là, au commencement de 1798, son nom reparaît. Il est lié désormais à celui de Talleyrand. Les points de contact ne leur manquaient pas. Tous deux étaient des revenants dans la capitale. Elle arrivait d'Angleterre ; lui, d'Amérique. Elle était toute pleine d'ambitions et de désirs ; lui, grâce à l'appui de Mme de Staël, était déjà devenu, en qualité de ministre des Relations extérieures, un des hommes considérables du Directoire. Oh et comment avaient-ils fait connaissance ? On a dit que c'était à Versailles, avant la Révolution, et qu'ils s'étaient ensuite rejoints à Londres[26]. On a dit que c'était, à New-York ou encore à Philadelphie[27]. On a dit que c'était à Hambourg, pendant la halte de quelques semaines qu'y fit Talleyrand à son retour d'Amérique[28]. On a dit enfin que c'était à Paris. Et, comme il fallait bien enjoliver le récit de la première rencontre, les chroniqueurs ont imaginé toute une mise en scène dramatique et piquante. Suivant un secrétaire de Talleyrand, qui se vantait d'avoir reçu les confidences de son maître, voici de quelle façon les choses se seraient passées. Une nuit, après une partie de cartes coupée d'émotions, Talleyrand venait de regagner l'hôtel Galliffet, rue du Bac, où était alors installé le ministère des Relations extérieures. Il entrait dans sa chambre, lorsque son domestique le prévint, qu'une daine l'attendait au salon pour une affaire urgente : une lettre (l'introduction du citoyen Montrond, ami du ministre, avait empêché qu'à cette heure tardive on lui fermât la porte. Talleyrand, fatigué par son jeu et de fort méchante humeur, avait plus envie de se coucher que de donner une audience. Cependant il pénétra dans le salon. La dame sommeillait devant le feu, au fond d'un grand fauteuil. On ne distinguait pas ses traits. Elle était enveloppée d'un de ces manteaux à capuchon, très amples et très courts, comme en portaient à cette époque les élégantes, et l'on voyait seulement la gaze d'or d'une robe de bal qui débordait par le bas. Au bruit, la dormeuse s'éveilla, et, rejetant son capuchon d'un geste gracieux, elle se leva, confuse et rougissante. Ce fut un éblouissement. Devant cette beauté radieuse, le ministre, du premier coup, fut conquis. Peu importe ce que raconta ensuite Mme Grand ! Le pince-sans-rire qu'était Montrond mystifiée ; il lui avait fait croire que Bonaparte allait envahir l'Angleterre. Ses soldats, avait-il ajouté, pilleront les banques. Votre fortune, qui y est placée, est en danger. Un seul homme peut vous tirer d'affaire : Talleyrand ! Allez le trouver de ma part : voici un mot pour lui. Et, sans perdre une minute, crédule et puérile, Mme Grand avait sauté dans un fiacre, elle était accourue à l'hôtel Galliffet, où, maintenant, Talleyrand, fort amusé, la rassurait par de douces paroles[29]. Leurs relations étaient nouées. — En narrant celte histoire, Colmache, qui fut secrétaire privé de Talleyrand à l'époque de son ambassade à Londres, prend bien soin de nous dire qu'il en a recueilli tons les détails sur les lèvres du prince lui-même[30]. Et pourtant, nous gardons un doute : M. Colmache a trop souvent prouvé que son imagination nuisait à sa critique[31]. D'après un écrivain de la Restauration peut-être injustement oublié, Henri de Latouche, l'auteur de Fragoletta, l'éditeur d'André Chénier, ce ne serait pas mystifiée par Montrond, mais traquée par la police, que Mme Grand aurait eu recours à Talleyrand. Depuis son retour d'Angleterre, elle logeait dans un très modeste hôtel garni de la rue Saint-Nicaise. Elle vivait dans une demi-retraite elle ne fréquentait guère que deux ou trois amis d'avant 1792, qui, comme elle-même, ne tenaient pas à trop éveiller l'attention. Malgré cette prudence, elle fut dénoncée : on l'accusa d'être royaliste, d'entretenir des rapports avec les émigrés, et, bientôt, il lui devint impossible de sortir dans la rue sans être filée par un agent. Sur ses entrefaites, une de ses amies, la marquise de Sainte-Croix, — sœur de l'avocat général Talon et tante de Mme du Cayla qui sera la favorite de Louis XVIII, — l'adressa au ministre des Relations extérieures. Talleyrand reçut Mme Grand, fut ravi de sa beauté, mit fin aux tracasseries policières, puis l'invita à déjeuner, puis la retint à dîner, puis l'installa à l'hôtel Galliffet[32]. Il y a dans le récit de Latouche, à côté d'évidentes inexactitudes, une part de vérité. Dans les premiers jours de germinal an VI, la police surprit, en effet, une correspondance de Mme Grand avec un émigré de Londres, le vicomte de Lambertye, et peut-être aussi avec des Anglais[33]. On arrêta la suspecte, et Talleyrand, pour qui, sans aucun doute, elle n'était déjà plus une inconnue, intervint en sa faveur. Le 3 germinal an VI (23 mars 1798), il adressait à Barras ce billet pressant et significatif : Citoyen directeur, On vient d'arrêter Mute Grand comme conspiratrice. C'est la personne d'Europe la plus éloignée et la plus incapable de se mêler d'aucune affaire ; c'est une Indienne bien belle, bien paresseuse, la plus désoccupée de toutes les femmes que j'aie jamais rencontrées. Je vous demande intérêt pour elle ; je suis sûr qu'on ne lui trouvera point l'ombre de prétexte pour ne pas terminer cette petite affaire à laquelle je serais fâché que l'on mit de l'éclat. Je l'aime, et je vous atteste à vous, d'homme à homme, que, de sa vie, elle ne s'est mêlée et n'est en état de se mêler d'aucune affaire. C'est une véritable Indienne, et vous savez a quel degré cette espèce de femmes est loin de toute intrigue. Salut et attachement. Ch.-Maur. TALLEYRAND[34]. L'affaire fut sur le point de tourner au tragique pour Mme Grand et. par contre-coup, pour Talleyrand. Depuis quelque temps, les membres du Directoire, qui avaient toujours supporté avec mauvaise humeur la supériorité un peu hautaine de leur ministre des Relations extérieures, s'inquiétaient de son intimité avec le général Bonaparte. — le héros fêté des victoires d'Italie. Ce scandale prêt à éclater. c'était l'occasion d'arracher à Talleyrand son ministère, de ruiner son influence. Aussi, lorsque Barras, profitant d'une séance du Directoire, demanda à ses collègues, comme une chose toute simple, la mise en liberté de Mme Grand. il se heurta rudement à leur opposition. Reubell, Merlin — de Douai — et leurs acolytes, s'érigeant soudain en vengeurs de la morale violée, furent saisis d'un accès farouche de vertu. Le premier, l'Alsacien Reubell, brutal comme un sanglier
de son pays, fonça sur Talleyrand, ce misérable
défroqué, ou toujours enfroqué, qui ne pouvait pas se contenter d'être le
plus vil des libertins. Il ne pouvait pas se satisfaire en France, où
cependant l'on ne manque pas de c... ; il fallait qu'il en allât chercher en
Angleterre, et de celles encore que les Anglais font venir de l'Inde...
Il n'y aurait pas de plaisir pour Talleyrand s'il
n'y avait du scandale par-dessus les toits... Les mœurs qu'il
pratique, en a-t-il reçu l'exemple aux États-Unis, de Washington, de
Jefferson et de tous ces vrais patriotes qui ont
tenu le timon des affaires dans leur pays comme notre devoir est de le tenir
dans le nôtre ? Reubell continua longtemps ; à la fin : Je demande, dit-il, que la
nomination de ce prêtre impudent soit révoquée, sans quoi le Directoire
s'expose à assumer sur lui toute la déconsidération dont jouissait déjà
Talleyrand, et qu'il croit devoir perfectionner encore depuis qu'il est
ministre de la République. Après Reubell, Merlin, si expert à couvrir
les crimes d'une apparence de légalité, prit une mine scandalisée. Il compara
la rigidité morale de Robespierre et de Saint-Just avec le relâchement cynique de Talleyrand. Puis,
baissant les yeux, il poursuivit, de son ton douceâtre : Nous sommes tous d'accord qu'il ne manque point en France
de belles femmes, bonnes et complaisantes ; pourquoi, si Talleyrand en a le
désir ou le besoin, va-t-il les chercher aux Indes anglaises, c'est-à-dire eu
Angleterre ? Il y a là, je l'avoue, quelque chose qui me parait quitter le
domaine privé et arriver tout à fait à la politique. Qui peut nous garantir
que la prétendue liaison galante de Talleyrand avec cette femme aimée ne soit
pas, une liaison politique... que Talleyrand,
comme tant de patriotes l'en accusent depuis longtemps, ne soit
pas-réellement un homme vendu à l'Angleterre, dont Mme Grand ne serait que le
paquebot intermédiaire ? Pour conclure, ajouta Merlin froidement, je demande qu'au lieu de mettre la femme ou la fille Grand
en liberté, le ministre de la Police soit chargé, au contraire, de faire
lui-même un interrogatoire très serré ; il faut aller au fond de cette
affaire... nous ne pouvons méconnaître dans
Talleyrand ce qui y est : c'est, sans aucun doute, un intrigant beaucoup plus
qu'un amoureux. Il faut, en même temps, surprendre toutes les correspondances
intérieures ou extérieures ; il faut arrêter Mus les agents anglais qui
peuvent tremper dans cette machination. Pour mieux saisir Talleyrand en
flagrant délit, il faut paraître attacher très peu d'importance à cela, de
manière qu'il soit moins sur ses gardes ; il faut même qu'entre nous, nous convenions
de ne lui laisser rien apercevoir, de lui faire même bonne mine lorsqu'il se
présentera au Directoire avec son portefeuille. Si nous arrivons, comme je
l'espère, à tenir la trame, nous en ferons une justice éclatante, et, après
l'avoir destitué comme de raison, nous le traduirons en jugement devant une
commission militaire. C'est à cette juridiction que doit ressortir
naturellement Mme Grand, puisqu'elle n'est qu'une émigrée rentrée en France,
et Talleyrand viendra conséquemment en cause... Ainsi, vous aurez complètement raison du
contre-révolutionnaire que vous avez trop légèrement laissé pénétrer dans
votre intérieur. Quant au prêtre libertin... ce
n'est point là notre affaire. Lorsque Merlin eut fini de parler,
François — de Neufchâteau — déclara solennellement : Le
Directoire a sans doute tous les droits de surveiller la conduite politique
de ses agents, mais il faut leur laisser leur vie privée : c'est là un
sanctuaire. Avec Laréveillère-Lepeaux, la tempête reprit de plus
belle. Honnête homme, mais sectaire borné et passionné, cet apôtre d'un culte
soi-disant philosophique ne pardonnait pas à Talleyrand les épigrammes dont
il criblait la théophilanthropie. Un jour qu'à l'Institut, Laréveillère, dans
un langage enthousiaste, prônait les beautés des cérémonies nouvelles,
l'ancien évêque d'Autun n'avait-il pas eu l'impertinence de l'interrompre ? Je n'ai qu'une observation à vous faire, avait-il
dit gravement ; Jésus-Christ, pour fonder sa
religion, a été crucifié et est ressuscité. Vous auriez dû tâcher d'en faire
autant[35].
— Laréveillère profita donc de l'inconduite de Talleyrand pour fulminer
contre l'Église catholique et exalter la théophilanthropie. Si Talleyrand,
dit-il, est un libertin, la faute en est avant tout à son éducation cléricale
; il est un produit de la Rome moderne. Je veux bien
que ce ne fût pas un homme très bien incliné par sa nature première ; mais sa
perversité a certainement été augmentée et raffinée par la prêtrise et
l'épiscopat. Pour détruire ces vices capitaux qui ont pénétré dans la
génération, et dont Talleyrand nous offre le prototype accompli, il faut
prendre la chose aux racines ; il faut refaire la société religieuse, comme
la société politique, dans ses fondements ; il faut substituer à la religion catholique, qui ne repose que sur la momerie et
sur la duperie, — un culte moral sensible et
qui, s'emparant du cœur, élèverait l'imagination en même temps qu'il
satisferait l'intelligence... Exaspéré par quelques boutades à
l'emporte-pièce que lui décocha Reubell, Laréveillère, les yeux hors de la tête, déclamait, tonnait,
vaticinait... Pour en finir, Barras, qu'ennuyait tout ce bruit, proposa de
renvoyer l'affaire au ministre de la Police, et il fut ainsi ordonné[36]. Quelques jours plus tard, sous une mystérieuse influence, les portes de la prison s'ouvraient devant Mme Grand. On lui rendit, par une faveur spéciale, tous ses papiers ; et de mauvaises langues prétendirent que, dans le nombre, se trouvait une lettre à Lambertye fort irrespectueuse pour Talleyrand : il y était appelé M. Piécourt[37], — plaisanterie d'un goût douteux sur son infirmité. Mme Grand venait de voir à ses dépens qu'avec la police tracassière du Directoire, il ne faisait pas bon être inscrite sur les listes d'émigrés. Le régime des prisons n'était pas de son goût. A peine libre, elle prit donc ses précautions pour éviter le retour d'aussi fâcheuses mésaventures. Elle était née à Tranquebar, colonie du Danemark ; elle revendiqua la nationalité danoise. Cela même ne lui suffit pas. Les vrais patriotes, les purs du régime, nourrissant une haine égale contre les ci-devant nobles et contre les Anglais, elle tint à faire remarquer, dans la pétition apostillée par Talleyrand qu'elle adressa au Directoire, que, mariée à un fonctionnaire de la Grande-Bretagne, elle la détestait parce qu'il l'avait rendue malheureuse[38]. L'arrestation de Mme Grand, les démarches de Talleyrand, n'avaient point passé inaperçues. Talleyrand essaya, dit-on, de fermer la bouche des journaux amis, mais les autres parlèrent, et tout Paris jasa bientôt sur sa liaison. Dans son numéro du 8 floréal, l'organe des jacobins, le Journal des hommes libres, qui, supprimé par le Directoire comme l'écho d'une faction désorganisatrice, avait reparu sous le nom de Républicain, annonçait déjà son mariage : Le ministre des Relations extérieures, y lisait-on, revenu des fredaines de son galant célibat, vient d'épouser à l'acquit de sa conscience. La femme qu'il prend est âgée de quarante ans et jouit d'une très grande fortune. Ce mariage diplomatique n'est point bête... Une autre fois, la même feuille représentait Talleyrand portant sur la poitrine, à la place de son ancienne croix d'évêque, le portrait d'une belle Indienne, tandis que, de sa poche, s'envolaient des lettres de la dame à M. de Lambertye[39]. L'inconvenance devint telle que la police, qui pouvait bien en être complice, s'émut de nouveau ; elle envoya rapports sur rapports au Directoire pour rendre plus retentissantes encore, en les lui dénonçant, les rumeurs qui couraient sur son ministre[40]. Lorsque le Républicain parlait de mariage, il était trop pressé. A quoi bon se marier dans le Paris du Directoire ? Les mœurs étaient faciles : les, gens malintentionnés pouvaient s'étonner, ils ne s'indigneraient de rien ! Peut-être cependant cette idée de mariage n'était-elle pas éclose seulement au milieu des bavardages d'une salle de rédaction. Peut-être la belle Indienne avait-elle, avant tout autre, entrevu qu'elle échangerait un jour le nom de Grand contre celui de Talleyrand. Quoi qu'il en soit, pour trancher les derniers nœuds qui rattachaient le présent au passé, Paris à Calcutta, elle voulut divorcer. La chose était aisée : sous la loi révolutionnaire, il suffi- sait d'alléguer un vague prétexte. Elle fit valoir que, depuis plus de cinq ans, son mari n'avait pas donné signe de vie ; et, bien qu'il s'agît cette fois d'un contrat conclu aux Indes, le 18 germinal an VI (7 avril 1798), l'union de M. et de Mme Grand fut annulée à la mairie du IIe arrondissement[41]. Dès lors. Talleyrand et son amie ne prirent plus la peine de dissimuler leur intimité ; ils l'affichèrent. Et, assez solide pour résister au qu'en-dira-t-on du public, cette liaison ne sera pas davantage ébranlée par le choc rude des événements. Pendant ces années si remplies où meurt le Directoire et où naît le Consulat, quels que soient les hasards de la fortune changeante, rien ne séparera les futurs époux. Talleyrand tombe du ministère, il redevient un vaincu et un suspect, il vit dans une demi-retraite ; Mme Grand ne l'abandonne pas. Il conspire avec Bonaparte, il noue les fils de l'intrigue, il est l'intermédiaire discret et moelleux qui rapproche les acteurs du coup d'État ; et, à côté de lui, sans être initiée, elle assiste au va-et-vient des conjurés. Dans ses Souvenirs d'un sexagénaire, Arnault évoque une de ces soirées de brumaire an VIII, où Rœderer, Regnauld de Saint-Jean d'Angély et quelques autres, réunis avec lui chez Talleyrand, rue Taitbout, causaient mystérieusement du grand projet, tandis que le maître de la maison, afin de dépister les indiscrets, jouait au whist avec Mme Grand et Mme de Cambis[42]. Puis, Bonaparte triomphe, et Talleyrand à sa suite. Le portefeuille des Relations extérieures lui est rendu. Il reprend sa place, — mieux que sa place, aux affaires et dans l'opinion. Il devient l'artisan de la paix avec l'Europe : il réconcilie la France de la Révolution et la Russie des tsars en ébauchant un accord avec Paul Ier ; il prépare le traité de Lunéville et le traité d'Amiens ; il négocie le Concordat ; il organise l'Italie à la Consulte de Lyon ; il est, selon le mot de Barante, l'oracle[43] de la politique. Les diplomates de l'Europe entière lui font la cour. Les journalistes, un cravan à la, main, notent à la hâte ses jugements et les répètent au public. Les poètes lui dédient leurs vers. Les belles dames bourrent de sucreries Jonquille, sa petite chienne. Les étrangers, venus à Paris, inscrivent sur leurs carnets ses traits d'esprit. Le Premier consul lui-même recourt souvent à ses lumières. Enfin, ministre de la République, il ressuscite l'ancien régime dans des fêtes saris pareilles. A l'hôtel Galliffet, pendant que chantent Garat et Mme Walbonne, que Vestris et Mlle Chameroi dansent des pas russes et des gavottes, que La Harpe lit des morceaux de sa Jérusalem délivrée, pour la première fois, la France d'hier et la France d'aujourd'hui se mêlent : Mathieu Dumas et Portalis, Rœderer, l'amiral Bruix, le général Murat, le prêtre vendéen Bernier coudoient le duc de Liancourt, le chevalier de Coigny, l'ami de Louis XVI, l'aîné des Ségur, Crillon, Noailles, Castellane, Caumont... Ou encore Talleyrand offre à ses invités le régal d'entendre la brune Italienne Giuseppa Grassini, que Bonaparte amoureux a ramenée de Milan ; d'assister à la première d'une pièce de circonstance sur la paix de Lunéville, jouée par les acteurs du Vaudeville ; d'applaudir, dans un quadrille de tontes les nations, les ballerines de l'Opéra costumées en Espagnoles, Hongroises, Cosaques, Égyptiennes, etc.[44]. A Neuilly, dans la villa fraîche et fleurie qu'il vient de louer au fournisseur Delannoy, il reçoit deux Bourbons, le prince héréditaire de Parme et sa femme. infante d'Espagne, créés, au traité de Lunéville, roi et reine d'Étrurie, et, par une attention galante, il transforme en une Florence de féerie son parc illuminé : le palais Pitti dresse sa façade, des paysans font des rondes joyeuses, des feux d'artifice sont tirés, des soupers trois fois renouvelés sont servis dans cinq salles, le poète Esmenard récite des vers, le tout se termine par un bal qui dure jusqu'au matin[45] : c'est un chef-d'œuvre de génie artistique[46]... Et Mme Grand est là, près de Talleyrand, faisant les honneurs. De cette chance imprévue. qui la porte comme dans un rêve.
Mme Grand va user, sans perdre une minute, pour mettre de l'ordre dans ses
affaires. Dès le 2 floréal an VIII de la République une et indivisible, les
consuls rayent son nom sur la liste des émigrés du département de la Seine.
