Les états généraux, réunis à Malines, reçoivent information de la mort de Philippe le Beau. — La majorité est d'avis d'offrir la régence à Maximilien. — Il délègue Marguerite d'Autriche pour gouverner les Pays. — Des et élever les enfants de Philippe. — Détails sur la fille de Maximilien. — Installation de Marguerite en qualité de gouvernante. — Traité commercial avec l'Angleterre. — Guerre avec la Gueldre. — Origine de cette longue lutte. — Mésintelligence d'Arnould et d'Adolphe d'Egmont. — Le duché de Gueldre est cédé à Charles le Téméraire. — Soulèvement des Gueldrois après la mort de ce prince. — Charles d'Egmont chasse les garnisons allemandes. — Efforts de Maximilien et de Philippe le Beau pour établir leur domination en Gueldre. — Charles d'Egmont est soutenu par Louis XII. — Trêve conclue à Rosendael, le 27 juillet 1505, et bientôt violée. — Louis XII Continue d'assister le duc de Gueldre. — Les états généraux n'accordent point à Marguerite d'Autriche l'argent et les troupes qu'elle demande pour garantir la sûreté du pays. — Dévastations commises dans le Brabant. — Les auxiliaires français sont battus près de Saint-Hubert. — Interruption des hostilités.Guillaume de Croy, lieutenant général des Pays-Bas en l'absence du souverain, avait convoqué les états généraux è Malines (août 1506), afin de leur demander une levée de huit mille piétons et de quinze cents chevaux pour s'opposer aux agressions du duc de Gueldre. Les états obtinrent un délai jusqu'au 22 septembre. Lorsqu'ils furent de retour à Malines, quelque temps après l'époque fixée, la nouvelle inattendue de la mort du roi — c'était le titre officiel de Philippe le Beau — agitait profondément les esprits et répandait les plus vives alarmes jusqu'aux extrémités du pays. Le dimanche, 18 octobre, les députés des provinces s'assemblèrent it Malines dans la salle de la Cour, à huit heures du matin, en présence du jeune archiduc Charles, des membres de sa famille, des chevaliers de l'ordre de la Toison d'or et des membres du conseil. Le chancelier de Bourgogne exposa d'abord les motifs du dernier voyage du roi, qui était allé en Espagne, disait-il, afin d'y recueillir les grands biens qui lui étaient échus, et il ajouta que nul ne luy avoit conseillé faire ledit voiage ; mais par magnanimité, de soy-meismes, craindant estre réputé liche, s'y estoit conclud. à raconta ensuite les vicissitudes de la traversée, parla des tempêtes qui avaient obligé le roi à relâcher en Angleterre, et dit, enfin, comment Philippe était arrivé en Espagne, après avoir surmonté tant de périls, et comment il avait été reconnu comme roy et seigneur du pays jusqu'au jour où la mort était venue le surprendre inopinément au milieu de ses prospérités[1]. Après ce long et funèbre préambule, le chancelier proposa de pourvoir à la tutelle des enfants du souverain décédé et à la régence du pays, le testament du roi Philippe ne contenant aucune disposition sur ces deux points[2]. Les opinions furent divergentes. Les députés du Brabant, de la Hollande, de la Zélande et de la Frise se prononcèrent pour le roi des Romains ; ceux de Flandre, d'Artois, de Lille, de Douai et d'Orchies dirent être sans instructions ; ceux du Hainaut et de Namur, craignant de provoquer la colère du roi de France dont les troupes paraissaient déjà menacer leurs frontières, ne voulurent voter ni pour Maximilien ni pour un autre. L'avis du Brabant ayant prévalu, des ambassadeurs se rendirent à Ems pour offrir la régence à Maximilien[3]. Ce prince conservait toute sa défiance à l'égard de la politique française. Il avait écrit au seigneur de Chièvres et aux autres personnages, qui étaient provisoirement investis du gouvernement, de ne pas s'arrêter aux lettres du roi de France, et de ne point ajouter foi à des offres dont la sincérité était plus que