HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

I. — LE GOUVERNEMENT DE M. THIERS

CHAPITRE IX. — LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE.

 

 

L'Allemagne après la victoire ; la politique étrangère de M. de Bismarck. — L'entrevue des trois empereurs. — Le Culturkampf. La session d'hiver. — Le message de M. Thiers du 13 novembre 1872 ; il se prononce pour la République ; protestation de la droite ; la commission des Quinze : elle décide de réclamer la responsabilité ministérielle. — La commission des Trente. — Remaniements ministériels. — Débat sur la dissolution. — Le gouvernement rompt avec la gauche. — Travail législatif ; vote de lois diverses ; les biens de la famille d'Orléans. — Mort de Napoléon III. — Suite des efforts en vue de la fusion. — Lettre du comte de Chambord à Mgr Dupanloup (8 février 1873). — La question romaine. — Négociation pour l'évacuation anticipée du territoire. — Le comte d'Arnim et le prince de Bismarck. — L'œuvre de la commission des Trente. La restitution de Belfort. — M. Thiers cède à la commission. — La loi des Trente. — M. Thiers est écarté de la tribune. — La convention de libération est signée le 15 mars 1873. — L'Assemblée déclare que M. Thiers a bien mérité de la patrie.

 

I

Le nœud du drame se resserrait autour de M. Thiers. Le provisoire avait trop duré. Tout le monde était las ; ce pays changeant prétendait trouver, dans un nouveau changement, la stabilité. Les uns se persuadaient que l'Assemblée, se transformant elle-même et oubliant ses dissensions, allait, sans retard, restaurer la monarchie ; les autres réclamaient une assemblée nouvelle pour fonder la République.

Laisserait-on seulement au vieillard qui avait été le salut d'abord et qui était l'obstacle maintenant, le temps d'accomplir le programme qu'il avait tracé à Bordeaux : reconstituer le pays ou du moins libérer le territoire ?

M. Thiers sentait que ses jours étaient comptés : il se hâtait. Il se demandait, d'autre part, si la volonté du vainqueur lui permettrait de prévenir les échéances et de précipiter l'évacuation. M. de Bismarck, lui aussi, était préoccupé : il ne voulait pas abandonner le gage territorial sans avoir obtenu toute l'indemnité ; et l'indemnité même ne lui suffisait pas ; il entendait, auparavant, autant qu'il était humainement possible, prendre ses sécurités.

Il craignait qu'en France la politique de revanche ne l'emportât, soit qu'une dynastie restaurée trouvât une Europe avertie et moins indifférente que celle de 187o, soit qu'une république révolutionnaire, maîtresse de Paris et de la France, déchaînât les tempêtes. Dans ses méditations de Varzin, cette double appréhension le torturait. : le merveilleux essor de la France, le relèvement financier, la reconstitution de l'armée, autant de faits trop évidents qui fussent devenus, pour lui, des remords, si la guerre venait à éclater entre les deux pays !

Le pressentiment d'une lutte prochaine s'impose exclusivement à la politique de M. de Bismarck. Il l'avait exprimée, dès le 13 septembre 1870, au lendemain de Sedan, dans une circulaire fameuse, datée de Reims : Nous ne devons pas nous tromper sur ce point : qu'à la suite de celte guerre nous devons nous attendre, bientôt, à une nouvelle agression de la part de la France et non à une paix durable, quelles que soient, d'ailleurs, les conditions que nous lui imposions. La France considérera toute paix comme une trêve et nous attaquera de nouveau pour venger sa défaite actuelle aussitôt qu'elle se sentira assez forte, soit par ses propres ressources, soit avec l'aide d'alliances étrangères.

Les directions adressées, deux ans après, par le chancelier au comte d'Arnim s'inspirent toujours de la même pensée : Tout ce qu'il s'agit de connaitre, c'est le temps dont les Français auront besoin pour réorganiser leur armée et leurs alliances, de manière à être capables, d'après leur opinion, de recommencer la lutte. Dès que le moment sera venu, tout gouvernement français, quel qu'il soit, sera forcé de nous déclarer la guerre[1].

Dans les Souvenirs du prince, la même crainte revient constamment, à la façon d'un leit motiv et, si l'on ne courait le risque d'irrespect pour nue intelligence aussi forte que celle du prince de Bismarck, on dirait que cette préoccupation unique et obstinée, pendant les vingt dernières années de sa vie, a pris le caractère d'une idée fixe, insuffisamment contrôlée.

Il vivait seul à Varzin. Il faut répéter qu'il était malade, le corps pris dans la série des accidents nerveux, zona, phlébite, névralgie faciale, qui le torturèrent jusqu'à l'intervention du professeur Schwenninger. Cet homme athlétique, qui aimait les champs et les bois, et qui eût dépensé sa vigueur en des galops furieux, à la poursuite d'un cerf ou d'un loup, était renfermé entre les quatre murs d'un cabine ! de travail, obligé d'écrire de sa plume d'oie, emmanchée d'un énorme roseau, les dépêches qui dirigeaient le monde. Il enrageait de cette captivité, de cette servitude : qui aimerais tant vivre de la vie de mes ancêtres et planter mes choux !... J'ai toujours détesté le bureau, répétait-il sans cesse. La solitude n'est pas bonne à l'homme supérieur : elle le déshabitue trop de la niaiserie ambiante.

