I. — DANGERS DE MARSEILLE ET AMBITIONS DE CARTHAGE ; HIMILCON[2]. Pendant que les bandes les plus aventureuses du monde gaulois s’établissaient au cœur de l’hellénisme, la plus avancée des colonies grecques, Marseille, entrait en relation avec la Celtique propre. Les deux siècles qu’ont duré les invasions gauloises sont les plus obscurs de l’histoire de cette Celtique (400-218)[3]. Les Grecs et les Latins nous ont raconté longuement les méfaits et les discours de Brennos et de ses émules, et la vie des peuples qu’ils ont fondés. Mais ils ignoraient complètement celle de cette Barbarie reculée d’où il leur venait tant d’ennemis. C’est à peine si nous avons pu constater les déplacements d’hommes qui se sont alors produits entre le Rhin et les Pyrénées, et les longues courses de Belges et de Gésates montant vers les Alpes pour prendre part aux curées italiennes. En revanche, ainsi qu’il est arrivé si souvent dans les régions les moins civilisées, les destinées du rivage ne sont point inconnues[4] : les traites des navigateurs, la présence et l’activité de Marseille, nous permettent de suivre l’histoire de Glaau le maritime depuis la venue des derniers Phocéens (535). Cette arrivée avait donné à Marseille une force nouvelle. Mais elle signifiait aussi que la cité n’avait plus à compter sur l’appui du monde grec. Ces recrues étaient les dernières que lui aurait envoyées la mère-patrie, devenue sujette de la Perse. Le lien matériel qui l’unissait à l’hellénisme était rompu. L’hellénisme lui-même était menacé de toutes parts. D’un bout à l’autre de la Méditerranée, de grands empires s’armaient contre lui. Les Perses détruisaient Milet (494) et menaçaient Athènes (490). Les Ibères s’étendaient sur les rivages de la mer des Baléares, depuis le Rhône jusqu’au cap de La Nao. Vainqueurs des Phocéens après la bataille de Sardaigne (535), les Étrusques et les Carthaginois s’étaient partagé les pêcheries et les mers de l’Occident[5]. L’Étrurie était sur le point de conquérir toute l’Italie, dont elle tenait, avec Rome agrandie et fortifiée, la route maîtresse[6] ; elle occupait la Corse[7], elle était souveraine sur l’île d’Elbe aux inépuisables gisements de fer[8], qui furent sans doute un des principaux enjeux de la lutte maritime. Carthage prit d’abord les terres et les eaux les plus méridionales ; elle revendiqua pour elle la Sardaigne et la Sicile[9], et s’installa fortement à Cadix[10]. A Cadix, elle trouvait un très vieil héritage, les routes et l’expérience des marins de Tartessus. Délibérément, elle envoya ses amiraux à la reconnaissance des rivages de l’Occident. Hannon partit vers le sud et explora l’Afrique jusqu’au golfe de Guinée[11]. Himilcon fut chargé de l’Europe et du nord[12] (vers 500 ?[13]). Ces deux entreprises le long de la terre extérieure demeurèrent fameuses dans l’histoire des Méditerranéens. Les journaux de route en furent publiés par Carthage, sans doute plus ou moins arrangés. On les traduisit en langue grecque ; on les copiait ou on les consultait encore dans les derniers temps de l’Empire romain[14]. Ces voyages furent pour l’occident de l’ancien monde ce que l’expédition de Colomb fut pour l’orient du nouveau : avec cette différence, qu’on hésita toujours à les refaire, et qu’on ne vit pas, derrière le sillage des premiers navires, les flottes des aventuriers de la mer. Himilcon suivit, au delà de Cadix, les interminables rivages de l’Espagne atlantique[15]. Il les trouva pleins de sanctuaires puissants et de légendes étranges : sur les caps rocheux, dans les Iles voisines, de redoutables divinités avaient élu domicile, déesses infernales du sol, dieux des vents et des tempêtes[16]. A sept journées des Colonnes d’Hercule[17], il atteignit le promontoire d’Oyarzun ou du Figuier, et il put voir de là les rivages de deux terres différentes s’éloigner dans des directions contraires[18]. Il se rendit compte qu’il s’était rapproché de la Méditerranée, et qu’il se trouvait au fond d’un vaste golfe, à l’extrémité d’un isthme entre deux mers[19]. A partir du fond du golfe de Gascogne, l’itinéraire d’Himilcon nous échappe pendant quelque temps. Il déclara à son retour qu’il avait mis quatre mois[20], depuis son départ de Cadix, pour gagner la côte de l’Armorique ; il avait, disait-il, cinglé en plein Océan, et il en était revenu épouvanté par des choses mystérieuses. Un épais brouillard cachait le ciel[21], des monstres frôlaient la carène de son navire[22], des amas d’algues embarrassaient la poupe[23] ; il était arrivé sur une mer muette et paresseuse, où son vaisseau avait dû s’arrêter impuissant et immobile[24]. Peut-être tous ces récits n’étaient-ils que des emprunts à ces éternelles légendes de la mer, que se répétaient les matelots de tous les pays[25], et Himilcon pensait-il rebuter par là les marchands grecs tentés de suivre la route de l’étain[26] ; mais peut-être a-t-il eu réellement l’audace d’affronter les profondeurs occidentales de l’Océan, et a-t-il rencontré les baleines et les brumes de l’Atlantique, les herbes flottantes des Sargasses[27], et ces subites bonaces du large, si effrayantes dans les navigations au long cours[28]. Il toucha ensuite à la colonne que l’Armorique projette sur l’ouest pour appuyer le ciel de l’horizon[29] ; et, l’ayant doublée, il s’approcha du pays de l’étain. Les indigènes, semble-t-il, n’en permettaient pas l’accès aux voyageurs étrangers : ils se chargeaient de transporter eux-mêmes le précieux métal dans les îles Sorlingues, où les navigateurs venus par l’Océan le recevaient de leurs mains[30]. Ces rivages, ces ?les et cette mer étaient peuplés d’une hardie population de marins ; leurs barques de cuir sillonnaient tous les parages : Himilcon reconnut deux terres, l’Irlande, région sacrée des Hiernes, et Albion sa voisine[31]. De là il poussa vers la terre de l’ambre ; il l’atteignit sans doute, quoiqu’il ait caché peut-être l’endroit précis des gisements. Mais il parla des Ligures et des Celtes et de leurs longs combats[32], et des fleuves énormes qui coupaient le rivage[33]. — Il ne semble pas qu’il se soit risqué plus loin[34]. Beaucoup de ces choses étaient déjà connues des gens de Tartessus et des marins puniques[35]. Mais par sa présence, l’amiral carthaginois sanctionnait la mainmise de son peuple sur les marchés septentrionaux. Les ambitions atlantiques ne faisaient pas oublier à Carthage les rivages d’en deçà. Les chefs ibères, élésyques et ligures accueillaient sans colère ses agents recruteurs : ils leur permirent d’acheter chez eux bon nombre de mercenaires (480)[36]. Elle chercha et réussit peut-être à confisquer au profit de ses marins les lieux de pêche de la France méridionale[37]. — Les vaisseaux puniques louvoyaient dès lors sur toutes les côtes de la terre des Ligures. Un vaste empire maritime menaçait d’enserrer l’Occident de l’ancien monde, depuis l’embouchure de l’Elbe, terme de la Barbarie scythique, jusqu’au fond de la Grande Syrte, terme de l’empire des Perses : Carthage commandait les routes du sud, Cadix sa succursale surveillait celles du nord. Presque bloquée sur mer[38], Marseille était presque assiégée par terre[39]. Jamais ville grecque ne s’était trouvée dans un isolement aussi périlleux. Au delà de la butte qui portait ses remparts, commençait la terre ligure. Non loin des murailles, un bois sacré cachait dans son ombre les sinistres pratiques de la religion indigène[40]. Les Ibères s’approchaient du Rhône ; les Gaulois s’apprêtaient à le descendre. Trois barbaries convergeaient vers Marseille. Elle n’était plus qu’un groupe d’audacieux soldats, campés sur un rocher de l’Occident[41]. II. — VICTOIRES SUR CARTHAGE, LES ÉTRUSQUES ET LES GAULOIS. Mais cet isolement et ces dangers maintenaient les Phocéens de Marseille en état de courage et de force. Il leur donna cette belle confiance dans l’hellénisme qui a été la plus grande vertu des cités grecques. Touchant de tous les côtés aux ennemis mortels de leur race, Barbares, Étrusques et Carthaginois, ils se sentaient plus responsables que d’autres envers le nom et les dieux de l’Hellade[42]. C’était en outre pour eux un grand avantage que d’avoir à batailler sans cesse contre les Ligures du voisinage. A ce rude contact, leur souple tempérament d’Hellènes devint plus ferme et plus résistant[43]. La jeunesse vivait dans un perpétuel entraînement. Cette suite d’alertes et de combats était une excellente école de patriotisme, de discipline et de vigueur[44]. Une telle expérience manquait aux Étrusques, gâtés par la grasse vie de leurs terres pacifiées, aux Carthaginois, marins et marchands avant tout, et qui usaient de mercenaires. Marseille fut une armée permanente, forte par son esprit national et ses habitudes militaires. La génération qui suivit celle des vaincus de Sardaigne prit de la défaite de ses pères une éclatante revanche : des auxiliaires, du reste, lui vinrent en aide de toutes parts (vers 480). Thémistocle, Aristide, Gélon et Hiéron relevaient dans la Méditerranée entière la fortune de l’hellénisme. Il remportait les plus belles victoires qui furent jamais inscrites à son nom. Salamine et Platées écartèrent pour longtemps les soldats perses et les vaisseaux phéniciens du sol et des rivages grecs. La bataille d’Himère (480) délivrait la Sicile de l’hégémonie carthaginoise et de ses mercenaires barbares, Corses, Sardes, Élésyques, Ligures et Ibères. En Italie, la marine des Étrusques était dispersée par les Grecs dans les eaux de Cumes (vers 474)[45], et cette fois sans la moindre espérance d’y reparaître ; les Latins de Rome, secouant le joug des Tarquins et de Porsenna, complétaient la défaite de ce peuple en le rejetant au delà du Tibre. Les heureux coalisés de la bataille sarde, Carthaginois et Étrusques, se retrouvèrent, soixante ans plus tard, victimes de désastres simultanés[46] : toute chance de thalassocratie occidentale fut désormais perdue pour les uns et les autres. Marseille ne parut point dans les victoires d’Himère et de Cumes. Mais elle en profita, et sut en tirer les conséquences maritimes. Tandis qu’Athènes présidait à la délivrance de la mer Égée, que Syracuse dominait de ses flottes toute la mer Tyrrhénienne, que la ville de Cumes gagnait à Apollon et à l’hellénisme la Campanie et Rome elle-même, la colonie de Phocée, reprenant l’œuvre de sa métropole, commençait la conquête du bassin occidental de la Méditerranée (479-390[47]). Les détails de cette conquête nous sont inconnus. Des captures de barques de pêche servirent de prétexte à la déclaration de guerre contre Carthage, qui était d’ailleurs inévitable[48]. Les Marseillais se firent sans doute aider par les Ibères, qui finirent par voir avec déplaisir l’approche d’une domination punique, et ils conclurent des traités avec eux[49]. Il y eut, entre les deux flottes rivales, de nombreuses rencontres, où les Grecs s’attribuèrent toujours la victoire[50] : ce furent eux qui imposèrent la paix à Carthage, et qui désignèrent les caps du rivage que ses navires ne devaient pas dépasser[51]. Contre les Étrusques, les Marseillais trouvèrent également une aide chez des Barbares. Les Celtes allaient franchir les Alpes pour combattre l’Empire toscan : suivant une tradition gauloise, Bellovèse se serait détourné de sa route pour conclure avec la cité grecque un pacte de cordiale amitié[52]. Cela est douteux : mais la marche des Celtes vers le Pô fut certainement très utile aux intérêts de Marseille. A l’autre frontière de l’Étrurie, elle trouva des amis plus directs chez les Latins de Rome : presque dès l’ère des consuls[53], elle noua avec eux des relations suivies. Menacés de toutes parts, les Étrusques. ne durent opposer aux Grecs de la Ligurie qu’une assez faible résistance. Le temps de la ruine était venu pour l’empire italien. Une grande bataille navale fut livrée et perdue par eux, sans doute dans les eaux de Nice ou de Monaco, et le nom de la colonie que les Marseillais vainqueurs fondèrent sur ce rivage, Νίκαια, qui donne la victoire, perpétua le souvenir de leur triomphe[54]. Il leur livrait toute la mer des Ligures. Vers le même temps, la flotte de Syracuse mouillait dans les eaux de la Corse et de l’île d’Elbe (depuis 455)[55] : les deux grandes marines helléniques de l’Occident se rencontraient en face des caps et des tours de la vieille Étrurie, désormais réduite à l’impuissance et vouée à l’esclavage[56]. Les temples et les monuments publics de Marseille s’ornaient sans cesse de glorieux trophées, dépouilles des ennemis vaincus[57]. Une joyeuse confiance animait ses habitants. Sa gloire s’étendait au loin, même chez les Barbares. Richesses et ressources s’entassaient au dedans de ses murailles[58]. — Mais il lui restait à écarter un dernier péril, qui la menaça du côté de la terre (vers 390 ?[59]). Des bandes de Celtes venaient d’arriver sur le Rhône inférieur. Elles s’étaient unies aux Ligures de la Provence ; et la vaste peuplade qui résulta de ce mélange, celle des Salyens, était tout autrement dangereuse pour Marseille que les petites tribus, isolées et disséminées, qui l’avaient entourée jusque-là. Devenue riche et célèbre, la cité grecque était une proie fort tentante pour les nouveaux venus, ambitieux et cupides comme tous les émigrants qui cherchent fortune. Celtes et Ligures avaient pris pour chef de guerre un roi gaulois, Catumarandus[60]. Il marcha contre Marseille à la tête de ses meilleurs guerriers, ainsi que les Sénons contre Rome et que Brennos contre Delphes. Mais la colonie de Phocée fut plus heureuse que les villes de Jupiter et d’Apollon, et Artémis sa déesse sut la garder inviolable et intangible. — Catumarandus ne songea même pas à donner l’assaut[61]. Dans un songe, racontaient les Grecs, il vit la grande déesse de Marseille[62], debout près de lui, l’air impérieux et farouche, et lui ordonnant de faire la paix. Une r sainte terreur P saisit le Gaulois. Il obéit sur-le-champ, et se rendit ensuite en ami dans la ville, dont les portes lui furent courtoisement ouvertes. On le laissa monter au temple, adorer la déesse qui lui était apparue, et offrir à son image un collier d’or. Puis, il conclut une éternelle alliance avec le peuple qu’elle aimait[63]. Cette conversion soudaine du roi celtique au culte d’Artémis et de Marseille est peut-être une fable ingénieuse, comme les Grecs en ont brodé un si grand nombre autour de la vie terrestre de leurs dieux[64]. Mais il reste au moins certain que la ville sortit saine et sauve de l’alerte gauloise, et que, pendant plus de deux siècles, les Salyens du voisinage la traiteront toujours en amis déférents et craintifs[65] : et ce respect que la cité grecque sut inspirer à son entourage celtique fut, plus que l’apparition d’Artémis, le vrai miracle de l’hellénisme. Toutes ces guerres prirent fin vers l’an 390, à l’époque on les Gaulois entraient dans Rome. Après avoir remercié ses dieux, Marseille honora ceux de la Grèce. Une ambassade partit pour Delphes, afin de déposer dans les sanctuaires des offrandes de reconnaissance. Apollon reçut une statue, faite de la dîme du butin carthaginois[66] ; une grande image de bronze fut élevée sous le portique d’Athéné, peut-être en souvenir de la conversion de Catumarandus[67]. La cité phocéenne avait du reste son trésor près de la montagne sainte[68]. Dans ce temple commun de l’hellénisme triomphant, les Marseillais apparurent comme les représentants les plus lointains de la race, comme ses champions les plus heureux contre les adversaires phéniciens : leur nom devint inséparable de la honte maritime de Carthage[69]. Au retour de ce voyage, les députés apprirent la prise et l’incendie de Rome par les Gaulois. L’alliance de cette ville était fort utile aux Marseillais ; une rumeur courait sur les mers, qu’elle était, elle aussi, d’origine grecque[70]. Depuis les victoires de Cumes, elle acceptait de se rallier à la culture hellénique[71] ; déjà, elle avait noué des relations avec Delphes. Après la prise de Véies, elle avait adressé un trépied d’or à Apollon, et elle -l’avait fait déposer dans le trésor des Marseillais, comme si ces derniers étaient ses intercesseurs auprès du dieu souverain[72]. Sa situation à l’embouchure du Tibre en faisait d’ailleurs une place commerciale de premier ordre. A la nouvelle du désastre qui la frappait, une souscription fut ouverte à Marseille : l’État et les particuliers envoyèrent aux Romains de l’or et de l’argent pour refaire leur fortune. En échange, la ville grecque reçut toutes sortes de marques de gratitude : on réserva à ses nationaux des places dans les spectacles ; un nouveau traité, en bonne forme, fut conclu entre les deux villes. Les négociants marseillais qui viendraient sur le Tibre devaient être considérés comme des hôtes ; ils étaient exempts de tout impôt et de toute taxe[73]. Il est possible qu’on leur ait même concédé un terrain sur l’Aventin, la colline des étrangers ; ils purent en tout cas y consacrer une statue à Artémis, ce qui signifie qu’ils avaient le droit de s’y réunir et d’y tenir des comptoirs[74]. En attendant le jour, impossible à prévoir, où Marseille ouvrirait la Gaule aux Romains, ces derniers lui ouvraient l’Italie. La ville de Phocée devenait la plus grande puissance maritime et commerciale de l’Occident. III. — COLONIES MARSEILLAISES. Pour demeurer maîtresse des mers et des côtes d’où elle avait chassé ses rivaux, Marseille établit, depuis les Alpes Maritimes jusqu’à la mer des Baléares, une chaîne continue de colonies, de comptoirs et de redoutes[75]. Aucun rivage du monde n’offrit une plus longue ligne de cités filles et sujettes d’une seule métropole (de 480 à 350 ?