douteuse[4]. Il aurait même voulu que les ambassadeurs de Louis XII fussent éloignés des provinces belges, de crainte qu'ils ne les fissent révolter ; car ils n'ont d'autre courage, disait-il, sinon celui de détruire la maison de Bourgogne, comme ils sont toujours accoutumés de faire[5]. Satisfait de la déférence des états et prétextant les soins de l'Empire, il délégua sa fille, Marguerite d'Autriche, pour élever, sous sa direction, les enfants de Philippe le Beau et gouverner les domaines patrimoniaux de la maison de Bourgogne. Ou sait déjà comment Marguerite, après avoir été fiancée au dauphin de France, avait été renvoyée, en 1493, quand le fils de Louis XI eut résolu d'épouser Anne de Bretagne. Bien que, à cette époque, Marguerite n'eût encore que quatorze ans, elle était déjà passionnée aussi pour la grandeur de la maison de Bourgogne. Elle traversait Cambrai pour retourner à la cour de son frère, lorsque des bourgeois se mirent à crier Noël ! Importunée de cette exclamation toute française, Marguerite leur dit à haute voix : Ne criez pas Noël ! mais bien Vive Bourgogne ![6] Elle résida dans la ville de Namur jusqu'à l'époque de son mariage avec le prince Juan de Castille. Au mois de février 1497, elle s'embarqua pour l'Espagne, et, le 14 octobre de la même année, elle perdit son époux[7]. Elle revint dans les Pays-Bas, après avoir vu s'évanouir la perspective de devenir reine des Espagnes, comme naguère elle avait été frustrée de l'espoir d'être reine de France. En 1501, elle fut demandée en mariage par Philibert, dit le Beau, duc de Savoie. L'archiduc, son frère, ne contraria point ses vœux, et le contrat fût signé à Bruxelles le 26 septembre. Une députation de deux cent cinquante chevaliers de Savoie vint, de la part de Philibert, chercher sa fiancée, et à ce brillant cortège se joignirent un grand nombre de seigneurs flamands qui conduisirent Marguerite, aux dépens de l'archiduc, jusqu'à Genève[8]. Philibert mourut aussi prématurément, le 10 septembre 1504, et, pour la seconde fois, Marguerite resta veuve sans enfants[9]. Sur l'invitation de l'Empereur, les états généraux des Pays-Bas se réunirent à Louvain au mois de mars 1507, pour procéder à l'installation de la sœur de Philippe d'Autriche. Le duc de Juliers y prêta, au nom de Maximilien, le serment imposé au mambour ou tuteur ; puis Marguerite se fit reconnaître comme gouvernante générale et tutrice des enfants de son frère, pendant l'absence de leur aïeul[10]. Les états généraux manifestèrent leur satisfaction de ce choix ; ils déclarèrent qu'ils reconnaissaient volontiers l'archiduchesse en la double qualité qui lui était attribuée, et ajoutèrent, au grand déplaisir de Louis XII, que, lorsque le roi des Romains se trouverait aux Pays-Bas, ils seraient toujours prêts à l'y reconnaître lui-même[11]. Marguerite fixa sa résidence à Malines avec ses jeunes pupilles, Charles, Marie, Isabelle, Éléonore et Catherine d'Autriche. Quant à Ferdinand, il avait, comme on sait, accompagné son père en Espagne. On ne tarda point à reconnaître la capacité et la fermeté de la gouvernante des Pays-Bas. La convention commerciale conclue entre Philippe le Beau et Henri VII donnait lieu aux plus vives réclamations : Marguerite obtint des modifications importantes, et fit même rétablir les choses sur le pied où elles étaient du temps de Philippe le Bon. Ces concessions furent consignées dans l'acte négocié et arrêté à Bruges, le 5 juin 1507. Mais le plus grave souci du gouvernement était sans contredit la lutte contre la Gueldre. Aussi est-il indispensable de remonter jusqu'aux causes de cette guerre, qui se prolongea pendant plus de quarante années et entrava la puissance croissante de la maison d'Autriche dans les Pays-Bas. Renaud IV, duc de Gueldre et de Juliers, étant mort sans postérité légitime en 