Ils l'autorisent à rentrer en possession de ceux de
ses biens qui n'ont pas été aliénés[47]. Quelques mois
plus tard, après des formalités qui traînent en longueur, ils rectifient son
état civil ; son nom sera désormais écrit, dans les actes officiels, Catherine-Noël Werlée, femme Grand, native de Danemark[48]. Mais surtout, elle devient une des femmes en vedette du Paris consulaire, la rivale, par sa table et son salon, de Mme de Staël et de Mme Récamier. C'est à Neuilly, dans la résidence d'été embellie par ses soins, qu'elle tient ses états, et qu'elle règne. Elle y reçoit des hommes politiques et des littérateurs, des diplomates et des étrangers. Elle y donne de fins soupers, dont la renommée s'étend au loin : Le service s'y faisait à la grecque. Des nymphes à noms mythologiques servaient le café dans des aiguières d'or ; les parfums brûlaient dans des cassolettes d'argent[49]. Telle était la situation de Mme Grand à l'heure où un prodigieux coup de dé allait en faire Mme de Talleyrand. III Le 13 floréal an X (3 mai 1802), Mme de Staël écrivait à son amie. Mme Récamier : Rien de nouveau à Paris dans les événements de société. Duroc se marie avec Mlle d'Hervas ; Mme Grand, dit-on, avec M. de Talleyrand. Bonaparte veut que tout le monde se marie, évêques, cardinaux, etc.[50]. Ce fut, en effet, le Premier consul qui imposa le mariage
à M. de Talleyrand. Dans la France nouvelle, qu'il était en train d'apaiser
et de façonner sous le regard hostile de l'Europe, il entendait
qu'extérieurement au moins, l'ordre régnât, — l'ordre matériel comme l'ordre
moral ; il voulait, à sa cour naissante, du bon ton, de la décence, de la
correction ; et un beau jour, — de même qu'apercevant à l'Opéra Mme Tallien
en Diane chasseresse, nue sous une peau de tigre, il lui faisait dire que les
déguisements mythologiques n'étaient plus de saison[51], — il signifia
tout net à Talleyrand que le temps des unions libres était passé. Il avait
d'abord songé, au moment des négociations du Concordat, à rendre à l'Église
l'ancien évêque d'Autun, à le revêtir de la pourpre des cardinaux et à le
charger des affaires religieuses. C'était son lot,
confiait-il plus tard à Las-Cases ; il rentrait dans
le giron, réhabilitait sa mémoire, fermait la bouche aux déclamateurs[52]. Mais Talleyrand
s'était dérobé, et, n'ayant point réussi à en faire un cardinal, Bonaparte
fut amené à en faire un mari. Un très petit incident, qui mit tout à coup en relief la situation fausse de Talleyrand, détermina l'intervention de Bonaparte. Au moment d'être présentées chez le ministre des Relations extérieures, plusieurs femmes d'ambassadeurs avaient été prises de scrupules. Ne seraient-elles pas reçues par Mme Grand ? Ne devraient-elles pas lui faire la révérence ? Des murmures s'élevèrent dans les milieux diplomatiques ; Mme de Rémusat prétend que leur écho parvint jusqu'aux oreilles du Premier consul. Sur-le-champ, il mesura l'effet du scandale : le bon renom de son gouvernement compromis, les cours de la vieille Europe, encore sur la défensive, effarouchées et méprisantes. Il manda Talleyrand, et lui déclara qu'il devait bannir Mme Grand de sa maison[53]. Peut-être Talleyrand aurait-il volontiers profité de cette porte de sortie. Mais l'issue qu'on lui offrait, ne faisait point l'affaire de Mme Grand. Rompre avec le ministre, c'était son rêve doré qui s'envolait sans espoir de retour ! C'était, à l'heure où sa beauté approchait du déclin, retomber dans sa vie d'incertitudes et d'expédients ! A peine sut-elle l'arrêt rendu par le Premier consul qu'elle courut à la Malmaison. Moins collet monté que les ambassadrices, Joséphine entretenait depuis longtemps d'excellentes relations avec l'amie de M. de Talleyrand ; elle fréquentait la villa de Neuilly et le ministère de la rue du Bac : elle invitait la belle Indienne à sa table, et même, elle avait accepté de sa main le présent d'une charmante guenon, dont les grimaces l'avaient amusée pendant une visite à l'hôtel Galliffet[54]. Mme Grand conta sa peine à Joséphine, l'intéressa à son angoisse, obtint qu'elle plaidât sa cause près de son mari. Joséphine fit mieux encore : elle trouva moyen de mettre Mme Grand en présence de Bonaparte. La scène, parait-il, fut émouvante. Mme Grand eut des cris du cœur, et le Premier consul, troublé par sa beauté autant qu'apitoyé par ses larmes, finit par s'écrier : Eh bien ! que Talleyrand vous épouse, et tout sera arrangé. Mais il faut que vous portiez son nom ou que vous ne paraissiez plus chez lui. Au sortir de cette entrevue, il répéta son ultimatum à Talleyrand lui-même, et lui donna vingt-quatre heures pour se décider[55]. Talleyrand se décida pour le mariage. Mme Grand était belle, même très belle : sa beauté resta toujours son seul mérite. Elle avait l'esprit assez court, frisait la quarantaine, et, de sa réputation, mieux vaut ne rien dire. Elle était de ces femmes qu'on n'épouse pas... Talleyrand ne fut point arrêté ; il se riva au pied une chaîne qui devait, toute sa vie, lui peser. Fut-ce un coup de tête ? Une bravade[56] ? Talleyrand n'a pas fait de confidences, et ses contemporains intrigués ont cherché, sans la découvrir, la clef du mystère. Pour les uns, Mme Grand était la dépositaire de sa fortune. Pour d'autres, elle avait surpris des secrets compromettants, et, lorsqu'elle insistait pour devenir sa femme, elle mêlait aux prières des récriminations et des menaces : Si vous ne m'épousez de suite, lui aurait-elle écrit, je vous fais raccourcir d'un pied[57]. Le futur chancelier Pasquier, qui ne fut pas un des moins étonnés, risque cette explication : Talleyrand cédait à l'ascendant de l'importunité sur la faiblesse, au désir de retrouver un peu de paix dans un intérieur dont il ne savait pas secouer les habitudes, enfin à une profonde indifférence de l'opinion publique[58]. Une fois la décision prise, restait le plus difficile : l'exécuter. Les obstacles se dressaient en masse. Talleyrand, ministre des Relations extérieures, l'un des négociateurs du Concordat, devait à son gouvernement, sinon à lui-même, au lendemain de la restauration religieuse à laquelle il avait travaillé, d'être marié au pied de l'autel. Était-ce possible ? Le 10 juillet 1777, à une heure du matin, dans l'église catholique de Chandernagor, un prêtre avait béni les serments de Georges-François Grand et de Catherine-Noël Worlée, et, depuis lors, aucun tribunal ecclésiastique ne les avait révoqués. Chose curieuse, de cette première union, personne, à commencer par les intéressés, ne semble s'être inquiété. Mais il existait un autre empêchement qui, celui-là, n'était pas sorti des mémoires : Talleyrand avait été fait prêtre, évêque ; il était encore, pour beaucoup, l'ancien évêque d'Autun, et, malgré les erreurs commises, les scandales donnés, les censures encourues, il n'avait, jamais été relevé du vœu de célibat. Ce n'est pas qu'il n'eût essayé déjà d'obtenir cette faveur. Pendant que s'élaborait le Concordat, il avait insisté, avec une ténacité pressante, pour que les ecclésiastiques sécularisés en fait le fussent en droit, et il n'avait pas caché le désir de glisser discrètement son cas au milieu des leurs, d'être englobé avec eux dans une absolution générale. Parmi les questions soulevées au cours des négociations
avec Rome, il n'y en eut pas de plus délicates que celle des prêtres qui
avaient renoncé au sacerdoce et qui s'étaient mariés. Dès le 26 janvier 1801,
le délégué du gouvernement français, l'abbé Bernier, célèbre par son rôle
dans l'insurrection vendéenne, la posait très clairement : Le second article du projet de convention,
écrivait-il dans des notes destinées au Saint-Siège, a
pour objet l'état des ecclésiastiques promus aux ordres sacrés, et qui ont
contracté un mariage civil depuis la Révolution. Le gouvernement, qui veut la
paix de tous, désire qu'on leur ouvre la porte salutaire de la communion
catholique, s'ils le désirent eux-mêmes, et qu'on fasse revivre à leur égard
les dispositions prises par le concile d'Ancyre, en 314, à l'égard des
diacres mariés, s'ils veulent vivre et mourir catholiques, et renoncer à tout
exercice des ordres sacrés qu'ils ne pourraient reprendre de nouveau, même en
renvoyant leurs épouses, sans un scandale réel[59]. Le Premier
consul, que les règles canoniques n'embarrassaient guère, aurait voulu vider
l'affaire d'un seul coup, par un article du Concordat ; il avait lui-même
cherché une rédaction : Les ecclésiastiques qui sont
entrés depuis leur consécration dans les liens du mariage, ou qui, par
d'autres actes, ont notoirement renoncé à l'état ecclésiastique, rentreront
dans la classe des simples citoyens et seront admis comme tels à la communion
laïque[60].
Mais le représentant du Saint-Siège, Mgr Spina, avait tout de suite émis des
réserves ; il laissait entendre que l'addition ou
qui, par d'autres actes, ont notoirement renoncé l'état ecclésiastique
ne serait pas acceptée à Home ; et devinant que, sous cette formule, se
cachait Talleyrand, il se hâtait d'en rendre compte au cardinal Consalvi : Je ne sais, lui mandait-il le 25 février, si le ministre Talleyrand veut y être compris ; mais j'ai
bien fait savoir que ni un évêque, ni quiconque est lié par des vœux
solennels, ne peut jouir de l'indulgence apostolique[61]. Le nœud du problème était là. D'un côté, Rome, toute disposée qu'elle fût aux concessions, n'admettrait pas que le pouvoir laïque se mêlât d'une question de discipline ecclésiastique, qu'un cas de conscience devînt un article de Concordat ; elle ne demandait qu'à absoudre, tuais par un acte spécial, émanant de sa seule autorité spirituelle. D'un autre côté, ses traditions l'obligeaient à une distinction : séculiers et réguliers ne s'engageant point par les mêmes vœux, le même traitement ne convenait pas aux uns et aux autres. A l'époque de Marie Tudor, le pape Jules III, rempli de mansuétude vis-à-vis des prêtres infidèles du clergé anglais, était resté inflexible vis-à-vis des évêques et des religieux. Sa conduite était un exemple pour Pie VII ; il ne s'en écarterait pas et, dans une lettre à Bonaparte du 12 mai 1801, il tint à s'expliquer lui-même sur ce grave sujet : Quant à l'absolution des prêtres mariés — en exceptant les réguliers liés par des vœux solennels et les évêques, relativement auxquels il n'y a pas eu dans l'Église, depuis qu'elle existe, d'exemple d'une semblable indulgence admise —, et quant à l'absolution de ceux qui se seraient éloignés de l'Église par d'autres voies, nous y pourvoirons en donnant les pouvoirs nécessaires pour qu'ils soient absous suivant les règles et la discipline ecclésiastique, vous assurant que nous nous ferons un devoir bien doux de leur faire éprouver de notre part les effets de toute la condescendance paternelle, aussi loin qu'elle peut s'étendre, et nous aurons même en cela égard, autant que cela pourra nous être permis, aux circonstances dans lesquelles se trouve aujourd'hui l'Église de France[62]. Déçu dans son espoir, Talleyrand fut irrité et ne le cacha point. Il n'eut pas d'éclat de colère : ce n'était pas dans son genre ; mais une aigreur continue à l'endroit des négociateurs romains. Personne plus que lui n'avait, au début, encouragé et aidé Bonaparte à rétablir dans la France renouvelée la religion ancienne[63]. Il est certain qu'à ce moment son allure change. Veut-il forcer la main au Souverain Pontife, lui arracher ou lui soutirer ce qu'un spirituel historien du Concordat appelle la clause de Mme Grand[64] ? Il entrave les pourparlers, soulève ou grossit des chicanes, est moins souple, moins coulant, moins fertile en formules pour franchir les pas difficiles, toujours attentif à ramener sur le tapis, avec une infatigable adresse, la question qui le touche au vif. Dans un rapport au Premier consul, daté du 29 mai, sans se découvrir lui-même, il s'exprime ainsi : Le Saint-Père a supprimé, dans son projet, l'article relatif aux ecclésiastiques mariés. Le citoyen Bernier dit cependant dans son rapport que, sur l'insistance du gouvernement, cet article sera rétabli. Cet article est moralement aussi indispensable que l'est, politiquement, celui relatif aux biens nationaux. Il serait souverainement injuste de laisser indécis l'état d'une foule d'individus qui sont devenus pères de famille et citoyens. Cette déclaration attirera à la mesure de la réconciliation des partisans très zélés, qui, sans elle, en seraient les plus dangereux ennemis[65]. Deux mois plus tard, le 13 juillet, pendant qu'il soigne à Bourbon-l'Archambault une crise de rhumatismes, son homme de confiance, Blanc d'Hauterive, chef de division à son ministère, revient une dernière fois à la charge. L'instant est solennel. Tout semble arrangé ; déjà, le Moniteur a reçu l'ordre d'annoncer la grande nouvelle : M. le cardinal Consalvi a réussi dans la mission dont il était, chargé par le Saint-Père auprès du gouvernement français[66]. C'est alors qu'Hauterive apporte à Bonaparte les objections suprêmes : Je dois le dire au Premier consul, écrit-il à la fin d'un rapport destiné à réveiller la méfiance ombrageuse du maître, la suppression de l'article relatif aux prêtres qui ont renoncé à l'état ecclésiastique me paraît de la plus haute importance. Cet article était fait pour concilier à la convention nouvelle une classe, plus nombreuse qu'on ne pense, d'hommes dont les uns sont à plaindre, et les autres à ménager... Une grande maxime d'indulgence, presque philosophique, signalant le début du nouvel établissement religieux, l'eût rendu recommandable à toutes les opinions. Je crois fermement que le Premier consul doit mettre le plus grand intérêt au rétablissement de cet article[67]. Et, dans le projet de convention remanié sur l'heure, l'article cher à Talleyrand reparaît : Sa Sainteté relèvera de la loi du célibat les ecclésiastiques qui, depuis leur consécration, sont entrés dans les liens du mariage, sous la clause qu'ils renonceront à l'exercice de leurs fonctions, et admettra au rang de catholiques séculiers ceux qui, par d'autres actes, ont notoirement renoncé à leur état[68]. Talleyrand et Hauterive perdirent leur peine. Le Concordat fut signé le 15 juillet 1801 ; les prêtres infidèles n'y étaient point mentionnés. Malgré tout l'intérêt qu'aurait eu la cour de Rome à ménager et à se concilier le ministre des Relations extérieures, elle avait résisté jusqu'au bout ; elle s'était retranchée, avec une douceur triste, derrière un inflexible Non possumus. Avant la ratification définitive, Talleyrand et son chef de division exprimèrent encore des regrets et des récriminations[69] : il était trop tard. Le dernier mot de Pie VII fut son bref du 15 août adressé à l'archevêque de Corinthe[70]. Par une mesure d'exceptionnelle clémence, le Pape absolvait les sous-diacres, les diacres et les prêtres du clergé séculier qui s'étaient mariés ou qui avaient renoncé à leur état ; mais le pardon ne s'étendait ni aux anciens religieux, ni aux anciens évêques. — Ainsi se termina la première phase des négociations de Talleyrand avec Rome. Dans une note manuscrite, Mgr Dupanloup a apprécié, en quelques mots très exacts, l'importance qu'avait eu le débat. D'une part, écrit-il, on voit tous les efforts de l'habileté et de la puissance ; de l'autre, l'habileté aussi, mais une puissance affaiblie, menacée, immuable cependant par la fermeté de la justice et triomphante par l'ascendant de la vertu. C'est un des nombreux épisodes cachés de cette grande époque religieuse : je ne crains pas de dire qu'il n'en est pas de plus glorieux pour l'Église. IV Talleyrand n'était pas homme à s'avouer vaincu. Il venait de perdre la première partie, il allait tenter la revanche ; puisqu'il n'avait pas réussi à rentrer dans l'Église avec la masse des prêtres infidèles, il engagerait, pour lui seul cette fois, une négociation nouvelle. La puissance qu'était le ministre des Relations extérieures de la République consulaire ferait solennellement sa paix avec le Pape. Au milieu de la joie que causait à la cour pontificale la restauration du culte en France, — dans cette France naguère impie, — il obtiendrait sans peine une sécularisation éclatante et complète ; et, de la sorte, fermant la bouche aux détracteurs, il cesserait d'être l'ancien évêque d'Autun, il deviendrait M. de Talleyrand tout court, le passé serait effacé et l'avenir s'ouvrirait par le mariage avec Mme Grand. C'est ainsi que Talleyrand avait arrangé les choses dans son esprit. Il croyait tenir en main tous les atouts. Pic VII était l'indulgence même ; au cours des pourparlers du Concordat, il avait répondu sans se lasser, avec une mansuétude paternelle et conciliante, aux brusqueries capricieuses, aux menaces impératives, aux manques de parole outrageants de Bonaparte. Pourquoi n'exaucerait-il pas la prière respectueuse de son ministre ? Talleyrand oubliait que la bonté n'exclut pas la fermeté ; il oubliait que Rome n'avait point faibli, quels qu'aient été les risques à courir, là où des principes étaient engagés. Les bons procédés des cardinaux à son égard purent encore fortifier son illusion. Consalvi, qui pourtant se défiait de lui et, l'a dépeint plusieurs fois sans bienveillance, le comblait de prévenances ; bien plus, il étendait ses amabilités jusqu'à son amie : Ne manquez pas, écrivait-il de Rome à Mgr Spina, de présenter mes compliments à Mme Grand[71]. Et Spina répondait au secrétaire d'État : Mme Grand, que j'ai vue hier, vous fait mille saluts[72]. Quant au cardinal-légat, Caprara, il avait été séduit par les bonnes grâces du ministre, et il lui était tout acquis. Le Premier consul, enfin, prenait, à cœur sa sécularisation ; il ne lui convenait pas, au moment où il ramenait la France aux anciennes traditions et aux anciennes mœurs, d'avoir pour principal ministre un évêque en rupture de vœux. L'affaire fut entamée dès les premiers jours de février 1802[73]. Talleyrand rédigea une supplique en latin pour le Saint-Père, le légat prépara une note confidentielle pour Consalvi, et un courrier extraordinaire fut chargé de porter sans retard les deux pièces à Rome. Elles parvinrent le 26 février à la cour pontificale. La supplique de Talleyrand, de inique que la note de Caprara, n'ont pas été retrouvées. On sait cependant que le cardinal-légat recommandait d'un accent chaleureux la cause du ministre des Relations extérieures, et insistait, de sa part, pour que rien ne transpirât de la négociation commençante. Dans sa requête, dont on ne connaît que quelques phrases. Talleyrand demandait pardon au Pape pour les erreurs très graves qu'il avait commises — de erroribus grarissimis e se commissis ; — il déclarait adhérer fermement à la religion catholique, apostolique et romaine, et être soumis à la chaire de Pierre avec une obéissance filiale : il implorait la grâce d'être absous de ses fautes et relevé de ses vœux. Sollicitait-il davantage, c'est-à-dire réclamait-il en termes exprès le droit au mariage ? Ce n'est guère probable. Selon une formule qui se retrouve fréquemment sous sa plume, la sécularisation impliquait dans son esprit la faculté de vivre en tous points comme un laïque. Consalvi avait à peine eu le temps de parcourir les
missives arrivées de Paris que déjà Caprara le relançait. La température étant moins aigre, et me trouvant mieux de
mon refroidissement, écrivait-il le 27 février, j'ai fait ma première sortie et je suis allé chez le ministre
Talleyrand. Celui-ci m'a dit que le Premier consul avait pris une part très
vive à son affaire ; qu'il avait lui-même réuni de fortes raisons, appuyées
sur des exemples, pour qu'elle aboutît ; qu'il ne jugeait pas décent qu'un
sujet, en qui il avait une confiance spéciale, apparût aux veux du public
dans une situation aussi fausse vis-à-vis de l'Église ; qu'eu conséquence, il
s'était proposé d'écrire directement à Notre Sainteté, et d'expédier à ce
sujet un courrier extraordinaire... — J'ai
répondu que j'avais déjà écrit, mais que je n'avais point parlé des exemples,
ne les connaissant pas. — M. de Talleyrand
m'a promis de me les communiquer. Après avoir reproduit la
conversation qu'il venait d'avoir, Caprara poursuivait : En qualité de ministre de Notre Sainteté, je ne crois
pouvoir rien faire de mieux, pour recommander l'affaire, que de l'exposer
ainsi sous son vrai jour, et d'insister sur l'importance extraordinaire qu'y
attache le Premier consul. Il soutient que le ministre, depuis deux ans, a
travaillé sans relâche avec lui au rétablissement de la religion, en montrant
le bien et l'utilité, et tenant tête constamment à ceux qui ont fait de tout
pour mettre obstacle... Le consul estime que
son ministre mérite que Notre Sainteté use à son égard de la plus ample
condescendance[74]. Le représentant du Saint-Siège à Paris n'en dit pas davantage. Le mot mariage n'est nulle part prononcé. Mais, dans les milieux diplomatiques, personne ne s'y trompait. M. de Talleyrand, écrivait le 18 février, dans son journal, l'Anglais Jackson, n'est plus maintenant occupé que de son mariage, pour lequel il attend la dispense du Pape[75]. A Rouie, on avait mis tout de suite à l'étude l'affaire de
Talleyrand. La cour pontificale avait le désir d'être agréable au ministre
français. Mgr di Pietro, théologien très docte, examina sa requête et remit
au secrétaire d'État, dès la fin de février, un long rapport. Il ne paraît pas, y était-il dit, que l'on puisse être satisfait de la supplique présentée à
Sa Sainteté par Charles-Maurice Talleyrand. Il ne s'y trouve aucune
expression d'où il ressorte, sans équivoque, qu'il déteste les maximes
hérétiques et schismatiques de la constitution civile du clergé, auxquelles
il a adhéré en piétant le serment civil. La confession qu'il fait de
ses fautes, en les expliquant par le malheur des temps, ne dénote pas une
suffisante réprobation. En outre, sa promesse d'adhérer fermement à la
religion catholique romaine et d'être soumis, avec un cœur lilial, au Siège
apostolique, ne constitue qu'un engagement un peu vague, tout au plus
analogue à la profession de foi de Pie IV. Di Pietro était donc d'avis qu'il
fallait exiger du requérant au moins la même
déclaration que des intrus, et il soulignait le mot au moins en
rappelant que Talleyrand, consécrateur des premiers évêques constitutionnels,
avait été l'auteur même du schisme[76]. En dépit des conclusions sévères de Mgr di Pietro, le
Pape, touché dans sa paternelle bonté par la démarche de Talleyrand, décida
qu'un bref serait préparé. Le cardinal Consalvi, qui, au Sacré-Collège,
représentait l'élément conciliant et modéré, encourageait Pie VII à la
clémence. Il était désireux de montrer au Premier consul et à Talleyrand son
bon vouloir, et, le 3 mars, avant que rien fin. encore terminé, il écrivait à
Caprara : Deux mots seulement, aujourd'hui, sur la
question du ministre des Relations extérieures. Votre Éminence et lui-même
peuvent être assurés que je mettrai tout le zèle dont je suis capable pour
que l'affaire soit traitée dans le plus grand secret, avec toute la rapidité
possible, et qu'elle ait le meilleur succès. Je ferai tous mes efforts afin
de prouver au ministre que je ne suis pas indigne de l'amitié qu'il veut bien
me témoigner[77]. Huit jours plus
tard, le secrétaire d'État annonçait, dans une nouvelle lettre, que la