Cette solitude, ce travail acharné, les discussions qu'il avait à soutenir contre ses amis d'origine, les conservateurs, le sentiment qu'il n'était pas apprécié dans son pays comme il prétendait l'être, ou pour mieux dire, l'évidence — terrible à ces volontés puissantes que la volonté humaine a des limites, tout contribuait à entretenir en lui cette exaspération, cette obstination, qui devaient avoir de si sérieuses conséquences sur les destinées de l'Europe.

Dès le lendemain de la victoire, dans ses longues insomnies, il se perdait, en réflexions sur les moyens d'empêcher le relèvement de la France, avec la conséquence, qu'il considérait comme inévitable, d'une coalition anti-allemande en Europe.

Nous avons vu la pression qu'il exerça, jusqu'à la dernière heure, sur le gouvernement de M. Thiers, lors de la discussion de la loi militaire. Au même moment, sa diplomatie remuait le monde pour y trouver des appuis contre la France ou pour ébranler ceux qui eussent pu la secourir. Telle est la pensée maîtresse des deux grandes œuvres auxquelles s'emploie son activité solitaire de l'été de 1872 : d'une part, la recherche d'une alliance entre les principaux souverains de l'Europe ; d'autre part, la lutte contre Rome, le Culturkampf.

Voyons d'abord la politique des alliances : Le Comte Schouwalow avait parfaitement raison, quand il me disait que l'idée des coalitions m'occasionnait de mauvais rêves. C'est par cette phrase que M. de Bismarck commence les confidences sincères et profondes qu'il fait sur les relations de l'Allemagne et de la Russie. Il faut lui emprunter une autre phrase non moins claire et non moins convaincante : On s'explique aisément qu'il y ait, pour la Russie, une limite au delà de laquelle on ne permettra pas qu'on diminue l'influence de la France. Cette limite, à ce que je crois, fut atteinte par le traité de Francfort, et peut-être, en 1870 et en 1871, ne s'était-on pas encore bien rendu compte de ce fait. J'ai de la peine à croire que, pendant la durée de notre guerre, le cabinet russe ait prévu clairement qu'il aurait comme voisin une Allemagne aussi forte et aussi raffermie.

Ayant ce sentiment et ayant, comme il l'a dit et répété souvent, la pensée que l'Allemagne ne pouvait

être assurée de l'avenir si la Russie lui était adverse, il se préoccupait beaucoup, au lendemain de la guerre de France, des relations entre les deux empires. Il sentait qu'il avait atteint et peut-être dépassé la mesure.

C'eût été une faute de tactique de sa part de laisser percer son inquiétude. Déjà, un nuage avait voilé le ciel serein de l'entente, au moment où le prince Gortschakoff avait dénoncé, sans avertir la Prusse, la clause du traité de Paris relative la liberté de la mer Noire. M. de Bismarck : n'avait rien dit.

Il n'ignorait pas que le chancelier Gortschakoff, après l'avoir longtemps réclamé comme son élève, avait pris l'élève en grippe, depuis que celui-ci avait, et de beaucoup, dépassé le maitre. Aussi, il se garde bien de se mettre à la merci de la Russie. Une fois, — confiant en l'amitié personnelle des deux souverains, — il a pu risquer cette partie. Il ne la recommencera pas.

Comme nous l'avons vu, il s'était tourné vers l'Autriche. Qu'il ait pris ce parti après mûre réflexion, il le dit lui-même avec force : Si, ayant le choix entre une alliance avec la Russie et une alliance avec l'Autriche, j'ai préféré celle-ci, je ne l'ai fait nullement à l'aveugle ; j'ai été en proie à tous les doutes qui rendaient le choix difficile. Une des raisons qui le déterminèrent, c'est qu'en courtisant l'Autriche, il excitait la jalousie de la Russie ; il pensait que, s'il pouvait faire venir Vienne à Berlin, Saint-Pétersbourg y accourrait.

C'est ce qui arriva. L'empereur d'Autriche, François-Joseph, après avoir remplacé le comte de Beust par le comte Andrassy, se livrait avec plus d'abandon au mouvement qui portait tous les peuples allemands et même les allemands-autrichiens vers la capital nouvelle de l'hégémonie allemande. Il avait décidé de rendre à l'empereur Guillaume la visite que celui-ci lui avait faite à Gastein. L'entrevue entre les deux souverains fut annoncée comme devant avoir lieu en septembre 1872. Dès que l'on conne cette nouvelle à Pétersbourg, le tsar fit savoir qu'il viendrait, lui aussi, à Berlin, accompagné de son chancelier. Ainsi, les trois empereurs se rencontrèrent.

