Avènement de Jules II. — Il provoque une coalition contre Venise. — Congrès de Cambrai. — Projets de mariage entre l'archiduc Charles et Marie d'Angleterre, entre Henri VII et Marguerite d'Autriche. — Transaction avec Charles de Gueldre. — Traité de Cambrai du 10 décembre 1508. — Jules II divulgue le secret de la ligue. — Délibérations dans le Sénat de Venise. — Les Français passent les Alpes. — Bataille d'Agnadel perdue par les Vénitiens. — La République prend la résolution d'abandonner ses États de terre ferme. — Jules II, après avoir humilié Venise, se décide à la sauver. — Maximilien dans les Pays-Bas ; ses discussions avec les états généraux. — Il se rend à Trente ; sa conduite bizarre à l'égard de Louis XII. — Réaction en faveur de Venise dans ses anciennes provinces de terre ferme. — Refroidissement parmi les confédérés. — Avènement de Henri VIII, roi d'Angleterre, il veut s'opposer à l'agrandissement des Français. — Jules II se réconcilie avec Venise. — Son alliance avec les Suisses. — Mort du cardinal d'Amboise. — Louis XII n'ose poursuivre ses succès contre le pape. — Concile convoqué à Pise pour être l'arbitre de la querelle entre le roi de France et le souverain pontife. — Jules II lui oppose un concile universel et forme avec Venise et le roi d'Aragon une nouvelle coalition dirigée contre la France. — Le roi d'Angleterre y accède. — Courte et héroïque carrière de Gaston de Foix. — Bataille de Ravenne. — Les Français sont obligés d'abandonner l'Italie. — Mort de Jules II. — Avènement de Léon X. — Traité de Malines du 5 avril 1513 ; il n'est ratifié ni parle roi d'Aragon ni par le pape. — Louis XII se réconcilie avec Venise. — Les Français rentrent en Italie et reperdent leurs conquêtes après la bataille de Novare. — Vues de Henri VIII ; Maximilien et Marguerite d'Autriche les favorisent. — Nouvelles contestations au sujet de la Gueldre. — La reprise des hostilités excite un vif mécontentement contre Marguerite d'Autriche. — Par haine contre la France, elle engage Maximilien Ier à prêter assistance aux Anglais, mais sans entraîner les Pays-Bas dans la guerre. — Plaintes de Louis XII. — Trêve de quatre années conclue avec la Gueldre. — Débarquement des Anglais. — Démantèlement de Térouane ; bataille de Guinegate ; capitulation de Tournai. — Les Suisses, qui avaient envahi la Bourgogne, écoutent les propositions de Louis de la Trémoille et se retirent. — Réconciliation de Louis XII avec Léon X, le roi d'Aragon et l'Empereur. — Nouveaux projets d'alliance matrimoniale avec la maison d'Autriche. — Mort de la reine Anne de Bretagne. — Sur le bruit répandu à Londres du mariage prochain de Marguerite d'Autriche avec Louis XII, Henri VIII se décide à rompre le projet d'union déjà décidé entre l'archiduc Charles et Marie d'Angleterre pour donner la main de cette jeune princesse au roi de France. — Mariage de Louis XII avec Marie d'Angleterre ; il meurt trois mois après. — Avènement de François Ier. — Paroles hautaines qu'il adresse à l'envoyé du jeune souverain des Pays-Bas et réponse de cet ambassadeur.Jules II, de belliqueuse mémoire, était monté sur le trône pontifical en 1503. Son prédécesseur, Alexandre VI, avait principalement travaillé à conquérir des principautés pour ses fils et surtout pour ce César Borgia, dont le nom rappelle tous les forfaits. Jules II fit consister son ambition à raffermir et à étendre le domaine de saint Pierre ; car il aspirait à faire de l'État de l'Église la première puissance de l'Italie. De là surtout sa jalousie et son animosité contre Venise, qui éclipsait alors tous les autres États de la Péninsule. Comment la ville de Saint-Marc était-elle parvenue à ce
haut degré de prospérité et de puissance ? Comment une république, fondée sur
le commerce, pouvait-elle exciter l'ombrage des étrangers et des Italiens
mêmes ? Unique par sa situation dans la mer, et
jouissant en même temps de la commodité des eaux et des agréments de la
terre, Venise, disait le doge Léonard Loredano au sénat, Venise est également à couvert et des attaques du côté de
la terre et des insultes de la mer. Quelle magnificence dans les édifices
publics et particuliers ! Quelle quantité de marbres, et de pierres rares
apportés dans cette ville de toutes les parties du monde, de colonnes
superbes, de tableaux des plus grands maitres, de statues et de mosaïques ! Quelle
autre ville peut se glorifier comme Venise d'être l'abord des nations
étrangères, que le commerce ou les douceurs de la liberté attirent dans cet
heureux pays ? Voilà la source de l'opulence de nos citoyens et des revenus
immenses de la république ; en effet, les seuls droits d'entrée de la ville
de Venise surpassent de beaucoup les revenus de plusieurs rois. Je passe sous
silence la prodigieuse abondance qui règne continuellement dans une ville
habitée par un peuple très-nombreux[1] et où cependant il ne croît rien de ce qui est nécessaire
à la vie. Cette république, d'abord renfermée dans les bornes étroites de ces
stériles rochers, commença à s'étendre dans les mers voisines et dans les
terres des environs par le courage et par la prudence de nos ancêtres. Elle
poussa ensuite ses conquêtes dans des mers et des pays plus éloignés ; enfin,
après avoir pénétré jusqu'aux extrémités de l'Orient, elle s'est formé un si
vaste et si puissant empire sur mer et dans le continent, et elle s'y
maintient depuis si longtemps, qu'elle s'est rendue formidable à toute
l'Italie[2]. C'est contre cette noble république, qui formait réellement le boulevard de l'Italie, que Jules II conçut le bizarre dessein de liguer Louis XII, Maximilien et Ferdinand d'Aragon, les trois princes qui se jalousaient et se détestaient le plus. Louis XII, entraîné par le cardinal d'Amboise, son premier ministre ; accueillit avec empressement la proposition du pape. Maximilien, qui ne recherchait que l'occasion de s'établir fortement en Italie, adhéra également à ce projet, et avec plus de joie encore que son ancien antagoniste. Ferdinand seul répondit avec circonspection, mais de manière pourtant à laisser espérer son accession, si on lui présentait des avantages suffisants. Cependant Jules II, après avoir provoqué une coalition contre Venise, craignit de la voir se former, car s'il haïssait la grandeur de la reine de l'Adriatique, il avait une aversion plus vive encore pour la domination que les Barbares et les Ultramontains, comme il disait, pourraient exercer sur l'Italie. Mais Louis XII et Maximilien, séduits par la perspective de se partager les dépouilles de la république, firent bientôt un pas décisif en envoyant des plénipotentiaires dans la ville impériale et épiscopale de Cambrai. Louis XII se fit représenter par le cardinal d'Amboise, qui était accompagné d'Étienne de Poncher, évêque de Paris, et d'Alberto Pio, comte de Carpi. Maximilien, qui se trouvait alors au château de Turnhout, délégua ses pouvoirs à Marguerite d'Autriche, sa fille, gouvernante des Pays-Bas ; elle eut pour auxiliaires et coopérateurs Matthieu Lang, évêque de Gurk, secrétaire et principal confident de l'Empereur ; Mercurin de Gattinare, premier président du parlement de Bourgogne ; Jean Pieters, président du grand conseil de Malines ; Jean Gosselet, abbé de Maroilles, et Jean Caulier, président du conseil privé. Elle devait en outre associer aux négociations l'évêque de Cambrai, Jacques de Croy, ainsi qu'Edmond de Wingfeld, ambassadeur d'Angleterre, et même l'envoyé du roi d'Aragon, s'il était autorisé à cet effet par son maître[3]. Le projet de mariage entre le jeune archiduc Charles d'Autriche et la princesse Marie d'Angleterre, qui se débattait alors, assurait à Maximilien et à son petit-fils l'appui non équivoque de Henri VII, et allait faciliter les négociations de Cambrai[4]. Il en était de même d'un autre projet, qui avait pour but d'unir Henri VII et Marguerite d'Autriche. Maximilien le préconisait avec chaleur, afin que sa fille pût gouverner à la fois l'Angleterre et les États de la maison de Bourgogne ; les sentiments que Henri VII manifestait hautement pour Marguerite répondaient d'ailleurs aux espérances du chef de la maison d'Autriche[5]. Au mois de novembre 1508, Marguerite arriva à Cambrai avec une escorte de cent chevaux et une compagnie d'archers. La moitié de la ville était retenue pour elle et. sa suite ; l'autre moitié avait été mise à la disposition du cardinal d'Amboise. Le Sr de Chièvres et les autres membres du conseil des Pays-Bas accompagnèrent la princesse jusqu'à Valenciennes, et restèrent en cette ville pour y recevoir communication journalière de tout ce qui serait traité à Cambrai et en donner sur-le-champ leur avis. Maximilien lui-même devait se tenir à Malines, pour y traiter les affaires intérieures des Pays-Bas et se trouver à portée de sa fille, pendant les négociations dont elle était chargée[6]. Ces négociations ne paraissaient avoir pour but que de préparer un accommodement entre le souverain des Pays-Bas et le duc de Gueldre et de déterminer les droits de suzeraineté que Louis XII revendiquait sur la Franche-Comté de Bourgogne et sur l'Artois. On transigea sur ces deux points pour ne pas dissoudre prématurément la ligue qui se formait. Les contestations relatives à la