C’est par les Juifs hellénistes, c’est-à-dire vivant en pays grec et parlant le grec, que le judaïsme soumit les Gentils ; mais parmi ces communautés juives du monde hellénique, la première fut celle d’Alexandrie. Dans cette opulente cité, que Strabon appelle le premier marché du monde (p. 798), les Juifs avaient les mêmes droits que les Grecs, et le commerce leur y fit une prospérité incomparable. Nulle part ils ne furent plus riches, plus nombreux, plus influents ; nulle part non plus ils ne s’élevèrent à une plus haute culture, et c’est là un fait d’une grande importance dans l’histoire du christianisme[1]. C’était déjà une chose considérable pour la propagande du judaïsme que les Juifs parlassent le grec et eussent mis en grec leurs livres saints ; mais les Juifs d’Alexandrie firent bien plus ; ils se pénétrèrent des idées grecques et associèrent à leurs croyances la science hellénique. Ils ont réuni ainsi, pour agir sur le monde, deux puissances jusque-là séparées, et qui se partageaient dans l’antiquité le gouvernement des esprits, celle de la foi et celle de la doctrine. C’est par les Juifs alexandrins que le judaïsme a commencé d’être tout ensemble une philosophie et une religion. Les livres juifs écrits en grec que l’Église a acceptés comme livres saints pourraient avoir eu des originaux hébreux ; on l’a supposé pour plusieurs, sans pouvoir l’établir pour aucun. Mais si on admet, pour un de ces livres, que le grec soit l’original, on n’hésitera guère alors à admettre aussi qu’il a été écrit en Égypte. Un passage de Tobie (VIII, 3) semble témoigner de la provenance égyptienne de ce roman pieux. La Sagesse de Salomon (ou simplement la Sagesse), contient une doctrine tout alexandrine ; Basile paraît le citer sous le nom de Philon d’Alexandrie[2]. On a vu que le livre du Fils de Sirach est précédé d’une préface, où on donne le livre comme traduit de l’hébreu, mais la traduction comme faite en Égypte. Le commerce des Juifs hellénistes avec les lettres grecques produisit un certain nombre de livres helléniques supposés : ils avaient pour objet d’autoriser aux yeux des Gentils eux-mêmes les croyances et les sentiments d’Israël par le témoignage des maîtres de la sagesse grecque. Ces livres étaient réellement des livres juifs. C’est ainsi qu’on fit des poésies juives sous les noms d’Orphée, de Phocylide, de Sophocle, etc. ; de la philosophie juive sous ceux de Cléarque, de Théophraste et d’autres encore[3]. Ce que les Juifs ont fait de plus curieux en ce genre, ce sont leurs Vers sibyllins. Les Hellènes n’avaient pas proprement d’écritures saintes : s’ils ont eu des espèces de rituels ou de codes sacrés, il ne s’en est rien conservé. Cependant ils eurent de tout temps des Oracles ; nous en trouvons déjà plusieurs dans Hérodote ; ils sont très courts, d’une douzaine de vers au plus. La plupart des Oracles sortaient des temples ; quelques-uns étaient attribués à des inspirés libres, hommes et femmes, et, parmi celles-ci, aux Sibylles. Les prédictions des Sibylles prirent surtout de l’autorité dans le monde romain. Rome avait des Livres sibyllins ; on prétendait que le roi Tarquin l’Ancien les avait reçus des mains mêmes de la Sibylle. A l’entrée du premier siècle avant notre ère, quand le Capitole, ayant été brûlé vingt ans avant le consulat de Cicéron, fut rétabli sept ans après, un sénatus-consulte ordonna que trois députés seraient envoyés en Ionie, pour y recueillir les oracles de la Sibylle d’Érythrée : ils rapportèrent un millier de vers, dont le temple reçut le dépôt ; un collège de quinze membres présidait à la garde et à l’interprétation de ces textes sacrés[4]. Mais en dehors du recueil officiel, les oracles prétendus sibyllins durent se multiplier, chacun mettant sous le nom des Sibylles ce qu’il voulait faire entrer dans les esprits. Si l’imagination des peuples était occupée de quelque grand événement, du de quelque grande attente, cela se traduisait en des vers où on faisait parler la Sibylle. Lors donc que les Juifs commencèrent à répandre parmi les Gentils leurs prophètes, ils trouvèrent que les Gentils avaient aussi des prophéties dans les sibyllina, et qu’elles étaient accréditées et populaires. Ils voulurent mettre de leur côté l’autorité de ces oracles, et ils composèrent en grec des vers sibyllins où la Sibylle devint l’interprète de leur dieu. Ce qu’ils avaient commencé de faire, les chrétiens le continuèrent après eux, et c’est ainsi que s’est formé un recueil d’Oracles sibyllins en 14 livres, qui est arrivé jusqu’à nous, tandis que les sibyllina profanes ont disparu. Presque tout est chrétien dans ce recueil ; il n’y a guère que le livre III qui soit juif, ou du moins une portion considérable de ce livre. On sait que les Sibyllina, sans avoir reçu officiellement dans l’Église le titre de livres sacrés, étaient cependant acceptés par elle comme faisant autorité, et qu’elle regardait les Sibylles comme inspirées de Dieu même. Elles figurent encore, peintes par Michel-Ange et par Raphaël, sur les plafonds et les murs de ses temples, et le premier verset de la prose des morts (Dies iræ) proclame tous les jours, par toute la chrétienté, que le monde sera réduit en cendres, suivant la parole de David et de la Sibylle : Teste David cum Sibylla[5]. On admet généralement que la portion juive des sibyllina est du temps de Ptolémée Philométor (ou d’Antiochos l’Épiphane) : j’ai déjà expliqué ailleurs ce qui m’empêche de le croire. D’un côté, si la prophétie sibylline développée dans ce passage aboutit à Ptolémée Philométor, il n’est pas besoin, pour expliquer cela, de la supposer écrite sous ce règne ; il suffit que celte date ait été, comme elle l’a été, celle de ce qu’on peut appeler l’avènement du judaïsme, marqué par l’établissement du Temple d’Onias. D’autre part, il est difficile de ne pas rapporter les vers 640 et suivants aux grandes guerres civiles de Rome, au temps de César et de Pompée. Le roi envoyé de Dieu (en d’autres termes le Christ ou Messie) est annoncé alors par la Sibylle comme on a vu qu’il l’est à la même date dans le livre des Psaumes de Salomon. Mais il est temps d’arriver à Philon d’Alexandrie. Le judaïsme à Alexandrie devait être nécessairement bien différent de ce qu’il était en Palestine ; les Juifs y vivaient enveloppés de l’esprit hellénique. Le sanhédrin n’était pas là pour fermer la porte aux nouveautés, aux spectacles païens, aux lettres et à la sagesse profanes ; le judaïsme en Égypte ne faisait plus la loi ; il lui fallait gagner les Gentils et les amener à lui, et il ne pouvait le faire qu’en se prêtant à leurs idées. La liberté même avec laquelle se produisait l’opposition de leurs adversaires les obligeait à raisonner leurs croyances, c’est-à-dire à se faire une philosophie. Il y a eu sans doute avant Philon des Juifs qui ont philosophé sur leur foi. On nomme Aristobule, précepteur de Ptolémée Physcon[6], comme ayant adressé à Ptolémée Philométor des explications sur le Pentateuque en plusieurs livres, et Clément et Eusèbe citent des fragments de son ouvrage. Cet écrit, dont Joseph n’a pas parlé, ne semble pas plus authentique que le discours d’Éléazar rapporté dans le Pseudo-Aristée. Il ne nous reste rien de la doctrine juive alexandrine avant Philon ; mais les ouvrages de Philon supposent des esprits préparés à les lire, et nourris des lettres et de la philosophie de la Grèce, aussi bien que des Écritures. Nous trouvons dans ces livres un nouvel élément, et un élément considérable, de la formation du Christianisme. Le mouvement populaire qui a fait une révolution au nom du Christ n’est pas parti du judaïsme d’Alexandrie ; mais la théologie chrétienne, la philosophie chrétienne, le christianisme des docteurs et des conciles est sorti de là en grande partie. Il faut le répéter jusqu’à ce que ce soit un lieu commun accepté de tous : Philon le Juif est le premier des Pères de l’Église. Avant de parler de ce qu’on trouve dans Philon, je dois avertir de ce qu’on n’y trouve pas, et qui est considérable, je veux dire les traditions eschatologiques. Il n’y est question ni de résurrection ni de Christ. On peut croire que l’idée de le résurrection des corps répugnait à sa philosophie, qui est celle de Platon et des stoïques ; on n’aperçoit chez lui que l’immortalité de l’âme, et il l’entend de la manière la plus métaphysique : l’esprit, séparé du corps, retourne à son lieu d’origine, qui est le ciel. Quant à ce qui est d’un Christ, c’est-à-dire d’un chef des Juifs, qui devait les gouverner, libres et prospères, au nom et sous l’autorité de leur dieu, il est difficile que Philon ne l’ait pas attendu avec tout Israël, sauf peut-être à mettre dans cette idée le moins de surnaturel qu’il était possible. C’est ainsi à peu près qu’on le trouve dans le IIIe livre des Sibyllina (à partir du vers 652), où le nom même d’Oint ou de Christ n’est pas prononcé. Les Juifs politiques craignaient sans doute d’employer ce nom, suspect à l’autorité romaine ; Joseph ne s’en sert pas non plus, et ni lui ni Philon ne parlent jamais d’espérances messianiques. Philon cite quelque part, avec une complaisance évidente, la prédiction de Balaam qui promet à un chef d’Israël de vastes conquêtes ; mais il la présente de telle manière qu’on ne sait à quoi elle s’applique dans sa pensée ; si c’est à David, par exemple, ou si c’est à l’avenir. Ailleurs, quand il montre les Juifs dispersés par toute la terre, qui, de toute la terre, reviennent prendre possession de Jérusalem, on ne sait encore s’il veut parler de ce qui se passa au temps de Cyrus, ou s’il attend pour Israël une restauration nouvelle, comme il l’annonce clairement ailleurs. C’est en cet endroit qu’il les représente conduits par un personnage qui n’est visible que pour eux ; et M. Ferdinand Delaunay n’hésite pas à rapporter ce passage au Messie. Les expressions de Philon rappellent au moins ce que les Juifs appelaient à cette époque le memra de Iehova, c’est-à-dire la forme sous ‘ laquelle le dieu se manifeste, quand il agit au dehors ; comme par exemple lorsque lui-même il ramène son peuple dispersé, ainsi qu’il est dit dans le Deutéronome et dans Isaïe[7]. Et peut-être en effet que, sous ces images, Philon essayait d’exprimer, sans se compromettre, ce qui était la pensée de tous les siens. J’arrive aux doctrines propres à Philon. La métaphysique manquait à la religion de la Bible ; l’école juive d’Alexandrie la lui donna. Moyse devint Athénien, suivant l’expression de Numénios[8], et il parla dans Philon d’après les maîtres de la sagesse grecque. La Bible ne fait pas profession de spiritualisme ; elle n’entre pas dans les abstractions ; mais le dieu de Philon est un esprit pur, non pas seulement ordonnateur, mais aussi créateur, et qui a fait passer les choses du néant à l’être. Saisissable seulement par son existence, tout à fait inaccessible dans son essence, il n’est ni dans le temps, ni dans l’espace, mais au-dessus de l’espace et du temps ; il existe en dehors de tout, se remplissant de lui-même et se suffisant à lui-même ; incréé, infini, éternel, immuable ; à qui toute la création n’ajoute rien, et qui ne perdrait rien à la destruction universelle. Une pareille théologie est le produit compliqué de plusieurs génies et de plusieurs âges. On disait encore : Est-ce Platon qui parle comme Philon, ou Philon qui parle comme Platon[9] ? Mais ce n’est pas par Platon seulement que Philon a été formé ; il en cite d’autres quelquefois parmi les anciens ; et tels maîtres plus voisins de lui, qu’il ne cite pas et qui sont perdus pour nous, avaient contribué sans doute à porter la métaphysique platonique au point où nous la trouvons dans ses livres. Ce n’est pas tout ; il faut ajouter que la métaphysique de Philon n’est pas purement hellénique ; elle contient des éléments étrangers, que j’essaierai de démêler tout à l’heure ; mais je dois d’abord présenter les doctrines de Philon dans leur ensemble, telles qu’il nous les donne et telles qu’elles semblent être sorties de ses méditations et de ses lectures, formant un tout en apparence homogène, dont les éléments sont fondus ensemble de manière qu’on ne les distingue plus. La métaphysique de Philon, à force d’élever et de simplifier l’idée de Dieu, la ramenait à celle de la cause, ou plutôt de la substance première de toutes choses, et subtilisant encore sur cette idée même, la réduisait à ce qu’elle appelait absolument l’Être. Puis, par un effort suprême d’abstraction, et pour en écarter tout alliage, elle déclara que l’Être, étant purement être, n’a aucune qualité, aucune modification quelconque. Ce n’est plus, pour ainsi dire, qu’une idée d’idée ; on est monté à un sommet bien nu et bien dépouillé. C’est l’Un du Parménide ; mais, dans le Parménide, il n’est pas question de religion. Comment la religion pourra-t-elle s’intéresser à cet absolu si hors de toute portée ? Comment ce Dieu pourra-t-il agir et se faire sentir au dehors ? Il faut bien que de ce fond de l’Être, où tout s’effaçait, l’esprit laisse comme se détacher des facultés, des vertus, au moyen desquelles ce Dieu crée et gouverne, et par où l’abstraction retourne à la réalité. L’Être est, et c’est tout ; mais sa vertu créatrice crée, sa vertu directrice gouverne, etc. ; voilà comme parle Philon. Et ce qu’il y a de plus singulier dans son langage, c’est qu’il s’exprime comme si ces vertus divines étaient en effet distinctes de son Dieu et subsistaient par elles-mêmes. Si l’on a pu reprocher aux philosophes, même quand ils n’étudient que les facultés de l’esprit humain, d’oublier quelquefois que ces facultés sont des abstractions et non des choses, le danger de se méprendre est bien plus grand quand il s’agit d’un Dieu, c’est-à-dire de l’inintelligible, et les philosophes des Gentils ont eux-mêmes donné d’autant plus aisément dans cet écueil, qu’ils ont été entraînés par le besoin de concilier leur métaphysique avec les croyances populaires. Quand on ne voulait plus voir qu’un seul Dieu dans la nature, que pouvait-on faire de tous les autres ? On les regarda comme autant de personnifications des attributs divers du Dieu unique, des figures et des noms, dit le poète Manilius, que la nature a mis sur les vertus divines pour que les choses, revêtues d’un corps, imposent ainsi davantage : Cum