solution était proche[78]. Pendant cette première quinzaine de mars, la cour romaine élaborai !, non sans peine, le texte du bref ; fidèle à ses habitudes classiques de prudence, elle se hâtait lentement. Il y avait tant de choses à dire et surtout à laisser entendre, tant de vérités à exprimer et tant de ménagements à garder ! Sur l'ordre du Pape, Mgr di Pietro s'était remis à la tâche. Il rédigea lui-même un projet de bref. Son brouillon achevé, il le communiqua par précaution à un casuiste de ses amis, le P. Caselli de Saint-Marcel. Puis les cardinaux Antonelli et Consalvi, assistés de Mgr Spina, revirent soigneusement son travail : tous les termes furent pesés, discutés, retouchés. Enfin, le 18 mars, le bref était sur pied. Consalvi, dont la joie débordait, prit sa plume pour mander à Caprara l'heureuse nouvelle : Il me plaît que cette affaire ait pu être expédiée avec tant de secret, île bonheur et d'empressement, et que Votre Eminence puisse encore faire bonne figure devant le ministre. Il n'était pas possible de faire plus et mieux : Votre Éminence saura lui en faire ressortir le mérite[79]. On peut croire que, de son côté, Caprara fut ravi. Tout en plaidant consciencieusement la cause de Talleyrand, il n'était pas tranquille sur l'issue de la procédure ; il attendait le bref avec impatience. Ici, écrivait-il le 27 mars, l'avis universel est que la conduite de M. Talleyrand témoigne assez de sa résipiscence et de son repentir, et que, par ses actes, il a suppléé à la pénitence qu'il méritait. On ajoute que son péché est très grave, mais que la punition qui réduit un évêque à l'état laïque est une peine publique et permanente, la plus forte qui puisse lui are infligée. C'est la manière de voir du Premier consul. Il se porte garant du changement de son ministre ; il dit que Talleyrand seul a été son appui, son soutien, contre tous ceux qui entravaient le rétablissement de la religion, et il conclut en déclarant que lui, Premier consul, fera de la grâce réclamée une affaire d'État. Par deux fois jusqu'à présent, j'ai réussi à le persuader de prendre patience, l'assurant que Notre Sainteté ferait, en la circonstance, tout ce qu'elle pourrait afin de lui complaire. Je désirerais bien que le ministre reconnût que la grâce lui vient tout entière de Notre Sainteté, et qu'il ne s'imaginât pas qu'elle lui est procurée par l'autorité du Premier consul[80]. Quelques jours plus tard, un courrier remettait à Caprara le bref du Pape, une lettre de la Sainte-Pénitencerie et des instructions secrètes, émanant, l'une du cardinal Consalvi, l'autre du cardinal Antonelli. Le bref portait la date du 10 mars. Il s'ouvrait par des allusions au bon Pasteur et à la brebis égarée. Après quoi, le rédacteur romain plaçait sur les lèvres de Talleyrand tout ce que l'on aurait souhaité, à la cour pontificale, qu'il eût dit lui-même. Tu avoues spontanément être tombé dans les plus graves erreurs ; tu gémis des crimes que tu as commis ; accueillant de sages conseils, tu demandes pardon à ton Père bien-aimé, et tu rougis. Ô sainte et bienheureuse pudeur qui, jamais, ne sera suffisamment célébrée ! Nous savons que, prosterné aux genoux de ton Père, tu confesses tes fautes ; que, revenu au bercail du suprême Pasteur, tu promets de ne plus t'en laisser détourner ; que, non seulement tu prends l'engament très sacré, d'être, à l'avenir, pleinement soumis, avec une obéissance et une docilité filiales, au Siège apostolique, mais même de travailler de toute ton énergie à l'amplification et à l'accroissement de la religion et de l'Église. C'est pourquoi beaucoup de péchés le seront remis. Nous donnons nos pouvoirs à notre légat e latere près du Premier consul, Jean-Baptiste cardinal Caprara, pour qu'il te délie des quelques censures qui t'enchaînent[81] ; qu'il te ramène, sous certaines conditions, à l'unité de l'Église ; qu'il t'accorde licence, rendu à la communion laïque, de revêtir l'habit séculier et de remplir les charges de la République française. Le bref exhortait encore Talleyrand à réparer, par des paroles et par des actes, le mal qu'il avait fait à l'Église. Aime Dieu et son Fils unique, lui disait-il ; aime l'Église et observe ses décisions ; aime ton prochain, aime surtout tes fils de jadis, ceux à qui l'onction sainte t'avait lié comme père et comme époux ; aime enfin tous les chrétiens. Le bref continuait par un rapprochement assez inattendu : La triple négation de Pierre fut complètement effacée par la confession de son triple amour. Propose à ton imitation l'exemple illustre du prince des apôtres et, devant tes frères, devant tous ceux pour lesquels tu fus un sujet de scandale, devant l'autel du Christ, librement et courageusement, exclame-toi : Seigneur, toi qui sais tout, tu sais que je t'aime. Si tu as suivi Pierre dans ses erreurs, suis-le dans ses pénitences ; qu'est-ce à dire ? suis-je dans ses triomphes. Pour finir, le Saint-Père accordait à Talleyrand sa bénédiction apostolique[82]. Dans son instruction secrète pour
l'absolution de M. de Talleyrand, le cardinal Antonelli complétait et
éclairait les dispositions de l'acte pontifical. Une chose le préoccupait
avant tout : quel accueil serait fait au bref ? Celui auquel il était adressé
se repentait-il dans toute la sincérité de son cœur ? Souhaitait-il rentrer
en grâce devant Dieu par la confession et la pénitence ? Ou bien voulait-il
simplement mettre fin à sa situation fausse, se réconcilier avec l'Église,
être absous des censures et de l'excommunication, être délié des devoirs
sacerdotaux ? Dans le premier cas, si la conversion était profonde et
sincère, le légat transmettrait à Talleyrand le bref écrit, non seulement pour
lui, mais pour le public. Lorsque, ajoutait
Antonelli, il aura apprécié et goûté les
exhortations si pleines de mansuétude du Saint-Père, l'invitation très douce
à faire pénitence, on pourra lui communiquer la lettre de la Pénitencerie...
Naturellement, il ne devra pas être gêné dans le
choix d'un confesseur à son goût, près duquel il fera une bonne confession.
Il recevra, en même temps que l'absolution sacramentelle, l'absolution des
censures et de l'excommunication. Une pénitence lui sera prescrite. — Si
cependant Talleyrand se refusait à franchir le pas décisif, à s'agenouiller
au confessionnal, — et ce serait, disait
Antonelli, pour le cœur paternel de Notre Sainteté,
une indicible amertume, — il deviendrait nécessaire d'exiger de lui
une déclaration écrite : Talleyrand y prêterait le serment d'être le fils très obéissant de l'Église catholique romaine,
d'adhérer à ses jugements, d'abdiquer les erreurs auxquelles il a jusqu'ici
sacrifié. Il devrait, en outre, se soumettre aux oraisons et aux prières
prescrites dans le Rituel, et serait alors relevé, au
tribunal extérieur, des censures et de l'excommunication. On lui laisserait la liberté, lorsque Dieu toucherait son
cœur, de recourir à un confesseur pour recevoir, dans le sacrement de
pénitence, l'absolution[83]. Caprara avait ouvert avec bonheur les documents pontificaux ; à mesure qu'il les parcourait, il était saisi d'inquiétude. On n'avait évidemment pas considéré les choses du même œil à Paris et à Rome. Comment faire accepter par Talleyrand les conditions du Saint-Siège ? Caprara essaya cependant, si l'on en juge par un mut assez vague d'une de ses lettres[84], d'accomplir sa mission. Il ne poussa pas loin. Le cardinal-légat, nous apprend une note des archives du Vatican, ne présenta pas le bref au ministre Talleyrand, ayant su par ses amis qu'il lui aurait certainement déplu[85]. Ce bref, devenu sans emploi, fait honneur au pape Pie VII, à sa mansuétude, à son angélique candeur. Il fait même honneur à Talleyrand, qui avait inspiré de lui au miséricordieux Pontife une si bonne opinion. Mais cette opinion, la méritait-il, au moins à ce degré ? Si l'ancien évêque d'Autun avait été digne d'entendre un pareil langage, il n'aurait pas réclamé la sécularisation ; il n'aurait songé à déposer la mitre que pour pleurer et prier sous le froc. Tel, sans aucun doute, n'était point son état d'âme Ce qu'il voulait, c'était, après être sorti avec effraction de la société ecclésiastique, faire sa rentrée régulière dans la société laïque : il voulait être légitimé. Que Talleyrand déplorât bien des actes auxquels il était descendu pour se montrer un nouvel homme, un citoyen comme un autre, nous y souscrivons volontiers. Il regrettait la façon dont il avait été prêtre et évêque ; il ne regrettait pas la façon dont il avait cessé de l'être. De toutes les idées qui, depuis sa rupture, lui traversèrent l'imagination, celle qu'il chassa toujours avec le plus de violence, fut de rentrer par une porte ou par une autre dans l'état ecclésiastique. Napoléon, ainsi que nous l'avons dit, racontait à Sainte-Hélène que, si Talleyrand s'y était prêté, il aurait pu le faire cardinal ; mais il avait résisté, et il avait eu raison. La robe rouge, qui eût paru la récompense de l'Église à qui l'avait désertée, aurait été dans sa vie un scandale de plus. Elle aurait fait souvenir, avec une sorte d'avancement, de l'évêque qu'il importait avant tout de faire oublier ; elle ne l'eût exalté que pour mieux accuser sa déchéance. Dans l'intérêt de l'Église, comme dans son intérêt propre, Talleyrand, en refusant, vit juste. Talleyrand recherchait une chose à la fois plus simple et plus difficile : effacer tout de l'onction sacrée. Pour sou malheur, il avait été évêque ; s'il n'avait été que prêtre, il aurait put passer dans le troupeau des prévaricateurs. Cet honneur épiscopal, qu'il avait tant désiré, était devenu sa faiblesse ; il l'écrasait sous son fardeau. Peut-être Talleyrand s'agenouillait-il aux pieds du crucifix ; peut-être même se serait-il agenouillé aux pieds du Pape. Mais il avait peur de paraître diminué devant les hommes, au sein de cette société issue de la Révolution qu'elle ne désavoua plus. Il demandait à être délié plus encore qu'absous. Le personnage qui avait écrit la phrase célèbre : Il faut que ceux à qui la Révolution pardonne, pardonnent à leur tour à la Révolution[86], ne se laisserait pas poser en pénitent public. Il était d'ailleurs sincère dans son rôle qui sembla équivoque. Ayant brisé, au fort de la tourmente, les liens qui l'attachaient à l'Église, il souhaitait maintenant régulariser à l'amiable cette séparation pour incompatibilité d'humeur. — Comment donc dénouer sa chaine ? Sieyès avait dit qu'il n'y avait pas de questions insolubles, mais des questions mal posées. Talleyrand essaya, dans une troisième et suprême tentative, de mieux poser celle à laquelle Rome répondait par un Non possumus et un Non licet également inébranlables. V Le 7 prairial an X (27 mai 1802), sur l'ordre de Bonaparte, un officier de gendarmerie, le chef d'escadron Lefèvre, partait précipitamment pour Rome. Il paraissait pressé. Il galopa d'une traite, changeant de chevaux aux relais, sans s'arrêter. Sur sa route, en cette fin de mai, les hourdons des cathédrales et les cloches des églises de villages sonnaient dans l'air limpide, à toute volée : il n'y avait pas encore six semaines, en effet, que, le jour de Pâques, 18 avril, le Premier consul avait scellé. à Notre-Dame, sa paix avec le Souverain Pontife. Qu'est-ce que Bonaparte pouvait donc bien avoir de si urgent à dire au pape Pie VII ? C'était Talleyrand qui, après deux mois de silence, rentrait tout à coup en scène[87]. Sa sécularisation, comme l'avait annoncé Caprara, devenait une affaire d'État. Le Premier consul la prenait lui-même en mains, et le chef d'escadron Lefèvre emportait dans ses sacoches une requête du gouvernement français au Saint-Siège. La voici : C'est une chose convenable à la dignité du gouvernement de la France, et utile à la discipline de l'Église, que d'accorder un bref de sécularisation au citoyen Talleyrand. Ce ministre a rendu de grands services à l'Église et à l'État. Il a publiquement et irrévocablement renoncé aux fonctions et aux dignités de la cléricature. Il désire que cette renonciation soit consacrée par un aveu formel du chef suprême de la religion ; il mérite d'ailleurs cette faveur spéciale. Sous le rapport de la politique, lorsque la France redevient une nation catholique, il ne convient pas qu'un ministre, qui a une part principale dans la confiance du gouvernement, soit un objet d'incertitude et de controverse relativement à son ancien état. Sous le rapport des efforts qu'il a faits pour rallier l'Église et le gouvernement, il faut qu'il puisse recueillir, par l'expression libre de la gratitude de tous les amis de la religion, le prix du zèle qu'il a montré pour son rétablissement. D'aussi grandes considérations atteindront aussitôt la bienveillance et la justice du Saint-Père. On ne parlera pas des formes requises pour un tel acte : Sa Sainteté choisira la plus convenable et la plus complète. Quant aux exemples du passé, le Saint-Père en trouvera de fréquents dans l'histoire. Au dix-septième siècle, sous Innocent X, Camille Panfili, cardinal et neveu du Souverain-Pontife, fut sécularisé et mourut laïque. Au quinzième, César 13orgia, archevêque de Valence, devint duc de Valentinois, épousa une princesse de la maison d'Albret, et mourut laïque. Ferdinand de Gonzague, d'abord ecclésiastique et ensuite duc de Mantoue ; Maurice de Savoie, qui se maria en 1642 après avoir été ordonné : les deux cardinaux de Bourbon, oncle et neveu, l'un et l'autre archevêques de Lyon, après avoir abdiqué du consentement du Saint-Siège les dignités ecclésiastiques, moururent laïques. Deux Casimirs, roys de Pologne, l'un par succession au onzième siècle, l'autre par élection au dix-septième, furent affranchis non seulement des liens de l'état clérical, mais encore des serments monastiques ; le premier avoit été bénédictin, le second jésuite, et celui-ci, outre le laïcat, obtint des licences pour épouser sa belle-sœur. Henri de Portugal, archevêque de Lisbonne, et successeur à la couronne de Sébastien en 1588 (sic)[88], mourut roy et laïque. François de Lorraine, cessionnaire des états de son frère Charles IV, en 1634, et ensuite père de Léopold, passa de l'état du sacerdoce au laïcat et resta fidèle à l'Église. Tous ces exemples sont pris des temps où le Saint-Siège jouissoit de la plénitude de son autorité. L'usage, que les prédécesseurs de Pie Vil en firent alors, leur fut indiqué par des motifs d'utilité, pour le bien de l'Église. Ces motifs existent aujourd'hui, et on doute qu'à aucune de ces époques, la même demande ait été fondée sur d'aussi fortes considérations[89]. Cette note, où se devine la main de Talleyrand, était bien faite pour impressionner la cour de Rome. Les exemples, choisis et présentés avec art, semblaient au premier abord sans réplique. S'il n'était pas menaçant, le ton était pressant. Bonaparte ne se contenta point d'engager son gouvernement d'une façon officielle ; il s'engagea lui-même, il écrivit au Pape : J'envoie à Votre Sainteté une note qui m'est remise, relative à une demande d'un bref de sécularisation pour le citoyen Talleyrand. Cette demande m'est personnellement agréable[90]. En même temps que le Premier consul s'adressait au Souverain Pontife, le ministre des Relations extérieures s'adressait au cardinal secrétaire d'État. Il réclamait son zèle et son obligeance ; il faisait miroiter le désir de Bonaparte ; et, comme assuré d'avance du plein succès, il affectait de n'être déjà plus préoccupé que de la rédaction du bref. Je n'ai pas besoin, insinuait-il légèrement, de vous désigner les formes qui pourraient ôter à la faveur du Saint-Père tout son prix dans les circonstances présentes, et celles qui sont le plus propres à la relever. Je suis persuadé que votre sagacité, votre délicatesse et votre prudence éprouvée iront au-devant de tous les inconvénients pour les prévenir. Je suis persuadé que la détermination, que le Saint-Père prendra à la demande du Premier consul, sera toute bienveillante, et que nia sécularisation sera un bienfait sollicité par vous-même et accordé par le Saint-Père avec autant de grâce que le Premier consul a bien voulu en mettre à la demander[91]. Afin de bien montrer à la cour de Rome qu'il s'agissait, cette fois, d'une négociation officielle, et non pas, ainsi que naguère, d'une démarche privée, Talleyrand enjoignit à notre représentant près du Saint-Siège. Cacault, de transmettre lui-même les documents et de suivre l'affaire. Après l'avoir initié à ce que le Premier consul attendait du Pape, il stimulait ainsi son ardeur : La connaissance que j'ai de votre habileté et ma parfaite confiance dans vos sentiments pour moi ne me permettent pas de douter que vous ne concouriez, avec autant de zèle que d'obligeance, au succès des démarches qu'il m'a paru convenable de faire pour obtenir ma sécularisation[92]. Moins tranquille au fond qu'il ne voulait le paraître,
Talleyrand multipliait les précautions et les recommandations. Le 7 prairial,
quelques heures avant le départ de Lefèvre, il le chapitrait encore. Ce
gendarme improvisé diplomate devrait agir avec promptitude et mystère,
correspondre directement avec le ministre, l'avertir dès son arrivée,
attendre la réponse du Pape, puis, sans une minute de retard, reprendre la
route de Paris. Talleyrand fut bien compris et bien servi. Lefèvre courut la
poste ; le 20 prairial, il était à Rome. Le jour même, il se déchargeait de
ses papiers entre les mains du citoyen Cacault, et celui-ci, après les avoir
lus rapidement, les portait à Consalvi. Le lendemain, 21 prairial, deux
lettres. — l'une de Lefèvre[93], l'autre de
Cacault, — étaient expédiées en France par courrier spécial. Elles
annonçaient à Talleyrand que tout marchait à son gré. Cacault, entraîné par
le désir de plaire à son ministre, s'avançait même un peu trop : Votre affaire, mandait-il, est
déjà soumise à l'examen des docteurs, selon les formes de cette Cour. Tout
sera examiné dans le plus profond secret : le cardinal Consalvi pressera le
travail[94]... Tandis que le représentant de la France soufflait ainsi la confiance à Talleyrand, Consalvi gémissait dans une note chiffrée qu'il adressait aux nonces. L'émoi du Saint-Siège était grand ; et plus grand encore son embarras : Hier, écrivait le secrétaire d'État, est arrivé un chef de bataillon, envoyé extraordinaire du Premier consul à Notre Sainteté et porteur dune lettre de lui. Il annonce l'évacuation d'Ancône. Il dit quelques mots pour se justifier de la nécessité où il a cru se trouver de nommer à des évêchés plusieurs constitutionnels. Mais l'objet principal de la lettre est une nouvelle affaire douloureuse pour Notre Sainteté. Le Premier consul attache un intérêt personnel à ce que M. Talleyrand soit autorisé à prendre femme... Votre Éminence voit en quelle terrible impasse va de nouveau se trouver le Saint-Père, si le devoir l'oblige à mécontenter, non seulement le consul, mais le ministre qui, il faut le confesser, fut le seul à assister Bonaparte et à soutenir de tout son pouvoir les affaires de la religion, ce qui est connu à Paris. Il est également certain que tout le bien qui s'est fait à Lyon pour la République italienne, on le doit, après le consul, à son ministre : tous les évêques qui furent présents en témoignent. Irriter un tel homme serait donc ce qui pourrait causer à la religion le plus grand mal. On examinera la matière. Les exemples qui, sans doute, s'appliquent en partie à des prières et non à des évêques, seront, confrontés... On réfléchira sur la question d'accorder une si grande grâce à qui eut, vis-à-vis de l'Église, de si grands torts. Sa Sainteté fait faire des prières pour obtenir lumière et assistance du Seigneur dans ces continuelles épreuves amères[95]... Dans cette lettre, qu'a retrouvée naguère au Vatican le plus documenté des historiens du Concordat, le P. Rinieri, le cardinal secrétaire d'État exprime bien les sentiments qui avaient cours à Rome. On peut être, au premier abord, surpris par sa bienveillance pour le solliciteur. N'a-t-il pas lui-même, par quelques phrases sorties de sa plume à des heures douloureuses, fourni leurs meilleurs arguments aux auteurs qui, n'ayant en vue que d'accroître les mérites de Bonaparte et de diminuer ses fautes, rejettent sur Talleyrand tous les méfaits de la diplomatie consulaire ? Consalvi, dont la bonne foi n'est point en cause, varia dans ses témoignages. Pour lui, comme pour tout homme, les événements, vus à distance, changeaient d'aspect. Il s'était heurté, dans le feu des négociations, à certaines exigences ou à certaines résistances de Talleyrand : lorsque le consécrateur des premiers intrus avait eu le tort de prendre sous sa protection les derniers constitutionnels, il avait été indigné dans sa conscience de prêtre fidèle, et il l'avait dit. À présent que le succès couronnait son œuvre, que le Concordat était promulgué, les églises rouvertes, le culte célébré, il se rappelait que Talleyrand, par son calme et sa mesure, avait plus d'une fois tempéré les prétentions exorbitantes et impérieuses du Premier consul, et il le disait avec la même franchise. A Rome, le trouble régnait. Que faire devant ce troisième assaut ? Ainsi que le faisait remarquer Mgr Dupanloup, on a souvent accusé l'Église d'être faible et complaisante envers les puissances de la terre ; il semble que ce fût le cas de fléchir, ou jamais. Aucun dogme, aucun précepte de morale n'était en question ; il ne s'agissait que d'une règle de discipline ecclésiastique, et le solliciteur invoquait dans le passé des précédents. Les exemples qu'il avait rassemblés étaient, sinon exacts, du moins spécieux : pour la foule qui n'approfondit pas, ils suffiraient amplement, ils expliqueraient une infraction à la loi générale. Et, au bout de cette affaire, il y avait non plus une succession au tri)ne ou la perpétuité d'une famille royale à sauvegarder, il y avait la paix de l'Église de France ! Refuser à Talleyrand le mariage, c'était, en indisposant Bonaparte, en blessant son ministre, compromettre la restauration religieuse. En face de pareilles excuses, le Pape allait-il donner raison aux malveillants ? Allait-il tout de suite céder ? Non. Pour son plus grand honneur, il traita l'instance du ministre des Relations extérieures de la République française comme l'instance du premier venu. Consalvi avait prié Cacault d'attendre huit jours la réponse. Huit jours s'écoulèrent, puis quinze : il ne l'apportait point. Cependant, au Vatican, on ne perdait pas de temps. L'archiviste, Mgr Marini, passait au crible les exemples allégués ; Mgr di Pietro rédigeait un rapport ; les cardinaux Antonelli, Spina et Consalvi délibéraient avec le théologien du Pape, Mgr Bertazzoli. Pie VII, anxieux, voulait, avant de se décider, s'entourer de conseils. A mesure qu'avançait la procédure, il apparaissait clairement qu'elle ne se terminerait pas au gré de Talleyrand. Dès le 15 juin, Consalvi prévenait par chiffre les nonces. M. de Talleyrand, leur mandait-il, ne sera pas autorisé à se marier ; il sera simplement rendu à la communion laïque, et cela de la façon la plus délicate, avec les phrases les plus douces possible : Au jour d'aujourd'hui, on ne peut dire ni s'entendre dire qu'on ait erré[96]. Le 19, il ajoutait mélancoliquement : Cette combinaison est déplaisante. On ne peut pas, en effet, ne pas prévoir que le mécontentement qui en résultera causera du dommage ; mais, d'autre part, Notre Sainteté croit impossible d'agir autrement, bien que cela lui soit excessivement pénible[97]. Pendant que les prélats romains cherchaient laborieusement
les formules qui adouciraient l'amertume du refus, Talleyrand, à Paris, se
tourmentait. Il aurait désiré une réponse immédiate, courrier par courrier ;
les délais ne lui disaient rien de bon. Il affectait toujours la confiance :
ce n'était qu'une confiance de façade. Souvent, il faisait des visites à
Caprara, espérant par lui avoir des nouvelles. Le légat lui apprenait peu ou
rien. Alors, sûr que ses moindres mots seraient répétés à Rome, il prenait
son air le plus grave, le plus solennel, pour discourir sur l'intransigeance
funeste et sur la bienfaisante conciliation. Un jour, à propos des prêtres
constitutionnels auxquels certains évêques demandaient une rétractation, il
se répandit en récriminations et en menaces. Je
viens vers vous, dit-il au légat, pour vous
déclarer que nous sommes au moment de voir perdus tous les soins employés au
rétablissement de la religion. Ni le consul ni aucun membre du gouvernement
ne veulent admettre qu'on exige des prêtres constitutionnels ce que Votre
Éminence en a exigé jusqu'à présent et qu'elle a suggéré aux évêques d'en
exiger. Si les évêques le tentent, il en résultera des malheurs sans fin. Les
populations sont soulevées à ce sujet ; les catholiques, dégoûtés de la
dureté avec laquelle la cour de Rome veut traiter les prêtres, demandent à
passer au protestantisme, où ils trouvent, disent-ils, la charité qu'ils ne
trouvent point dans le catholicisme. En un mot, tout sera mis à feu et à
flamme, et ce sera Rome, ce sera Votre Éminence qui sera la cause de la ruine
de la religion, parce que, dans des circonstances aussi douloureuses, vous
n'aurez pas voulu condescendre à des conditions de conciliation. Le bienfait
de la paix, fit observer le légat désolé, nie tient au cœur autant qu'à qui
que ce soit, mais je ne puis la procurer que par des voies qui ne blessent
pas ma conscience et qui ne me rendent pas prévaricateur. —
Réfléchissez, reprit Talleyrand, réfléchissez à la
situation dans laquelle sont les choses, et calculez d'avance les
conséquences qui découleront de la ruine totale de la religion en France, et
de la ruine qui pourra s'ensuivre pour tout État voisin ou en relations avec
ce pays. Tachez donc de concilier la chose de façon à faire cesser Ja tempête
qui s'élève, et songez bien que de là uniquement dépend ou la conservation ou
la ruine de la religion et de Église ![98] Jamais
Talleyrand ne s'était autant échauffé : or, il est bien évident que les
constitutionnels ne l'intéressaient pas à ce point ; ce qu'il avait en vue,
c'était sa cause à lui. De son côté, Bonaparte profitait d'une réception aux
Tuileries pour entretenir le légat du mariage de son ministre ; se basant sur
les exemples, il déclarait doctoralement la chose
faisable[99].