Gueldre devaient être soumises à un arbitrage ; et, en attendant, Je duché de Gueldre et le comté de Zutphen resteraient provisoirement entre les mains de Charles d'Egmont[7]. On convint, d'autre part, d'attendre la majorité de l'archiduc Charles pour régler les points litigieux qui se rattachaient à la suzeraineté de la Franche-Comté et de l'Artois : l'archiduc resterait paisible possesseur des terres qui en relevaient, et l'Empereur, de son côté, renoncerait au mariage de son petit-fils avec la princesse Claude, ne se prévaudrait pas des clauses finales stipulées dans le traité de Blois et donnerait au roi de France une nouvelle investiture du duché de Milan[8]. Le 10 décembre, Marguerite d'Autriche, le cardinal d Amboise et l'ambassadeur du roi d'Aragon jurèrent solennellement, dans la cathédrale de Cambrai, l'observation du traité qu'ils venaient de conclure. On proclama qu'il y aurait paix et alliance perpétuelles entre le pape et tous les princes confédérés ; mais on tint secrètes les vraies conditions de cette alliance et on dissimula soigneusement aussi le but que l'on se proposait d'atteindre. Or, la ligue de Cambrai avait pour objet principal le démembrement et le partage des provinces de terre ferme et des autres acquisitions de la république de Venise[9]. La discrétion des négociateurs avait été impénétrable. L'ambassadeur de Venise, Antoine Condelmerio, qui avait suivi le cardinal d'Amboise à Cambrai, écrivit même à la république qu'elle pouvait compter plus que jamais sur la protection de Louis XII. Les puissances liguées énoncèrent enfin l'intention d'unir leurs forces pour faire la guerre aux infidèles ; et, reprochant aux Vénitiens les obstacles que ceux-ci avaient apportés à cette pieuse entreprise, en retenant les domaines du saint siège, elles ne se déterminaient, disaient-elles, à les contraindre de rendre ce qu'ils avaient usurpé, que dans la vue de le faire servir à la gloire et à la délivrance de la chrétienté[10]. Le roi d'Aragon avait ratifié le traité de partage, tandis que Jules II, le promoteur de la ligue, retombait dans ses hésitations. Il flottait entre l'envie de rentrer dans les places de la Romagne, retenues par les Vénitiens, et la crainte que lui donnaient le roi de France et l'Empereur. Il prit enfin une résolution étrange. Au moment où il se disposait à faire une promenade sur mer, il invita l'ambassadeur de Venise à se placer dans sa felouque ; là, il ramena la conversation sur les villes qu'il réclamait, et, ne recevant que des réponses évasives, il se détermina à lui révéler tout le secret de la coalition formée contre la république. Il ajouta qu'il n lavait pas encore ratifié le traité, et promit non-seulement de ne point le ratifier, si, par la cession de Faenza et de Rimini, on lui offrait un prétexte pour se dédire, mais même de travailler à dissoudre la confédération, quand ce ne serait, disait-il, que pour empêcher en Italie l'agrandissement des Barbares, qui n'étaient pas moins à craindre pour le saint siège que pour les autres puissances[11]. Lorsque l'ambassadeur eut communiqué au sénat la révélation inattendue du pape, deux avis furent émis sur la proposition de Jules II. Les uns pensaient qu'il importait beaucoup de détacher le pape des confédérés ; les autres soutenaient que la restitution qu'il exigeait serait une tache à la gloire de la république. Ces derniers l'emportèrent après le discours de Dominique Trevisani, sénateur de grande autorité, et l'un des procurateurs de St-Marc. Suivant Trevisani, il n'y aurait aucun avantage pour Venise à détacher Jules II de la ligue ; car, si on lui faisait une concession, il en réclamerait d'autres, en se réunissant de nouveau aux confédérés. Il fallait plutôt chercher à détacher Maximilien, à profiter de la jalousie de la France et de l'Autriche ; il fallait aussi résister au premier choc, afin de donner le temps à cette confédération, composée de tant d'éléments incompatibles, de se dissoudre. Trevisani fit donc triompher dans le sénat la résolution de se défendre plutôt que de souscrire à des conditions déshonorantes. Mais en vain les Vénitiens, tout en faisant leurs préparatifs de guerre, cherchèrent-ils des alliés. Les Turcs mêmes, auxquels ils s'adressèrent, après avoir été repoussés par tous les princes de l'Europe, refusèrent de se déclarer formellement en leur faveur. Aux puissances coalisées contre elle, Venise opposait une armée de 30.000 hommes de pied et de 13 à 18.000 cavaliers. Une partie fut détachée pour garder les ports de la Pouille, les places de la Romagne et les passages du Frioul ; le reste devait défendre les frontières de la république du côté du Milanais[12]. Au commencement d'avril (1509), Louis XII passa les Alpes. On évaluait les forces qu'il pourrait réunir sur l'Adda à 12.000 cavaliers environ et à 20.000 hommes d'infanterie, parmi lesquels on j comptait 6.000 Suisses. Le sénat, au lieu de commettre le sort du, pays au hasard d'une bataille, aurait voulu faire traîner la guerre en longueur, tout en disputant aux Français le passage de l'Adda, première ligne de défense de la république. Mais la bouillante ardeur d'Alviane, commandant en second de l'armée vénitienne, déjoua cette sage combinaison. Le 14 mai, une bataille décisive s'engagea près du village d'Agnadel, et la victoire resta aux Français, qui s'emparèrent presque sans coup férir de Brescia, de Bergame et de Pizzighitone[13]. L'armée de la république recula jusqu'à Mestre, tandis que l'armée française s'avança jusqu'à Fusine, d'où Louis XII put contempler la superbe Venise, naguère au comble de la puissance et maintenant agitée par les plus tristes appréhensions. La bataille d'Agnadel semblait le signal de sa chute : partout, dans les provinces, se manifestait un abattement honteux ; elles n'opposaient, en général, aucune résistance ni aux Français, ni aux Impériaux que le duc de Brunswick conduisit dans le Frioul, ni aux princes voisins, qui profitaient de la détresse de leur ancienne dominatrice. Pour sortir de cette situation périlleuse, le sénat prit une résolution singulière, que les uns ont blâmée comme une lâcheté et que d'autres ont louée comme une mesure extrêmement habile : elle consistait à abandonner les États de terre ferme pour se réduire à l'empire de la mer[14]. En même temps, Venise redoublait d'efforts pour désunir les confédérés, exciter leur jalousie contre le roi de France, et isoler ce dernier, qui était redouté plus que les autres. La première tentative de la république près de l'Empereur avait échoué : Maximilien déclara qu'il ne se séparerait point de Louis XII. Le roi d'Aragon fut moins scrupuleux : en lui faisant remettre les ports de la Pouille, les Vénitiens s'assurèrent de son immobilité. Quant à Jules II, qui avait lancé à la fois contre Venise une bulle foudroyante et les troupes du due de Ferrare, il fut très-surpris lorsqu'un secrétaire de la république vint donner l'ordre aux villes qu'elle tenait dans la Romagne de se soumettre volontairement au pape. L'abaissement de Venise affligeait profondément Jules II, dont l'ambition n'avait point étouffé le patriotisme. Il voulait agrandir le domaine de saint Pierre ; mais il voulait aussi sauver l'Italie. II résolut donc d'empêcher la ruine de Venise, de cette république que les patriotes considéraient comme le siège de la liberté, l'honneur de l'Italie et la seule puissance capable d'arrêter les ultramontains. Il laissa voir le changement qui s'opérait dans sa politique, en consentant que Venise lui envoyât six des principaux sénateurs pour lui demander pardon et implorer l'absolution. Une concession si grande et si imprévue ayant excité les plaintes des représentants de Louis XII et de Maximilien, le pape, dissimulant un peu sa volonté désormais immuable, répondit qu'il recevrait les ambassadeurs du sénat, mais qu'il ne donnerait l'absolution qu'après que l'Empereur, le seul qui n'eût pas entièrement recouvré tout ce qu'il prétendait lui appartenir, n'aurait plus rien à désirer[15]. Il n'y avait pas d'ailleurs à se tromper sur les dispositions nouvelles de Jules II. Louis XII les avait devinées, lorsqu'il déclara qu'il s'en tiendrait au partage déterminé par le traité de Cambrai, et qu'il refusa de s'emparer de Vérone, de Padoue et de toutes les autres cités qui voulaient se donner à lui. Il exigea même que les clefs de Vérone et des autres villes, qui formaient le lot de l'Empereur, fussent portées à l'ambassadeur que Maximilien avait envoyé dans le camp français. Jusqu'alors l'Empereur n'avait pas pris une part active et personnelle à cette grande lutte. Les contestations avec la Gueldre et de besoin d'argent l'avaient obligé à prolonger son séjour dans les Pays-Bas. Enfin, le 31 mars 1509, les états généraux, réunis à Anvers, votèrent un subside de 500.000 écus, en faveur de l'Empereur et de l'archiduc Charles, en considération des services rendus par le premier pour la défense du pays et la conclusion de la paix de Cambrai[16]. Mais cette libéralité n'avait point réconcilié Maximilien avec les états, où des observations très-vives s'étaient fait jour au sujet de la direction des opérations militaires en Gueldre. En prenant congé de Marguerite d'Autriche, le 