divina dedit magnis virtutibus ora, Condidit
et varias sacro sub nomine vires, Pondus uti rebus persona imponere possit (II, 248). En disant la nature, au lieu de dire l’homme, il semble que le poète reconnaisse en effet à ces dieux une réalité distincte. Cela demeure pourtant bien vague, mais la foi hellénique n’était pas très exigeante ; celle des Juifs l’était davantage, et Philon avait à la satisfaire, sans sacrifier sa philosophie. Il est vrai que dans sa mythologie il n’avait pas affaire à des dieux, mais il y trouvait des anges, qui étaient à peu près la même chose que les dieux. Philon enseigne que ces anges ne sont autre chose que les modes de la substance divine, les actes et les verbes de Dieu. — Ces verbes incorporels sont autant d’existences immortelles. — Il est impossible de trouver des mots pour s’élever jusqu’à l’expression, je ne dis pas de l’Être lui-même..., mais des Puissances qui font son cortège : Puissance créatrice, Puissance gouvernante, Puissance providentielle, et toutes les autres, ministres des bienfaits ou des châtiments. Voilà donc les vertus divines, non plus seulement figurées, mais réalisées, et devenues autant de personnages célestes. Mais parmi les noms dont il les appelle, on a remarqué celui de verbes : il nous conduit à une idée qui est devenue un mystère de la foi chrétienne, et à laquelle il faut s’arrêter. Le Verbe ou le Logos est encore un terme de la philosophie hellénique. Il a été un temps oit le mot français discours ne signifiait pas seulement, comme aujourd’hui, la parole, expression de la pensée, mais la pensée elle-même et le travail de l’esprit qui développe et ordonne ses conceptions ; il répondait alors assez exactement au grec Logos, latinisé plutôt que traduit dans verbum[10]. La philosophie grecque conçut de bonne heure une Raison, un Logos, comme présidant à la nature ; le vieil Héraclite l’annonçait déjà. Ce fut Zénon surtout qui formula cette foi en un Logos, régulateur du monde. Les Grecs l’appelaient simplement la Raison, le Verbe, et semblaient en faire une divinité supérieure à toutes les autres. C’est, pour Philon, le Verbe de Dieu[11]. On a vu qu’il étend d’ailleurs ce terme à une foule de vertus divines, qui sont pour lui les anges. Mais il n’en reconnaît pas moins un Verbe supérieur et par excellence, qui revient à chaque instant dans ses discours, tandis qu’il ne parle qu’en deux ou trois endroits des autres verbes. Ce Verbe n’est pas telle ou telle vertu de Dieu, c’est Dieu même en acte ; le siège ou le lieu des idées divines ; l’idée première sur laquelle et par laquelle Dieu a tout fait, et dont la création n’est que la manifestation et le vêtement ; l’image dans laquelle Dieu se reflète, comme à son tour le Verbe se reflète dans la création. Jusqu’ici le Verbe n’est encore, si l’on veut, qu’une abstraction, mais cette abstraction suprême va se réaliser comme les autres. Dieu et son Verbe vont être deux, — sinon deux êtres, du moins ce que l’Église appellera plus lard deux personnes. Les verbes inférieurs étant des anges, le Verbe supérieur sera le prince des anges ou l’archange. Philon l’appelle le lieutenant de Dieu, son fils et son premier-né, dieu lui-même, quoique en second ; il n’est pas allé jusqu’à le confondre tout à fait avec l’autre. Platon, dans son Banquet (p. 202), nous représente les daemones comme des existences intermédiaires entre la nature divine et l’humaine ; non pas intermédiaires seulement, mais médiatrices ; car ils transmettent et présentent à la divinité les vœux et les sacrifices des hommes, comme ils rapportent aux hommes les ordres et les bienfaits divins. Ils comblent l’intervalle du ciel à la terre, et c’est par eux seulement que s’établit le commerce entre l’un et l’autre. Philon répète cela en parlant des anges. Mais si les anges ou les verbes sont des médiateurs entre l’homme et Dieu, le Verbe suprême doit être le Médiateur suprême. Et c’est ainsi, en effet, que Philon le considère : placé entre le créateur et la création. Le Verbe intercède auprès de l’Éternel pour la mortalité misérable, et d’autre part il interprète les ordres du maître à ses sujets... Il assure au créateur que la créature sera fidèle à la loi suprême, en dehors de laquelle elle tomberait dans le néant, et à la créature que le créateur ne l’abandonnera pas à sa faiblesse et à son impuissance. La doctrine d’une Trinité divine date pour nous de Philon, comme celle du Verbe. Voici cette Trinité, dont son âme a eu l’intuition surnaturelle dans un de ces accès d’enthousiasme mystique, comme il nous dit qu’il en a souvent : Il y a dans le Dieu unique, qui seul existe véritablement, deux Vertus suprêmes et premières, la Bonté et la Puissance : la Bonté, par laquelle il a tout créé, et la Puissance, par laquelle il gouverne la création, et en troisième le Verbe, placé entre les deux et qui les rapproche ; car c’est par son Verbe que Dieu est puissant et bon[12]. Voilà la théologie de Philon ; elle parait d’abord toute platonique ; mais en y regardant de p !us près, on s’aperçoit que Philon et ses maîtres ont ramené involontairement au platonisme, qui avait pris possession de leur pensée, des idées ou des imaginations qui leur venaient d’ailleurs. C’est ainsi que se sont formées les deux doctrines de la Trinité et du Logos ou du Verbe. La Trinité semble avoir une origine égyptienne. La vieille Égypte, en méditant sur le mystère de l’existence des choses, frappée du travail continuel de la vie dans la nature, se la représentait sous l’image ‘d’un être qui non seulement engendre perpétuellement, mais qui s’engendre aussi lui-même, puisque le grand Tout est à la fois cause et effet. Un dieu qui est en même temps père et fils, ou bien un dieu qui se dédouble, de manière à donner à la fois un père et un fils, celui-là principe caché, celui-ci dieu manifeste : voilà un symbole dont Platon semble déjà s’être inspiré[13], qui devait être toujours présent à l’esprit des philosophes d’Alexandrie, et que nous retrouvons sans doute dans le Verbe de Philon, fils premier-né de l’invisible[14]. Quelquefois le symbole prenait une autre forme on distinguait un père, une mère, un fils, comme Osiris, Isis et Horus[15]. Platon semble n’avoir fait que traduire cette triade ou trinité de dieux en une triade philosophique : le Père, c’est l’esprit (ou la force), qui engendre ; la Mère, qui conçoit, c’est la nature ou la matière ; le Fils, c’est le monde créé[16]. En voici une autre dans Philon : le Père est toujours le créateur, mais la Mère est sa Sagesse, dans le sein de laquelle il engendre, non pas à la manière de l’homme, le Fils ou le monde, conçu d’un germe divin. Si on considère que la déesse égyptienne de Saïs, Neith, dont le nom est dans Platon, devait être la Nature mère, d’après l’inscription célèbre conservée dans le livre d’Isis et Osiris, et que d’un autre côté, Neith a été de bonne heure identifiée à Athéné, on comprend aisément que la Sagesse ait pris la place de la Nature dans la trinité de Philon[17]. Philon trouvait d’ailleurs dans la Bible hébraïque (il est vrai que c’est dans la partie moderne de la Bible), la Sagesse ou l’Intelligence personnifiée. Dans le livre des Proverbes (la Loi ni même les Prophètes n’ont rien de semblable), la Sagesse elle-même prend la parole ; elle déclare qu’elle est la source de tout bien ; que Iehova l’a produite dès l’origine, avant qu’il eût fait encore aucune de ses œuvres, et qu’elle a présidé à toutes ses créations[18]. Ces brillantes figures ont-elles, à l’insu même de celui qui les emploie, une origine mythologique ? On trouve, en effet, dans de vieux mythes grecs, dont on ignore la source, Métis ou l’Intelligence mystérieusement unie au dieu suprême, concevant de lui, puis enfermée dans lui, de sorte que lorsqu’elle enfante Athéné, celle-ci sort de la tête de son père[19]. Quoi qu’il en soit, ces images des gnomiques hébreux, renouvelées dans l’apocryphon du Fils de Sirach (chap. XXIV) avec des expressions encore plus vives, avaient fait d’avance une place dans l’imagination des Juifs pour les trinités de Philon. Dans un autre apocryphon, la Sagesse de Salomon, la figure est poussée si loin, que la Sagesse paraît presque une personne divine ; je crois pourtant qu’elle n’est encore qu’une figure. Ce livre grec et alexandrin est ce qu’il y a de plus voisin de Philon. Les applications que Philon a faites de cette théologie à l’interprétation de la Bible, quoique helléniques et alexandrines, semblent se rattacher à une école d’exégèse biblique qui remontait plus haut et était née dans la Palestine. Philon lui-même n’est pas un disciple direct des sopherim ou docteurs de Jérusalem ; il n’est pas un hébraïsant ; tous ses commentaires sur la Bible se rapportent à la version grecque, qu’il suit jusqu’à en être dupe. Mais Philon n’a pas inventé la doctrine qu’il développe ; il a eu des maîtres, et si on pouvait suivre la chaîne des enseignements qui l’ont formé, on arriverait à des interprètes qui savaient à la fois le grec et la langue sacrée, et qui pouvaient associer la dialectique alexandrine aux subtilités rabbiniques. Celles-ci doivent être pour quelque chose dans les commentaires bizarres par lesquelles Philon explique telle singularité du livre saint qui paraissait embarrassante. Que signifient, par exemple, ces deux noms du dieu des Juifs, Élohim et Iehova, ou (dans les versions et dans Philon) Dieu et le Seigneur ? Ce sont les noms propres des deux grandes Vertus ou personnes divines : Dieu est la Bonté ; le Seigneur est la Puissance. Au chapitre XVIII de la Genèse, trois formes humaines se présentent devant Abraham, et c’est la divinité qui se montre en elles : la critique moderne reconnaît dans ce passage un reste d’une mythologie primitive polythéiste. Pour Philon, il voit dans cette triple apparition la manifestation d’une de ses trinités divines : L’un des trois était l’Être lui-même, et à ses côtés étaient les deux premières Vertus, celle qui crée et celle qui gouverne. Des Pères ont commenté ce passage à peu près comme Philon[20]. Le Verbe même de Philon, le Logos, parait avoir des origines rabbiniques en même temps que des origines grecques. Il n’y a rien dans la Bible même qui réponde au Logos hellénique : dabar n’y est jamais pris que dans le sens naturel de parole ; mais on trouve dans les targoum, ou paraphrases chaldaïques de l’Ancien Testament, qui portent les noms d’Onkelos et de Jonathan, le memra de Iehova, dont j’ai parlé tout à l’heure et qu’on traduit par son Verbe, et quoique ces écrits soient de date récente, et qu’on les rapporte seulement au IVe siècle de notre ère, les hébraïsants admettent généralement qu’ils ne sont que des compilations de commentaires beaucoup plus anciens. Mais le Verbe des tarqoum n’a pas le caractère métaphysique de celui de Philon : il exprime la manifestation extérieure de Iehova, appelée dans la Bible sa gloire, kabod, et plus tard son rayonnement, schechina. Néanmoins cette expression de Verbe de Iehova, si elle était déjà en usage au temps de Philon et de ses maîtres, a pu autoriser et consacrer à leurs yeux le Logos de la philosophie grecque[21]. On ne peut trop dire combien il est difficile, dans ces conceptions extraordinaires, de faire la part exacte de ce qui est grec et de ce qui est rabbinique. Qu’on voie, par exemple, la curieuse explication de Philon sur la manière dont la Genèse expose la création de l’homme. D’une part, il est dit de Dieu : Il créa l’homme à son image... ; il les créa mâle et femelle. Puis, un peu plus loin, le dieu, qui cette fois s’appelle Iehova, forme d’abord l’homme du limon de la terre et tire ensuite la femme de la côte de l’homme. En réalité, ce sont deux récits de date et d’origine diverses, qui ont été mis bout à bout. Suivant Philon, le second passage seulement se rapporte à la création de l’homme réel ; dans le premier, il n’est parlé que de l’homme idée, purement intelligible, incorporel, éternel, et qui n’est ni mâle ni femelle ; car c’est ainsi que Philon parait entendre qu’il est mâle et femelle à la fois. C’est que Philon ne peut admettre que l’homme réel soit fait à l’image de Dieu ; cela n’est vrai que de l’homme idée, et celui-ci n’est autre que le verbe lui-même, la vraie image et le vrai reflet de l’Être. Voilà qui paraît d’abord de la métaphysique toute platonique. Cependant, quand on lit dans Paul, qui est fort loin de cette métaphysique, l’opposition entre Adam et le Christ, le premier Adam et le dernier Adam, l’Adam terrestre et l’Adam céleste (I Cor., XV, 22, 45), il est difficile de ne pas croire que cet Adam céleste, manifestation de la divinité sous forme humaine, est le même que le memra de Iehova des targoum[22]. Aussi bien un critique des plus considérables en cet ordre d’études, M. Franck, dans un livre qui est devenu classique, la Kabbale, 180, s’est attaché à établir que la théologie de la Kabbale, quelque ressemblance qu’elle offre avec celle de Philon, ne vient pas de Philon ni de l’hellénisme alexandrin, mais remonte à une source palestinienne. Quant à certains autres éléments orientaux qui on a cru démêler dans la doctrine du Verbe, je ne vois pas que l’Honover ou