L’ASIE SANS MAÎTRE

 

CHAPITRE XVI. — DE LA PLAINE DE MERDASHT A YEZDIKHAST, OU DE PERSÉPOLIS AU PAYS DES PARÉTAQUES

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

La troupe moderne qui abattrait ses tentes dans la plaine de Merdasht pour les aller dresser au pied du mont El vend, aurait, comme l’armée d’Issus et d’Arbèles, à traverser la Cœlé-Perside, la Parétacène et les premières vallées de la grande Médie ; elle n’atteindrait probablement pas Hamadan en vingt jours. Ce sont là des vitesses que nous ne connaissons plus : n’oublions pas cependant qu’au cours du dix-septième siècle, sous la main vigoureuse d’Abbas le Grand, il ne se passait pas de jour, nous affirme Pietro della Valle, que l’armée du roi de Perse ne fit au moins six lieues de chemin. Les chevaux mèdes n’ont pas dégénéré ; l’antiquité les citait pour leur rapidité aussi bien que pour leur vigueur.

Quand on se propose de passer de la Cœlé-Perside dans la Parétacène, il n’est pas nécessaire de remonter la vallée au milieu de laquelle — si nous nous en tenons à la version longtemps accréditée et qui n’a pas encore dit son dernier mot — Cyrus le Grand bâtit Pasargade ; deux routes distinctes — route d’été et route d’hiver, a bien voulu m’apprendre M. Dieulafoy — s’offrent au voyageur : d’un côté la route que prit Flandin, de l’autre celle que suivirent Pietro della Valle et Buckingham. Flandin est venu à Persépolis par la plaine de Mourghab et la vallée du Médus ; le gentilhomme romain et le touriste anglais se sont portés plus à l’ouest ; ils ont pénétré dans la plaine de Merdasht par la vallée de l’Araxe. Je suppose qu’Alexandre, pour trouver plus aisément à vivre sur le pays, aura partagé son armé&en deux colonnes ; ces colonnes, parties simultanément de Persépolis, se seront rejointes à la jonction des deux routes. La colonne qui s’est engagée sur le chemin de Persépolis à Pasargade marche pendant cinq heures dans la plaine de Merdasht. Elle contourne, en changeant souvent et brusquement de direction, la base de montagnes arides, franchit le Médus, qui, sur ce point, commence à s’élargir, et, à un kilomètre environ de la rive gauche de ce fleuve, rencontre le mamelon que couronnent aujourd’hui les maisons du gros bourg de Sivend. Elle a franchi sa première étape.

De Sivend au tombeau de Cyrus, il faudra traverser fréquemment le lit que, dans son cours sinueux, s’est creusé le Médus. En certains endroits les eaux sont profondes ; les divers gués arrêtent et ralentissent la marche ; sept heures après avoir quitté le mamelon de Sivend, les troupes harassées arrivent à Pasargade. Nous avons déjà visité le tombeau de Cyrus. Les Arabes en ont salué les ruines avant nous, et, par exception, ils les ont respectées. Dans le monument situé à une heure et demie de la petite ville de Mourghab, ce n’est pas heureusement la sépulture de Cyrus, c’est celle de la mère de Salomon — Mader-i-Suleïman — que leur foi naïve a fait revivre.

Six jours encore, les deux colonnes marcheront séparées ; elles ne se reverront qu’à Yezdikhast — je veux dire à l’endroit qu’occupe actuellement cette ville persane. — Le premier jour, les soldats macédoniens qui viennent de bivouaquer à Pasargade, ne feront qu’une marche de quatre heures : les chemins sont difficiles, le pays est montagneux. La quatrième étape ne sera pas moins rude, elle sera plus longue. Flandin, venant du nord, du caravansérail de Khonakhorrah au caravansérail de Khonakergoum, a parcouru ce morceau de pays en sept heures. A Khonakhorrah commence le désert : Le chemin est à peine frayé par les chameaux et par les mulets des caravanes ; ce sont les pieds de ces animaux qui marquent la trace qu’il faut suivre. De Khonakhorrah au village de Sourmek, du village de Sourmek à la grande bourgade ruinée d’Abadeh, de celte bourgade au caravansérail de Souldjistan, et enfin, pour atteindre le nœud stratégique, du caravansérail de Souldjistan au monticule de Yezdikhast, toujours même solitude, toujours même tristesse, vingt et une heures de marche sous un soleil de plomb, sans espoir de rencontrer, pour peu que l’on opère avant les pluies d’automne, une goutte d’eau sur la route. Pendant et après l’été, les ruisseaux n’ont plus de cours, une croûte salée en couvre les bords ; les citernes mêmes ne présentent qu’un fond de vase desséchée et puante ; le voyageur doit tout emporter avec lui, jusqu’à l’eau.

