HISTOIRE DE LA GAULE

TOME III. — LA CONQUÊTE ROMAINE ET LES PREMIÈRES INVASIONS GERMANIQUES.

CHAPITRE I. — LES ROMAINS DÉTRUISENT L’EMPIRE ARVERNE[1].

 

 

I. — SITUATION DE L’EMPIRE ARVERNE DANS LE MONDE.

Au milieu du second siècle avant notre ère, le peuple des Arvernes avait réussi à faire de toute la Gaule un seul État. Sa domination atteignait les limites naturelles de la contrée : elle touchait aux Pyrénées et aux Alpes, à l’Océan, au Rhin et à la Méditerranée. Les peuplades qui lui obéissaient n’étaient pas groupées uniquement par la force. Elles avaient une origine et des traditions communes ; elles adoraient des dieux semblables et parlaient une seule langue. D’étroites relations de commerce et d’amitié les réunissaient. On sentait chez toutes la même confiance en leur race, le même orgueil du nom d’alliance. La nation qui leur commandait était la plus riche et la plus forte ; sa situation centrale faisait d’elle le lien naturel de toutes les régions de son vaste empire. La Gaule présentait les conditions nécessaires pour vivre d’une vie originale et forte, et pour créer une patrie durable.

Par malheur, de nombreuses causes de faiblesse pouvaient enrayer la croissance de cette grande nation, et mettre en péril son existence même. Dans les régions naturelles de la France, il s’était formé des peuplades distinctes, ayant leurs intérêts et leurs caractères propres : chacune se querellait avec ses voisines, et toutes, sans doute, jalousaient la peuplade souveraine. A l’intérieur de ces petits États, le cours régulier de la vie publique était troublé par les menées des grands. Ardents, inquiets, batailleurs, d’humeur changeante et d’un incurable amour-propre, les Celtes et les Belges s’accommodaient mal de ce régime d’unité, qui suppose une entente continue, des sacrifices réciproques, la pratique monotone des travaux de la paix. Des rancunes de peuples et des ambitions de chefs s’agitaient sans cesse à l’intérieur de l’Empire arverne. — D’autres périls le menaçaient à ses frontières.

Au nord, il touchait aux Barbares de la Germanie. Les causes qui avaient jadis entraîné les Celtes et les Belges vers ce côté du Rhin étaient de celles qui durent toujours : le désir d’un ciel plus gai et de terres plus riches[2], une population trop nombreuse[3], l’habitude de demander à la guerre les moyens de vivre[4], les grandes querelles nationales, qui finissaient souvent par des expulsions de tribus entières[5]. L’instabilité et la sauvagerie du monde germanique en faisaient un voisinage fort incommode ; et, de temps à autre, des bandes d’hommes, pressées par la faim, l’envie ou la défaite, se présentaient en armes aux passages du Rhin[6].

Au sud, les Gaulois confinaient à l’Empire romain, sur les routes des Alpes, des Pyrénées et de la nier Intérieure. De ce côté, c’était un État compact, civilisé, aux pratiques régulières et à la politiqué suivie. Mais, pour être de nature différente, ce voisinage présentait plus de dangers encore que celui de la frontière germanique. L’histoire des cent dernières années (218-133) avait montré qu’aucune force au monde ne pouvait résister à celle de Rome, ni les vastes royaumes de l’Orient, Macédoine, Syrie ou Égypte, ni les tribus indomptables de l’Occident, Ligures ou Celtibères, ni le courage obstiné et intelligent des villes antiques et patriotes, Syracuse ou Carthage. Elle avait triomphé dans les campagnes les plus longues, sur les champs de bataille les plus disputés, devant les murailles les plus fortes. Si elle songeait à la conquête de la Gaule, celle-ci était d’avance abandonnée par les dieux. Et de cette même histoire il résultait également que les Romains, pour satisfaire une convoitise ou une rancune, n’avaient jamais été arrêtés par des scrupules de droit ou de religion : le jour où ils voudraient la Gaule, ils trouveraient les prétextes pour intervenir.

L’Empire arverne avait donc à se prémunir contre les ambitions des Méditerranéens et contre les brigandages des Barbares du Nord. Et ce fut, dans tous les temps et sur tous les continents, la condition incertaine et périlleuse des nations qui s’efforcent de vivre entre les confins des vieux États civilisés et la lisière des pays sauvages : elles n’ont souvent que le choix entre deux manières de mourir.

Il semblait cependant, vers l’an 150 avant notre ère, que l’Empire arverne ne courait pas encore les plus graves dangers sur l’une et l’autre de ses frontières. Il ne venait de la Germanie que des troupes isolées, faciles à écarter ou à loger ; dans les grandes vallées du Nord, trois peuples vigoureux barraient la route aux invasions, les Nerviens, au seuil de Vermandois, les Trévires, le long de la Moselle, les Séquanes, des deux côtés de la trouée de Belfort. Ce qui tenait à distance le peuple romain, ce n’étaient pas les Alpes et les Pyrénées : car ses légions pourraient les franchir sans peine, et elles les avaient déjà tournées en débarquant à Marseille. Mais le sénat semblait maintenant s’interdire de nouvelles entreprises. Les révoltes de la Macédoine, de la Grèce et de l’Asie, l’empire espagnol de Viriathe le Lusitan, la résistance opiniâtre des Celtibères dans Numance, venaient de lui montrer qu’avant de s’étendre à nouveau, il fallait s’assurer pour toujours la fidélité de l’immense empire (148-133)[7]. D’ailleurs, Rome et l’Italie souffraient alors de tous les maux qu’entraînent des conquêtes trop rapides, et la tâche principale des chefs était de remédier à ces maux. Le plus célèbre et le plus sage de tous, Scipion Émilien, renonçait à la vie des camps et se vouait à la réforme de l’État[8].

Pour maintenir la sécurité de ces temps de trêve, la Gaule n’avait qu’à imiter le peuple romain : ne point se chercher d’ennemis au delà de ses frontières, tricher de se guérir de ses vices intérieurs. Au prix de beaucoup de prudence, elle pourrait s’assurer une longue vie.

 

II. — DES CAUSES DE L’INTERVENTION ROMAINE.

Mais c’était trop demander à des Gaulois que de ne point provoquer un peuple voisin et que de vivre d’accord entre eux.

Vers l’an 125 avant notre ère, à ce que racontent les historiens anciens, la peuplade des Salyens ravagea les terres des Marseillais, et les légions romaines vinrent à leur secours[9]. — Elles ne seraient peut-être pas sorties de la Provence si, vers l’an 121, un nouvel incident ne les avait entraînées plus au nord : les Allobroges et les Arvernes s’étaient brouillés avec les Éduens, et ceux-ci, menacés chez eux, appelèrent l’armée du sénat[10]. — A coup sûr, les Romains durent accepter avec joie les nouvelles occasions qui s’offraient à eux de se battre et de conquérir : mais ce sont les Gaulois eux-mêmes qui les leur présentèrent, par leurs bravades imprudentes et leurs éternelles jalousies.

Il est d’ailleurs probable qu’ils ont eu, pour attaquer Marseille, des, motifs plus sérieux que leur besoin de tracasser. Il y avait près de trois siècles que les Celtes et la colonie des Phocéens se trouvaient en rapport : et c’était la première fois qu’ils se querellaient. Autant le voisinage des tribus ligures avait été gênant pour les Grecs, autant ils n’avaient cessé de se louer des Gaulois. Marseille trouvait chez eux des hôtes, des clients et des soldats. Par égard pour elle, ils firent bon accueil aux Romains de Publius Scipion, et quelques-uns même se battirent, pour le service du consul, contre les gens d’Hannibal. Ils étaient les plus constants des philhellènes, et, durant huit générations, rien n’était venu troubler l’amitié réciproque de la fille de Phocée et des nations gauloises. Pour qu’elle se soit si complètement rompue, pour que Marseille ait redouté ses anciens amis au point de vouloir contre eux le secours immédiat des légions, il faut qu’on ait eu à leur reprocher plus que de simples brigandages, et qu’une cause profonde soit venue briser l’antique alliance.

On peut chercher cette cause dans les évènements mêmes qui ont précédé la rupture. Et ce sont la formation de l’Empire arverne, l’adhésion des Salyens de Provence à cet empire, son extension jusqu’aux portes de Marseille. La ville grecque ne se trouvait plus dans les mêmes conditions pour vivre et commercer ; ses habitudes séculaires étaient menacées. Au lieu d’avoir à ses frontières une peuplade ou quelques tribus, faciles à contenir ou à acheter, elle touchait à un vaste royaume, riche en hommes et en ambitions, et qui tenait désormais tous les chemins et tous les marchés de la Gaule. A son gré, il pouvait les lui interdire ou ne les lui ouvrir qu’à prix d’or[11] ; le commerce de la cité et sa sécurité même étaient à la merci de ses voisins. Elle avait sous les yeux l’exemple de Phocée, si heureuse au temps de Gygès et de Crésus[12] devenue esclave et misérable lorsque le royaume de Lydie ne fut plus qu’une satrapie de l’Empire perse. Les villes helléniques étaient faites pour voisiner avec des tribus barbares ou de bons rois marchands, comme Crésus ou Arganthonios, et leurs pires ennemis furent les grands empires militaires, aux chefs ambitieux de gloire et aux peuples avides de butin. L’État des Arvernes ne pouvait donc inspirer que de la défiance aux Marseillais. Il est possible que sa création ait suscité chez les Gaulois cet enthousiasme et ces désirs fous qui leur étaient familiers[13]. Leur orgueil de race a dû prendre une vigueur nouvelle ; c’est vers ce temps–là, semble-t-il, que les emblèmes de leur religion remplacent sur les monnaies les copies des types grecs. Peut-être les Arvernes ont-ils dit que la présence de cette cité étrangère était humiliante pour leur empire ; peut-être ont-ils voulu, à Arles ou à Narbonne, créer de grands ports nationaux.

En tout cas, à la première attaque gauloise, Marseille prit peur et recourut aux mesures extrêmes. Trente ans auparavant, les Romains avaient déjà protégé contre les indigènes ses colonies de Nice et d’Antibes, et, la besogne faite, ils s’étaient rembarqués. Marseille pouvait encore attendre d’eux qu’ils la sauveraient du péril gaulois, sans prendre pied dans l’arrière-pays. Elle les appela.

Mais Rome, en ce moment, changeait une fois de plus de politique. Le premier essai de réforme sociale, celui de Tiberius Gracchus, avait abouti à une sorte de révolution (134-2), et le sénat craignait pour l’avenir tout à la fois une guerre civile et une tyrannie. Or, une expédition lointaine était un moyen de dériver les esprits et d’occuper les ambitions[14]. Scipion Émilien venait de mourir (129) : il n’était plus là pour guider son peuple vers son idéal de justice et de raison. D’autre part, le problème le plus urgent était de trouver des terres pour les pauvres, et on ne s’en procurait en Italie qu’au prix de querelles sans fin. Mieux valait en chercher à l’étranger, et prendre celles de l’ennemi que du sénateur. — L’appel des Marseillais fut donc écouté. On chargea de l’expédition le consul Marcus Fulvius Flaccus[15], un des chefs du parti populaire, l’ami de Caïus Gracchus et le plus ardent de ses collaborateurs[16].