[76]). A l’est de Marseille, du côté ligure et étrusque, les Grecs de Gaule ne dépassèrent point Monaco : ils abandonnèrent aux ambitions de Syracuse les anciennes espérances de Phocée[77], la Corse, l’île d’Elbe et les rives italiennes d’en face ; au delà de La Turbie, le rivage était moins découpé, la mer, peu poissonneuse, l’arrière-pays difficile et dénué de ressources et de grandes voies. A Monaco même, ils se bornèrent à fréquenter le port, d’ailleurs médiocre : je ne crois pas qu’ils se soient bâti des demeures sur 1 a croupe isolée qui le domine ; la rude colline appartenait moins aux mortels qu’à un dieu ; elle était le sanctuaire de quelque héros local, ligure ou étrusque, que les Grecs appelèrent du nom inévitable d’Hêraklès : et désormais Monaco devint, dans le monde classique, le rocher et le port d’Hercule[78]. La plus grande cité grecque dans ces parages fut celle de Nice, cité de la Victoire[79]. Elle avait un bon port, elle s’appuyait à des terres riches, où tout poussait vite et où la vie était la plus facile du monde. Près de là s’ouvrait la large vallée du Var, qui donnait accès aux meilleures routes du pays ligure. Entre Nice et Marseille s’échelonnaient une demi-douzaine de petites villes ou de places de marché, qui se tenaient au fond des anses les plus abritées ou aux débouchés des vallons les plus utiles : Antibes ou Antipolis, la ville en face[80] de Nice, qui partageait avec elle la surveillance du Var et l’exploitation de leur golfe commun ; Olbia, la Bienheureuse, sans doute Hyères aux chaleurs fécondes et salutaires[81] ; Tauroeis, la ville du Taureau[82], Citharista, la ville de la Lyre[83], ainsi nommées, peut-être, de la forme des collines voisines : celle-là, au c beau port s de Sanary, sur le couchant de la péninsule de Sicié[84] ; celle-ci à La Ciotat, bien abritée par le cap de l’Aigle[85] ; d’autres encore, simples ports de pêche tapis à l’ombre d’un rocher, et qui gardaient presque tous leur nom et leur clientèle barbares[86]. Les Marseillais n’utilisèrent pas, à ce qu’il semble, la rade de Toulon : elle était trop recourbée dans l’intérieur des terres ; leurs vaisseaux n’avaient pas besoin d’un tel espace et de si grandes profondeurs, et le fond de la baie ne menait à rien[87], finissait à des collines déchiquetées et infertiles. En revanche, les cinq îles d’Hyères ou Stéchades, les îles Alignées, furent très fortement occupées. Elles fermaient des petites mers très sures, elles offraient de bons abris, des pêcheries de corail, des collines de garde d’où les vigies marseillaises pouvaient, sur leurs tours de bois ou de pierre ; explorer au loin la mer et ses rivages[88]. Ce que les Grecs redoutaient surtout au levant, c’étaient les pirates ligures, aux incroyables effronteries : pour les surveiller, les îles d’Hyères venaient fort à propos, au beau milieu de la route entre Nice et Marseille, entre le Var et le Rhône. A l’ouest de Marseille, c’étaient surtout les embouchures du Rhône et de l’Aude qu’il fallait prendre et garder : de leur conquête dépendait celle des richesses de l’intérieur. Aucune grande ville ne fut bâtie sur le bas fleuve. Théliné la grecque ne ressuscita pas : on laissa vivre, sur son emplacement, la cité celtoligure d’Arles, Arelate, qui devint le centre commercial de la fédération salyenne. En revanche, sur l’autre bord du grand fleuve, face à la ville barbare, les Grecs de Marseille fondèrent le comptoir de Rhodanousia[89]. C’était une de leurs pratiques habituelles que de flanquer d’une place grecque les marchés barbares : par là, ses nationaux pouvaient se livrer au trafic, tout en s’assurant une retraite en cas de danger. D’autres factoreries furent établies dans les terres basses du Rhône, reliées entre elles par des tours à signaux[90], où veillaient sans doute à la fois des guetteurs et l’image d’Artémis. La Camargue fut ainsi surveillée de très près[91], le Rhône fut jalonné de postes, l’entrée et la sortie des graus étaient assurées aux navires grecs, et, pour bien marquer que tout ce pays était devenu leur chose[92], les Marseillais bâtirent, dans un port de l’île (les Saintes-Maries ?), un temple à leur impérieuse divinité[93]. C’étaient là de mauvais terrains : mais ils formaient le seuil de la Gaule. Marseille, grâce à eux, pouvait passer pour le port du Rhône[94]. Sur l’Aude, elle n’eut pas non plus de colonie proprement dite : Narbonne, ainsi qu’Arles, resta aux Barbares, Ibères ou Gaulois. Il eût fallu, pour leur enlever une vieille cité de cette importance, une rude guerre de conquête, que Marseille eut la sagesse de ne pas risquer. Mais en face de la ligne marquée par l’Aude, et au carrefour formé par son embouchure avec celles de l’Orb et de l’Hérault, s’élève le rocher volcanique d’Agde, la saillie maîtresse de toute la mer narbonnaise, la sentinelle avancée du rivage entre le Rhône et les Pyrénées. Les Grecs y prirent pied, et bâtirent la ville d’Agde, Άγάθη, la Bonne Ville, ou la Bonne Fortune, et ce nom rappelait bien son heureuse situation : Agde guettait la sortie de l’Aude, et tous les navires qui longeaient cette mer devaient doubler son cap et son îlot[95]. Aux abords des Pyrénées[96], les Marseillais ont négligé les anses du nord, Collioure, Port-Vendres, Banyuls, Cerbère : peut-être ne voulurent-ils pas affronter la concurrence de la ville-neuve d’Elne (Iliberris), bâtie par les Ibères près des ports du rivage, à l’arrivée du Pertus et au carrefour des routes de la plaine. En revanche, ils eurent toute liberté au sud des montagnes[97]. Ils y fondèrent les deux colonies de Rosas et d’Ampurias[98], celle-là, conservant son nom indigène, le nom de celle-ci, Έμπόρια, signifiant entrepôts ou marchés. Toutes deux répondaient, avec une parfaite symétrie, aux stations ibériques du Midi de la Gaule : Rosas commandait la mer du haut de son golfe, Ampurias tenait les vallées des rivières et la montée du Pertus. On dirait que Grecs et Ibères se sont amicalement partagé les points utiles des deux côtés des Albères et du cap Creux. — Les deux fondations marseillaises, qui centralisaient les affaires avec l’intérieur et les entreprises de pêche, devinrent de grandes villes, les plus importantes peut-être de l’empire : leur richesse et leur éloignement les rendront assez vite aussi indépendantes de leur métropole que celle-ci l’était de Phocée. Plus au sud, les Marseillais recherchèrent les vestiges des fondations phocéennes et essayèrent de les rétablir. Ils eurent trois petites colonies aux entours de ce cap de La Nao qui domine le canal des Baléares et qui coupe par le milieu la Méditerranée espagnole : ils bâtirent même sur le promontoire un temple d’Artémis, que tous les navigateurs pouvaient voir de la haute mer, et les marins descendaient chez les Marseillais pour aller porter leurs dévotions à la déesse gardienne des routes maritimes[99]. Peut-être, plus bas encore, réoccupèrent-ils un instant Mainaké (Malaga ?), à l’entrée de la route de l’Andalousie[100]. Mais aucune de ces stations de l’Espagne lointaine n’eut une longue vie. Carthage put se faire réserver par un traité régulier tous les rivages au sud du cap d’Artémis[101]. Au nord, et jusqu’à l’entrée du golfe de Rosas, les Ibères firent bonne garde sur leurs côtes et sur leurs grands fleuves : aucun des meilleurs sites, Valence, Sagonte, Tarragone, Barcelone, ne reçut une colonie marseillaise ; les Grecs n’obtinrent point de concessions importantes au débouché de l’Èbre. Les stations du cap de La Nao furent étouffées sous les influences indigènes ou puniques. Leur empire véritable allait du rocher de Monaco à l’escale méridionale du golfe de Rosas ; il s’étendait sur la double sinuosité que forme la Méditerranée gauloise. Et Marseille était précisément au centre de cet empire. IV. — NATURE DE L’EMPIRE MARSEILLAIS. L’empire de Marseille fut surtout maritime. Je ne crois pas qu’elle ait fondé une seule colonie dans l’intérieur des terres. Ses six grandes places, Nice, Antibes, Rhodanusia, Agde, Rosas, Ampurias, étaient des ports. Mais c’étaient des ports de guerre aussi bien que des ports de commerce. Presque toutes ces villes avaient leurs remparts[102]. Elles servaient de points d’appui et de lieux de retraite à la flotte marseillaise. On avait fait d’elles des citadelles très fortes, où les marchands se réfugiaient en cas de danger[103], et d’où l’on menaçait les écumeurs des eaux et les brigands de la campagne. Leur situation, très heureusement choisie, leur permettait de surveiller à la fois les routes de terre et celles de mer. Et elles furent longtemps assez puissantes pour tenir en respect Ligures, Celtes et Ibères. Au surplus, si Marseille était en état de s’imposer aux indigènes, elle ne cherchait pas à leur faire violence. Que ces installations de colonies aient été parfois précédées de guerre et de combats, c’est fort probable[104] ; mais le plus souvent, ce semble, elles furent faites sur des terrains librement concédés. Quelques-unes de ces villes se sont élevées sur des rivages dont les détenteurs naturels détestaient la mer, la pêche et les barques : les Barbares d’Ampurias, les Indigètes, n’aimaient que les pâturages, la chasse et la vie dans les bois[105]. Il n’y eut jamais substitution pure et simple d’une colonie grecque à un havre de Barbares. Les Ligures ont conservé leurs redoutes, leurs ports, leurs villages de la côte, s’intercalant entre les stations grecques[106]. Marseille n’entreprit point de mettre la main sur les capitales celtiques ou ibériques du Midi, Arles, Narbonne ou Elne. Elle se bornait à établir, dans leur zone d’attraction, des comptoirs fortifiés qui drainaient vers eux les produits indigènes, Rhodanusia, Agde, Ampurias. En face des remparts de la place grecque, qui touchaient à la mer, s’élevait souvent une petite ville indigène, campée sur une hauteur voisine[107]. Ampurias était formée de deux cités, l’une, indigène, du côté de la terre, l’autre, marseillaise, du côté du rivage ; chacune avait ses murs et ses portes ; mais les Espagnols n’entraient jamais chez les Grecs : c’étaient ceux-ci qui se rendaient dans la ville barbare pour y vendre leurs marchandises et y acheter les denrées du sol. Ampurias formait ainsi comme un double comptoir d’échange, de transit et de commission[108]. Un régime de bienveillance et d’exploitation réciproques réglait partout les rapports des colons et des indigènes. Très certainement, Marseille avait conclu des traités réguliers avec les tribus ou les peuplades du voisinage[109]. Des cavaliers gaulois, des montagnards ligures se mirent à sa solde ou à son service[110]. Elle eut des hôtes et des amis parmi les chefs voisins[111]. Au surplus, elle ne les inquiétait pas sur leurs domaines. Ce ne fut pas, avant l’arrivée des Romains, une puissance conquérante. Les indigènes savaient que leurs redoutables voisins ne menaçaient point les libertés et ne prenaient point les terres. Les possessions directes de Marseille ne durent pas dépasser, même auprès ses plus grandes victoires, la plaine basse de l’Huveaune, dont les vignes, les vergers, les blés et les olivettes étaient nécessaires à ses habitants[112]. Sur les collines qui entouraient la ville, les Barbares conservaient leurs bois sacrés ; au fond de la vallée de l’Huveaune ou sur les hauteurs qui dominaient La Ciotat, vivaient des tribus salyennes[113]. Le long des routes du nord, les Marseillais ont pu avoir quelques comptoirs ou factoreries, par exemple à Trets[114], qui commande la vallée de l’Arc, à Cavaillon, où on passait la Durance[115], à Avignon[116], où elle rejoint le Rhône. Mais aucun de ces comptoirs ne devint une colonie de guerre. La vigueur de l’hellénisme demeura concentrée dans les remparts des cités maritimes[117]. Les Gaulois et les Ibères n’en eurent que plus d’égards pour Marseille : l’histoire de Catumarandus n’est que la mise en fable de la crainte et du respect qu’elle leur inspira. Pour arriver à ce résultat, il fallait, avec beaucoup de souplesse, une force réelle et visible. Marseille avait à la fois une armée très aguerrie et une marine supérieure. Tous ses citoyens étaient rompus au métier des armes et à la discipline. Elle maintenait avec soin, comme Sparte, l’excellence physique et militaire de ses hommes[118], et sans doute une natalité plus grande lui évita ces déperditions de familles qui firent la faiblesse de Lacédémone. Autour de son port du Lacydon, dans le bas de ses collines, s’étendaient de vastes arsenaux et des chantiers de construction[119]. Carthage exceptée, il n’y avait peut-être pas de ville en Occident où l’on bâtit plus de navires et plus solides : les forêts du pays arlésien fournissaient une ample matière aux armateurs. Les machines de guerre et les réserves d’armes étaient fort nombreuses : Marseille tenait toujours des galères en état de prendre la mer, des engins de combat prêts à servir[120]. Elle demeura au courant des progrès que la poliorcétique et la marine militaire firent dans la Grèce d’Alexandre[121]. Aucune ville du monde n’opposera aux machines, aux vaisseaux et aux légions de César une plus longue résistance[122]. Elle exerçait son empire à la grecque, par beaucoup de force et très peu de dureté. V. — COMMERCE MARSEILLAIS[123]. L’empire de la mer assurait aux Marseillais le monopole des pêches et la sécurité des entreprises de long cours et de grand cabotage. Les pêcheries des îles d’Hyères, du golfe du Lion, des étangs et des côtes du Languedoc étaient d’intarissables sources de revenus. C’était pour elles que Marseille avait entrepris la guerre contre Carthage[124]. On citait, aux abords de la ville, des lieux de pêches miraculeuses[125]. L’étang de Berre avait ses poissons et ses huîtres[126] ; ceux du Languedoc avaient leurs muges[127]. Le thon, si abondant dans ces parages, si goûté des Anciens, était une des pêches favorites[128]. Muge et thon, les deux grandes richesses de la Méditerranée gauloise furent dès lors vigoureusement exploitées. On ne sait si les Marseillais avaient établi, comme les Espagnols, des usines de conserves ou de saumures et des sécheries de poissons : mais le fait est vraisemblable[129]. Les eaux des îles d’Hyères leur livraient de très beau corail, objet d’ornement fort recherché des populations de l’intérieur[130]. Peut-être, dans ces mêmes parages et dans ceux de Toulon, recherchait-on le murex, dont on tirait la teinture de pourpre[131]. Le rivage gaulois s’imprégnait pour longtemps des habitudes et de la langue des pêcheurs grecs. Au levant, les négociants grecs restaient en relations continues avec leurs frères de toutes les mers, de Sicile[132], d’Italie et de la mer Égée. L’Attique et la Grande-Grèce leur fournissaient des vases peints pour leurs tombeaux. S’ils avaient leur Artémis sur l’Aventin, c’est qu’ils ont dû, plus d’une fois, apporter de la pacotille aux Romains. Ils ne se rendaient pas seulement pour prier à Delphes[133] et à Délos[134] : un délégué religieux est souvent le meilleur des représentants commerciaux. Un curieux plaidoyer d’avocat athénien nous montre un armateur marseillais acceptant du fret entre Syracuse et Le Pirée, et se livrant d’ailleurs à une abominable entreprise de baraterie[135]. Quand les citoyens de Lampsaque, sur l’Hellespont, eurent maille à partir avec les Galates, ils envoyèrent des députés aux Marseillais, pour les prier d’intercéder en leur faveur auprès des Gaulois, qu’ils connaissaient mieux que personne[136]. Car la colonie de Phocée était, avant toute chose, le transitaire unique et obligé entre l’hellénisme et l’Occident celtique[137]. Elle exerçait un monopole de fait et peut-être de droit sur tous les produits de la Gaule centrale. Cette Gaule, on peut bien dire qu’elle l’a découverte. Ce sont les Marseillais qui ont les premiers indiqué ses frontières, exploré ses fleuves et ses routes, reconnu les lignes de sa structure et ses voies naturelles d’une mer à l’autre. Aux notions qui venaient des périples, ils ont ajouté la connaissance de l’intérieur. Les intérêts de leur négoce les ont, d’étape en étape, conduits jusqu’à l’Océan. Toutes leurs colonies étaient autant de têtes de ligne d’où purent partir des caravanes ou des flottilles vers le haut pays : Nice et Antibes tenaient la route du Var et des Alpes[138] ; Rhodanusia, celle du Rhône et de l’intérieur, que les piétons pouvaient gagner directement de Marseille par Salon et Cavaillon ; la vallée de la Durance, que l’on rejoignait à cette dernière bourgade, conduisait très rapidement en Italie[139]. Agde ouvrait la route de l’Aude et de l’Océan. Des conventions formelles ou des habitudes connues réglaient la traversée des pays celtiques. Le long de la Durance, les tribus avaient édicté des peines contre tous ceux qui feraient tort aux marchands[140]. Sur le Rhône et la Saône, on remontait en barque le plus haut possible ; puis, suivant les cas, on rompait charge à Pont-Saint-Esprit, à Givors, à Lyon ou à Chalon ; là commençait le portage à charrette ou à dos de cheval[141], par les seuils ou les cols des Cévennes : le plus long de ces portages, mais peut-être le plus fréquenté, était celui du centre, par Pont-Saint-Esprit, le col du Pal et Roanne, qui permettait de rejoindre la Loire en évitant les dangereux courants du Rhône[142]. Dès que l’on pouvait, on rembarquait les marchandises sur les cours d’eau de l’Océan, et elles arrivaient ainsi à leurs plus lointains destinataires, les Celtes de Bordeaux, de Nantes ou de Rouen[143], les peuplades de la Suisse, du Rhin ou du haut Danube[144]. Sur l’Océan, les Grecs eurent la joie de retrouver les marchés les plus convoités de l’Occident, ceux de l’étain et de l’ambre. Ils pouvaient désormais narguer les efforts de Carthage pour leur en interdire l’accès par les voies maritimes : les routes de leur arrière-pays étaient un moyen d’atteindre l’étain plus sûr et presque aussi rapide que l’interminable navigation sur l’Océan monstrueux. On reconnut et on exploita enfin la valeur propre de la Gaule, pays d’isthmes, c’est-à-dire de raccourcis et de voies traversières[145]. Une fois arrivés sur la Manche, les Grecs s’arrangèrent pour attirer vers les voies de l’intérieur les cargaisons de métal, et les détourner du chemin de Cadix. Les Puniques, qui luttaient péniblement en Sicile contre les Grecs, ne purent les gêner. Les indigènes se mirent à là dévotion des Marseillais ou de leurs agents[146]. L’étain recueilli dans les mines était fondu, purifié, préparé en lingots, qu’on transportait par terre jusqu’à la hauteur de l’île de Wight[147] : c’était dans cette île qu’il était vendu et livré aux marchands du sud, qui, à l’abri des tempêtes, le chargeaient à destination des fleuves de la Gaule[148]. Il fallait trente jours, disait-on, pour qu’il atteignît, de là, l’embouchure du Rhône[149]. Ce va-et-vient d’hommes et de choses sur trois cents lieues de routes ou de cours d’eau était évidemment mêlé d’arrêts à des étapes, de services d’escortes, de palabres avec les chefs, d’achats et de ventes : il suppose des traités d’amitié avec les peuplades indigènes, tout au moins avec celles qui commandaient les routes de portage, Volsques du col de Naurouze, Helviens et Arvernes du col du Pal, Éduens, Ségusiaves et Lingons des seuils du Lyonnais et de la Bourgogne. On a dit plus haut que l’établissement des Celtes dans la Gaule avait mis fin, presque partout, au morcellement politique des derniers temps ligures. A un demi-millier de tribus s’étaient superposées quelques dizaines de nations. C’est ainsi qu’aux environs de Marseille les dix tribus d’autrefois se groupaient maintenant sous le nom celtoligure de Salyens. Le nouveau régime était infiniment plus propre aux relations commerciales, plus favorable aux ambitions lointaines des Marseillais. De leur cité jusqu’à l’embouchure de la Seine, ce n’étaient plus une centaine de tribus que leurs marchands rencontraient, mais dix cités ou peuplades vastes et puissantes. Ils avaient mille chances pour voyager plus vite, payer moins de droits, discuter moins souvent, jouir d’une sécurité plus grande que sous le régime antérieur. Leurs affaires, également, devaient être plus fructueuses : ils trouvaient en face d’eux de grands chefs, tout autrement riches et fastueux que les roitelets ligures. On savait ces chefs curieux de toutes choses, fort hospitaliers, et on reconnut aussitôt en eux des philhellènes, c’est-à-dire des clients bons payeurs et des hôtes généreux[150]. La conquête gauloise, qui s’acheva vers 400 aux portes de Marseille, fut donc pour cette dernière une nouvelle cause de prospérité. Entre ces dynastes de l’intérieur et les négociants grecs, des contrats d’hospitalité ont été conclus, des symboles d’entente, mains de bronze[151], amulettes ou fétiches, ont été échangés. Les chefs ont acheté ou reçu en présent des amphores de vin[152], les précieux morceaux de corail venus du Sud[153], de beaux vases peints aux vives images, de brillantes œnochoés de bronze[154] ; volontiers ils laissaient emporter en échange les produits de leurs terres ou de leurs forêts, chanvre, poix, pierres précieuses ou herbes médicinales[155] ; ils s’habituaient peu à peu à la valeur marchande de la monnaie marseillaise, l’acceptant et la rendant ensuite, et ils apprenaient, avec son usage, bien d’autres choses dont ils pouvaient faire leur profit. De leur côté, les comptoirs espagnols étudiaient et exploitaient les régions de la péninsule les plus proches. On atteignit sur quelques points des Bites importants de métaux. Les colonies du sud du cap Creux donnèrent à Marseille l’accès des argentières pyrénéennes[156] ; il y avait, sur les terres grecques du cap de La Nao, de riches mines de fer[157]. L’arrière-pays du golfe de Rosas produisait beaucoup de lin, qu’on tissait à Ampurias[158] ; les célèbres champs de sparte de ce même pays fournissaient la matière première des corderies de presque toute la Méditerranée, et de l’Italie surtout[159]. Plus loin encore, il semble que les Marseillais aient songé à gagner, par le nord des Pyrénées et par les seuils du Pays Basque, les marchés ou les mines de la côte cantabrique[160]. Sur le continent barbare, en dehors de la Gaule propre, quelques négociants marseillais descendirent dans les plaines de l’Italie, où ils virent d’autres Gaulois, très semblables à leurs congénères de l’ouest[161]. Plus loin encore, d’audacieux aventuriers franchirent les Alpes du centre, par le Splugen et le Brenner[162], et s’en allèrent vers le nord, jusqu’à la lisière de la grande forêt. Ces Grecs, qui s’étaient contentés d’abord des explorations et des bénéfices maritimes, se lançaient maintenant à la découverte des routes et des terres mystérieuses qui portaient les monts Rhipées et les monts Hercyniens : tout comme les Vénitiens du treizième siècle, partis de leurs îles