1425, son arrière-neveu, Arnould d'Egmont, lui succéda et reçut de l'empereur Sigismond l'investiture. Arnould d'Egmont, continuellement en guerre avec ses voisins, épuisa ses sujets, se ruina lui-même au point de devoir mettre en gage sa vaisselle, et excita enfin contre lui un mécontentement général. Pour comble de malheur, Adolphe, son fils, dévoré d'ambition, se joignit, en 1458, aux villes qui se montraient disposées à détrôner le vieux souverain. Toutefois cette première tentative échoua ; assiégé dans Venloo par son père, Adolphe fut obligé de se rendre et d'expier sa faute par un pèlerinage à Jérusalem. Il revint plus audacieux qu'il n'était parti. Toujours en lutte avec son père, il ordonna d'arrêter deux officiers que le duc envoyait de Grave à Arnhem : ces infortunés s'étant réfugiés dans l'église du village de Zelleni, Adolphe les fit arracher de l'autel où ils tenaient le crucifix embrassé. On les conduisit à Nimègue, et leur tête fut tranchée avant qu'Adolphe voulût prendre connaissance d'une lettre que son père lui écrivait en faveur des prisonniers[12]. Un second voyage d'expiation à Jérusalem n'adoucit point l'implacable héritier de la couronne ducale. Appuyé par Catherine de Clèves, sa mère, par plusieurs seigneurs et par la plupart des villes, il résolut de nouveau de détrôner le malheureux Arnould. Le complot fut mis à exécution le 10 janvier 1465. Au moment où le vieillard allait se coucher, quelques hommes masqués, conduits par son fils, l'arrêtèrent et l'obligèrent à faire cinq lieues à pied, sans chausses, par un temps glacial. Il fut conduit au château de Buren et jeté au fond d'une tour où à n'y avoir nulle clarté que par une bien petite lucarne[13]. Les oncles d'Adolphe, Guillaume d'Egmont et Jean de Clèves, se tournèrent contre ce fils dénaturé, et les hostilités se prolongèrent jusqu'en 1469. Une grande victoire, remportée par Adolphe sur ses ennemis, consacra momentanément son usurpation. Assuré de la fidélité de Nimègue, il méprisa l'appel qui avait été interjeté devant le pape et l'Empereur ; mais il n'osa point se roidir aussi ouvertement contre les injonctions du duc de Bourgogne, dont la médiation avait été également invoquée par les vengeurs d'Arnould. Charles le Hardi ordonna au prince gueldrois d'élargir son père, et Adolphe obéit. Tous les deux vinrent ensuite à Dourlens plaider leur cause devant le duc de Bourgogne. Philippe de Commines les vit plusieurs fuis dans la chambre de ce souverain et en grande assemblée du conseil ; il vit même le vieillard outragé présenter le gage de bataille à son fils. Charles désirait vivement leur réconciliation ; mais il favorisait le fils, parce que celui-ci s'était allié à la maison de Bourgogne[14] : il lui offrait le titre de gouverneur ou mambour du pays de Gueldre, avec la jouissance de tout le revenu, à l'exception de la ville de Grave, qui demeurerait au père, avec une pension de six mille florins et le titre de duc. Lorsque Philippe de Commines et d'autres conseillers du duc de Bourgogne communiquèrent cette proposition à Adolphe, celui-ci répondit : qu'il aimerait mieux jeter son père la tête en avant dans un puits et s'y jeter après, que de faire cet accommodement ; qu'il y avait quarante-quatre ans que son père était duc et qu'il était bien temps qu'il le fût à son tour ; qu'il ne consentait qu'à une chose, assurer une pension de trois mille florins à son père, à condition qu'il ne mettrait jamais le pied dans le duché. La prise d'Amiens par les Français ayant obligé Charles à quitter Dourlens, Adolphe d'Egmont profita de cette circonstance, prit la fuite sous un déguisement et se dirigea vers son pays. Mais en passant un pont près de Namur, il fut reconnu, arrêté par le capitaine du château, et conduit, par ordre du duc de Bourgogne, dans la forteresse de Vilvorde