C'était, pour le prince de Bismarck, un véritable triomphe. L'Europe reconnaissait le nouvel empire, saluait le vainqueur, ratifiait les faits accomplis. Le cabinet de Berlin cherchait des sécurités ; en était-il de comparables ? La presse entière retentit d'éloges sur la grandeur d'un tel événement : c'est la réalisation des conceptions profondes d'un esprit puissant qui mène le monde à son gré ; Napoléon, dans sa force, n'avait rien rêvé de plus efficace. Au lendemain d'une seconde défaite de la France, le Congrès de Vienne se renouvelle, mais à Berlin, et, cette fois encore, par la réunion des souverains eux-mêmes.

Le prince de Bismarck, avec sa prodigieuse fertilité La nouvelle d'argumentation, dégage, pour les amateurs de théories, les raisons de cette autre Sainte-Alliance : Si les gouvernements monarchistes ne s'entendent pas en vue de défendre les intérêts de l'ordre politique et social ; si, au contraire, ils se mettent à la remorque des mouvements chauvins de leurs sujets, je crains que les luttes qu'il faudra soutenir contre le socialisme international et révolutionnaire n'en soient que plus dangereuses et que la victoire de l'ordre monarchique n'en devienne plus douteuse. J'ai cherché, depuis 1871, une garantie contre ces luttes, et j'ai pris celle qui était le plus à ma portée : l'alliance des trois empereurs. Et il ajoute immédiatement : Je me suis efforcé, en même temps, d'engager le principe monarchique en Italie à prendre cette alliance pour point d'appui.

Il s'agit donc d'une alliance des trois empereurs. Tel est le nom qu'on donne à cette géniale combinaison ; elle passera dans la polémique et, de là, dans l'histoire, comme un fait avéré ! Le droit monarchique est sa raison d'être. Cette doctrine n'est-elle pas, en effet, celle qui convient à de si grands souverains ?

M. de Bismarck écrit encore pour préciser : La France est pour nous un salutaire épouvantail[2]. Observons, toutefois, que cette conception ne va pas jusqu'à porter les trois empereurs à appuyer en France, comme en 1815, une restauration... A y regarder de près, on remarque, dans toute cette machination, une part faite à l'artifice. M. de Bismarck n'est pas dupe des mots qu'il emploie. Son intention n'est nullement de jouer les Metternich. La mode n'est plus aux doctrines, mais aux réalités. Ses collègues étrangers ne s'inclinent eux-mêmes devant ces formules attardées que dans la mesure des convenances et de la politesse. Ils ne sont venus à Berlin que pour voir, prendre langue, surveiller le jeu. On s'embrasse ostensiblement : est-on d'accord au fond ?

On fait grand bruit, dans la presse, du triomphe de l'Allemagne. On voudrait laisser croire qu'une sorte de ratification de la paix de Francfort a été signée et qu'un pacte écrit lie désormais les trois empires. Le prince de Bismarck fait étalage de l'entrevue comme d'un de ses importants succès diplomatiques ; ayant l'habitude de frapper lui - même les formules que les badauds se repassent ensuite comme monnaie courante, il dit : Je me suis fait un pont avec Vienne, sans rompre celui que j'avais déjà avec Pétersbourg.

Oui ; mais la Russie a-t-elle, cette fois, passé le pont ?

A peine arrivé à Berlin, l'empereur Alexandre avait fait appeler notre ambassadeur pour lui déclarer que, s'il avait dû se tramer à Berlin quoi que ce fût contre la France, il n'y serait pas venu[3]. L'empereur d'Autriche avait donné les mêmes assurances.

Le prince Gortschakoff avait été plus précis encore. Un jour, il avait pris à part M. de Gontaut-Biron, et lui avait dit en propres termes : Entre nous, il a pu y avoir ici échange de vues et d'idées, mais point de protocole tenu ; nous nous séparons sans qu'il y ait rien d'écrit entre nous. Ne manquez pas de le faire savoir à votre gouvernement... Allant plus loin, il précise : Soyez rassuré et rassurez M. Thiers. Si vous remplissez vos engagements, rien de plus ne vous sera demandé. On parle de votre armée et de son Septembre 1871 organisation... Sur ce point, l'Allemagne n'a le droit de vous adresser aucune observation. Vous faites ce dite vous jugez convenable, et vous avez raison. Et il ajoute, enfin, découvrant une pensée d'avenir : Il faut que la France soit forte et sage ; il faut qu'elle soit l'Orle pour qu'elle puisse jouer dans le inonde le rôle qui lui est assigné[4]... Ces paroles ne vont pas, certes, à l'idée d'une destruction ou d'un affaiblissement irrémédiable de la France. Tout au contraire, elles permettent de présager les évolutions qui reposent, encore incertaines, au fond des esprits.

Le prince de Bismarck ne doit pas s'y tromper. Tout en fournissant le thème de l'alliance des trois empereurs à l'enthousiasme des thuriféraires, il sait, lui, que la lézarde s'est déjà glissée dans la magnifique façade qu'il a su élever.