Adriatiques, réussirent à retrouver par terre, le long des voies des caravanes, les ports de l’extrême Orient. Mais en même temps, et avec la même audace, les gens de Marseille rêvèrent d’aller sur mer, le long de la Méditerranée de l’ouest et du grand Océan du Nord, le plus loin que pourrait naviguer un vaisseau construit par les hommes. Ils voulurent faire, sur ces rivages nouveaux du Couchant, les prodiges que leurs poètes racontaient des Argonautes, explorateurs des eaux du Levant. — Avec ou sans l’agrément de Carthage leur rivale, ils étudièrent d’abord la côte espagnole, jusqu’aux Colonnes d’Hercule et jusqu’à Cadix ; et ils publièrent sur cette route de véritables instructions nautiques[163]. Puis, ils s’informèrent avec soin de tout ce que l’on savait sur l’Océan extérieur, au delà de Cadix, sur Himilcon et son voyage[164]. Enfin, quand le moment fut favorable, ils cinglèrent vers les caps sacrés, pour rejoindre par eau, en contournant l’Europe à l’ouest, les routes qu’ouvraient par le sud leurs caravanes de terre et leurs trains fluviaux. VI. — PYTHÉAS[165] ET EUTHYMÈNE. Ce fut dans la seconde moitié du quatrième siècle que l’hellénisme acheva, sur la Perse et sur Carthage, la revanche commencée à Himère et à Salamine. Cette fois, il ne se borna pas à écarter ses adversaires : il résolut de les supplanter partout. Alexandre substituait son empire à celui de Darius, faisait circuler dans la Grèce le rêve d’une monarchie universelle, pénétrait jusqu’à l’Indus, envoyait Néarque reconnaître les rivages de l’Asie orientale (326-5). La guerre qu’il méditait contre Carthage, Agathocle de Syracuse l’entreprit : le Sicilien réussit un instant à enfermer dans ses murailles la cité punique, et il put se croire le roi de l’Occident (310-306)[166]. A une autre extrémité du monde hellénique, Pythéas et Euthymène partirent de Marseille pour suivre les routes d’Himilcon et d’Hannon, et pour révéler aux rivages de l’Océan extérieur l’hégémonie des vaisseaux helléniques. Alexandre avait eu l’ambition d’atteindre les Colonnes d’Hercule et de toucher au port de Cadix[167] : les navigateurs marseillais en partirent pour l’au delà, comme s’ils avaient voulu compléter l’œuvre du roi de l’hellénisme[168]. Un besoin de connaître la terre et d’aller très loin avait gagné tous les Grecs. Pythéas fut le plus heureux des deux explorateurs. Il parcourut en mer, aller et retour, cent vingt mille stades[169], la plus longue traite marine qu’eût encore faite un Grec : Alexandre, seul, avait vu plus de cieux et s’était montré à plus d’hommes différents. Mais le roi de Macédoine marchait à la tête d’une armée victorieuse, sur des terres déjà visitées par les Perses. Pythéas n’était qu’un armateur de Marseille, il naviguait à ses risques et périls à travers des mers inconnues, son vaisseau était équipé à ses frais[170] : et ce sembla plus tard une merveille, même aux yeux des Grecs, qu’un des leurs eût pu aller si loin avec ses seules ressources[171] contre vents et marées, haines et légendes (entre 328 et 321 ?[172]). De Marseille, Pythéas se rendit à Cadix[173] ; et ce fut de là qu’il partit, comme faisaient les Tartessiens et les Carthaginois, pour les mers et les terres de l’étain et de l’ambre. Il doubla le cap Sacré de Saint-Vincent, et les autres promontoires mystérieux où les indigènes hurlaient leur foi et adoraient leurs dieux ou leurs morts. On était au printemps ; les vents du sud-ouest étaient favorables[174] ; il gagna en cinq jours le cap Ortégal[175]. Carthage, soit par peur des Grecs, soit d’accord avec eux, laissa passer l’aventureux Marseillais[176]. Il avait alors à sa droite le rivage sans fin de l’Espagne avec ses innombrables dentelures, et devant lui l’immensité de l’Océan, qui cachait les terres avancées de la Gaule. Navigateur mieux renseigné et observateur plus précis qu’Himilcon[177], il cingla bravement droit vers le nord-est, coupant d’une navigation très sûre tout le large du golfe de Gascogne. En trois jours, les vents du sud-ouest, dominants dans ces parages, le portèrent à la hauteur d’Ouessant et des caps armoricains[178]. Après cette course rapide, Pythéas semble avoir reposé ses hommes et ralenti son navire. Il était d’ailleurs arrivé sur une mer plus vivante ; il approchait des marchés de l’étain ; il pouvait tirer profit à s’enquérir des choses et des gens : il s’informa et il observa. C’est ainsi qu’il nota le chapelet de petites îles qui venaient de la côte et qui finissaient à Ouessant[179] ; qu’il reconnut la côte elle-même et le cap Saint-Mathieu[180] ; qu’il apprit le nom de la peuplade qui habitait le continent, celle des Ostimiens, que César y retrouvera[181] ; qu’il entendit parler du marché de Corbilo, à l’embouchure d’un grand fleuve situé plus au sud[182]. Le Marseillais n’hésita pas à donner à toutes ces terres le nom de Celtique[183] : car il comprit, soit à leur situation, soit à la langue ou au nom de leurs habitants, qu’elles étaient le prolongement de l’arrière-pays de Marseille. Pour la première fois, la Gaule prenait corps aux yeux des Grecs. Puis, il entra dans la mer de l’étain, il toucha, à une journée d’Ouessant, la côte souhaitée de Cornouailles[184]. Jusque-là, Pythéas n’avait fait que copier ou suivre Himilcon : à part des observations plus précises, il ajoutait peu au périple de son devancier. Une fois sur les rivages de la Grande-Bretagne, il abandonna hardiment les routes puniques et chercha par lui-même la fin de cette terre du Nord : il avait des curiosités de savant qui étaient demeurées étrangères à l’esprit pratique de l’envoyé de Carthage[185]. Pendant six semaines[186] (avril-mai) il en suivit les côtes, remontant jusqu’à l’extrême pointe septentrionale[187], reconnaissant peut-être les îles voisines[188], redescendant le long du canal d’Irlande, rejoignant enfin le pays des mines. Et il put affirmer par lui-même, le premier des Méditerranéens, qu’on avait devant soi une très grande île[189], supérieure en étendue à la Sicile même, la plus célèbre de toutes[190], et comme elle en forme de triangle. Au cours de ce voyage, il débarqua plus d’une fois[191], calculant la hauteur des marées, surpris des quatre-vingts coudées qu’elles atteignaient sur les rivages du nord[192], étudiant les indigènes[193], leurs dieux, leurs cultures, leurs demeures et leurs rois, charmé de la concorde qui régnait entre eux, et fort étonné de voir leurs guerriers monter sur des chars, comme les anciens héros de la guerre de Troie[194]. Après avoir achevé son enquête sur l’étain[195], il passa dans la mer de l’ambre. Il longea, une fois encore, le rivage méridional de la Bretagne jusqu’aux falaises du pays de Dent, qui portait déjà son nom d’à présent, Cantium[196]. Là, perdant de vue les côtes blanches, il chercha la Celtique en poussant droit vers l’est : il allait plus lentement sur cette mer dangereuse, et il lui fallut près d’une semaine[197] pour atteindre, au levant de Douvres, l’estuaire de ce grand fleuve[198] dont parlait déjà Hérodote, l’Elbe, source de l’ambre. Là encore, Pythéas fit un nouvel arrêt (mai juin ?) : il nota exactement l’endroit où la précieuse résine était recueillie : on la trouvait sur les bords d’une île (Héligoland ?)[199], à une journée de la terre ferme, et elle était transportée de là sur le continent[200]. Il eut des colloques avec les indigènes de l’estuaire, qui étaient les acquéreurs ordinaires de l’ambre, et chez qui s’en tenait le principal marché[201]. Tout cela devait être d’un très grand intérêt pour un armateur de Marseille. Cet énorme fleuve de l’Elbe, à l’embouchure large et profonde comme un golfe de l’Océan, paraissait marquer la frontière entre deux mondes. Pythéas arrêtait à ses bords occidentaux la limite de la Celtique : au delà des eaux, les terres basses perdues dans le brouillard furent pour lui la fin de la Scythie asiatique, venue du levant d’en bas pour confiner aux Celtes et à l’Europe[202]. Le Marseillais n’avait rien à voir avec les Scythes : c’était l’affaire d’Alexandre ou des Grecs de l’Orient, de s’occuper d’eux. Ses intérêts, son ambition, sa curiosité, l’attiraient vers lé Nord et l’Occident, vers le couchant d’en haut. Ce fut en se dirigeant vers l’Ourse qu’il remit à la voile. Il allait de nouveau à la conquête du Septentrion, bien au delà des fleuves et des rivages dont on parlait à Cadix. Sept jours durant[203], l’homme des cieux tempérés et des horizons limpides gouverna sans crainte dans ces mers froides et brumeuses[204] ; au nord de l’Elbe, il aperçut le renflement du Jutland, qu’il regarda comme une île[205]. Puis, guidé sans doute par des marins du pays, il traversa le grand détroit, longea les côtes escarpées d’une terre nouvelle, et débarqua enfin dans une anse de fiord norvégien[206]. Les habitants de cette contrée l’appelaient du nom de Thulé[207], Θούλη. Comme tons les indigènes du Nord, ils se montrèrent obligeants, et prêts à satisfaire la curiosité de l’étranger. Pythéas put circuler dans le pays, par terre ou par eau : il alla sans doute de Bergen jusqu’à Trondhjem, les centres immuables de la vie active sur la mer norvégienne. On lui montra dans le lointain le lieu mystérieux où le soleil repose lors des longues nuits du cercle polaire[208] ; on lui fit connaître que, l’hiver, dans le nord de la contrée, l’astre ne paraissait presque plus à l’horizon[209] ; lui-même put constater, par ces temps d’été qu’il passa à Thulé, des journées de vingt et une à vingt-deux heures, et des courtes nuits de deux ou trois heures[210], pendant lesquelles le soleil projetait encore à l’horizon les lueurs confondues de son crépuscule et de son aurore[211]. Du reste, la terre n’était pas misérable, ni les indigènes de purs sauvages : ils récoltaient des fruits, des légumes, de l’avoine et du blé ; on pouvait, dans le Sud, élever des abeilles ; on y avait du pain et des boissons fermentées[212]. Pythéas s’obstina encore, continua sa route. Il embarqua des indigènes comme pilotes ou interprètes[213], navigua un jour vers le nord[214]. Mais il n’avait plus devant lui que l’Océan dit large les gens du pays en disaient des choses effrayantes. C’était une masse formidable et confuse, qui ne ressemblait à aucune mer du monde : ni le pied de l’homme ne pouvait s’y tenir, ni la carène du navire s’y frayer un passage : on ne savait si c’était de l’eau, de la terre ou de l’air, et on en parlait comme d’un poumon colossal entourant tout l’univers[215]. Peut-être Pythéas trouva-t-il devant lui des banquises flottantes ou ces terribles bruines du nord, qui offusquent et troublent les vues les plus nettes[216] : il déclara avoir vu le poumon marin[217] ou ce qui lui ressemblait, et se refusa, cette fois, à aller plus loin. Saturne, le dieu créateur du monde, lui interdisait ces espaces inhabités dont il s’était réservé la jouissance[218]. Après tout, Pythéas avait, le premier des hommes, parcouru la route extérieure de l’Océan, depuis les colonnes ouvertes par Hercule jusqu’à la mer fermée par Saturne[219]. Il avait reconnu qu’Ulysse ne s’était point trompé dans ses longs récits, et qu’on rencontrait partout, sur la terre et près des rivages, des êtres humains vivant en groupe. L’automne allait venir : il fit volte-face vers Thulé, reprit de là le chemin de la Bretagne et du sud, et revint à Marseille avec le même bonheur[220]. Euthymène ne paraît pas avoir eu les mêmes chances que son compatriote. Peut-être ne possédait-il ni sa valeur scientifique ni son esprit de décision. Nous ne savons jusqu’où il est allé le long de l’Atlantique[221]. Les affirmations qu’il rapporta témoignent d’une intelligence médiocre. On parla fort peu de ses aventures : et quand on s’intéressait à l’Afrique, c’étaient surtout les périples carthaginois que l’on consultait. Au contraire, le récit des voyages de Pythéas eut un succès prodigieux. Il se déroulait en Europe, et il renfermait des choses très diverses. — Puis, ce Marseillais était fort habile. Il sut mêler dans ses livres les observations précises et les anecdotes vivantes : ce fut un homme de science et d’imagination, très sûr et très attachant à la fois. Ses écrits[222] abondaient en noms et en chiffres : il indiquait toujours, pour les chemins parcourus, les distances en stades et les traites de mer en journées[223] ; il rapportait fidèlement les noms des caps, des îles et des golfes. La mer, le ciel et la terre avaient également attiré son attention : il notait les principales hauteurs des marées, et il aperçut le premier que ce phénomène correspondait aux phases de la lune. Il avait pris souvent la hauteur du soleil[224], déterminé la latitude : à Marseille même, à l’aide d’un énorme gnomon, il calcula, avec une justesse étonnante, la distance de l’équateur[225]. Pas une seule fois, semble-t-il, il ne s’est égaré dans sa route, même en pleine mer : il a su trouver la véritable position de l’étoile polaire par rapport à ses voisines[226]. C’était aussi, à coup sûr, un homme courageux et pratique. Pour avoir affronté sans hésitation les mers du large, si loin de la terre, il faut qu’il ait eu un navire solidement charpenté, fort bien gréé, et un équipage de tout repos. Partout où il passait, il consignait ce qui intéressait le commerce de son pays, les longueurs relatives des trajets commerciaux, les lieux de production et de vente. Et à côté de tout cela, ses livres renfermaient des descriptions de peuples et de pays ; ils rapportaient quelques-unes de ces vieilles légendes que les hommes du Nord lui racontèrent[227]. Il n’y croyait pas : il avertissait alors qu’il ne parlait que par ouï-dire[228], et comme par devoir de narrateur. Mais il évitait par là à son Périple la sécheresse habituelle aux écrits de ce genre. Toutes les catégories de lecteurs y trouvèrent leur profit[229]. Les géographes et les historiens des temps hellénistiques, Dicéarque[230], Hipparque[231], Ératosthène[232], Timée[233], Xénophon de Lampsaque, lui empruntèrent tous leurs renseignements sur l’Occident, discutèrent ou copièrent ses chiffres et ses théories. Les faiseurs de romans exotiques placèrent dans sa Bretagne[234] ou dans sa Thulé[235] les Hyperboréens de l’ancienne poésie grecque, et prirent ses descriptions comme cadres d’extraordinaires aventures. Puis, après un temps d’engouement, on se défia de Pythéas. Il subit le sort des découvreurs de l’étain et de l’ambre, qu’avait raillés autrefois Hérodote[236]. Au temps de Polybe, lorsque les guerres, les misères, les petitesses et les passions de la conquête romaine détournèrent le monde méditerranéen des routes lointaines, des ambitions commerciales et des vastes entreprises scientifiques, lorsqu’il se replia sur lui-même pour obéir à ses nouveaux maîtres, ce fut un lieu commun que de traiter Pythéas le Marseillais de simple imposteur, le plus menteur des hommes[237] ; et les Marseillais eux-mêmes, comme s’ils redoutaient les entreprises de Rome sur les terres de l’étain et de l’ambre, désavouèrent leur grand homme, et déclarèrent un jour à Scipion qu’ils ne savaient ce que Pythéas avait voulu dire[238]. En réalité, il n’avait menti, il ne s’était trompé sur aucun point[239]. Le malheur, pour lui, fut que personne, dans le monde grec, ne se sentit capable de refaire son voyage. Sur ces rivages lointains de l’Atlantique, Marseille ne pouvait rien à elle seule. Les autres Hellènes étaient trop affairés dans leurs stupides discordes pour s’occuper de périlleuses aventures ; Carthage, en fin de compte, écarta Syracuse ; l’Empire macédonien s’était démembré après la mort du fondateur : l’activité humaine s’absorba partout en jalousies de frontières. Il avait manqué à Pythéas, pour doter l’hellénisme d’un nouvel empire, d’être compris par un Alexandre ou un Agathocle[240]. VII. — DES HABITUDES INTELLECTUELLES. Cet afflux de choses et de nouvelles venues des mers et des terres ignorées, son voisinage de l’inconnu, faisaient de Marseille un laboratoire scientifique de premier ordre. Les voyages et les écrits de Pythéas procurèrent à l’astronomie, à la cosmographie, à la géographie quelques-unes de leurs notions fondamentales. Dans ce monde merveilleux que fut l’hellénisme au quatrième siècle, Marseille avait su à son tour devenir originale. Elle prenait le rôle qui lui convenait le mieux ; perdue à la lisière de la Barbarie, elle devait laisser à d’autres le soin de donner à la patrie commune des artistes et des penseurs, des interprètes de l’idéal et de la raison grecques ; la vie, dans cette cité de combats et de marchandises, n’était point propre à la rêverie et à la discussion : c’était un milieu pratique ; mais il s’y développait ces habitudes de précision, ces goûts d’observation, qui sont les causes de tout progrès dans les sciences de la nature et de l’univers. Marseille apportait au patrimoine de l’esprit hellénique les biens qu’on pouvait attendre d’elle : de très bons géographes, des traités d’océanographie, des techniciens de la poliorcétique et du génie maritime[241]. Mais les recherches scientifiques n’absorbèrent pas tous les efforts intellectuels. Le travail, si positif qu’il y fût, n’excluait pas absolument une pensée supérieure. On savait, è Marseille, lire et expliquer Homère, le livre commun de l’hellénisme, l’ancien testament de la religion méditerranéenne ; des grammairiens de la ville firent une recension de ses œuvres qui, sous le nom de la Massaliotique, apporta au texte du poète quelques corrections excellentes[242]. La colonie de Phocée, comme toute cité ionienne, produisait ou accueillait des sculpteurs, des graveurs de monnaies et peut-être aussi des peintres céramistes : les vases peints qu’on a trouvés dans les cimetières et dans le sous-sol de la ville[243], les figures de ses drachmes et de ses oboles, les statues de divinités ou les figures funéraires qu’a livrées le sol, n’offrent rien qui soit indigne d’une main grecque. La seule remarque que suggèrent ces œuvres, c’est qu’elles paraissent plus anciennes qu’elles ne sont réellement. Les plis des draperies, raides et lourds, l’expression figée et presque béate des visages, les gestes compassés des bras, semblent indiquer que les artistes marseillais sont demeurés très longtemps fidèles aux types et aux traditions d’autrefois[244]. Il n’y a pas de cité hellénique qui nous ait livré moins d’œuvres des temps classiques[245] : on est tenté de croire que les influences de Phidias et de Praxitèle ne s’y firent jamais sentir. Éloignée des écoles où l’art grec se renouvelait, la cité s’attardait dans les styles d’autrefois, comme les provinces reculées d’un empire ne savent pas abandonner les coutumes ancestrales. Les Marseillais passaient, flux yeux des autres Grecs, pour des arriérés : ils avaient pris quelque chose de la rudesse des Barbares[246]. Il leur manquait cette souplesse d’esprit, cette élégance de propos, cette finesse de main qui faisaient le charme des contemporains de Platon et de Démosthène. On rendait d’ailleurs hommage à l’excellence de leurs sentiments helléniques. La langue grecque se parlait très purement[247]. Nulle part il n’est question, passé les temps de Protis et de Gyptis, d’une population de métis gréco-barbares. Il semble bien que les magistrats de Marseille aient veillé au maintien de l’intégrité de la race[248] : peut-être est-ce pour cela qu’ils ont toujours refusé de conquérir sur terre. Ils n’acceptaient, dans les murs de la patrie et de ses colonies, que les divinités qui venaient de la Grèce. Artémis d’Éphèse demeura la grande déesse nationale, son sanctuaire ne quitta pas la hauteur de la Tourette[249], et on y adora toujours les vieilles idoles hiératiques, assises ou multimammes, alors que presque partout la déesse asiatique prenait l’aspect svelte, aimable et juvénile de la Diane chasseresse, sœur d’Apollon. Chaque fois que Marseille fondait une colonie, elle y bâtissait un temple pour l’Éphésienne, image de celui de son Acropole ; on vit la déesse dominer la plaine de la Camargue, les caps des Pyrénées, et ce promontoire de Denia qui menace la plus lointaine Méditerranée[250]. Artémis, au surplus, n’était point toujours seule ; elle eut pour compagnons ou pour parèdres à Marseille même Apollon Delphinien[251], Athéné, Aphrodite[252], peut-être