Il était donc à prévoir que ce ne serait pas seulement une guerre de secours, mais aussi de conquête et d’annexion. Marseille avait été aussi folle que la, Gaule. Toutes deux couraient ensemble au-devant d’un destin commun.

 

III. — LES DEUX CAMPAGNES DE PROVENCE.

Depuis la guerre d’Hannibal, l’Occident n’avait point vu de lutte plus grave. D’un côté, le peuple romain, souverain incontesté des contrées de la mer Intérieure. De l’autre, le seul grand empire qu’aient pu fonder des Barbares, et cet Empire arverne, le plus puissant des États gaulois de l’Europe, et comme le champion de ce nom celtique contre lequel Rome avait protégé le monde méditerranéen. En franchissant les Alpes, les légions allaient poursuivre sur la terre gauloise même, et dans le berceau de la race, la revanche de l’Allia, du Capitole et de Delphes. Et leur victoire signifierait que les Barbares du Couchant et du Nord auraient désormais à compter, comme autrefois les villes et les royaumes du Midi et du Levant, avec la volonté du peuple romain.

Toutefois, la lutte ne prit point d’abord ce caractère de grandeur et de solennité. Rome ne provoqua pas- tout de suite les Arvernes, elle limita son action aux terres les plus voisines de Marseille. Les Arvernes, d’autre part, n’intervinrent pas aussitôt pour défendre ces terres, soit que des embarras intérieurs les aient retenus, soit qu’ils n’aient pas cru à de sérieuses menaces du côté des Romains.

Il en résulta que ceux-ci eurent le temps de se débarrasser des peuplades les plus proches, et de se préparer pour les campagnes décisives. Jamais guerre, dans l’histoire de Rome, n’a été conduite avec moins de mécomptes et sur un plan plus régulier.

Fulvius Flaccus, en 125[17], se borna à tâter l’ennemi[18] par une démonstration hardie. Il franchit les Alpes, je crois au col du mont Genèvre[19], et on lui fit plus tard la gloire d’avoir, le premier des Romains, imité Hannibal[20]. Sur sa route, le long de la Durance, il traversa ou soumit sans peine les tribus ligures et gauloises[21]. Puis il marcha contre les Salyens, ce qui était le but principal de l’expédition.

Les Romains l’avaient bien dirigée, ne laissant rien au hasard. Pendant que l’armée s’avançait, on avait négocié avec les Salyens, sans doute par l’entremise de Marseille. Elle avait dû garder des amis parmi les chefs. L’un d’eux, Craton, rendit de grands services à la cause romaine[22]. Comme à l’ordinaire, les chefs d’une peuplade gauloise ne pouvaient se décider à marcher d’accord, même contre l’ennemi. Lorsque les légions se présentèrent, elles ne trouvèrent qu’une faible résistance. On se battit juste assez pour mériter à Flaccus les honneurs du triomphe. Le consul se contenta de cette première leçon infligée aux Gaulois : il n’est point dit qu’il ait détruit leurs villes, saccagé leurs terres et annexé leur territoire[23].

Il fut évident que c’était partie remise. Peu de mois après, un nouveau chef, le consul Caïus Sextius Calvinus, arrivait en Gaule, et une seconde campagne commençait (124)[24].

Elle ressembla d’abord à la première. Sextius suivit la même route que son prédécesseur, rencontra et battit les mêmes ennemis, Ligures, Voconces et Salyens. Mais les combats furent plus nombreux et les résultats plus décisifs[25]. Les Salyens résistèrent mieux, et même les chefs favorables à Rome se laissèrent entraîner dans la lutte[26]. Elle prenait peu à peu un caractère national. Les rois salyens furent vaincus[27], le siège fut mis devant la principale ville forte de la peuplade, Entremont près d’Aix. Elle fut prise, la population vendue à l’encan, et c’est à peine si les amis de Rome obtinrent la vie sauve (121)[28]. Marseille n’avait plus rien à craindre de ses voisins.

Mais cette fois, Rome travailla pour elle. Sextius resta deux ans en Provence comme proconsul (123-122). Il donna quelques terres aux Marseillais[29], et il prit pour son peuple le territoire des Salyens, sans doute aussi celui des Voconces de la Drôme et de quelques tribus gauloises de la Durance[30]. Une province fut ébauchée entre le Rhône, les Alpes et la mer. L’arrière-pays de Marseille devint une partie de l’Empire romain. Pour, mieux marquer qu’il s’agissait d’une annexion définitive, Sextius construisit une forteresse et installa une garnison près des bords de l’Arc, au pied même de la ville salyenne, à demi détruite, et il donna à sa fondation un nom romain, Aquæ Sextiæ, les Eaux de Sextius, aujourd’hui Aix-en-Provence (122)[31]. Le site était charmant : des eaux chaudes, des sources froides, courant à travers une large plaine, un sol gras et fertile, une rivière large et limpide, des collines boisées à l’horizon[32] Mais la, situation valait encore mieux que le paysage. A Aix, on était à mi-route entre la Durance du haut pays et Marseille sur le rivage, entre le Rhône d’Arles et le golfe de Fréjus : c’était le carrefour des routes de la Provence et un nœud de chemins vers l’Italie. Désormais, pour commercer par terre, les Marseillais devraient passer sous les regards des Romains laissés par Sextius. Aix, assurément, protégeait contre les Celtes la cité grecque : mais c’était en prenant sa place et en diminuant son prestige. La première défaite qui frappa la Gaule atteignit Marseille par contrecoup.

 

IV. — LA GRANDE GUERRE CONTRE ALLOBROGES ET ARVERNES.

L’année suivante, 121 avant notre ère, commença enfin la grande guerre entre Bituit, roi des Arvernes, et le peuple romain. De divers côtés, les prétextes de haine surgissaient entre les deux adversaires.

Les Éduens se détachaient décidément de l’Empire gaulois, gagnés peut-être par des promesses du sénat et par le titre d’alliés[33]. Bituit fit alors ravager leur territoire par ses hommes ou par ceux des Allobroges, ses fidèles amis. Mais aussitôt, la nation de Bibracte réclama de Rome aide et protection[34].

Pour leur compte, les Allobroges s’étaient déclarés solidaires des Salyens vaincus. Ils accueillirent avec honneur leurs rois fugitifs, et ils se montrèrent prêts à les secourir[35].

A Rome, c’était le temps où Caïus Gracchus et Fulvius Flaccus, le premier vainqueur des Gaulois, gouvernaient le peuple en vrais monarques[36], et promettaient à la multitude des terres nouvelles (123-122)[37]. Les démocrates n’étaient pas moins avides de gloire et de conquêtes que les sénateurs des générations anciennes[38]. La guerre fut vigoureusement poussée, et confiée à un consul ambitieux, énergique, orgueilleux et sans scrupule[39], Cneius Domitius Ahenobarbus (122). On lui donna une bonne armée et, pour effrayer les Gaulois, quelques éléphants[40]. En réserve, une nouvelle armée fut préparée pour le consul de l’année suivante, Quintus Fabius Maximus, le petit–fils de Paul-Émile[41].

Les deux chefs pourtant, Domitius et Bituit, hésitèrent encore avant d’engager la lutte. Le consul députa aux Allobroges pour leur réclamer les Salyens fugitifs, et le roi des Arvernes envoya une ambassade pour négocier avec le Romain[42].

Les Allobroges, décidés à se battre, refusèrent de livrer leurs hôtes[43]. Alors, Domitius mit son armée en marche vers les bords du Rhône. Il fallait prévenir l’arrivée des Arvernes. De leur côté, les Allobroges n’attendirent pas leurs alliés, et descendirent le long du fleuve[44].

Ce fut en route que Domitius rencontra l’ambassade de Bituit[45]. Et cette entrevue montra bien le contraste qui séparait les deux chefs et les deux peuples qui allaient se disputer un empire. L’ambassadeur était accompagné de ses gardes, de son poète et de ses chiens ; le cortège resplendissait d’or et de pourpre. Arrivé devant le Romain, le barde entonna un chant en l’honneur de Bituit et de son envoyé. Puis, les pourparlers commencèrent, et le chef gaulois implora le pardon des Salyens, auteurs de la rupture. Domitius refusa tout, et continua sa route[46].

Il heurta l’ennemi au delà de la Durance, au passage de la Sorgue[47] La bataille s’engagea, et le nombre des Celtes en fit, en apparence, une terrible chose ; mais elle eut l’issue de tous les combats qu’un Romain habile a livrés contre des Barbares : les Allobroges furent complètement vaincus. Outre l’infériorité naturelle de leurs soldats, ils eurent une grande peur des éléphants : il y avait beau temps qu’ils avaient oublié ceux d’Hannibal. Toutefois, malgré leur terreur, ils se battirent bien : car ils ne laissèrent que trois mille prisonniers, contre vingt mille cadavres (début de 121)[48].

Mais les Allobroges étaient un des plus puissants peuples de la Gaule ; leur bravoure était célèbre, leur pays, très vaste et très difficile. On s’était battu fort loin de leurs terres. La victoire de la Sorgue n’avait fait que donner aux Romains un beau champ de bataille, et écarter d’eux un premier danger.

Le sénat n’avait rien épargné pour réussir. Domitius fut rejoint par le consul Fabius. Les Romains avaient maintenant en Gaule trente mille hommes, la principale force militaire de leur empire[49]. Mais il était temps de la rassembler. Les Arvernes descendaient des Cévennes. C’était une foule énorme de combattants qui arrivaient par les routes de la montagne. Bituit amenait avec lui deux cent mille hommes et les meutes de ses chiens[50]. Quand bêtes et gens se présentèrent sur les bords du Rhône (à Pont-Saint-Esprit ?[51]), le pont parut insuffisant pour leur livrer passage. Bituit en fit construire un second, à l’aide de barques retenues par des chaînes. Et la multitude se répandit sur la rive gauche, à la recherche des Romains[52].

Ils n’étaient pas loin, presque perdus dans l’immense campagne qui s’étend entre les rives du fleuve et les dernières Alpes. Lorsque Bituit vit les quelques mille hommes ramassés qui formaient les légions, et qu’il compara cette misère aux flots humains qui roulaient autour de son char d’argent[53], il eut une pensée d’orgueil et de confiance, et il déclara qu’il y avait à peine là de quoi nourrir ses chiens[54].

Les deux troupes en vinrent aux mains. Elles combattirent, près du Rhône, dans cette riche et vaste plaine du Comtat où des centaines de mille hommes peuvent se choquer et se mêler sans obstacles, où de grandes routes arrivent de tous les points de la France, du Dauphiné et de l’Auvergne, de Marseille et de Lyon, et que viennent encadrer les derniers contreforts des Alpes et les premiers éperons des Cévennes[55]. On était dans les plus chaudes journées de l’été, le 8 août[56].