Il le sait si bien, qu'il ne peut s'empêcher de manifester sa mauvaise humeur, même devant les diplomates étrangers. La conversation si curieuse qu'il eut avec l'un d'entre eux et que nous sommes, maintenant, à même de reproduire, n'a-t-elle pas toute la saveur d'un aveu ? ... Bismarck est positivement mécontent, agacé, écrit M. de Gontaut-Biron, et il attend avec impatience le départ des empereurs, qui aura lieu ce soir ou demain matin, pour retourner à Varzin. Hier soir, au concert de la cour, je demandai à Russell s'il savait quelque chose et je lui racontai ce qui m'avait été dit, le matin, sur l'invitation amicale, faite à l'Allemagne par la Russie et par l'Autriche, d'entretenir désormais avec la France des rapports faciles et conciliants ; j'ajoutai que je n'étais pas éloigné de croire, en résumé, que l'Allemagne retirerait de l'entrevue quelque déboire : Je le crois d'autant plus volontiers, me répondit Russell, qu'hier, à cette même place, après le dîner de la cour, Bismarck, l'œil un peu brillant, s'est approché de moi et, presque sans s'arrêter, il m'a dit : J'ai voulu réunir ici les trois empereurs et les faire poser comme des statues de marbre, les trois Grâces ! et les montrer ainsi ! Andrassy est charmant et plein d'intelligence ! Quant à Gortschakoff, il me prend sur les nerfs avec sa cravate blanche et ses prétentions à l'esprit ! Il a apporté ici du papier bien blanc et de l'encre bien noire, s'est fait accompagner de scribes et il voulait écrire ! mais je n'ai pas entendu de cette oreille-là. Puis il a disparu. Ses expressions sont crues, vous en conviendrez et sa mauvaise humeur flagrante... — Je doute fort, ajoute M. de Gontaut-Biron, qu'il soit sincère au sujet des intentions d'écrire quelque chose qu'il prête au chancelier de Russie ; c'est absolument contraire aux assertions de Karolyi et du prince Gortschakoff lui-même[5].

Si ces divers propos sont aussi sincères qu'ils sont exacts, que reste-t-il de cette fameuse combinaison dont on a fait si grand étalage ? A moins que les actes constitutifs de l'Alliance des Trois Empereurs ne voient le jour, on devrait la considérer comme rayée de l'histoire, désormais[6].

En tout cas, M. de Bismarck, mieux renseigné que personne, n'est certainement pas satisfait.

Il cherche dès lors, en Europe, un autre arc-boutant, ou du moins un échafaudage de fortune. Il recourt à l'Italie pour qu'elle prenne, elle aussi, au besoin, la défense de l'ordre et des principes monarchiques.

Cette campagne se combine avec une autre, dans laquelle cet esprit puissant, et inquiet s'était depuis peu engagé : la campagne contre l'Église romaine.

Il fallait qu'il en vint là. Étant le sang, les nerfs et la force de la nouvelle Europe, il fallait qu'il s'insurgeât contre la vieille Europe ; étant le continuateur de Luther, il fallait qu'il reprit l'œuvre du moine ; étant l'homme du Nord, contempteur de l'empire romain, il fallait qu'il poursuivit la lutte contre le romanisme.

Là-bas, sur les bords de la mer aux eaux bleues, un ordre ancien existe. L'Asie, l'Égypte, la Grèce, Rome lui ont légué leurs traditions. Les anciens pasteurs de peuples, les rois aux mains sanglantes ont passé la couronne, la triple couronne, à des successeurs pacifiques : là, règnent les vieillards aux mains blanches.

Ceux-ci nouent et dénouent les affaires du monde par des gestes doux, des mots dits à l'oreille, des règles de conduite, des conseils dictés aux enfants et aux femmes, et qui plient ou transforment les résolutions des hommes. Leur arme est la parole. Leur règne est celui du verbe. Cette domination s'insinue parmi les autres ; elle les ébranle sans cesse ; c'est comme une eau insaisissable qui avance et recule, mais qui ne cède jamais.

Déjà, Luther dénonçait le sortilège latin. M. de Bismarck le sent autour de lui. Il ne peut supporter cette indépendance qui l'environne, cette résistance impalpable qui le limite. Il est l'homme des combats décisifs, l'homme du fer et du sang. Il est le Germain victorieux des légions. Il trouve ce nouveau duel à sa taille. Il se précipite, en brandissant la hache d'armes, sur son pâle et frêle adversaire : un vieillard, Pie IX.

Le protestantisme, c'est l'État monarchique ; le catholicisme, c'est l'Église. Rome, c'est la tradition méditerranéenne ; Berlin, c'est la tradition continentale. Le regard farouche des yeux verts a toujours craint le regard subtil des yeux noirs. L'antagonisme est éternel. Cette fois, pourtant, les chances paraissent favorables. Le romanisme n'est pas seulement vaincu : il est divisé. Telle est évidemment la pensée qui anime le prince de Bismarck : Rome n'est plus dans Rome.