aussi Hermès[253], Poséidon[254], Héraklès[255] et bien d’autres. D’ordinaire encore ces divinités y demeuraient sous des formes surannées : l’Apollon au dauphin était le protecteur attitré des antiques marines de la Grèce ; Athéné apparaissait à Marseille, non pas armée ou victorieuse, mais dans la majesté pacifique d’une idole assise[256]. Les habitudes étaient très lentes à changer dans ce monde fort isolé. On s’étonnait de voir les Marseillais bâtir les maisons à l’ancienne mode, sans tuiles faîtières, recouvertes seulement de terre et de chaume[257]. Ce n’était pas de grossièreté qu’il fallait les accuser, mais de routine. S’ils étaient un peu rudes, c’est parce qu’ils demeuraient tels que leurs ancêtres[258]. Robustes, batailleurs, hardis, faits pour l’action plus que pour le discours, attachés à des figures de dieux laides et démodées[259], ils ressemblaient aux compagnons de Miltiade, et non pas aux rhéteurs qui laissaient mourir Athènes et Corinthe. VIII. — CONSTITUTION ET COUTUMES. Comme sa religion et son art, la constitution de Marseille était archaïque. Les victoires de la démocratie hellénique, au cinquième siècle, ne franchirent pas la mer de Sicile. Toute autorité demeura, chez les Grecs de Gaule, entre les mains des riches familles d’armateurs et de négociants dont les ancêtres avaient fondé la cité. Mais leurs chefs, tout en se gardant des expériences hasardeuses, ne furent ni entêtés ni maladroits. La plèbe devait être nombreuse et prospère dans ce port de commerce et de guerre, oh métèques, trafiquants, ouvriers, aventuriers et vagabonds affluaient naturellement de toutes parts. Ne lui concéder rien, c’était la laisser exiger tout. Quelques mouvements se produisirent dans les classes dépendantes, je suppose à la suite des victoires et des conquêtes, qui leur avaient valu plus de richesses et donné plus d’audace (vers 400 ?). Les maîtres de Marseille écartèrent toute révolution en accordant à quelques-uns des plébéiens une part du pouvoir : les plus dignes de la foule, sans doute les moins pauvres des citoyens et des métèques, furent introduits dans les assemblées de la haute bourgeoisie[260], l’oligarchie devint plus républicaine[261], et les convulsions politiques furent évitées. Et c’est ainsi qu’agissent les gouvernements sages et prudents, insinuait Aristote en citant cet exemple : la constitution de la ville passa pour un modèle. Elle n’en restait pas moins conforme au principe aristocratique. Pas de comices généraux : la multitude n’existait pas comme corps ; les plébéiens ne jouaient un rôle qu’à titre individuel, lorsqu’on les admettait dans les conseils souverains. L’autorité ne fut jamais dispersée[262]. Elle appartenait à un sénat de six cents membres ou magistrats[263], les Timouques, nommés à vie[264]. Aucun Marseillais ne pouvait être sénateur s’il n’avait des enfants[265] : ce qui assurait la ville contre cette pénurie de citoyens qui fut le principal danger du monde grec. Les Timouques n’étaient point recrutés uniquement parmi les descendants des fondateurs : nul, il est vrai, ne pouvait aspirer à ce titre si celui de citoyen n’existait dans sa maison depuis trois générations[266] : mais cela revenait à dire qu’un arrière-petit-fils de métèque ou de plébéien avait droit d’accès au sénat[267]. C’était le corps délibérant et consultatif de la cité, et, en même temps, sa haute cour de justice. Les Timouques avaient la garde et le soin des mœurs et des lois : ils rayaient les indignes de la liste des citoyens, ils punissaient les fautes des plus riches par des amendes capables de les ruiner[268]. L’exécution des affaires courantes appartenait à une commission de quinze membres, les Quinze Premiers : celle-ci notamment, mais après avis du sénat, négociait et traitait avec l’étranger[269]. De ces Quinze, trois avaient une autorité supérieure, je suppose en matière administrative[270] : l’un des Trois présidait ce conseil restreint, et paraissait être le magistrat souverain de la cité. Mais cette magistrature était évidemment toute nominale[271]. Ce gouvernement de tous par quelques délégués paraissait parfois un régime de servitude[272] : mais de leur part, on ne surprend ni despotisme ni mystère. Le texte des lois et coutumes, importées d’Ionie, était exposé en public[273]. Les Quinze et leurs chefs ne se départirent jamais d’une tradition de sagesse et de justice[274]. Ce qui ne les empêchait pas d’être fort prudents : pour éviter les dangers qui pouvaient venir de la plèbe, on fit défense aux étrangers de passer en armes sous les portes[275] ; on l’occupa sans doute beaucoup aux travaux du port, à la pêche, à la guerre, aux fondations de colonies. On fut toujours à Marseille, disaient les Anciens, très discipliné dans l’obéissance et très sérieux dans le commandement[276]. Les membres de l’aristocratie avaient le noble orgueil de leur dignité. Ils veillaient à ce que le luxe et la corruption ne se glissassent pas dans les mœurs. Ils mettaient une certaine affectation à paraître médiocres, sobres et sévères[277], de façon à écarter des âmes des plébéiens l’envie et la jalousie, causes habituelles de leurs aspirations politiques. Des plus riches Marseillais on citait des traits charmants de droiture, d’amitié et de désintéressement[278]. Des lois somptuaires réglaient les principaux détails de l’existence matérielle : le prix d’un vêtement ou d’un ornement ne devait pas dépasser le chiffre de cinq pièces d’or, ni le montant d’une dot celui de cent[279]. Aux femmes était interdit l’usage du vin[280] ; aux mimes, l’accès de la scène[281]. Il n’y avait que deux cercueils pour transporter les morts, celui des hommes libres et celui des esclaves ; les lamentations de deuil étaient proscrites[282]. D’autres coutumes sauvegardaient la dignité et la moralité publiques : un esclave affranchi quatre fois, même par erreur, demeurait libre[283] ; le suicide était permis à qui prouvait, devant le sénat, qu’il ne pouvait vivre dignement, et c’était l’État qui fournissait le poison[284]. La liste des citoyens était dressée avec les plus grands scrupules : on en effaçait les noms de ceux qui avaient fait des propositions contraires aux lois, ce qui explique que les lois n’y changeaient guère[285]. Marseille avait le respect des vieilles choses et des coutumes surannées[286] : l’épée du bourreau servait, disait-on, depuis la fondation de la ville[287], et bien des usages étaient aussi anciens que l’épée[288]. IX. — LA BELLE ÉPOQUE DU MONNAYAGE MARSEILLAIS[289]. Un des principaux éléments de l’hégémonie de Marseille fut l’excellence de sa monnaie. La cité resta pendant longtemps le seul État monnayeur de l’extrême Occident, ce qui assura à ses agents, sur tous les marchés barbares, les moyens de conclure vite, de troquer en prix connus, et de passer pour bons payeurs. Marseille n’eut de système monétaire propre qu’après l’arrivée des derniers Phocéens[290], mais ils ne s’écartèrent pas, dans leur nouvelle patrie, des règles du monnayage ionien. Ils ne s’appliquèrent qu’à la frappe de l’argent, et surtout des petites et moyennes pièces : les oboles, un peu trop menues et légères, les drachmes, si commodes et si élégantes, ni pesantes, ni fragiles, assez grosses pour recevoir de fines images et des figures complètes de dieux, le type idéal peut-être, par son poids et ses proportions, de toute circulation monétaire[291]. Marseille ne recourut jamais, semble-t-il, aux multiples de la drachme, si répandus dans d’autres colonies grecques de l’Occident[292] : elle demeura plus fidèle que sa sœur Vélia elle-même aux vieilles habitudes de l’Ionie. En cela comme dans le reste, elle montrait un esprit résolument conservateur[293]. Artémis et Apollon étaient les images favorites dont les monnayeurs marquaient leurs produits : l’une et l’autre divinités commandaient Marseille du haut de leur rocher, elles suivaient ses colons, elles étaient chez tous les Barbares l’emblème de la cité hellénique. Artémis, la principale, se réservait surtout les drachmes ; les moindres pièces appartenaient d’ordinaire à Apollon[294]. Cependant, l’Artémis et l’Apollon des monnaies ne demeurèrent pas toujours ceux qui avaient fondé Marseille. Dans les plus anciennes (vers 480 ?), les têtes, grossières- et farouches, doivent figurer les dieux tels qu’ils sont venus d’Asie : Artémis, avec les cheveux tressas et plaqués sur le front[295], Apollon, avec le casque conique orné de la rouelle[296]. Mais plus tard (après 480), Artémis n’est plus la Mère fécondante : elle se transforme en une déesse allègre qui porte la couronne de feuillage ou le diadème, l’arc et le carquois[297], et Apollon n’est, à son tour, que le gracieux souverain de Delphes[298] : Marseille oubliait peu à peu son origine asiatique pour entrer dans la clientèle de cette religion apollinaire qui absorbait ou transformait les plus vieux cultes helléniques. Les artistes qui ont travaillé dans les ateliers monétaires de la ville provençale se sont inspirés des plus ingénieux modèles des écoles de la Grèce propre. C’étaient, on l’a vu, des divinités plus rudes, des idoles plus vieillottes que l’on adorait dans les temples de la colonie phocéenne : mais les monnayeurs furent souvent en Grèce à l’avant-garde du progrès artistique, et les initiateurs de formes nouvelles. Les figures divines qu’ils dessinaient ne devaient pas être, comme les images des temples, l’objet d’un culte et de prières : ils étaient plus libres, en reproduisant les traits des dieux, de les modifier au gré d’un idéal. Ceux qui, au début du quatrième siècle, ont gravé les Artémis et les Apollon marseillais ont fait parfois de petits chefs-d’œuvre. La religion, qui est souvent une forme de la routine sociale, n’immobilisait pas leur pensée et leur style. Ils marquaient les visages de leurs dieux à l’empreinte d’une beauté vivante et humaine. Telle pièce d’Apollon aux cheveux bouclés[299], telle autre d’Artémis aux tresses dénouées et au profil régulier, offrent une délicatesse de burin, une netteté de trait, une sobriété de composition, qui les placent à peine au-dessous des belles statues de l’art contemporain[300]. Encore y a-t-il dans les monnaies une élégance discrète qui manque parfois à la statuaire, toujours un peu déclamatoire. Les autres dieux n’apparaissaient pas alors dans le monnayage marseillais. Seule, l’Athéné casquée et accompagnée de l’aigle revendiquait quelques-unes des petites pièces[301]. Mais la plus significative de ces dernières représente une divinité aux cheveux épars, ornée d’une corne sur le Iront : la corne était le signe de la richesse et de l’abondance, et la légende qui accompagne la figure montre qu’elle était l’image divine du port du Lacydon, source féconde de la grandeur de Marseille[302]. Le droit de toutes les pièces, dans le système marseillais, était réservé aux divinités principales ; le revers appartenait à leurs emblèmes. Ce fut, dans les plus anciennes, le crabe[303], peut-être un attribut primitif de l’Artémis marine ; puis, sur les monnaies d’Apollon, la roue du char solaire[304]. Mais la véritable arme parlante de la monnaie de Marseille était le lion, ce compagnon inséparable de l’antique Mère asiatique, et on le dessina tantôt marchant d’une allure paisible[305], tantôt en arrêt et prêt à la résistance[306] comme s’il était l’image de sa déesse et de sa ville, conquérantes d’abord, et puis fières et sûres de leur force. — Enfin, à côté des deux figures principales, on dispersait des signes qui rappelaient la vie ou les habitudes des dieux : le lézard d’Apollon, son soleil ou la roue de son char, le croissant ou les armes d’Artémis, le caducée de Mercure, le trident de Neptune, des étoiles, des rameaux, des fers de lance, des cornes d’abondance, et, nettement visibles, dominant le champ, les initiales ou le nom de la cité marseillaise[307]. Toutes ces monnaies étaient en argent. Marseille, à l’époque de sa grandeur, ignora la lourde et laide monnaie de bronze, prélude des triomphes de Barbares et de la décadence du monde antique[308]. Elle ne frappa jamais, non plus, de pièces d’or. Peut-être l’or était-il trop rare dans ces régions ; peut-être encore eut-elle scrupule à modifier les habitudes commerciales apportées de l’Ionie. Mais, quand les rois de Macédoine eurent ouvert les mines de Thrace, qu’ils émirent en abondance de beaux statères d’or, et que cette monnaie fût devenue le numéraire courant et le luxe banal du monde méditerranéen, Marseille lui donna libre cours[309], et dès ce temps, la frappe de ses drachmes d’argent paraît devenir moins soignée et plus commune[310]. Les pièces de Marseille avaient cours forcé et privilégié dans toutes ses colonies du nord des Pyrénées : car aucune d’elles, ni celle d’Agde ni celle de Nice, n’eut d’atelier monétaire[311]. Seules, les villes lointaines de Rosas et d’Ampurias frappèrent pour leur compte des pièces d’argent : le lien qui les unissait à la mère-patrie fut relâché de bonne heure ; elles avaient, du côté de l’Èbre et des montagnes, leurs relations propres ; le voisinage des mines d’argent espagnoles faisait affluer chez elles le métal précieux. Elles adoptèrent, pour des motifs qui nous échappent, un système différent de celui de Marseille[312] : leurs pièces étaient plus lourdes que la drachme, et marquées à la tête de Cérès couronnée d’épis ou à la rose épanouie qui symbolisait le nom de Rosas. En revanche, au nord des Pyrénées, les monnaies d’argent de Marseille circulaient abondamment dans le monde gaulois de l’Occident[313]. On les trouvait à Saint-Remy, centre du pays agricole qu’abritent les Alpines[314], à Cavaillon, où les marchands passaient la Durance[315], à Cadenet, sur la route qui remonte la rivière pour gravir le mont Genèvre[316], à Tourves, principal carrefour de la Provence des montagnes, à Valence, où le chemin de l’Isère se détachait de la voie du Rhône[317]. Elles franchissaient les Cévennes et s’arrêtaient souvent dans les rudes forteresses du pays arverne[318] et sur les marchés de la Loire[319]. Par les cols des Alpes elles descendaient dans la Gaule de Lombardie, et par la montée du Brenner elles rejoignirent la Gaule du Danube[320]. Les oboles d’Apollon et les drachmes d’Artémis jalonnaient les sentiers suivis par les négociants de Marseille. Monnaies, trafiquants, explorateurs et marchandises partaient donc sans cesse de Marseille pour sillonner en tout sens l’arrière-pays. Pythéas avait abordé aux extrémités de cette vaste contrée ; ses compatriotes en connaissaient l’étendue et les voies naturelles. On savait que ces routes convergeaient presque toutes vers la mer du Rhône, aux abords de ce delta que la ville grecque occupait très fortement[321]. Au début du troisième siècle, aucune nation rivale ne la gênait en Occident. Rome, au surplus son alliée, luttait péniblement dans la péninsule, et Pyrrhus allait l’y menacer. Carthage, son ennemie, se remettait à peine de la terreur d’Agathocle. Les Ibères avaient des traités avec Marseille ; les Celtes étaient devenus philhellènes. Par la force des choses, la Gaule toute entière était la zone réservée de la colonie phocéenne. A défaut de la conquête par les armes, elle pouvait y espérer l’empire commercial et l’influence morale. Un merveilleux champ s’offrait dans le monde occidental à l’action de l’hellénisme. |
[1] Lenthéric, Les Villes mortes du golfe de Lyon, 1878 ; le même, La Grèce et l’Orient en Provence, 1878 ; le même, La Provence maritime ancienne et moderne, 1880 ; Masson, De Massiliensium negotiationibus, 1890 ; Éd. Meyer, Geschichte des Alterthums, III, 1901, p. 670 et suiv. ; Garofalo, Studi Storici, 1904, p. 13 et suiv. ; les ouvrages cités pour le ch. V.
[2] Pour ce paragraphe et le suivant : Adelung, Ælteste Geschichte der Deutschen, Leipzig, 1806, p. 40-43 ; Meltzer, I, 1879, p. 163 et suiv., p. 246-8, p. 483 et suiv. ; Mair, Der kartagische Admiral Hmilko, Pola, 1899.
[3] Chap. VIII.
[4] Cf. Vidal de La Blache, Tableau, p. 21.
[5] Cf. Aristote, Politique, III, 5(9), 10, et le traité de 309 ; Busolt, II, p. 734.
[6] Règnes de Servius Tullius et de Tarquin le Superbe.
[7] Diodore, V, 13, 4 ; XI, 88, 3.
[8] Diodore, XI, 88, 3 ; V, 13, 1-2 ; Virgile, Én., X, 174.
[9] Polybe, III, 22 ; Justin, XVIII, 7 et XIX, 1.
[10] Avienus, 114-5.
[11] Geogr. Gr. min., Didot (Müller), I, p. XVIII et suiv., p. 1 et suiv.
[12] Ad extera Europæ noscenda missus, Pline, II, 169.
[13] Les deux voyages sont contemporains (Pline, II, 169) ; ils se placent Punicis, rebus florentissimis (V, 8 ; II, 169), par conséquent avant 480 ; de plus, ils sont antérieurs à Hérodote, qui a dû les utiliser (Meltzer, I, p. 231). C’est le temps de Magon, que les Anciens ont toujours regardé comme l’apogée de Carthage (Justin, XVIII, 7, 19 ; XIX, 1, 1). — Sieglin (Verhandlungen des VII. internationalen Geographen-Kongresses de Berlin, 1899, p. 852) donne la date de 465. — Je ne suis pas sûr qu’Hannon et Himilcon soient les fils d’Hamilcar tué en 480 (Justin, XIX, 21).
[14] Didot, Geogr. Gr. min., I, p. XXII et suiv., pour le Périple d’Hannon. C’est par une traduction ou une adaptation grecque, déjà, j’imagine, travestie et écourtée par quelque géographe, qu’Avienus a connu celui d’Himilcon, bien qu’il dise l’avoir tiré ab imis Punicorum annalibus (414).
[15] Avienus, en décrivant les côtes de toute l’Europe, a repris le Périple d’Himilcon dans le sens contraire au voyage d’aller ; mais il l’a fait si maladroitement qu’il a par endroits (le long de la côte cantabrique, 158-173) conservé la direction ouest-est de l’aller ; contra, Müllenhoff, I, p. 99 et suiv. Sur cet itinéraire de la côte espagnole, cf. Bulletin Hispanique, 1903, p. 225.
[16] Sur la côte sud, Avienus, 215, 226-7, 241. Sur la côte occidentale de la Galice, Veneris jugum (158). Sur la côte cantabrique, insula Saturno sacra, couverte d’herbes, et qui tremble dès qu’un navigateur s’en approche (164-171), peut-être l’île Sainte-Claire près de Saint-Sébastien. Je crois fermement qu’il s’agit, non de sanctuaires phéniciens, mais de sanctuaires indigènes.
[17] Cinq jusqu’au cap Ortégal (qui, plutôt que le Finistère, est le prominens Aryium, 100-164), deux de là au cap du Figuier (prominens Ophiussæ, 171-173). Ortégal et le Figuier ont été de tout temps les caps essentiels notés par les navigateurs dans ces parages ; cf. Le grand Routier de Garcie, éd. de 1607 ou 1613, p. 31 et 55 ; Instructions nautiques, n° 867, p. 45, 203.
[18] Avienus, 174-177, 146-148.
[19] Avienus, 146-151, 174-177. La mesure qu’en donne Avienus, sept jours de marche, peut cependant ne pas provenir d’Himilcon.
[20] Avienus, 116-119.
[21] Avienus, 387-389.
[22] Avienus, 127-129 ; 410-411.
[23] Avienus, 122-126 ; 403-9 : d’où la croyance que la mer était sans profondeur.
[24] Avienus, 120-121 ; 385-386. C’est peut-être de ce récit que vient en dernière analyse le texte de Pausanias, I, 4, 1.
[25] La description de la mer ténébreuse, mer morte du large est un des thèmes favoris des navigateurs d’autrefois ; cf. Müllenhoff, I, p. 410 et suiv. ; Fécamp, Le Poème de Gudrun, 1892, p. 159 et suiv.
[26] De même Hannon, cf. éd. Didot, p. XXII.
[27] Les Anciens en ont eu certainement connaissance, et d’ailleurs la mer s’est étendue assez près de l’Europe ; cf. Gaffarel, La Mer des Sargasses, dans le Bulletin de la Société de Géographie, 1872, II, p. 600 et s.
[28] Il est du reste difficile que les vents l’aient rejeté vers l’ouest, du fond du golfe de Gascogne, les vents d’est étant, dans ces parages, médiocres et exceptionnels.
[29] Avienus, 90-93 : cap Saint-Mathieu ; Ps.-Scymnus, 188 et suiv. ; cf. Bérard, I, p. 247. C’est sans doute à son voyage que remonte le nom d’Œstrymnin prominens que lui donne Avienus (91), ainsi que les noms d’insulæ Œstrymnides (96 et 113), sinus Œtrymninus (95), donnés aux Iles Sorlingues et à la Manche, noms qui sont tous la transformation à la grecque d’un nom comme Ostimii, la peuplade du Finistère. — Le passage en Armorique d’Himilcon et de Pythéas donne lieu à la question suivante : lequel des deux a nommé les Vénètes du Morbihan ? car je suis à peu près convaincu qu’ils ont été connus soit d’Éphore, antérieur à Pythéas, soit de Timée, qui lui est postérieur (Pseudo-Scymnus, 188-94).