29 avril suivant, Maximilien, au comble du mécontentement, déclara même qu'il ne toucherait à la somme récemment votée en sa faveur que pour payer son voyage jusqu'à Worms. Dans une lettre bizarre et écrite sous l'impression d'un ressentiment très-vif, il se plaignait amèrement du mauvais vouloir des états, qui ne l'avaient point efficacement secondé dans la guerre de Gueldre, et de la déloyauté de Charles d'Egmont, qui transgressait sans cesse la trêve acceptée de part et d'autre. Il disait que Charles de Gueldre s'était moqué de lui, et annonçait l'intention de recourir au roi de France pour que ce prince fit observer le traité[17]. Telles étaient les dispositions de Maximilien, lorsqu'il retourna en Allemagne. Jules II, qui aurait voulu le voir en Italie pour qu'il servît de contrepoids aux Français, lui envoya 50.000 ducats, et lui permit de se servir de 100.000 autres ducats, qu'on gardait depuis quelque temps en Allemagne pour faire la guerre aux infidèles. Mais ces sommes n'avaient pas suffi pour rassembler une armée digne de l'Empereur. Tandis que les Français gagnaient la bataille d Agnadel, Maximilien était à Insprück, cherchant vainement à triompher des répugnances que l'Allemagne témoignait pour la guerre injuste et impolitique dirigée contre Venise. Il fil enfin partir le duc de Brunswick pour reprendre le Frioul, et lui-même se rendit à Trente. De là, il écrivit à Louis XII pour le remercier de ce que, par son moyen, il avait recouvré les places qui lui appartenaient ; il lui mandait aussi que, voulant lui donner une preuve de sa reconnaissance et effacer entièrement la mémoire du passé, il avait fait brûler un livre que l'on conservait à Spire, et qui contenait toutes les injures faites par des rois de France aux Empereurs, à l'Empire et à la nation germanique[18]. Le cardinal d'Amboise alla trouver l'Empereur à Trente, le 15 juin, et lui promit, de la part du roi, 500 lances, formant 4.000 hommes[19]. Maximilien reconnaissant lui conféra pour son maître une nouvelle investiture du duché de Milan, y compris les villes et terres reconquises[20]. Un jour fut ensuite convenu pour une conférence entre l'Empereur et le roi en pleine campagne, auprès de la ville de Garde, sur les confins de leurs États. Louis XII s'y trouva au jour marqué ; mais l'Empereur n'alla pas plus loin que Riva-di-Trento : après y avoir séjourné deux heures, il s'en retourna brusquement à Trente, et manda au roi que certains accidents nouvellement arrivés dans le Frioul l'obligeaient de partir. Il le priait, au surplus, de l'attendre à Crémone, parce qu'il reviendrait incessamment pour l'entrevue projetée. L'irrésolution témoignée par Maximilien en cette circonstance fut attribuée à des soupçons qu'il n'avait pas été difficile d'inspirer à l'ancien ennemi de la maison d'Orléans. Louis, mécontent de ces marques de défiance et désireux de repasser les monts, retourna à Milan sans vouloir attendre plus longtemps son allié[21]. Profitant des hésitations et de la faiblesse de Maximilien, les Vénitiens se remirent en possession de Padoue. A cette nouvelle, les paysans et le peuple du territoire récemment placé sous la domination impériale se soulevèrent également en faveur de lu république, qui recouvra encore la ville et la citadelle de Legnago. La reprise de Padoue n'empêcha point le roi de France de repasser les Alpes, après avoir conclu avec Jules II, dans la ville de Biagrassa, un nouveau traité, par lequel ils se promettaient assistance mutuelle. Au fond, Louis XII, satisfait de ses conquêtes récentes, et redoutant au moins autant les succès de l'Empereur que la restauration de la puissance de Venise, désirait secrètement que Maximilien et la république eussent à soutenir l'un contre l'autre une longue guerre, qui les affaiblirait également. Il avait laissé, sur les confins du Véronèse, la Palice avec 4.000 hommes pour être employés, suivant les ordres de l'Empereur, à la conservation des conquêtes déjà faites et à enlever aux Vénitiens ce qu'ils possédaient encore. Après s'être assuré de Vérone, au moyen de ces troupes françaises qui renforcèrent la garnison, Maximilien proposa de porter un coup décisif à la république, en assiégeant la capitale même. Mais si Louis XII parut goûter ce projet, Jules II le désapprouva, et Ferdinand d'Aragon s'y opposa formellement. L'Empereur, ne pouvant assiéger Venise, se disposa à reprendre Padoue ; mais, seize jours après avoir investi la place, lassé par la ferme résistance des Vénitiens et mal secondé par ses auxiliaires, il se retira avec toute son armée à Limini, sur le chemin de Trévise. Il campa ensuite en différents endroits et se rendit enfin à Vicence, d'où, après s'être fait prêter serment de fidélité par les habitants, il alla à Vérone. Tout en convenant qu'il aurait pu déployer plus d'activité, Maximilien se plaignait hautement du pape et du roi de France. Le premier, en consentant à recevoir les ambassadeurs de Venise, et le second, en envoyant trop tard ses secours, avaient fait croire, dans le monde, qu'il y avait de la mésintelligence entre eux et lui, ce qui avait, disait-il, encouragé les paysans à le contrecarrer et amené la perte de Padoue. Il prétendait aussi que le roi d'Aragon ne souhaitait rien tant que de le voir dans rembarras, afin de le forcer à lui laisser la régence de Castille[22]. Après avoir encore manqué l'occasion de reprendre Legnago, Maximilien découragé se montrait disposé à conclure une trêve avec les Vénitiens. Mais ceux-ci fermèrent l'oreille à ses avances, et il retourna à Trente, mécontent de lui-même et presque brouillé avec ses alliés. Les variations de Jules II allaient augmenter les divisions qui minaient la ligue. Malgré les vives remontrances des envoyés de Maximilien et de Louis XII, Jules voulait recevoir les ambassadeurs que Venise avait envoyés à Rome, et pardonner à la république. Il était secrètement encouragé dans ce dessein par l'envoyé du roi d Aragon, jaloux des Français et hostile à Maximilien ; ouvertement par l'archevêque d'York, représentant du nouveau roi d'Angleterre. Le fondateur de la dynastie des Tudors était mort à Richmond, le 21 avril 1509, après un règne de vingt-trois ans, laissant son royaume florissant et respecté. Cupide, mais habile et prévoyant, Henri VII avait deviné et préparé, à certains égards, la grandeur future de son pays[23]. Henri VIII, son successeur, décidé à prendre au dehors une attitude plus ferme, s'était empressé d'intervenir à Rome, afin de sauver Venise et de neutraliser les ambitieux projets des puissances coalisées contre cette république. Mais déjà il était superflu de solliciter à cet effet l'altier Jules II. Non-seulement cet ancien ennemi de Venise était dès lors bien résolu à ne point la laisser succomber, mais, en outre, il voulait la sauver, en renversant la domination française en Italie. C'est pourquoi il chercha à s'allier étroitement avec le nouveau roi d'Angleterre, et à entretenir le mécontentement que les Suisses manifestaient contre Louis XII. Ce monarque allait trouver un autre adversaire non moins tenace dans le roi d'Aragon. Louis XII et le cardinal d'Amboise s'étaient activement interposés pour aplanir le différend qui avait surgi entre Maximilien et Ferdinand le Catholique, au sujet de la régence de Castille. Mais du moment où Ferdinand vit ses espérances réalisées, dès l'instant où il n'eut plus rien à débattre avec l'Empereur, qui lui laissait la régence[24], il s'efforça également d'empêcher l'agrandissement des Français, dont la puissance lui paraissait redoutable pour le royaume de Naples. Tandis que Maximilien obtenait à grand'peine de la diète de l'Empire, réunie à Augsbourg, un subside insuffisant pour continuer là guerre contre les Vénitiens, Jules poursuivait avec plus de hardiesse le plan qu'il s'était trace. Non-seulement il avait ordonné au nonce Albertino Roboreo d'agir sur la diète, pour empêcher l'octroi du subside, mais encore il s'était déterminé à se réconcilier tout à fait avec Venise. Lorsque les ambassadeurs de la république eurent accepté, le 24 février 1510, le traité que le pape leur proposait, Jules les reçut en grâce et leur donna solennellement l'absolution. Les sujets et vassaux de l'église furent dès lors autorisés à se mettre au service des Vénitiens, et Jules II se brouilla ouvertement avec le duc de Ferrare, qui voulait rester fidèle à la ligue de Cambrai. Il alla plus loin encore. Il pressa Henri VIII de déclarer la guerre aux Français, et le roi d'Aragon fit les mêmes instances, mais avec plus de secret. En même temps, Mathieu Scheiner, évêque de Sion, dans le Valais, servait les desseins de Jules II en Suisse, en déclamant contre les Français dans les diètes et en chaire. Il engagea enfin ses compatriotes à recevoir du souverain pontife une pension annuelle de 1.000 florins du Rhin pour chaque canton, à condition qu'ils s'obligeraient de veiller à la sûreté du pape et des États de l'Église, et qu'ils lui permettraient de lever chez eux un certain nombre de fantassins pour s'en servir contre quiconque l'inquiéterait. De l'aveu même du belliqueux pontife, la ligue de Cambrai n'existait plus et n'avait plus de raison d'être[25]. Dans ces circonstances