Fabius commandait les Romains[57]. Il avait la fièvre quarte[58], mais il n’en fit pas moins son métier de général : il alla de rang en rang, tantôt porté sur une litière, tantôt soutenu à bras d’hommes, encourageant ses soldats, expliquant la manière de combattre ces Barbares[59]. Bituit, semble-t-il, fit aussi son devoir, et la bataille fut longue et disputée. Mais enfin les Romains l’emportèrent, et la débandade commença[60].

Le gros des vaincus n’eut pour se dégager que les ponts du Rhône. Ils s’y entassèrent, chacun ne songeant qu’à son salut. Le pont de bateaux céda, les chaînes se rompirent, les barques sombrèrent, et ce fut un nouveau désastre. Bituit échappa, mais il ne ramena, dit-on, que le quart de ses hommes[61].

A coup sûr, la Gaule pouvait lui en fournir beaucoup d’autres, et dix fois plus qu’il n’en avait perdu. La conquête de ses États n’était pas encore entamée. Mais la victoire des Romains, succédant à trois campagnes heureuses et faciles, avait été si complète et si aisée, que Fabius et Domitius eurent le droit de tout espérer et de tout entreprendre. Les dieux avaient prononcé pour eux : c’était le chef souverain de la Gaule qui avait été vaincu. Les routes du Nord, par les Cévennes et par le Rhône, s’ouvraient rides d’ennemis. Le sort du monde gaulois, jusqu’au Rhin et jusqu’à l’Océan, dépendait désormais de la volonté romaine[62].

 

V. — LA CRÉATION DE LA PROVINCE DE GAULE.

Mais pendant ces évènements militaires, Rome changeait de nouveau ses maîtres. Caïus Gracchus et Fulvius Flaccus avaient été massacrés (121), et les chefs des grandes familles étaient revenus au pouvoir.

Certes, aucun de ces hommes ne possédait la large intelligence de Caïus, l’audace grandiose du tribun qui avait voulu en quelques mois bâtir une société nouvelle sur le vieux monde méditerranéen. Mais les optimates qui l’avaient remplacé, les Metellus, les Scævola, les Caton, les Scaurus, n’étaient pas ces politiciens égoïstes et étroits auxquels font songer les déclamations de Salluste[63]. La réaction qu’ils dirigèrent contre l’œuvre des Gracques laissa intactes les réformes déjà mises en vigueur ; ils ne refusèrent pas d’envoyer des colonies en dehors de l’Italie ; ils n’abandonnèrent aucune des conquêtes transalpines faites par Flaccus et ses successeurs. Seulement, ils arrêtèrent toute nouvelle entreprise militaire, comme s’ils pressentaient que l’impérialisme conduirait à la dictature, et ils donnèrent l’ordre aux généraux de ne plus s’avancer vers le nord.

Mais d’autre part, les chefs du sénat veillèrent à ce que les résultats des dernières campagnes fussent acquis à tout jamais. Leur politique en Gaule allait être un chef-d’œuvre de prudence, de méthode, de sens pratique.

Les victoires sur les Celtes de la Provence et du Dauphiné et la défaite de Bituit faisaient des Romains les maîtres du Midi, et rejetaient les Arvernes au nord des Cévennes. On décida qu’une province serait constituée au sud de ces montagnes[64]. Et, pour bien marquer que leurs triomphes étaient en quelque sorte perpétuels, et qu’ils donnaient à leur peuple des droits inviolables sur les terres, les hommes et les dieux, Fabius et Domitius élevèrent des trophées et des temples de pierre près des lieux où ils avaient vaincu, et les consacrèrent à leurs divinités militaires, Mars et Hercule[65].

Toutefois, trois ou quatre batailles ne suffisaient pas pour réduire à une éternelle impuissance le Midi de la Gaule. Les mois qui suivirent la fuite des Arvernes furent consacrés par les généraux romains à faire reconnaître de tous la majesté du peuple romain.

Les Allobroges leur donnèrent le plus de mal, ainsi qu’il fallait s’y attendre. Mais Fabius les battit ou les effraya assez pour mériter le surnom d’Allobrogique, qui passa à ses descendants. Comme tous les proconsuls du temps de l’oligarchie, il avait la main rude ; et plus tard, quand les orateurs romains voudront inspirer aux Allobroges une terreur salutaire, ils évoqueront devant eux le nom de Fabius[66]. Leur immense domaine, plaines et montagnes, fut réuni à l’Empire, et la province fut poussée jusqu’à Vienne et Genève[67], au seuil de l’Europe centrale.

Dans le voisinage de la Méditerranée, les peuplades gauloises, Cavares du Comtat, Helviens du Vivarais, Volques du Languedoc, se livrèrent sans trop de résistance : il n’est dit nulle part que Fabius ou Domitius ait eu à les combattre[68]. C’étaient des tribus d’humeur pacifique ; elles habitaient, pour la plupart, de vieilles villes, des vallons fertiles, des plaines ouvertes ; Marseille les avait habituées à respecter ou à aimer les hommes et les choses du Midi. Les Volques Tectosages eux-mêmes, les maîtres de la riche et puissante cité de Toulouse, acceptèrent de devenir, sous le titre décevant d’alliés, les sujets du peuple romain[69], et une garnison fut installée pour garder la ville gauloise[70]. Grâce à l’annexion des terres du Languedoc, la province de Gaule rejoignit celle d’Espagne au col du Pertus, et suivit la Garonne jusqu’au confluent du Tarn, à moitié route entre la Méditerranée et l’Océan.

Le seul péril que les Romains eurent à écarter leur vint des hommes de la montagne, les Butènes des pays de Rouergue. Alliés très fidèles des Arvernes, ils avaient uni leur cause à celle de Bituit. Quelques-unes de leurs tribus combattirent sans doute sur les bords du Rhône ; d’autres, peut-être, descendirent en armes contre les Romains du Languedoc. Aussi bien, maîtres du haut pays qui domine le Toulousain et le Narbonnais, ils étaient d’incommodes voisins pour la nouvelle province. Une sévère leçon leur fut infligée par Fabius ou Domitius[71], et, à la suite d’incidents que nous ignorons, leur territoire fut démembré. On ne laissa aux Butènes que la partie septentrionale, celle qui valait le moins, le Rouergue de Rodez ; le reste, l’Albigeois, contrée de bonnes terres et de belles routes, fut incorporé à la province[72] : celle-ci se trouva désormais gardée du côté des montagnes, et maîtresse des chemins qui ouvraient sur ce point le plateau Central.

Avec ce dernier épisode s’acheva la période d’annexion. La province romaine s’étendait en amphithéâtre le long de la Méditerranée. A l’ouest, elle s’appuyait à l’Espagne et aux Pyrénées, depuis la source de la Garonne jusqu’au cap Cerbère, fin de la Gaule ; à l’est, elle touchait les Alpes et l’Italie, depuis les rives méridionales du lac Léman jusqu’aux caps et aux rades du rivage ligure. Outre la valeur propre du pays, cette province complétait l’œuvre antérieure du peuple romain. L’Italie et l’Espagne, les deux plus anciennes conquêtes de Rome, se trouvaient maintenant réunies par un domaine d’étendue profonde, traversé par des routes faciles : il ne serait plus besoin aux marchands et aux légions de courir les risques de la mer[73]. Un corps d’empire continu bloquait et fermait la Méditerranée depuis le détroit de Sicile jusqu’aux colonnes d’Hercule : cette fois seulement, elle était une mer romaine. Et enfin, abritées par la province de Gaule, l’Italie et l’Espagne n’étaient plus, de ce côté, des régions frontières[74]. Un boulevard solide les protégeait contre les Barbares du Nord[75]. Qu’on mît en état de défense la Provence, le Dauphiné et le Languedoc, et Rome n’avait plus rien à craindre de l’Occident, ni un nouveau Brennus ni un nouvel Hannibal[76]. Dès le temps de sa fondation, la province du Rhône fut donc regardée comme une marche militaire essentielle à la sûreté de l’Empire[77].

Le défaut des œuvres de ce genre est d’être artificielles et peu faites pour durer. Tout au contraire, la création de Fabius et de Domitius se trouvait en parfait accord avec le cours naturel des choses. La tâche des deux généraux avait consisté à séparer du reste de la Gaule les peuplades du Dauphiné, de la Provence et du Languedoc. Or ces peuplades, Allobroges, Salyens et Volques, étaient de formation plus récente que celles des régions centrales ; les Ligures et les Ibères demeuraient là en plus grand nombre. Elles ne faisaient point partie de la vieille Celtique, celle des héros et de la légende. — Leur pays, comme leur histoire, les séparait des autres Gaulois. De Vienne, où commençait sur le Rhône la province romaine, à Castelsarrasin, où elle finissait sur la Garonne, c’étaient les vraies terres du Midi français, chaudes et lumineuses, les seuls horizons de la Gaule qui ressemblassent à ceux des Méditerranéens. En les prenant, Rome prenait au delà des Alpes tout ce dont la nature avait fait le prolongement de son Italie[78]. Et c’était si bien un sol fait pour elle, pour ses hommes et ses cultures, que l’olivier arrivera bientôt jusqu’à Valence ou Castelnaudary, qu’il atteindra presque les limites de la Province, et qu’il n’en sortira pas. L’œuvre de Rome avait été préparée par la nature et par l’histoire.

 

VI. — DISLOCATION DE L’EMPIRE GAULOIS.

Pour assurer cette nouvelle province contre un retour offensif de Bituit, des Arvernes et des Celtes, les Romains entrèrent en pourparlers avec eux. Le principal danger était dans la force que les Gaulois tiraient de l’Empire arverne, c’est-à-dire dans leur union autour d’un seul peuple et sous un seul roi. Mais le sénat et ses généraux avaient une longue expérience de la façon dont on détruisait les États : il leur suffisait d’appliquer en Gaule les procédés qui avaient brisé l’empire de Philippe et celui d’Antiochus. Quelques perfidies et quelques intrigues eurent raison, en peu de semaines et sans coup férir, de l’unité celtique.

Bituit alla au-devant de sa perte en demandant à traiter au nom des Arvernes et des Allobroges[79]. Le roi celte, comme tant de Gaulois, offrait un bizarre mélange d’orgueil et de bon sens. On l’a vu, au moment de la bataille, fier de ses hommes et de ses chiens, plein d’un souverain mépris pour ses adversaires. Mais d’autre part, il a fait tout son possible pour éloigner de son pays l’invasion et le désastre : il avait déjà su implorer le pardon en faveur de ses alliés vaincus ; puis, se sentant vaincu lui-même, il désira la paix. Et l’Arverne sollicita ou accepta une entrevue avec ses vainqueurs, afin de diriger lui-même les négociations[80]. Ce qui fut un acte tout à la fois de beau courage et de naïve confiance.