Ahuna-Vayria du Zend-Avesta, qui parait être une prière, une formule sacrée, dont la vertu est toute-puissante, ait rien de commun avec le Verbe alexandrin ou chrétien. Cependant il y a sans doute quelque rapport entre les idées de Philon et la religion de Mithra, cette religion si profondément inconnue aujourd’hui, et qui fut si considérable dans le monde, à côté même du christianisme, pendant les premiers siècles de notre ère. Quel est le lien entre le Logos alexandrin, défini surtout par le nom de puissance créatrice, et ce dieu demiurgos ou artisan du monde ? entre ce culte mithriaque, où figurait en quelque sorte la création, avec les astres et les éléments, et la manière dont la création, les astres et les éléments figurent aussi dans les spéculations de Philon, je dirais presque dans sa liturgie. ? Il y en a un sans doute, mais lequel ? Je crains qu’il ne faille se résoudre à l’ignorer. Je ne dissimule pas, comme on voit, combien de questions difficiles peuvent être soulevées à l’occasion des livres de Philon. Mais je prie qu’on veuille bien le remarquer ; si curieux et si intéressants que ces problèmes soient en eux-mêmes, la solution n’en a cependant pas autant d’importance, au point de vue des origines du christianisme, que cette seule observation, nullement problématique et pleinement assurée, que la théologie de Philon, qui n’était pas dans la Bible, a été développée par Philon avant de paraître dans aucun monument chrétien. La part de Philon n’est pas moindre dans le mysticisme chrétien que dans la théologie chrétienne, et là encore il s’inspire à la fois de l’esprit juif et de l’esprit grec. Les Juifs, ayant toujours vécu dans le miracle, n’étaient pas disposés à s’arrêter aux bornes de la nature et de la raison. Leur histoire leur avait appris à tout attendre de leur dieu et à mépriser les forces et les moyens des hommes ; puis, quand ils ont eu affaire, non plus seulement aux ennemis du dehors, mais, au dedans, à des raisonneurs et à des sceptiques non moins hostiles à leur dieu, ils se sont enfoncés tous les jours plus profondément dans la foi. Croire devint pour eux le fond de la religion et du devoir, et ce mot prit dans les écrits juifs de l’époque romaine une valeur et une force qu’il n’avait pas encore dans les livres plus anciens. Vous qui craignez le Seigneur, croyez en lui (Sirach, II, 8). — Malheur au cœur lâche, car il ne croit pas (Ibid., 13). — Crois en lui... et espère en lui (II, 6). — C’est ta parole qui garde ceux qui croient en toi (Sagesse, XVI, 26). La vertu de croire ou la Foi (πίστις, fides) est un mot de cette époque, qui n’a pas dans la Bible de véritable équivalent. Il commence à se montrer dans le Fils de Sirach ; mais dans Philon et dans Paul il est employé avec toute son énergie, et il suffit qu’il leur soit commun à tous deux pour qu’on puisse conclure qu’il est plus ancien que l’un et l’autre[23]. C’est ce qui est vrai aussi de la Grâce. L’idée de la Grâce est éminemment juive dans son fond. Les Juifs sont à leurs propres yeux le peuple de Iehova, le peuple choisi, en qui il a mis ses préférences : cela allait de soi tant que Iehova n’était lui-même qu’un dieu juif. Mais quand, la pensée d’Israël s’étant élargie au contact de l’hellénisme, il reconnut Iehova ou le Seigneur pour le dieu de tous les hommes, la prédilection du Seigneur pour les fils de Jacob ne s’expliquait que comme pure faveur et pure grâce, et ils en étaient d’autant plus reconnaissants. Aux Gentils donc, attirés vers eux, mais qui demandaient sans doute avec étonnement pourquoi le Seigneur avait tant fait pour les Juifs, ils ne pouvaient répondre qu’une seule chose : Sa grâce est sur nous. C’est cette pensée même que Paul retourna contre eux, le jour où il détacha le christianisme du judaïsme : il proclama que la Grâce du Seigneur leur avait été retirée et qu’elle avait passé aux suivants du Christ. La Grâce devint alors une chose chrétienne, mais jusque-là elle avait été chose juive. Le mot cependant n’est pas dans la Bible, au sens qu’il a dans le Nouveau Testament ; à peine le peut-on reconnaître dans un ou deux passages des apocrypha (Sirach, XXXVII, 21 ; Sagesse, IV, 15) ; mais il revient souvent dans Philon, qui développe toute une doctrine de la Grâce. Je conclus encore que cette doctrine, étant à la fois dans Philon et dans Paul, a été puisée à une source antérieure à tous deux. Mais le mysticisme juif rencontrait dans Philon le mysticisme hellénique. Celui-ci a son origine dans un besoin de foi développé sous l’influence même du trouble que le doute jette dans les âmes. Nous le voyons paraître pour la première fois à la suite de l’agitation intellectuelle produite par les Sophistes. La poésie déploie alors, dans les Βάκχαι d’Euripide, tous les transports de l’enthousiasme religieux, et les philosophes mêmes laissent l’imagination dominer jusqu’à un certain point leur philosophie, qui aboutit à la théologie de Platon. On sait quel prix ont pour Platon l’inspiration, l’enthousiasme, la faveur divine ; que non seulement l’art, mais la vertu ou la sagesse est à ses yeux un don d’en haut ; qu’il semble n’attendre la vérité que d’une révélation céleste, et qu’il dit déjà le mot de l’Évangile : Beaucoup d’appelés et peu d’élus[24]. Cependant il y a là plus de poésie que de soumission et d’abandon véritable : Platon est un fils d’Athènes, d’Athènes encore libre ; s’il se laisse amuser par des rêves religieux, sa pensée n’en conserve pas moins l’indépendance, le mouvement, la hardiesse à raisonner, à chercher, à innover ; aucun dogme ne le lie et ne l’oblige ; il n’obéit à rien, pas même à son génie, dont il reste toujours le maître ; il étonne et il trouble les autres sans être lui-même étonné. Tout autre est le platonisme du temps de Philon, mais nous ne pouvons l’étudier que dans Philon même. Entre Platon et lui, nous ne lisons de philosophie platonique que dans Cicéron, et l’on ne saurait imaginer d’esprit moins mystique que ce disciple de la nouvelle Académie. Il y eut sans doute à cette époque, parmi les héritiers de Platon, ou parmi les restaurateurs de l’école de Pythagore, des âmes bien autrement religieuses. Leur voix n’est pas arrivée jusqu’à nous ; plus tard seulement nous en entendrons l’écho dans Épictète et Marc-Aurèle. Mais aucun Hellène ne pouvait être aussi mystique que Philon ; car aucune philosophie n’est moins libre que la sienne. La sienne est placée sous l’autorité d’une foi impérieuse, à laquelle sa pensée n’a pas le droit de résister ; si elle était tentée de le faire, il lui faudrait vaincre à tout prix cette résistance : c’est par le mysticisme qu’il en vient à bout. Il accable de son mépris la raison humaine et la confond devant les révélations d’en haut ; il se sert du scepticisme, comme tant d’autres ont fait depuis, pour autoriser la foi. L’esprit humain ne peut pas par lui-même s’assurer de la vérité en aucune matière ; de là les divisions des philosophes ; il est plein d’erreurs et de troubles de toute espèce ; il n’a en lui nul principe de certitude. S’il en est ainsi, c’est donc Dieu seul qui peut nous suggérer la vérité, et ni notre raison ni nos sens ne perçoivent rien sûrement qu’avec son aide. La pensée de l’homme n’est pas à lui ; elle lui vient d’en haut ; un ancien sage l’a dit déjà : la seule vraie sagesse est en Dieu. Moi-même, dit Philon, ne l’ai-je pas senti mille fois ? Je voulais écrire ; j’avais bien étudié mon sujet, et je demeurais stérile et impuissant ; méprisant alors les efforts de mon entendement et saisi de respect pour la toute-puissance qui ouvre ou qui ferme la matrice de la pensée, tandis que d’autres fois j’étais venu vide, et tout à coup je me trouvais plein, les idées tombant sur moi du ciel comme une pluie. — Toute science qui ne relève pas de Dieu est condamnée, toute démarche de l’esprit que Dieu ne regarde pas d’un œil propice est dommageable ; et il vaut mieux errer au hasard à travers cette vie mortelle, comme presque tout le genre humain, que de prétendre s’élever au ciel dans sa présomption, pour en tomber avec tant de sophistes. — Ô âme, si le désir te prend d’avoir part aux biens célestes, renonce à la raison, échappe à toi-même ; sors de toi-même, comme ceux qui sont possédés d’un démon ; laisse-toi emporter d’un esprit divin comme dans une effusion prophétique. — Quand la lumière divine éclate en nous, la lumière humaine se’ couche ; et c’est quand celle-ci s’est couchée (c’est-à-dire quand notre raison s’est éclipsée) que l’autre se lève et resplendit. C’est fleure de l’extase, et du délire qui vient de Dieu. L’extase, c’est l’état de celui qui est hors de soi ; le mot est dans Philon, et il ne dépasse certainement pas sa pensée, puisqu’il dit ailleurs que dans ceux qui sont possédés de Dieu, non seulement l’âme est excitée et enfiévrée, mais que le corps aussi est rouge et brillant. — Toute science a été révélée à l’origine, et celle qui parait la plus nouvelle n’est qu’une réminiscence de la révélation primitive. — Philon ne demeure pas toujours sur ces hauteurs, où sa critique du raisonnement humain pourrait paraître désintéressée ; ce dont il en veut surtout aux raisonneurs, c’est qu’ils font la guerre, par l’argumentation et la raillerie, à la foi qu’il sent en lui, et qui est son orgueil comme elle est l’orgueil de son peuple. Les philosophes étaient les plus intraitables adversaires du judaïsme, comme ils le seront des chrétiens ; aussi Philon les poursuit sans cesse : il relève leurs subtilités, leurs logomachies ; il leur impute d’enseigner pour la vanité et pour le gain, de faire de la sagesse métier et marchandise, de repousser le pauvre qui a soif de la vérité. En même temps qu’il les méprise, il a peur d’eux, il recommande aux simples de ne pas accepter la discussion avec ces maîtres trop subtils, parce qu’ils seraient aisément surpris. La vraie philosophie n’est pas celle que cultive la troupe des sophistes, ourdissant contre la vérité les trames du raisonnement, et appelant cela sagesse, c’est-à-dire mettant sur une œuvre mauvaise un nom sacré : c’est celle que pratiquait l’antique confrérie des ascètes[25], se détournant des séductions trompeuses de la volupté et se donnant au culte savant et austère du bien. Cette route royale, que j’appelle la vraie et légitime philosophie, la Loi la nomme la parole et le Verbe de Dieu. En d’autres termes, la philosophie, c’est la religion. Ou plutôt la religion c’est la sagesse, dont la philosophie n’est que la servante. Les philosophes se plaisaient à dire que les sciences diverses ne devaient cotre que les servantes de la philosophie ; Philon applique ce mot à la philosophie elle-même, par rapport à une doctrine plus haute. La morale, qui pour Socrate et les siens était souveraine, il la subordonne à la dévotion : Les vertus sont bonnes par elles-mêmes, mais elles paraîtront plus respectables si on les pratique pour l’honneur et le service de Dieu. C’est donc à la révélation que Philon demande la vérité. Le tabernacle, suivant lui, n’est que le symbole de cette révélation que Dieu nous a accordée dans sa miséricorde, par pitié pour notre race, ayant bien voulu faire descendre du ciel sur la terre la sublimité de la vertu divine. Mais voici un endroit où il envisage la révélation d’une manière curieuse et inattendue. Lisant, dans un verset du Lévitique sur l’oblation des prémices, qu’il faut offrir des épis frais, et cherchant là comme ailleurs des allégories, il dit qu’il faut embrasser, au sujet des choses divines, des pensées fraîches, jeunes et nouvelles, au lieu de se nourrir de mythes vieux et surannés, inventés aux temps anciens pour tromper les hommes ; qu’il faut accepter, du dieu toujours jeune et qui ne vieillit pas, les biens véritablement jeunes et nouveaux qu’il nous présente. Malgré le sens mystique donné ici au mot de jeune et de nouveau, on voit bien que ce qui a frappé Philon est qu’en effet la révélation juive s’offrait au monde hellénique comme une nouveauté, qui venait se mettre à la place des vieilles traditions accréditées chez tous les peuples ; et peut-être s’apercevait-il, sans vouloir se l’avouer, que cette révélation prétendue antique avait été tellement transformée par l’esprit hellénique, qu’elle était devenue toute moderne. La Bible était vieille, nais la doctrine de Philon était nouvelle, et le christianisme aussi, qui est à peu près la même chose, a été nouveau. Toute vérité venant de Dieu, il ne s’agit pas de raisonner, mais de croire ; il faut donc avoir la Foi. La Foi est la première des vertus, également méritoire et difficile. C’est encore un langage nouveau, le même que celui des chrétiens. — La vraie foi est d’un tel prix, qu’elle n’a pas besoin d’autre récompense qu’elle-même. — Les sages ont pu s’élever jusqu’à Dieu par ses œuvres, comme par les degrés d’une échelle céleste. C’est à peu près ce que Paul a répété[26]. Mais ces croyants, dit Philon, qui ont pu le saisir en lui-même, sans aucun secours et par une contemplation directe, sont ses saints et ses bien-aimés. Cette foi fervente lui rend insupportables les incrédules, les douteurs, les railleurs, les esprits forts : il est le premier, à ma connaissance, qui se moque de cette force prétendue. L’impiété est à ses yeux la source de tous les crimes. Les écoles religieuses de la Grèce l’avaient dit déjà[27], mais il reprend les mêmes idées avec bien plus de passion et d’intolérance. Il dit que les blasphèmes des ennemis de Dieu consternent les âmes pieuses et versent en elles par les oreilles le feu dévorant d’une douleur indicible et inconsolable. — Ils ne croient pas aux miracles ! c’est qu’ils ne savent ce que c’est que Dieu, pour qui ce n’est qu’un jeu, qu’un miracle. Ils ne croient pas