Quelle armée moderne voudrait faire campagne dans un tel pays ? Si j’avais pour tâche de décourager à tout jamais l’invasion, je m’arrêterais là : que pourrais-je, en effet, ajouter aux traits de ce tableau qui ne courût le risque d’en affaiblir l’impression salutaire ? Mais je suis, je dois être un géographe sans entrailles ; ami de la Perse, je veux me montrer avant tout ami de la vérité. Flandin n’aurait-il pas voyagé dans une saison où toutes les difficultés de marche et de transport s’aggravent ? Qu’on se mette en route au début de l’automne, ou qu’on charge ses chameaux au milieu de l’hiver, on n’ira pas de la plaine de Mourghab à Yezdikhast, comme on va du camp de Châlons aux bords de la Meuse ou du Rhin. Morier, secrétaire de l’ambassade anglaise à la cour de Perse, a quitté Chiraz au mois de janvier ; sa relation n’est guère plus rassurante que celle de Flandin. Entre la Perside et la Médie, la nature n’a pas seulement multiplié les barrières montagneuses ; elle a aussi interposé le désert. Il suffira, pour nous en convaincre, de revenir avec Morier sur nos pas et de recommencer d’étape en étape le trajet que nous venons d’achever en compagnie de Flandin.

Mourghâb — Meched Mourghâb d’après M. Dieulafoy — était déjà en 1809 ce qu’il est aujourd’hui : un grand et beau village. L’eau y sort de toutes parts et s’épanche en nombreux ruisseaux dans la plaine. Morier poursuit son chemin vers le nord ; il traverse un pays inégal sans doute, mais qui ne mérite pourtant pas l’épithète de montueux. A quatorze kilomètres environ de Mourghâb, le voyageur anglais atteint le premier caravansérail, celui où s’arrêtera Flandin, quand il viendra, en 1840, d’Ispahan à Persépolis, celui que nous avons nommé le caravansérail de Khonakergoum. Non loin de là, dit Morier, une rivière coule à l’ouest et passe sous un pont de trois arches. Une rivière ! Ah ! si nous pouvions croire que cette rivière coulera encore en été, avec quel empressement nous la porterions sur nos cartes ! Les hommes du Nord ne savent pas tout le prix de l’eau ; envoyez-les en Algérie, en Syrie ou en Perse, ils ne tarderont pas à l’apprendre. Pour moi, j’ai souvenance que, cheminant avec un corps de troupes au milieu des terres chaudes du Mexique, j’ai vainement offert, dans mon désespoir, deux cents piastres à qui me montrerait non pas un ruisseau — c’eût été demander un miracle — mais une mare, une citerne, un puits, un tonneau qui ne fût pas vide. Ô Pindare ! que tu avais donc raison ! les dieux n’ont rien fait qui vaille, dans la campagne brûlante, le moindre filet d’eau.

De Khonakergoum à Khonakhorrah, Flandin compte sept heures de chemin ; Morier mesure soixante-deux kilomètres ; l’un des deux a dû commettre une erreur. Le pays est nu et aride, entièrement dépourvu de bois ; la plaine seule offre quelques traces de culture ; le sommet des montagnes montre en divers endroits de petits espaces couverts de neige. Entre Khonakergoum et Khonakhorrah, Morier signale une halte intermédiaire, la halte de Dehbid, le lieu le plus froid de cette contrée. La neige y a quelquefois arrêté les voyageurs pendant quarante jours. A Khonakhorrah, la seule eau que l’on trouve est celle d’un étang de vingt pieds de circonférence ; on doit s’estimer heureux quand les chameaux ne l’ont pas souillée. Par compensation, la route est devenue excellente. Morier évalue à trente-six kilomètres la distance qui sépare Khonakhorrah de Sourmek ; Flandin a mis six heures pour franchir cette étape. On marche entre deux longues chaînes de montagnes qui courent invariablement du sud au nord. Près de Sourmek, on remarque des champs cultivés ; des canaux dérivés d’un torrent voisin les arrosent. Après cinq heures de marche, on arrive de Sourmek au bourg d’Abadeh ; la route n’a pas cessé d’être ferme et facile. Abad eh est entouré de jardins qui fournissent de très beaux fruits à Chiraz, quoique l’irrigation n’ait lieu que par des canaux souterrains. Les hauteurs qui bordent la vallée continuent de se diriger vers le nord ; tantôt elles se rapprochent, tantôt elles s’écartent Tune de l’autre ; jamais elles n’adoucissent leur physionomie âpre et sévère. Le sol même de la plaine n’est qu’un mélange de gravier rougeâtre et de terre poudreuse qui n’admet pas d’autre végétation que le triste chardon et la saponaire. Quant à l’eau, les pluies de l’automne et du commencement de l’hiver n’eu ont pas laissé une seule goutte sur la route ; la terre altérée a lotit bu. Il ne parait pas jusqu’ici que l’on gagne beaucoup à échanger le mois d’octobre pour le mois de janvier ; je m’étais attaché aux pas de Morier avec un meilleur espoir.