C'est l'heure d'en finir avec un adversaire éternel et irréductible : On ne saurait établir de limite fixe aux prétentions de la cour de Rome, dit le prince de Bismarck. L'antique lutte entre les prêtres et les rois n'arrivera pas de sitôt à son terme ; elle n'y arrivera pas, en Allemagne particulièrement. Contre le protestantisme, il subsistera toujours en elle, sans qu'il puisse être refréné par aucun concordat, un besoin agressif de prosélytisme et de passion dominatrice ; elle ne souffre point d'autres dieux à côté d'elle... La curie romaine est une puissance politique indépendante, parmi les qualités immuables de laquelle ligure le même besoin d'extension que chez nos voisins français[7].

Voilà donc les deux grands adversaires réunis en une seule phrase !

On peut juger des sentiments du solitaire de Varzin, au moment où il ouvrait les hostilités, au moment où il accumulait contre Rome tous les griefs dont son âme violente était pleine, au moment où, avec les professeurs, il proclamait la supériorité de la culture allemande, au moment où il incriminait si fortement l'irrédentisme polonais et alsacien-lorrain, au moment où il reprochait aux Ledochowski et aux Bonnechose de ne pas l'avoir aidé dans ses négociations avec la France, au moment où, par nu aveuglement indigne vraiment d'une -intelligence si vive et si renseignée, il disait à Schultz : Je tiens les vieux catholiques pour les seuls catholiques, au moment, enfin, où il proclamait la guerre, le 14 mai 1872, en plein Reichstag, aux applaudissements frénétiques de la majorité : N'ayez-crainte, Messieurs, ni en fait, ni en pensée, nous n'irons pas à Canossa.

On devait aller, un jour, à Canossa, et l'initiateur du duel a expliqué lui-même l'impossibilité de la victoire dans une observation qui a l'intensité d'une caricature d'Hogarth : L'erreur m'apparut, clairement, dit-il, quand je vis des gendarmes prussiens, braves gens, mais maladroits, courant, en faisant sonner leurs éperons et en traînant leurs sabres, derrière des prêtres souples et agiles, s'échappant par de fausses portes et des alcôves[8].

Au moment où il engage, contre Rome et contre le centre catholique reconstitué, la lutte qui doit lui donner tant de peine pour un résultat si mince, le prince de Bismarck pense à l'Allemagne, certes, mais il pense aussi à la France. Il a toujours présent à l'esprit le cauchemar d'une coalition. Il voit le pape servant d'intermédiaire entre une monarchie française restaurée par les évêques et l'Autriche catholique. Il sait que mille raisons naturelles préparent ce rapprochement, qui rendrait à l'Autriche une situation prédominante en Allemagne.

C'est pour effacer ce cauchemar qu'il recherche l'alliance italienne et c'est pour obtenir cette alliance qu'il s'engage à fond contre la papauté. Cette coïncidence a frappé tous les esprits[9].

A la date précise où le Culturkampf est proclamé à Berlin, l'alliance italo-allemande est inaugurée à Rome. Donc, au fond de ces luttes de principes, on trouve toujours des réalités. La bataille contre le romanisme se rattache à la campagne contre la France.

Mais ici, comme dans l'alliance des trois empereurs, la phrase dépasse la pensée, la passion l'emporte sur l'idée, la mesure exacte n'est pas gardée. Aussi, dans l'un comme dans l'autre cas, l'échec sera la conclusion finale : la prétendue alliance des trois empereurs recèle l'alliance franco-russe ; la lutte contre Rome recèle la victoire de la papauté ; la campagne d'isolement contre la France se retournera contre celui qui n'a pas su prévoir le relèvement de ce pays, ou n'a pas voulu ménager l'heure des colères amorties et des tractations équitables.

Quoi qu'il en soit, en octobre 1872, au moment où l'entrevue des trois empereurs vient de se produire à Berlin, au moment où toute la presse européenne retentit de la louange du prince de Bismarck, au moment où celle-ci se jette à corps perdu dans la campagne de Culturkampf, l'appréhension est grande à Paris.

L'armée allemande occupe toujours la France. Consentira-t-elle à évacuer complètement ? L'obsession libération des milliards à payer, du territoire à libérer, ne quitte pas le chevet de M. Thiers. Il se sait à la merci d'un caprice. L'emprunt des trois milliards a réussi ; les premiers versements ont commencé.

Mais l'Allemagne, mais la France, mais l'Assemblée, les passions, les partis, toute la complexité d'une convalescence incertaine et heurtée, laisseront-ils, au vieux praticien, le délai nécessaire pour délivrer le faix du passé ?

Ne vaut-il pas mieux prendre, dès maintenant, des dispositions qui consolident le présent et qui assurent l'avenir ?

 

II

On attendait avec impatience la rentrée de l'Assemblée nationale, et avec une impatience non moindre le message du président de la République.

Le 13 novembre, M. Thiers lit lui-même ce document à l'Assemblée.