que, des esprits célestes conduisent les astres, qui ne sont pour eux que des meules incandescentes ! — dignes en cela eux-mêmes de la meule qu’on fait tourner aux scélérats dans les cachots. Un passage de Philon témoigne jusqu’où pouvait aller l’acrimonie de ces querelles entre croyants et incrédules. Rencontrant, dans son commentaire sur la Genèse, les versets où Dieu dit : Ton nom ne sera plus Abram, mais Abraam ; et plus loin : Tu n’appelleras plus la femme Sara, mais Sarra[28], il développe les mystères que contiennent, suivant lui, ces noms changés ; puis il ajoute : Il y a des hommes haineux, habitués à blâmer ce qui ne mérite aucun blâme, les choses aussi bien que les personnes, et faisant à tout ce qui est sacré une guerre perfide ; ils s’acharnent aux paroles qui ne semblent pas d’abord les plus convenables, et qui ne sont que les symboles dont s’enveloppe une nature qui se plaît à se voiler ; ils les interprètent d’une façon basse et odieuse au moyen d’une critique impitoyable, et appliquent surtout ce procédé à ces transformations de noms. Il n’y a pas longtemps que j’entendais un impie, un homme sans dieu, raillant et insultant ainsi, qui osait dire : Voilà de grands dons, et vraiment magnifiques, que le maître de toutes choses fait à cet homme par l’addition d’une lettre à son nom ! Le voilà plus riche d’un alpha ; et de même pour l’autre, il semble qu’en lui donnant un rho de plus, il lui fasse un présent inestimable. La femme d’Abraam, de Sara devient Sarra, en doublant le rho. Et il s’en allait, enfilant sans s’arrêter tous les traits semblables et redoublant ses sarcasmes. Mais il ne tarda pas à payer la juste peine de sa démence : il en vint à se pendre, à l’occasion de je ne sais quelle misérable affaire ; car un homme si impur et si souillé ne devait pas même mourir d’une mort décente. La critique de ce malheureux était en effet une assez pauvre critique ; mais quelle sentence, et quelle rage de dévot ! Mais la Foi est placée si haut, qu’on ne peut y atteindre que parla Grâce : L’âme ne produit par elle-même aucun bien ; tout lui vient du dehors, par la munificence du dieu qui fait pleuvoir sur nous ses grâces. C’est lui seul qui verse d’en haut la vertu à l’élu, lequel la reçoit sans travail et sans étude. — Sans une grâce divine, il est impossible de s’arracher aux choses périssables et de s’attacher à ce qui est immortel. La vertu par elle-même est stérile, si Dieu ne la féconde au moyen d’un germe envoyé du ciel. — Philon se fait encore ici à lui-même l’application de ses principes : Quelquefois, dit-il, je veux m’attacher à la pensée du devoir, et je me sens emporté par le flux des pensées contraires ; et d’autres fois, après avoir accueilli une pensée honteuse, je l’ai rejetée sous l’influence d’une meilleure, par le bienfait de Dieu et de sa grâce. Et ailleurs : Ce n’est pas la solitude qui fait le saint, ni la vie du monde qui fait le pécheur : Souvent il m’est arrivé de quitter mes parents, mes amis, ma terre natale, et d’aller dans la solitude pour me livrer à de saintes contemplations ; je n’y gagnais rien, et mon âme dissipée, ou mordue par la passion, retombait dans d’autres pensées. D’autres fois, au milieu d’une foule immense, mon âme est solitaire ; Dieu dissipe en moi le tumulte de la vie animale et m’apprend que le bien ou le mal ne dépend pas des lieux où l’on est, mais de Dieu, qui mène et qui pousse où il veut le char de l’âme. — Il sait surtout la difficulté de la persévérance. Tel a vécu toute sa vie en homme de bien qui, à la fin et dans ses dernières années, va donner contre l’écueil des mauvaises passions et y fait naufrage. C’est pourquoi il faut prier Dieu, et le conjurer de ne pas laisser à elle-même notre misérable espèce, et de lui conserver présente jusqu’au bout la miséricorde qui peut la sauver. — En un mot, tout est don, bienfait, grâce de Dieu ; tout ce qui est dans le monde et le monde lui-même. — Mais l’homme est le plus souvent ingrat envers Dieu, et il lui arrive de l’être de trois manières : tantôt il méconnaît purement et simplement les biens dont il jouit ; ou bien il s’imagine que c’est lui qui se les est donnés à lui-même ; ou enfin il reconnaît que ces biens lui viennent de Dieu, mais il se figure que Dieu les devait à ses mérites. Il y a un côté du mysticisme tellement développé déjà dans Platon, qu’il semblerait que Philon pût à peine y ajouter : c’est le mépris du monde et de l’existence présente. Philon lui-même a cité avec amour un passage du Théétète, tout plein de cette ardeur à fuir la terre pour le ciel et à faire de cette vie comme une mort anticipée. Mais dans les jours mauvais où Philon a vécu, ce qui n’était guère au temps de Platon qu’un idéal est devenu une réalité présente. Voyez le portrait qu’il nous trace de l’existence des bons mise en parallèle avec celle des méchants. Les premiers sont obscurs, méprisés, humiliés, manquant du nécessaire, plus maltraités que des vaincus et des esclaves, sales, pâles, desséchés, ayant en perspective de mourir de faim, accablés de maladies, occupés pour ainsi dire à mourir. Les autres sont honorés, riches, puissants, etc. (il poursuit obstinément l’antithèse). Bien des figures reproduisaient alors ce modèle : les Calanes dans l’Inde[29], les Jean en Judée, les cyniques, tels que nous les peint Épictète ; plus tard les érémites ou ermites du christianisme, et ces moines dont l’aspect révoltait et dégoûtait les derniers Hellènes. Philon enfin ne craint pas de dire, comme le répétera l’Évangile, qu’il vaut mieux se retrancher un membre que d’en user pour le péché, s’aveugler que de regarder ce qu’il ne faut pas voir, se rendre sourd que d’écouter ce qu’il ne faut pas entendre, se faire eunuque que de se laisser emporter à la rage des voluptés défendues. On sait qu’un verset de l’Évangile loue ceux qui se font eunuques pour le royaume des cieux, et qu’Origène, qui était d’Alexandrie, a pris ce texte à la lettre. Mais Philon a beau être mystique et faire la guerre à la philosophie au nom de la religion ; il reste, quoi qu’il en ait, philosophe, et par là encore il est bien le chef des Pères chrétiens. Il accepte comme eux le nom de la philosophie, et il honore sous ce nom la religion elle-même, comme ils le font perpétuellement. Il a si bien le sentiment de ce que le judaïsme doit à la philosophie, que dans la Vie de Moyse, par une supposition bien naïve, — mais cette naïveté même rend le témoignage précieux, — il nous assure que Moyse, élevé comme un prince par la fille de Pharaon, reçut des maîtres de toute espèce, les uns qu’on prit dans l’Égypte même, les autres qu’on fit venir de Grèce à grands frais ; et Moyse ne cessait de repasser les dogmes de la philosophie. Voilà qui répond d’une manière curieuse et imprévue aux imaginations de ceux qui ont voulu, en sens inverse, que Platon et les philosophes grecs aient lu ce qu’on nomme les livres de Moyse. Philon fait un étrange anachronisme, car au temps où l’on place le personnage de Moyse, il n’y avait encore ni philosophe ni philosophie. Mais l’autre hypothèse, quoique répugnant moins à la chronologie, est plus contraire encore à la véritable critique historique ; car il est certain que Platon ne connaissait pas la Bible, et au contraire le Pentateuque de Philon, je veux dire le commentaire qu’il a fait du Pentateuque, est rempli des enseignements de Platon. Philon est pénétré aussi de la doctrine stoïque, dont l’esprit s’accorde si bien avec l’austérité juive. Sans parler du livre célèbre qu’on lit dans ses œuvres sous un titre qui est lui-même un dogme stoïque : Que tout homme de bien est libre (car ce livre est-il de Philon ?), il est certain que partout il se plan à développer les principes de l’École, en les appuyant sur les sentences et sur les exemples des Écritures. Il s’attache surtout à leur type du Sage ; il y retrouvait ce que l’Écriture appelle le Juste ou le Saint ; et en effet, le Juste des Psaumes et le Sage des stoïques se sont fondus ensemble dans l’idée du Saint, telle que le christianisme l’a consacrée. Le Sage, dit Philon, est seul libre, seul riche, seul maître, quand son corps aurait mille maîtres en effet ; c’est le dogme par excellence ; ceux qui n’ont pas la sagesse sont dans une condition vraiment servile, misérable et sans honneur. Le Sage est le véritable roi[30]. Le Sage a la vraie noblesse, car il s’est fait fils adoptif de Dieu ; il est pour Dieu un ami plutôt qu’un serviteur ; il est intermédiaire entre Dieu et l’homme ; il est un dieu parmi les hommes. Le Sage enseigne sans cesse ; car sa vie, dans les grandes comme dans les petites choses, est une leçon perpétuelle ; s’il est en prison, la prison devient une école de bonnes mœurs. Le Sage est une protection et un rempart pour l’humanité : tout ce qu’il a en lui, il le met généreusement au service de tous, et ce qu’il n’a pas, il le demande à Dieu, seul toujours riche. Le Sage est rare, et l’on peut dire qu’il ne se trouve pas sur la terre, soit qu’en effet l’homme ne soit pas capable de cette perfection, ou que les hommes ordinaires ne soient pas capables de la reconnaître. Au reste, il y a des degrés dans la vertu : au-dessous de la sagesse accomplie, il y a le progrès, et au-dessous encore du progrès, le noviciat de la vertu. Mais celui qui est sur la voie du progrès, et qui a fait la moitié de l’œuvre, a toujours à se tenir en garde contre la critique maligne des méchants. Quand ceux-ci voient qu’un de ces hommes qui font profession d’austérité se laisse aller à fuir la peine, ou qu’il est vaincu par le gain, ou séduit par le plaisir, ils s’en réjouissent et s’en croient rehaussés eux-mêmes ; ils s’en vantent devant la foule, et dissertent en gesticulant sur ce thème, que les misères auxquelles ils se sentent attachés sont donc bien des nécessités et des avantages, puisque ce vertueux se résout lui-même à y prendre part. Parmi ces considérations sur les prérogatives du Sage, il y en a une dont on est particulièrement frappé. Tout sage, dit Philon, est le rachat, la rédemption de l’homme sans sagesse. Cela encore est un dogme. Il n’y a pas à douter, d’après la forme dont cette idée est revêtue, que ce ne soit une idée hellénique ; mais elle s’accorde merveilleusement avec les sentiments des Juifs. L’orgueil du philosophe et l’orgueil du Juif les portait également l’un et l’autre à se regarder comme le sel qui préserve le monde de la corruption, suivant l’expression d’un Évangile (Matth., V, 13). Mais on sent combien cette idée préparait les esprits à la croyance qui attribua au Christ, c’est-à-dire au Saint par excellence, la Rédemption du genre humain[31]. Voici un autre exemple singulier de cet accord du stoïcisme et du judaïsme. Les Stoïques disaient que tout appartient aux Sages, c’est-à-dire que tout est fait pour eux[32]. Et Paul écrit aux Chrétiens de Corinthe, I, III, 22 : Tout est à vous, Paul, Apollos, Céphas, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir ; tout est à vous, et vous au Christ, et le Christ à Dieu[33]. La pieuse ardeur du Juste pour la justice se tourne en une pieuse colère contre l’égoïsme insouciant qui n’ose lutter contre le mal, et qui tâche seulement de s’y dérober en le laissant passer sur sa tête. Le mépris et l’aversion que les Stoïques fervents avaient déjà pour l’indifférence des disciples d’Épicure sont bien plus fortement marqués dans Philon. Comme il aime dans son dieu la patrie, la liberté, le droit, la vertu, les blasphèmes de l’école d’Épicure lui paraissent s’attaquer à la fois à toutes ces choses saintes. Il ne peut se tenir quand il voit des sectateurs de cette morale, véritables fléaux répandus à travers les cités, s’ingérant dans tous les intérêts privés et publics pour tout arranger à leur gré, ou plutôt pour tout déranger et tout détruire. — C’est une épidémie, dit-il encore, une peste, une calamité surnaturelle, qu’il faudrait conjurer par des prières publiques et des sacrifices. Ainsi parlaient les Juifs, en attendant les chrétiens ; mais les ennemis des Juifs et des chrétiens, sous l’inspiration d’autres passions religieuses, ne restaient pas en arrière de ces emportements. Épictète n’est pas moins sévère que Philon pour les philosophes sans religion, et les païens fanatiques, avant de célébrer leurs mystères, criaient tout d’une voix : A la porte, ceux d’Épicure ! On peut dire que cette secte, qui avait peuplé le monde ancien, et qui semble avoir disparu avec ce monde lui-même, s’est éteinte sous la malédiction commune des dévots de tous les partis[34]. Les Pères de l’Église n’ont pas emprunté seulement à Philon sa théologie, mais son exégèse ; elle a pour méthode principale l’allégorie. II y a une telle disparate entre la Bible qui lui sert de texte, et la philosophie qui règne de son temps et dont lui-même est pénétré, qu’il est réduit à lire dans ce texte tout autre chose que ce qui s’y trouve. Ce n’est que par une fiction perpétuelle qu’il prétend rapporter à la Bible ce qui ne sort réellement que de ses lectures et de ses pensées, et la Bible est sans cesse transfigurée, ou plutôt elle est défigurée absolument parles gloses qui la recouvrent. L’allégorie, procédé qui lui est aussi habituel qu’il est bizarre, est ce qui donne à ses livres une physionomie si particulière et si étrange. Dès les premiers temps où les Grecs commencèrent à raisonner, on eut à défendre les auteurs sacrés de la Grèce, c’est-à-dire ses poètes, contre la critique des raisonneurs. On abandonna la lettre en l’interprétant : cette interprétation s’appela d’abord le sous-entendu (ύπόνοια), et plus tard l’allégorie[35]. La fable était l’enveloppe brillante dont on cherchait à dégager une pensée que la raison pût accepter. C’est ce qui est