A seize kilomètres d’Abadeh, on traverse le petit village de Bagouahrdar ; à quatorze kilomètres plus au nord, on voit monter lentement à l’horizon, sur cette longue plaine aussi unie que la mer, le fortin, la mosquée et le caravansérail de Souldjistan. Nous n’avons plus qu’une étape de vingt-quatre kilomètres devant nous, pour atteindre par un chemin toujours aussi aride, toujours aussi monotone, Yezdikhast. Les montagnes se sont graduellement abaissées et se sont rejointes pour fermer la plaine ; pas un seul buisson n’est venu égayer leur surface pierreuse. A gauche elles apparaissent toutes couvertes de neige, adroite elles n’en offrent pas le moindre vestige.

Lorsqu’au Mexique nous voulûmes monter de la terre chaude sur le plateau de la terre tempérée, nous adoptâmes la route que suivaient à cette époque les convois d’argent et les diligences ; nous nous dirigeâmes, par le col du Chiquihuite, vers Orizaba. Les difficultés parurent grandes à une troupe qui était alors fort mal outillée. Ceux qui vinrent après nous observèrent que nous n’avions peut-être pas pris le bon chemin ; ils recommandèrent de passer par Jalapa, s’autorisant de l’exemple donné quelques années auparavant par l’expédition américaine. L’essai ne fut pas heureux. Aurait-il un meilleur succès en Perse ? Là aussi, pour se rendre de Persépolis à Yezdikhast, on a un choix à faire ; nous venons de parcourir la roule qui s’ouvre sur la vallée du Médus ; il nous reste à étudier celle qui emprunte, à soixante-quatorze kilomètres environ plus à l’ouest, la vallée de l’Araxe. Chardin s’y engage au mois de février ; Buckingham et Pietro della Val le l’ont parcourue au mois d’octobre. Avec Chardin, nous arriverions en cinq heures des ruines de Persépolis au village de Main. Quel délicieux endroit ! Il n’a certes rien à envier au bourg de Sivend. On y voit couler des ruisseaux de la plus belle et meilleure eau du monde ; le lieu en est comme inondé durant sept ou huit mois. Les jardins sont remplis des plus excellents fruits, surtout de raisins et de grenades. Au sortir de Maïn, voici déjà les défilés qui commencent : sur la route orientale la sécheresse, sur celle-ci les montagnes ; nous n’avons fait que changer de difficultés. Pour atteindre le village d’Imam-Zadé, il nous faut cheminer entre de hautes montagnes escarpées et droites, passer d’une gorge à l’autre, traverser trois étranglements successifs situés à la tête de trois plaines longues à peine d’un mille et larges de cinq ou six cents pas. Ces défilés sont courts ; fort heureusement, car ils sont si étroits que trois chevaux n’y peuvent marcher de front. Nous n’avions que trois lieues à faire pour venir de Maïn à Imam-Zadé ; ces trois lieues sont si rudes que nous avons dû les compter à elles seules pour une étape.