On prétend que Caprara subissait d'autres sollicitations encore ; placé, dans
un dîner officiel, à côté de Mme Grand, elle l'aurait conjuré d'être son
avocat près du Saint-Père. Pour faire patienter le consul et le ministre, Consalvi
avait, dès le premier jour, permis à Caprara de délier Talleyrand de
l'excommunication. Mais le cardinal secrétaire d'État imposait des
conditions. Que Votre Éminence, précisait-il,
s'assure que le ministre a reconnu et désapprouvé
ses erreurs passées ; qu'il a protesté de sa sincère adhésion à la religion
catholique, apostolique et romaine, de son obéissance filiale et de son
entière soumission à la chaire de Pierre[100]. Caprara
s'était hâté d'interpréter selon ses désirs, c'est-à-dire dans le sens le
plus large, les instructions du Saint-Siège. Il avait préparé un acte de
sécularisation provisoire. Après avoir évoqué les services rendus à l'Église
par le ministre, soit au cours des négociations du Concordat, soit pour la
Consulte de Lyon, il l'autorisait, eu attendant le bref du Pape, à demeurer à l'avenir en l'état des laïques, à assister
comme eux et confondu parmi eux aux cérémonies religieuses, et à remplir
licitement toutes les fonctions du ministère qui lui est confié, avec l'habit
et le costume du Français séculier[101]. Le légat agissait pour le mieux, mais il comprenait bien que cette demi-satisfaction ne suffirait point. Le port de l'habit laïque n'était pas le mariage, et Talleyrand se fâcherait. Le malheureux Caprara, qui prenait au tragique les prédictions terribles du ministre, avait une angoisse extrême ; il poussait vers Borne des cris de détresse : Jusqu'à présent, les protecteurs de la religion et de l'Église ont été le Premier consul et M. de Talleyrand. Mais, si celui-ci est rebuté, que devons-nous espérer ?[102] Et, sans se fatiguer, ressassant toujours les mêmes arguments, il revenait à la charge. Le 3 juillet encore, il adressait à Consalvi une longue note suppliante et pressante[103]. Trop tard ! Au moment où Caprara libellait son plaidoyer suprême, le chef d'escadron Lefèvre, fidèle à sa consigne, se hâtait vers Paris. Le Pape avait signé le bref le 29 juin. Le 30, Consalvi l'avait apporté à Cacault, et, le jour même, le courrier extraordinaire s'était mis en route. La réponse de Rome n'était point bonne pour Talleyrand. L'archiviste du Vatican, Mgr Marini, dans des notes érudites, avait réfuté point par point, en marge même de la requête du gouvernement français, les prétendus exemples d'évêques mariés. Aux faits allégués, le savant romain répondait par des faits prouvés. Avant de prendre femme, Camille Pamphili et César Borgia n'avaient reçu ni la consécration épiscopale, ni même l'ordination sacerdotale ; Ferdinand de Gonzague, duc de Mantoue, n'était que cardinal laïque, et sa démission de membre du Sacré-Collège avait suffi à le libérer ; Maurice de Savoie n'était même pas engagé par les ordres mineurs. Les cardinaux de Bourbon, après avoir renoncé à la pourpre, n'étaient pas revenus à l'état laïque et ne s'étaient pas mariés. Quant aux deux Casimirs, rois de Pologne, il était très douteux que le premier, le bénédictin, ont obtenu des dispenses : en tout cas, il n'était pas évêque ; et le second, le jésuite. n'était lié que par les vœux simples. François de Lorraine n'avait été promu à aucun ordre sacré. Le cas du cardinal Henri de Portugal, archevêque de Lisbonne, et successeur de son neveu, le roi Sébastien, en 1578, était encore plus décisif ; malgré le vœu de tout son peuple, il n'avait pu obtenir licence d'effacer Fonction épiscopale et de contracter un mariage. Emporté par l'ardeur de la polémique et snr de son fait, Mgr Marini se jetait au-devant des objections. Il ne se contentait pas de mettre en pièces les exemples venus de Paris : il eu tirait trois autres de vieilles requêtes qui dormaient oubliées au fond de ses archives, et, victorieusement, il les anéantissait sous le poids de sa science. Son travail se terminait par ces mots : Jamais une dispense de célibat n'a été accordée à qui que ce soit avant été au préalable revêtu du caractère de l'évêque[104]. D'autre part, Mgr di Pietro avait exposé dans un long
mémoire la doctrine de l'Église. Le célibat des prêtres, y disait-il, remonte
aux premiers temps du christianisme. Aucune tradition écrite ne l'imposa tout
d'abord ; mais les apôtres, ainsi que l'enseigne saint Jérôme dans une de ses
épîtres, furent vierges ou, s'ils étaient mariés, quittèrent leurs femmes :
le second concile de Carthage, au quatrième siècle, les prenant pour modèles,
imposa la continence aux ministres de la religion. Depuis, l'Église latine
maintint fermement le célibat des prêtres. L'Église orientale, il est vrai, à
cause de la mollesse de son clergé, laissa faiblir cette discipline : elle
autorisa ses prêtres, ses diacres et ses sous-diacres à ne point renoncer à
leurs épouses lorsqu'ils étaient mariés avant l'ordination. mais, après, ils
n'avaient, sous aucun prétexte, le droit de prendre femme. En outre, même
dans cette Église d'Orient, il faut que l'évêque soit vierge ou veuf, ou bien
que, sans espoir de retourner jamais à la vie commune, il se sépare de sa
femme. Chaque fois, continuait di Pietro, que, pour rétablir dans un pays la
religion catholique, le Saint-Siège a bien voulu condescendre à une mesure
d'exceptionnelle bienveillance, il s'est borné à valider les mariages,
jusque-là nuls, des prêtres, diacres et sous-diacres ; en aucun lieu, en
aucun temps, il n'a admis les mariages d'évêques. Telle fut, en 1554, pour
l'Angleterre, la conduite de Jules III ; telle fut, l'an passé, pour la
France, la conduite du pontife actuellement régnant. Arrivé là de sa
démonstration, di Pietro s'interrompait : On
objectera que la loi de continence, qu'imposent à tous les évêques l'Église
orientale et l'Église occidentale a pour fondement cette raison très forte
qu'il n'est pas convenable que des hommes, occupés de la dispensation des
plus saints mystères de notre religion, soient en même temps obligés de
remplir les devoirs conjugaux... Or, cette
raison n'est pas applicable au cas présent, puisqu'il s'agit d'un évêque qui
a renoncé à toutes les fonctions épiscopales, qui est réduit à la communion
laïque. N'importe ! se hâtait de répondre di Pietro ; le caractère de
l'évêque ne s'efface jamais ; les Pères ont dit : Le pontificat est la couronne de la prêtrise, le faîte du
sacerdoce : monté si haut, un homme ne peut descendre. L'histoire de
l'Église prouve qu'à cet égard, elle n'a point varié : en dix-huit siècles,
malgré des prières ardentes, malgré des motifs impérieux, elle n'a pas une
seule fois consenti au mariage d'un évêque. La conclusion de Mgr di Pietro
était semblable à celle de Mgr Marini : Il n'y a pas
lieu d'accorder la dispense demandée[105]. On ne peut nier que les prélats romains aient mis à l'étude de cette affaire le soin le plus minutieux, la conscience la plus sévère. Ainsi que l'écrivait Cacault à son ministre : Tout ce qui était possible a été fait... Quoique la matière fût déjà connue à fond, on a redoublé les recherches ; l'on s'est donné toute la peine imaginable[106]. Devant le double avis, motivé si fortement, que lui fournissaient Marini et di Pietro, Pie VII, qui avait, comme on l'a dit, l'âme d'un saint et, comme il l'a montré, le cœur d'un héros, n'avait point balancé. Quelles que dussent être pour lui les conséquences, il n'accorderait pas le mariage à M. de Talleyrand ; le principe resterait sauf entre ses mains. Le Pape avait ordonné à Mgr di Pietro de préparer le bref, et le rédacteur habituel des actes pontificaux, qu'aidèrent Spina, Consalvi, d'autres encore, s'était surpassé. Jamais on n'avait usé plus habilement des belles phrases latines, jamais on n'avait déployé plus de tact et de souplesse. Pas un mot ne pourrait offusquer Talleyrand, et cependant tout était dit : sa pleine soumission au Saint-Siège, son devoir de servir la religion et l'Église ; il rentrait dans la communion des laïques avec le droit de porter l'habit séculier et de remplir les grandes charges de l'État ; de son mariage seul, il n'était point parlé[107]. Afin de ménager la susceptibilité ombrageuse du ministre, on avait poussé la bonne grâce jusqu'à reproduire le bref sous deux formes différentes ; le Pape avait signé l'une et l'autre ; on les expédiait à Caprara, et Talleyrand choisirait[108]. Il ne fallait pas pourtant qu'on pût, à Paris, faire passer le silence sur le mariage pour un acquiescement muet. A son bref, Pie VII joignit une lettre pour le Premier consul. Par une attention délicate, elle était écrite en italien : Bonaparte la lirait ainsi lui-même, sans traduction, dans sa langue maternelle. Le Saint-Père exposait ce qu'il avait fait ; puis : Nous nous serions encore prêtés à satisfaire votre ministre dans son désir de prendre femme si les lois de l'Église ne s'y opposaient. Il n'existe pas, en dix-huit siècles, un seul exemple de dispense accordée à un évêque consacre pour qu'il se marie. Vous verrez, par les réponses en marge de la note que vous nous avez envoyée et que nous vous retournons, qu'il y a eu erreur de fait dans tous les précédents allégués. Votre sagesse vous prouvera que nous ne pouvions faire davantage que nous n'avons fait. La teneur du bref que nous lui adressons montrera à M. de Talleyrand combien ont pesé auprès de nous et l'intérêt que vous lui portez et les services qu'il a rendus pour le rétablissement de la religion en France[109]. Ce ne fut pas tout. Le secrétaire d'État voulut apprendre directement le refus à Talleyrand. Quoique son français ne fût guère correct, le cardinal, que Bonaparte appelait la Sirène de Rome, réussit à envelopper dans des caresses la fâcheuse nouvelle. Il insistait sur les termes bienveillants du bref : Je ne doute point que Votre Excellence trouvera dans les formes du bref que j'envoie aujourd'hui ce qu'elle a voulu indiquer lorsqu'elle m'a écrit qu'il y avait certaines formes qui seraient plus propres fi relever la faveur de Sa Sainteté et d'autres au contraire qui, dans la circonstance, pourraient lui en ôter le prix. Votre Excellence reconnaitra que le bref remplit ses vues d'une manière qui ne peut pas ne pas lui être agréable. Votre Excellence tonnait trop la matière pour avoir besoin que je lui fasse remarquer que, dans ces formes. Sa Sainteté a poussé la délicatesse et les égards au degré qui était possible... J'ai cru ne pouvoir faire mieux cornu-titre moi-même fi Votre Excellence l'intérêt que je prenais pour cette délicatesse qui lui tient si à cœur, qu'en faisant rédiger deux formules pour le bref, lesquelles lui fera connaître le cardinal-légat : ce sera fi elle de choisir celle qui lui paraîtra le plus convenable dans ces circonstances. Consalvi, après ce préambule, se décidait en tremblant à toucher le point délicat : J'aurais désiré, véritablement, que les vœux de Votre Excellence eussent pu s'accomplir entièrement et que le bref eût pu contenir la permission de mariage. Mais comment faire lorsque dix-huit siècles n'en présentent pas un seul exemple dans l'histoire de l'Église ? Votre Excellence... est trop éclairée pour ne pas connaître que l'exemple de dix-huit siècles, même dans des circonstances plus fortes, est tel h ne pas devoir le Saint-Père s'en écarter. Je ferai observer fi Votre Excellence que, non seulement il n'y a pas d'exemple dans dix-huit siècles, mais qu'il y a plusieurs exemples que cette permission, demandée plusieurs fois, a été constamment refusée par le Saint-Siège. Quoique on connaissait les exemples produits dans la note de Votre Excellence, le désir de la satisfaire a fait multiplier les recherches au-delà encore de la note. Elle verra que, dans les réponses envoyées au cardinal-légat. on a cité quelque autre exemple, qui cependant ne prouve pas non plus qu'une pareille permission ait été accordée jamais. C'est à ces recherches qu'on doit le retard du départ de l'officier qui apporte la réponse[110]. Le chef d'escadron Lefèvre, ralenti dans sa course par les chaleurs, n'arriva que vers la mi-juillet à Paris. Talleyrand n'y était plus ; en compagnie de Mme Grand, il faisait à Bourbon-l'Archambault sa cure annuelle. Ce furent Bonaparte et Caprara qui ouvrirent les dépêches du Vatican. Le Premier consul, par un billet fort sec du 1er thermidor
(20 juillet), se contenta d'aviser son
ministre qu'on avait reçu la réponse du Saint-Siège[111]. Quant à
Caprara, sa tâche était plus délicate. En lisant les documents qu'il devait
transmettre à Talleyrand, il fut atterré : pour plonger dans l'embarras cet
esprit indécis et mou, il n'en fallait pas tant ! Où prendre assez de courage
pour annoncer lui-même au ministre des Relations extérieures que sa requête
était repoussée ? Le légat crut se tirer de ce mauvais pas en laissant à
d'autres la parole ; il lit passer à Talleyrand la lettre de Consalvi ; et il
enguirlanda son envoi de quelques phrases très humbles, qui étonnent un peu
sous sa plume de prince de l'Église : J'attends votre retour pour vous
entretenir de vive voix de l'affaire que vous ne
doutez pas qui me tient à cœur plus qu'à vous... Je veux me flatter que vous serez satisfait de votre
séjour aux eaux. Permettez que Mme Grand trouve ici mes respects et que je
vous prie de recevoir l'assurance de ma haute considération[112]. Mais
Talleyrand, qui n'avait aucune raison d'ajouter un nouveau délai à ceux qu'il
supportait impatiemment depuis quinze jours, arracha le cardinal-légat à ses
lenteurs diplomatiques. Courrier par courrier, il lui réclama le bref du
Pape. Force fut à Caprara de s'exécuter. Le 22 juillet, il remit à un
messager sûr la copie des deux actes à choisir ; il n'y joignit pas un seul
mot d'explication ; seulement, afin de détourner de sa tête la colère qu'il
sentait gronder, il se fit plus modeste, plus gracieux que jamais : Je suis fort flatté par le doux espoir de vous faire ma
cour, dans peu de jours, à votre campagne de Neuilly et de vous témoigner de
vive voix la haute considération que j'ai l'honneur de vous renouveler par la
présente[113]. Tant de
cajoleries réussiraient-elles à amadouer Talleyrand ? Comme le ministre
n'avait l'air ni dépité ni irrité, qu'il s'enfermait dans un impénétrable
mutisme. Caprara se l'imagina, et,
un instant, Rome partagea son illusion. Se fiant en effet à ses assurances,
Consalvi mandait aux nonces avec satisfaction : Le
bref a été accepté... On n'a plus parlé de la
requête pour le mariage... On doit donc
espérer qu'on ne songe plus à faire, à
ce sujet, de nouvelles instances, et que le ministre n'a pas conçu d'humeur[114]. Que pouvait bien cacher le silence de Talleyrand ? VI Lorsqu'il croyait bonnement que l'affaire de Talleyrand était close, une fois de plus, le cardinal Caprara se trompait. Jusqu'ici on n'en avait guère parlé qu'à mots couverts, derrière les portes entrebâillées des chancelleries ; elle allait à présent sortir de cette demi-obscurité et faire irruption dans le public, avec fracas. Cc fut au Conseil d'État qu'elle éclata. Le 1er fructidor (19 août), le conseiller Portalis, chargé des
matières touchant au culte, y prenait la parole. Il commença par rappeler le
premier article de la loi du 18 germinal, — le premier des articles organiques
: Aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat,
provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour
de Rome, inique ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçus,
publiés, imprimés, ni autrement mis à exécution, sans l'autorisation du
gouvernement. Puis, devant l'auditoire attentif, il donna lecture du
bref pontifical du 29 juin, et il proposa sou enregistrement. Il y eut un
murmure d'étonnement. Les trembleurs levèrent
la main, d'autres levèrent les épaules, beaucoup se regardèrent en riant. Le
conseiller Truguet avoua qu'il n'avait pas compris grand'chose au texte du
bref : J'observerai à mon collègue Portalis,
dit-il, que nous avons un peu oublié le latin,
depuis qu'on nous faisait chanter vêpres au collège ; il me semble qu'il
ferait bien de nous traduire la bulle en français[115]. Regnauld de
Saint-Jean d'Angély déclara que le Conseil d'État n'était point un tribunal
de conscience à l'usage de Talleyrand, et que le bref n'était pas de sa
compétence. Plusieurs appuyèrent son avis. Réal voulut même prouver que
l'enregistrement serait dangereux. Mais Cambacérès, qui présidait, témoigna
avec humeur que le Premier consul serait fort nié-content si le bref n'était
pas enregistré. Il ajouta que cette formalité était indispensable, pour qu'il
fût, bien constaté que Talleyrand était rendu à la communion laïque. Au surplus, dit-il, je ne
conçois pas comment on peut s'opposer à l'enregistrement et à la promulgation
d'un bref du pape qui rend un évêque à la vie laïque. C'est cependant le seul
moyen d'empêcher que la cour de Rome n'empiète en France sur l'autorité
temporelle. Devant cette volonté nettement exprimée, le Conseil