Il ignorait la manière dont les Romains traitaient les chefs, barbares qui se confiaient à leur bonne foi. Le sort de Bituit se décida vite. Ce fut le proconsul Domitius qui régla l’entrevue. Le roi se rendit auprès de lui, et fut d’abord reçu comme un hôte. Mais on s’assura de sa personne aussitôt après, et, de gré ou de force, on l’envoya par mer en Italie et au sénat. D’ailleurs, on le traita avec certains égards, et on lui fit croire qu’il allait à Rome pour expliquer sa conduite, et que, les excuses faites, il serait libre[81]. Son fils Congentiat resta comme otage, semble-t-il, entre les mains de Domitius[82].

Le sénat aurait pu désavouer son proconsul déloyal. Mais ce n’eût été ni dans ses habitudes ni dans ses intérêts. On se borna à accorder la vie sauve à Bituit, et il fut installé à Albe comme prisonnier d’État. Il est probable que son fils l’y rejoignit[83]. Il eût été contraire à la paix, déclara-t-on à Rome, que le roi revint en Gaule. Ce qui voulait dire que le maintien de la royauté, de l’Empire arverne et de l’unité celtique était incompatible avec les besoins du peuple romain.

Les résultats de ce double internement furent en effet aussi durables que ceux de la défaite elle-même.

Privés de leur roi et de son héritier, les Arvernes renoncèrent au régime monarchique. Les adversaires de la royauté devenaient plus nombreux dans les grandes nations de la Gaule ; la forge des sénats croissait ; la noblesse cherchait partout à substituer une magistrature élective à la souveraineté royale. Déjà, à ce qu’il semble, le peuple des Éduens avait renversé ou congédié ses dynastes[84]. A son tour, celui des Arvernes profita de la défaite de ses rois pour les exclure du pouvoir. Il recouvra la liberté, comme on eût dit à Rome, ou, ce qui est plus exact, il obéit désormais à l’autorité de ses grands seigneurs[85].

L’intervention des Latins eut donc sur la vie intérieure de la Gaule les mêmes conséquences que sur celle de l’Asie, de la Grèce et de l’Italie. Elle produisait chez tous, Hellènes et Barbares, des effets semblables. Partout s’écroulaient, au contact des légions et du sénat, les vieilles royautés ou les tyrannies naissantes, et le monde se courbait sous les lois des noblesses municipales. Dénuées d’ambitions militaires, attachées surtout au souci de maintenir leur pouvoir et de garder leurs richesses, ces sociétés aristocratiques s’accommodaient sans peine d’un patronage étranger : elles furent, de Cadix à Byzance et de Bibracte à Carthage, les assises toujours semblables sur lesquelles le peuple romain appuya sa majesté souveraine[86]. Il est donc permis de croire que les nobles arvernes virent sans déplaisir la captivité de Bituit et la perfidie de Domitius, et que peut-être quelques-uns d’entre eux servirent de complices au proconsul.

Tout ce qui était ambition généreuse ou pensée générale s’évanouissait dès qu’intervenait la diplomatie romaine. Bituit emprisonné, la royauté supprimée chez les Arvernes, leur domination sur la Gaule s’effondra. Déjà, les Éduens s’étaient séparés d’eux ; les Belges, les Armoricains, les peuples de l’Ouest et de la Loire, durent suivre leur exemple. Il ne resta de fidèles aux Arvernes que les tribus voisines, celles du plateau Central, Velay, Quercy, Gévaudan et Rouergue[87]. Cette unité celtique était trop récente, elle avait à lutter contre trop de jalousies, elle manquait trop d’institutions communes, pour résister à un choc un peu rude suivi d’intrigues savantes. Au surplus, un vaste empire ne se comprenait guère, dans le monde des Barbares, sans le prestige d’un grand roi ou d’un chef de guerre, et les Arvernes, en supprimant la monarchie, s’étaient privés de ce qui avait fait leur force et la gloire de leur nom.

Le sénat romain s’arrangea de manière à ce que l’anarchie gauloise, à ce que cet état de divisions et de haines eût des chances de longue durée. Il attacha à ses intérêts, par des contrats ou par un traitement flatteur, les peuples qui pouvaient lui être le plus utiles, ou qui détestaient le plus la nation de Bituit. Les Éduens reçurent le titre de frères et consanguins du peuple romain[88] : une cérémonie publique ou des décrets solennels, à Rome ou à Bibracte, affirmèrent cette alliance devant les dieux, et la présentèrent aux hommes sous la forme d’une éternelle et mystérieuse fraternité[89]. A côté d’eux, une convention unit aux Romains les Séquanes de la Franche-Comté[90]. Une autre fut conclue avec les Nitiobroges de l’Agenais[91] ; d’autres encore, avec des tribus ou des chefs de l’Aquitaine[92]. Ces contrats se ramenaient, en apparence, à peu de chose : l’essentiel semblait ce titre d’ami que le sénat accordait à un peuple au à son roi. Mais je doute qu’en échange les Romains n’aient pas reçu quelques avantages commerciaux, le libre passage ou l’hospitalité pour les marchands venus d’Italie. En tout cas, ces amis de Rome avaient été précisément choisis parmi les hommes qui se tenaient aux frontières de la nouvelle province : du côté de la Garonne, les Nitiobroges étaient à Agen, dominant la vallée qui descend de Toulouse à l’Océan ; du côté du Rhône, les Éduens étaient à Bibracte et les Séquanes à Besançon, commandant les deux routes qui se dirigeaient vers la Seine et vers le Rhin. De telles alliances prolongeaient le nom et l’influence du peuple romain jusqu’aux extrémités de la terre gauloise, et elles le garantissaient contre toute surprise. Ses voisins immédiats montaient la garde pour lui, et ouvraient à ses marchands ou à ses espions le chemin des nations laissées indépendantes.

C’est ainsi que Rome, par des faveurs plus pernicieuses encore que la violence et la perfidie, acheva de détruire l’unité gauloise. Le sénat avait beau décréter que les Cévennes formeraient la limite de son empire[93], que la Gaule vivrait à sa guise et sous ses propres lois : tout cela était le mensonge habituel. En réalité, il ne pourrait plus, il ne voulait plus se désintéresser de ce qui se passerait désormais entre l’Océan et le Rhin ; il gardait les moyens de se renseigner et d’intervenir. Ce qui fut plus grave, c’est que Rome maintint dans sa plénitude son droit de cité victorieuse, acquis sur le champ de bataille où Bituit avait succombé. En vertu de ce droit, elle possédait sur la Gaule entière, vaincue en la personne de son chef, une souveraineté légitime. Elle renonçait à exercer cet empire, elle n’avait pris qu’une partie des terres qui étaient son butin naturel. Mais elle n’entendait pas que ce droit du vainqueur fût oublié ou périmé. On continua d’en parler : soixante ans plus tard, Jules César l’invoquera[94]. La conquête de la Gaule était à moitié faite, et on conservait Ies prétextes pour la terminer.

 

VII. — LE DÉCLIN DE LA CIVILISATION GAULOISE.

Fabius et Domitius furent donc, au même titre que Jules César, les destructeurs de la Gaule indépendante et les créateurs de la Gaule romaine[95]. Pourtant, ils ont été très vite oubliés, et leur mémoire n’a cessé de pâlir devant l’apothéose grandissante du plus heureux de leurs héritiers. Cet oubli, assurément, tient en partie à ce qu’ils étaient tous deux des personnages médiocres, et qui, dans le mal comme dans le bien, n’avaient aucune des facultés surhumaines du grand proconsul. Mais d’autres causes, purement fortuites, ont aussi amené le silence sur leur nom.

Ils n’ont point écrit les commentaires de leurs campagnes, ils ont laissé à d’autres le soin de les exposer[96]. Or, dans ces temps que traversait Rome, temps de querelles politiques, de guerres civiles, d’ambitions désordonnées et de révolutions continues, il était imprudent d’abandonner à autrui le souci de sa renommée. La nécessité de glorifier Marius d’abord et César ensuite réduisit chaque jour la part de leurs précurseurs[97]. Déjà, de leur vivant, on parla assez peu de ces évènements de Gaule, et ils passionnèrent beaucoup moins les orateurs et la jeunesse de Rome que les batailles du forum et le drame de Caïus Gracchus. Une autre malchance leur est arrivée, en ce que tous les livres d’histoire qui ont raconté cette première guerre des Gaules, ceux de Tite-Live, d’Appien et d’autres, ont entièrement disparu ; et nous sommes toujours tentés de juger l’importance des faits d’après la longueur ou l’éloquence des récits que le hasard nous a conservés. Et enfin, cette guerre a été vraiment trop facile, trop peu dramatique, pour inspirer ces légendes ou ces poèmes qui ornent et perpétuent le souvenir des plus grandes choses. Elle s’est déroulée sans surprises ni dangers, et sans ces nombreuses péripéties qui ont fait de la guerre de César une prodigieuse épopée.

Mais la rapidité des triomphes de Fabius et de Domitius doit être une raison de plus pour admirer leur œuvre. Qu’on se rappelle ce que fut cette œuvre, achevée en un au, par deux batailles, avec une perte presque nulle de sang romain : — le plus puissant des empires occidentaux détruit pour toujours ; la contrée disloquée en deux tronçons, qu’un millénaire ne par–viendra pas à rapprocher, et qui n’ont pu aujourd’hui encore se départir de leurs habitudes séparées ; les nations celtiques livrées aux révolutions et à leurs jalousies réciproques ; la ruine, en un mot, de toutes les espérances patriotiques ou orgueilleuses que pouvaient former les hommes du nom gaulois. Il n’y avait pas un siècle que les dieux avaient permis à la race de fonder une grande et belle nation, et déjà ils lui envoyaient la décadence. Vaincue, mutilée et déchirée, il ne lui restait plus qu’à décliner jusqu’à la mort.

Plus d’une fois sans doute, après la fin de Bituit, elle essaiera de réagir contre le mal qui l’accable, et des hommes énergiques ou ambitieux, comme Celtill et Vercingétorix, tenteront de lui rendre l’unité, la force et la confiance. On verra que tous ces efforts seront inutiles. Quand, soixante ans plus tard, César se présentera au pied des Cévennes pour lui porter un dernier coup, la misère morale de la Gaule sera plus grande encore qu’après l’année de Domitius. Les divisions intestines, les relations avec les politiques et les marchands de Rome, auront accéléré son déclin. Au temps où César la combattit, comme l’a dit un historien, la Gaule avait dès lors atteint le degré de culture qui lui était départi, et elle s’enfonçait vers l’autre penchant de la vie[98].