Du village d’Imam-Zadé nous irons coucher au village d’Uzon ; il ne nous a pas fallu moins de treize heures pour parcourir une distance de quarante kilomètres, mais aussi quelle montagne nous avons eu à gravir ! C’est la plus haute montagne que l’on puisse rencontrer d’Ispahan à Chiraz. Le chemin est âpre et inégal ; il n’est pas sans gaieté. Des arbres, grands comme des poiriers, ressemblant aux poiriers par leur tronc et par leur feuillage, couvrent tout ce massif, et jettent sur l’austérité imposante des vieux monts leur joyeux manteau de verdure. La chose est rare en Perse ; elle vaut donc à coup sûr la peine d’être notée. Pourvu que l’incendie ou la cognée impitoyable du bûcheron n’ait pas depuis deux cents ans assombri le tableau ! Uzon est situé sur le bord d’une rivière fort grosse et fort rapide, du moins en hiver, dangereuse alors à passer à gué. On peut se transporter d’Uzon à Haspas en six heures ; ce n’est qu’un trajet de quatre lieues. Nous sommes encore dans le pays des arbres, des marais, des eaux courantes ; le terrain est accidenté ; l’allure de la caravane naturellement s’en ressent. Eh quoi ! une nouvelle montagne à franchir ; décidément la route orientale, si aride qu’elle fût, valait mieux. Sept heures pour passer de Haspas à Kiochkzer ! Il n’y a donc pas sur ce chemin montueux une seule étape facile ! Kiochkzer possède deux tombeaux célèbres : celui du cheikh Gulendon et celui de l’imam Ismaïl. Ce sont ces deux tombeaux bien ornés, nous apprend Chardin, qui ont valu à notre cinquième station le nom de kiosque d’or. Je plains les pèlerins qui s’y rendent. Les pays plats ne sont pas pittoresques, mais on finit par se lasser aussi des montagnes.

Saluons avec reconnaissance le retour des plaines ! En voici une qui nous conduira de Kiochkzer à Dehiguerdoui — le village des noix. — Sept lieues à faire sur un chemin uni ne sont qu’un jeu pour qui n’a cessé, depuis cinq jours, de monter et de descendre des escaliers. Il nous faudra bien traverser à mi-route une rivière étroite et profonde, le Politcheknein ; qu’importe ? puisque nous la traverserons sur un pont de pierre. A Dehiguerdouy, nous retrouvons, avec la fertilité de Maïn, des eaux non moins belles et non moins courantes. Tontes les montagnes, hélas ! ne sont pas dépassées ; Yezdikhast n’est plus qu’à huit lieues de distance, mais entre Yezdikhast et Dehiguerdouy se dresse un dernier obstacle. Nous avons franchi des montagnes plus hautes, nous n’en avons pas gravi d’aussi rudes. Celle-ci porte un nom de fâcheux présage ; on l’appelle : la montagne qui arrache les fers des chevaux — Kotel-naltche-Keuy.

J’ai voulu contrôler le récit de Chardin par les relations de Buckingham et de Pietro della Valle, car je suis un écrivain consciencieux, et si quelque erreur m’échappe, ce ne sera pas faute d’avoir multiplié les précautions. Buckingham et Pietro della Valle ont gardé d’un voyage entrepris en octobre des impressions qui diffèrent à peine de celles que rapporta Chardin d’un trajet accompli au mois de février. A Imam-Zadé, Buckingham est tenté de se croire transporté de nouveau, par un coup de baguette, dans une des gorges verdoyantes du Liban. L’air qu’on respire rappelle l’atmosphère tiède et parfumée d’un printemps syrien. L’étroite vallée est encadrée par de hautes montagnes tranchées presque à pic ; sur les sommets, on aperçoit des jardins ; sur les murailles abruptes, des troupeaux suspendus au flanc des rochers. Le bois est abondant, sans qu’il dépasse pourtant la hauteur d’un taillis ; un beau ruisseau, bien clair, serpente au milieu du vallon, et le gazouillement des oiseaux vient réjouir les oreilles. La montagne d’Uzon est une montagne de craie semée de rognons de quartz ; l’essentiel était de savoir si Chardin l’avait calomniée. Chardin est, au contraire, des trois voyageurs, celui qui a le moins songé à se plaindre. Il faut, nous dit le gentilhomme romain, monter et descendre à toute heure. — Ces montées et ces descentes continuelles, écrit avec une sourde rancune Buckingham, avaient, après un trajet de cinquante kilomètres, complètement épuisé nos chevaux.