[30] Pline, XXXIV, 156 ; Avienus, 96-107. Ces îles sont les Cassitérides d’Hérodote (III, 115) et les Œstrymnides d’Avienus. Si Avienus dit que l’étain venait de là, c’est parce que les Anciens ont presque toujours confondu pays de production et pays d’expédition. Tout cela a été bien vu par Sonny, p. 25. — L’étain destiné à la Gaule était de même reçu dans l’Ile de Wight, hors de l’Angleterre même (Diodore, V, 22, 2-4 ; Pline, IV, 104).
[31] Avienus, 94-112. Il serait possible qu’insula fût ici une addition d’Avienus.
[32] Avienus, 129-143 : remarquez que s’il s’agit là du pays de l’ambre, ce dernier nom n’est pas prononcé.
[33] Par Himilcon ?, Hérodote, III, 115 ; Aristote, Météorologiques, I, 13, 20.
[34] Mair le fait aller aussi loin que Pythéas et en Baltique même.
[35] Avienus, 113-116.
[36] Hérodote, VII, 103, à la bataille d’Himère : il n’y a pas de Celtes dans l’armée punique, ce qui s’explique parce qu’ils n’avaient encore atteint ni les Alpes ni la mer. Diodore (XI, 1, 5, d’après Éphore) a adapté les renseignements fournis par Hérodote à la géographie de son temps en écrivant έκ τής Γαλατίας.
[37] Justin, XLIII, 5, 2.
[38] Faut-il aller plus loin et croire, soit que Marseille ait été occupée par les Puniques de 535 à 480 (Castanier, II, p. 99 et suiv., p. 250 et suiv.), soit qu’elle ait reçu en ce temps-là une colonie de métèques carthaginois, ou que tout au moins Carthage ait eu un droit de pêche dans les parages des îles Pomègue et Ratonneau ? Aucun des arguments allégués n’est décisif. 1° Le nom de Phœnice donné à l’une de ces deux îles (Pline, III, 79) ne saurait prouver que les Phéniciens y aient eu une station : il peut signifier simplement l’Ile de la pourpre ou l’Ile rouge ; au surplus, il semble que Phœnice soit, non pas une île en face de Marseille, mais un des noms d’une des îles d’Hyères ; 2° l’inscription (du VIe siècle au plus tôt, mais peut-être de beaucoup postérieure) du tarif d’un temple punique, trouvée à Marseille en mars 1845 près de la Major (Corp. Inscr. Semit., I, I, n° 185, p. 218-238), a été certainement gravée à Carthage, comme l’indique la nature de la pierre, et il parait étrange que les Puniques aient préparé à Carthage, par leurs suffètes, le règlement de leur temple marseillais. Cette inscription est simplement une de ces importations lapidaires d’Afrique ou d’Orient (Carthage et Alexandrie) comme le sol et les collections de Marseille en offrent tant d’exemples. S’il y avait eu un temple de Baal sur la Major, c’est que la colline aurait été enlevée à Artémis et aux dieux grecs, c’est que Marseille aurait été réellement cité punique : mais un fait de ce genre, Thucydide ou Trogue-Pompée, si bien renseignés sur Marseille, ne nous l’auraient point caché. Et puis, comment s’expliquer, après cela, une si complète revanche de la colonie grecque ? — Au surplus, il n’est pas niable que l’état de guerre n’a pas été continu entre Marseille et Carthage, et qu’il a pu y avoir des Carthaginois en séjour ou de passage dans la ville grecque ; cf., à ce sujet, Barth, Rheinisches Museum, VII, 1850, p. 83-89.
[39] Justin, XLIII, 5, 1 : Magna illis cum Liguribus, magna cum Gallis fuere bella.
[40] Lucain, III, 399 et suiv. C’est à cela sans doute que fait allusion Silius Italicus (XV, 170) : Barbarus immani cum territet accola ritu.
[41] Cela a été bien observé par les Anciens : Tite-Live, XXXVII, 54, 21-22 ; XXXVIII, 17, 12 ; Cicéron, Pro Flacco, 26, 63 ; Silius, XV, 169 : Populis hæc ciscta superbis.
[42] Tite-Live, XXXVII, 54,21.
[43] Massilia inter Gallos sita traxit aliquantam ab accolis animorum, Tite-Live, XXXVIII, 17, 12.
[44] Disciplina erat custos infirmitatis, dit Tite-Live des Grecs d’Ampurias, XXXIV, 9, 4.
[45] Cf. Busolt, II, p. 804.
[46] Rien ne prouve du reste qu’ils se soient entraidés dans les deux batailles.
[47] L’espace de temps qui encadre ces guerres résulte du récit de Justin, qui les arrête à la prise de Rome par les Gaulois (XLIII, 5).
[48] Justin, XLIII, 5, 2.
[49] Justin, XLIII, 5, 3.
[50] Outre Justin, Pausanias, X, 8, 6 (se rapporte à ces campagnes et non à celles de Phocée) ; X, 18, 7 (il n’est ici question que d’un seul combat).
[51] Justin, XLIII, 5, 2.
[52] Ce n’est qu’ainsi qu’on peut interpréter Tite-Live, racontant que les Celtes aidèrent les Phocéens à fonder Marseille (V, 34, 8). — Selon Tite-Live, les Celtes auraient persuadé aux Marseillais de se tortiller (à la manière gauloise) patentibus silvis : l’origine de ce détail est peut-être un rapprochement artificiel entre les mots silva et Saluvii. Il est d’ailleurs possible qu’on ait laissé croître des bois pour servir de limite entre le territoire marseillais et le pays salyen (le bois de Lucain ?, III, 399 et s.). Valois corrigeait en patientibus Saluis, Notitia, p. 318.
[53] Justin, XLIII, 3, 3 : ce que signifie peut-être prope ab initia conditæ urbis.
[54] Cela résulte de la fondation de cette colonie, et du fait que Marseille, dit Strabon (IV, I, 3), vainquit sur mer plusieurs rivaux, τούς άμφισβητοΰντας τής θαλάττης άδίκως.
[55] Diodore, XI, 88, 5. Je suis de plus en plus convaincu qu’il y a eu, outre les rapports commerciaux, entente formelle entre Marseille et Syracuse.
[56] Justin fait peut-être allusion à une paix imposée aux Étrusques avec l’appui de Rome et au profit des deux villes (XLIII, 5, 4 ; de même Strabon, IV, 1, 5).
[57] Strabon, IV, 1, 5.
[58] Justin, XLIII, 5, 3 et 4.
[59] La date résulte de Justin, XLIII, 5, 8.
[60] Catumandus dans deux classes de manuscrits : le nom, quelle que soit son orthographe, est bien celtique.
[61] On a constaté, du reste, que les Gaulois se sont presque toujours vus impuissants dans les attaques de places-fortes.
[62] Justin semble dire que c’était Minerve (in arcem Minervæ, XLIII, 5, 6) ; mais je crois qu’il s’agit, dans ce cas précis, d’Artémis : il y avait à Marseille une arx ou ville haute d’Artémis et non pas d’Athéné, et le geste de commandement, qui était celui de la déesse vue par le Gaulois, rappelle celui d’Artémis apparaissant i Aristarché et lui donnant un ordre (Strabon, IV, 1, 4) : ce qui suppose la même image de déesse, debout et ordonnant.
[63] In perpetuum amicitiam cum Massiliensibus junxit, Justin, XLIII, 5, 7. Je crois bien qu’il y eut, vers ce temps-1&, accroissement du territoire des Marseillais dans la plaine de la basse Huveaune, au moins jusque vers La Penne, ίσχυσαν προσλαβεΐν τινα τών πέριξ πεδίων (Strabon, IV, 1, 5), et qu’après entente avec les Celtoligures, on a pris quelque forêt pour limite.
[64] Il a bien pu y avoir véritablement siège et bataille (magna cum Gallis fuere bella, XLIII, 5, 1 ; aussi Strabon, IV, 1, 5).
[65] Il ne serait pas impossible que cette alliance avec Catumarandus ne fît qu’un avec celle prétendue avec Bellovèse : en tout cas, ces deux traditions montrent l’incontestable prestige dont jouit Marseille auprès des Celtes et des Celtoligures : elles sont la traduction, sous forme mythique, de leur philhellénisme.
[66] Pausanias, X, 18, 7.
[67] Pausanias, X, 8, 8 ; cf. Frazer, V, p. 251 : peut-être au contraire est-ce la présence de cette statue έν τώ προναω Άθηνάς Προνοίας (le vrai nom en ce temps-là était encore, je crois, Προναία), qui a motivé, par suite de quelque confusion, l’histoire du roi gaulois contemplant à Marseille simulacrum Minervæ in porticibus (Justin, XLIII, 5, 8).
[68] Diodore, XIV, 93, 5.
[69] Pausanias, X, 18, 7 ; 8, 6.
[70] Héraclide de Pont apud Plutarque, Camille, 22. Il est possible que cette rumeur et que la connaissance qu’eut alors la Grèce du sac de Rome (le même et Aristote, ibid.) résultent de ce voyage des Marseillais à Rome et de leur entente avec la ville latine.
[71] Cf. Busolt, II, p. 805.
[72] Diodore, XIV, 93, 5.
[73] Immunitas. Tout cela d’après Justin, XLIII, 5, 8-10.
[74] Strabon suppose que celte statue, qui était en bois, a été érigée par les Romains (IV, 1, 5), et il semble qu’on l’ait rattachée, non pas à la présence d’une colonie marseillaise, mais à la fondation du culte de la Diane latine sur l’Aventin par Servius Tullius (T.-L., I, 45, 2). Il est fort possible que ce ξόανον date d’avant 300, peut-être des temps phocéens, mais il ne peut pas ne pas être d’origine gréco-marseillaise, la marque d’une alliance entre les deux cités et la preuve d’un séjour de Marseillais à Rome. Cf., dans des sens divers : Klausen, Æncas und die Penaten, 1840, p. 617 et s. ; Mommsen, Rœm. Gesch., I, p. 237 ; Merlin, L’Aventin, 1906, P. 223 et s. — Je doute cependant que L. Terentius Massaliota, édile en 200, fût un descendant de colons marseillais (T.-L., XXXI, 50, 3). De même, j’hésite à accepter la liste des choses dont, au dire de Weise (Rhein. Mus., XXXVIII, 1883, p. 356), les Romains devraient la connaissance aux Phocéens, le mulet, la myrrhe, le buis.
[75] Strabon, IV, 1, 5 ; id., 9.
[76] La plupart de ces colonies paraissent avoir été citées par Scylax (§ 2-4), qui écrit vers 330, et par son contemporain Éphore (par ce dernier, en partie, le soi-disant Scymnus de Chio, 147, 202-216) ; aucune ville au contraire n’est nettement appelée fondation ou colonie marseillaise dans le Périple d’Avienus.
[77] Je ne puis suivre l’opinion de Merlin (p. 223), qui voit un entrepôt de Marseille dans l’îlot de Giannutri près du mont Argentario (Dianium, Pline, III, 81), ni celle de Pais (Storia della Sicilia, I, p. 339), qui place en Italie la Trœzen de Marseille.
[78] Hécatée cite Monaco, Μόνοικος, rien de plus, comme ville ligure (fr. 23) ; voyez ensuite Strabon, IV, 6, 3, cf. 2 (qui n’affirme pas que Marseille ait étendu jusque-là sa domination).
[79] Ét. de Byz , s. v. ; Strabon, IV, 1, 5 et 9 ; Méla, II, 76.
[80] Strabon, IV, 1, 5 et 9 ; Ps.-Scymnus, 216 ; Méla, II, 76.
[81] Appelée ville : Ps.-Scymnus, 216 ; Strabon, IV, 1, 5 et 9 ; Ptolémée, II, 10, 5. Pline, qui ne la cite pas, mentionne à sa place Athenopolis (III, 35) : quoique Méla (II, 77) distingue les deux noms (Athénopolis entre Fréjus et Olbia), je crois qu’il s’agit de la même ville. Le όρος Όλβιανόν qui l’avoisinait (Ét. de Byz., s. v.) est le mont des Oiseaux. Bien que ce nom et les deux suivants aient une apparence hellénique, il serait possible que ce fussent des noms d’origine étrangère arrangés à la grecque.
[82] Ps.-Scymnus, 215 ; Ét. de Byz., s. v. (Apollodore et peut-être aussi Artémidore) ; Strabon, IV, 1, 5 et 9 (πόλις... Ταυρέντιον ou Ταυροέντιον) ; Ptolémée, II, 10, 5 (id.) ; Méla, II, 77 (Tauroin acc. ; ms. Laurion) ; César, De b. c., II, 4 : Castellum... Tauroenta acc. ; Itinér. marit., p. 248, P. = 508, W. : Taurento abl. Apollodore (ap. Ét. de Byz.) disait que le nom de cette ville venait du nom et de l’emblème du navire qui porta les fondateurs. Ce n’est pas non plus impossible.
[83] Méla, II, 77 ; Pline, III, 35 ; Itin. marit., l. c. ; Vie de saint Césaire (Acta sanctorum, août, VI, p. 79).
[84] C’est le meilleur port de cette région, et les rochers qui le bordent se prêtent fort bien à la construction de redoutes ; cf. Brun, Histoire de Saint-Nazaire [Sanary], Marseille, 1883, p. 11-12. Je ne puis partager l’opinion, courante depuis Marin, qui place Tauroentum aux ruines voisines de Saint-Cyr, au fond du golfe de La Ciotat (Marin, Mémoire sur l’ancienne ville de Tauroentum, Avignon, 1782 ; Statistique, II, p. 226 ; Giraud, Mém. prés. par div. sav. à l’Acad. des Inscr., IIe s., III, 1854 ; etc.) : il n’y a point là de port naturel, et ces ruines sont romaines. Sanary a encore l’avantage d’être à la sortie des gorges d’Ollioules, importante voie de pénétration à l’intérieur de la Provence. On y rencontre des vestiges antiques, des monnaies marseillaises ; Vidal, Bull. de l’Acad. du Var, n. s., XX, 1897, p. 114-6.
[85] C’est τό άκρον Κιταριστός de Ptolémée (II, 10, 5 et 9, quoiqu’on puisse, pour ce cap, songer avec autant de vraisemblance au cap Sicié), ou le promonturium Zao de Pline (III, 35). Il n’y a pas de doute sur l’emplacement de Citharista : la bourgade dont La Ciotat est le port formait encore, en 417, parochia Cytharista (Albanès, Gall. Christ. nov., Arles, c. 21) ; c’est aujourd’hui Ceyreste.
[86] Strabon, IV, 1, 10 ; Itinéraire maritime, p. 246 et suiv. (Parthey et Pinder) Avisio, Anao, Olivula, qu’il faut chercher aux abords d’Éza, de Beaulieu et de Villefranche : le port des Oxybiens, le port ou cros de Cagnes ? (Polybe, XXXIII, 7) ; Heraclia Caccabaria (la ville du Chaudron), à Saint-Tropez ? ; [portos ou plagia] Alconis, soit à l’admirable plage de Cavalaire, soit au Lavandou, port de pêcheurs très abrité ; Carsici, à Bandol ; portus Æmines à Cassis (à moins que l’Itinéraire n’ait interverti les noms de ces deux dernières stations). — Identifications très différentes pour toutes ces villes dans la Statistique des Bouches-du-Rhône, II, p. 224 et s. (Toulouzan), chez Desjardins, I, p. 175 et suiv., chez Germondy, dans le Bull. de la Soc. des Sc. du Var, XXVII, 1859, p. 371 et s., etc.
[87] Sanary (Tauroentum) était un débouché terrestre plus avantageux que Toulon.
[88] Strabon, IV, 1, 10 ; Pline, III, 79 (qui donne les noms grecs des trois grandes îles : Prote, Mese, Hypæa ; les trois noms qu’il ajoute, Sturium, Phœnice, Phila, sont, je crois, d’autres noms de ces îles plutôt que ceux des îlots voisins de Marseille) ; XXXII, 21 ; Ptolémée, II, 10, 9 ; Agathémère, 20 (Geogr. Gr. min., II, p. 482) ; Ét. de Byzance ; Apollonius, IV, 553 et 650. — Ne pas oublier que les îles alignées devant Marseille se sont également appelées Stéchades (Mélo, II, 124 ; Agathémère, ibid. ; Lucain, III, 516 ; Dioscoride, III, 28[23], Wellmann).
[89] Ps.-Scymnus, 208-9 (d’après Éphore ou Timée ?) : ‘Ροδανουσίαν τε, 'Ροδανός ήν μέγας ποταμός παραρρεΐ ; c’est peut-être la ‘Ρόην des mss. de Strabon (IV, 1, 5) ; Étienne de Byzance, s. v. ; cf. Ausone, Moselle, 481.
[90] Strabon, IV, 1, 8.
[91] Saint-Gilles (s’il est l’Heracleam oppidum in ostio Rhodani de Pline, III, 33 ; cf. Étienne de Byzance, Ήράκλεια) doit avoir été occupé de cette manière.
[92] Strabon, IV, 1, 8.
[93] Strabon, IV, 1, 8 : il n’y a pas d’autre endroit habitable sur ce rivage.
[94] Ports indigènes sur cette côte : sans doute Les Martigues, Mastrabala ou Mastramela sur l’étant de Berre, qui porta son nom ; sans doute le port de Miramas, plus tard Maritima, sur le même étang : Avienus, 701, Holder ; Artémidore ap. Ét. de Byzance ; Méla, II, 78 ; Pline, Hist. nat., III, 34 ; Ptolémée, II, 10, 5.
[95] Ps.-Stadiasme de Timosthène chez Étienne de Byzance, s. v. (Άγαθή Τύχη) ; Philon, ibid. ; Ps.-Scymnus (Timée ?), 208 ; Strabon, IV, 1, 5 ; Pline, III, 33 ; Vibius, p. 147, Riese. Ce qui ajoute à l’importance d’Agde, c’est que par le cours de l’Hérault descendait une des principales routes du massif Central, par Rodez, Millau et le marché de Lodève. A côté se trouvait peut-être la bourgade barbare qu’Avienus appelle, sans doute d’un nom indigène habillé à la grecque, Polygium (613).
[96] Cf. Garofalo, Boletin de la real Academia de la Historia, XXXV, 1899, p. 177 et suiv. (sur les fondations espagnoles de Marseille).
[97] Les établissements marseillais correspondent au rivage des Indigètes, gens dura, ferox venatibus, lustris inhærens (Avienus, 324-3).
[98] Emporia, Έμπόριον, était certainement une colonie marseillaise (Ps.-Scymnus, 202-4 ; Scylax, § 2 ; Strabon, III, 4, 8 ; Ét. de Byz.), quoique Tite-Live (ou Caton) l’attribuât aux Phocéens. De même Rosas (‘Ρόδη), quoique Timée (Ps.-Scymnus, 203-6 ; cf. Strabon, III, 4, 8) la déclarât (avec ses incurables habitudes d’étymologiste) d’origine rhodienne (un peu plus haut, 202-4, Scymnus la fait bien marseillaise) : elle passa plus tard pour une fondation d’Ampurias (Strabon, III, 4, 8) ; le nom est indigène mais arrangé à la grecque. Culte de Diane d’Éphèse dans ces deux villes, Strabon, III, 4, 8. Sur Ampurias, entre autres, Botet y Sisô, Noticia... de Emporion, Madrid, 1879 (avec plans) ; Schulten, Ampurias, 1907.
[99] Strabon, III, 4, 6, qui ne nomme qu’Hemeroskopion, prés de Denia. Sur ce point encore, les Marseillais s’établirent aussi sur le rivage d’une peuplade barbare, les Gymnètes, marche à demi sauvage entre les Tartessiens et les Ibères (Avienus, 464 ; Th. Reinach, Revue des Ét. grecques, XI, 1898, p. 47) : il a dû y avoir à Héméroscopium, côte à côte, un comptoir marseillais et une ville ibérique (Hübner, Mon. ling. Iber., n° 99, et ap. Wissowa, V, c. 340).
[100] Si l’on admet que le Ps.-Scymnus n’a pas confondu Marseillais et Phocéens en faisant de Mainaké Μασσαλιωτεκή πόλις (146-7). Cf. Strabon, III, 4, 2 ; Ét. de Byz., s. v. Μάκη.
[101] En même temps sans doute qu’elle traita avec Rome (second traité, 348) : elle se réservait dans ce traité (Polybe, III, 24) Μαστία Ταρσήιον, c’est-à-dire les pays de Tartessus et de Massiéna, qui finissaient vers Alicante (Avienus, 463 et 473).
[102] L’existence en est formellement attestée pour la plupart ; Polybe, XXXIII, 1, 3.
[103] Cf. Tite-Live, XXXIV, 9, 4-9.
[104] Justin, XLIII, 5, 1.
[105] Avienus, 523-5, confirmé par Tite-Live, XXXIV, 9, 9 : Hispani imprudentes maris.