Mais ce que cet historien ne rappelle pas, c’est que ce déclin de la Gaule est l’œuvre d’une main étrangère. Nul ne peut dire ce qui serait advenu de la nation, si les proconsuls n’avaient point franchi les Alpes, et si le sénat de Rome avait laissé vivre la royauté de Bituit et l’empire des Arvernes. Il y avait chez ces peuples d’abondantes ressources en courage et en intelligence. Aucune tare physique n’en faisait une espèce inférieure aux Italiens et aux Grecs eux-mêmes. La contrée était aussi bien douée que les hommes ; elle possédait, comme la race qui s’était formée chez elle, ses facultés et sa physionomie propres ; la terre de France, quelle que soit l’origine de ses habitants, a su les grouper tous, en des temps très divers, pour en faire la plus vivante et la plus originale des nations. Rien, je crois, n’empêchait la Gaule de Bituit de devenir un État très fort et très durable, et de présenter un jour au monde antique des choses aussi belles et aussi grandes, des œuvres d’art, de pensée et de vertu aussi parfaites que les créations de l’Égypte et de la Grèce. Mais il fallait accorder à cette jeune nation le temps de croître, de mûrir et de travailler. On ne le lui permit pas. Si l’heure du déclin arriva si vite pour elle, ce ne fut point parce qu’elle était trop faible ou qu’elle vieillit trop tôt, ce fut par les mortelles blessures que lui avait faites le peuple romain.

 

VIII. — LA RUINE COMMENCE POUR MARSEILLE.

Mais les victoires et la politique de Fabius et de Domitius firent une autre victime que la Gaule : ce fut Marseille, plus coupable encore d’avoir appelé les Romains, que les Éduens d’avoir accepté leur alliance. Ces Grecs, qui étaient tout à la fois d’esprit si avisé et d’âme si poétique, auraient dû comprendre ou se souvenir que des intérêts communs et la loi mystérieuse de leurs destinées unissaient la cité phocéenne et la nation gauloise. Hellènes et Celtes étaient arrivés presque en même temps, comme rapprochés par les dieux[99]. Le plus beau temps pour Marseille avait été celui où les guerriers d’Ambigat menaçaient le Capitole. Tant que les Romains s’étaient tenus à l’écart, elle n’avait fait que grandir. Au fur et à mesure que les légions se rapprochèrent des Alpes et du Rhône, les Marseillais purent assister aux progrès des marchands d’Italie. Chacune des victoires sur la Gaule restreignit le champ de son influence et de son trafic. La défaite d’Hannibal et les guerres de Cisalpine et d’Espagne l’avaient réduite à l’horizon de la Gaule propre ; après les campagnes du Rhône, Marseille se trouva cernée par les domaines du peuple romain.

En apparence, il multiplia les flatteries à l’endroit de sa précieuse alliée. Après la défaite des Ligures et des Salyens, Sextius donna aux Marseillais l’entière propriété du rivage, terres et plages[100]. Les Barbares reçurent l’ordre de se tenir éloignés de la mer, à une distance qui varia de quinze cents à deux mille mètres[101]. Sur les eaux de la Provence, il ne pouvait y avoir que des barques grecques ou romaines, et sur ses côtes, que des comptoirs ou des villas marseillaises. Mais ce présent, au fond, valait peu de chose, et comportait plus de charges que de profits. I1 fallait faire la police de ce domaine, et c’était une bande longue de cent trente-cinq lieues, pleine de retraites et de repaires. Le long de ce rivage, les Romains allaient ouvrir une large route, de Vintimille à l’Argens, qui réunirait l’Italie à Aix et à la vallée du Rhône : et en définitive, c’était pour leur compte que Marseille surveillerait la terre et la mer. Encore si cette zone côtière était riche et fertile !  mais ce n’est guère que rochers nus, pinèdes incultes, calanques secouées par le Mistral, terrasses au sol maigre que la pluie ravine, et le principal bénéfice que les Marseillais pouvaient en retirer, était dans l’exploitation des carrières de l’Estérel, de Cassis et du cap Couronne[102]. Les vraies bonnes terres de la Provence s’étalaient dans l’arrière-pays, autour de la Durance, et du Rhône, et c’étaient celles que Sextius avait réservées pour le peuple romain.

Même sur la mer, Marseille n’était plus souveraine. Au delà du Petit Rhône, à l’ouest, le rivage celtique des Volques, leurs étangs et leurs salines appartenaient à nome. Si Agde restait aux Grecs, Narbonne et Port-Vendres passaient aux Italiens. Au sud des Pyrénées, les îles Baléares avaient été conquises par Quintus Metellus en 123, au moment de la fondation d’Aix, et cette conquête avait été plus profonde qu’on n’eût pu le penser. Des colons romains y furent installés en grand nombre, et les îles devinrent le centre principal de la domination maritime de Rome dans la Méditerranée occidentale[103]. Les consuls de ces temps, en Espagne comme en Gaule, ont marqué la même volonté d’assurer la grandeur romaine, et ce fut, sur mer et sur terre, au détriment de l’hellénisme.

Sur terre, en effet, la gêne croissait chaque jour pour Marseille. La guerre terminée, le consul Fabius était retourné à Rome pour triompher de Bituit. Domitius resta en Gaule pour organiser la nouvelle province (121)[104], et il s’acquitta de sa tache en vrai Romain, voyant très vite la chose à faire, et la faisant aussitôt, sans autre souci que l’intérêt de l’Empire. Sauf Jules César, Marseille n’eut point de pire ennemi que ce proconsul vaniteux et décidé.

Les terres des Allobroges, des Cavares, des Volques et des Salyens étaient à la merci des citoyens de Rome et de leurs alliés d’Italie : les nobles, les chevaliers et les marchands purent y acquérir des domaines, acheter, vendre et transiter des marchandises, payer en deniers et compter en sesterces, attirer à eux toutes les richesses gauloises par les liens de la clientèle commerciale. Contre cette concurrence, les hommes et les drachmes de Marseille seraient désormais impuissants. Sur ces routes et ces marchés où ils avaient si longtemps circulé au milieu de philhellènes, ils rencontraient maintenant les agents de la douane et des tributs romains[105], et s’ils voulaient quelque faveur, il leur fallait aduler un proconsul[106], despote pire qu’un roi celtique. Pour faciliter les opérations des soldats, des péagers et des marchands, Domitius donna ses soins à la construction d’une grande route allant du Pertus au passage du Rhône à Tarascon, et réunissant les vieux centres municipaux du Midi, Elne, Narbonne, Béziers et Nîmes[107] : mais Agde, la cité grecque, était rejetée hors de son parcours, isolée au pied de son cap[108], et près d’elle (à Montbazin ?), Domitius installa un marché à son nom, Forum Domitii[109]. Au delà du Rhône, la route fut dès lors continuée le long de la Durance vers la montée des Alpes[110]. Certes, cette voie Domitienne (car elle prendra le nom du proconsul) n’était pas chose nouvelle : il y avait des siècles que des émigrants, des armées et des marchands avaient tracé et suivi ce chemin, depuis le col du Pertus jusqu’à celui du mont Genèvre. Ce qui fut sans doute nouveau, ce fut la solidité et la largeur de la chaussée, des ponts durables sur les rivières et les marais, un entretien constant et la sécurité[111]. Sur cette voie, à Arles ou à Tarascon, s’en greffera bientôt une autre, venant d’Italie par le littoral, les vallées de l’Argens et de l’Arc, et le poste militaire d’Aix[112] Mais l’une et l’autre laissaient Marseille en dehors de leur parcours, et, enserrée par ce réseau de routes qui ne lui appartenaient pas, elle n’était déjà plus qu’une enclave à demi perdue dans une province romaine.

Enfin, dans cette province même, les Romains imposent une rivale à Marseille. Dès le temps de Domitius, je crois, il fut décidé que Narbonne serait la capitale de la Gaule transalpine, et qu’une colonie de citoyens romains y serait envoyée[113]. Narbonne était le seul port du Midi qui pût entrer en lutte avec la cité grecque ; elle avait jadis connu la puissance et la richesse ; sa décadence était venue lorsqu’avait grandi la ville des Phocéens. Son retour au rang de métropole présageait aux Marseillais de pénibles luttes et la défaite finale.

Ainsi, les coups qui frappèrent la Gaule de Bituit atteignirent Marseille et les Grecs. Domitius ruina aux mêmes heures les ambitions naissantes de la patrie gauloise et les dernières espérances de l’hellénisme occidental. Un sentiment d’orgueil le saisit quand il vit son œuvre faite, et le nom romain seul maître de ces routes et de ces terres qu’avaient rendues fameuses Hercule et Hannibal. Monté sur un de ses éléphants, entouré de tous ses soldats, il voulut les parcourir dans la gloire du vainqueur[114], et sur ces antiques chemins que les Grecs avaient animés de leurs légendes et les Celtes de leurs batailles, les traces du passé s’effacèrent sous le lourd piétinement du triomphateur romain[115].

 

 

 



[1] De Catel, Mémoires de l’hist. du Languedoc, 1633, p. 432 et suiv. ; Bouche, La Chorographie de Provence, I, 1664, p. 407 et suiv. ; Devic et Vaissette, Hist. gén. de Languedoc, n. éd., I, 1872, p. 71 et suiv. ; [des Ours de Mandajors], Hist. crit. de la Gaule Narbonnaise, 1733, p. 87 et suiv. ; de Fortia d’Urban, Antiquités... de Vaucluse, I, 1808, p. 241 et suiv. ; Amédée Thierry, I, p. 550 et suiv. ; Fischer, Rœmische Zeittafeln, 1846, p. 146 et suiv. ; Zumpt, Studia Romana, 1859, p. 15 et suiv. (de Gallia Romanorum provincia) ; Mommsen, Rœmische Geschichte, II (Ire éd., 1855), p. 159-164 ; Herzog, Galliæ Narbonensis... historia, 1864, p. 43 et suiv. ; Vogel, De Romanorum in Gallia Transalpina gestis ante... Cæsarem, Friedland, 1873 (insignifiant) ; Desjardins, Géographie, II, 1878, p. 270 et suiv. ; Neumann, Geschichte Roms, I, 1881, p. 277 et suiv. ; de Witte, Bull.... des Ant. de Fr., 1882, p. 342-3, 348 ; G. Ritter, Untersuchunger zu dem Allobrogischen Krieg, Hof, 1885 (progr.) ; Lebègue, Fastes de la Narbonnaise (Hist. gén. de Languedoc, n. éd., XV, 1893), p. 5 et suiv. ; Klebs dans l’Encyclopädie Wissowa, III, 1897, c. 546-8 ; Münzer, ibid., V, 1903, c. 1322-4 ; (Bullock) Hall, The Romans on the Riviera, 1898, p. 81 et suiv.

[2] César, De b. G., I, 31, 11 ; Tacite, Hist., IV, 73.

[3] Plutarque, Marius, 11.

[4] Tacite, Germanie, 14 ; César, De b. G., VI, 21, 3 ; 22, 3 ; 23, 6.

[5] César, IV, 4, 2 ; Tacite, Germanie, 33.