Stratèges de l’avenir, quelle route prendrez-vous ? Je ne me sens pas de force à vous donner un conseil ; il me semble cependant que si vous pouvez, suivant l’expression de Lamartine, suspendre la source au flanc de vos chameaux, vous arriverez plus aisément à Persépolis et à Chiraz, en suivant la trace de Flandin, qu’en vous lançant à travers les montagnes de craie semées de rognons de quartz, sur les pas de Pietro della Valle et de Buckingham. Et encore je vous ai fait grâce de la montagne de Afader-i-Doghter— la mère et la sœur — que Buckingbam a dû traverser à pied. Je vous en fais grâce, parce que vous pouvez l’éviter, en vous attachante l’itinéraire de Pietro della Valle et de Chardin, sans vous en laisser détourner par l’exemple de Buckingham.

Je vous dois maintenant quelques renseignements sur le climat ; je vous les donnerai aussi succinctement que possible. Des bords de l’Araxe au village de Main, vous êtes exposés, même à la fin d’octobre, à trouver la nuit assez chaude pour être obligés, en dépit des moustiques, de l’aller passer en plein air. A Dehiguerdoui, c’est, au contraire, un froid des plus intenses qui vous attend ; au mois de février, la neige vous accompagnerait jusqu’à Yezdikhast. Nous sommes sous le parallèle de trente et un degrés, mais nous avons dépassé mille cinq cents et mille six cents mètres d’altitude ; les vents de nord-ouest, resserrés entre deux chaînes de montagnes, y passent comme dans une filière et balayent impétueusement la vallée. Le climat de la Perse, nous dit avec raison Buckingham, est toujours extrême. L’histoire nous apprend que plusieurs individus périrent de froid à Persépolis, après un grand festin donné par Alexandre ; je ne vois rien là qui nous puisse étonner.

En approchant de Yezdikhast par la route de l’ouest, la physionomie du pays change brusquement. Au lieu de longues plaines et de hautes chaînes au profil tourmenté, on ne rencontre plus qu’un terrain caillouteux, aride, raboteux, ou des montagnes d’un relief uniforme. Nous touchons à l’extrémité septentrionale du Fars, de ce pays hérissé de pics, labouré de précipices, arrosé de nombreux cours d’eau et coupé presque à chaque pas par des vallées ; nous allons entrer dans l’Irak-Adjémi. Le district montagneux qui longera notre route sur la gauche s’est appelé autrefois la Parétacène. On aperçoit la ville de Yezdikhast assez longtemps avant d’y arriver. On la croirait située au pied des collines qui bornent la plaine à l’est ; on est singulièrement surpris de se trouver tout à coup arrêté par un précipice ; la route est barrée. Yezdikhast — Dieu le veuille ou Dieu l’a voulu — dans la langue des Guèbres, est bâtie sur une espèce d’îlot, bloc de terre légèrement colorée et mêlée de cailloux brisés, qui repose sur le roc et surgit tout d’une pièce d’un ravin profond. En voyant Yezdikhast, Flandin n’a pu s’empêcher de songer à Constantine. La ville persane rappelle en effet la cité africaine ; elle n’en est que la miniature. Ses six cents habitants ont couvert de cent cinquante maisons environ le sommet d’un cube long de cinq cents mètres, large de cent soixante ; les murs forment le prolongement du rocher, et les balcons se projettent au-dessus de l’abîme. Avant l’invention de la poudre, pouvait-on désirer de meilleures conditions pour défendre son indépendance ? Quand nous verrons Alexandre, parti de Persépolis, au mois de mai ou de juin de l’année 330 avant Jésus-Christ, tomber, au dire d’Arrien, sur le pays des Parétaques, nous ne pourrons nous défendre de trouver singulier qu’il n’ait pas été arrêté quelque temps sous les murs d’une ville qui n’a qu’une entrée et dont il faut passer le fossé sur une planche. Yezdikhast, dira-t-on, n’existait probablement pas à cette époque. Une pareille position n’a pu manquer d’être, à toutes les époques, occupée. Où le gardien des marches persépolitaines se fût-il mieux posté pour surveiller, aux jours de Sennachérib ou de Sémiramis, les armées assyriennes venant de la Médie ? Dès l’antiquité la plus haute, Yezdikhast a dû être un nid de Burgraves. Une petite plaine bien arrosée par plusieurs ruisseaux, et partagée en une infinité de champs et de jardins, assure aujourd’hui la subsistance de la communauté méfiante et farouche qui voit défiler sous ses murs les caravanes, sans se sentir tentée de les attirer dans son sein.