L'emprunt d'abord ; le président constate qu'en deux mois il est, pour moitié, souscrit. Le message expose ensuite, en détail, la situation économique et financière du pays ; il rappelle le progrès merveilleux du commerce extérieur qui parait devoir s'élever à sept  milliards 14 millions en 1872, contre six milliards 277 millions en 1869, l'année la plus fructueuse de l'empire ; il explique les clauses du nouveau traité de commerce conclu avec l'Angleterre ; il résume, en ces termes, les raisons que la France pourrait avoir d'être satisfaite :

Après la guerre la plus malheureuse, après la guerre civile la plus terrible, après l'écroulement d'un trône qu'on avait cru solide, la France a vu toutes les nations empressées de lui offrir leurs capitaux, son crédit mieux établi que jamais, huit milliards acquittés en deux ans, la plus grande partie de ces sommes transportées au dehors, sans trouble dans la circulation, le billet de banque accepté comme argent, les impôts, quoique accrus d'un tiers, acquittés sans ruine polir le contribuable, l'équilibre financier rétabli ou près de l'être, 200 millions consacrés à l'amortissement, et l'industrie, le commerce, s'augmentant de plus de 700 millions en une seule année !

Au milieu d'un silence inexprimable, il aborde la question politique :

Messieurs, les événements ont fondé la République, et remonter à ses causes pour les discuter et pour les juger, serait aujourd'hui une entreprise aussi dangereuse qu'inutile. La République existe...

Les interruptions éclatent : Non ! non ! crie-t-on à droite.

M. LE BARON CHAURAND. — Vous avez dit le contraire à Bordeaux !

M. LE PRÉSIDENT. — Veuillez, Messieurs, ne pas interrompre ! Vous n'avez pas de réponse individuelle à faire à un message à l'Assemblée nationale. (C'est vrai ! Très bien !)

M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. — Je prie tontes les opinions d'attendre et de ne pas se héler de blâmer ou d'approuver. Je reprends.

La République existe, elle est le gouvernement légal du pays : vouloir autre, chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. Ne perdons pas notre temps à la proclamer ; niais employons-le à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une commission nommée par vous, il y a quelques mois, lui donnait le titre de République conservatrice. Emparons-nous de ce titre, et tâchons surtout qu'il soit mérité. (Très bien ! très bien !)

Tout gouvernement doit être conservateur, et nulle société ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait point. (Assentiment général.)

La République sera conservatrice, ou elle ne sera pas. (Sensation.)

UNE VOIX AU CENTRE GAUCHE. — Très bien ! Nous acceptons !

M. LE PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. — La France ne peut pas vivre dans de continuelles alarmes : elle veut pouvoir vivre en repos, afin de travailler pour se nourrir, pour faire face à ses immenses charges ; et si on ne lui laisse pas le calme dont elle a indispensablement besoin, quel que soit le gouvernement qui lui refusera ce calme, elle ne le souffrira pas longtemps. Qu'on ne se fasse pas d'illusions ! On peut croire que, grâce au suffrage universel, et appuyé ainsi sur la puissance du nombre, on pourrait établir une République qui serait, celle d'un parti ! Ce serait là une œuvre d'un jour.

Le nombre lui-même a besoin de repos, de sécurité, de travail. Il peut vivre d'agitations quelques jours, il n'en vit pas longtemps. Après avoir fait peur aux autres, il prend peur de lui-même ; il se jette dans les bras d'un maitre d'aventure, et paye de vingt ans d'esclavage quelques jours d'une désastreuse licence. (Applaudissements prolongés sur un grand nombre de bancs.)

Et cela, il l'a fait souvent, vous le savez, et ne croyez pas qu'il ne soit pas capable de le refaire encore. Il recommencera cent fois ce triste et humiliant voyage de l'anarchie au despotisme, du despotisme à l'anarchie, semé de hontes et de calamités, la France a trouvé la perte de deux provinces, une dette triplée, l'incendie de sa capitale, la ruine de, ses monuments et ce massacre des otages qu'on n'aurait jamais cru revoir ! (Profonde émotion.)

Je vous en conjure, Messieurs, n'oubliez pas ces ternies si terriblement liés l'un à l'autre : République agitée d'abord ; puis retour è un pouvoir qu'on appelle fort, parce qu'il est sans contrôle, et avec l'absence du contrôle, la ruine certaine et irrémédiable.

Oui, rompons la chaîne qui lie ces termes funestes entre eux, et calmons au lieu d'agiter ; faisons à la sécurité générale les sacrifices nécessaires, faisans même ceux qui sembleraient excessifs, et surtout ne laissons pas entrevoir le règne d'un parti... car la République n'est qu'un contre-sens si, au lieu d'être le gouvernement de tous, elle est le gouvernement d'un parti, quel qu'il soit. Si, par exemple, on veut la représenter comme le triomphe d'une classe sur une autre, à l'instant on éloigne d'elle une partie du pays, une partie d'abord et le tout ensuite...

Quant à moi, je ne comprends, je n'admets la République qu'en la prenant comme elle doit être, comme le gouvernement de la nation, qui, ayant voulu longtemps et de bonne foi laisser à un pouvoir héréditaire la direction partagée de ses destinées, mais n'y ayant pas réussi, par des fautes impossibles à juger aujourd'hui, prend enfin le parti de se régir elle-même, elle seule, par ses élus, librement, sagement désignés, sans acception de parti, de classe, d'origine, ne les cherchant ni en haut, ni en bas, ni à droite, ni à gauche, mais dans cette lumière de l'estime publique, où les caractères, les qualités, les défauts se dessinent en traits impossibles à méconnaître, et les choisissant avec cette liberté dont on ne jouit qu'au sein de l'ordre, du calme et de la sécurité !