périlleuses, Louis XII perdit le cardinal d'Amboise, le véritable chef du gouvernement français, le confident du roi, le directeur de sa politique, le ministre expérimenté qui suppléait, par sa fermeté et sa vigueur, à l'indécision et à la mollesse de son maître[26]. Son successeur, Florimond Robertet, secrétaire des finances, n'avait aucune de ses grandes qualités, et on lui reprochait d'être intéressé et même vénal. Encouragé par la mort de Georges d'Amboise, Jules II entra plus avant dans le dessein qu'il avait formé de renverser la domination française en Italie et d'agrandir les domaines de l'Église. Il se proposa de faire occuper les États du duc de Ferrare en même temps que les Suisses envahiraient le Milanais, que la flotte de Venise attaquerait Gênes et que les troupes de la république reprendraient Vérone. Mais tout le fruit de ses desseins se réduisit à la surprise de Modène par les troupes papales. Louis XII, irrité de l'agression du pontife, offrit à Maximilien non-seulement d'attaquer les Vénitiens plus vivement qu'il n'avait fait jusqu'alors, mais encore de l'aider à se rendre maître de Rome et de l'État de l'Église ; comme appartenant de droit à l'Empire, et même de toute l'Italie, à l'exception du duché de Milan et. des États de Gênes, de Florence et de Ferrare. Maximilien s'associa avec empressement a ces vues ambitieuses, et promit à Louis XII d'user de son influence sur le clergé d'Allemagne pour opposer au pape le concile qui était dans les vœux du monarque français. On disait hautement, au château de Blois, que Louis XII tirerait de Jules Il une vengeance éclatante et glorieuse, ou qu'il perdrait le reste de ses possessions en Italie[27]. Mais le pontife guerrier demeurait inébranlable. Malgré sa vieillesse et ses infirmités, il continuait avec ardeur ses préparatifs et proclamait que Dieu l'avait choisi pour être le libérateur de l'Italie. Au cœur de l'hiver (janvier 1511), on le vit assiéger la Mirandole en personne, et entrer dans cette place par la brèche[28]. Malheureusement ce succès fut suivi d'un revers éclatant. Bologne, se détacha de Jules II, et les Français, sous le commandement de Jean-Jacques Trivulzio, firent essuyer aux troupes papales une déroute complète. Cette victoire livrait à Louis XII Rome et tout l'État ecclésiastique : mais ce prince fut arrêté on par ses scrupules religieux, ou par la crainte de soulever la chrétienté contre lui. Il ordonna à Trivulzio de laisser Bologne aux Bentivoglio, de rendre à l'Eglise toutes les conquêtes faites sur elle et de ramener l'armée dans le Milanais. Il voulait que le concile, qui venait enfin de se réunir à Pise, fût l'arbitre de sa querelle avec le pape. Mais cinq cardinaux seulement s'étaient détachés de Jules II ; et, d'un autre côté, Maximilien n'avait envoyé à cette assemblée, ni évêques allemands, ni commissaires, tandis que tous les évêques de France avaient reçu l'ordre de s'y rendre en personne ou par procureurs[29]. Jules II, redoublant d'énergie, jeta l'interdit sur la ville de Pise, et à l'assemblée incomplète, qu'il appelait dédaigneusement le conciliabule de Pise, il résolut d'opposer un concile universel, qu'il convoqua dans l'église de Saint-Jean de Latran, à Rome, pour le 1er mai 1512. Il venait aussi de conclure avec le roi Ferdinand d'Aragon et la république de Venise un traité, auquel les confédérés donnèrent le nom de sainte Ligue. Arrêtée de concert avec le cardinal d'York, ambassadeur de Henri VIII, cette confédération, à laquelle on espérait de rallier Maximilien, avait pour objet apparent la défense de l'unité de l'Église et la restauration de l'État ecclésiastique : en réalité, elle était dirigée contre la France. Elle fut publiée dans l'église de Santa-Maria del Popolo, le 5 octobre 1511, en présence du pape et de tous les cardinaux qui étaient alors à la cour de Rome[30]. Les Suisses arrivaient pour seconder les desseins de Jules Il. Ils entrèrent en Italie au nombre de plus de seize mille combattants, avec la résolution de rétablir Maximilien Sforze dans le duché de Milan. Louis XII avait nommé gouverneur de la Lombardie son neveu Gaston de Foix, duc de Nemours[31], et ce jeune héros — il n'avait que vingt-trois ans — devait bientôt égaler les plus illustres capitaines. Il parvint, par une marche habile, à couvrir la ville de Milan, qui était sans moyen de défense, et força même les Suisses de repasser leurs montagnes. Il obligea ensuite l'armée de la ligue à lever le siège de Bologne ; puis, après avoir encore reconquis Brescia occupée par les Vénitiens, il se dirigea sur Ravenne, où se trouvait une garnison pontificale et espagnole. Mais à peine ses troupes avaient-elles livré un premier assaut que l'armée de la ligue arriva au secours de la place. La bataille s'engagea le jour de Pâques, 11 avril 1512, et Gaston de Foix, victorieux, mourut au sein de son triomphe. Comme il chargeait impétueusement les Espagnols qui se retiraient, il fut enveloppé, renversé de son cheval et abattu à coups de piques. Tandis que cette mort funeste ébranlait la fortune de la France en Italie, Jules II ouvrait le concile qu'il avait convoqué dans Saint-Jean de Latran, Henri VIII adhérait formellement à la sainte Ligue, et l'Empereur lui-même rompait son alliance avec Louis XII. C'était en effet une véritable rupture que de permettre aux Suisses de traverser ses États pour marcher au secours du pape, et d'ordonner aux lansquenets du Tyrol de quitter le service du roi de France[32]. Obligé de diviser ses forces pour faire face à ses ennemis en deçà et au delà des Alpes, Louis XII ne peut plus défendre ses conquêtes d'Italie. La plupart des places tombent successivement au pouvoir des alliés ou se soulèvent aux cris de : Vive l'Empire ! Bientôt il ne reste plus aux Français que Brescia, Crème, et les chameaux de Milan et de Crémone. D'un autre côté, le pape avait recouvré Bologne ainsi que toutes les villes et les places fortes de la Romagne. Maximilien Sforze reprend possession du Milanais, les Médicis sont rétablis à Florence, et Gênes, qui s'était également insurgée contre les Français, redevient une libre république comme Venise. Partout se montre l'influence de Jules II et triomphe sa politique. S'il ne parvient point à rétablir la paix entre l'Empereur et Venise, il obtient du moins de Maximilien 1er, qu'il reconnaîtra le concile de Latran et se déclarera contre la France. Mais le pape, victorieux de Louis XII, n'était pas encore satisfait. Après avoir renversé la domination française en Italie, il aspirait à soustraire celle-ci au joug espagnol. Il voyait avec déplaisir la puissance croissante de Ferdinand, qui, tout récemment encore, avait profité du soulèvement général contre le roi de France pour attaquer déloyalement Jean d'Albret, et enlever la Navarre à ce prince, un des plus fidèles alliés de Louis XII[33]. Jules ne disputait point la Navarre à Ferdinand, mais il songeait à le repousser de l'Italie et à lui enlever le royaume de Naples, afin de faire cesser entièrement le règne des Barbares. Ce fut au milieu de ces projets que la mort vint le surprendre, le 21 février 1513. Il faut voir en lui non-seulement un des plus ardents promoteurs de l'indépendance italienne, mais encore et surtout le pontife militant qui sut consolider l'État de l'Église, agrandi par sa politique et ses travaux[34]. Le 11 mars, le cardinal Jean de Médicis, alors âgé de trente-six ans, fut créé pape d'une commune voix par les vingt-quatre cardinaux qui s'étaient réunis en conclave. A un pontife guerrier, violent, impétueux, inflexible dans ses desseins, succédait un pontife diplomate, intelligent, spirituel, modéré et de mœurs irréprochables[35] ; au belliqueux Jules II le pacifique Léon X. Ce n'est pas toutefois que le nouveau pape fût disposé à renoncer brusquement à la politique nationale de son prédécesseur. Mais, quoiqu'il eût écrit au roi d'Angleterre qu'il maintiendrait la ligue faite contre la France, cette coalition était bien ébranlée par la mort de Jules. Léon refusa de ratifier un traité conclu à Malines, le 5 avril, entre Marguerite d'Autriche, au nom de son père, et les ambassadeurs de Henri VIII, traité qui l'eût obligé à faire envahir par les troupes papales la Provence ou le Dauphiné. De même, le roi d'Aragon désavoua son ambassadeur, lorsque celui-ci eut confirmé à Londres ce même traité, qui lui imposait des obligations analogues et tout aussi impérieuses[36]. Il conclut avec Louis XII une trêve pour leurs États situés au delà des Alpes ; et les Vénitiens, de leur côté, se réconcilièrent tout à fait avec celui qui avait été leur plus redoutable ennemi. Le traité, signé à Blois, le 28 mars, fut ratifié, à Venise, le 11 avril. La république devait aider Louis XII pour qu'il rentrât en possession du Milanais et de Gênes, et le roi appuyerait les Vénitiens pour qu'ils pussent recouvrer leurs places de terre ferme occupées par les Impériaux. Le successeur de Charles VIII se proposa de reconquérir
immédiatement la Lombardie et de devancer ainsi les Anglais, qui devaient, en
débarquant à Calais, tenter d'envahir la France. Louis de la Trémoille, aidé
par Trivulce et Robert de la Marck, fut chargé de conduire la nouvelle expédition.