d'État, selon son habitude, s'inclina. Le bref fut enregistré[116]. Le lendemain, 2 fructidor, les consuls prirent un arrêté pour promulguer le bref, et Bonaparte, qui, décidément, s'intéressait beaucoup à l'affaire de Talleyrand, signifia lui-même au citoyen Abrial, ministre de la Justice, de l'insérer au Bulletin des lois[117]. L'arrêté consulaire était ainsi libellé : Les consuls de la République, vu le bref du pape Pie VII donné à Saint-Pierre de Rome le 29 juin — sur le rapport du conseiller d'État chargé de toutes les affaires concernant les cultes : — le Conseil d'État entendu, Arrêtent : Le bref du pape Pie VII, donné fi Saint-Pierre de Rome le 29 juin 1802, par lequel le citoyen Charles-Maurice Talleyrand, ministre des Relations extérieures, est rendu à la vie séculière et laïque, aura son plein et entier effet[118]. Le tour était joué ! Le Premier consul avait interprété le bref à sa façon, et, malgré les lettres de Pie VII, de Consalvi et de Cacault, le public serait convaincu que Talleyrand était non seulement rendu à la communion laïque, mais à la vie séculière : qu'il avait le droit de se marier. A Home, lorsqu'on y connut l'arrêté consulaire, ce fut de la stupeur et de la consternation. Consalvi écrivit aussitôt aux nonces de toutes les cours d'Europe. ; il enjoignit à Caprara de fournir des explications : il fit insérer, dans certains journaux d'Italie, un article mettant les choses au point ; il prépara même une note, qu'il datait de Paris, pour les gazettes étrangères : En vertu d'un bref pontifical, le cardinal-légat a réconcilié avec l'Église le citoyen Talleyrand, ministre des Relations extérieures ; il l'a rendu à la communion des laïques, tout en lui conservant le vœu qui le lie depuis son ordination[119]. Cette note, le cardinal secrétaire d'État aurait bien désiré qu'un journal de France la reproduisît ; il essaya, mais la censure consulaire était vigilante et ne laissait rien passer. L'opposition de l'Église, qu'avait éludée Bonaparte avec cette désinvolture, n'était pas le seul obstacle au mariage de Talleyrand. La paix d'Amiens venait de rouvrir aux étrangers les portes de la France : ils s'y précipitaient à flots pressés ; ils avaient hâte de revoir le Paris brillant et joyeux où la tourmente sanglante avait passé. en faisant au loin frémir les peuples. Au milieu de cette foule, accourue de tous les points du monde, il se trouva que, dans l'été de cette même année 1802, le Calcutta de la jeunesse de Mme Grand s'était comme donné rendez-vous. Sir Philip Francis, le juge Élijah Impey, M. Grand lui-même étaient là, et l'écho, qui unissait le nom de Mme Grand à celui de Talleyrand, réveillait, sous leurs fronts grisonnants ou chauves, les souvenirs endormis. Un pamphlétaire a cru spirituel d'imaginer un souper à Neuilly, où Talleyrand les aurait tous les trois réunis autour de sa table, sous la présidence de Mme Grand[120]. La vérité est qu'il était fort ennuyé. Tous ces gens bavardaient et l'éclaboussaient de ridicule. Il ne fut pas trop malaisé d'éloigner sir Francis. Mme Grand le fit prévenir que, partant pour la campagne, elle ne pourrait le recevoir, et, afin d'éviter un mécontentement qui menaçait d'être bruyant, elle lui envoya quelques livres avec un mot aimable. Sir Francis n'insista pas[121]. M. Grand était plus encombrant. Cc singulier mari qui, après des années de silence, se rappelait tout à coup sa femme, juste le jour où elle allait convoler, s'était installé rue de Richelieu, à l'hôtel du Cercle, et, sous prétexte de visiter les monuments publics, prolongeait indéfiniment son séjour. Essaya-t-il, comme l'affirmait Napoléon à Sainte-Hélène, et, comme l'a prétendu Mme de Rémusat, de tirer de l'argent à Talleyrand ? Rien ne le prouve. Dès le mois d'août 1802, un correspondant de Louis XVIII, grand glaneur de nouvelles, a bien fixé des chiffres : M. Grand aurait exigé d'abord 80.000 francs, puis 10.000 livres sterling[122] ; mais, au milieu des inexactitudes dont ce correspondant émaille son récit, comment savoir si, par aventure, il dit cette fois la vérité ? En tout cas, Talleyrand jugeait la présence de M. Grand indiscrète et, pour l'arracher de Paris, il eut une idée magnifique. Mme Grand s'adressa, de sa part, au ministre des Affaires étrangères de la République batave, M. Van der Goës ; elle lui demandait une place lucrative dans quelque colonie hollandaise. Van der Goës, galant et empressé, offrit un poste de conseiller de régence au Cap de Bonne-Espérance, avec 2.000 florins d'appointements. C'était parfait. M. Grand se déclara enchanté et partit pour la Hollande. Mais, après avoir goûté la vie de Paris, ne voilà-t-il pas qu'il goûta de même la vie d'Amsterdam ! Il y prenait racine au grand déplaisir de Talleyrand. Il fallait mettre fin à cette comédie. Le 19 frimaire an XI (10 décembre 1802), Mme Grand écrivit de nouveau au ministre de la République batave : Monsieur, je ne veux pas tarder davantage à vous remercier de votre obligeance et de tout ce que vous avez bien voulu faire pour M. G... à ma demande. L'empressement et la grâce que vous y avez mis me prouvent, Monsieur, que l'on ne compte pas en vain sur votre amitié, et cela m'autorise à vous demander un nouveau service : c'est celui de faire enjoindre à M. G... de s'embarquer sans délai, étant tout à fait inconvenant qu'il prolonge son séjour à Amsterdam, où il est déjà depuis un mois fort mal à propos[123]... Ce billet ne resta pas sans réponse. Van der Gœs fit embarquer M. Grand, et Talleyrand respira. Il devait encore avoir une alerte. Sur ces entrefaites, la paix d'Amiens fut rompue : le navire qui portait M. Grand ne serait-il pas capturé par quelque flotte anglaise ? N'allait-on pas voir réapparaître un beau jour le mari gêneur ? Mme Grand épancha son anxiété près de Van der Gœs qui put bientôt la rassurer. Le conseiller de régence était arrivé au Cap sain et sauf[124] ; il se remaria, prétend la chronique[125], et, jusqu'en 1814, il n'en fut plus question. Mme Grand avait signé une lettre du 1er vendémiaire au
ministre hollandais : Talleyrand-Périgord, née
Worlée. Elle avait ajouté dans un post-scriptum : Vous observerez, au nom que mon union avec M. de
Talleyrand me donne le droit de porter, combien la tendre et sincère
affection de cet aimable ami m'a rendue la plus heureuse des femmes. Mme Grand était, en effet, devenue Mme de Talleyrand sans bruit, mais sans mystère. Le 22 fructidor an X (9 septembre 1802), Talleyrand avait réuni quelques amis et quelques parents dans sa villa de Neuilly, et, en leur présence, le notaire Lecerf avait donné lecture du contrat de mariage. L'acte officiel énumère les biens apportés par l'épouse : habits, linge, dentelles, bijoux et diamants pour une somme de 300.000 francs, tout un mobilier ; plus une maison sise rue d'Anjou-Saint-Honoré et une terre, Pont-de-Sains, qu'avait possédée, avant la Révolution, le due d'Orléans ; enfin, des valeurs, des titres de rente, des fonds déposés dans une banque de Hambourg, etc. Mme Grand avait-elle donc une énorme fortune ? Il faut en rabattre. A Talleyrand, pour dire le vrai, appartenaient la maison de la rue d'Anjou et la propriété de province, mais, par galanterie, il les mettait au nom de sa future : il se réservait seulement, par l'article 8, d'être, en cas de décès, sauf pour les bijoux, son légataire universel. Bonaparte et Joséphine, les consuls Cambacérès et Lebrun, le secrétaire d'État haret, Archambauld et Boson de Périgord, frères de Talleyrand, les deux notaires Fleury et Lecerf, signèrent le contrat avec les fiancés. Le lendemain, 23 fructidor, le mariage fut célébré à la mairie du Xe arrondissement de Paris. Ainsi que l'exigeait la loi, M. de Talleyrand et Mme Grand se présentèrent assistés de leurs témoins : c'étaient Rœderer, président de la section de l'Intérieur du Conseil d'Etat, et le vice-amiral Bruix pour le ministre des Relations extérieures ; le général en chef Beurnonville, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République près la cour de Prusse, et un personnage qu'on trouve sans cesse dans l'ombre de Talleyrand, Radyx Sainte-Foy, pour la fiancée. Avec eux, le prince de Nassau-Siegen, grand d'Espagne de la première classe, lieutenant général au service de Sa Majesté catholique, et amiral au service de l'empereur de Russie, ami des deux époux, apposa sa signature sur le registre municipal[126]. Talleyrand ne se contenta-t-il pas de ce mariage purement civil ? Voulut-il y joindre, par zèle à se conformer aux usages renaissants, la bénédiction d'un prêtre ? Consalvi le craignait, Mme de Rémusat l'affirme, et le futur chancelier Pasquier donne ces détails : Le mariage fut en quelque sorte célébré furtivement à Épinay, dans la vallée de Montmorency. M. de Monville, ancien conseiller au Parlement de Paris et propriétaire dans ce village, avait arrangé l'affaire avec le curé. Cette complaisance de M. de Monville — elle fut, je crois, ménagée par M. Louis — lui a valu, en 1815, une pairie, lorsque M. de Talleyrand a été président du Conseil (2)[127]. Bien que les renseignements du chancelier Pasquier soient souvent sujets à caution, et si osée que semble la chose, on doit avouer qu'elle n'est pas invraisemblable. Personne, à cette heure. en France, n'élevait de doutes sur la sécularisation totale de Talleyrand. Dans les sphères officielles, la consigne était d'en faire l'annonce, bruyamment ; d'autre part, le légat se contentait de gémir sur son impuissance à rétablir la vérité, et les milieux ecclésiastiques eux-mêmes, qui ne savaient rien du fond de l'affaire, partageaient l'erreur générale. Il paraît, écrivait à un de ses amis le nouvel archevêque de Bordeaux, Mgr d'Aviau, que le ministre Talleyrand est déprêtrisé et désépiscopisé, qu'il pourra se marier, etc.[128]. Talleyrand, s'il tint à recevoir la bénédiction nuptiale, n'a donc meule pas dal avoir beaucoup de peine à découvrir l'abbé qui consentit à prêter son ministère. On incline à croire (pie ce put être le curé d'Épinay-sur-Seine. Il s'appelait M. Pourez ; il avait. disait-on, adhéré à la Constitution civile, et, eu outre, il comptait au nombre de ses paroissiennes Mme Grand, qui avait passé plusieurs étés à Épinay, dans une petite maison toute proche de l'église. Les uns prétendent encore que la cérémonie religieuse aurait eu lieu dans son église même d'Épinay ; d'autres dans l'église des Missions étrangères, qui était, rue du Bac, la plus voisine de l'hôtel Galliffet ; enfin, le bruit se répandit, dans certains milieux parisiens, que, pour dépister les soupçons, Talleyrand aurait fait venir le curé d'Épinay à Saint-Gratien, où son ami et son témoin, l'amiral Bruis, habitait une maison de campagne qui avait appartenu jadis à Catinat[129]. Comment le prouver ? Le registre paroissial d'Épinay a disparu ; celui des Missions étrangères est muet[130]. On est ici dans le champ des suppositions. Aucune preuve matérielle n'existe que Talleyrand se soit marié à l'église. Peut-être. au moment d'enfreindre la défense formelle du Saint-Siège, fut-il arrêté par un dernier scrupule. Peut-être recula-t-il devant un scandale qui, selon une forte expression de Mgr Dupanloup, l'aurait enchaîné violemment au mal comme on avait essayé, en lui imposant une vocation religieuse qu'il n'avait pas, de l'enchaîner violemment au bien. VII La nièce de Talleyrand, la duchesse de Dino, raconte que
son oncle octogénaire portait douloureusement le poids de bien des
circonstances de sa vie. Il avouait devant elle. dans ses journées solitaires
de Valençay., que des souvenirs du passé le troublaient, et, une fois qu'elle
le questionnait sur certains faits : En vérité,
finit-il par répondre, je ne puis vous en donner
aucune explication suffisante. Cela s'est fait dans un temps de désordre
général ; on attachait alors grande importance à rien, ni à soi, ni aux
autres... Vous ne pouvez savoir jusqu'où les
hommes peuvent s'égarer aux époques de décomposition sociale. Parmi
les événements qui remontaient ainsi péniblement à la mémoire de Talleyrand.
il est permis de penser que son mariage était au premier rang. Il l'avait
contracté pour mettre fin à un scandale, et le scandale avait redoublé ; il
avait cru sortir d'une situation fausse, et il s'y était à tout jamais
emprisonné. Talleyrand reconnut bientôt son erreur. Le monde lui fut sévère. Ceux qui l'aimaient le plus furent affligés ; sa vieille mère versa des larmes. Devant le mauvais effet produit, le Premier consul, dès le lendemain du mariage, oublia que, la veille, il y poussait son ministre. Il traita Mme de Talleyrand toujours avec froideur, souvent avec impolitesse. On prétend que le jour où, nouvelle épousée, elle parut aux Tuileries pour la première fois, il la salua de cette apostrophe : J'espère que la bonne conduite de la citoyenne Talleyrand fera oublier les légèretés de Mme Grand. Prenant un air candide, elle aurait répondu : Je ne saurais mieux faire que de suivre à cet égard l'exemple de la citoyenne Bonaparte. Et le consul, qui n'aimait pas les leçons, était parti la colère dans le regard. Tout de suite, il chercha, par lies affronts, à l'éloigner de sa cour[131] : à la fin même, empereur, il lui en interdit l'accès. — Lorsque, en 1804, le pape Pic VII vint à Paris, il stipula expressément que Mme de Talleyrand ne lui serait pas présentée ; et il v eut, à la cour et à la ville, une nouvelle poussée de sarcasmes. Talleyrand laissa dire. Impénétrable, selon son habitude, il opposait un front d'airain aux ennuis ; aux humiliations, aux déboires que lui apportait la vie conjugale. Il s'enfermait dans un silence qui avait sa dignité. Personne, même pas son ami d'enfance, Choiseul-Gouffier, n'a pu se vanter d'avoir revu ses confidences[132], et, sphinx jusque dans la tombe, il n'a pas voulu qu'en lisant ses mémoires, on déchiffrât son secret. Cependant, le regard tendre et clairvoyant de Mme de Rémusat a cru distinguer une souffrance sous cette impassibilité. Il essayait, dit-elle, par une vie toute factice, d'échapper à l'amertume de ses pensées. Les affaires publiques le servirent et l'occupèrent ; il livra au jeu le temps qu'elles lui laissaient. Toujours environné d'une cour nombreuse, donnant aux affaires sa matinée, à la représentation le soir, et la nuit aux cartes, jamais il ne s'exposait au tête-à-tête fastidieux de sa femme, ni aux dangers d'une solitude qui lui eût inspiré de trop sérieuses réflexions. Toujours attentif à se distraire lui-même, il ne venait chercher le sommeil que lorsqu'il était sûr que l'extrême fatigue lui permettrait de l'obtenir[133]. Quant à Mme de Talleyrand ; elle n'avait pas à fuir sa vie intérieure. Son nouvel état l'enchantait. La petite créole, passée grande dame, était au comble de ses vœux et rayonnait d'orgueil. Mme de Talleyrand portait allégrement ses quarante ans. Sa beauté n'avait point encore de rides. Mme de Rémusat elle-même, qui la détestait aussi cordialement qu'elle affectionnait Talleyrand, a tracé d'elle un portrait que, malgré la malveillance de certains coups de pinceau, bien des jolies femmes envieraient. Écoutez-la : Je n'ai point connu Mme Grand dans l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté, mais j'ai entendu dire qu'elle avait été une des plus charmantes personnes de son temps. Grande, sa taille avait toute la souplesse et l'abandon gracieux si ordinaire aux femmes de son pays. Son teint était éblouissant, ses yeux d'un bleu animé ; le nez un peu court, retroussé cl, par un hasard assez singulier, lui donnant quelque ressemblance avec M. de Talleyrand. Ses cheveux, d'un blond particulier, avaient une beauté qui passa presque comme un proverbe. Je crois qu'elle devait avoir au moins trente-six ans quand elle épousa M. de Talleyrand. L'élégance de sa taille commençait à disparaître un peu par l'embonpoint qu'elle prit alors, qui a fort augmenté depuis, et qui a fini par détruire la finesse de ses traits et la beauté de son teint devenu fort rouge[134]. Mme de Rémusat était bien pressée d'annoncer le déclin. Il existe, au musée de Versailles, parlai les esquisses de Gérard, un portrait de Mme de Talleyrand daté de 1805. C'est une bonne peinture qu'on sent fidèle. Mme de Talleyrand, vêtue de mousseline blanche, se tient debout près d'une cheminée, on pleine lumière ; la flamme du foyer jette sur sa robe des reflets pourpres. Dans cette toile, ainsi que le remarquait naguère un connaisseur[135], on retrouve presque trait pour trait la femme si bien décrite par Mme de Rémusat. Seulement, son visage n'est point fané, sa taille n'est point épaissie : fraiche, blonde, élancée, elle garde intacts ses charmes[136]. Mme de Talleyrand, belle comme elle était encore, aimait le monde, le luxe, les l'ôtes : elle les aimait d'autant plus qu'elle sentait approcher l'automne. Elle fut très déçue que les portes des Tuileries ne s'ouvrissent pas devant elle, à deux battants, et, pour se dédommager, elle tint ses états à l'hôtel Galliffet. Chaque semaine, à jour fixe, les personnages de marque, Français ou étrangers, venaient y saluer la femme du ministre des Relations extérieures. Mais ce qui la ravissait par-dessus tout, c'étaient les grandes réceptions solennelles. Dans son amusant journal, une personne fort spirituelle, de passage à Paris, Mme de Cazenove d'Ariens, dont le beau-frère avait un poste au ministère, nous décrit une soirée où elle fut conviée, le 16 février 1803. Les carrosses faisaient queue dans la rue du Bac ; la cour de l'hôtel Galliffet était archicomble. Il fallait, pour avancer, attendre son tour. Enfin, on arrivait ; on montait le vaste escalier rempli de lieurs et de lumières ; on était ébloui. Dès le premier salon, M. de Talleyrand, impassible, très pâle dans son costume de velours rouge brodé d'or, recevait tes invités ; plus loin, Mme de Talleyrand, grande, belle, bien mise, attendait les hommages. Tous les ambassadeurs résidant à Paris, tous les princes, toutes les princesses, les femmes qui veulent se maintenir dans ce régime-ci, sortaient et entraient et venaient courber leurs fronts : les hommes en habits brodés avec leurs ordres ; les femmes en robes de velours, beaucoup de satin blanc et des robes de crêpe blanc, d'autres en robes de dentelles noires, beaucoup de diamants. Le clou de la fête fut l'apparition de l'envoyé de Tunis, un grand homme, avec un turban, des moustaches bien noires, une robe grise garnie d'hermine sur des pantalons rouges brodés ; il traversa la haie des cordons, des étoiles, des habits chamarrés, toujours se prosternant, jusqu'à Mme de Talleyrand[137]. — De telles fêtes n'étaient point rares chez Talleyrand. Aussi longtemps que dura l'Empire, qu'il fût en faveur ou en disgrâce, ministre, vice-grand électeur, grand chambellan, ses salons exercèrent toujours le même attrait ; comme dans une lanterne magique géante, les notabilités du monde entier y défilèrent. Les réceptions de Talleyrand ne prenaient pas toutes un caractère d'apparat. Il y en avait de restreintes, comme cette sauterie dont parle le comte de Bentheim, pendant laquelle Mme de Laval, amatrice, pinça de la harpe, où un autre invité joua un air de flûte, et qui se termina par quelques danses qu'accompagnait un seul violon[138]. Et il y en avait d'intimes. A travers ses métamorphoses, Talleyrand restait un homme (l'autrefois. Le dignitaire de l'Empire gardait le goût des milieux exquis où l'abbé de Périgord avait, par quelques mots heureux, conquis d'emblée une réputation. Il était un causeur sans égal ; il savait parler des choses graves avec compétence et légèreté, évoquer des souvenirs, conter des anecdotes, jeter l'étincelle d'un trait d'esprit. Si la conversation de M. de Talleyrand pouvait s'acheter, disait Mme de Staël avant leur brouille, je m'y ruinerais ! — Souvent, le soir, un cercle charmé se groupait autour de lui. Mme de Talleyrand en occupait le haut bout. Elle se tenait droite sur son fauteuil, un peu raide et guindée dans ses atours magnifiques ; les cheveux couronnés de Heurs, inique lorsqu'elle grisonna. Elle ne disait pas grand'chose. Les amies de son mari, la duchesse de Luynes et la princesse de Vaudemont ; la vicomtesse de Laval ; Aimée de Coigny, tour à tour duchesse de Fleury et Mme de Moribond ; plus tard, Mme de Rémusat, qui suait à grosses gouttes[139] pour trouver de l'esprit ; Mme de Flahaut devenue Mme de Souza ; une délicieuse Italienne, instruite et gaie, Mme de Brignole, ou encore une Polonaise à qui son œil de verre donnait un profil bizarre, la comtesse Tyskiewitz, sœur du prince Poniatowski, — l'auraient presque traitée comme une intruse. On la saluait en entrant et en sortant : rien de plus. Lorsque Talleyrand se taisait ou qu'il s'asseyait à la table de whist, la conversation tombait, et la pauvre princesse de Bénévent, qui ne s'intéressait qu'à la pluie et au beau temps, à des questions d'étiquette et à des problèmes généalogiques, était inhabile à la faire rebondir[140]. Mais son salon ne désemplissait pas, et elle était heureuse. Quelquefois, selon une mode du temps, des auteurs en vogue offraient à leurs hôtes le régal d'une lecture. Très recherchées des belles dames, ces solennités littéraires n'étaient pas toujours des parties de plaisir. Un soir qu'après dîner, dans la villa de Neuilly, Népomucène Lemercier déroulait, d'une voix monotone, les insipides alexandrins d'une de ses tragédies, les auditeurs baillaient. Tout à coup, haussant le ton à un changement d'acte : La scène est à Lyon, dit-il. Mme de Talleyrand, qui somnolait dans son fauteuil, se dressa brusquement et, tournée vers son mari : Vous voyez, mon ami, que j'avais raison ; vous vouliez que ce fût la Saône ! Il y eut de petits rires vite étouffés. Le poète, tout interloqué, s'était arrêté net. Alors Talleyrand, sans abandonner son sérieux, raconta