[6] César, I, 31, 10 ; 33, 3 ; 37, 3 ; 54, 1 ; IV, 4, 2 ; VI, 35, 6.

[7] Cf. Mommsen, Rœmische Geschichte, II, l. IV, ch. 1.

[8] Cicéron, Samnium Scipionis, 2, 12, 12 ; Tite-Live, Épit., 59.

[9] Tite-Live, Epit., 60 : Salluvios Gallos, qui fines Massiliensium populabantur ; Florus, I, 37 [III, 2], 3.

[10] Tite-Live, Épit., 61 (ne parle que des Allobroges) ; Florus, 1, 37, 4 (parle des Arvernes et des Allobroges).

[11] Strabon (IV, 1, 5) constate que Marseille était dès lors impuissante à contenir les Barbares.

[12] Cf. Radet, La Lydie et le Monde grec au temps des Mermnades, 1892, p. 169 et suiv., p. 273 et suiv.

[13] César, VII, 29, 6 ; Tacite, Hist., IV, 54.

[14] Cf. Zumpt, Studia, p. 15-16.

[15] Tite-Live, Épit., 60 ; Ammien, XV, 12, 5.

[16] Valère Maxime, II, 5, 1 ; Appien, Civilia, 1, 21 et suiv. ; etc. — Aucun texte n’établit formellement un lien entre ces expéditions et le programme du parti démocratique. Il me paraît cependant indéniable qu’elles s’y rattachent : remarquez comme l’œuvre des Romains en Transalpine de 122 à 118 (fondation de villes et construction de routes) cadre avec les entreprises et projets de Caïus Gracchus (Appien, Civ., I, 23, 1 ; etc.). Dans le même sens, Mommsen, II, p. 164.

[17] Qu’il ait commencé la guerre comme consul, en 125, cela semble résulter, mais sans certitude, d’Obsequens, 30 [90], et de Plutarque, Caïus, 15 : cf. Tite-Live, Ép., 60 ; Fastes triomphaux, C. I. L., I, 1, 2e éd., p. 49.

[18] Galliæ... primo temptatæ per Fulvium, Ammien, XV, 12, 5.

[19] Cela parait résulter de l’ordre dans lequel sont placés les peuples qu’il a vaincus (cf. deux notes plus bas) ; de même, Ritter, p. 5.

[20] Prima trans Alpes arma, Florus, I, 37 [III, 2], 3 ; primus Transalpinos, Tite-Live, Ép., 60 ; cf. Strabon, IV, 6, 3.

[21] C. I. L., I, 1, 2e éd., p. 49 : [De Li]guribus [alpes Cottiennes et Embrunois ? cf. Transalpinos Ligures, Tite-Live, Ép., 60], Vocontieis [associés aux Tricores de Gap et aux Tritolles de Sisteron ? cf. Strabon, IV, 1, 3] Salluveisq. ; Obsequens, 30 [90] : Ligures Sallyes trucidati.

[22] Diodore, XXXIV, 23. Il semble que ce Gaulois ait pris un nom grec.

[23] Tite-Live, Ép., 60 (ne parle de combats que contre les Ligures) ; Fastes triomphaux, C. I. L., I, 1, 2e éd., p. 49 (le triomphe eut lieu en 123) ; Velleius, II, 6, 4 ; Plutarque, Caïus, 15. Le peu d’importance de cette campagne résulte encore de ce qu’a dû faire Sextius.

[24] Que la guerre de Sextius ait commencé sous son consulat, 124, cela parait résulter, sans certitude, de Diodore (XXXIV, 23). Zumpt (p. 16) a tort d’accepter le texte d’Eutrope (IV, 22), qui attribue la guerre aux deux consuls de 124.

[25] Fastes triomphaux, C. I. L., I, 1, 2e éd., p. 49 ; Tite-Live, Ép., 61 ; Ammien, XV, 12, 5 ; Velleius, I, 15, 4 ; Strabon, IV, 1, 5 ; et, pour les détails de la lutte avec les Salyens, Diodore, XXXIV, 23. Strabon, lorsqu’il parle des Salyens, divisés en dix parties, et levant de la cavalerie et de l’infanterie (IV, 6, 3), fait, je crois, allusion à cette guerre.

[26] Cela parait résulter de Diodore, XXXIV, 23.

[27] Notamment leur roi Teutomalius (var. Teutomotulus, Teutomolus) ; Tite-Live, Ép., 61 ; Appien, Celtica, 12. Il y eut peut-être une grande bataille sur l’emplacement d’Aix (Velleius, I, 15, 4).

[28] Diodore, XXXIV, 23. Diodore ne nomme pas cette ville : mais il s’agit bien, d’après son récit, du principal oppidum, et je ne doute pas que ce ne soit Entremont. — Je crois cependant, contrairement à Clerc (La Bataille d’Aix, p. 238), qu’Entremont subsista comme bourg principal des Salyens. — La fameuse inscription du lac Fucin, Caso, Cantovio, etc. (Zvetaieff, n° 45), n’a, quoi qu’on ait dit, aucun rapport avec les campagnes des Romains en Provence.

[29] Strabon, IV, 1, 5.

[30] Sisteron et Gap ; les Gaulois de Chorges et Embrun, les Ligures de Briançon et Suse, semblent avoir été laissés indépendants (cf. Pline, III, 137).

[31] Cassiodore, Chronica, p. 131, Mommsen ; Tite-Live, Ép., 61 ; Strabon, IV, 1, 5 ; cf. Velleius, I, 15, 4. — Quoique l’Épitomé prononce le mot de colonia, ce ne fut qu’un simple castellum (φρουρά, Strabon), c’est-à-dire un poste fortifié, avec quelques soldats, sans doute aussi quelques colons civils et un marché, mais rien qui ressemblât à une ville ayant son territoire, ses habitants à demeure et sa constitution ; cf. Herzog, p. 50-1, 58-9. Il n’en est pas moins vrai qu’il y eut là, dès 122, un établissement important. — Ritter (p. 6-8) persiste à croire à une colonie. — On place d’ordinaire le castellum de Sextius au rocher du Dragon (la soi-disant Ville des Tours ; Statistique, II, p. 247-9, 862). Je doute qu’il ait été ailleurs qu’aux abords de Saint-Sauveur.

[32] Plutarque, Marius, 19 et 20 ; Strabon, IV, 1, 5 (on raconte, dit-il, que quelques sources chaudes sont devenues froides) ; Tite-Live, Ép., 61.

[33] Le titre d’alliés parait avoir été accordé aux Éduens avant la guerre contre Bituit et en prévision de cette guerre ; Tite-Live, Ép., 61.

[34] Tite-Live, Ép., 61 (ne parle que du ravage par les Allobroges) ; Florus, I, 37 [III, 2], 4.

[35] Tite-Live, Ép., 61 ; Appien, Celtica, 12.

[36] Plutarque, Caïus Gracchus, en particulier 6 ; Appien, Civilia, I, 22-4. Le rôle de Fulvius Flaccus, dans la période des Gracques, est plus important qu’on ne l’indique d’ordinaire.

[37] Plutarque, Caïus, 5 et 6 ; Appien, Civ., I, 21, 86-8 ; etc.

[38] Salluste, Jugurtha, 84.

[39] Valère Maxime, IX, 6, 3 ; Suétone, Néron, 2 ; on disait de son fils (ou de lui), os ferreum, cor plumbeum.

[40] Orose, V, 13, 2 ; Florus, I, 37 [III, 2], 4 ; Suétone, Néron, 2.

[41] Les deux campagnes se suivent de si près, que le départ de Fabius parait avoir été décidé de très bonne heure ; et je doute qu’il n’ait pas amené une armée distincte. Songeons qu’il s’agissait de combattre toute la Gaule, gravissimo belli. (Orose, V, 13, 2). Les 30.000 hommes qui se battirent contre Bituit (Strabon, IV, 1, 11) semblent correspondre à quatre légions et leurs auxiliaires, deux armées consulaires (Polybe, I, 16, 2 ; cf. Marquardt, Staatsverwaltung, II, p. 403).

[42] Appien, Celtica, 12.

[43] Appien, Celtica, 12 ; cf. Tite-Live, Ép., 61.

[44] Je suppose cette double marche d’après le lieu de la bataille.

[45] En terre salyenne, Appien, Celt., 12. — Il serait possible que la route indiquée par Strabon (IV, 1, 11), de Marseille à Cavaillon sur la Durance, de là jusqu’à l’embouchure du Rhône et de l’Isère (par le pont de la Sorgue et Orange), fût celle de la marche de Domitius, et que les renseignements sur ce pars, empruntés par le géographe à Artémidore, provinssent d’un récit de la campagne.

[46] Appien, Celtica, 12.

[47] Ad oppidum Vindalium, Tite-Live, Ép., 61 ; Orose, V, 13, 2 ; Strabon, IV, 1, 11 ; IV, 2, 3 ; Vindelicus amnis, Florus, I, 37 [III, 2], 4. — Vindalium ne peut être qu’un oppidum près de Sorgues, et doit être cherché, presque à coup sûr (conjecture de Sagnier, Mémoires de l’Académie de Vaucluse, X, 1891, p. 133-150) au mourre de Sève, entre Sorgues et Védènes. — Desjardins, après de Fortia et d’autres (II, p. 278), place Vindalium à Bédarrides, à cause du nom, Betorrita, qui rappellerait les trophées des Romains. On a aussi pensé à Védènes, à la traille de Sorgues, à Caderousse, à Mornas, à Carpentras (Générat, Étude, etc., et Recherches sur... Vindalium et Aeria, 1860, p. 19 et s.) ; à Montdragon, à Châteauneuf-du-Pape, et même à Venasque. Cf. la discussion chez de Fortia, I, p. 48 et suiv., p. 257.

[48] Textes à la note précédente. — La date résulte de ce que Domitius était dès lors proconsul (Orose, V, 13, 2), et que la seconde bataille eut lieu en août. — Cependant Obsequens, source d’ailleurs médiocre, place la bataille en 122, et y associe Allobroges et Salyens (32[92]). — Le trésor de Beauregard, non loin de Jonquières (Blanchet, n° 253), se rapporte peut-être à cette défaite des Allobroges. — C’est, je crois, à propos de cette campagne ou de la suivante que la ville d’Aeria était mentionnée par Apollodore, Chroniques, l. IV (fr. 59).

[49] Cela résulte bien de l’histoire de l’an 121, Tite-Live, Ép., 61.

[50] Orose, V, 14, 3 (180.000) : Strabon, IV, 1, 11 ; 2, 3 (200.000).