[106] Polybe, XXXIII, 7 ; Strabon, IV, 1, 10 ; Méla et autres.
[107] Outre Ampurias (note suivante), cf. : Ceyreste, qui est la bourgade barbare de la hauteur, et La Ciotat, qui est son port et la Citharista grecque ; Denia, qui est la ville ibérique, et Héméroscopium ; Rhodanusia et Arles ; peut-être Olbia et Athénopolis ; Agde et Polygium ? ; Marseille même. Aussi serait-il possible qu’Antipolis signifiât la ville grecque en face d’une bourgade ligure.
[108] Tite-Live, XXXIV, 9 (d’après Caton) ; Strabon, III, 4, 8.
[109] Justin, XLIII, 5, 3 et 7.
[110] Tite-Live, XXI, 26, 5 ; Polybe, III, 41, 9. César, De Bello civili, I, 34, 4 ; 56, 2 ; 57, 3 ; 38, 4 ; II, 2, 6 ; 6, 3 : les Albici dont parle César sont les montagnards du pays de Riez, in eorum fide antiquitus.
[111] Tite-Live, XXVII, 36, 3.
[112] Strabon, IV, 1, 5.
[113] Cf. C. I. L., XII, 594-818 (Garguier et environs) ; 5762 (Ceyreste).
[114] Τροιζήν έν Μασσαλία (Étienne de Byzance d’après Charax), attribution incertaine.
[115] Étienne de Byzance (Artémidore), s. v. : Καβελλιών, πόλις Μασσαλίας.
[116] Étienne de Byzance (Artémidore ?), s. v. : Αύενιών, πόλις Μασσαλίας. — Étienne de Byzance appelle ville marseillaise tous les points où Marseille avait des intérêts commerciaux. Autres, indéterminés, arrivés surtout par Artémidore et Herennius Philon : Άζανία, Άλωνίς (en Espagne ?, ou Alconis ?), Κυρήνη (en Espagne ?), Μαιναλία ?, Σηκόανος (le fleuve de l’Arc ?). Mais ces textes d’Étienne valent si peu de chose ! cf. Wilsdorf, p. 9-12.
[117] Strabon, IV, 1, 5.
[118] Cf. disciplina à Ampurias (Tite-Live, XXXIV, 9, 4). Justin, XLIII, 4, 11 et 12 ; Tite-Live, XXXVII, 54, 21 ; Strabon, IV, 1, 5.
[119] Strabon, IV, 1, 5.
[120] Strabon, IV, 1, 5 ; XII, 8, 11 : XIV, 2, 3 : Strabon ne peut comparer Marseille, à ce point de vue, qu’à Rhodes, Cyzique et Carthage.
[121] Strabon, IV, 1, 5.
[122] César, De b. c., II, 8-16 ; Lucain, III, 453-508 ; Vitruve, X, 16, 11.
[123] En outre des ouvrages généraux sur Marseille : Quiqueran de Beaujeu, De laudibus Provinciæ, éd. de 1331 ; Masson, surtout ch. 3. Voyez aussi t. II, ch. VIII, § 19
[124] Justin, XLIII, 3, 2.
[125] De mirab. auscult. (Timée), 89.
[126] Strabon, VI, 1, 8 ; peut-être De mirab. auscult. (Timée), 89.
[127] Étang de Salses : Polybe, XXXIV, 10 (cf. Strabon, IV, 1, 6) ; Méla, II, 83 ; sur l’étang de Lattes (Latera) ou de Pérols, sans doute aussi sur l’étang de Mauguio : Pline, IX, 29-32, 59.
[128] Sans doute dans le golfe du Var ; cf. Martial, XIII, 103 ; Élien, Hist. anim., XIII, 16 ; on les péchait à l’aide d’énormes hameçons de fer, άγκιστρον ; l’usage des madragues ou des vastes enceintes de filets était connu, quoique non attesté pour la Gaule : les spartes de l’Ampourdan pouvaient servir à les fabriquer. Cf. Quiqueran de Beaujeu, p. 39 ; Noël, Hist. gén. des pêches, I, 1815, p. 57 et s. ; Bérard, II, p. 226 et suiv.
[129] Martial, XIII, 103.
[130] Pline, XXXII, 21. Cf. Quiqueran de Beaujeu, p. 57-51 ; Reinach, Revue celtique, 1899, XX, p. 121.
[131] Not. dign., Occ., XI, 72 et 73. Le murex est commun sur ces rivages. Cf. Lambert, Histoire de Toulon, p. 11-4 (Acad. du Var, n. s., XII, 1884).
[132] Emprunts sur cargaison faits à Syracuse, et envoi des fonds à Marseille, Démosthène, Orat., 32, in Zenothemin, p. 883. Autres rapports avec la Sicile, Athénée, V, 40 (car Hiéron a dû prendre Marseille pour intermédiaire).
[133] Des Marseillais ont été hôtes publics ou proxènes de Delphes : liste chronologique, année 196, Dittenberger, 198 = 2e éd., 268, I, 1 ; liste géographique, Bull. de corr. hell., VII, p. 200. Cf. Monceaux, Les Proxénies grecques, 1885, p. 271 et s., p. 245 et s. Épitaphe d’un Marseillais dans la nécropole de Delphes, Perdrizet, Rev. des Universités du Midi, III, 1897, p. 129. Sur les rapports entre Marseille et Delphes, Perdrizet, p. 129 et s.
[134] Décret en faveur de Léon, proxène et bienfaiteur du temple et des Déliens, Th. Reinach, Rev. des Ét. gr., XVII, 1904, p. 202-3.
[135] Affaire greffée sur un prêt à la grosse aventure. Démosthène, Orat., 32 (in Zenothemin) ; cf. Dareste, Plaidoyers civils de Démosthène, tr. fr., I, p. 275 et s. ; et, sur les questions de droit, Beauchet, IV, p. 272 et s.
[136] Dittenberger, 200 = 2e éd., 276.
[137] Voyez à ce point de vue le curieux roman de Parthênius de Nicée, Ήρίππη.
[138] Que cette route ait été connue et suivie, cela résulte de la connaissance que Pline avait de la source du Var, mons Cænia (III, 35).
[139] De mirab. auscult., 85 (Timée) : Όδόν Ήράκλειαν. — La route de l’Arc et de l’Argens, route médiane de la Provence intérieure, ne parait pas ignorée des trafiquants marseillais, et découverte à Tourves d’un énorme trésor de monnaies marseillaises (Rev. num., 1903, p. 164) : Tourves est au carrefour de cette route et de celle de I’Huveaune, laquelle mène à Marseille, et sur laquelle fut trouvé le trésor d’Auriol.
[140] De mirab. auscult., 85.
[141] Έφ'ΐππων, Diodore, V, 38, 5 et 32, 22, 4 ; ταΐς άρμαμάξαις. Strabon, IV, 1, 14. Cf. le trésor d’oboles marseillaises trouvé près de Valence, Rev. num., 1903, p. 87 ; celui de prés de Roussillon, Blanchet, Traité, p. 568. — Ici, t. II, ch. VII, § 2-4.
[142] Strabon, IV, 1, 14, qui compte 800 stades (148 k.) de portage.
[143] Strabon, IV, 1, 14.
[144] Que les Marseillais aient poussé jusqu’aux lacs suisses et au Rhin, cela me parait résulter des notions d’Avienus, d’Aristote et d’Apollonius, des trouvailles de monnaies (Sonny, p. 108-9).
[145] C’est pour cela : 1° qu’ils ne sont jamais allés chercher l’ambre par la circumnavigation de l’atlantique ; 2e qu’ils ont préféré la route de terre pour chercher l’étain ; 3° de même pour aller au fond du golfe de Gascogne.
[146] Φιλόξενοι, dit Diodore, V, 22, 1.
[147] Le transport de la terre ferme à Ille de Wight se faisait par des barques de cuir ; il faut compléter et rectifier Diodore (V, 22, 2 et 3) par Pline (IV, 164) : tous deux d’après Pythéas ou Timée. Comparez le chargement aux îles Sorlingues. Ce que Diodore (V, 22) dit d’un passage à marée basse entre Bretagne et îlots du littoral (κατά γάρ... χερρόνησοι, 2-3) s’applique à la Frise (cf. Méla, III, 55) : c’est une confusion entre le pays de l’étain et le pays de l’ambre, confusion comme en provoqua souvent l’interprétation de Pythéas.
[148] Diodore, V, 22, 4 (Timée) ; V, 38, 5 (par Timée ou Posidonius ; cf. 32, 1) : il semble que l’étain à destination du sud quittât le Rhône vers Arles et suivit ensuite jusqu’à Narbonne. Timée ap. Pline, IV, 104 ; Posidonius ap. Strabon, III, 2, 9. Cf. Reid, The Island of Ictis, Archæologia, 1903, p. 281 et s.
[149] Diodore, V, 22, 4, qui ne parle pas de la navigation fluviale (pas davantage à V, 38, 5) : peut-être, en effet, n’était-elle pas toujours employée. Par mer, un navire très rapide devait mettre une vingtaine de jours pour atteindre l’île de Wight : mais ce ne pouvait être qu’exceptionnel : il y avait donc avantage à prendre la route de terre, la voie d’isthme.
[150] Cf. Strabon, IV, 4, 8 ; 1, 5.
[151] Babelon et Blanchet, Cat. des bronzes ant. de la Bibl. nat., n° 1065, p. 481 = Inscr. Græc. Sic., 2432 : ΣΥΜΒΟΛΟΝ ΠΡΟΣ ΟΥΕΛΑΥΝΙΟΥΣ : il s’agit des Vellavi du Velay, qui détenaient précisément la route principale des Cévennes, celle du col du Pal.
[152] Diodore, V, 28, 3 : Posidonius ap. Athénée, V, 38, p. 152.
[153] Cf. Reinach, Le Corail dans l’industrie celtique, dans la Revue celtique, XX, 1899.
[154] Nous reviendrons sur ces importations, t. II, ch. VIII, § 19.
[155] Athénée, V, 40 ; Théophraste, Des Pierres, 18 et 34 ; Des Plantes, IX, 10, 3 (ό Μασσαλιώτης et non ό Μαλιώτης, correction tout à fait abusive).
[156] Cf. De mirab. auscultat., 87 (Timée ?) ; peut-être Diodore, V, 35, 4 (même source).
[157] Strabon, III, 4, 8.
[158] Strabon, III, 4, 9.
[159] Strabon, III, 4, 9 ; cf. Athénée, V, 40.
[160] Avant Pythéas ; cf. Strabon, III, 2, 11 : leurs mesures étaient assez bien prises pour que Pythéas ait pu reconnaître que la voie la plus rapide pour arriver aux parties septentrionales de l’Espagne était πρός τήν Κελικήν, du côté de la Gaule, et non par l’Océan, κατά τόν Ώκεανόν. Et cela était vrai. De Marseille au cap du Figuier il fallait par eau quinze à seize jours : deux du Rhône à Port-Vendres (Avienus, 699 ; cf. Scylax, § 2) ; sept de là jusqu’aux Colonnes (Avienus, 585 ; Scylax, § 2 ; cf. Polybe ap. Strabon, 11, 4, 4) ; cinq au cap Ortégal (Avienus, 184) ; deux au cap du Figuier (Avienus, 173). Par terre : sept seulement du cap du Figuier à Port-Vendres. Tous ces itinéraires, ces distances, ces vitesses commerciales, furent calculées et comparées dans l’Antiquité, comme elles le sont de nos jours.
[161] Découvertes de monnaies, Blanchet, p. 607-808 ; De mirab. auscultat., (Timée), 85. Les Grecs disaient que le Rhône et le Pô communiquaient par leurs sources et ne formaient qu’un fleuve, et que les Argonautes le suivirent (Apollonius, IV, 627-629) : cela traduisait sans doute le tait que les négociants passaient d’une vallée à l’autre, et que les deux fleuves étaient les tronçons d’une seule route commerciale.
[162] Trésors de Burwein chez les Grisons et de Brentonico dans le pays de Trente, Blanchet, p. 806-603 ; cf. Mommsen, Geschichte des rœm. Münzwesens, p. 397 = trad. de Blacas, II, p. 98 ; Sonny, p. 108-109 ; Mair, Res Ræicæ : der Brenner, Villach, 1892.
[163] Je songe au Périple de la mer Intérieure conservé par Avienus (édit. Holder, 1881 ; fac-similé des pages sur la Gaule de l’édit. princeps, Rev. des Ét. anc., 1906), et qui va de Cadix à Marseille. Il est visible qu’il a dit, sous sa forme première, être rédigé par un Marseillais : c’est à Marseille qu’il se termine. La date de 480-470, que nous lui assignons, a été plus ou moins acceptée par Ukert, Geographie, II, 1, 1821, p. 246 ; Müllenhoff, I, p. 202 ; Sieglin ap. Hirschfeld, 1896. Aquitaine sous les Romains, Revue épigr., III, p. 473 ; Sieglin, Altas antiquus, 29 ; le même (Verhandlungen des VII. internationalen Geographen-Kongresses de Berlin, 1899, p. 856) parle de vers 475 et attribue à Alexandre Polyhistor le remaniement de l’ouvre primitive (thèse qui sera, je crois, développée dans un travail spécial). Cette date résulte : 1° de ce que l’ouvrage mentionne l’abandon des comptoirs phocéens, postérieur à 535 ; 2° la destruction du royaume des Élésyques, encore mentionné par Hécatée vers 500 et Hérodote en 480 (VII, 65) ; 3° de ce qu’il ne parle pas des colonies proprement marseillaises, qui n’ont pu être construites qu’après la restauration de l’hellénisme en 480 : 4° de ce qu’il a été soudé (sans doute dès le Ve ou le IVe siècle) avec le Périple d’Himilcon, qui est de 500 environ. Il serait possible que ce voyage de Cadix à Marseille fût le résultat d’une reconnaissance faite par cette dernière après la défaite de Carthage. — Contre cette date : Unger, Philologus, suppl. IV, 1884, p. 198 ; Atenstædt, De Hecatæi Milesii fragmentis, 1891, p. 45 (Leipziger Studien, XIV) ; Marx, Rhein. Museum, I, 1895, p. 323 et s. ; le même, Encycl. Wissowa, II, c. 2389 ; Sonny, De Mass. rebus, 1887, p. 72 et s. ; tous me paraissent croire trop souvent que les verbes mis au passé l’ont été par Avienus et non par le rédacteur primitif ; il me semble aussi qu’ils ont le tort de ne pas distinguer entre la colonisation phocéenne, que ce dernier connaît, et la colonisation marseillaise, qu’il ignore.
[164] On peut tirer cela : 1° de l’adaptation au périple de Marseille à Cadix des renseignements fournis par Himilcon (cf. n. précédente) ; 2° de la rapidité et de la sûreté des traites maritimes de Pythéas.
[165] Entre autres ; Rudbeck, Altantica, Upsal, I, 1675, p. 501 et s. (de bonnes solutions) ; de Bougainville, Mém. de l’Acad. des Inscr., XIX, 1753, p. 146-165 (lu en 1746) ; d’Anville, id., XXXVII, 1774, p. 436-442 ; Murray, De Pythea Massiliensi, 1775, dans les Novi Commentarii de la Soc. roy. de Gœttingue, VI, IIe p., p. 59-98 ; de Keralio, Mém. de l’Acad. des Inscr., XLV, 1793, p. 26-57 (lu en 1780) ; Gossellin, Géographie des Grecs, 1790, p. 46-50 (un des rares écrivains modernes qui ait pris parti contre Pythéas) ; Azuni dans les Mém. publiés par l’Acad. de Marseille, I, 1803, p. 34 et s., 137 et s. ; Adelung, Ælteste Geschichte der Deutschen, 1806, p. 51-97 (trop oublié) ; Ukert, I, 1, 1816, p. 298-309 ; Arvedson et autres, Pytheæ Massiliensis fragmenta, Upsal, 1824 ; Mannert, I, 3e éd., 1829, p. 64-75 ; Fuhr, De Pythea Massiliensi, Darmstadt, 1834 (bibliographie antérieure complète) ; le même, Pytheas aus Massilia, Darmstadt, 1842 ; Lelewel (et Straszewicz), Pythéas de Marseille, Bruxelles, 1836 ; Sven Nilsson, dans la Zeitschrift für die Alterthumsutissensrhaft, V, 1838, c. 921-931 ; Schmekel, Pytheæ Massiliensis quæ supersunt fragmenta, Mersebourg, 1848 ; Redslob, Thule, Leipzig, 1855 ; Bessell, Ueber Pythcas von Massilien, Gœttingue, 1858 ; Ziegler, Die Rein des Pytheas, Dresde, 1861 ; Aoust, Étude sur Pythéas, Paris, 1866 (Bull. de l’Assoc. scientif., Suppl., 1) ; Christ, Avien (Abhandl. der phil.-phil. Classe der k. bayerichen Ak. der Wiss., Munich, XI, 1868), p. 143 et suiv. ; Müllenhoff, Deutsche Altertumskunde, I, 1870, p. 211 et suiv. (je n’ai pas vu la 2e éd.) ; Vivien de Saint-Martin, Hist. de la Géogr., 1873, p. 101-109 ; Schmitt, Zu Pytheas von Massilia, I, Landau, 1876 : Kolberg dans la Zeitschrift für die Geschichte und Alterthumskunde Ermlands, Braunsberg, VI, 1878 (1877), p. 442-328 ; Bunbury, History of the ancien Géography, I, 1879, p. 590-600 ; Elion, Origins of english history, 1882, ch. 1 et 2 ; Berger, Geschichte der wissenschaftlichen Erdkunde der Griechen, 1893, III (1891), p. 7 et suiv. ; Hergt, Die Nordlandfahrt des Pytheas, Halle, 1893 (très sagace), Markham dans The geographical Journal, I, 1893, p. 504 et s. ; Gerland dans les Beiträge zur Geophysik, II, 1895, p. 183-196 : Mair : 1° Die Fahrten, etc., Villach, 1893 ; 2° Ultima Thule, Villach, 1894 ; 3° Der kartagische Admiral Himilko, Pola, 1899, p. 1 et suiv. ; 4° Pythéas, etc., Marbourg sur la Drave, 1904 ; Parisio dans la Rivista geografica italiana, II, 1895, p. 509, 517, 603-613 ; Sieglin dans les Verhandlungen des VII. internationalen Geographen-Kongresses de Berlin, 1899 (1900), p. 890-864 ; Matthias, Ueber Pytheas, I, Berlin, 1901 ; Kahler, Forschungen zu Pytheas Nordlandsreisen, Halle, 1903 ; Callegari, Pitea di Massilia, 1904 (Rivista di Storia antica, 1903 et suiv.) ; Detlefsen, Die Enldeckung des germanischen Nordens, 1904, p. 2-19 ; Clerc, Euthymène et Pythéas, 1906, extrait des publications de l’Exposition coloniale de Marseille.
[166] Arrien, VII, 1 ; Diodore, XVIII, 4, 4 ; XX, 54, 1.
[167] Cf. n. précédente.
[168] Sieglin (p. 881-2) croit que les explorateurs marseillais avaient surtout des visées scientifiques. Je n’en suis pas convaincu. Qu’ils aient fait beaucoup d’observations, et que leur curiosité les ait menés fort loin, cela ne veut point dire qu’ils ne soient point partis par intérêt commercial. De ce qu’on ait reconnu l’absence, dans le Nord, de débouchés utiles pour le commerce grec, de ce que l’on ait remarqué que les marchés de l’étain et de l’ambre étaient, par terre, plus accessibles aux Marseillais que par mer, cela ne signifie point que Pythéas ne se soit pas préoccupé surtout de marchés et de débouchés.
[169] 18.900 à 22.200 kil. ; Lelewel (p. 43) comptait 188.000 stades pour un trajet à peu près semblable.
[170] C’est dans ce sens qu’il faut interpréter le ίδιωτη άνθρώπω καί πένητι de Polybe (Strabon, II, 4, 2). — Les listes des proxénes de Delphes font connaître, à la date de 198, les Marseillais Κρινάς Πυθία, Πυθίας Κρινά. Il ne serait pas impossible que ce fussent les fils et petits-fils du navigateur.
[171] Strabon, II, 4, 2 (Polybe).
[172] Pythéas a été connu de Dicéarque (Strabon, II, 4, 2) et, semble-t-il, ignoré d’Aristote, mort vers 321 : c’est donc vers ce temps-là que le récit de son voyage s’est répandu en Grèce. On voit bien par là que l’expédition se rattache, dans une certaine mesure, aux entreprises d’Alexandre. Cf. Fuhr, p. 10 ; Schmekel, p. 6 ; Müllenhoff, I, p. 236. — Aristote semble utiliser Euthymène dans ses Météorologiques (I, 13, 21), livre écrit vers 328-326 (cf. édit. Ideler, 1834, p. 466 ; Müllenhoff, I, p. 227 et 235. Les deux voyages d’Euthymène et de Pythéas sont donc contemporains, comme ceux d’Hannon et d’Himilcon.