que, dans un voyage à Lyon, il y avait de cela quelques semaines, sa femme, passant avec lui sur un pont, avait demandé le nom du cours d'eau : c'était la Saône. La Saône, avait-elle repris ; quelle différence bizarre de prononciation ! A Paris, on dit la Seine ! Talleyrand, amusé de l'erreur, n'avait point insisté ; et voilà qu'à présent l'assistance, qui riait de bon cœur, échappait à l'ennui déversé à flots par Népomucène Lemercier[141]. — Au reste, les littérateurs n'auraient jamais eu de chance avec Mme de Talleyrand. Témoin cette autre histoire dont Napoléon faisait encore des gorges chaudes à Sainte-Hélène[142] : Talleyrand avait invité à dîner l'égyptologue Donon ; pour préparer à sa femme un sujet de conversation, il lui conseilla de parcourir un des livres de son convive ; Mme de Talleyrand se trompa de volume ; elle prit, dans la bibliothèque, les Aventures de Robinson Crusoë ; elle les dévora d'une traite avec passion ; le soir venu, à table, toute pleine de sa lecture, elle n'eut rien plus pressé que de parler à Denon de ses aventures prodigieuses : Ah ! Monsieur, par quelles émotions vous avez del passer ! Ce naufrage ! Cette île déserte ! Et que vous deviez avoir une drôle de figure avec votre grand chapeau pointu ! Le savant n'y comprenait rien et restait abasourdi. Enfin, le mystère s'éclaircit ; Mme de Talleyrand l'entreprenait sur son compagnon de misère, le fameux Vendredi... Le malheur de cette anecdote, dont on a voulu tour à tour que Denon, Humboldt et un sir Georges Robinson fussent le héros, c'est qu'elle n'a même pas été inventée pour Mme de Talleyrand ; des années avant sa naissance, paraît-il, les conteurs de salons la colportaient déjà : ils n'y faisaient qu'une variante, ils attribuaient le quiproquo à un abbé[143]. Avec les historiettes qui courent sur la princesse de Bénévent, on écrirait tout un volume. Les contemporains, hommes et femmes, se sont ingéniés malignement à la tourner en ridicule, et, selon une line remarque d'un de ses défenseurs[144], il fallait, puisqu'elle était très belle, qu'elle fût très hèle. Dans les souvenirs où son nom est prononcé, sa bêtise, en effet, revient comme un refrain. Elle est, dit la comtesse Potoçka, d'une nullité que rien ne peut dissimuler. Le général Thiébault ajoute : Elle est sotte à l'excès. Sur son visage, reprend Mme de Cazenove, on lit : Bêtise et vanité. Mme de Rémusat renchérit encore : Elle a le son de voix désagréable, de la sécheresse dans les manières, une malveillance naturelle à l'égard de tout le monde et un fonds de sottise inépuisable, qui ne lui a jamais permis de rien dire à propos (2)[145]. Napoléon a mis sa note dans le concert : Elle était très belle femme, Anglaise ou des Indes orientales, mais sotte et de la plus parfaite ignorance[146]. Bien plus, on a voulu que Talleyrand lui-même ait eu le mauvais goût d'avouer que sa femme était sans esprit. En pleine lune de miel, la comparant à Mme de Staël, il se serait écrié : Il faut avoir aimé une femme de génie pour savourer le bonheur d'aimer une bête ! Une autre fois, devant un cercle de diplomates, il aurait émis cet aphorisme : Une femme spirituelle compromet souvent son mari, une femme bête ne compromet qu'elle seule. N'aurait-il point aussi fait à l'empereur des confidences ? Sire, je l'ai épousée parce que je n'ai pu en trouver une plus bête : ou bien, empruntant un trait à Chamfort : Elle a de l'esprit, comme une rose. Enfin, pour couronner leur échafaudage de méchancetés, les ennemis de Mme de Talleyrand ont triomphalement placé dans sa bouche le mot célèbre : Je suis d'Inde. Que valent ces propos du monde ? Peu de chose assurément. Selon le vieux proverbe, à vouloir trop prouver, on ne prouve rien. Et la stupidité de Mme de Talleyrand, dont certains auraient été heureux de coiffer son mari comme d'un bonnet d'âne, serait difficile à établir. Le royaliste Michaud, qui n'est tendre ni pour Talleyrand ni pour son entourage, déclare que la conversation de la princesse de Bénévent n'était point celle d'une sotte[147]. De son côté, Mme de Chastenay, qui avait, en 1806, fait sa connaissance, et qu'aucun intérêt ne poussait à la défendre, écrit dans ses mémoires[148] : Elle était très belle, et je n'ai jamais rien entendu sortir de sa bouche qui ressembla aux propos vides de sens que l'on se plaisait à lui prêter. Jamais elle n'a proféré devant moi une seule phrase de mauvais ton ; jamais elle n'a dit, un mot qu'on prit qualifier de bêtise. Je l'ai toujours vue parfaitement polie et pour les autres et pour moi, et sa conversation, sans être distinguée, ne m'a jamais paru inférieure aux conversations ordinaires lies personnes dont on ne songe point à accuser principalement l'esprit. Mieux encore que des assertions, qu'on peut toujours suspecter, les faits se chargent de démentir la niaiserie de l'ex-Mme Grand. N'en déplaise à Mme de Rémusat et à Napoléon, la femme qui sut prendre Talleyrand dans ses filets et l'y retenir ; qui gagna cette invraisemblable gageure de l'amener au mariage, — cette femme-là ne manquait pas de finesse. Et, s'il est vrai, comme on Fa souvent insinué, qu'elle ait eu le goût des affaires, — tripotant avec une Russe pour organiser la contrebande dans l'empire des tzars[149], ou tirant 100.000 francs de marchands génois qui désiraient obtenir une faveur par son entremise[150], — cela démontrerait que, sans scrupules. elle n'était pas sans intelligence. Mme de Talleyrand écrivait des lettres. Certes, dans
celles que nous connaissons, rien ne révèle une Mme de Sévigné ; mais rien
non plus, sauf parfois une fantaisie d'orthographe ou une bévue géographique[151], n'y détonne
par de l'étrange ou du grotesque. C'est, en général, sans apprêt, sans
prétention, correct et banal. Voici comment, par exemple, d'Aix-les-Bains, où
elle soignait au mois de juin 1811 une ébullition
tenace, elle décrit la Savoie à son ami, l'amateur d'arts Millin : Je suis, Monsieur, dans l'enchantement du pays que j'ai
parcouru. Jusqu'à Genève, les sites sont pittoresques ou sévère (sic), et souvent
effrayants. Mais l'approche de Genève est enchanteur (sic). Ce beau lac
et ce qui l'environne n'a rien qui puisse l'égaler ; les jolies maisons de
campagne répandues autour offrent des vues charmantes. Les sommets du
Mont-Blanc et les glaciers couronnent d'une manière imposante ces riants
tableaux, qu'on ne peut se lasser d'admirer. Quant à la ville d'Aix,
Monsieur, qu'on est tenté de prendre pour un mauvais village, elle n'a rien
d'attrayante (sic), mais les environs sont variés et pittoresques. Il y a
des points de vue charmants. Le lac du Bourget a bien aussi son mérite : il
est encaissé de rocs et de montagnes, son aspect n'est point riant comme
celui de Genève (sic), mais il a quelque chose de sombre et de mélancolique :
l'un invite à la joie, l'autre à la douce rêverie... D'autres lettres,
qu'elle adressait au méfie Malin rendant un voyage qu'il faisait en Italie,
sont remplies de petites nouvelles mondaines : Mme de Laval est allée à
Orléans, Mme de Dalberg est grosse, Mme Edmond de Périgord commence son
service auprès de Sa Majesté, M. de Choiseul est souffrant, la duchesse de Courlande a loué une maison ruo Poissonnière, etc., etc. Elle parle musique, lectures, théâtres. En habituée des Français, elle apprécie les pièces nouvelles et juge les acteurs en vogue, ou bien encore, bonne femme, elle dépeint son intérieur, montrant M. de Talleyrand qui joue au billard et qui s'exerce à l'équitation dans sa nouvelle terre de Saint-Brice, pendant que la petite Charlotte se fait grande demoiselle et devient de plus en plus aimable. Et cette correspondance, qui n'est point palpitante, n'est pas plus d'une oie que d'une aigle[152]. La vérité, pour quiconque ne veut être ni détracteur ni apologiste, c'est que Mme de Talleyrand, princesse de Bénévent, restait, sous ses titres et ses bijoux, la fille du petit fonctionnaire de Chandernagor, la femme du petit employé de Calcutta. A l'exemple de tant d'autres, que la Révolution hissa brusquement au premier rang, elle n'eut jamais ni les traditions, ni les usages, ni les manières, ni le ton, ni l'esprit du monde, toutes choses qui ne s'improvisent guère. Sans culture, elle ne savait pas causer ; sans éducation, elle partait à la promenade juste à l'heure fixée pour ses réceptions, ou bien se mettait à table avant l'arrivée de ses invités : sans distinction, elle tirait vanité des blasons de sou mari, elle était prétentieuse et parfois hautaine[153]... Pour tout dire d'un mot, le mutuel malheur des deux époux fut de s'être épousés. Napoléon, qui jugeait si durement Mme de Talleyrand, fit
cependant, un jour. appel à ses services. Il s'agissait presque d'une mission
de confiance ! C'était au mois de-mai 1808. Les princes d'Espagne venaient de
se laisser choir dans le traquenard de Bayonne, et l'empereur envoyait le
père, Charles IV, au château de Compiègne ; les fils, Ferdinand, prince des
Asturies. et Carlos, avec don Antonio, leur oncle, au château de Valençay,
qu'avait acheté cinq ans plus tôt M. de Talleyrand. De Bayonne même, le 9
mai, le maître dictait ses ordres : Veillez,
mandait-il à son vice-grand électeur, à ce que les
appartements soient en état ; faites préparer le linge de table, la literie,
la batterie de cuisine. Je désire que ces princes soient reçus sans éclat
extérieur, mais honnêtement et avec intérêt, et que vous fassiez tout ce qui
sera possible pour les amuser. Si vous avez à Valençay un théâtre, et que
vous fassiez venir quelques comédiens, il n'y aura pas de mal. Vous pourriez
y faire venir Mme de Talleyrand avec quatre ou cinq femmes. Si le prince des
Asturies s'attachait à quelque jolie femme, et qu'on en fût sûr, cela
n'aurait aucun inconvénient, puisqu'on aurait un moyen de plus de le
surveiller... Quant à vous, continuait l'empereur, votre mission est assez honorable : recevoir trois
illustres personnages pour les amuser est tout à fait dans le caractère de la
nation et dans celui de votre rang[154]. Talleyrand accueillit sans entrain le message impérial ;
il lisait entre les lignes. Ce n'était pas une faveur, c'était une
humiliation qu'il recevait là de Napoléon. En l'instituant geôlier d'un
souverain détrôné, on le compromettait aux yeux des monarques de l'Europe. En
proposant cyniquement à sa femme de jouer un rôle inavouable, on lui faisait
un affront sanglant. En l'enfermant à Valençay avec ses prisonniers, on
l'éloignait de Paris où, depuis huit mois qu'il n'était plus ministre des
Relations extérieures, il vivait dans une demi-retraite frondeuse. Talleyrand
sentit tout cela ; mais il s'inclina : Je répondrai
par tous mes soins, écrivit-il à Napoléon le 13 mai, à la confiance dont Votre Majesté m'honore... Mme de Talleyrand est partie dès hier soir pour donner les
premiers ordres. Le château est abondamment pourvu de cuisiniers, de
vaisselle, de linge de toutes espèces. Les princes y auront tous les plaisirs
que peut permettre la saison, qui est ingrate. Je leur donnerai la messe tous
les jours, un pare pour se promener, une fora très bien percée, mais où il y
a très peu de gibier, des chevaux, des repas multipliés et de la musique. Il n'a
point de théâtre, il serait plus que difficile de trouver des acteurs. Il y
aura d'ailleurs assez de femmes pour que les princes puissent danser si cela
les amuse... Quelques jours plus tard, les princes, accompagnés du chanoine Escoïquitz et d'un duc, à bonnes fortunes, M. de San Carlos, arrivaient à Valençay, et leur captivité très douce commença. Les maîtres de maison avaient bien fait les choses. Sous le soleil d'été, le grand château délabré avait pris un faux air de palais castillan. Le drapeau rouge et jaune flottait au faîte du donjon ; les laquais avaient endossé la livrée aux couleurs d'Espagne. Dans les bosquets, le célèbre Castro jouait de sa guitare. Et Talleyrand, attentif et discret, organisait pour ses hôtes les divertissements. Rien ne leur manqua. La table était exquise. Ils se promenaient à pied dans les charmilles ombreuses du parc. à cheval ou en calèche dans la forêt de Gâtine ; ils chassaient : un vieux garde du prince de Condé, nominé Aubry, leur fit tirer leur premier coup de fusil ; ils pêchaient, ils faisaient de la musique avec Mme de Talleyrand, ils dansaient. Mmes de Bellegarde, la femme et la belle-sueur du feld-maréchal autrichien qui avait discuté avec Bonaparte les préliminaires de Léoben, la duchesse de Gènes, Mme de Brignole, d'autres femmes aimables leur donnaient l'illusion dune cour. Le soir, on récitait la prière en commun[155]. Hélas ! ces distractions innocentes ne suffirent point aux exilés. Après que Talleyrand, vers le milieu d'août, eut regagné Paris, d'où il devait suivre l'empereur à Erfurt, — Mme de Talleyrand restant à Valençay pour que le château ne prenne pas tout à coup l'air monacal (2)[156]. — le prince des Asturies se mit à courtiser une jeune fille de la maison, et l'irrésistible San Carlos débita ses fadaises à la châtelaine elle-même. On dit qu'il fui écouté. Aux derniers beaux jours. Mme de Talleyrand quitta
Valençay et n'y reparut plus. Mais, pour son malheur, elle n'en avait pas
fini avec les Espagnols. Un rencontrait sans cesse. dans son salon de Paris,
le chanoine Escoïquitz en soutane, avec une culotte
immense et le grand cordon de Charles III en bandoulière[157]. On y
rencontrait aussi, — chose plus compromettante, — le duc de San Carlos, qui
éblouissait les visiteuses par le feu d'artifice de ses galanteries. Au bout
de peu de temps, comme cela devait arriver. le bruit d'une liaison se
répandit. L'empereur en fut instruit et, un matin, à son lever, ne craignit
pas faire, en présence de Talleyrand, une allusion outrageante ; il s'attira
cette réplique : Pour la gloire de Votre Majesté et
pour la mienne, il serait à désirer qu'il ne fût jamais question des princes de
la maison d'Espagne[158]. L'empereur ne
répondit rien ; mais il se vengea. Ce serait, à la suite de ce petit scandale
que Mme de Talleyrand aurait vu se fermer devant elle, définitivement, les
portes des Tuileries[159]. En tout cas,
San Carlos fut interné à Bourg-en-Bresse, et l'on prétendit que son amie
désolée n'eut plus d'autres ressources que d'entretenir avec lui, grâce au
bon Escoïquitz, une correspondance discrète et tendre[160]. Nous n'avons pas à suivre ici M. et Mme de Talleyrand dans leur maison de la rue d'Anjou-Saint-Honoré, renommée pour ses bals d'enfants et ses soirées de musique ; ni à l'hôtel Monaco, rue de Varenne, qu'un étranger appelait la petite cour ; ni même dans le palais fameux de la rue Saint-Florentin, où aboutissaient tant de fils, que ne parvenait point à saisir la police inquiète, du due de Rovigo, et où finit par se jouer, au milieu des whists, la partie décisive de 1814. Ils vivaient maintenant presque, séparés ; ils n'habitaient plus que rarement sous le même toit, et c'était souvent sa nièce, la comtesse Edmond de Périgord, plus tard duchesse de Dino, qui présidait les dîners de M. de Talleyrand. Mme de Talleyrand avait salué le retour des Bourbons avec ivresse. Dans sa page à la Saint-Simon, sur la journée du 31 mars, Chateaubriand lui a consacré quelques lignes[161] : Je n'ai point vu de châtelaine, point de Jeanne d'Arc, proclamer le souverain de droit, un faucon sur le poing ou la lance à la main ; mais Mme de, Talleyrand, que Bonaparte avait attachée à son mari comme un écriteau, parcourait les rues en calèche, chantant des hymnes sur la pieuse famille des Bourbons. Elle ne se doutait pas alors, l'ex-Mme Grand, que sa situation serait, sous Louis XVIII, plus difficile encore que sous Napoléon : les événements eurent vite fait de l'éclairer. Trop de gens, à la cour nouvelle, se souvenaient de l'évêque d'Autun ; son mariage restait pour eux un scandale tout frais, un inépuisable thème à sarcasmes et à brocards. Les journaux eux-mêmes s'en mêlaient. Le malicieux Nain jaune prétendait avoir découpé cet entrefilet dans une feuille anglaise : Paris, 6 mai 1814. Hier, après la messe, M. l'évêque d'Autun a eu l'honneur de présenter sa femme au fils de saint Louis. Talleyrand affecta de ne pas entendre toutes ces criailleries et, sur ces entrefaites, il partit pour le congrès de Vienne. Il laissait sa femme à Paris. A la faveur de l'éloignement, peut-être la malignité publique chercherait-elle un autre aliment, ou bien encore une occasion surgirait-elle qui permit d'arranger les choses ? En arrivant à Vienne, la première personne que rencontra Talleyrand fut le cardinal Consalvi. Ils n'avaient eu que de lointains rapports depuis les négociations du Concordat ; ils se reconnurent et échangèrent des prévenances[162]. Par une attention flatteuse, l'envoyé de Louis XVIII proposa spontanément que le représentant du Saint-Siège fit partie du comité principal du congrès et y occupât la place d'honneur. Ils se voyaient, le matin ou l'après-midi, aux séances diplomatiques : ils se revoyaient, le soir, dans les salons. Ils furent bientôt en excellents termes. Or, un jour, — c'était au commencement d'octobre, — Talleyrand remit à son collègue romain une lettre qu'il avait, disait-il, trouvée pour lui dans sou courrier. Consalvi la décacheta. Stupeur : elle était de Mme de Talleyrand ! En quelques lignes, aussi aimables que banales, la princesse rappelait au secrétaire d'État les relations qui s'étaient nouées entre eux, à Paris, sous le Consulat. Consalvi, à cette lecture, flaira toute une machination savante. Il s'imagina qu'on voulait obtenir de lui une réponse qui serait une reconnaissance implicite du mariage : on la montrerait au roi, on la ferait circuler à la cour et à la ville, qui sait ? on la rendrait publique, et la bouche serait ainsi close aux malintentionnés qui ne pourraient être, en pareille matière, plus difficiles qu'un prince, de l'Église. Consalvi était très ennuyé : répondre en adressant la lettre à Mme Grand serait un outrage : ne pas répondre du tout serait une impertinence, et si Talleyrand, comme il le croyait, était de connivence avec sa femme, des représailles étaient à craindre. Il demanda des instructions à Rome. Ce fut le cardinal Pacca qui les envoya. Écrivez à Mme de Talleyrand, conseilla-t-il à Consalvi ; seulement, que l'adresse ne soit pas de votre main, ne cachetez pas avec vos armes, et, de la sorte, personne n'aura le droit de dire que vous approuvez le nom et le titre portés par cette dame. Cette manière élégante de tourner l'écueil pourra sembler un peu trop habile, mais Consalvi n'avait pas le choix : il suivit les indications de Pacca, et cet échange de lettres, auquel Talleyrand, très innocent peut-être en cette circonstance, ne fit aucune allusion, n'eut pas de lendemain[163]. En 1815, après l'aventure des Cent-Jours, lorsque Talleyrand regagna Paris, il fut bien obligé de prendre un parti. Avec les Bourbons et la Charte, l'âme de la société française était plus haute et plus libre ; à moins de braver l'opinion publique, une séparation définitive s'imposait. Talleyrand, si l'on se fie aux apparences, n'eut pas beaucoup de mal à se décider : la princesse, devenue très grosse, très lourde, très rouge, d'humeur souvent maussade, n'avait pas su vieillir, et la brillante et spirituelle comtesse Edmond de Périgord faisait infiniment mieux qu'elle les honneurs des réceptions à l'hôtel de la rue Saint-Florentin. Mais Mme de Talleyrand se résigna moins aisément. Au moment du retour de l'île d'Elbe, elle s'était réfugiée à Londres. Bonne occasion pour qu'elle y restât ! Malheureusement, elle s'y déplut : les brouillards de la Tamise étaient, assurait-elle, contraires à sa santé ; elle annonça vite son intention de regagner Paris. Le marquis d'Osmond, père de Mme de Boigne, qui venait d'être désigné, par le choix de Talleyrand, comme ambassadeur à Londres, fut chargé de lui faire entendre raison. La commission fut moins pénible qu'on ne pouvait croire. Mme de Talleyrand gémit, mais consentit. Je porte la peine, déclara-t-elle mélancoliquement à Mme d'Osmond, d'avoir cédé à un faux mouvement d'amour-propre. Je savais l'attitude de Mme Edmond chez M. de Talleyrand à Vienne ; je n'ai pas voulu en être témoin. Cette susceptibilité m'a empêché d'aller le rejoindre, comme je l'aurais dû, lorsque le retour de Vile d'Elbe m'a forcée de quitter Paris. Si j'avais été à Vienne au lieu de venir à Londres, M. de Talleyrand aurait été forcé de me recevoir. Et je le connais bien, ajouta-t-elle non sans finesse, il m'aurait parfaitement accueillie. Plus cela l'aurait contrarié, moins il y aurait paru. Au contraire, il aurait été charmant pour moi... Où je me suis trompée, c'est que je le croyais trop faible pour jamais oser me chasser. Je n'ai pas assez calculé le courage des poltrons dans l'absence ! J'ai fait une faute, il faut en subir la conséquence et ne point aggraver la position en se raidissant contre. Je me soumets[164]... Il fut convenu qu'elle passerait les étés à Pont-de-Sains, dans la terre qui lui avait été donnée lors de son mariage, et les hivers à Bruxelles ; et, sans plus attendre, elle se rendit à Pont-de-Sains. Elle y était dés le 25 mai 1816. Ce jour-là même, elle écrivait de son bain, entourée de lilas, au chevalier Millin, une lettre où ne percent nulle aigreur, nulle inquiétude. Mais Pont-de-Sains, tout proche d'Avesnes, dans le