Asti, Alexandrie, Milan, Gênes, firent leur soumission, mais Novare, où
Maximilien Sforze s'était enfermé avec une forte garnison suisse, opposa une
résistance si vigoureuse que la Trémoille renonça à son entreprise. Alors les
Suisses sortirent de Novare (le 6 juin, après
minuit) au nombre de dix mille hommes, pour attaquer les Français
campés sur le chemin de Trocato, dans leur retraite vers le Riotta. Jamais, dit Guicciardin, la
nation helvétique ne forma d'entreprise plus frère ni plus hardie. Une
poignée de soldats sans cavalerie et sans canon allait assaillir une armée
nombreuse, abondamment pourvue de l'une et de l'autre. Les Suisses
triomphèrent ; cette victoire fit grand bruit dans toute l'Europe : on alla
jusqu'à soutenir que la hardiesse de l'entreprise, le mépris marqué de la
mort, l'extrême valeur des Suisses dans la mêlée et le bonheur de leurs armes
étaient bien au-dessus des plus grands efforts de la valeur grecque et
romaine[37].
Mais il se passa aussi dans les rangs des Français des actions dignes de
l'antiquité. Averti que ses deux fils, les seigneurs de Fleuranges et de
Jamets, tout couverts de blessures, avaient été laissés parmi les morts,
Robert de la Marck, suivi de sa compagnie de cent hommes d'armes, marche
droit à l'ennemi, renverse tout ce qui s'oppose à son passage et parvient
jusqu'au lieu où étaient ses deux fils, qui nageaient dans leur sang. Bravant
les dangers qui l'environnent, il charge l'aîné sur son cheval et met l'autre
sur celui d'un de ses hommes d'armes, puis une seconde fois il se fait jour
au travers des Suisses[38]. Les vaincus de
Novare se réfugièrent en Piémont d'où ils repassèrent les Alpes, et le
Milanais retomba sous le pouvoir de Maximilien Sforze. Henri VIII, qui avait montré tant d'aversion contre la France, se proposait de faire déchoir cette puissance rivale du rang qu'elle occupait depuis Louis XI et Charles VIII. Non-seulement il se plaisait à voir la domination française ruinée au delà des Alpes, mais encore il se proposait de lui enlever la Normandie[39]. De leur côté, Maximilien Ier et Marguerite d'Autriche, quoique très-intéressés à maintenir la neutralité des Pays-Bas, ne voulaient pas non plus laisser échapper cette occasion de se venger de la maison de France. Ils étaient donc fermement résolus, comme tuteurs de l'archiduc Charles, sinon à entrer dans la coalition formée contre Louis XII, du moins à favoriser secrètement ses ennemis, et surtout les Anglais. Les contestations au sujet de la Gueldre étaient une cause permanente d'aigreur entre les cours de Blois et de Malines. Maximilien et Marguerite auraient voulu annexer cette belle province aux autres possessions de l'archiduc Charles, tandis que Louis XII n'avait nullement le dessein d'abandonner un de ses alliés les plus fidèles et les plus utiles. Le traité de Cambrai n'avait, en définitive, été respecté par aucune des parties ; Charles d'Egmont et Marguerite d'Autriche s'accusaient réciproquement d'avoir violé la trêve, et ils pouvaient l'un et l'autre ne pas avoir tort[40]. Les deux partis avaient repris les armes, et les Gueldrois ne cessaient d'attaquer la Hollande et d'inquiéter le Brabant. Marguerite, ne pouvant abattre son redoutable adversaire, espéra l'amuser par de nouvelles négociations. Cédant à ses instances réitérées, Maximilien donna, en 1510, mais non sans répugnance, son assentiment à un projet de mariage d'Isabelle d'Autriche, sa petite-fille, avec Charles d'Egmont. Il devait être stipulé que l'empereur ainsi que l'archiduc Charles, son petit-fils, conserveraient les titres de duc de Gueldre et de comte de Zutphen, attendu que ces pays devaient leur échoir au cas où du mariage projeté ne proviendrait pas d'hoir mâle. En considération d'un traité qui allait décharger les habitants des Pays-Bas des grandes dépenses nécessitées par la guerre de Gueldre, Maximilien espérait bien obtenir des états, sa vie durant, 50.000 livres, à payer par égale portion aux deux foires d'Anvers. Mais les circonstances n'étaient pas assez favorables pour que Marguerite osât présenter cette requête aux états[41]. Le projet, dont elle avait pris l'initiative, fut d'ailleurs abandonné par elle lorsqu'elle eut appris que Henri VIII ne le goûtait point et considérait même un tel accommodement comme peu honorable pour la maison d'Autriche. Elle déclarait, ce qui était faux, que, en proposant ce mariage, elle n'avait fait qu'obéir aux ordres de l'Empereur[42]. La reprise des hostilités avec la Gueldre excita, comme il était à craindre, le plus vif mécontentement, surtout dans les états de Brabant, qui se montrèrent très-mal disposés à voter de nouveaux subsides. On faisait retomber sur Marguerite d'Autriche, trop docile, disait-on, à suivre les instructions de l'Empereur, la responsabilité de cette guerre, et sa popularité en souffrit beaucoup. On tenait contre elle des discours séditieux ; on affichait aux portes des églises des placards où cette princesse était violemment attaquée ; on cherchait enfin à provoquer contre elle un mouvement populaire. De son propre aveu, la gouvernante ne savait plus quel tour donner aux affaires, à cause du mauvais vouloir de ceux qui l'entouraient et de la pénurie des finances[43]. Marguerite reprochait à Louis XII d'accorder à Charles de Gueldre plus de faveur que ne comportait le traité de Cambrai et, à l'appui de ses plaintes, elle adressa au monarque copie d'une lettre anonyme qu'elle avait reçue sur ce sujet. Louis voulut connaître l'accusateur et dit que, s'il était d'un rang égal au sien, il l'enverrait défier, et que si le personnage était d'un ordre inférieur, il ne manquerait pas en France de gentilshommes pour lui demander raison. Mais cette déclaration ne rassura point la régente. Elle était, au contraire, bien convaincue que Louis XII ne cesserait jamais d'aider et de favoriser Charles de Gueldre, et qu'il ne l'abandonnerait jamais, quoi qu'il lui en dût coûter. Aussi stimulait-elle son père pour que l'entreprise hostile de Henri VIII contre la France fût encouragée par la maison d'Autriche. Maximilien ne demandait pas mieux ; il ne s'agissait pour lui que de mettre sa conscience en repos : il finit par tout concilier en déclarant, d'après les suggestions de sa fille, qu'il était, comme empereur, l'allié du roi d'Angleterre, mais que, comme tuteur de Charles, il resterait uni avec le roi de France[44]. Par une lettre écrite d'Étampes le 26 mai 1513 et adressée directement à l'archiduc, Louis XII se plaignit vivement de l'assistance que le gouvernement des Pays-Bas prêtait aux Anglais, en mettant à leur disposition des cavaliers du Hainaut et du Brabant ainsi que des navires de Hollande et de Zélande. Si vous étiez en âge, lui disait-il[45], je crois certainement que vous me serviriez plutôt et assisteriez contre lesdits Anglais. Et comme vous êtes pair de France, sorti de ladite Couronne et vassal d'icelle, je vous en pourrais sommer et requérir ; mais considérant votre âge, je ne l'ai voulu faire. Marguerite d'Autriche ne tint aucun compte de cet avertissement. Elle se vanta même plus tard d'avoir volontiers aidé les Anglais dans leur entreprise contre la France, à cause du grand bien qui devait, disait-elle, en résulter pour la maison d'Autriche[46]. Ce qui d'ailleurs mettait la gouvernante plus à l'aise, c'était une-trêve de quatre années qu'elle était enfin parvenue à conclure, moyennant des conditions peu favorables, avec Charles de Gueldre. Cet armistice devait prendre cours à partir du 10 août 1513. Le 1er juillet, Henri VIII, après avoir nommé Catherine d'Aragon régente du royaume d'Angleterre pendant son absence, débarqua à Calais avec sa cour et les archers de sa garde. Aux troupes anglaises, qui passèrent successivement le détroit pour se rassembler sur les frontières de la Picardie, vinrent se joindre les Impériaux. Le total de ces forces s'éleva à quarante-cinq mille fantassins et à sept ou huit mille chevaux. Maximilien lui-même secourut dans le camp de Henri VIII, non pour partager le commandement avec lui, mais pour l'aider de ses conseils et le servir comme volontaire. C'était le plus grand honneur que le monarque anglais pût espérer[47]. Les Anglais assiégèrent et démantelèrent Térouane, après avoir battu à Guinegate l'armée française qui avait voulu secourir cette place importante. Mais, au lieu d'achever ensuite là conquête de la Picardie, ils résolurent de tourner leurs forces contre Tournai, qui avait fait autrefois partie de la Flandre. Maximilien, qui les entraînait dans cette expédition, avait l'espoir que Tournai serait rendu tôt ou tard à son petit-fils, souverain des Pays-Bas. Ce calcul, quoique d'abord déjoué, devait être justifié un jour. Les Anglais s'avancèrent donc contre Tournai. La ville menacée était alors sans garnison royale, et, malgré les