[51] On place d’ordinaire à l’embouchure du Rhône et de l’Isère l’endroit où Bituit passa le fleuve et combattit les Romains, et en effet Tite-Live ou sa source parait avoir écrit Isara (Florus, Strabon, Pline). Mais : 1° il me parait impossible que les Gaulois aient eu un pont fixe sur le Rhône aux abords de l’embouchure de l’Isère ; 2° je doute qu’il y ait eu sur ce point assez de barques pour en construire un second ; 3° la grande route des Cévennes au Rhône débouchait, je crois, à Viviers ou Pont-Saint-Esprit, venant par l’Ardèche (César, De b. G., VII, 7, 5 ; 8) ; 4° je doute que les Romains se soient aventurés si loin, en risquant d’être pris à dos par les Arvernes. Il serait donc possible que Isara dissimulât l’Ardèche ou plutôt l’Aygues (laquelle, du reste, s’est appelée Icarus ou Ecaris, Brun-Durand, Dict. top. du dép. de la Drôme, p. 137), comme Druentia dissimule le Drac, et comme Isara encore dissimule la Durance. Rien n’est plus fréquent que ces erreurs sur les noms de lieux, surtout de fleuves, chez les écrivains qui ont parlé de la Gaule. Si les Anciens (Strabon, IV, 2, 3 ; 1, 11) ont dit que la bataille eut lieu à l’endroit où les Cévennes se rapprochent du Rhône, cela peut être, évidemment, une allusion aux massifs du Vivarais, mais aussi, en face d’Orange, à celui des bois de Gicon, et cela encore peut indiquer simplement l’endroit où la route des Cévennes débouchait sur celle du Rhône. — Cette localisation de la grande bataille à l’embouchure de l’Isère a pu être provoquée par la présence des trophées romains. — On a placé la bataille du côté de Tain (Chalieu, Mémoires sur diverses antiquités de la Drôme, p. 161), et ailleurs.

[52] Orose, V, 14, 2.

[53] Cf. Florus, I, 37 [III, 2], 5.

[54] Orose, V, 14, 1.

[55] Je placerais plus volontiers la bataille dans la plaine de Bollène, face à Pont-Saint-Esprit. Il ne serait pas cependant impossible, si Isara est l’Aygues, qu’il fallût la chercher aux abords d’Orange.

[56] Pline, VII, 166 : A. d. VI idus augustas. Avec la réserve que cette date ne correspond pas à celle du calendrier julien : mais l’écart était sans doute peu de chose (cf. Holzapfel, Rœm. Chronologie, 1885, p. 313-4).

[57] Il n’est pas prouvé que Domitius ait assisté à la bataille.

[58] Febri quartana, Pline ; ύπό τραύματος, Appien. Peut-être l’un et l’autre.

[59] Appien, Celtica, 1, 2.

[60] Orose, V, 14, 3.

[61] 150.000 morts, Orose ; 120.000, contre 15 Romains tués, Appien ; 120.000, Tite-Live : 130.000, Pline. Le butin, pæda ex torquibus ingens, mentionné par Eutrope, IV, 22.

[62] Le système adopté ici pour cette double campagne (Domitius contre les Allobroges, Fabius contre Bituit) est conforme au récit de Tite-Live et de ceux qui le résument (Orose, Florus, Épitomé). — Il est contraire aux Fastes triomphaux (suivis par Velleius, II, 10, 2 ; 39, 1), qui mentionnent deux triomphes, d’abord de Fabius sur Bituit et les Allobroges, ensuite de Domitius sur les Arvernes (C. I. L., I, I, 2e éd., p. 49). D’où le système de Mommsen (II, p. 162-2) et de Herzog (p. 45-6) : bataille contre Bituit réuni aux Allobroges, gagnée par Fabius ; bataille de la Sorgue, gagnée ensuite sur les Arvernes par Domitius. Mais : 1° on ne voit pas pourquoi, vainqueurs de Bituit sur l’Isère, les Romains auraient dû reculer sur la Sorgue ; 2° l’ordre des triomphes n’est pas celui des victoires (cf. Ritter, p. 13-14) ; 3° Fabius a pu, après la défaite de Bituit, guerroyer contre les Allobroges, et Domitius contre les Arvernes et Rutènes ; 4° les Fastes triomphaux, gravés sous Auguste, peuvent renfermer une inadvertance, et le copiste a pu, intervertissant les noms, opposer les Arvernes à Domitius et les Allobroges à Fabius. — Si Strabon (IV, 2, 3) parle d’Arvernes à propos de Vindalium, Pline d’Allobroges à propos de la grande bataille contre Bituit, Eutrope et Suétone (Néron, 2) de Domitius à propos de cette même bataille, c’est sans doute parce que les Anciens ont d’ordinaire, à propos de cette guerre, fait un seul bloc des deux peuples. Il est du reste possible qu’il y ait eu un contingent arverne dans la première bataille, allobroge dans la seconde. — Notre opinion est l’opinion traditionnelle. Cf. la réfutation de Mommsen par Allmer, Inscr. de Vienne, I, 1873, p. 2 et s., Lebègue, p. 6-9, Ritter, p. 12 et suiv., Münzer, c. 1322-3.

[63] Cf. Bloch, M. Æmilius Scaurus, Paris, 1908.

[64] Nous ne connaissons pas l’ère de la province, et nous ne connaissons pas davantage sa loi. Il est question, mais sous l’Empire seulement, de sa formula (Pline, III, 37). — Il est possible que, Domitius ayant été laissé en Gaule (cf. Valère Maxime, II, 6, 3), ce fut pour organiser cette province, et que cette organisation, par suite, se place en 121 ou 120. On place son triomphe et celui de Fabius à Rome en 120, mais sans certitude. — Cf., sur la date de la création de la province : Zumpt, p. 15 et suiv. (par Marius) ; Desjardins, II, p. 283-290 (en 121 ? ; Herzog, p. 48-9 (par Domitius) ; Lebègue, p. 10 (par Domitius). — Sur le nom de la province, chapitre III, § I.

[65] D’après Strabon (IV, 1, I1), Fabius aurait élevé au confluent de l’Isère et du Rhône, lieu du combat, un trophée de pierre blanche et deux temples, l’un à Mars, l’autre à Hercule ; Florus (I, 37, 6) parle de tours ornées de trophées, élevées par Domitius et par Fabius chacun au lieu de sa victoire. — Comme je doute que la bataille contre Bituit ait eu lieu au confluent de l’Isère, je crois (si les trophées s’y voyaient réellement) que cet emplacement a été choisi par les deux chefs parce que là se trouvait la frontière des Allobroges, et que ce genre de monuments était fréquemment disposé, non pas au lieu de la bataille, mais aux frontières des peuples vaincus (Cicéron, De inventione, II, 23, 69 ; Servius, ad En., XI, 6 ; Silius, XV, 491-2 ; Dion Cassius, XLI, 24, 3 ; C. I. L., V, p. 904 et s.). — Cette érection de trophées permanents en terre ennemie, dit Florus, était alors une chose nouvelle chez les Romains (empruntée aux Grecs ?), et ceux de Domitius et Fabius en seraient le premier exemple ; cf., cependant, Silius, XV, 491-2. — Le trophée de Fabius est placé par Révellat à la ruine dite Sarrasinière, à 3 à 4 kilomètres d’Andante, et la bataille, vers la petite plaine de Saint-Bot [Saint-Bosc] (Rev. arch., 1864, II, p. 12-24). On a également vu les ruines d’un trophée dans le temple de Diane de Désaignes dans l’Ardèche (opinion réfutée par Rousset, Annuaire... de l’Ardèche pour 1840, Aubenas, p. 226 et suiv.).

[66] Le fait d’une campagne particulière de Fabius contre les Allobroges me parait résulter de son surnom (Velleius, II, 10, 2 ; Ammien, XV, 12, 4), peut-être de ce qu’il a triomphé sur eux, et d’un passage de Cicéron, Pro Fonteio, 12, 26. Cf. du Rieu, De gente Fabia, Leyde, 1856, p. 404-7. — Ils ont dû faire leur soumission définitive à Domitius après la prise de Bituit (Tite-Live, Ép., 61). — A cette campagne ou à la fuite après la défaite de Bituit se rattache peut-être le trésor de Tourdan dans l’Isère (Blanchet, n° 124).

[67] César, I, 6, 3 ; 10, 5 : Dion Cassius, XLVI, 50, 4.

[68] Peut-être verra-t-on une allusion à des guerres contre eux chez Cicéron, Pro Fonteio, 12, 26 (reliquas). Ce sont ces peuples, je crois, dont Cicéron (8, 16) dit : Qui in optima causa sunt. Remarquez la fidélité des Helviens à Rome, César, De b. G., VII, 65, 2 ; I, 47, 4 ; 53, 5-6.

[69] Dion Cassius, XXVII, 90, p. 334, Boissevain.

[70] Dion, ibid. — Il semblerait résulter du récit de Dion, qu’elle était installée à l’intérieur de la ville, par suite sur les hauteurs de Vieille-Toulouse.

[71] César, De b. G., I, 45, 2.

[72] Il n’est guère possible de douter que les Ruteni provinciales de César (VII, 7, 4 ; cf. Cicéron, Pro Fonteio, fr. 3, 4) ne correspondent à la future cité d’Albi mais la preuve absolue manque.

[73] Cicéron, Pro Fonteio, 3, 6 ; 4, 8.

[74] Cf. Cicéron, Pro Fonteio, 2, 3 ; 1, 3.

[75] Cf. Cicéron, Pro Fonteio, 1, 3.

[76] C’est ce qui explique pourquoi, malgré tant de défaites, l’Italie ne sera pas envahie de ce côté par les Cimbres et les Teutons, cf. chapitre suivant, § VIII.

[77] Ad rempublicani pertineret viam Domitiam muniri, Cicéron, Pro F., 4, 8.

[78] Pline, Hist. nat., III, 31.

[79] Valère Maxime, IX, 6, 3.

[80] D’après Valère Maxime, IX, 6, 3. Selon lui, Bituit se serait adressé à Fabius, à la grande colère de Domitius. Fabius étant reparti pour l’Italie, c’est Domitius qui devait en effet diriger les négociations.

[81] Tite-Live, Ép., 61, qui semble parler d’un départ volontaire pour Rome. Valère Maxime, II, 6, 3, qui parle de l’emploi de la force. Cf. Eutrope, IV, 22.

[82] Congonnetiacus, Congentiatus, Tite-Live, Ép., 61. Je ne puis accepter l’hypothèse de Ritter (p. 12), qui voit le fils de Bituit dans le roi Contoniatos de Diodore, XXXIV-V, 36.

[83] Bituit fut ramené à Rome pour le triomphe (de Domitius, Münzer, c. 1324 ; je crois plutôt de Fabius, Fastes triomphaux, C. I. L., I, 1, p. 49). Sans doute, les monnaies de la gens Domitia représentent un guerrier gaulois, debout sur son char, lançant le javelot (Babelon, Vercingétorix = Rev. num., 1902, p. 3-4) : mais rien ne prouve, ou qu’il s’agisse de Bituit, ou que la gens Domitia n’ait pas essayé de confisquer à son profit le souvenir de la victoire.