département du Nord, n'était guère loin de Paris, et Talleyrand frémissait de
voir sa femme reparaître. Nonchalant comme il était, insouciant, peut-être
eût-il laissé aller les choses. Sa nièce lui souffla du courage. Mme de
Périgord, — Mme Edmond, ainsi que l'appelait
la princesse de Bénévent, — voulait bien, comme elle l'avait fait à Vienne,
tenir à Paris la maison de son oncle : seulement elle refusait d'y rencontrer
la parvenue qu'elle ne reconnaissait point pour sa tante. Elle dicta ses
conditions. J'ai beaucoup pensé,
écrivait-elle à Talleyrand le 4 juin, à la réponse
de Mme de Talleyrand ; elle me fait craindre de plus en plus qu'un beau jour
elle n'entre subitement dans votre chambre. Elle commencera par vous dire
qu'elle ne restera que peu d'heures, mais qu'elle veut avoir une explication
avec vous-même ; le tout dans l'espoir de tirer quelque argent de plus. Il
n'y a de convenable, pour elle et pour vous, que de la faire rester en
Angleterre, puisque l'Europe est destinée à posséder ce trésor. Ce n'est pas
avec un aspect comme le sien qu'elle peut parler de l'influence fâcheuse d'un
climat qu'elle a très bien supporté à plusieurs reprises. Il est clair que ce
qu'elle désire c'est ou d'être en France ou aux Pays-Bas... Elle trouve que, dans ses intérêts, elle doit rester le
plus près de Paris possible ! Et Mme de Périgord indiquait la marche
pour se débarrasser de la gêneuse : Comme l'argent
est le vrai mobile de toutes les actions de Mme de Talleyrand, il faut
toujours vis-à-vis d'elle partir de ce point de vue, et j'ose vous donner
d'après cela un conseil qui vous épargnera une correspondance pénible et qui
vous répugne. Le voici. Envoyez-lui de suite, non pas quelqu'un de louvoyant
comme M. Roux, mais faites partir M. Perrey avec une espèce de lettre de
créance ; qu'il soit chargé par vous d'annoncer à Mme de T. qu'elle ne
touchera pas un sol de la rente que vous lui faites que lorsqu'elle sera en
Angleterre et que, hors de là, elle n'obtiendra pas un denier. Que M. Perrey
l'accompagne jusqu'à Calais ou Ostende et ne revienne qu'après l'avoir vue
s'embarquer. Mon conseil est très bon, je vous jure, et vous auriez tort de
ne pas le suivre[165]. Il fut suivi,
en partie du moins. Mme de Talleyrand serait autorisée provisoirement à
demeurer à Pont-de-Sains ; mais signification lui fut faite que, si elle
remettait les pieds à Paris, on lui couperait les vivres. Sous ce coup porté à son ambition et à son orgueil, la
pauvre princesse, autant qu'elle en était capable, regimba. Elle confia son
chagrin au duc de Wellington et le supplia d'intercéder en sa faveur[166]. Elle se
lamenta dans le giron du chevalier Millin, et elle en oublia du coup son peu
de grammaire et d'orthographe : Pour mon compte,
mandait-elle à son ami le 28 juin, je ne peux vous
dire autre chose que je mets toute ma confiance dans la Providence : patience
et douceur, voilà la conduite dont je ne me suis pas écartée pour répondre à
toute (sic) l'égoïsme et dureté dont on agit envers moi... Plainte
inutile et sans écho ! Talleyrand feignit de ne pas l'entendre. Le public fut
amusé par l'aventure et comme, en ce temps-là, tout, en France, se terminait
par des chansons, un rimeur d'occasion, réunissant dans ses vers Talleyrand
et Chateaubriand qui, alors, étaient presque amis, fabriqua ce méchant
quatrain : Au diable soient les mœurs ! disait Chateaubriand, Il faut auprès de moi que ma femme revienne. — Je rends grâces aux mœurs, répliquait Talleyrand, Je puis enfin répudier la mienne[167]. Depuis lors, l'existence de Mme de Talleyrand fut sans
joie. Il lui resta une plaie cuisante. Plus d'un an après la rupture, le 19
juin 1817, elle écrivait encore au fidèle Millin, qu'elle avait invité à
Pont-de-Sains : Je regrette infiniment que vous ne
puissiez pas venir respirer l'air des bois, que l'on dit bienfaisant ; ce
sera, Monsieur, une véritable privation pour moi, que j'ajouterai à celles
dont la Providence m'a accablée depuis le jour on j'ai été obligée de quitter
ma maison en mars 1815. Je prolongerai mon séjour ici autant que la saison me
le permettra. J'y suis venue par économie, n'avant point de chevaux ni aucun
objet de dépenses, ne voulant point contracter de dettes, ayant des charges
auxquelles je me crois obligée, et vous savez que la pension que je reçois du
Prince mon mari est de 30.000 francs ; et il ne m'a été remis aucun objet
d'affection, ni ceux qui avaient quelque prix ; et j'ai vendu des joyaux pour
avoir des meubles, de la vaisselle et des serviettes, n'avant devant moi,
pour la tranquillité de mon âme, [que] les
procédés et la patience. Ainsi soit-il. Les torrents d'amertume que j'ai bu (sic) font que je ne
prends pas garde à ces petits dégoûts. De Pont-de-Sains, son
imagination s'envolait sans cesse à Valençay. Que s'y passait-il ? Si vous aviez quelques jolis détails des plaisirs de Valençay,
vous savez, Monsieur le chevalier, que Valençay est encore de mon intérieur
comme mon domicile. Ses lettres sont pleines de questions sur
Talleyrand, et Ion sent sa déception si sincère qu'elle en devient touchante.
A Pont-de-Sains, ce petit cottage, car c'en est un
véritable et non pas un château, elle s'ennuyait à périr. Pas de
ressources : les fruits manquent au mois d'août. Les visiteurs sont rares,
quelquefois le comte Hérachim de Polignac, marié à une Américaine, et pour
lequel elle a beaucoup d'estime, parce qu'il est
parfait pour la famille de sa femme, ou encore les autorités d'Avesnes.
Elle n'ose pas demander à son vieil ami, le duc de San Carlos, de venir la
voir... Et les journées sont interminables qu'il faut remplir par des
lectures, de la musique, des promenades, la pêche, des bains dans une petite rivière de quatre pieds de large, mais dont
l'eau est très limpide. Une bande de sangliers traversa un soir le
parc : ce fut une distraction mémorable[168]... La princesse
exagérait. Pont-de-Sains ne manquait point d'attraits. La duchesse de Dino,
qui y vint pour son plaisir avec Talleyrand en 1826, — après que l'ex-Mme
Grand l'eut quitté définitivement, — en a fait une fine description. Nous sommes ici, écrivait-elle à Barante un jour de
juin[169],
dans le plus singulier lieu du monde ; ce n'est
point un château, nullement une maison de campagne, point du tout une ferme ;
ce n'est rien que la maison isolée d'un maître de forges, placée entre un
étang et une usine, entourée d'une prairie et cernée par d'immenses forêts
qui contiennent les plus beaux arbres qu'on puisse voir ; point d'autre vue
que celle de ces bois, point d'autre bruit que celui du marteau des forgerons...
un silence, un repos, une retraite absolus...
point de voisins, point de passants, rien que la vie
contemplative... A tout prendre, c'est fort
joli. Et Mme de Dino ajoute : J'y rêve...
Mme de Talleyrand ne savait pas rêver. A l'automne de 1817, n'y tenant plus, elle revint tout à coup à Paris. Son mari ne l'attendait pas, et point n'est besoin d'ajouter qu'il n'éprouva. de ce brusque retour, aucune allégresse. Il sentait la raillerie flotter autour de lui. Une fois même, Louis XVIII, — qu'il appelait le roi nichard, — l'apercevant à son lever, lui demanda avec un sourire s'il était vrai que la princesse fût arrivé mais Talleyrand l'arrêta d'un mot : Rien n'est plus vrai, Sire ; il fallait bien que j'eusse aussi mon 20 mars. D'ailleurs, M. et Mme de Talleyrand ne reprirent jamais la vie commune ; ils se contentaient, à plusieurs reprises chaque année, de faire chercher réciproquement de leurs nouvelles[170]. Bientôt, le silence se fit autour de Mme de Talleyrand. Elle avait d'abord loué une villa à Auteuil, puis elle habita un hôtel de la rue de Lille. On ne la vit plus, et on l'oublia. Elle était sombre, parfois malade ; elle souffrait de son abandon ; elle s'entourait de souvenirs ; elle voulait qu'autour d'elle tout évoquât l'époque brillante où elle était la reine du salon de M. de Talleyrand. Par un caprice assez puéril, le train de sa maison était scrupuleusement réglé sur celui de l'hôtel de la rue Saint-Florentin. Bien plus, son grand fauteuil préféré, le tapis devant le foyer, le coussin brodé placé sous ses pieds, le mouchoir de linon ou la tabatière qu'elle tenait à la main, la pendule de la cheminée portaient les armes des Talleyrand avec la devise : Re que Diou. Dans un coin, la cage où dormaient un couple de loirs blancs reproduisait, avec son donjon et ses tours, le château de Valençay[171]. Lorsqu'on lui faisait visite, elle était ravie, et elle en profitait pour parler indéfiniment du passé. De loin en loin, elle recevait. Des étrangers, surtout des Anglais, s'asseyaient à sa table, tel Thomas Moore, l'auteur bien oublié de Lalla Rouk, qui, alors, rivalisait de gloire avec Byron[172] ; et, après le dîner, des littérateurs, en quête d'un auditoire, donnaient la primeur de leurs couvres inédites : le 31 janvier 1822, Viennet, le futur académicien, lut ainsi sa tragédie d'Achille[173]. Mais cette pâle copie de ce qui se faisait chez Talleyrand ne la consolait pas ; elle s'enfonçait dans la vieillesse, tristement. VIII La mort de Mme de Talleyrand valut mieux que sa vie. Le lundi 7 décembre 1835, l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, tenait audience dans le parloir des dames de Saint-Michel, rue Saint-Jacques, dont le couvent était devenu sa retraite préférée depuis le pillage de l'archevêché et de son château de Conflans. Il était près de six heures du soir. Tout à coup, on vint l'avertir qu'une dame insistait pour lui parler, et qu'il s'agissait d'un malade. L'archevêque interrompit son audience ; la dame entra : c'était la duchesse d'Esclignac, née Talleyrand-Périgord[174]. Elle exposa rapidement que sa tante, la princesse de Talleyrand, se mourait et qu'elle voulait se confesser. Il n'y avait pas une minute à perdre ; les médecins ne croyaient bras qu'elle passât la nuit. Mgr de Quélen, dont on connaît le zèle apostolique, — Je ferais cent lieues, disait-il souvent, pour sauver une âme, — n'hésita point. Quoique ce fût le moment de son conseil, il monta dans la voiture de la duchesse d'Esclignac avec ses deux grands vicaires, l'abbé. Quentin et l'abbé Affre ; il se fit conduire rue de Lille. L'entrevue de Mgr de Quélen et de Mme de Talleyrand fut très touchante[175]. Lorsque l'archevêque pénétra dans la chambre de la malade, elle se souleva sur son oreiller, elle murmura un remerciement, et, tout de suite, avec une simplicité grave, elle se confessa. Puis, elle pria qu'on fît entrer quelques amis et ses serviteurs qui s'étaient retirés à côté, dans un salon : la duchesse d'Esclignac, la comtesse de Champeron, la marquise de Vins de Pezac, les abbés Affre et Quentin, ses deux femmes de chambre... Dès qu'ils furent rangés autour de son lit, elle déclara d'une voix encore ferme : Je suis heureuse d'être réconciliée avec Dieu, et, après lui avoir demandé pardon, je demande pardon aux hommes pour les scandales que j'ai pu causer. Personne ne disait mot ; on était ému. Mgr de Quélen envoya l'abbé Quentin chercher, à la paroisse Saint-Thomas d'Aquin, le viatique et les saintes huiles. Bientôt, la princesse, qui était retombée sur son oreiller, congestionnée et suffocante, réclama de nouveau l'archevêque. Elle voulait s'entretenir seule avec lui. Elle le questionna d'abord sur la gravité de son état, et, comme le prélat ne répondait que par des encouragements vagues, elle comprit. Alors, sans laisser paraître aucun trouble, elle fit apporter par sa dame de compagnie deux coffrets, l'un en bois, l'autre en maroquin rouge, fermés à clef, entourés de rubans de soie blanche, scellés de cire à ses armes ; quand elle les vit entre les mains de l'archevêque : Si je guéris, dit-elle, vous nie les rendrez ; sinon, vous les donnerez à la duchesse d'Esclignac[176]. Elle lui remit aussi une somme de 2.000 francs en billets de banque, pour les pauvres ; Mgr de Quélen lui demanda de les affecter à l'œuvre des orphelins du choléra, et elle y consentit. Enfin, elle insista par deux fois pour qu'il recommandât lui-même à M. de Talleyrand toutes les personnes à son service. Sur ces entrefaites, l'abbé Quentin et le curé de Saint-Thomas d'Aquin étaient arrivés. On laissa la princesse se recueillir un instant. Après quoi, lui montrant l'hostie, Mgr de Quélen l'exhorta à la piété, à la résignation, à la confiance ; il lui administra le viatique et l'extrême-onction ; il récita la prière des agonisants. La malade s'était assoupie. On l'éveilla pour lui dire que son notaire, mandé sur son ordre, attendait au salon : comme il était déjà neuf heures du soir, l'archevêque se retira avec ses grands vicaires. Mme de Talleyrand vécut encore deux jours. Dans la nuit du 9 au 10 décembre, elle fut prise d'un étouffement : la garde qui la veillait essaya de lui faire boire quelques gouttes d'eau ; mais la pauvre femme ne pouvait plus avaler : sa tête s'inclina, ses lèvres remuèrent, ou crut entendre : Je me meurs, et, à trois heures trois quarts du matin, sans agonie, doucement, elle s'éteignit[177]. Le 12 décembre, un service de première classe fut célébré pour la défunte à Saint-Thomas d'Aquin[178]. Son corps fut porté le même jour au cimetière Montparnasse : dans une petite tombe oubliée qu'envahissent les herbes folles, celle qui avait été la belle Indienne dort son dernier sommeil. M. de Talleyrand, lui-même souffrant, n'avait point paru au chevet de la princesse ; il n'avait point paru davantage à ses obsèques. Enfermé dans l'hôtel de la rue Saint-Florentin, il s'était contenté d'envoyer savoir des nouvelles de la malade, et, quand la mort eut passé. de faire organiser par son homme de confiance, M. Demion, la cérémonie funèbre. — Quels sentiments s'agitaient en lui ? Des sentiments très simples : il était soulagé. Lorsqu'au mois d'octobre précédent, avertie que Mme de Talleyrand n'allait pas bien, la duchesse de Dino en avait, une première fois, parlé à son oncle, il n'avait manifesté aucun émoi ; il ne s'était tout de suite préoccupé que de la rédaction du billet de faire part, des embarras du deuil et de l'enterrement, et il n'avait pas essayé de cacher la satisfaction qu'il aurait à ne plus payer la rente viagère de la princesse[179]. Il ne lui restait de son amour qu'une rancœur N'importe, Mme de Dino craignait qu'au moment suprême, devant la réalité brutale, le vieillard eût un saisissement, et c'était elle-male qui, le 10 décembre au matin, avait voulu lui annoncer, en prenant mille précautions, que sa femme était à l'agonie : il avait répondu sur-le-champ, avec calme, ces mots qui, remarque Mme de Dino, ne laissèrent pas de me surprendre : Ceci simplifie beaucoup ma position[180]. |
[1] Son nom est aussi écrit Werlée dans quelques actes publics. — Je me suis beaucoup servi, pour reconstituer la jeunesse de Mme Grand, d'un ouvrage très documenté, les Echoes from old Calculta, par H.-E. BUSTEED (3e éd., Calcutta, 1897). J'y renvoie une fois pour toutes. Voyez encore deux charmants articles de M. André HALLAYS dans le Journal des Débats (15 et 22 février 1901).
[2] Arch. nat., F75946. — Une erreur de scribe donne, dans cette copie, 1765 au lieu de 1762 comme date de naissance.
[3] Quelques actes fournissent l'orthographe Grant.
[4] Arch. de la Seine. Dossier de Mme Grand, émigrée copie de son contrat de mariage avec M. Grand.
[5] Les Echoes from old Calcutta contiennent la reproduction d'un portrait de Mme Grand fait, à cette époque, par le peintre Zoffany.
[6] Narrative of the life of a Gentleman long resident in India (Cape of Good Hope, printed for the Author, 1814). Un exemplaire de cette très rare brochure se trouve au British Museum. Ce fut, parait-il, le premier livre en langue anglaise imprime au Cap de Bonne-Espérance.
[7] PARKES AND MERIVALE, Memoirs of sir Philip Francis with Correspondence and Journals (2 vol. London, 1567), II, 137.
[8] Les Echoes from old Calcutta contiennent une analyse très complète du procès, avec les dépositions des témoins, 206-228.
[9] Narrative de G.-F. GRAND.
[10] Memoirs of sir Philip
Francis, II, 145-150.
[11] Voyez un joli article de M. Raymond GUYOT, Madame Grand à Paris, dans les Feuilles d'histoire de mai 1909, 395.
[12] Lewis GOLDSMITH, Histoire secrète du cabinet de Napoléon Buonaparte et de la cour de Saint-Cloud (2e éd. Paris et Londres, 1814), I, 233. — Le Moniteur universel du 18 décembre 1791 contient un avis par lequel Mme Delessart, femme du ministre, et Mme Grant (serait-ce la nôtre ?) réclamaient des lettres et des paquets que leur avait envoyés de l'Inde M. Grant, chef de Patna au service de la Compagnie anglaise dans le Bengale, et qui s'étaient égarés en route. (Voyez F. MASSON, le Département des Affaires étrangères pendant la Révolution, 122-123.)
[13] R. GUYOT, op. cit., 396-397.
[14] Souvenirs du baron de Frénilly, 133.
[15] Mémoires de la comtesse de Boigne, I, 433.
[16] R. GUYOT, op. cit., 397.
[17] Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun (éd. de 1835), I, 248. Voyez aussi, à la fin du tome III, la liste chronologique de ses portraits.
[18] Ce portrait appartient à M. Jacques Doucet ; il est un des joyaux de son admirable collection.
[19] R. GUYOT, op. cit., 397-398.
[20] Voyez notamment The Female Revolutionary Plutarch (attribué à Lewis GOLDSMITH) ; [VILLEMAREST], Monsieur de Talleyrand, etc.
[21] Arch. de la Seine. Dossier de Mme Grand : bail consenti à F.-V. Amalin, bourgeois.