et ensuite à Courtrai, où il resta captif jusqu'à la mort de Charles le Téméraire[15]. Arnould d'Egmont avait également repris le chemin de son duché, où le quartier de Ruremonde et d'autres villes se déclarèrent pour lui. Mais le parti d'Adolphe continuant néanmoins à être le plus fort, le vieux souverain, de guerre lasse, prit la résolution de céder la Gueldre au duc de Bourgogne. Au mois de décembre 1472, le traité fut conclu à Saint-Omer : Arnould engagea ses États pour 92.000 florins d'or du Rhin, en s'en réservant le gouvernement et l'usufruit. Peu de temps après, il mourut à Grave. L'ambition de Charles le Hardi avait été encore aiguillonnée par l'acquisition de ce duché qui arrondissait ses domaines et facilitait l'exécution de ses projets en Allemagne. Il rencontra néanmoins une vive résistance lorsqu'il voulut prendre possession de la Gueldre ; car le sentiment national se soulevait contre la suzeraineté bourguignonne. Toutefois, il fallut enfin se soumettre aux forces imposantes et à la nombreuse artillerie que Charles amenait avec lui. Mais à peine le dernier duc de Bourgogne eut-il succombé devant Nancy, que la Gueldre recouvra sa liberté. Les Gantois obligèrent Marie à relâcher Adolphe d'Egmont, et peut-être l'eussent-ils également forcée de le prendre pour époux, si ce prince n'avait trouvé la mort devant Tournai. Maximilien d'Autriche essaya de revendiquer les droits qui avaient été acquis par Charles le Hardi. Le véritable souverain de la Gueldre était captif : c'était le fils d'Adolphe, Charles d'Egmont (né à Grave, le 9 novembre 1467), que le dernier duc de Bourgogne avait fie conduire à Gand, lorsqu'il se fut emparé de Nimègue. Ce jeune prince, après avoir reçu une éducation brillante à la cour de Bourgogne, était tombé, en 1487, entre les mains des Français contre lesquels il faisait ses premières armes. Charles VIII le traita bien et résolut même de le remettre en possession de ses domaines héréditaires pour susciter à la maison d'Autriche un ennemi dangereux. Lorsqu'il jugea le moment opportun (1492), il relâcha Charles d'Egmont, et celui-ci s'achemina vers la Gueldre, par la Lorraine et le pays de Liège, escorté de troupes françaises sur lesquelles les seigneurs d'Arenberg et de Croy avaient le commandement. Bien accueilli à Ruremonde, puis à Venloo, puis à Nimègue, il parvint à chasser presque toutes les garnisons allemandes que Maximilien avait placées dans le pays. La plupart des seigneurs et des villes prêtèrent serinent de fidélité au descendant des anciens princes, et les opposants y furent contraints par les armes[16]. Le chef de l'Empire eut beau marcher lui-même contre Charles d'Egmont, il ne put l'expulser. Maximilien se consola en augmentant, d'un autre côté, son influence dans les provinces septentrionales des Pays-Bas. David de Bourgogne, bâtard de Philippe le Bon et évêque d'Utrecht, étant mort en 1496, Maximilien lui fit donner pour successeur Frédéric de Bade, son cousin. Déjà il avait également imposé aux Frisons le duc Albert de Saxe ; et, après une longue guerre, ce peuple héroïque fut subjugué et dépouillé peu à peu de ces libertés qui l'avaient rendu si célèbre au moyen âge. Cependant Maximilien ne voulait point renoncer à la Gueldre. Il avait formé une coalition avec le duc de Clèves, le duc de Juliers et le comte de Buren ; et il avait été décidé qu'ils partageraient entre eux le territoire conquis. Avec les troupes de ses alliés et celles de l'archiduc, son fils, Maximilien fondit, en 1498, sur les domaines qu'il convoitait et s'empara de Nieustad, d'Egt et d'Erkelens. Charles d'Egmont eut succombé sans les secours que Louis XII lui envoya et la médiation qu'il exerça pour lui faire obtenir des trêves particulières. Les pays de Gueldre et de Zutphen formèrent ensuite une ligue pour la défense de leur