[84] Cela résulte du fait que jamais, à propos des rapports des Éduens avec Rome, depuis 121, il n’est question de rois chez eux ; je doute du reste que le sénat leur eût donné le titre de frères s’ils avaient formé un royaume.

[85] Les Arvernes ont cessé d’obéir à des rois bien avant 58 ; cf. César, VII, 4, 1.

[86] Cf. Fustel de Coulanges, Polybe, dans les Questions historiques, p. 197 et suiv.

[87] Qui sub imperio Arvernorum esse consuerunt, César, VII, 75, 2. Peut-être gardèrent-ils aussi, comme clients, les Carnutes, qui semblent avoir des rapports étroits avec les Arvernes (VII, 3, 3 ; VI, 4, 5, où les Rèmes ont remplacé, comme patrons, les Séquanes et les Arvernes, VI, 12, 6, et I, 31, 3).

[88] Ils reçurent peut-être d’abord seulement le titre d’alliés, et en 121 au plus tard ; la mention des Éduens par Polybe (III, 47, 3) se rapporte peut-être à la connaissance qu’il eut d’eux lors de leurs premières relations avec le sénat ; Apollodore, fr. 60, ap. Étienne de Byzance, s. v. Αίδούσιοι (σύμμαχοι 'Ρωμαίων) ; Tite-Live, Ép., 61. Le titre de frères est venu, je crois, plus tard ; Cicéron, Ad Att., I, 19, 2 (fratres nostri) : Ad fam., VII, 10, 4 (id.) ; César, De b. G., I, 33, 2 (fratres consanguineosque sæpenumero a senatu appellatos) ; cf. 36, 5 ; 43, 6 ; 44, 9 ; Strabon, IV, 3, 2 (άδ[ελρ]οί καί συγγενεΐς) ; Diodore, V, 25, 1 (συγγένειαν καί φιλίαν) ; Tacite, Ann., XI, 25, 1 (fraternitatis nomen) ; Plutarque, César, 26 (άδελφούς) ; Panegyrici Latini, Bæhrens, IV, 4 (fraterno nomine) ; cf. V, 21 ; VIII, 2 et 3 ; Laudes Domini, 9 (Migne, P. L., LXI, c. 1001).

[89] La chose ne laisse pas que d’être extraordinaire, ce titre de consanguins n’ayant été accordé par les Romains qu’aux citoyens d’Ilium, issus comme eux de Troie (Suétone, Claude, 25 ; Digeste, XXVII, 1, 17, 1). Et cela semble bien indiquer qu’une tradition avait cours, que les Éduens étaient d’origine troyenne, tradition qui a sans doute son origine dans quelque similitude de noms entre tels lieux du pays éduen et tels personnages ou peuples de l’épopée homérique (cf. Ammien, XV, 9, 5). De même, chez les Arvernes. — Dans le même sens, Roth, Germania de Pfeiffer, I, 1856, p. 50 et suiv., et Birt, Rheinisches Museum, LI, 1896, p. 525-7. — Hirschfeld (Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1897, LI, p. 1105-11) croit que cette fraternité est simplement la forme celtique ou barbare de l’alliance intime. Mais les deux explications ne s’excluent pas : les Romains ont pu accepter la fraternité à la gauloise parce qu’il existait la légende d’une parenté à la troyenne.

[90] César, De b. G., I, 3, 4 : le roi Catamantaloedis, amicus populi Romani. Bien avant 38 ; peut-être lors de l’invasion des Teutons.

[91] César, VII, 31, 5 : le roi Ollovico [sic α, Allovico β], amicus populi Romani. Peut-être au temps de Pompée.

[92] César, IV, 12, 4 : Piso, Aquitanus, mort en 55, est petit-fils d’un roi amicus ab senatu nostro appellatus. L’alliance peut se placer au temps de Pompée et de Calpurnius Pison, en 67. Peut-être un Aquitain de Lectoure, les gens de Lectoure étant parmi les plus importants des Aquitains, les plus voisins de la Province, et n’étant pas nommés par César parmi ceux qu’il combattit. — On peut, dans ce cas, lire chez Diodore (XXXIV-V, 36) Λακτώρας au lieu de Ίοντώρας : il s’agirait alors d’un roi de Lectoure, qui serait venu à Rome, s’y serait instruit des choses latines, et qui, devenu maître avec le secours du sénat, serait demeuré son allié (vers 110-100 ?) (cf., de même, Zippel, Neue Jahrbücher, CXXXVII, 1888, p. 615-6).

[93] Cf. César, VII, 8, 2.

[94] César, De b. G., I, 43, 2 : César à Arioviste : Bello superatos esse Arvernos et Rutenos a Q. Fabio Maximo, quibus populus Romanus ignovisset neque in provinciam redegisset neque stipendium posuisset. Quod si antiquissimum quodque tempus spectari oporteret, populi Romani justissimum esse in Gallia imperium ; si jiudicium senatus observari oporteret, liberam debere esse Galliam, quam bello victam suis legibus uti voluisset.

[95] Cf. Ammien, XV, 12, 5.

[96] Le principal auteur d’où émanent les renseignements, Tite-Live, a pu s’inspirer de Valerius Antias ou de L. Cornélius Sisenna, peut-être aussi de Q. Claudius Quadrigarius. Mais je crois que ces évènements ont été surtout racontés par les écrivains grecs des choses romaines : Apollodore d’Athènes, dont la Chronique parait avoir été continuée jusqu’en 119 (cf. Schwartz ap. Wissowa, I, c. 2858), Artémidore d’Éphèse, dont les connaissances géographiques doivent provenir en partie des campagnes de 125-118, et principalement Posidonius d’Apamée, auquel Tite-Live doit beaucoup (Müllenhoff, Deutsche Altertunskunde, II, p. 129).

[97] Cela est visible chez Cicéron, De prov. cons., 14, 32-33. Et les amis de César ont longtemps empêché le triomphe de Pomptinus, parce que omnem laudem pacis atque victoriæ studebant ad neminem alium nisi ad Cæsarem pertinere (Scholia Bobiensia, p. 121, Hildebrandt).

[98] Mommsen, Rœmische Geschichte, III, p. 241. Écrit vers 1855.

[99] Cf. Tite-Live, V, 34.

[100] Peut-être depuis le Petit Rhône jusqu’à Monaco, mais peut-être Sextius ne fit-il qu’étendre au rivage salyen une zone de concession qui aurait déjà été formée, en 154, autour de Nice et d’Antibes.

[101] Douze stades où il y avait des ports, huit ailleurs ; Strabon, IV, 1, 5. Sans doute un mille et demi ou une lieue gauloise, et un mille.

[102] Ces dernières sont mentionnées par Strabon, IV, 1, 6.

[103] Tite-Live, Ép., 60 ; Florus, I, 43 [III, 8] ; Orose, V, 13, 1 ; Strabon, III, 5, 1 ; C. I. L., I, I, 2e éd., p. 49.

[104] Se etiam tum in Provincia morante, Valère Maxime, IX, 6, 3.

[105] Cicéron, Pro Fonteio, 5, 9.

[106] Pro Fonteio, 2, 4.

[107] Le nom de la via Domitia n’apparaît qu’au temps de Cicéron (Pro Fonteio, 4, 8) : mais ce nom indique la date de la construction. Polybe en parlerait (III, 39, 8) : mais, comme on l’a dit souvent, il n’est point sûr que le passage ne soit pas interpolé (contra : Mommsen, C. I. L., V, p. 885 ; Thommen, Hermès, XX, 1885, p. 217-8 ; Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 666 : Cuntz, Polybius, 1902, p. 20 et s. ; et bien d’autres).

[108] La voie Domitienne passait l’Hérault à Saint-Thibéry, Cessero, à 10 kilomètres en amont d’Agde.

[109] Vases Apollinaires, C. I. L., XI, p. 498-9 ; Table de Peutinger, I, c, 2 (Desjardins, Gaule, IV, p. 150), Itin. ant., p. 389, 396, W. ; de Jérusalem, p. 552, W. Sur le parcours de la voie, Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 666-680.

[110] Pompée semble bien faire allusion à une route fréquentée passant par le Genèvre ; cf. César, De b. G., I, 10, 4.

[111] Cf. Cicéron, Pro Fonteio, 4, 8.

[112] Qu’une bonne route ait été construite, avant César, le long du littoral jusqu’à la hauteur de Fréjus, et de là vers Aix et le Rhône, cela me parait résulter de César, De b. c., I, 87, 5, de Strabon, IV, 6, 3 (cf. 6, 12), et du choix qu’en ont fait les Teutons en 102. C’est par là, je crois, que Marius amena son armée. D’autres routes ont dû être construites (viarum, Cicéron, Pro Fonteio, 4, 7), notamment, sans doute, de Narbonne à Toulouse (id., 5, 9).

[113] Elle le fut en 118, deux ans seulement après la conquête.

[114] Elephanto per provinciam vectus est turba militum quasi inter sollemnia triumphi prosequente : Suétone, Néron, 2. — Comme il était assez souvent d’usage à Rome (cf. Cicéron, Divinatio in Cæcilium, 20, 66), les vaincus prirent pour patrons héréditaires les chefs conquérants, et l’on vit des Allobroges amis et hôtes de Domitius et de son fils (Cicéron, ibid., 20, 67), et d’autres prendre des Domitii ou des Fabii pour patrons. — Dans le même ordre d’idées, on s’explique pourquoi Jules César, à Rome, ne rencontra jamais de pire adversaire de son proconsulat gaulois que L. Domitius, et qu’inversement, lorsqu’il eut à parler de la première conquête, il en attribue la gloire au seul Fabius (I, 45, 2).

[115] On me reprochera peut-être d’avoir, dans ce chapitre et dans tout ce volume, trop insisté sur les faits d’ordre militaire. Je m’y suis résolu pour différentes raisons. D’abord, ces faits ont été l’objet d’un si grand nombre de travaux, qu’il m’a paru un devoir de rendre hommage aux efforts variés de l’érudition moderne. Puis, les renseignements que nous possédons sur la Gaule sont trop peu nombreux pour qu’on puisse en négliger aucun : d’ailleurs, ceux qui concernent les guerres de la conquête se rapportent précisément à la crise décisive, de son histoire. Enfin, l’étude des faits militaires, marches, batailles et sièges, et des anecdotes mêmes qui les accompagnent, cette étude, plus que celle des faits sociaux, économiques ou religieux, permet de faire revivre tout à la fois les hommes et la terre, de juger les facultés des uns et la valeur de l’autre, d’apprécier, ici les qualités ou les défauts de l’âme et du corps chez des chefs et chez des peuples, et là le rôle des routes et des carrefours d’un pays, de ses sommets et de ses rivières, la condition de ses terrains et les services qu’on peut lui demander : car l’état de guerre est peut-être celui où l’homme et le sol doivent rendre le maximum de ce qu’ils peuvent comme intensité et diversité de fonctions, et les examiner à ce moment, c’est le moyen de pénétrer le plus avant dans la connaissance de leur nature.