maintenant parfaitement compris, et, comme on l’a dit déjà, le scandale de la mythologie est aujourd’hui dissipé. Les attentats de Cronos contre Uranos ou le ciel, ou de Zeus contre Cronos, ne sont que l’expression des révolutions cosmiques. Les amours de Jupiter et des dieux figurent des phénomènes purement physiques. Mais on ne se contentait pas d’absoudre la mythologie et la poésie, c’est-à-dire l’esprit humain ; on voulait absoudre les poètes eux-mêmes, non moins révérés que leurs dieux. On supposa que dans leurs récits les moins édifiants ils avaient sous-entendu des mystères ; on oublia que si la poésie est née, en effet, d’une idée devenue image, l’art des conteurs travaille ensuite librement sur cette matière et brode les fables suivant leur caprice, ou suivant le caprice de l’imagination populaire, sans plus se souvenir des vérités d’où elles sont sorties. Quand Homère raconte que Zeus, étant en colère contre son fils Héphestos, qui défendait contre lui sa mère Héré, le prit par un pied et le précipita du haut du ciel ; que celui-ci roula tout le jour à travers les airs et qu’il tomba au coucher du soleil dans l’île de Lemnos, pour ne se relever que boiteux, les philosophes et les grammatiques ont beau exposer que cela veut dire qu’il y avait dans Lemnos des feux volcaniques, ou proposer quelque explication physique plus savante encore, il reste vrai que le poète ne s’est pas inquiété de ces mystères, qu’il a répété simplement une légende sacrée sous la forme qu’elle avait prise et qui n’a rien de religieux ni d’imposant. On ne peut que rire, quoique madame Dacier n’en rie pas, de ceux qui, pour excuser le dieu d’être boiteux, expliquent gravement que cela ne signifie autre chose, sinon que le feu ne peut pas aller loin sans bois, non plus qu’un boiteux sans bâton. Tel est trop souvent l’esprit des interprétations qui remplissent le livre des Allégories homériques attribué à Héraclide, et en général de toutes celles dont Rabelais parle si bien dans son Prologue[36]. C’est pourtant ainsi précisément que les Juifs ont traité la Bible. Il y avait parmi eux des docteurs qui faisaient profession de résoudre les difficultés qu’on pouvait faire sur le texte sacré, difficultés qui venaient sans doute surtout des Grecs, ou d’hommes nourris de la dialectique des Grecs. On résolvait principalement ces difficultés par l’interprétation allégorique. L’allégorie était donc la grande ressource des apologistes ; elle était particulièrement chère aux hommes de foi. La Bible entière, dit Philon, ou presque entière, est allégorique. Trois livres de lui sont intitulés : Allégories des saintes Lois ; mais ce titre conviendrait également à tous ses commentaires sur les Écritures, c’est-à-dire à tous ses ouvrages ; et c’est avec l’allégorie qu’il se tire d’embarras. La Bible a une mythologie que la raison n’accepte pas toujours plus volontiers que celle de l’hellénisme. Ainsi le paradis ou jardin d’Éden, l’arbre de vie, l’arbre de la science, le serpent qui séduit la femme et la fait pécher, tout cela ressemble bien à des fables, nous dit Philon ; mais ce ne sont pas des fables, invention et plaisir des poètes et des sophistes ; ce sont des images, qu’il faut prendre allégoriquement, suivant le sens secret qu’elles recouvrent. Croire que Dieu a réellement planté un jardin rempli de vignes, d’oliviers et d’autres arbres semblables, ce serait une grande simplicité, et vraiment désespérée. Et ailleurs : Ne laissons pas surprendre notre raison par cette impiété, d’imaginer que Dieu travaille la terre et qu’il plante des jardins ; car nous ne saurions dire dans quelle intention. Serait-ce pour avoir un lieu agréable, où se reposer et prendre son plaisir ? Que de pareilles fables n’entrent même pas dans notre esprit ; car le monde entier ne serait pas encore un séjour digne de Dieu ; il est son lieu à lui-même, il est plein de lui-même, il se suffit à lui-même, etc. Je m’arrête ici, ce n’est pas la peine d’aller jusqu’au bout de la phrase. Philon conclut : Le jardin, c’est notre âme ; les arbres, ce sont nos affections ou nos idées ; le serpent, c’est la volupté ; la femme, c’est la sensibilité, qui est la partie féminine de l’âme ; les quatre fleuves du Paradis (ces fleuves sur lesquels ont tant disputé les géographes), ce sont les quatre vertus. Vient ensuite l’histoire de la femme formée de la côte de l’homme ; c’est un récit dont Bossuet lui-même, qui ne s’embarrasse pas aisément, semble embarrassé, quand il le rencontre dans ses Élévations[37]. Comment admettre, dit Philon, que la femme puisse venir d’une côte ? Dieu ne pouvait-il pas façonner la femme directement aussi bien que l’homme, etc. ? Il conclut que les côtes ne sont qu’une expression allégorique désignant les forces : il y a dans l’homme la force végétative, la force vitale, la force intellectuelle, la force sensible, etc. C’est la force sensible ou la sensibilité qui est produite ici ; et comme la sensibilité prévaut d’autant plus que la raison est endormie, le livre saint exprime cela en disant que la femme, qui figure la sensibilité, a été formée pendant le sommeil de l’homme, qui figure la raison. Les géants, au chapitre VI de la Genèse, ne doivent pas non plus être pris à la lettre ; il faut rejeter toute mythologie ; il n’y a pas de géants ; les fils de Dieu expriment seulement les hommes vertueux, par opposition aux méchants. Il commente de même l’histoire de la tour de Babel. Les méchants parlent la même langue et bâtissent une tour : cela veut dire qu’ils conspirent ensemble et forment une association pour le mal ; puis leurs vices mêmes les divisent, et ils ne s’entendent plus. La femme de Loth, qui regarde en arrière et est changée en statue de sel, n’est pas non plus un conte, mais une image. Le vice fait que l’homme, au lieu de suivre tout droit son chemin, regarde en arrière et devient comme une matière brute et insensible. — L’ânesse de Balaam figure la vie matérielle et ses besoins. L’allégorie dispense donc Philon de reconnaître une mythologie dans la Bible. D’un autre côté, elle sert à couvrir certains détails de la vie ou des mœurs des patriarches qui blessent la morale d’un temps moins barbare. Il est dit de Caïn ; réfugié après le meurtre d’Abel à l’orient d’Éden : En ce temps-là il connut sa femme. Quelle femme ? si c’était une fille d’Adam, ce serait sa sœur ; il y aurait donc là un inceste. Philon aime mieux croire que Caïn représente l’impie, que sa femme c’est l’irréligion ; il en a Enoch, c’est-à-dire encore... ; mais je m’arrête de peur de fatiguer-le lecteur. — Les filles de Loth figurent la résolution et l’adhésion ; c’est ce que leurs noms indiquent. Et s’il est dit dans le texte que Lot ne s’aperçut pas, étant enivré, quand elles se couchèrent près de lui et quand elles se relevèrent, c’est qu’en effet, quand ces deux facultés sont endormies, l’esprit humain n’a plus conscience de rien. Voilà à quoi Philon réduit une histoire qui, plus qu’aucune autre dans la Bible, a pu être une occasion de scandale. — Sara renvoie Abraham à sa servante : c’est la sagesse qui prépare l’esprit à son commerce par celui d’une science inférieure. — La querelle de Jacob et d’Ésaü, avec leurs sentiments si peu fraternels, n’est que la lutte des bons et des mauvais instincts dans une âme. On comprend enfin, de quelque ressource qu’ait été d’abord l’allégorie, qu’à force d’allégoriser ainsi, on arrive à le faire sans nécessité, sans intérêt, sans raison même, et c’est la seule explication qu’on puisse donner de tant d’allégories également subtiles et gratuites qu’on lit à chaque instant dans Philon. Si Moyse prend une femme éthiopienne, cela signifie qu’il a embrassé la doctrine de vérité ; car l’Éthiopienne, qui est noire, représente le noir de l’œil, ou la prunelle, qui est l’instrument de la vision. Mais je veux citer un exemple plus étendu et vraiment extraordinaire. Il rencontre dans la Loi ce précepte : Si tu as pris en gage de ton prochain l’étoffe qui le couvre, tu la lui rendras avant le coucher du soleil ; car c’est sa seule couverture, le seul vêtement de sa nudité ; comment s’enveloppera-t-il pour dormir ? Il criera à moi et je l’écouterai, car je suis compatissant. Il semble que jamais texte n’a eu moins besoin de commentaire dans sa simplicité si touchante. Cependant Philon ne veut pas absolument du sens littéral. Si l’on suppose, dit-il, qu’il ne s’agit là que d’une méchante couverture, comment ne pas se scandaliser que le créateur et le maître de toutes choses s’occupe d’un intérêt si mesquin ? Qu’y a-t-il de plus naturel et de plus simple que de retenir un gage qui répond de ce qu’on a prêté ? On voit que Philon est un homme positif, qui sait que les affaires sont les affaires. — Mais, dira-t-on, le débiteur est pauvre, et il faut avoir pitié de lui. — Alors il eût été mieux et plus juste de faire une loi en faveur des indigents, pour qu’on leur fasse l’aumône gratuitement, au lieu de leur prêter sur gage. Si l’on permet de demander un gage, il est absurde de ne pas permettre de le retenir. Quand un homme est si malheureux que de n’avoir rien à soi que ce qui le couvre, il ne s’avise pas de chercher à emprunter, il mendie, et il trouve la charité partout, chez lui, au temple, dans la rue. Et cette dernière couverture, pourquoi est-ce qu’il irait la mettre en gage ? Serait-ce pour en avoir une autre ? Car ce n’est pas pour se procurer à boire et à manger ; on trouve partout de l’eau, et la terre porte toujours quelque chose chaque année. Où est le prêteur assez riche, ou assez dur, ou assez maladroit, pour placer si mal son argent au lieu de le donner ? Prêter à quelqu’un sur un pareil gage, c’est le détrousser. Et si l’on se fait scrupule de le laisser tout nu la nuit, pourquoi n’avoir pas pour le jour le même scrupule ? tandis que la nuit, au contraire, on est moins honteux de sa nudité. Et puis, le verset qui ordonne au créancier de rendre le manteau le soir a oublié d’ordonner au débiteur de le rapporter le lendemain matin. — Jusqu’ici il est impossible de raisonner plus lourdement, plus platement, avec moins de sentiment des mœurs et du langage des temps antiques. Mais où tout cela va-t-il aboutir ? A déclarer qu’il n’y a pas moyen d’entendre ce passage au sens propre, et que l’esprit le moins pénétrant est réduit à y chercher un sens secret. Recourons donc à l’allégorie, pour trouver quelque chose de convenable. Le vêtement figure la raison. Il nous défend des intempéries ; elle nous défend des mauvaises doctrines. Il couvre la honte de la nudité, et la raison celle du péché. Il est la parure du corps, et la raison celle de la vie. Maintenant, il y a dans le monde des intérêts, des besoins, des appétits, qui nous forcent à compter avec eux et qui prennent en quelque sorte notre raison en gage. Alors de quoi est-ce que nous pouvons nous envelopper pour trouver le repos ? Il faut donc que le gage nous soit rendu, que notre raison nous revienne avant le soir, c’est-à-dire avant que la lumière divine se couche et s’éteigne dans notre âme et tandis qu’il est temps encore pour nous d’en être éclairés. — J’ai beaucoup abrégé, et tout cela est dit bien plus longuement dans le texte. Cette passion de l’allégorie n’avait pas gagné seulement les docteurs juifs d’Alexandrie, mais aussi ceux de la Palestine, puisqu’on la trouve jusque dans les Lettres de Paul (Gal., IV, 22) : Il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la femme esclave, l’autre de la femme libre ; celui de la femme esclave est le fils de la chair, et celui de la femme libre est le fils de la promesse. C’est une allégorie. Ces deux femmes sont les deux Alliances : l’une qui vient du mont Sina, et qui enfante pour l’esclavage ; c’est Agar, car Sina est une montagne d’Arabie, etc.