[173] De 7000 à 9000 stades (Strabon, II, 4, 4) jusqu’au détroit : neuf jours de navigation avec l’échelle de Port-Vendres (Avienus, 563 et 699). Au total dix jours, 10.000 stades, de Marseille à Cadix. Un jour correspond, en moyenne, à 1000 stades (minima, 500 ; maxima, 1300), 185 kil. (cf. Hergt, p. 11-17 ; Sieglin, p. 863). On retrouve des vitesses identiques, sur les mêmes trajets que Pythéas, au temps des vikings.
[174] Cf. Hergt, p. 17.
[175] C’est sans doute l’Aryium prominens d’Avienus (160-2) et le Ίερόν άκρωτήριον dont parlait Pythéas (Ératosthène ap. Strabon, III, 2, 11), à moins que le texte de Pythéas (ce qui est arrivé souvent) n’ait été mal compris. Avienus donne également cinq jours du cap Ortégal au détroit (164).
[176] Clerc (p. 5) suppose un accord et le rattache à la présence de métèques carthaginois à Marseille. Il faut songer aussi aux menaces d’Alexandre et d’Agathocle, et au traité de 348 avec Rome. C’est vers ce temps-là (322-310) que se rompt l’alliance entre Étrusques et Puniques (Mommsen, I, p. 324).
[177] Il est bien possible qu’il ait embarqué des pilotes à Cadix.
[178] Strabon, I, 4, 3 (Ératosthène) : 3 jours et 3000 stades. Le texte a été bien interprété par Hergt, p. 21 et 22. Pythéas a dû arriver par le travers d’Ouessant, Ούξισάμη, comme font toujours les navires qui viennent de La Corogne et du cap Ortégal : les jalons des routes maritimes n’ont pas changé. De même au temps des Vikings (scholies à Adam de Brème. Migne, CXLVI, col. 622) : trois jours et trois nuits de Saint-Mathieu ad Far juxta Sanctum Jacobum.
[179] Béniguet, Triélen, Molène ; Strabon, I, 4, 5.
[180] Promontoire Κάβαιον, I, 4, 5.
[181] Strabon, I, 4, 3 et 5 : IV, 4. 1 ; les mss. donnent Ώστιδέους [Ώσ]τιμίους, Ώστιδαμνίων (Didot, II, p. 945). On trouve ailleurs, avant César, Ώστιαίους, qui serait chez Pythéas (par Artémidore ?) ; ce dernier les nommait Κοσσίνους [corriger en Όσσιμίους ?] ; les deux textes chez Et. de Byz., au mot Ώστίωνες. Le nom semble avoir été noté par Himilcon, qui l’étendit sans doute à l’Armorique, à la Manche et aux îles Sorlingues. Le nom primitif était peut-être Ostidamnii et signifiait Ceux de l’Ouest ou du Couchant ou du Crépuscule ; cf. les Damnonii ou Dumnonii de la Cornouailles : ost- et damn- ou dumn- doivent se rapporter également à une situation occidentale ou extrême.
[182] En admettant que dans le passage de Polybe (Strabon, IV, 2, 1) la mention de Corbilo soit attribuée à Pythéas.
[183] Ταΰτα γάρ πάντα, φησί [Ératosthène d’après Pythéas ou peut-être Pythéas lui-même], προσάρκτιά έστι καί Κελτικά, ούκ Ίβηρικά (μάλλον δέ, ajoute Strabon, Πυθέου πλάσματα), I, 4, 5. Qu’il ait appelé Celtique tout le nord du continent, derrière Marseille, cela résulte encore d’Hipparque (Strabon, II, 1, 18).
[184] Déduire du chiffre de 4, donné par Diodore comme distance du cap Land’s End (Βελέριον) au continent (V, 21, 3), le chiffre de 3, qui se rapporte au trajet d’Ouessant à l’Espagne : Hergt, p. 28. Himilcon compta deux jours (Avienus, 108) de l’Armorique à l’Irlande.
[185] Il n’est pas sûr qu’Himilcon ait connu le caractère insulaire de la Bretagne et de l’Irlande (Avienus, 93, 108-112).
[186] C’est peut-être ainsi qu’il faut expliquer les 40 à 43.000 stades qu’il donnait pour périmètre à l’île (plus de 40.000, Strabon, II, 4, 1 ; 42.500, Diodore, V, 21, 4 ; 4873 milles, un peu moins de 40.000, Pythéas par Isidore ap. Pline, IV, 102). C’est sans doute par hasard que ce chiffre de 40.000 stades, 6300 à 7400 kil., se rapproche de la ligne de développement des côtes de l’île (au moins 3300 kil.).
[187] Όρκαν, Diodore, V, 21, 3 (Pythéas par Timée ?) : cap Dunnet ? cap Wrath ?
[188] C’est ce que croit Hergt, p. 47 et suiv., en faisant remonter jusqu’à Pythéas ce que dit Solin des Orcades et des Hébrides (p. 210, Mommsen) : mais d’autres que Pythéas, avant l’ère chrétienne, ont dû faire le périple de la Bretagne et parler de ces Iles (Strabon, I, 4, 3). Diodore, qui s’éloigne le moins de Pythéas, ne les nomme pas.
[189] Il est très probable, mais non certain, qu’il lui donna le nom de Πρεττανική, Diodore, V, 21, 1 ; cf., contra, II, 47, 1, où elle ne porte pas ce nom ; Polybe, III, 57, 3 (îles Britanniques au pluriel) ; XXXIV, 5, 2 et 8 ; 10, 7 = Strabon, II, 4, 1 et 2 ; IV, 2, 1 (le singulier dans tous ces passages). Elle ne l’a pas chez Hécatée d’Abdère, qui l’appelle Έλίξοια, nom sans doute de fantaisie (Et. de Byz., s. v.) : le fleuve Καραμβύκας, nom également de fantaisie, doit être la Tamise ou peut-être l’Elbe. Himilcon ne l’appelle qu’Albionam (Avienus, 112).
[190] Les Grecs, se défilant sans doute des récits de Pythéas, ont simplement dit ούκ έλάττω (Hécatée d’Abdère ap. Diodore, II, 47, 1, et apud Étienne de Byzance, s. v. Έλίξοια), ou παραπλησίως (Timée ap. Diodore, V, 21, 3).
[191] Ce que doit signifier έμβαδόν έπελθεΐν (Strabon, II, 4, 1).
[192] Pline, II, 217 : Supra Britanniam ; soit plus de 35 mètres : ou bien le chiffre ou la mesure sont mal transmis (coudée pour demi-coudée), ou l’observation est fausse ; en tout cas les marées sont très fortes au nord de la Manche et peuvent presque atteindre la moitié de cette hauteur dans le canal de Bristol ; cf. Instructions nautiques, n° 779, p. 13. Je n’accepte pas la correction octodenis = 18 coudées, proposée par Kolberg, p. 403.
[193] Je ne crois pas que ce fussent des Gaulois, l’invasion des Belges me parait postérieure à Pythéas.
[194] Pythéas par Timée (ap. Diodore, V, 21, 5, et peut-être aussi apud Méla, III, 50-2). De Pythéas est venu, je crois, le roman hyperboréen d’Hécatée d’Abdère (Diodore, II, 47), qui se passe en Bretagne. Contra, Sieglin, p. 858, qui croit les récits d’Hécatée antérieurs à Pythéas, et venus par des mercenaires gaulois. Hécatée a bien pu connaître l’œuvre de Pythéas, cf. Susemihl, I, p. 311.
[195] Sans doute d’après lui et par Timée : Diodore et Pline.
[196] Κάντιον, Strabon, I, 4, 3. — Je ne suis pas sûr (malgré Strabon, I, 4, 3) que Pythéas ait reconnu le Rhin, dont les embouchures semblent des bras entre des îles.
[197] C’est ainsi que j’interprète les 6000 stades (six jours) qui étaient, d’après Pline, la distance de l’estuaire à un point qu’il ne nomme pas (XXXVII, 35). Cf. Strabon, I, 4, 3.
[198] Pline, XXXVII, 35 : Æstuarium Oceani Metuonidis (var. Meconomon, Melonomon, vulg. Mentonomon) : Metuonidis, plutôt l’Elbe que le golfe de Jade : d’ailleurs le passage de Pythéas nous arrive très corrompu.
[199] Pythéas l’appelait Abalus (Pline, XXXVII, 35), d’autres l’ont appelée Baunonia, Raunonia (Timée ap. Pline, IV, 94) ou Basileia (Timée apud Diodore, V, 23, 1, et ap. Pline, XXXVII, 36) ; mais il est fort probable que ce dernier nom était celui que Pythéas ou d’autres donnaient au Jutland, Baltia ou Basilia (Xénophon de Lampsaque et Pythéas ap. Pline, IV, 95), nom transféré à tort par Timée ou Diodore à l’île de l’ambre. — II y avait certainement une île spécialement riche en ambre parmi les 23 îles de la côte frisonne : les soldats romains l’ont connue et l’ont appelée Glæseria, les indigènes de leur temps Austeravia, l’île du Levant ? (Pline, IV, 91), et ce ne peut être que celle de Pythéas. — L’identification avec Héligoland se justifie par l’éloignement de cette île, qui est à une petite journée de la terre, et aussi par son voisinage du mare concretum ou de la haute mer figée, dont on disait que venait l’ambre (Pline, XXXVII, 35). Héligoland (autrefois Farria [Varnia ?], Fosetisland), a eu longtemps une certaine importance dans ces parages comme point de relâche et lieu sacré, locus venerabilis omnibus nautis (Adam de Brême, Migne, col. 623). — Au reste, il n’est pas impossible que l’île ait été, comme les Sorlingues pour l’étain, moins le lieu de récolte que le lieu du marché de l’ambre, en tout cas, de ce que l’on ne recueille plus l’ambre dans ces régions, il ne s’ensuit nullement qu’il y ait été inconnu et qu’il faille placer le voyage de Pythéas en Baltique, dans le Samland, lieu actuel de l’ambre, et d’ailleurs également connu des Anciens (Pline, XXXVII, 45 ; Tacite, Germanie, 45). — En faveur de la solution frisonne, cf. Lelewel, p. 43 (Ile de Baltrum) ; Müllenhoff, II, p. 213 et 482 ; Waldmann, Der Bernstein im Alterthum, Fellin, 1883, p. 35 ; Hergt, p. 34 (Héligoland) ; Detlefsen, p. 12-13 ; Matthias, p. 28 et suiv. (Abalus = Amland ; Basilia = Baltrum ; Austeravia = Norderney). Pour le Samland : Zeuss, Die Deutschen, p. 269 ; Schmekel, p. 23 ; Kolberg, p. 461 et s. ; Kothe dans les Neue Jahrbücher für Phil., CXLI, 1890, p. 184. Cf., d’une manière générale, pour l’ancienne bibliographie, Arvedson, p. 32 et suiv., pour la nouvelle, Wissowa, aux mots Bernstein (Blümner), Basileia, etc.
[200] Pline, XXXVII, 35 : Proximis Teutonis (cf. n. suiv.) vendere : soit que les indigènes du continent vinssent l’acheter dans l’île, soit qu’on la portât chez eux de l’île.
[201] Pline, XXXVII, 33, qui appelle cette peuplade, à six lignes de distance, Guionibus (leçon du ms. de Bamberg ; var. et vulg. : Gutonibus) et Teutonis. Quelle dénomination préférer ? Zeuss accepte la première, parce qu’il en fait les Goths et les place dans le Samland (p. 133), Müllenhoff, la seconde, parce qu’il en fait les Teutons de la péninsule cimbrique (I, p. 479). Le choix de Guions ou Gutons (cf. Ingæcones, Tacite, Germanie, 2 ; Inguiomerus, Annales, I, 60) me paraît préférable, parce que le mot se trouve dans celui des deux passages où il est question de Pythéas, et accolé à ce nom. En tout cas, que la peuplade de l’Elbe ail pris l’un ou l’autre nom, on n’en saurait tirer aucune conséquence sur son origine et ses destinées : tous deux peuvent être celtiques aussi bien que belges nu que germaniques, et rien ne prouve que cette peuplade ou cette tribu, après s’être appelée Gutons, ne se soit pas dénommée Belges, Teutons ou Cimbres. Tous ne savons pas d’ailleurs si Pythéas la plaçait à l’est de l’Elbe, en Scythie ou chez les Celticoscythes, ou à l’ouest, en Celtique. Ce coin barbare est précisément celui de l’Europe où les noms politiques ont le moins duré. Pythéas a peut-être connu le nom de Belges.
[202] Qu’il ait regardé la rive droite de l’Elbe comme scythique, cela parait très certain : Pline, IV, 95 (par Xénophon de Lampsaque), 94 (par Timée) ; Strabon, I, 4, 3 ; Diodore, V, 23, 1 (par Timée) ; cf. Méla, III, 57 et 36. Peut-être a-t-il vu dans l’Elbe une dérivation du Tanaïs, pour ainsi dire le Tanaïs du nord : Strabon, II, 4, 1 ; Diodore, IV, 56, 3 ; le héros du roman d’Antonius Diogène (c. 2) va à Thulé en suivant le Tanaïs qui le conduit à l’Océan Scythique. Les Grecs croyaient à ces fleuves doubles enserrant le monde, comme, au surplus, on y a cru fort longtemps pour l’Afrique, cf. Lelewel, p. 40.
[203] Trois jours jusqu’à Rallia (Abalcia, Solin, XIX, 6), qui est le Jutland (Pline, IV, 95) ; au delà, au moins quatre. Pythéas compta, sans doute au retour (cf. Strabon, II, 4, 1 ; 5, 8), six jours jusqu’en Bretagne (Strabon, I, 4, 2 ; Pline, II, 187), peut-être cinq jusqu’aux Orcades et de là un en Bretagne (Solin, p. 219, Mommsen : mais est-ce par Timée et Pythéas ?). Je crois qu’à l’aller il est monté par les eaux du Jutland, ce qui explique qu’il l’ait découvert et que Méla ait pu dire de Thulé (III, 57) : Belcarum titori adposita... Scythici populi... Belcæ. Il me parait en tout cas certain qu’il a fait les deux routes.
[204] Strabon, IV, 5, 5 ; Antonius Diogène, 2.
[205] Pline, IV, 95 : Xenophon Lampsacenus a litore Scytharum tridui navigatione insulam esse immensæ magnitudinis Baltiam tradit : eanden Pytheas Basiliam nominat. Lelewel (p. 40) a corrigé ainsi : (Baltiam tradit eandem Pytheas) : Xénophon aurait écrit Basiliam, copiant une mauvaise lecture de Timée. Ce dernier ou Diodore a appliqué ce nom à l’île de l’ambre. — Ce fait, de regarder comme une île les saillies de continent, est propre à tous les explorateurs de rivages.
[206] Peut-être à Bergen : Strabon (IV, 5, 5) parle d’endroits de Thulé où il y a du miel : or il n’y a pas d’abeilles passé le 60° ½, qui est à peu près la hauteur de cette ville (Nilsson, c. 928 ; Hergt, p. 68).
[207] Pythéas ne semble pas avoir dit que ce fût une île (Strabon, I, 4, 3 ; II, 5, 8 ; IV, 5, 5). — J’avoue n’avoir jamais eu la moindre hésitation à placer Thulé en Norvège : l’Islande (à laquelle songeait déjà Adam de Brème, Descr., 35, Migne, CXLVI, c. 653 ; Sieglin, p. 861 ; etc.) est trop loin, les Shetland (auxquelles ont peut-être déjà songé les Anciens, Strabon, I, 4, 3 ; II, 5, 8 ; Tacite, Agricola, 10 ; Lelewel, p. 34 ; Müllenhoff, I, p. 408) sont des îles misérables ; la Norvège (déjà supposée par Procope, Guerre des Goths, II, 15 ; Rudbeck, p. 511 et ailleurs ; Adelung, p. 79-83 ; Nilsson, c. 927 et s. ; Hergt, l. c.) convient seule aux productions dont parlait Pythéas, à la grandeur qu’il assigne à Thulé, à l’ensemble de son itinéraire, à l’absence de tout détail sur un système insulaire. N’oublions pas, au surplus, que la Norvège n’est pas, comme les Shetland, en dehors des grandes routes maritimes, qu’il y avait là une population nombreuse, et de marins (Tacite, Germanie, 44), et que, selon toute vraisemblance, Pythéas a été conduit sur ces rivages par des navigateurs indigènes. — Son itinéraire est visiblement lié aux relations qui unissaient dès lors les principaux foyers du commerce océanique (Vidal de La Blache, Tableau, p. 21).
[208] Geminus, Elementa astronomiæ, 6, 9, p. 70-1, éd. Manitius (p. 22, Petavius, Uranologion, 1830 = De doctrina, III, éd. de 1757, p. 13) : Έδείκνυον ήμΐν οί βάρβαροι όπου ό ήλιος κοιμάται, etc. : c’est peut-être le seul passage textuel que nous possédions de Pythéas ; Cosmas Indicopleuste, p. 149 (Migne, P. Gr., LXXXVIII, c. 115-7). Cette couche du soleil doit être quelque île ou montagne de l’horizon norvégien, et il y a dans cette mention le souvenir de quelque lieu sacré ou de quelque mythe populaire dont les indigènes auront parlé à Pythéas.
[209] Pline, II, 186-187 ; Martianus Capella, VI, p. 194 (p. 201, Eyssenhardt).
[210] Geminus, l. c. Pythéas est donc allé, dans les parages de Thulé, entre 64° ½ et 63° ½, jusqu’à la hauteur de Vik.
[211] Méla, III, 37.
[212] Strabon, IV, 5, 3 ; peut-être aussi Solin, p. 219. Pythéas déclare que le blé ne vient pas partout à Thulé : il s’arrête en effet à 63°, l’avoine va à 70°. Cf. de Candolle, Géographie botanique raisonnée, I, 1855, p. 376 et suiv.
[213] Hergt, p. 73, d’après le έκ άκοής de Strabon, II, 4, 1.
[214] Sans doute de Trondhjem à la hauteur de Vik. Cette journée de navigation résulte de Pline, IV, 104 (par Isidore de Charax ?).
[215] Strabon, II, 4, 1. C’est ce à quoi Strabon ou Pythéas donnaient le nom de τής πιπηγυίας θαλάττης (Strabon, I, 4, 2) ; mare concretum (Pline, IV, 104). Qu’il y ait dans cette description une grande part de légende, de ces contes marins comme il en naît toujours de la vue de la haute mer, cela est évident (cf., au sud de cette mer figée, la mer paresseuse, mare pigrum) ; mais toutes ces légendes ne sont que des déformations de la vérité faites par la peur ou l’imagination des marins. Cette légende du poumon de mer n’a aucun rapport avec les animaux auxquels on donnait ce nom. On la retrouvera au Moyen Age sous le nom de mer betée, Lebermeer, Libersee, etc. ; Adam de Brème, scholie 144 (Descr., 33 ; Migne, CXLVI, c. 651) ; cf. Müllenhoff, I, 410 et suiv. ; Fécamp, p. 166 et suiv. : Godefroy, au mot beter, etc. ; voyez, dans des sens divers : Fuhr, 1er ouvr., p. 46 et suiv. ; Gerland, p. 187 et s. ; Kæhler, qui voit dans le poumon de mer les terres basses de la Frise (p. 129 et s.) ; etc.
[216] Illam tenebrosam rigentis Oceani caliginem, quæ vix oculis penetrari valeret ; Adam de Brème, Descr., 39 (248), Migne, CXLVI, c. 657. Les récits d’Adam de Brème, descriptions, indications de trajets et de distances (cf. les scholies, surtout c. 621), correspondent étonnamment aux relations de Pythéas. Rudbeck (p. 509), en s’appuyant sur eux, songeait déjà aux banquises ou aux icebergs, et de crasso aere.
[217] Il laissa agir son illusion, a dit Lelewel, p. 33.
[218] Mare concretum, a nonnullis Cronium appellatur, Pline, IV, 104 (cf. 94 : Congelatum) ; Périégèse dite de Denys, 32, Geogr. Gr. min., II, p. 106 ; etc. ; au sud est la mer morte ou paresseuse, qui est la partie reculée de la mer du Nord ; Pline, IV, 95 ; Tacite, Agricola, 10.
[219] Strabon, II, 4, 2 : tote la terre jusqu’à la mer betée, comme on eût dit au Moyen Age (Godefroy, au mot beter, p. 641).
[220] Cf. Strabon, II, 4, 1. Il a dû gagner la Bretagne en six jours de Thulé (Strabon, I, 4, 2) ; puis, de là, l’île de Wight en six jours (Pline, IV, 104) ; de là, sans doute Ouessant en deux jours, et de là, il a conservé la vitesse de l’aller, Marseille en dix-huit jours tout au plus : soit environ trente-trois jours pour le retour du Cercle Arctique ; pour avoir le total, ajoutons les quarante-deux jours et demi de la circumnavigation de la Bretagne et le voyage d’aller (un des trajets entre les deux caps anglais du sud et le trajet du Jutland à l’extrémité abordable de Thulé sont inconnus : mettons 10 pour les 2) : nous arrivons à 115-116 jours, c’est-à-dire environ quatre mois de navigation. Pythéas a pu partir en mars et rentrer en octobre.