Deux années écoulées sous vos yeux, sous votre influence, sous votre contrôle, dans un calme presque complet, peuvent nous donner l'espérance de fonder cette République conservatrice, mais l'espérance seule ; et qu'on ne l'oublie pas, il suffirait de la moindre faute pour faire évanouir cette espérance dans une désolante réalité.

Nous touchons, Messieurs, à un moment décisif. La forme de cette République n'a été qu'une forme de circonstance, donnée par les événements, reposant. sur votre sagesse et sur votre union avec le pouvoir que vous aviez temporairement choisi ; mais tous les esprits vous attendent, tous se demandent quel jour... (Murmures à droite), quelle forme vous choisirez pour donner à la République cette force conservatrice dont elle ne peut se passer...

M. DE LA ROCHEFOUCAULD DUC DE BISACCIA. — Mais nous n'en voulons pas !

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. — Et le pacte de Bordeaux ?

M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. — C'est à vous de choisir l'un et l'autre. Le pays, en vous donnant ses pouvoirs, vous a donné la mission évidente île le sauver, en lui procurant la paix d'abord ; après la paix, l'ordre ; avec l'ordre, le rétablissement de sa puissance, et enfin un gouvernement régulier. Vous l'avez proclamé ainsi, et dès lors c'est à vous de fixer la succession, l'heure de ces diverses parties de l'œuvre de salut qui vous est confiée.

Dieu nous garde de nous substituer à vous ! Mais à la date que volts aurez déterminée, lorsque vous aurez choisi quelques-uns d'entre vous pour méditer sur cette œuvre capitale, si vous désirez notre avis, nous vous le donnerons loyalement et résolument. Jusque-là, comptez sur notre profond attachement au pays, à vous, à cette chose si belle et si chère à nos cœurs qui était avant nous, qui sera après nous, à la France, qui seule mérite tous nos efforts et tous nos sacrifices.

Voici une grande, une décisive session qui s'ouvre devant vous ; ce ne sera, de notre part, ni la déférence, ni le concours, ni le dévouement, ni la résolution qui manqueront au succès de votre œuvre, que Dieu veuille bénir, rendre complète, et surtout durable, ce qui ne nous a pas encore été accordé depuis le commencement du siècle ! (Longues acclamations et applaudissements réitérés au centre gauche et à gauche.)

Ainsi parlait, devant l'Assemblée surprise, troublée et pourtant attentive, le vieillard expérimenté auquel la République naissante confiait le soin de préparer son avenir. Il agitait, avec une compétence et une autorité incontestables, avec une souplesse et un tact remarquables, tous les problèmes. Il indiquait. les solutions. Ce débat, où les intérêts et les destinées du pays sont étudiés en face du pays lui-même, n'est-il pas comparable aux plus belles pages de l'histoire antique ?

Le message lu, l'émotion, difficilement comprimée, se répandit dans toute l'Assemblée. Les partis se mesuraient du regard. La droite était houleuse ; quelques-uns de ses membres se précipitaient vers la tribune, criant qu'ils protestaient. Le centre droit se tenait sur une froide réserve ; les gauches applaudissaient avec enthousiasme. L'émotion produite par la lecture de M. le président de la République, constate le compte rendu officiel, détermine une grande et générale agitation dans l'Assemblée. La plupart de MM. les représentants se lèvent, et, sans sortir de leurs bancs, se livrent, par groupes, à des colloques animés. Le président Grévy comprend qu'il ne pourra pas dominer les passions. Il suspend la Séance pendant vingt minutes.

La séance reprise, M. Audren de Kerdrel se charge de traduire les colères de la droite. Il dépose une proposition ainsi formulée : l'honneur de demander qu'une commission soit nommée pour l'examen du message de M. le président de la République. Il réclame, de l'Assemblée, un jugement libre et non passionné.

Caractérisant les déclarations de M. Thiers, il s'exprime ainsi : Il y a, dans le message, quelques expressions qui seraient de nature à établir peut-être une équivoque, un malentendu. Nous serions peut-être, d'après M. le président de la République, plus avancés sur le terrain constituant que je ne le croyais ; et quand il n'y aurait que ce doute à éclaircir, je pense que ma proposition aurait son opportunité, et j'espère que vous voudrez bien en déclarer l'urgence.

M. Thiers se lève. Il assure qu'il a cru parler dans le sens de la majorité véritable et qu'il tient à honneur d'être jugé par le pays et par l'Assemblée.

M. Grévy fait alors observer qu'il est contraire aux, usages parlementaires d'examiner un message, mais que l'Assemblée peut y répondre. M. de Kerdrel modifie dans ce sens sa proposition, qui est adoptée.