[38] — Philon a aussi son allégorie sur l’histoire d’Agar, mais elle est tout autre. On voit d’ailleurs dans Philon que la manie d’allégoriser tient à quelque chose de plus général encore, je veux dire à une subtilité amoureuse des raffinements, à la passion des chiffres et des mystères en tout genre. Cette disposition ne se marque pas seulement dans les explications allégoriques, mais dans bien d’autres recherches : par exemple, dans la manière dont Philon s’attache aux noms propres, pour tirer de l’étymologie et du sens de ces noms toutes sortes de révélations inattendues. C’est sur l’hébreu qu’il travaille ainsi d’ordinaire ; mais il s’en faut bien qu’il soit toujours d’accord avec les hébraïsants. On a pu douter qu’il sût l’hébreu ; et ce qui est certain, c’est qu’à l’exception des noms propres, qu’il faut bien conserver tels que les donne le texte original, il n’étudie la Bible que dans la traduction grecque. Car il ne s’en tient pas aux noms dans ses curiosités ; il s’arrête à tous les accidents de la phrase : tantôt il se récrie sur un tour, et ce tour n’est qu’un hébraïsme, qui a passé dans les traductions grecques ; tantôt, ce qui est encore plus étrange, il relève une prétendue singularité d’expression qui se trouve n’être que dans le grec, et pas du tout dans le texte ; et c’est là surtout ce qui permet de croire qu’il ne sait pas l’hébreu et qu’il ne le comprend pas. Une doctrine qu’il se plaît à étaler est celle des vertus des nombres. Il y a dans son livre de la Création un développement de dix pages in-folio sur les propriétés merveilleuses du nombre sept ; je ne dois pas craindre de m’y arrêter. Nous apprenons d’abord qu’il y a le sept tout simple, composé de sept unités, compris, dit Philon, dans la décade, c’est-à-dire dans la série des dix premiers nombres ; et puis ce qu’il appelle le sept en dehors de la décade, et dont il donne une définition qu’on peut traduire ainsi en langue moderne : le septième terme d’une progression géométrique dont la base est un, et la raison un nombre,entier. Ce septième terme ou ce sept jouit de cette propriété qu’il est à la fois un carré et un cube ; et si on le prend lui-même pour base d’une autre progression ayant la même raison que la première, le septième terme de la nouvelle progression a la même propriété. Revenant alors au sept proprement dit, Philon remarque qu’il est la somme de trois et de quatre ; or trois et quatre représentent les côtés de l’angle droit dans un triangle rectangle (si l’on veut exprimer ces côtés par les nombres entiers les plus simples). De plus, trois est l’expression de la surface (en ce qu’elle est déterminée par trois points), quatre celle du solide ; ces deux nombres sont donc les fondements de la géométrie et de la stéréométrie, c’est-à-dire, suivant Philon, de la science de l’étendue incorporelle ou abstraite, et de celle des corps : sept représente donc l’ensemble de cette double science. Sept est le seul nombre dans la décade qui ne soit ni multiple ni diviseur d’un autre nombre de la décade ; ni engendrant, dit Philon, ni engendré ; c’est la vierge sans mère (comme Pallas) ; c’est le symbole de l’être pur. Sept engendre vingt-huit, qui est la mesure du temps de la révolution de la lune. Tout corps a trois dimensions et quatre termes (point, ligne, surface, solide) : total, sept. Les âges de la vie se déterminent par septaines ou semaines d’années : c’est ce qu’expriment des vers de Solon, que Philon cite en cet endroit ; Hippocrate compte un peu autrement, mais toujours par sept, ou multiples de sept. Il y a sept cercles dans le ciel : les deux polaires, les deux tropiques, l’équatorial, l’écliptique, la voie lactée ; car l’horizon ne compte pas, étant purement relatif. Il y a sept planètes, dont les influences sont innombrables et merveilleuses. La constellation de l’Ourse a sept étoiles ; celle des Pléiades en a aussi sept. Les solstices, et les fêtes par lesquelles les religions les célèbrent, se placent au septième mois, c’est-à-dire à la naissance du septième mois, après six mois accomplis. Il y a sept sens : Philon étend ce nom à l’appareil de la voix et à celui de la génération. Le corps de l’homme a sept parties extérieures : la tête, la poitrine, le ventre, les deux bras, les deux jambes ; et sept parties intérieures : l’intestin, l’estomac, le cœur, le poumon, la rate, le foie, les reins. La tête elle-même a sept parties : deux yeux, deux oreilles, deux narines et une bouche. La vue a sept objets : le corps, la distance, la forme, la grandeur, la couleur, le mouvement, le repos. En prosodie, on compte trois accents, puis des longues et des brèves, enfin l’aspiration et la non aspiration ; total sept accidents. Il y a sept sortes de mouvements : en haut, en bas, à droite, à gauche, en avant, en arrière, en cercle. Il y a sept excrétions : les larmes, le moucher, la salive, l’urine, la matière fécale, la sueur, la semence. Les règles des femmes s’accomplissent en une période de sept jours. Les enfants sont viables à sept mois, tandis qu’ils ne le sont pas à huit. Dans les maladies, le septième jour est critique. La lyre a sept cordes. L’alphabet a sept voyelles (c’est du moins ainsi en grec). — J’ai négligé une certaine vertu du nombre sept en musique ; et en général Philon emprunte souvent des curiosités à la science musicale ; mon ignorance complète de cette science ne me permet pas d’apprécier ces traits-là. — Conclusion : le nombre sept est vraiment sacré ; Philon ne doute pas que le mot qui exprime ce nombre en grec n’ait la même racine que celui qui signifie vénération (sébas) ; et il fait remarquer que la forme latine du mot (septem) rend cette analogie plus évidente. Mais qu’est-ce que cela prouve, ou tend à prouver ? Une chose qui tient fort à cœur à Philon et aux Juifs : la sainteté du septième jour, la religion du sabbat ; elle était aux yeux de la foule, dans le monde ancien, comme le judaïsme lui-même, parce qu’elle en était l’aspect le plus universel et le plus sensible. Il y a avait pourtant des mauvais plaisants qui se moquaient du sabbat ; Philon a compté qu’ils seraient accablés sous cette accumulation des vertus merveilleuses du nombre sept. Cela ne l’empêchera pas de célébrer dans l’occasion celles du nombre quatre ou du nombre dix. Mars j’ai cité bien assez de tout cela[39]. Je ne crois pas cependant avoir trop cité. Pour bien faire comprendre Philon et son école, et même son temps, il fallait entrer dans le détail. Si je m’étais borné à dire d’une manière générale : Philon tourne toute la Bible en allégories subtiles ; Philon voit des mystères partout, et particulièrement dans les nombres ; cela n’eût donné qu’une impression vague et faible ; il fallait montrer ces puérilités, ces non sens, tous ces riens laborieux et solennels, ces misères d’un homme compté parmi les premiers par la naissance, la fortune, l’autorité et la culture, pour qu’on vit clairement l’état des esprits chez ces Juifs hellénistes, au milieu desquels s’est élaborée la doctrine nouvelle. D’ailleurs, Philon a pour, disciples les Pères de l’Église, ceux surtout qui sont nés et se sont élevés au milieu des mêmes influences, Clément d’Alexandrie et Origène. Clément ou saint Clément, car ce Père est du nombre de ceux qui ont reçu le nom de saint, est nourri des livres de Philon. Dans ces Mélanges qu’il appelle ses Tapisseries (stromata), il suit sa méthode ; il le nomme même par son nom en lui empruntant son interprétation allégorique de l’histoire d’Agar[40]. Les chapitres IV à X du livre V ne sont qu’une application de cette même méthode aux traditions les plus diverses. Le XIe du livre VI est rempli par un véritable grimoire arithmétique et géométrique. Les chapitres XV et XVI du même livre achèvent de développer ces curiosités mystiques. Et c’est là que se trouve un passage fort singulier sur l’incarnation, où l’on voit que les esprits nourris d’hellénisme ne pouvaient se résigner à prendre à la lettre un Fils de Dieu se revêtant de chair, né d’une vierge, puis mort et ressuscité. La plupart ne voyaient là qu’une allégorie et un symbole : quelques-uns (c’était l’hérésie qui s’appelait elle-même la Connaissance ou la Gnose) en faisaient, si l’on peut parler ainsi, une allégorie réelle, en supposant que le Verbe était enveloppé dans l’homme qui a vécu, mais que l’homme seul est né, a souffert et est mort, et non le Verbe. Et Clément lui-même semble penser ainsi, d’après la manière énigmatique dont il s’exprime[41]. Origène enfin commente perpétuellement l’Écriture à la manière de Philon. Il dira, par exemple, que le paradis de la Genèse, c’est l’Église, et que, s’il ne faut pas toucher au fruit de l’arbre de la science du bien et du mal : cela signifie qu’il faut aimer également comme nos frères tous les membres de l’Église, sans distinction entre le bon et le mauvais. Quand il lit que le Seigneur fit à Adam et Ève des vêtements de peau, il déclare que d’entendre cela au sens propre serait puéril et bon pour une vieille femme ; que ce vêtement n’est même pas le corps, puisqu’il a déjà été parlé du corps ; ce vêtement, c’est la mortalité, dont le corps se trouve alors revêtu pour la première fois. A propos de ces mots : Le Seigneur souffla dans l’homme un souffle de vie. Où est-ce, dit-il, que Dieu l’a soufflé ? Est-ce dans les narines, est-ce sur la face ? Ces difficultés montrent, suivant lui, qu’il ne faut pas prendre à la lettre les paroles sacrées, mais toujours chercher le trésor caché qu’elles recouvrent. Ailleurs enfin, parlant des puits qu’il est dit qu’Isaac a creusés : Et nous, dit Origène, qui distribuons la parole sainte, nous creusons aussi des puits ; nous cherchons l’eau vive sous le sol aride. Les incrédules se moquent de nous et ne veulent pas nous suivre, ou bien ils disent : Cette science est à nous, et non à vous ; elle est toute grecque. Laissons les dire, et poursuivons[42]. — On voit la place considérable que l’allégorisme alexandrin tient dans l’histoire, et ce n’eût pas été faire mon devoir de critique que de le dissimuler ou de le laisser dans l’ombre. On peut d’ailleurs se préserver par cette étude d’une erreur grave, quoique très commune, qui est de supposer, quand les hommes d’une certaine époque ont eu telles pensées ou telles croyances, que nous-mêmes, tels que nous sommes, nous aurions eu à leur place les mêmes pensées et les mêmes croyances, parce que nous aurions été frappés des mêmes faits ou persuadés par les mêmes raisons. Il faut bien comprendre que probablement nous n’avons pas la tète faite comme eux, et qu’ainsi les choses qui les ont touchés ne nous auraient pas touchés de même. Et c’est ce qu’on ne comprend parfaitement qu’à la condition de se rendre compte de leurs habitudes d’esprit, qui sont quelquefois si loin des nôtres. Il est évident que bien des idées qui nous étonnent et qui nous arrêtent ne pouvaient étonner des hommes dont la pensée se pliait sans difficulté aux jeux bizarres où se complaît l’imagination de Philon. La morale de Philon, comme sa théologie, s’inspire à la fois de l’esprit juif et de l’esprit hellénique ; mais ces deux esprits y sont dans un si parfait accord, que nulle part que dans Philon il n’est plus difficile de faire à chacun sa part. Il n’a guère de précepte de charité ou d’austérité qu’il ne puisse également appuyer de l’autorité de la Bible ou de celle des philosophes. Mais il faut remarquer les termes dans lesquels toute sa doctrine morale a été résumée par lui-même. On peut, dit-il, ramener, pour ainsi dire, l’infini détail des leçons et des préceptes à ces deux chefs suprêmes : les devoirs envers Dieu, religion et sainteté ; et les devoirs envers les hommes, charité et justice. Cette grande division est toute hellénique[43], et quand les auteurs des Évangiles, en la reproduisant sous une autre forme, ont cru la prendre dans la Bible, ils se sont trompés, et ne l’ont prise réellement que chez les Grecs (Marc, XIII, 31, etc.). Sans que la morale de Philon eût rien de nouveau pour les Grecs, ils devaient reconnaître cependant que sur certains points les mœurs des Juifs donnaient à ses leçons plus d’autorité et plus de force qu’à celles des philosophes. Ceux-ci déjà condamnaient sévèrement certaines amours, mais Philon n’en parle qu’avec l’irritation que ces débauches ont toujours inspirée à Israël, s’indignant du scandale avec lequel ces mœurs s’étalent, et s’écriant qu’un tel attentat contre la nature tend à dépeupler les cités ; c’est parler en digne, fils de cette race à laquelle Tacite a accordé ce témoignage, qu’elle a la passion d’engendrer et de multiplier. Tacite leur rend encore cet hommage, qu’ils regardent comme une impiété l’infanticide ; et c’est là aussi que Philon triomphe, lorsqu’à ces païens qui méditent sans cesse des meurtres d’enfants, qui tendent comme une embuscade aux nouveau-nés à l’entrée de la vie, ne les recevant que pour les exposer, et faisant ainsi à l’humanité une guerre sans trêve, il oppose, sinon la lettre, du moins l’esprit de la Loi juive. Il ne trouve pas, en effet, dans la Bible un texte formel qui défende l’exposition des enfants ; et peut-être qu’au temps où la Loi a été écrite, on n’avait pas encore ce scrupule. Il veut que cette défense soit comprise implicitement dans une autre prescription, et rien n’est plus contestable ; mais, quoi qu’il en soit des textes, il est certain que depuis longtemps les mœurs des Juifs (comme celles de l’Égypte[44]), repoussaient cette barbarie. Je citerai le passage dans toute son étendue ; on hésite cependant à citer ainsi Philon, parce qu’il gâte presque toujours les meilleures choses par la sophistique et l’amplification, défauts trop communs aussi aux Pères de l’Église ; mais le fond ici est assez touchant et le sentiment général demeure assez vrai, pour que la citation doive rester, après tout, intéressante. Il vient d’exposer la loi qui punit celui qui, en portant des coups à une femme, l’a fait avorter, et il ajoute : Par cette prescription, un plus grand crime encore est prévenu, l’exposition des enfants, qui, chez beaucoup d’autres nations, par suite d’une inhumanité naturelle, est devenue une impiété ordinaire. Car, s’il faut veiller à la conservation du fruit qui n’est pas arrivé au terme et le préserver de tout attentat, que ne doit-on pas faire pour celui dont l’enfantement est parfait, et qui a été mis comme en possession du lot assigné aux hommes, pour jouir des bienfaits que la nature répand sur nous de partout, de la terre, de l’eau, de l’air et du ciel, nous donnant le spectacle des choses célestes, la possession et l’empire des choses terrestres ; prodiguant à tous les sens abondamment les biens de toute provenance, et assurant à l’esprit, comme au roi suprême, d’une part, au moyen des sens, ses satellites, toutes les jouissances sensibles ; de l’autre, sans leur secours, toutes celles qui peuvent être perçues par la raison ? Les parents qui privent leurs enfants de tant de biens à leur naissance même, et qui se refusent à leur en faire part, doivent savoir qu’ils violent les lois de la nature et qu’ils portent témoignage contre eux-mêmes des choses les plus odieuses : l’amour du plaisir, la haine de l’humanité, l’homicide, et, ce qui est la dernier degré de l’horrible l’infanticide. Ils sont esclaves du plaisir, puisqu’en s’unissant aux femmes ils ne se proposent pas de perpétuer leur- race, mais ne poursuivent que la volupté à la manière des boucs et des porcs. Pour la haine de l’humanité, où serait-elle plutôt que chez ceux qui se montrent les ennemis cruels et impitoyables de ceux qu’ils ont engendrés Y A moins qu’on ne soit assez simple pour croire qu’ils puissent ménager les