[221] Il semble qu’il soit allé jusqu’aux embouchures d’un grand fleuve dont il fit une dérivation du Nil (obéissant aux idées répandues sur les fleuves doubles) : le Sénégal ?, Clerc, p. 8-11, le Niger ?, le Congo ? ; Sénèque, Quæst., IV. 2, 22 ; Plutarque, De placitis, IV, 1, p. 897 ; Lydus, De mensibus, IV, 10, 107 ; etc. ; cf. Ideler, Aristolelis Meteorologicorum libri, I, 1834, p. 466, 6 (le inde ou le έκ τοΰ doit être une de ces inadvertances de traduction, comme en ont produites les récits de Pythéas).
[222] Il semble avoir composé deux livres, Γής περιόδος et Περί τοΰ Ώκεσνοΰ : le premier embrassait même la description de la Méditerranée ; le récit de son grand voyage paraît avoir été dans le second ; Scholiaste d’Apollonius, IV, 761 ; Cosmas et Geminus, l. c.
[223] Je crois cependant possible que l’évaluation en stades soit souvent postérieure, et qu’elle résulte de la conversion en mesures (à raison de 1.000 stades par vingt-quatre heures de navigation) des données de temps fournies par Pythéas. Je doute par suite, qu’il s’agisse, dans ces calculs, plutôt du stade d’Ératosthène (157,5) que du stade classique (184,98) ; cf. Hultsch, 2e éd., p. 60 et suiv.
[224] Il semble même que Pythéas ait, un des premiers, vulgarisé le mot ώρα dans le sens d’heure ; voyez la discussion entre Schmidt et Bilfinger (Neue Jahrbücher, CXXXIX, 1889, p. 826 et s. ; CXLI, 1890, p. 685 et s.).
[225] L’ombre aurait été par lui évaluée au solstice d’été à 41,80/120, le jour à 15 heures 15’ ; d’où la latitude à 43°3’38’’ ; Strabon, II, 5, 41 ; cf. I, 4, 4 ; II, 4, 3 ; 5, 8 ; 11, 12 ; l’erreur n’est que de 14’ (latitude réelle, 43°17’4"), et peut-être de beaucoup moins sil a négligé l’effet de la pénombre : il faut dans ce cas porter à 43°18’23" son chiffre rectifié. Cf., là-dessus, Lelewel, p. 39-40 ; Letronne, Journal des Savants, 1818, p. 692 ; Aoust, p. 3 et s. (légères variantes dans les chiffres).
[226] Hipparque, I, 4, 1. Il peut sembler, à la lecture, que Pythéas ait désigné la position de l’étoile polaire par rapport aux deux autres de la queue et aux quatre du carré de la Petite-Ourse. Mais les astronomes calculent qu’il a déterminé sa place relativement à β de la Petite-Ourse et à deux étoiles du Dragon (α et κ, Delambre, Histoire de l’astr. anc., I, 1817, p. 110 ; Lelewel, p. 39 ; κ et λ, Manitius, éd. d’Hipparque, 1894, s. l., p. 31).
[227] Strabon, II, 4, 1.
[228] Strabon, II, 4, 1.
[229] Strabon, II, 4, 1.
[230] Vers 320 : celui-ci refusa d’ajouter foi aux récits, à peine publiés, de Pythéas (Strabon, II, 4, 2).
[231] Strabon, I, 4, 4 ; II, 5, 8.
[232] Strabon, I, 4, 4 ; II, 4, 2 ; III, 2, 11.
[233] Timée est né vers 345 ; rien ne prouve que Timée soit venu à Marseille, ni surtout qu’il y ait connu Pythéas ; cf. Susemihl, I, p. 563 et suiv.
[234] Hécatée d’Abdère, contemporain de Ptolémée Ier ; cf. Susemihl, I, p. 310 et suiv., et ici, p. 420, n. 4 : Pline, IV, 94 ; Diodore, II, 47. Hécatée semble avoir défiguré les noms transmis par Pythéas, mais gardé les lieux : la mer figée devint chez lui Oceanus Amalchius ou Amalcius.
[235] Τά ύπέρ Θούλην άπιστα d’Antonius Diogène (premier siècle après J.-C. ?). Didot, II, 47. Même au temps de la conquête de la Bretagne par les Romains, personne n’alla plus en Norvège, et quand Tacite dit (Agricola, 10) : Dispecta est et Thule, il est probable qu’il s’agit des îles Shetland : après Pythéas, nul ne sut où était située Thulé.
[236] Hérodote, III, 115.
[237] C’est sans doute Polybe qui a commencé l’attaque contre Pythéas ; il a été suivi par Artémidore et par Strabon : voyez ce dernier, I, 4, 3 ; II, 3, 5 ; 4, 1 et 2 ; III, 2, 11 ; IV, 2, 1. Tout cela a été bien vu par Lelewel, p. 43 et suiv.
[238] Strabon (Polybe), IV, 2, 1.
[239] Voyez comme sa Bretagne triangulaire, avec les rapports 8, 6, 3 (Diodore, V, 21, 4), est plus vraie que la forme de bipennis que lui assignaient les Romains (Tacite, Agricola, 10) : ce sont bien les rapports des trois lignes de rivage. — Si Pythéas a menti en parlant de Scythie sur l’Elbe, c’est comme Colomb en parlant d’Inde en Amérique.
[240] Il faut ajouter qu’au point de vue économique les routes de terre étaient plus avantageuses, comme temps et peut-être comme dépenses, que la route de mer. La valeur isthmique de la Gaule, si je peux dire, nuisit à la fortune maritime de Marseille.
[241] Strabon, IV, 1, 5.
[242] Gamber dans la Revue de Marseille et de Provence, XXXIII, p. 195 et s., 347 et s., 1887 ; Ludwig, Aristarchs Homerische Textkritik, II, 1888, p. 433 et s. ; etc.
[243] Trouvaille de Saint-Mauront (fin du IVe siècle ?), Musée du Château-Borély, Catalogue Frœhner, n° 2092-4 ; Dumont, Bull. de corr. hell., 1884, p. 188-194. Autres fragments, Clerc, Découvertes archéologiques, 1904, p. 44 et suiv. ; au Baou-Roux entre Marseille et Aix, Vasseur, Ann. de la Fac. des Sc. de Mars., XIII, 1900, p. 83 et s. — Ces débris paraissent importés de l’Attique ou de la Grande-Grèce. J’ai peine cependant à exclure toute industrie céramique de Marseille.
[244] Aphrodite du Musée de Lyon ; Collignon, Sculpture, I, p. 190, fig. 90 ; Espérandieu, Bas-reliefs, I, n° 81. Parait du vil siècle, mais je la soupçonne postérieure. La statue, en marbre de Paros, peut d’ailleurs avoir été sculptée en Ionie, et apportée à Marseille à l’usage des colons. Je ne peux non plus exclure l’hypothèse d’une importation moderne. — Il n’y a pas à parler, au point de vue du mérite artistique, des 41 stèles trouvées dans le haut de la rue Négrel (Musée, n° 23-63) : très médiocres comme facture, elles n’intéressent que par la personne figurée : presque toujours assise, une seule fois debout (n° 40), parfois avec un lionceau sur les genoux (n° 30, 45, 57), elle a été regardée d’ordinaire comme une Déméter ou une Cybèle : mais le lion est aussi un attribut d’Artémis, et nous connaissons si mal cette statuaire archaïque de Marseille qu’il ne faut pas exclure l’hypothèse d’une Athéné assise (Joubin, Rev. arch., 1893, II, p. 281-3). Tout, du reste, est encore mystérieux dans ces objets : je ne crois pas prouvé que ce soient des ex-voto plutôt que des heroa ou édicules funéraires ; on a affirmé qu’ils étaient en pierre du pays (Frœhner, p. 12), et on a aussi prétendu qu’ils avaient été taillés dans la mère-patrie pour le compte de Marseille. Le malheur encore est qu’on n’a donné, de leur découverte en 1863, qu’un récit très écourté (Penon, ancien Catalogue, [1876], p. 53-55), mais d’où il semble au moins résulter qu’elles n’étaient pas alors dans leur lieu de destination première. Frœhner, Catalogue, p. 11 et suiv. ; Castanier, II, p. 164 et suiv., pl. 2-5 ; Espérandieu, Bas-reliefs, I, p. 48-52.
[245] A vrai dire, Marseille n’en a point livré, et le recueil d’Espérandieu, I, p. 46 et s., est très instructifs cet égard.
[246] Tite-Live, XXXVIII, 17, 12.
[247] Tite-Live, XXXVII, 54, 21-22. Cf. Cicéron, Pro Flacco, 26, 63.
[248] Tite-Live, XXXVII, 54, 22.
[249] Strabon, IV, 1, 4.
[250] Strabon, IV, 1, 4 et 5. On a prétendu que Marseille adorait moins l’Artémis d’Éphèse que l’Artémis Dictynne de Crète, d’ailleurs dresse de même genre (Brückner, p. 49) : mais cela île repose que sur une inscription de l’époque romaine, et ce texte, s’il est authentique (il est classé comme suspect, Inscr. Græc. Sic., 357a), ne prouve pas que le culte de Dictynne ait été le culte souverain de Marseille.
[251] Strabon, IV, 1, 4.
[252] Statue du Musée de Lyon.
[253] Le caducée, Cabinet des Médailles, n° 832-6.
[254] Le trident, ibidem, n° 843-830.
[255] D’après les noms de Monaco et de Saint-Gilles.
[256] Strabon, XIII, 1, 41.
[257] Vitruve, II, 1, 5, p. 34, Rose.
[258] Tite-Live, XXXVII, 54, 21-22.
[259] Cf. Strabon, IV, 1, 4 et 5 ; XIII, 1, 41.
[260] Aristote, Politique, VII, 4, 3, p. 1321 a. Peut-être accorda-t on le titre de sénateur, par la même réforme, aux frères des chefs de familles, ceux-ci ayant dû seuls à l’origine faire partie des Timouques (id., VII, 5, 2, p. 1305 b). Ce qui porta à 600 l’effectif du sénat ; cf. Brückner, p. 40.
[261] Aristote, Politique, VIII (V), 5, 2 (Susemihl), p. 1305 b.
[262] Aristote, VIII, 5, 2, p. 1305 b ; Strabon, IV, 1, 5 ; Cicéron, Pro Flacco, 26, 63 ; De republica, I, 27, 43 ; 28, 44.
[263] Τιμοΰχος, de τιμή et έχειν, ne signifie pas autre chose ; Lucien (Toxaris, 24, 26), Valère Maxime (II, 6, 7), l’inscr. de Lampsaque de 106 (Dittenberger, 276 = 1re éd., 200), les appellent les Six Cents ; ce chiffre et ce nom doivent être postérieurs à la réforme dont parle Aristote. Jusque-là, le pouvoir a dû être réservé (Polit., ibid.) à όλίγοι σφόδρα.
[264] Strabon, IV, 1, 5.
[265] Id., IV, 1, 5.
[266] Id., IV, 1, 5.
[267] C’est sans doute là l’innovation dont parle Aristote (Politique, VIII (V), 5, 2).
[268] Lucien, Toxaris, 24.
[269] Strabon, IV, 1, 5 ; César, De b. c., I, 35 ; per delectos... reguntur, Cicéron, De rep., I, 27, 43. Cf. Seeck, Beiträge zur alten Geschichte, I, 1902, p. 147 et suiv.
[270] Strabon, IV, 1, 3 ; principes, Cicéron, De rep., I, 27, 43. Ce sont peut-être ceux dont les initiales apparaissent sur les monnaies d’après 330 (n° 867 et suiv.).
[271] Strabon, IV, 1, 5.
[272] Cicéron, De republica, I, 27, 43 ; 28, 44.
[273] Strabon, IV, 1, 5.
[274] Summa justitia reguntur, Cicéron, De rep., I, 27, 43 ; le même, Pro Flacco, 26, 63.
[275] Valère Maxime, II, 6, 9 : les armes étaient retenues à l’entrée, rendues à la sortie.
[276] Civitatis disciplinam atque gravitatem, Cicéron, Pro Flacco, 26, 63 ; gravitas disciplinæ, Valère Maxime, II, 6, 7. Les deux auteurs doivent avoir une source commune, et je crois bien que de cette source émanent également les textes de Tite-Live, Strabon et Silius (XV, 169-172).
[277] Strabon, IV, 1, 5 ; Plaute, Casina, 963, Leo.
[278] Lucien, Toxaris, 24-26.
[279] Strabon, IV, 1, 5. Il s’agit, je crois, de statères. On cite une dot de 23 talents, 75 statères ? (Lucien, Toxaris, 25). Une moindre dot assure plus d’indépendance au mari ; cf. Hermann, IV (Blümner), p. 264.
[280] Athénée. X, 33, p. 429 ; même loi à Milet : Ælien, Hist. var., II, 38.
[281] Valère Maxime, II, 6, 7 (aditum in scænam).
[282] Ces derniers détails d’après Valère Maxime, II, 6, 7, dont la source a dû avoir sous les yeux le texte des coutumes marseillaises.
[283] Valère Maxime, II, 6, 7.
[284] Id., II, 6, 7. Même loi à Céos, Strabon, X, 5, 6. Cela devait être une loi très ancienne ; elle était absolument contraire au droit grec des temps classiques ; cf. Thalheim, Lehrbuch de Hermann, II, II, p. 44. C’est à tort qu’on y a vu une histoire imaginée (Lautard, Mémoires publiés par l’Acad. de Mars., XI, 1813, p. 132 et suiv.).
[285] Lucien, Toxaris, 24. Tite-Live, XXXVII, 54, 21 : Leges... servarunt.
[286] Prisci moris observantia, Valère Maxime, II, 8, 7 ; antiquæ morem patriæ, Silius, XV, 171.
[287] Valère Maxime, II, 6, 7.
[288] Valère Maxime, ibid. ; Tite-Live, XXXVII, 54, 21-22. — Voyez par exemple celui de l’homme expiatoire : en temps de peste, un pauvre était nourri pendant un an aux frais de la ville, puis promené en costume sacré dans toute la cité cum execrationibus, enfin projiciebatur [præcipitabatur ?, porriciebatur ?] (Pétrone ap. Servius ad Æn., III, 57). C’est à Marseille, je crois, que fait allusion le texte de Lactance (Stace, Thébaïde, X, 793, p. 452, Jahnke) : Lustrare civitatem humana hostia Gallicus mos est. Nam acquis de egentissimis proliciebatur premiis, ut se ad hoc venderet, qui anno loto publicis sumptibus alebatur purioribus cibis, denique certo et sollemni die per totam civitatem ductus ex urbe extra pomeria saxis occidebatur a populo. Il semble que cet usage soit un très ancien rite chthonien, destiné à expulser de la terre nationale toutes les tares et toutes les taches ; cf. Ellen Harrison, Prolegomena to study of Greek Religion, 1903, p. 107-8 ; H[ubert], Année sociologique, VIII, 1905, p. 271 ; Nilsson, Griechische Feste, 1906, p 109.
[289] De La Saussaye, Numismatique de la Gaule Narbonnaise, 1842 (le premier qui ait établi un classement) ; Carpentin, Lettres sur l’histoire monétaire de Marseille, 1885 (Revue de Marseille) ; Laugier, Les Monnaies massaliotes du Cabinet des Médailles de Marseille, 1887 (Revue de Marseille) ; Sonny, p. 81 et s. ; Blanchet, Traité des monnaies gauloises, 1905, ch. 9.
[290] Peut-être même pas avant 480.
[291] L’obole en est la sixième partie.
[292] La didrachme du Cabinet des Médailles, n° 951, a été reconnue fausse (Muret, p. 19). — Il semble qu’il ait existé des moitiés, quarts et demi-quarts d’oboles (Blanchet, p. 232).
[293] Plus tard, sans doute au temps où sa grande prospérité (400-300) la mit en rapport constant avec les Grecs de Sicile, elle substitua à l’obole la titra chère à ces derniers, plus lourde et plus grande que l’obole (0 gr. 70) ; contra, Blanchet, p. 232, n. 1. Sur les analogies entre les types des monnaies de Marseille et les types de celles de Syracuse et de Taormina, Blanchet, Antiquaires de France, Mémoires du Centenaire, 1904, p. 61 et suiv. (croit à une imitation par Marseille).
[294] Ceci n’est pas applicable à la plus ancienne période.
[295] Oboles dites au premier type de Diane ; Cabinet des Médailles, n° 509-515.
[296] Oboles au premier type d’Apollon ; Cabinet, n° 316-527.
[297] Drachmes au deuxième type de Diane ; Cabinet, n° 781 et suiv.
[298] Oboles au troisième type d’Apollon ; Cabinet, n° 543-780. Type de transition (?), contemporain des pièces du Lacydon, n° 536-538.
[299] Voyer surtout les pièces (entre 400-350 ?) où, par un artifice assez heureux, la joue porte en guise de favoris (?) les initiales du graveur (Cab. des Méd., n° 676-1391). Les graveurs qui ont signé sont Παρ..., Μα..., Ατρι... Fr. Lenormant les supposait originaires de Vélia de Lucanie (La Monnaie dans l’Antiquité, III, p. 259).
[300] Frappées sans doute aussi en 400-350 et inspirées peut-être des chefs-d’œuvre monétaires de Syracuse (Blanchet, Mém., p. 63).
[301] Laugier, p. 31 et s. ; Cabinet, n° 1462-73 (de 0 gr. 76 à 0 gr. 88). — Sur les représentations monétaires d’Athéné à Marseille, Blanchet, La Minerve de Massalia, Corolla numismatica, Oxford, 1906, p. 10 et s.
[302] Deuxième type d’Apollon, Laugier, n° 73 ; Cabinet des Médailles, n° 528-535 (cf. n° 733-742) : la légende est ΛΑΚΥΔΩΝ. La pièce doit être antérieure à 400, cf. Blanchet, Antiqu., p. 63. C’est évidemment le port de Marseille, cependant on songe plutôt à la figure d’un dieu de fleuve ou de source. Il est da reste possible que Lacydon fût le nom à la fois du port et de la fontaine principale de la ville.
[303] Laugier, n° 67-69 ; Cabinet, n° 509.
[304] Cabinet, n° 516-780.
[305] Second type de Diane, n° 781-943, légende ΜΑΣΣΑ, avec initiales des noms de magistrats monétaires, n° 867-943 ; mais à distinguer, dans ce type, les pièces lourdes et de style supérieur, n° 781-791, antérieures sans aucun doute à 330, et les autres, surtout n° 817 et suiv.
[306] Troisième type de Diane, n° 944-1461, légende ordinaire ΜΑΣΣΑΛΙΗΤΩΝ, initiales des noms de magistrats monétaires, très souvent le lion ayant la patte levée. C’est le type le plus commun, frappé surtout après 250 et pendant fort longtemps.
[307] Laugier, p. 20 et s. ; Cabinet, n° 516 et suiv., 817 et suiv.
[308] Elle n’en frappa pas avant 300 et peut-être pas avant 250.
[309] Cf. Laugier, p. 14. Les lois somptuaires de Marseille comptaient en pièces d’or.
[310] Après 350 ? Les plus belles drachmes et les plus rares sont de 3 gr. 85 à 3 gr. 73 ; une série postérieure, autour de 2 gr. 75 ; les autres, de 2,70 à 2,60 ; Muret, p. 19 ; Mommsen et de Blacas, II, p. 99 : Laugier, p. 20 ; Blanchet, p. 233-4.
[311] Les monnaies d’Antibes (n° 2179-2208) sont postérieures à la période qui nous occupe.
[312] Peut-être sous l’influence carthaginoise : de 4 gr. 46 à 5 gr. 05 ; Mommsen et de Blacas, III, p. 241 ; Heiss, p. 84-102 ; Zobel de Zangroniz, Monatsberichte de l’Académie de Berlin, 1881 (1882), p. 806-832 ; Sonny, p. 100 et s.
[313] On n’en trouve presque pas dans le Nord-Ouest ; peut-être à cause d’une proscription de la part des Armoricains ; cf. Blanchet, p. 517.
[314] N° 537.
[315] N° 509, 522, 526, 619, 659.
[316] Blanchet, p. 597.
[317] Rev. num., 1903, p. 87. Ajoutez l’énorme trésor de Saint-Gervais près Marsanne, Blanchet, p. 554.
[318] Au puy de Corent, n° 617, 662.
[319] Blanchet, p. 492-3.
[320] Cf. Blanchet, p. 517.
[321] Diodore, V, 22, 4 ; Strabon, III, 2, 9.