instances de Louis XII qui offrait des troupes et des vivres, la bourgeoisie riche et dominante avait engagé le magistrat à ne point avoir recours aux Français, L'exclusion d'une garnison royale fut même stipulée dans un traité d'assurance conclu avec Maximilien, à l'instigation de ce patriciat bourgeois qui craignait, si la ville faisait résistance, de voir confisquer les rentes qu'un certain nombre de notables possédaient sur Bruges, Gand, Valenciennes et d'autres villes soumises à l'autorité du chef de la maison d'Autriche. Le 15 septembre, les. Anglais et les Impériaux dressèrent leurs tentes devant Tournai, et, le 21, la cité se rendit à Henri VIII, en sa qualité de roi de France. Les députés de la bourgeoisie furent reçus dans une vaste tente de drap d'or, où le monarque anglais les attendait, ayant autour de lui cent chevaliers et douze cents gardes. On convint que les bourgeois auraient vies et bagues sauves, mais en payant cent mille ducats pour se racheter du pillage, et qu'ils recevraient une garnison anglaise de sept mille hommes d'infanterie et de trois cents cavaliers. Le 25, Henri VIII, toujours en qualité de roi de France, fit son entrée solennelle dans la ville : il ordonna la construction d'une citadelle et disposa du siège épiscopal en faveur de Wolsey, son très-influent aumônier et ministre, tandis que Louis Gaillart, qui avait été élu par le chapitre, cherchait un refuge à la cour de France[48]. A la fin d'octobre, Henri VIII, après avoir laissé dans Tournai une garnison de 12.000 hommes, se rembarqua à Calais, sans avoir su profiter de toute la supériorité de ses forces[49]. Les Suisses, plus redoutables que les Anglais, n'avaient pas non plus exécuté leurs menaces. Au nombre de quatorze ou quinze mille, ils s'étaient jetés en Bourgogne où ils avaient été rejoints par la gendarmerie de la Franche-Comté et un certain nombre de cavaliers allemands commandés par Ulric, duc de Wurtemberg. Ces troupes parurent à. la vue de Dijon où Louis de la Trémoille s'était enfermé avec mille lances et 6.000 hommes d'infanterie. Désespérant de défendre la place, la Trémoille, sans attendre les ordres du roi, convint avec les assiégeants que ce prince céderait ses prétentions sur le Milanais et qu'il payerait aux Suisses 400.000 écus en différents termes. On leur en donna 20.000 sur-le-champ, et, en outre, des otages pour la garantie de la convention. A ces conditions les Suisses s'engagèrent à se retirer dans leur pays, et ils reprirent effectivement la route de leurs montagnes. On prétend que, après la prise de Dijon, les Suisses auraient pu pénétrer sans obstacle jusqu'aux portes de Paris. Quelque utile cependant qu'eût - été la convention conclue par la Trémoille pour amortir l'ardeur des Suisses, Louis XII refusa de la ratifier[50]. Mais, d'autre part, il se réconcilia avec le pape Léon X, en abjurant le concile de Pise ; avec le roi d'Aragon, en lui laissant la Navarre et, par l'influence de ce dernier, il se rapprocha même de l'Empereur, en ne disputant plus le Milanais à Maximilien Sforze. Tous les efforts de Louis XII tendaient alors à dissoudre l'étroite alliance de la maison d'Autriche avec l'Angleterre. Pour renverser cette confédération toujours menaçante, il trouva en Ferdinand un utile auxiliaire, et ce fut, d'après les instigations de l'ambassadeur de ce prince, que de nouveaux projets d'alliance matrimoniale furent adressés à l'Empereur. Louis XII offrait de conclure le mariage de Renée de France, sa seconde fille, avec l'archiduc Ferdinand, et d'assurer à celui-ci une dot dans le duché de Milan et la seigneurie de Gênes[51]. Marguerite d'Autriche conjura son père de point prêter l'oreille à des propositions qui lui paraissaient insidieuses, et, au lieu d'imiter la conduite égoïste du roi d'Aragon, de maintenir inébranlablement l'alliance anglaise de laquelle on pouvait espérer la restitution du duché de Bourgogne et un accroissement de puissance pour les Pays-Bas[52]. Malheureusement, la mort d'Anne de Bretagne, survenue le 9 janvier 1514, ne tarda point à modifier les relations des divers États et à imprimer, momentanément du moins, une autre direction à la politique de Henri VIII. Au mois de mai, le mariage si longtemps différé de la princesse Claude avec François d'Angoulême, fut enfin célébré. On considérait ce prince comme l'héritier présomptif de la couronne de France. Cependant Louis XII, quoique valétudinaire et infirme, songeait à prendre une nouvelle épouse. Bientôt même le bruit fut répandu à Londres que Marguerite d'Autriche avait fixé le choix de Louis et deviendrait reine de France. Quelque chimérique que fût ce projet, car l'aversion de Marguerite pour le mariage et la maison de France était désormais insurmontable, Henri VIII s'alarma des rumeurs qui étaient venues jusqu'à lui. Telle fut son irritation qu'il ouvrit l'oreille aux propositions du duc de Longueville, prisonnier en Angleterre depuis la bataille de Guinegate, où il avait été vaincu. Ce personnage, impatient de sortir de captivité, alla jusqu'à demander pour son maître la main de la princesse Marie, fille cadette de Henri VII. Agée de seize ans et douée d'une beauté merveilleuse, Marie d'Angleterre était depuis 1508 fiancée à Charles d'Autriche, et elle portait même le titre de princesse de Castille[53]. Malheureusement, des observations dilatoires, soulevées dans le conseil des Pays-Bas au sujet du douaire de la future reine, avaient refroidi les rapports de Henri VIII avec Maximilien et Marguerite d'Autriche[54]. D'un autre côté, le projet de 1508 avait toujours excité la jalousie de la cour de France, et à tel point que, lorsque Louis XII fiança sa fille Claude avec François d'Angoulême, il déclara qu'il agissait ainsi parce que l'empereur Maximilien recherchait pour son petit-fils la main de la princesse d'Angleterre. Informée des négociations nouvelles qui se poursuivaient à Londres, Marguerite d'Autriche s'empressa d'envoyer Jacques de Thiennes vers Henri VIII pour lui rappeler ses engagements. Mais cette mission n'eut aucun résultat. Le traité d'alliance avec la France fut signé le 7 août 1514. Malgré les excuses apportées par Richard de Wingfeld, Marguerite vit cette défection avec un déplaisir extrême et. fut loin d'approuver l'Empereur, lorsque, le 1er octobre, celui-ci consentit que l'archiduc Charles fût compris dans le traité d'alliance annexé au traité de mariage[55]. Neuf jours après, Louis XII et Marie d'Angleterre furent unis à Abbeville. Le 5 novembre vit le couronnement de la nouvelle reine à Saint-Denis, et, pendant cette cérémonie, le duc d'Angoulême, héritier présomptif, tint la couronne au-dessus de sa tête. Le lendemain, Marie d'Angleterre fit son entrée solennelle à Paris[56]. Mais déjà les jours de Louis XII étaient comptés : sa santé déclinait rapidement et ses forces s'épuisaient. Il mourut, le 1er janvier 1515, quatre-vingt-deux jours après son nouveau mariage, et n'ayant d'autre postérité que les deux filles issues de son union avec Anne de Bretagne. François d'Angoulême, duc de Valois, succéda à Louis XII comme son plus proche héritier. Né à Cognac, le 12 septembre 1494, il était arrière-petit-fils de Louis, duc d'Orléans, frère de Charles VI, et fils de Charles, comte d'Angoulême, et de Louise de Savoie. Celle-ci, demeurée veuve de bonne heure, avait dirigé La jeunesse du nouveau roi et continuait, d'exercer sur lui le plus grand empire. François Ier débuta mal dans ses relations avec le jeune souverain des Pays-Bas. Philippe Dalles, maître d'hôtel de l'archiduc, avait été envoyé vers Louis XII par Marguerite d'Autriche. Ce fut son successeur qui lui donna audience le 2 janvier, lendemain de son avènement. Cette entrevue fut loin d'être affectueuse[57]. L'ambassadeur belge se plaignit des dévastations commises dans le Luxembourg par Robert de la Marck, marquis de Sedan, et du complot qu'il avait tramé pour livrer Thionville à la France. Il informa ensuite le nouveau roi de l'émancipation prochaine de l'archiduc et de sa résolution de vivre en bonne amitié avec lui, si le roi n'y apportait point d'obstacle. — Cela ne dépendra pas de moi, répondit avec hauteur François Ier : je lui serai bon parent et ami, bon seigneur aussi parce qu'il est mon vassal ; mais je ne veux pas être mené par lui comme l'Empereur et le roi d'Aragon ont mené le feu roi : s'il en était autrement, je laisserais toutes choses pour m'en venger. Toute la cour entendit ces paroles hautaines. Mais l'envoyé belge répondit très-haut aussi par ces mots prophétiques : Sire, il ne tiendra qu'à vous que M. le prince de Castille vive bien avec vous comme fit le roi son père avec votre prédécesseur. Et sachez, sire, que vous n'aurez jamais ni ami ni vassal qui vous puisse nuire davantage !... |
[1] On comptait dans Venise plus de 200.000 âmes.