étrangers, quand ils ne ménagent pas ceux qui leur sont unis par le sang. Pour l’homicide et l’infanticide, ils en sont convaincus par les preuves les plus éclatantes : ceux-ci se chargeant eux-mêmes du meurtre et étouffant de leur propre main le premier souffle des nouveau-nés, avec une dureté et une insensibilité effroyables ; ceux-là les jetant dans une rivière ou dans la mer, après qu’ils ont attaché un poids au corps pour que le paquet aille plus vite au fond ; d’autres les emportant pour les exposer dans un endroit solitaire, dans l’espoir, disent-ils, qu’ils pourront être sauvés, mais en réalité pour les livrer à une destinée encore plus affreuse ; car les bêtes qui mangent la chair humaine se jettent sur eux, les trouvant sans défense, et s’en repaissent ; beau festin que leur ont préparé une mère et un père, chargés avant tous les autres de garder ces enfants et de pourvoir à leur salut ! Et les restes font encore le régal des oiseaux carnassiers, qui viennent s’abattre dessus, quand ils n’ont pas reconnu la proie d’avance ; car autrement ils disputent aux quadrupèdes le repas tout entier. Mais supposons que quelque passant, pris d’attendrissement pour ces enfants exposés, en ait compassion et pitié, qu’il les ramasse, leur donne à manger et leur accorde tous les soins nécessaires, que dirons-nous de ces procédés charitables, sinon qu’ils sont la condamnation des parents ; puisque des étrangers ont eu les sentiments qui convenaient aux parents mêmes, tandis que ceux-ci n’ont pas même eu le cœur d’un étranger ? C’est pourquoi le législateur a par avance et implicitement défendu l’exposition des enfants, en prononçant la mort, comme je l’ai dit, contre ceux qui blesseraient une mère grosse d’un fruit déjà formé. En effet, ce qui est encore dans le ventre de la mère et attaché à la matrice fait partie de la mère elle-même. C’est le sentiment des savants dont la vie s’emploie à la contemplation de la nature, et aussi celui des médecins illustres, qui ont étudié la construction de l’homme, examinant avec soin, au moyen de la dissection, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, de peur que s’il faut porter remède à quelque chose, une méprise causée par l’ignorance n’amène quelque grand danger. Mais après la délivrance, il n’y a plus de vie commune ; le fruit détaché devient un être vivant à lui seul, et il ne lui manque plus rien de ce qui complète la nature humaine ; de sorte qu’indubitablement c’est un homicide de tuer un enfant, la loi s’intéressant non pas à l’âge, mais a la nature de celui sur qui l’on attente. Mais si l’on voulait tenir compte de l’âge, il me semble qu’on devrait condamner davantage celui qui tue un enfant ; car contre les adultes on a plus d’un prétexte plausible de lutte et de combat ; mais contre ces petits êtres, à peine arrivés à la lumière et entrés dans l’existence, on ne saurait même inventer tin sujet de plainte, tant ils sont absolument innocents. Ceux donc qui forment des complots contre leur vie sont les plus cruels et les plus impitoyables des hommes, et notre sainte Loi, les ayant en horreur, les a déclarés dignes de mort. Dans la Vie de Joseph, Philon oppose la licence des jeunes Grecs, abandonnés dès quatorze ans au commerce des courtisanes, à la continence des jeunes Israélites, qui ne connaissent point l’amour avant le mariage et qui y arrivent vierges comme leurs femmes. On peut craindre qu’il n’y ait là quelque illusion, et qu’il ne prête à la jeunesse d’Israël trop de vertu ; mais la seule prétention à cette pureté de mœurs, n’eût-elle pas toujours été justifiée, était déjà pour les Juifs un titre d’honneur[45]. Enfin, quand il dit que dans la maison du Sage (c’est-à-dire du Fidèle), hommes et femmes, serviteurs et maîtres, tous sont toujours prêts à accueillir un hôte et à avoir soin de lui, on reconnaît cette habitude d’hospitalité qu’entretenait chez les Juifs leur dispersion sur tous les points de la terre ; car ce ne serait pas assez de dire du monde romain, puisqu’il y avait encore des Juifs au delà des limites de l’empire. Philon a fait un discours sur l’Humanité ou l’Amour du prochain. Il le montre dans Moyse, mais il en achève l’idée en y mettant tout ce qu’il trouve en lui-même. Notre saint prophète, dit-il, n’a pas de plus grand objet dans toute sa Loi que d’établir la concorde, la fraternité, l’accord des esprits, l’union des cœurs, par où les familles, les cités, les peuples, les continents, enfin le genre humain tout entier doivent arriver au bonheur suprême. A l’heure qu’il est, ce ne sont encore là que des vœux ; mais ce seront un jour, j’en ai la confiance, des faits et des réalités, quand le Dieu qui donne chaque année l’abondance des récoltes fera abonder aussi la vertu. Et puisse-t-il ne pas nous en refuser notre part, puisque nous en nourrissons le désir depuis nos plus jeunes années. II suffit de lire ces paroles d’un Juif pour abandonner l’idée trop répandue qu’il y a opposition. et même contradiction, entre le judaïsme et le christianisme, en ce qui touche le sentiment de la fraternité humaine. On a écrit par exemple : Quelle analogie de fond peut-il exister entre la doctrine qui proclame la fraternité des hommes, et celle qui proclame qu’il n’y a qu’un peuple entre tous, le juif, et que Dieu n’a d’amour que pour ce peuple unique et cette unique race ?[46] Il y a à cela beaucoup à répondre. D’abord, le plus ancien judaïsme et le plus juif n’a pas lui-même méconnu l’homme dans l’étranger, et j’ai cité là-dessus, dans mon étude de la Loi, des textes décisifs[47]. Le Deutéronome, plus moderne, est plus vif encore (X, 19), et probablement se ressent déjà de l’influence des sentiments, sinon ale la philosophie hellénique. Enfin c’est cette philosophie elle-même qui s’explique dans Philon. Mais cette fusion du judaïsme et de l’hellénisme, c’est précisément ce dont le christianisme est sorti, et ce n’est pas le christianisme qui doit avoir l’honneur de ce qu’il a puisé dans ses sources. L’épisode du Samaritain, dans le troisième Évangile, est une belle chose ; mais, à côté du Deutéronome et de Philon, on ne petit pas dire qu’il y ait là précisément une nouveauté, et l’évangile de Marc reste au contraire bien en arrière de l’un et de l’autre, dans la scène entre Jésus et une femme des Gentils qui lui demande la guérison de sa fille. Il finit par lui accorder ce miracle, qu’elle lui arrache à force d’humilité et de foi ; mais il lui avait dit d’abord que les miracles ne sont faits que pour les fidèles, lui jetant cette dure parole, qu’il ne faut pas prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens (VII, 27). On ne peut oublier d’ailleurs que si les Juifs de cette époque croyaient fermement que leur dieu n’aimait que les Juifs, ils croyaient aussi que ce dieu ferait un jour des Juifs de tous les hommes. Il y a un endroit où la charité de Philon réclame contre des textes trop étroits pour elle. Il vient de dire que la Loi défend à l’Israélite de prêter à intérêt a à ses frères. Ses frères, dit-il, sont les hommes de sa race ; les autres sont des étrangers, et avec les étrangers il n’y a pas de communauté. Jusqu’ici c’est le Juif qui parle, mais le Grec reprend tout à coup : À moins que par une vertu supérieure, on ne se fasse aussi de l’étranger un prochain et un frère ; car la constitution et les lois vraiment conformes à la vertu sont celles qui de reconnaissent d’autre bien que l’honnête. Voilà l’esprit nouveau, qui commençait à remplacer l’autre. Dans un autre passage, à propos de ces sentiments de concorde qui ralliaient entre eux tous ceux qui servaient le dieu des Juifs, Philon dit que c’est en effet la croyance à un dieu unique qui est la source d’où dérive cette union. C’est ainsi précisément que la Lettre à ceux d’Éphèse explique la fraternité chrétienne : un seul corps et un seul esprit en un seul dieu (IV, 4-6)[48]. Quant à la condamnation de l’intérêt de l’argent, on sait qu’elle est un lieu commun de la philosophie antique, qui s’est perpétué dans l’Église jusqu’aux temps modernes. Cette doctrine, si peu conforme à la science économique et au bon sens, s’explique par l’inégalité profonde et révoltante qui était alors le principe des sociétés humaines ; de sorte que le capital, enfermé dans un tout petit nombre de mains, était forcément oppresseur, quelques hommes tenant tout le reste absolument à leur merci, et que la langue ne distinguait pas l’intérêt de l’usure[49]. Plus on pénètre dans Philon, plus on est frappé de tout ce qu’il exprime de pensées chrétiennes ; mais c’est avec une plus grande surprise qu’on y retrouve jusqu’à des idées qui semblent d’abord constituer la principale distinction entre le christianisme et le judaïsme. Les deux nouveautés les plus éclatantes du christianisme, à ce point de vue, sont l’abolition de la circoncision et l’abolition des sacrifices. On y ajoutera, si on veut, l’abandon de l’observance superstitieuse du sabbat. Eh bien ! on voit, en lisant Philon, que de son temps les esprits allaient au-devant de ces nouveautés, et qu’elles étaient, comme on dit, dans l’air. Il y avait autour de lui des hommes qui avaient si bien appris à chercher l’esprit sous la lettre, qu’ils en étaient venus à mépriser la lettre elle-même. Philon n’allait pas jusque-là, mais voici comment il s’exprimait à cet égard : Je n’approuverai pas cette négligence ; il fallait s’attacher également à ces deux choses, la recherche curieuse de l’invisible, et l’irréprochable fidélité au signe visible. Mais ceux-là vivent isolés et enfermés en eux-mêmes, comme en plein désert, ou comme s’ils étaient des esprits sans corps ; ils ne connaissent plus ni cité, ni quartier, ni maison, ni rassemblement d’hommes quelconque, et dédaignant l’opinion du plus grand nombre, ils poursuivent la vérité nue et abstraite... Mais si le repos dit septième jour est institué pour nous apprendre à agir en vue de ce qui est éternel, et à ne rien faire pour la créature, ce n’est pas une raison pour violer les règles établies au sujet de ce jour... Et parce qu’une fête n’est qu’un symbole de joie spirituelle et d’actions de grâces rendues à Dieu (εύχαριστήσαι), nous ne manquerons pas pour cela aux solennités annuelles. Ni, parce que la circoncision signifie le retranchement des voluptés, des passions et des opinions impies[50]..., nous n’abrogerons pas pour cela la loi qui l’a instituée ; car il faudrait négliger aussi le culte qui s’exerce dans le Temple, et bien d’autres choses encore, si nous voulons nous en tenir au sens intérieur. Philon lui-même, dans d’autres passages, sans renoncer aux sacrifices, développe avec force la pensée des prophètes, que les sacrifices ne sont pas la religion : Le tribunal de Dieu est incorruptible ; ceux dont l’âme est coupable, quand ils amèneraient cent beaufs tous les jours, il les repousse, et l’innocent, sans faire absolument aucun sacrifice, y est bien reçu. Et plus loin : On ne saurait véritablement rendre grâces à Dieu (εύχαριστήσαι) de la façon que le vulgaire imagine, par des pompes, des offrandes et des sacrifices ; car le monde tout entier ne serait pas un temple suffisant pour l’honorer ; mais bien par des hymnes et des cantiques de louange ; je ne dis pas ceux que fait retentir la voix, mais ceux que chante au dedans l’âme incorporelle et toute pure. La Lettre aux Hébreux, tout entière si contraire aux sacrifices judaïques, parle de même quand elle dit : Offrons à Dieu un sacrifice de louange perpétuelle, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui confessent son nom. Et n’oubliez pas la bienfaisance et la fraternité ; car ce sont là les sacrifices par lesquels on plaît à Dieu (XIII, 15)[51]. Il faut remarquer que les Juifs qui vivaient en pays grec étaient bien loin, habituellement, des sacrifices de Jérusalem, et qu’au contraire ils avaient continuellement sous les yeux ceux des Gentils ; ce qui ne devait pas les rendre très=favorables à ce genre de culte. On lit dans Joseph qu’un peu plus tard, sous Claude, un. Juif qui a converti un roi d’au delà du Tigre (et ce Juif n’est pas de race hellénique), trouve bon que ce roi ne se fasse pas circoncire, pour ne pas blesser ses sujets ; et on voit qu’il lui assure, sans que Joseph proteste contre cette doctrine, que Dieu lui pardonnera cette infraction à sa Loi[52]. Philon, quant à lui, veut cependant que la Loi extérieure soit observée tout entière. C’est qu’il est de l’aristocratie juive ; il fait partie de ce que nous appellerions aujourd’hui le monde officiel ; ce monde est toujours fidèle aux traditions et aux institutions établies. J’ajoute que cette fidélité était particulièrement honorable chez une race vaincue et frémissant sous le joug, qui, en faisant trop bon marché de son passé, aurait risqué de paraître abdiquer son indépendance et son patriotisme même. Ce n’est pas moi qui reprocherai aux maîtres d’Alexandrie d’être restés Juifs obstinément, au lieu de se perdre dans la foule des sujets de Rome ; mais la fidélité n’est pas la foi ; celle-ci était affaiblie dans Philon par la philosophie ; pour obtenir cet attachement à la lettre, il ne donne d’autre raison qu’une sorte de respect humain : il faut ménager l’opinion ; il ne faut pas se faire tort aux yeux du grand nombre. Des hommes moins considérables que Philon, et qui craignaient moins de se compromettre, pouvaient être plus libres et moins bons Juifs, c’est-à-dire qu’ils allaient tout droit au christianisme. On n’est pas moins frappé de l’idée que Philon donne de l’Église. Les mots grecs d’église et de synagogue, έκκλησία, συναγωγή, expriment également dans les Septante des choses juives. Ils traduisent deux mots hébreux, dont le premier signifie l’assemblée générale ou la communauté