duc et de leurs franchises. Dans une assemblée des états, tenue en 1501, Charles d'Egmont promit de respecter la liberté du commerce et les privilèges de la nation ; d'empêcher qu'aucune taxe ne fût levée ou employée sans le consentement général et particulier des bannerets, des nobles et des villes ; et il s'interdit, en outre, de donner aucun emploi important et de déclarer la guerre sans leur aveu. Toutefois, les princes de la maison d'Autriche maintenaient leurs prétentions. En 1504, Philippe le Beau interdit tout commerce entre la Hollande et la Gueldre, puis il envoya de nouvelles forces contre ce duché. Les Gueldrois s'étaient jetés dans le pays de Heusden et dans le waard de Dordrecht ; mais ils en furent repoussés, et leur flotte fut également battue à la hauteur de Monnikendam par celle de Hollande. Au commencement de 1505, Philippe, ayant reçu l'investiture impériale du duché de Gueldre et du comté de Zutphen, résolut d'en faire la conquête définitive avant de partir pour l'Espagne. Il rassembla des troupes nombreuses, se mit lui-même à leur tête et se rendit maître d'Arnhem et des quatre autres villes qui formaient son quartier[17]. Charles d'Egmont implorait en vain le secours des Français ; cette fois il ne reçut que des promesses. Impatient de se rendre en Espagne, Philippe lui fit offrir des conditions de paix : Charles, se voyant à la veille de succomber, vint se jeter aux pieds du roi de Castille, et une trêve de deux ans fut conclue à Rosendael, près d'Arnhem, le 27 juillet 1505. Le duc de Gueldre abandonna à Philippe les places que celui-ci avait conquises jusqu'à ce que des arbitres eussent vidé la querelle, et il promit en outre de l'accompagner en Espagne. Il suivit ensuite l'archiduc victorieux à Santem (pays de Clèves), où il eut une entrevue avec l'empereur Maximilien ; puis à Anvers, où il toucha 5.000 florins d'or qui lui avaient été promis pour faire le voyage de Castille. Mais dès qu'il eut reçu cette somme, il trompa ses gardes, se déguisa et se sauva dans son duché, où il possédait encore les quartiers de Nimègue et de Ruremonde ainsi que le pays de Zutphen[18]. Après le départ du roi de Castille, Charles d'Egmont reprit non-seulement Lochem et Wageningen, mais encore il ne cessa d'inquiéter la Hollande et le Brabant. Louis XII, qui avait, comme on l'a vu, assuré, sur sa foi et la damnation de son âme, qu'il n'assisterait plus le duc de Gueldre, ne tarda point à méconnaître ce serment ; il prétexta qu'il ne pouvait se dispenser de secourir un parent injustement dépouillé de ses États, et que, d'ailleurs, le roi de Castille faisait alliance avec des ennemis invétérés de la France[19]. La mort de Philippe le Beau ne suspendit point cette intervention. Malgré la lettre de condoléance qu'il avait adressée à Guillaume de Croy,, Louis XII qui, selon la remarque de Marguerite, n'avait jamais désiré la prospérité et l'accroissement de la maison d'Autriche, ne cessa de soutenir efficacement le prince gueldrois. Les représentations mêmes du roi d'Angleterre ne parvinrent point à faire cesser cette coopération déloyale[20]. Marguerite d'Autriche, investie du gouvernement des Pays-Bas, 1507. réunit les états généraux à Malines, le 20 juillet 1507, et leur demanda, sans exception en faveur d'aucune classe, la levée d'un philippus sur chaque foyer. Le produit de cet impôt devait être employé au payement des gens de guerre en Gueldre et au rachat des domaines engagés du prince. Les états n'accueillirent pas cette proposition, mais votèrent un subside de 200.000 philippus. Convoqués ensuite à Gand, ils refusèrent de supporter la dépense d'une armée de 10,000 hommes de pied et de 3,000 cavaliers, que Marguerite jugeait nécessaire pour la garde du pays pendant la minorité du prince. Ils répondirent que, dans les circonstances