[22] Arch. de la Seine. Inventaires faits chez Mme Grand. Il n'existe que l'inventaire des fourrures et celui de l'argenterie.
[23] Arch. de la Seine. Liste des livres réclamés par Mme Grand au retour de l'émigration.
[24] R. GUYOT, op. cit., 395.
[25] R. GUYOT, op. cit., 398.
[26] The Female Revolutionary Platarch, by the author of the Revolutionary Plutarch and Memoirs of Talleyrand. (3 vol. London, 1806 ; 2e éd. en 1808.) Cet ouvrage contient, un chapitre intitulé : Madame Talleyrand, III, 353-373. — Nouvelles à la main de l'an XI (nivôse). — [VILLEMAREST], Monsieur de Talleyrand, II, 103. etc.
[27] Voyez Echoes from old Calcutta, 249 ; lady BLENNERHASSETT, Madame de Staël et son temps, II, 349.
[28] SALLE, Vie politique de Ch.-Maurice, prince de Talleyrand (1834) ; MICHAUD, Histoire politique et privée de Ch.-Maurice de Talleyrand (1863), Les Mémoires de Barras (III, 173) disent simplement que Talleyrand fit connaissance de Mme Grand à l'étranger.
[29] COLMACHE, Revelations of the life of
prince Talleyrand (London, 1850), 296-300.
[30] I had it
from the lips of the Prince himself.
[31] N'est-ce pas lui, par exemple, qui, sous prétexte de détruire une légende, prétend que Mme Grand naquit en Bretagne, à Lorient, et que son père s'appelait Dayot ?
[32] Henri DE LATOUCHE, l'Album perdu (Paris, 1829). La version de ce volume presque introuvable est reproduite par A. PICHOT, Souvenirs intimes sur M. de Talleyrand, 151-152.
[33] Quoique le dossier de Mme Grand aux Archives nationales, — dossier qui parait, d'ailleurs, avoir été soigneusement expurgé, — soit muet sur cette arrestation, elle est attestée par les journaux du temps, ainsi par le Républicain du 22 floréal an VI, et par les Mémoires de Barras, III, 173.
[34] Mémoires de Barras, III, 173. — Michaud, qui prétend avoir eu l'autographie de cette lettre sous les yeux, la cite comme étant du 3 germinal an IV, c'est-à-dire du 23 mars 1796. Michaud fait une erreur de date : Talleyrand ne revint, en effet, à Paris qu'au mois de septembre 1796 ; il ne connaissait pas encore Barras à ce moment, et ne put, par conséquent, lui écrire le billet en question qu'en 1798. — Quant à l'authenticité du billet lui-même, n'ayant pas retrouvé l'original, nous la croyons probable, quoique la quantité de faux, commis avec l'écriture de Talleyrand par son secrétaire Perrey, laisse toujours un doute.
[35] Jules SIMON, Une Académie sous le Directoire, 263. L'incident remontait au 12 floréal an V.
[36] Mémoires de Barras, III, 175-183. Cette discussion eut lieu, sans doute, hors séance, car il n'y en a pas trace dans le registre des délibérations du Directoire, pendant les mois dé germinal et floréal an VI. (Arch. nat., AFIII 10.)
[37] Le Républicain du 22 floréal an VI.
[38] L'auteur de The Female Revolutionary Plutarch se trompe en datant cette pétition de 1797.
[39] Le Républicain du 22 floréal an VI.
[40] Rapports du Bureau central du 8 et du 22 floréal an VI. (AULARD, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, IV, 623 et 657.)
[41] Arch. de la Seine. Reconstitution des actes de l'état civil, fiche n° 299 439.
[42] ARNAULT, Souvenirs d'un sexagénaire, IV, 357.
[43] BARANTE, Éloge de M. de Talleyrand, prononcé à la Chambre des pairs le 8 juin 1838.
[44] Fêtes du 6 ventôse an VIII et du 28 pluviôse an IX. Voyez Journal des Débats du 8 ventôse an VIII et du 1er ventôse an IX. (AULARD, Paris sous le Consulat, I, 180, et II, 183-186.)
[45] 19 prairial an IX. Voyez Journal de Paris du 21 prairial ; Mercure de France du 1er messidor, etc. Signalons aussi le Royaume d'Étrurie, par Paul MARMOTTAN.
[46] Mémorial de Norvins, II, 287.
[47] Procès-verbaux des délibérations des consuls, Arch. nat., AFIV°4, et dossier Grand, Arch. nat., F75916.
[48] Arch. nat., F75946.
[49] Th. IUNG, Lucien Bonaparte et ses mémoires, II, 255. Cf. sur Mme Grand à Neuilly : Les Russes à Paris (1800-1830), par L. PINGAUD, dans le Correspondant du 25 avril 1904, 203.
[50] Coppet, Weimar, Mme de Staël et la grande-duchesse Louise, par l'auteur des Souvenirs de Mme Récamier, 26.
[51] Mémorial de Norvins, II, 250.
[52] Comte DE LAS-CASES, Mémorial de Sainte-Hélène.
[53] Mémoires de Mme de Rémusat, II, 175-176.
[54] VILLEMAREST, Monsieur de Talleyrand, III, 181.
[55] Mémoires de Mme de Rémusat, II, 176-177. Cf. Mémoires du chancelier Pasquier, I, 250-251 ; Mémoires de baron de Méneval, II, 414-415 (Méneval date à tort la scène de 1803) ; IUNG, Lucien Bonaparte et ses mémoires, II, 255, etc.
[56] COLMACHE, Revelations of the Life of the
Prince Talleyrand, 302.
[57] Mémoires du général baron Thiébault, V, 335.
[58] PASQUIER, I, 251.
[59] BOULAY DE LA MEURTHE, Documents sur la négociation du Concordat et sur les autres rapports de la France arec le Saint-Siège en 1800 et 1801, I, 314-315.
[60] BOULAY DE LA MEURTHE, I, 353. (Projet n° 5 dicté par le Premier consul et daté du 2 février 1801.)
[61] BOULAY DE LA MEURTHE, II, 63.
[62] BOULAY DE LA MEURTHE, II, 296.
[63] Ce rôle de Talleyrand dans les négociations du Concordat, que certains historiens dénaturent absolument en le représentant comme un rôle d'opposition systématique et malfaisante, est attesté par des documents décisifs, émanant des acteurs ou des témoins les plus irrécusables : nous en donnons ici même quelques extraits, que nous compléterons plus tard.
[64] Cardinal MATHIEU, le Concordat de 1801, 116.
[65] BOULAY DE LA MEURTHE, III, 28.
[66] Correspondance de Napoléon Ier, VI, n° 5633.
[67] BOULAY DE LA MEURTHE, III, 200-201.
[68] BOULAY DE LA MEURTHE, III, 203.
[69] Rapports d'Hauterive (16 juillet) et de Talleyrand (29 août) dans BOULAY DE LA MEURTHE, III, 220 et 453.
[70] BOULAY DE LA MEURTHE, III, 384-386.
[71] Lettre de Consalvi du 23 septembre 1801, BOULAY DE LA MEURTHE, IV, 53.
[72] Lettre de Spina du 11 octobre, BOULAY DE LA MEURTHE, IV, 146.
[73] Voyez P. RINIERI, la Diplomazia pontificia net secolo XIX, II, 59-63 ; et H. WELSCHINGER, la Sécularisation de Talleyrand, dans le Journal des Débats du 4 septembre 1897.
[74] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 212-213 (texte italien).
[75] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 213, note.
[76] RINIERI, II, 60-61.
[77] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 97.
[78] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 100.
[79] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 112.
[80] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 255.
[81] Voyez pour ces censures mon livre, Talleyrand, évêque d'Autun, 266 et suivantes.
[82] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 105-108.
[83] BOULAY DE LA MEURTHE, V, 109-111.
[84] L'affare del ministro Talleyrand è stato da me messo in corso, ed in altra occasione daro conto all'Em. V. del risultato. (Caprara à Consalvi, de Paris, 10 avril 1802.)
[85] RINIERI, II, 63, note.
[86] Observations de Talleyrand sur un rapport de Portalis, à la fin de février 1802. (BOULAY DE LA MEURTHE, V, 174.)
[87] Dans les précieux volumes où il avait rassemblé beaucoup de documents relatifs à M. de Talleyrand, Mgr Dupanloup a laissé un dossier, de Matrimonio, relatif aux négociations du mariage du prince. Il ne s'y trouve rien sur les deux premières négociations que Mgr Dupanloup ignorait ; sur la dernière, qu'il me reste à raconter, les pièces qu'il a recueillies sont abondantes : quelques-unes ont, été publiées, la plupart sont inédites. Je les cite avec les numéros que l'illustre évêque leur a lui-même donnés.
[88] C'est en 1578, et non en 1588, comme le dit la requête consulaire, qu'Henri de Portugal succéda à Sébastien.
[89] LECESTRE, Lettres inédites de Napoléon Ier, I, 36-37. Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 43 (Copie).
[90] Correspondance de Napoléon Ier, VII, n° 6099. Lettre du 4 prairial an X.
[91] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 49 (copie).
[92] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 50 (copie).
[93] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 51 (copie).
[94] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 52 (copie).
[95] RINIERI, II, 64 (texte italien).
[96] RINIERI, II, 70 (texte italien).
[97] RINIERI, II, 70 (texte italien).
[98] Lettre de Caprara du 13 juin 1802, publiée par le comte D'HAUSSONVILLE, l'Église romaine et le premier Empire, I, pièce justificative, n° 50.
[99] Lettre de Caprara du 27 juin. HAUSSONVILLE, I, pièce justificative, n° 51.
[100] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 65.
[101] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 66 bis.
[102] Lettre de Caprara du 3 juillet. HAUSSONVILLE, I, pièce justificative n° 54.
[103] HAUSSONVILLE, I, pièce justificative, n° 55.
[104] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 56 (copie).
[105] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 57 (copie).
[106] Lettre du 11 messidor an X. Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 53 (copie).
[107] Bref du 29 juin 1802. Il existe deux textes de ce bref : le premier a été publié par RINIERI, II, 265-256 ; le second par THEINER, Histoire des deux Concordats de 1801 et 1803, II, 198-199.
[108] Cacault, dans sa lettre à Talleyrand du 11 messidor, se vantait d'avoir été l'inspirateur de cette faveur : On a poussé la délicatesse dans les formes jusqu'à faire rédiger deux feuilles ou formules pour le bref en les envoyant signées au cardinal-légat : vous serez le maitre de choisir celle des deux qui vous plaira. J'ai pensé que vous n'aimeriez pas que les mots d'absolution des censures et de satisfaction fussent dans le bref, ce qui ne pourrait pas être autrement, comme vous le verrez, dans l'un des brefs. C'est pourquoi, suivant l'autre bref qui vous donne les permissions susdites, Sa Sainteté commet au cardinal-légat, l'acte matériel de la réconciliation. Il s'ensuit que les mots ne sont plus nécessaires dans le bref, et l'acte de réconciliation passé entre vous et le cardinal-légat, ou bien celui auquel il pourra le subdéléguer eu se concertant avec vous, n'aura rien d'une authenticité désagréable. Cacault, dans cette même lettre, annonçait à Talleyrand que la permission du mariage lui était refusée.
[109] Lettre du 30 juin 1802. THEINER, II, 205-207. Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 42 (copie).
[110] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 62 (copie). — Le cardinal Mathieu reproduit cette lettre dans son livre, le Concordat de 1801, 347-349 ; mais son texte est peu exact et ne contient pas un important passage.
[111] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 54 (copie).
[112] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 63 (copie). Cette lettre est du 15 juillet.
[113] Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 64 (copie).
[114] RINIERI, II, 71. Dépêche chiffrée du 4 août.
[115] Relations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le Consulat, publiées par le comte REMACLE, 109. (Dépêche du 27 août 1802.)
[116] Voyez THIBAUDEAU, Mémoires sur le Consulat (Paris, 1827), 159-160, et Mémoires de la duchesse d'Abrantès (édit. in-8°), IV, 222. Les procès-verbaux des séances ont malheureusement été détruits dans l'incendie allumé pendant la Commune au Conseil d'État.
[117] 3 fructidor. Correspondance de Napoléon Ier, VIII, n° 6261.
[118] Bulletin des lois, 3e série, VI, n° 1919, p. 579. Cet arrêté fut reproduit par la plupart des journaux. Voyez notamment le Journal des Débats du 4 fructidor.
[119] RINIERI, II, 72, note 1.
[120] The Female revolutionary Plutarch. — Dans sa Narrative, M. Grand proteste avec indignation contre ce récit.
[121] Voyez Memoirs of sir Philip Francis, II, 151.
[122] Relations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le Consulat, 104.
[123] G.-W. VREEDE, Geschiedenis der Diplomotic von de butaafsche Republick (Utrecht, 1862), II, 1re partie, pièces justificatives, 62.
[124] Voyez les pièces publiées par G.-W. VREEDE, op. cit., 1re partie, 61-62.
[125] Echoes from old Calcutta, 262.
[126] Arch. de la Seine. Reconstitution des actes de l'état civil de Paris, fiche n. 305217. Cet acte de mariage est imprimé par JAL, dans son Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, 1170. — Villemarest prétend que Talleyrand aurait voulu que son mariage fût célébré dans le mystère par le maire de Pierrefitte : les noms des signataires du contrat et des témoins prouvent à eux seuls que l'incognito ne fut nullement recherché. — Voyez aussi lettre à Louis XVIII du 3 octobre dans les Relations secrètes des agents de Louis XVIII a Paris sous le Consulat, 132-133.
[127] Mémoires du chancelier Pasquier, II, 251.
[128] Lettre du 13 juin 1802. Dossier de Mgr Dupanloup, pièce 60 (copie). Cf. l'opinion des correspondants de Louis XVIII : Relations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le Consulat, 108, 112.
[129] Relations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le Consulat, 133.
[130] Le registre des mariages de la paroisse d'Épinay ne commence qu'à 1805 ; celui des Missions étrangères, conservé à Saint-François-Xavier, est admirablement tenu et ne porte pas trace de l'union de Talleyrand et de Mme Grand.
[131] Voyez Relations secrètes des agents de Louis XVIII à Paris sous le Consulat (lettre du 17 décembre 1802), 208.
[132] Mémoires du chancelier Pasquier, I, 251.
[133] Mémoires de Mme de Rémusat, II, 181.
[134] Mémoires de Mme de Rémusat, II, 183.
[135] A. HALLAYS, feuilleton du Journal des Débats du 22 février 1901.
[136] Une miniature d'Isabey, qui fut faite vers 1810, témoigne également que Mme de Talleyrand était alors encore très bien conservée. Cette miniature, qui appartient à M. F. Masson, a figuré, en 1906, à une exposition de la Bibliothèque nationale.
[137] Journal de Mme de Cazenove d'Arlens, 22-23.
[138] Journal de mon séjour à Paris (1803-1804) dans le Correspondant du 25 octobre 1908, 331.
[139] Mémoires de Mme de Rémusat, III, 190.
[140] Mémoires de la comtesse Potoçka, 211-213 ; Mémoires de Mme de Rémusat, III, 194.
[141] COLMACHE, Revelations of the Life of
prince Talleyrand, 306.
[142] O'MÉARA, Napoléon en exil (édit. de 1822), I, 413.
[143] Voyez Amédée PICHOT, Souvenirs intimes sur M. de Talleyrand, 146-149 et 156-162.
[144] A. HALLAYS, article du Journal des Débats du 22 février 1901.
[145] Comtesse Potoçka, 211 ; Général Thiébault, V, 335 ; Mme de Cazenove, 22 ; Mme de Rémusat, II, 183.
[146] O'MÉARA, Napoléon en exil, I, 412.
[147] L.-G. MICHAUD, Histoire politique et privée de Charles-Maurice de Talleyrand, 57.
[148] Mémoires de Mme de Chastenay, II, 52.
[149] Voyez Léonce PINGAUD, les Russes à Paris, dans le Correspondant du 25 avril 1904, 210.
[150] O'MÉARA, Napoléon en exil, I, 412.
[151] Elle découvrait, un jour, que Genève était au milieu des montagnes du Jura.
[152] Je dois de connaitre cette correspondance à l'extraie amabilité de N. Paul Bonnefon, bibliothécaire à l'Arsenal. — Les lettres de la princesse de Bénévent à Louis de Beer, que vient de publier M. Ingold dans la Revue d'Alsace de janvier 1910, confirment l'impression produite par sa correspondance avec Millin.
[153] Mémoires de la comtesse Potoçka, 210-212, 226 ; COLMACHE, op. cit., 302, 304.
[154] Voyez, pour les documents cités au sujet de cet épisode de la vie de Talleyrand, les très intéressants articles de M. GEOFFROY DE GRANDMAISON, les Princes d'Espagne à Valençay, dans le Correspondant, CLXIII.
[155] Mémoires de Talleyrand, I, 362.
[156] Lettre de Talleyrand du 16 août 1808. GRANDMAISON, art. cité, 711.
[157] Mémoires de Mme de Chastenay, II, 87.
[158] Mémoires de Fouché (édit. de 1824), II, 77 ; L. GOLDSMITH, Histoire secrète du cabinet de Napoléon Bonaparte (2e édit.), I, 226.
[159] Mémoires de Mme de Chastenay, II, 87 ; Mémoires du comte de Senfft, 62.
[160] GRANDMAISON, art. cité, 718. — M. de Nesselrode, dans une lettre du 22 septembre 1811, raconte que Mme de Talleyrand ayant été voir San Carlos dans son lieu d'exil, reçut l'ordre d'aller habiter une terre en Belgique, et que Talleyrand dut intercéder pour elle près de l'empereur. (Lettres et papiers du chancelier de Nesselrode, III, 393.)
[161] Mémoires d'outre-tombe (édit. Birè), III, 452-453.
[162] Voyez G. GALLAVRESI : Une page peu connue de l'histoire de Congrès de Vienne. — Le prince de Talleyrand et le cardinal Consalvi. (Extrait de la Revue des questions historiques, de janvier 1903.)
[163] Voyez pour cet incident, RINIERI, la Diplomazia pontifica nel secolo XIX. V. et G. GALLAVRESI, le Prince de Talleyrand et le cardinal Consalvi, 5-6.
[164] Mémoires de Mme de Boigne, I, 226-227.
[165] Cette lettre a été publiée dans l'Amateur d'autographes de février 1909, 45-48.
[166] BUSTEED, Echoes from old Calcutta,
265.
[167] Voyez A. PICHOT, Souvenirs intimes sur M. de Talleyrand, 154. Il est inutile de faire remarquer que ce quatrain, au moins en ce qui concerne Chateaubriand, est absurde, puisque l'auteur du Génie du christianisme vivait avec sa femme depuis le début de l'Empire.
[168] Lettres à Millin, passim.
[169] Souvenirs du baron de Barante, III, 323-330.
[170] Voyez BUSTEED, Echoes from old Calcutta,
341. (Souvenirs de Mme Colmache) ; et A Portion of the Journal kept
by Thomas Raikes, esq., from 1831 to 1847 (2e édit.), II, 1.
[171] COLMACHE, Revelations..., 304-305 ; Echoes
from old Calcutta, 341.
[172] Thomas Moore, réfugié en France de 1820 à 1822, pour éviter la saisie qui le menaçait en Angleterre, composa à Meudon son poème, les Amours des anges, avec lequel l'Eloa d'Alfred de Vigny n'est pas sans analogie.
[173] Voyez A. PICHOT, Souvenirs intimes sur M. de Talleyrand, 160.
[174] Elle était la fille du baron Boson de Talleyrand-Périgord, le second frère du prince de Talleyrand.
[175] Tous les détails qui suivent sont empruntés : 1° à la déposition de Mgr de Quélen devant le juge de paix du Xe arrondissement (aujourd'hui VIIe), lors de l'apposition des scellés qui suivit la mort de la princesse de Talleyrand, le 10 décembre 1835 (Arch. de la justice de paix du VIIe arrondissement) ; 2° à un récit sur papier timbré des derniers moments de la princesse, signé de Mgr de Quélen, de MM. Affre et Quentin et de plusieurs amis de la défunte, et annexé au procès-verbal de l'apposition des scellés ; 3° à un récit fait par Mgr de Quélen à l'abbé Dupanloup. (Documents de Mgr Dupanloup.)
[176] Talleyrand, en vertu de l'article 8 de son contrat de mariage, réclama ces deux coffrets après la mort de la princesse, et Mgr de Quélen les rapporta lors de l'apposition des scellés. Il s'ensuivit un procès, puis, grâce à l'intervention du duc et de la duchesse de Poix, un arrangement à l'amiable entre Talleyrand et la duchesse d'Esclignac. Une lettre du duc Decazes à Dalmate, du 15 décembre 1835, explique bien la nature du différend. (Souvenirs du baron de Barante, V, 224-225.) — Les journaux anglais, notamment le Times et le Morning Herald, et aussi des contemporains dans leurs mémoires, tels RAIKES, II, 289, 290, 291, 295, 333, et THIÉBAULT, V, 335, ont donné de cet incident, qui intrigua le public, des versions absolument fausses.
[177] Le 10 décembre et non le 9, comme le porte par erreur la Chronique de la duchesse de Dino, I, 393. Voyez acte de décès de la princesse de Talleyrand. (Arch. de la Seine : Reconstitution des actes de l'état civil de Paris. N° 81 014.)
[178] Voyez Arch. de la paroisse Saint-Thomas d'Aquin : Registre des enterrements. — Le texte que donne de ce document Thomas Raikes dans son Journal, II, 290, est complètement inexact.
[179] Chronique de la duchesse de Dino, I, 379.
[180] Lettre de la duchesse de Dino à l'abbé Dupanloup, du 10 mai 1839. Documents de Mgr Dupanloup.