[2]
F. Guicciardin, Histoire d'Italie, liv. V-III, chap. IV. Ad. ann., 1509.
[3] Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, p. 101.
[4] Telle était l'appréciation de Marguerite d'Autriche elle-même. Ce projet de mariage, disait-elle, en 1515, à l'archiduc Charles, avait été conçu affin de povoir mieulx résister à nos ennemis publics et secrets... et au moyen duquel traictié, ajoutait-elle, tost après se ensuyvit le traictié de Cambray. (Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. II, p. 121. Voir aussi t. Ier, p 155.)
[5] Dans une lettre du 16 septembre 1507, Maximilien insistait fortement pour que sa fille épousât le roi d'Angleterre, à condition qu'il fût stipulé dans le contrat que Marguerite pourrait, comme gouvernante des Pays-Bas, résider dans ces provinces au moins quatre mois par an. De cette façon, disait-il à sa fille, vous gouvernerez Angleterre et la maison de Bourgogne... L'Empereur faisait aussi remarquer que, par cet arrangement, Marguerite ne devait plus craindre d'être en quelque sorte prisonnière du roi d'Angleterre, renommé pour sa tête dure. (Voir Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, p 12.) — Henri VII, qui désirait ardemment l'union proposée par Maximilien, ne rejetait point la condition à laquelle l'Empereur subordonnait son consentement. Dans une entrevue récente avec les envoyés de Maximilien et de Marguerite, il avait fait connaître sans détour l'affection qu'il éprouvait pour la sœur de Philippe le Beau. Les ambassadeurs s'exprimaient en ces termes : Et après commença à parler de l'alliance de mariage... disant comme ceux de son royaume l'avoient jà bien fort presché d'entendre à soy allier, considérant qu'il n'avoit que ung fils héritier, et en cas qu'il pieu à N. S. le prendre envers soy, sondit royaume en pourroit avoir à souffrir. Mais de sa part, après avoir advisé à tout, ne sçauroit penser à quelle il se allieroit plus volontiers que à vous, nostre redoubtée dame, saichant de vray que vous estes la princesse la plus douce de vertus et grâce divine que nulle autre à son semblant, et quant oires vous ne seriez de si haulte lignée et descente comme vous estes, ce néanmoins pour la grande et non pareille valeur, qu'il cognoit estres en vous, il vous choisiroit et a toujours choisie devant toutes autres, etc. Pour surmonter les hésitations de Marguerite, les ambassadeurs ne lui laissaient pas ignorer que le roi de France, de son côté, s'efforçait de négocier le mariage de Henri VII avec la comtesse d'Angoulême. (Dépêche d'André de Burgo, conseiller de l'Empereur, et de Georges de Themisecke, prévôt de Cassel, à Marguerite d'Autriche, Londres, 20 juillet 1508, dans la Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. Ier, pp. 125 et suivantes.)
[6] Le Glay, Correspondance de Maximilien Ier et Négociations diplomatiques, I, passim.
[7] Il fut convenu également que Charles de Gueldre restituerait à l'archiduc Charles les places qu'il détenait en Hollande, tandis que l'archiduc, de son côté, remettrait les forteresses de la Gueldre qu'il occupait encore, jusqu'à ce que des commissaires spéciaux, délégués, d'un côté, par l'Empereur et le roi d'Angleterre, de l'autre, par les rois de France et d'Ecosse, eussent statué sur le fond de l'affaire et les limites des deux États.
[8] Il fut même décidé que l'archiduc Charles ne devrait prêter hommage pour Flandre, Artois et Charolais, qu'après avoir atteint sa vingtième année.
[9] En effet, on avait stipulé : Il y aura ligue et confédération entre le pape, pour lequel le cardinal d'Amboise se fait fort, l'Empereur, les rois de France et d'Aragon contre le doge et la seigneurie de Venise, pour le recouvrement de ce qui a été enlevé à chacun des contractants. Jules II, Louis XII et Ferdinand devront entrer en campagne le 1er avril suivant ; et aucun d'eux ne pourra se retirer de la ligue tant que le pape n'ait été remis en possession de Ravenne, Cervia, Faenza, Rimini, Imola, Césène et leurs dépendances ; tant que l'Empereur ne soit maître de Roverédo, Vérone, Padoue, Vicence et Trévise, le patriarcat d'Aquilée ; tant que le roi de France ne soit rentré à Brescia, Crème, Bergame, Crémone, la Ghierra d'Adda, usurpés sur le duché de Milan ; et enfin, tant que le roi d'Aragon n'ait recouvré ses places du royaume de Naples, cédées jadis aux Vénitiens, telles que Trani, Brindes, Otrante, Gallipoli, etc. (Négociations diplomatiques, t. Ier, p. XCI.)
[10] Histoire de Venise, par Daru, liv. XXII.
[11] Guicciardin, Histoire d'Italie, liv. VIII, chap. Ier. — Daru, Histoire de Venise, liv. XXII.
[12] Histoire de Venise, par Daru, liv. XXII.
[13] En faisant connaître à Marguerite les résultats de la victoire d'Agnadel, Maximilien s'exprimait en ces termes : Nostre ambassadeur, messire Adrien de Burgo, qui a esté présent à ceste bataille, nous escript qu'il y a veu bien IIIIm morts. Par autres lettres que le maistre des postes de France a escriptes, nous entendons qu'il y a de X à XIIm hommes que morts que prins, et que nostre dit frère et cousin (Louis XII) a gaigné quarante pièces d'artillerie. Nous entendons aussi la puissance desdits Vénitiens en ceste bataille avoir esté de XXm hommes, et des François d'ung peu plus. (Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, p. 140.)
[14] Voir Ancillon, Tableau des révolutions du système politique de l'Europe, 1re partie, 1re période, chap. VI. — On a prétendu que le principal motif du sénat fut d'ôter au roi de France l'occasion de songer à Venise, où l'oligarchie craignait que son approche ne causât quelque désordre. La ville était aussi remplie d'étrangers qui auraient saisi cette occasion de la piller.
[15] Guicciardin, liv. VIII, chap. III.
[16] En même temps une somme de 60.000 livres avait été accordée à l'archiduchesse Marguerite, pour la peine qu'elle avait prise en négociant la paix.
[17] Correspondance de Marguerite d'Autriche, etc., t. Ier, pp. 130 et suivantes.
[18] Guicciardin, liv. VIII, chap. III.
[19] Une lance fournie était composée de huit hommes : un homme d'armes, deux archers et cinq chevau-légers.
[20]
Négociations diplomatiques, etc., t. Ier. Monumenta habsburgica, Introduction, p. 105.
[21] Guicciardin, liv. VIII, chap. III.
[22] Guicciardin, liv. VIII, chap. IV. — Cf. Lanz, Monumenta habsburgica, Introduction, pp. 103 et suivantes.
[23] Voir une appréciation judicieuse du caractère de Henri VII, dans l'Histoire des causes de la grandeur de l'Angleterre, etc., par Ch. Gouraud (Paris, 1856, 1 vol. in-8°), passim. — Henri VII n'avait pu amener Marguerite d'Autriche à partager son trône. A toutes les instances du roi, appuyées par celles de l'Empereur, la sage gouvernante des Pays-Bas, fidèle à la mémoire de Philibert de Savoie, avait opposé un refus respectueux.
[24] On convint que Ferdinand conserverait la régence tant qu'il n'aurait point d'enfants mâles, et jusqu'à ce que l'archiduc Charles eut atteint l'âge de vingt-cinq ans. Celui-ci ne devait point prendre le titre de roi du vivant de sa mère, dans la personne de qui résidait la royauté. D'autres stipulations allouaient une indemnité à Maximilien, et fixaient la dotation du prince de Castille.