présentes, cette levée leur paraissait inutile ; mais que, si le pays se trouvait réellement menacé, il y serait pourvu[21]. Or, dans ce moment même, la Hollande et le Brabant étaient attaqués. Le prince gueldrois, encouragé et stimulé par le roi de France, se montrait plus redoutable qu'il n'avait jamais été. Non-seulement Louis XII, sans égard pour les plaintes de la cour de Bruxelles et les représentations du roi d'Angleterre, continuait de soudoyer Charles d'Egmont, mais encore il lui envoya des auxiliaires commandés par Engelbert de Clèves, comte de Rethel, de Nevers, d'Auxerre et d'Étampes. Robert de la Marck, seigneur de Sedan, s'était également armé pour soutenir les droits du duc de Gueldre. Jetant tout à fait le masque, Louis XII finit même par déclarer qu'il risquerait plutôt sa couronne que d'abandonner son utile et fidèle allié[22]. Les Autrichiens auraient voulu s'emparer de Poederoyen, château situé sur les confins du Brabant et de la Hollande, et qui permettait aux Gueldrois de faire de fréquentes invasions dans ces deux pays. Jean d'Egmont, lieutenant de Hollande, à la tête des troupes de cette province, vint lui-même assiéger Poederoyen ; mais la garnison tint bon jusqu'à l'arrivée de Charles de Gueldre, qui obligea les Hollandais à lever le siège. Le duc partit ensuite de Ruremonde avec les auxiliaires français, et se jeta dans la Campine, puis dans la Hesbaye, livrant au pillage Turnhout, Tirlemont et plusieurs autres places. Après le sac de Tirlemont, qui eut lieu au mois de septembre, les auxiliaires français entreprirent de rentrer dans leur pays par le Luxembourg; mais, près de S-Hubert, ils furent assaillis par les paysans exaspérés et mis en déroute. Quant aux Gueldrois, après s'être rabattus sur la Hollande, ils dévastèrent la campagne et emportèrent Bodegrave, Muiden et Weesp. Leur chef osa également sommer Amsterdam. Mais les habitants répondirent qu'ils n'étaient ni disposés à violer la foi qu'ils avaient promise à leur souverain, ni réduits à la nécessité de changer de maître. Ils surent effectivement repousser les assiégeants. L'année suivante (1508), les Hollandais s'emparèrent enfin de Poederoyen ; et Weesp, qu'ils bloquaient, allait aussi retomber en leur pouvoir, lorsqu'un événement mémorable et européen changea toute la face des affaires : ce fut la ligue de Cambrai. |
[1] Fragments des registres mémoriaux conservés dans les archives municipales de Béthune et publiés par M. Gachet, dans le Bulletin de la Commission royale d'histoire, 2e série, t. V, pp. 107 et suivantes.
[2] Ce dernier acte était daté de Middelbourg, le 2 janvier 1506. Philippe y exprimait la volonté que, si la mort le surprenait par deçà, en allant ou en revenant, et que le duché de Bourgogne fit en ses mains, on l'inhumât à Dijon avec les ducs ses prédécesseurs, sinon à Bruges avec la duchesse Marie, sa mère ; s'il mourait en Espagne, il voulait qu'on l'inhumât, à Grenade, près de la reine Isabelle, sa belle-mère, et qu'on instituât une haute messe à notte chascun jour et LX mille basses messes. La démence de Jeanne fit ajourner l'accomplissement du vœu si formellement exprimé dans ce testament. Pour ne pas se séparer des dépouilles de son époux, Jeanne les fit déposer à Tordesillas, dans le monastère de Ste-Claire joignant le palais où elle vécut encore pendant quarante-sept ans. Mais, après la mort de sa mère, Charles-Quint se souvint du testament de Middelbourg et l'exécuta. Les dépouilles de Philippe le Beau furent transportées dans la cathédrale de Grenade où elles furent inhumées, avec celles de Jeanne, dans un magnifique tombeau érigé près du mausolée de Ferdinand et d'Isabelle.
[3] Gachard, Des anciennes assemblées nationales, § II. — Voir aussi une note du savant archiviste dans le tome V des Bulletins de l'Académie royale de Bruxelles.