d’Israël, et l’autre le conseil suprême de la nation[53]. L’idée de la synagogue ne peut donc se séparer de l’existence nationale des Israélites, et elle est nécessairement demeurée juive. Celle de l’église a pu s’élargir et se généraliser, puisque les Juifs répandus dans le monde entier étaient surtout unis par leur foi. L’ecclesia n’étant d’ailleurs, dans le monde hellénique, que la forme visible de la cité, l’idée toute philosophique d’une cité spirituelle s’est trouvée naturellement exprimée, pour les Juifs hellénistes, par le mot d’église. Dans cette formule, l’église du Seigneur, en hébreu l’église de Iehova (Deuter., XXIII, 1, etc.), Philon retrouvait la Cité de Zeus, par laquelle les Stoïques exprimaient la communauté des Sages. C’est ainsi qu’il nous parle de l’Église sainte et divine, dont Moyse a dessiné le plan dans les Dix Paroles. Mais ce qui est surtout remarquable, c’est qu’avant Paul, Philon dit déjà qu’on n’appartient pas à cette cité du Seigneur par la naissance, et pour être sorti d’Abraham. Commentant le passage du Deutéronome où le dieu des Juifs dit à son peuple que, s’il est infidèle à sa Loi, l’étranger prévaudra sur lui et sera le maître dans la terre sainte, il détourne ce passage dans un sens tout spirituel. A propos de ce verset : L’étranger qui est chez toi montera par-dessus toi tout en haut, et toi tu descendras tout en bas (XXVIII, 43), ce qui n’exprime évidemment dans le texte que la domination des Gentils établis sur la terre juive, voici comment il s’explique : L’étranger, élevé bien haut par ses prospérités, sera l’objet de tous les regards ; on l’admirera et on le proclamera heureux pour ces deux belles choses : l’une d’être venu vers Dieu, l’autre de s’être ainsi assuré sa récompense, une place dans le ciel, sur laquelle il n’est pas permis de s’expliquer. Au contraire, l’héritier d’un noble sang (ό εύπατρίδης), ayant altéré le titre du métal de sa noblesse, sera entraîné dans les régions inférieures et dans les ténèbres du Tartare, afin que tous les hommes apprennent à être sages par ces exemples ; en voyant que Dieu aime la vertu, même quand elle sort d’une race indigne (έκ δυσγενείας), et qu’il rejette la racine, tandis que la branche entée sur le tronc, qui s’est adoucie pour porter de bon fruit, est acceptée. Voilà ce qu’on a pris pour une nouveauté chrétienne, parce qu’on lit dans Paul (Rom., XI, 16) : Si la racine est sainte, les branches le sont aussi. Maintenant si des branches ont été brisées, et si toi, olivier sauvage, tu as été enté à leur place, et as eu part ainsi à la vertu de la racine et à la sève de l’olivier, ne t’enorgueillis pas aux dépens de ces branches... Ce n’est pas toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte, etc. Il est bien évident que c’était là, avant qu’il fût question du christianisme, un lieu commun de la prédication juive[54]. Cette Église que Philon rêve universelle, puisqu’il rêve qu’un jour tout sera juif, entre en commerce avec son dieu par le grand prêtre. Celui-là, suivant Philon, ne prie pas seulement, comme les autres prêtres, pour sa cité ; il prie pour le genre humain tout entier, ou même pour toute la nature ; il est devant le Créateur le représentant de la création, suppliant et reconnaissant. Aussi est-il bien au-dessus, non seulement de tous les particuliers, mais de tous les rois, du moins pendant le temps qu’il remplit cette fonction sacrée. — Si l’on ôte cette restriction, voilà le souverain pontife de l’Église romaine. Je n’ai pas parlé jusqu’à présent des deux morceaux sur les Essées ou Essènes et sur les Thérapeutes qui se lisent dans les livres de Philon : je ne suis pas certain que les écrits où ils se trouvent soient authentiques[55]. On ne sait trop ce que c’est que les Thérapeutes, dont il n’est parlé nulle part ailleurs ; quant aux Esséniens, on les connaît aussi par Pline et par Joseph. Mais je ne puis comprendre, si les quelques pages que nous lisons à leur sujet sous le nom de Philon étaient bien de lui, qu’il n’eut pas d’ailleurs parlé d’eux une seule fois dans tout le reste de ses œuvres si volumineuses. Ils sont intéressants à étudier, mais je n’estime pas, non plus que M. Derenbourg, qu’ils doivent prendre une grande place dans l’histoire des origines du christianisme[56]. Après cette revue rapide, je ne crois pas que personne puisse douter que la doctrine judéo-hellénique de Philon ne contint déjà une portion considérable de ce qui compose aujourd’hui la religion chrétienne. Ce n’est pas sans doute notre christianisme tout entier, puisqu’il y manque la personne de Jésus ; mais c’en est une grande partie. Et ici je demande qu’on fasse pour un moment une supposition qui est bien aisée à faire. Imaginons que les écrits de Philon se soient perdus, comme se sont perdus ceux de Zénon, de Chrysippe et de tant de philosophes, ou comme nous avons perdu, dans d’autres genres, toutes les comédies de Ménandre, tous les récits des historiens contemporains d’Alexandre, les trois quarts des Annales de Tite-Live, etc. Quelle lacune ne ferait pas dans l’histoire cette seule perte des livres de Philon, qui a tenu sans doute à si peu de chose ! Combien nous verrions moins clair encore dans la révolution religieuse qui s’est accomplie en ce temps-là ! Combien d’idées, de dogmes, de symboles que nous ne retrouverions que dans les livres chrétiens ! Et combien serait naturelle et puissante l’illusion qui nous les ferait paraître, dans ces livres, comme tout nouveaux et en quelque sorte tombés du ciel ! Ce ne serait pourtant qu’une illusion. Que ces considérations nous demeurent donc toujours présentes, et s’il arrive jamais, sur quelque point que ce soit, que le lien nous échappe entre l’événement et, l’événement, entre l’idée et l’idée, n’allons pas douter pour cela que ce lien existe ; mais tenons a priori pour, certain que la loi de continuité qui gouverne toute histoire a son application dans celle des religions comme dans toute autre. |
[1] Voir à ce propos une belle page de M. Duruy sur la puissance civilisatrice et philosophique qu’il y a dans le commerce. Histoire des Romains, t. V, p. 223. Je me félicite d’avoir l’occasion de citer ce cinquième volume, la plus excellente portion d’un grand et excellent travail.
[2] Lettre CXC, à Amphilochos.
[3] Sur ces derniers, voir la note C. dans l’appendice de mon Mémoire sur Bérose et Manéthon, libr. Hachette, 1873.
[4] Lactance, I, 6. Le fameux Clodius était prêtre sibyllin (Cicéron, De har. resp., 13).
[5] L’Hellénisme. De David, parce qu’on interprétait ainsi certaine passages des Psaumes, II, 6 ; XXI, 10, etc. De la sibylle, d’après Sibyllina, II, 196 ; III, 84, etc.
[6] II Mach., I, 10.
[7] Deutéronome, I, 33. Isaïe, XLIX, 10.
[8] Eusèbe, Hist. ecclés., IX, 6.
[9] Photios, Biblioth., p. 86.
[10] Voyez dans Littré, au mot discours, l’historique de ce mot.
[11] Héraclite, dans Aristote, Rhét., III, 5, et dans Strom., V, p. 716. — Voy. aussi Cicéron, de Nat. Deor., I, 13 ; Diogène, VII, 134 ; Lactance, IV, 9, et l’Epinomis attribué à Platon, p. 986.
[12] Cela ressemble beaucoup à Dante :
Fece
mi la divina Potestate,
La somma Sapienza et primo Amore.
Enfer, III, 5.
[13] République, p. 508.
[14] Comparer, dans le Nouveau Testament, Coloss., I, 15. Voir aussi M. Louis Ménard, Hermès Trismégiste, 1866, pages XXXI, XLII, XLIII, etc.
[15] Voir le livre d’Isis et Osiris, p. 372. — Maspero, p. 28.
[16] Timée, p. 50.
[17] Hérodote, II, 169. Timée, p. 21. Isis et Osiris, p. 354 : Je suis tout ce qui a été, est et sera, et aucun mortel n’a soulevé mon vêtement.
[18] Ch. VIII. Voir aussi Job, XXXVIII, 27.
[19] Hésiode, Théogonie, 884.
[20] Ambroise, De Caïn et Abel, I, 8, 30.
[21] Le Logos parait pris tout à fait en ce sens dans Sagesse, XVIII, 15, et aussi dans un poème juif et grec conservé par Eusèbe (Prépar. évang., IX, 29) :
Ό δ'έκ βάτου σοι θεΐος έκλάμπει λόγος.
Voir aussi Actes, VIII, 10. On trouvera les passages des targoum mu le Verbe de Iehova dans Kuinoel : Comment. in evang. loh. prolegum., p. 97 et 108 (1825). — Quant au mot grec δυνάμεις, c’est celui par lequel la version grecque des Psaumes traduisait tsebaoth (sabaoth dans la Vulgate), qui signifie les armées célestes des dieux ou des anges.
[22] On se demande encore si cette idée d’un homme céleste ne se rattache pas à celle des ferouers de mazdéisme. Voir J. Darmesteter, Ormazd et Ahriman, p. 129-130. M. Renan a déjà développé ces origines juives de l’idée du Verbe. Vie de Jésus, édition de 1867, p. 257 et suivantes.
[23] Sirach, I, 36 ; XLV, 4 ; XLIX, 10. — Quant au texte d’Habacuc, II, 4, il signifie simplement que le Juste trouvera la vie dans sa fidélité.
[24] Ménon, p. 100 ; Phédon, p. 85 ; Phèdre, p. 69.
[25] Un ascète est un gymnaste spirituel, qui exerce l’âme comme le gymnaste exerce le corps.
[26] Rom., I, 20.
[27] Cicéron, de Nat. Deor., I, 2, etc.
[28] Ne pas oublier que Philon cite toujours la Bible dans la version grecque.
[29] Joseph, Contre Apion, I, 22.
[30] Zénon disait aussi : Le Sage est le véritable prêtre (Diog., VII. 119) ; je ne crois pas que Philon ait osé le répéter.
[31] Philon : Πάς σοφός λύτρον έστί τοΰ φαύλου. — Paul (I Cor., I, 30) : Le Christ Jésus, qui nous a été donné de dieu pour être notre science, notre justice, notre sanctification, notre rédemption (άπολύτρωσις). Voir aussi Rom., III, 24 ; VIII, 13, etc. — Les principes de Philon étaient d’accord avec la prophétie fameuse d’Isaïe que ai analysée à l’article de la Rédemption. Israël est le rédempteur des Gentils.
[32] Cicéron, De Fin., III, 22. Diogène, VII, 125.
[33] M. Robiou, dans sa Thèse sur l’Influence du stoïcisme, 1852, a oublié de suivre cette influence dans Philon et le judaïsme alexandrin.
Il aurait pu la trouver jusque dans un livre que l’Église considère comme livre saint, l’apocryphon intitulé la Sagesse de Salomon. On y voit, par exemple, la formule stoïque des quatre vertus qu’on a appelées depuis cardinales (VIII, 7).
[34] Épithète, II, 20, etc. Lucien, Alexandre, 88.
[35] En latin, alieniloquium ; mot qui marque qu’on dit autre chose (que ce qu’on pense), qu’on pense une chose et qu’on en dit une autre. — C’est le mot employé par Isidore, dans son livre sur ce sujet.
[36] Croyez-vous en vostre foy qu’oncques Homère, escripuant Iliade et Odyssée, pensast es allégories lesquelles de luy ont calefreté Plutarche, Heraclides ponticq, Eustatie, Phornute, et ce que d’yceulz Politian ha desrobé ? Si le croyez, vous n’approchez ne de pieds, ne de mains a mon opinion, qui decrete icelles aussi peu auoir esté songees d’Homere, que d’Ouide en ses métamorphoses les sacremens de l’Euangile ; lesquelz ung frere Lubin, vray crocquelardon, s’est efforcé demonstrer, si d’aduenture il rencontroit gens aussi folz que luy, et (comme dict le proverbe) couuvercle digne du chaulderon.
[37] Mon Dieu ! que de vains discours je prévois dans les lecteurs, au récit de ce mystère ! (5e semaine, 2e Élévation).
[38] Allusion à ce que le fils d’Agar, Ismaël, est le père des Arabes.
[39] La Tétrade ou le quaternaire des Pythagoriques était célèbre, c’est-à-dire la série des quatre premiers nombres, 1, 2, 3, 4, qui offrait cette particularité que la somme de ces nombres donne précisément le nombre 10. — Comparer, sur ces curiosités, Macrobe, Songe de Scipion, I, 5 et 6.
[40] I, 5, à la fin de la page 333 de Potter.
[41] VI, 15, p. 804 de Potter.
[42] Commentaire sur la Genèse.
[43] Sénèque, Ep., XC, 3 ; XCV, 47 et 51.
[44] Strabon, page 824.
[45] Si l’Apologie des Juifs, qu’Eusèbe attribue à Philon et que nous n’avons plus, était authentique, il se vantait dans ce livre que les Juifs rejetaient également la castration des mâles, l’avortement des femmes, le plaisir qui ne va pas aux fins de la nature ; et qu’ils ne permettaient pas que, dans l’esclavage même, la femme fût séparée du mari ou les parents des enfants (Prépar. évang., VIII, 7).
[46] Ch. Dollfus, De la nature humaine, 1868, p. 134. — On sait d’ailleurs qu’il n’y a pas d’esprit plus libéral que celui à qui j’emprunte cette citation.
[47] Exode, XXIII, 9. Lévit., XXV, 35.
[48] M. Egger dit donc justement de Philon : Sa morale est d’une élévation et d’une pureté remarquables ; elle annonce l’Évangile, sans le connaître et sans le prévoir. Mélanges de littérature ancienne, 1862, p. 471.
[49] On lit dans les Psaumes (XV, 5) : Iehova, qui est-ce qui séjournera en ton tabernacle ?.... Celui.... qui ne prête pas son argent à intérêt, etc. Ce verset ne distingue pas entre l’emprunteur. Juif ou non Juif, et le Talmud, en commentant ce verset, dit expressément, même à un non Juif. Maccoth, f. 24. Je prends cette citation dans J. Cohen, Les Déicides, 1801, p. 181. — Voir aussi Ézéchiel, XVIII, 8.
Le Coran (IV, 158) condamne les Juifs comme ayant exercé l’usure contrairement à leur Loi. Garcin de Tassy, l’Islamisme d’après le Coran, 1874, p. 90.
[50] Circoncisez vos cœurs, dans Deutér., X, 16.
[51] Les idées de Philon sur la prière, considérée comme le véritable hommage qu’on doit rendre à Dieu, se retrouvent presque avec les mêmes termes dans un passage de Galien (De l’usage des parties du corps humain, III, 10), cité par M. Duruy (Hist. des Rom., t. V, p. 455).
[52] Antiq., XX, II, 4. Voir aussi Derenbourg, p. 313 et 482.
[53] Les deux mots sont réunis dans un verset des Proverbes, V, 14.
[54] On me dit que cette greffe d’une branche sauvage sur un arbre franc, que supposent les textes de Philon et de Paul, n’est pas conforme aux lois de l’histoire naturelle et de l’horticulture ; mais cela ne fait rien à mon sujet.
[55] Au sujet du second de ces deux livres, celui de la Vie contemplative, voir M. Vernes, dans la Revue critique du 7 novembre 1874, p. 293-294.
[56] Derenbourg, pages 163 et suivantes et 460.