[25] Voir Guicciardin, liv. IX, chap. Ier.
[26] Le cardinal d'Amboise mourut à Lyon, le 26 mai 1510, dans le couvent des Célestins. André de Burgo, qui résidait alors auprès de Louis XII, en qualité d'ambassadeur des princes de la maison d'Autriche, en informant la gouvernante des Pays-Bas du décès du cardinal, lui disait : Je vous promets que vostre maison y fait grande perte. Lettres de Louis XII, publiées par Godefroy, I, 235.
[27] Voir les lettres qui forment la 3e légation de Machiavel à la cour de France, notamment la dépêche datée de Blois, 22 juillet 1510.
[28] Guicciardin, liv. IX, chap. III.
[29]
Guicciardin, liv. X, chap. Ier. Il dit ailleurs des cardinaux dissidents : Sous couleur de procurer le bien public, les cardinaux ne
songeaient qu'à leurs intérêts particuliers, et aspiraient au pontificat, ayant
eux-mêmes plus grand besoin de réforme que ceux qu'ils voulaient réformer.
Ibid., liv. X, chap. II.
[30] Guicciardin, liv. X, chap.
II.
[31] Il était frère de Germaine de Foix, seconde femme de Ferdinand, roi d'Aragon.
[32] Quant à Henri VIII, il fit déclarer à Louis XII, par un héraut, que tous leurs traités étaient rompus, attendu qu'il y était clairement exprimé qu'on ne ferait point la guerre à l'Église ni au roi catholique. On sait que Ferdinand d'Aragon était le beau-père de Henri VIII, celui-ci ayant épousé Catherine d'Aragon, veuve de son frère ainé et sœur de la mère de Charles d'Autriche.
[33] Il convient d'ailleurs de lire le mandement par lequel Ferdinand le Catholique entreprit de justifier la conquête de la Navarre. Cette proclamation est datée de Burgos, 30 juillet 1512, et insérée dans les Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. Ier, p. 76.
[34] Dans son Histoire de la Papauté, Ranke dit que Jules II doit être regardé comme le fondateur de l'État de l'Église.
[35] C'est un hommage que lui rend Guicciardin, liv. XI, chap. IV.
[36] Le traité de Malines du 5 avril 1513, portait en substance : que, dans trente jours après la signature des articles, chacun des confédérés déclarerait la guerre au roi de France et la lui ferait dans deux mois hors de l'Italie, savoir : le Pape en Provence ou en Dauphiné, l'Empereur en Bourgogne, le roi d'Aragon en Béarn ou en Guienne, en Normandie ou en Picardie ; que, pour subvenir aux frais de la guerre, le roi d'Angleterre ferait compter 100.000 écus d'or en trois termes. L'opposition de Léon X et du roi Ferdinand empêcha que ce traité reçût son exécution entière. Cf. Monumenta habsburgica, Introduction, pp. 150 et suivantes.
[37] Histoire d'Italie, liv. XI, chap. V.
[38] Mémoires de Du Bellay, t. Ier, p. 24.
[39] Francesco Vettori, ambassadeur de la république de Florence, à Rome, à N. Machiavelli (12 juillet 1513). Œuvres de Machiavel.
[40] Voir, à cet égard, la lettre écrite de Blois, le 21 et le 22 février 1510, par André de Burgo, ambassadeur de Maximilien Ier, et adressée à Marguerite d'Autriche, ainsi que la dépêche par laquelle Maximilien lui-même s'adresse à Louis XII, afin qu'il intervienne pour que Charles de Gueldre restitue la ville de Harderwyrk dont il s'est indûment emparé, ou que le roi de France lui ôte sa pension et le casse comme chef d'une de ses compagnies d'ordonnance. Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, pp. 377 et suivantes.
[41] Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, pp. 245, 255, etc., et Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. Ier, pp. 177 et suivantes.
[42] Correspondance de Marguerite d'Autriche ; lettre au roi d'Angleterre (février 1511), t. Ier, p. 247.
[43] Lettre de Marguerite à Maximilien (avril 1512), dans la Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. II, p. 5.
[44] Maximilien à Marguerite, Augsbourg, 17 mai 1513. Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. II, p. 78.
[45] Archives du royaume. Documents historiques, t. Ier. — Correspondenz des Kaisers Karl V, t. Ier, p. 1.
[46] Marguerite à Charles d'Autriche, 20 août 1515, dans la Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. II, p. 123.
[47]
Voir, à ce sujet, une lettre très-intéressante adressée, le 25 août 1513, par
Catherine d'Aragon à Th. Wolsey.
H. Ellis, Original letters illustrative of english history (London,
1825), 1re série, t. Ier, p. 84.
[48] Mémoires de Du Bellay, t. Ier, p. 57. — Histoire de Tournai et du Tournésis, par Chotin, t. II, passim. — Guicciardin, liv. XII, chap. Ier. — Simonde de Sismondi, Histoire des Français (Paris, 1835), t. XVI, p. 55.
[49] La neutralité des Pays-Bas, d'ailleurs plus apparente que réelle, n'avait pas été respectée. Les Français firent des courses et commirent de grandes dévastations dans le Hainaut, se renommant Escossois (alors en guerre avec Henri VIII) et disant que tout ainsi que nos gens sont aux Anglois, ils sont auxdits Escossois. Marguerite d'Autriche à l'Empereur, mai 1513, dans la Correspondance de Marguerite, t. II, p. 80. Le comte Henri de Nassau dut se rendre sur la frontière pour résister aux agresseurs, et même appeler à son aide une partie de la garnison anglaise de Tournai. Marguerite à l'Empereur, 12 juin 1514. Oper. cit., t. II, p. 99. Du reste, on rédigea un mémoire des griefs imputés à la France, à l'occasion de la descente des Anglais et du secours qu'ils auraient reçu dans les Pays-Bas. Négociations diplomatiques, t. Ier, p. 576.
[50] Mémoires de Du Bellay, t. Ier, p. 55. — Guicciardin, liv. XII, chap. 1er.
[51] Dans une lettre du 24 février 1513 (v. st.), adressée à Maximilien, Marguerite d'Autriche précise les propositions dont Quintana, ambassadeur du roi d'Aragon à la cour de Louis XII et auprès de l'Empereur, s'était fait l'organe en les appuyant. Le roy de France, dit l'archiduchesse, offre au Roi Catolique le mariage de sa fille Mme Renée, et de l'infant don Fernando avec la quictance de Naples et du chasteau de Gennes, aussy de la duché de Millan, et que semblablement il offre pour sûreté luy délivrer la fille en ses mains avec plusieurs bonnes et grandes paroles. Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, p. 569.
[52] Marguerite d'Autriche écrivit à l'Empereur, son père, trois lettres extrêmement remarquables pour le détourner du traité de paix avec la France et l'engager à rester uni avec Henri VIII. Le 14 février, elle lui disait : Si le Roy Catolique est celluy de vous trois qui plus facilement s'incline à ceste paix et y vouldroit induire les aultres, ce n'est pas merveille ; car il a ce qu'il demande ; mais vous ny le roy d'Angleterre ne l'avez pas... Le 24 février elle ajoutait : Entre le Roy Catolique et France il y a de grandes montaignes, entre France et Angleterre est la mer ; mais entre ces pays et France n'y a point de séparation ; et vous scavez la grande et invétérée inimitié que les François portent à ceste maison (de Bourgogne). Marguerite mettait ensuite l'Empereur en garde contre certains conseillers (elle faisait allusion au Sr de Chièvres), qui se proposaient de rompre l'amitié d'Angleterre, et qui, pour parvenir à leurs fins, cherchaient à la calomnier et à lui faire ôter le gouvernement des Pays-Bas. Enfin, le 6 mars, elle lui dit : Le bien commun de vous et de Mr mon nepveu et des rois d'Aragon et d'Angleterre est de demeurer unis ; et elle lui représente que, en faisant marcher les armées, selon ce qui avait été convenu avec Henri VIII dans l'entrevue qu'ils avaient eue à Tournai, c'était le moyen d'avoir plus seure, plus durable, plus honnourable et proufitable paix que à présent. Elle le conjurait, en tout cas, de ne pas conclure cette paix sans stipuler formellement la restitution du duché de Bourgogne. Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, pp. 564, 569 et 572.
[53] De son côté, Henri VIII, dans ses lettres à Marguerite d'Autriche, appelait le prince de Castille nostre cousin et beau-frère. Voir Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, p. 557. — C'était Jean, Sr de Berg-op-Zoom et de Walhain, qui avait reçu (17 décembre 1508), comme fondé de pouvoirs de Maximilien, les fiançailles de l'archiduc Charles et de la princesse Marie d'Angleterre.
[54] Original letters, etc., t. Ier, p. 114.
[55] Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, p. CXVII.
[56] Original letters, etc., t. Ier, pp. 115 et suivantes.
[57] Philippe Dalles raconte très-longuement cette entrevue dans une lettre adressée à Marguerite d'Autriche et écrite de Paris, 5 janvier 1515. Voir Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, p. 595 et suivantes.