[4] Lettre de Maximilien, roi des Romains, aux gouverneurs des Pays-Bas, au sujet de la mort du roi de Castille, son fils, dans les Analectes belgiques de M. Gachard (Bruxelles, 1830, 1 vol. in-8°), pp. 15-19.
[5] C'était avec cette amertume que Maximilien s'exprimait, dans les instructions qu'il adressait, le 3 novembre 1506, au e de Chièvres et aux membres de son conseil, pour leur ordonner de poursuivre à outrance la guerre contre la Gueldre. ... Faictes, ajoutait-il, que les françois ambassadeurs ne demeurent point en nos pays de par delà, mesmement à l'assemblée des estats, afin qu'ils ne brassent et facent aulcune mutinerie entre nos subgectz ; car ils n'ont aultre couraige, sinon de détruire la maison de Bourgogne et tout ce que en dépend, comme ils sont toujours accoutumés de faire... (Documents historiques, Archives du royaume, t. Ier.)
[6] Correspondance de l'empereur Maximilien avec Marguerite d'Autriche, sa fille, publiée par M. Le Glay (Paris, 1850, 2 vol. in-8°, t. II, p. 425).
[7] Marguerite était alors enceinte : elle mit au monde un enfant qui ne vécut que peu d'instants. Correspondance de l'empereur Maximilien avec Marguerite d'Autriche, sa fille, t. II, p. 427.
[8] Pontus Heuterus, lib. VI, pp. 252-253.
[9] Le beau duc de Savoye, comme Marguerite disait elle-même, mourut à vingt-trois ans. Il avait bien mérité son surnom aux yeux de sa veuve qui, quinze années plus tard, pleurant encore son trépas, le dépeignait comme le plus bel homme qui fût au monde. Albums de Marguerite d'Autriche, publiés par E. Gachet (Mons, Société des Bibliophiles belges), p. 100.
[10] Voir dans les Analectes historiques de M. Gachard (Bulletin de la Commission royale d'histoire, 2. série, t. V, pp. 505 et suivantes), deux lettres patentes par lesquelles Maximilien délègue l'archiduchesse Marguerite pour recevoir, eu sou nom, comme tuteur et mambour de son petit-fils l'archiduc Charles, le serment des états des Pays-Bas, et désigne le duc Guillaume de Juliers, le marquis Christophe de Bade, le prince Rodolphe d'Anhalt et le docteur Sigismond Ploug, pour prêter serment auxdits états.
[11] Gachard, Des anciennes assemblées nationales, § II. — Le 21 juillet 1507, Louis XII signifia aux habitants d'Arras de ne point reconnaître Maximilien pour mambour du jeune prince de Castille, promettant de les soutenir, s'ils étaient inquiétés à ce sujet. Mais, de son côté, Maximilien enjoignit à Marguerite de maintenir les habitants d'Arras dans son obéissance et de les défendre au besoin contre les Français. (Correspondance de l'empereur Maximilien Ier, etc., t. Ier, p. 7.)
[12] Ces victimes d'une lutte criminelle étaient deux frères, Warner et Arend Prangen. (Voir l'ouvrage intitulé : XIV bocken van de Geldersse Geschiedenissen, etc. ; door Arend van Slichtenhorst. Arnhem, 1654, in-fol., p. 251)
[13] Mémoires de Philippe de Commines, liv. IV, chap. Ier.
[14] Il avait épousé Catherine, fille de Charles Ier, duc de Bourbon, et d'Agnès de Bourgogne. Il était, par sa femme, beau-frère de Charles le Téméraire. Catherine de Bourbon mourut en 1469. Une des sœurs d'Adolphe d'Egmont, Marie de Gueldre, était reine d'Écosse.
[15] Job. Isacius Pontanus, Historiœ
gelricœ libri XIV. (Harderwyek, 1639, in-fol., p. 540.)
[16] Pendant l'espèce d'interrègne causé par la captivité de Charles d'Egmont, une partie du pays n'avait d'ailleurs cessé de rester fidèle à l'ancienne maison souveraine. Catherine d'Egmont, sœur d'Adolphe, se mit à la tête du gouvernement. Les Gueldrois la reconnurent pour leur souveraine pendant quatorze ans. Elle assiégea Arnhem deux fois sans succès ; mais la troisième tentative fut plus heureuse : la ville se rendit. (Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. Ier.) C'était d'ailleurs avec l'aide des Français que Catherine de Clèves avait pu résister aux forces de Maximilien. (Voir Slichtenhorst, pp. 277 et suivantes, et Pontanus, liv. X.)
[17] Voir dans les Analectes historiques de M. Gachard (Bulletin de la Commission royale d'histoire, t. V, 2e série, p. 304), la lettre de Philippe le Beau au chancelier de Bourgogne sur la prise d'Arnhem (16 juillet 1505) et le billet de T. de Plaine, chancelier, à l'audiencier.
[18] Voir Slichtenhorst, fol. 323.
[19] Voir sur cette conduite de Louis XII, les dépêches très-intéressantes de Jean de Courteville, ambassadeur en France, au roi de Castille. Elles sont datées de Tours, le 16 et le 24 mai, le 17 et le 27 juin, le 10, le 18 et le 20 juillet 1500, et insérées, comme nous l'avons dit, dans la Correspondance de Marguerite d'Autriche, etc., t. Ier, passim.
[20] C'est ce qui résulte de la lettre déjà citée, que Henri VII adressa au Sr de Chièvres, le 18 octobre 1506 : ..... Pour ce que nous entendons, par lettres que le sieur de Maigny, chancelier, nous a escript que les Franchois, en contrevenant à la promesse que nous a faicte le roy Loys de France de non permettre ne souffrir ses gens de guerre faire aucunes courses ne ynvasions dedans les pays de par delà hors de Gheldres, sont puis naguère entrés dedans le pays de Brabant, où ils ont pillé, bruslé et prins prisonniers ; à cette cause entendons à toutte diligence dépescher et envoyer vers ledit roy Franchois nostre serviteur Franchois Marezen... à intention qu'il puisse remonstrer la rompture de sadite promesse, avec le regret et desplaisir que de ce en prendons... (Bulletin de la Commission royale d'histoire, 5e série, t. V, pp. 110-112. — Voir aussi le Mémoire de Marguerite, présenté à Charles d'Autriche, le 20 août 1515, dans la correspondance publiée par M. Vanden Bergh, t. II, p. 120.)
[21] Gachard, Des anciennes assemblées nationales, § II. — Le refus des états mécontenta vivement l'empereur Maximilien. Dans une lettre remarquable, il s'efforça de leur prouver que la guerre de Gueldre n'intéressait pas seulement le Brabant, comme ils prétendaient, mais bien tous les Pays-Bas, et que tous devaient y prendre part. Il rappelait, à cette occasion, les travaux et dépenses qu'avait supportés tous les princes de la maison de Bourgogne, depuis Charles le Hardi, pour réduire le duché de Gueldre et les efforts des rois de France pour les frustrer de leurs droits légitimes. Il se plaignait surtout de Louis XII, qui avait employé tous les moyens imaginables afin de laisser le pays contesté à Charles d'Egmont. Et son but véritable, quel était-il ? Il prétendait, par le moyen dudit pays de Gheldres, disait Maximilien, séparer nos pays de par delà du saint empire et de la maison de Bourgogne, et tant mieulx tenir iceulx pays à sa subgection. Voir cette intéressante dépêche dans les Lettres inédites de Maximilien sur les affaires des Pays-Bas, publiées également par M. Gachard, t. II, pp. 118-122.
[22] Il n'entre pas dans notre plan de nous étendre sur les nombreux incidents de cette longue guerre. Qu'il nous suffise de les indiquer et d'en faire ressortir les conséquences les plus importantes. Quant aux documents qui s'y rapportent spécialement, on consultera avec intérêt, dans la Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. Ier, pp. 75 et suivantes, les lettres adressées par Fr. Marezen, ambassadeur du roi d'Angleterre, au Sgr de Chièvres ; celles du comte de Rethel à Louis-XII et au cardinal d'Amboise; celles de Henri de Nassau et du prince d'Anhalt, chefs des troupes hollandaises et autrichiennes, à Marguerite d'Autriche, etc., etc.