L'impression produite par le message ne fut pas moindre dans le pays ; on crut que l'on allait, enfin, sortir de l'incertitude. Par la volonté de M. Thiers, les voies étaient ouvertes. Puisque celui-ci se prononçait nettement. en faveur de la République, le terrain paraissait dégagé. Mais la majorité était décidée à ne pas sanctionner définitivement celle forme de gouvernement.

On a beaucoup reproché à M. Thiers l'initiative prise par lui. Il s'explique lui-même avec beaucoup de clarté, selon sa manière habituelle : Le régime sous lequel nous vivions, dit-il, créé par le pacte de Bordeaux, consistait en une assemblée unique et souveraine en présence d'un pouvoir exécutif issu d'elle et responsable devant elle. Un pareil régime ne pouvait être que provisoire ; sa prolongation n'était souhaitée que par les partis extrêmes : l'extrême-gauche parce qu'une chambre unique et souveraine était conforme à ses principes révolutionnaires, l'extrême-droite parce qu'elle espérait trouver dans la faiblesse d'un régime provisoire des facilités pour restaurer la monarchie...

Au contraire, le centre gauche et la gauche voulaient organiser définitivement une République conservatrice, en me chargeant de la présidence pour un temps plus ou moins long. Le centre droit, lui-même, espérant, que je me donnerais à lui, consentait à cette organisation et voulait m'offrir la présidence à vie.

Quelles que fussent les intentions des partis, mon devoir était de signaler à l'Assemblée le danger auquel de elle exposerait le pays en laissant, après elle, des pouvoirs publics insuffisamment organisés et de lui proposer les moyens de le conjurer.

Personnellement, je ne voulais pas d'une présidence trop prolongée, encore moins d'une présidence à vie. Il ne me convenait pas de m'inféoder indéfiniment à la politique, désirant passer mes dernières années dans un repos que seul l'intérêt des affaires publiques avait pu me faire abandonner, et il ne me convenait pas davantage de jouer le rôle d'un petit usurpateur bourgeois profitant des malheurs du temps pour s'imposer à la France. J'étais à la tête du gouvernement par dévouement patriotique, avec un intérêt de gloire que j'avouais ; mais je n'étais pas un fonctionnaire attaché à sa place, et je ne voulais me donner à personne au prix de quelques années de pouvoir.

La pensée qui m'occupait était la plus conservatrice du monde. Je ne craignais pas les futures élections ; mais, comme l'imprévu trouve toujours place dans les choses politiques, je désirais que l'Assemblée pendant cette session, qui serait probablement la dernière, votât les mesures conservatrices que nous n'obtiendrions peut-être pas d'une nouvelle assemblée[10].

Le 18 novembre, l'Assemblée nationale, réunie dans ses bureaux, élisait la commission de quinze membres chargée d'examiner la proposition de M. de Kerdrel, c'est -dire de discuter s'il y avait lieu ou non de répondre au message du président de la République. Cette commission se composait de neuf membres de la droite et du centre droit : MM. Batbie, Raoul Duval, de La Bassetière, Henri Fournier, duc d'Audiffret-Pasquier, Lucien Brun, de Lacombe, Grivart et Ernoul ; de trois membres du centre gauche :- MM. de Lasteyrie, Ricard et Gaulthier de Rumilly ; de cieux membres de la gauche républicaine : MM. Albert Grévy et Emmanuel Arago ; enfin, de M. Martel, dont l'opinion flottante inclinait vers celle de la majorité.

On comprit immédiatement que cette commission était une machine de guerre contre la République et son président.

M. Thiers se savait battu d'avance dans l'Assemblée ; sa tactique consistait à chercher la victoire dans le pays. La première passe fut engagée par le général Changarnier. Le 18 novembre, il interpellait le gouvernement sur les voyages de M. Gambetta en Savoie et en Dauphiné.

Le général Changarnier, soldat hors de pair, qu'une carrière trop prompte avait grisé et qu'une trop longue oisiveté avait brisé, prétendait, malgré ses quatre-vingts ans, être encore, lui aussi, un homme indispensable. Il ne se consolait pas de ne pas être maréchal de France, et n'ayant pas renoncé, songeait à devenir président de la République. Il parlait par boutades, parfois heureuses. En l'écoutant, on le respectait toujours, on souriait souvent.

L'escarmouche entre le général Changarnier et M. Gambetta fut vive. Elle irrita les esprits. Mais le véritable intérêt de la bataille n'était, pas là.

Le chef de la droite, le tacticien qui -va, désormais, prendre la direction de la campagne, M. le duc de Broglie, est à la tribune ; il demande avec angoisse au président de venir s'expliquer devant l'Assemblée.

C'est le tour de M. Thiers. Il se montre douloureusement affecté d'un procédé qu'il pourrait, tenir pour une offense. Avec hauteur, il déclare qu'on n'a pas le droit de le tramer à la tribune pour y affirmer les opinions de toute sa vie ; il n'accepte pas d'être mis sur la sellette, d'être traité comme un suspect et un coupable, d'être contraint de faire une profession de foi. Sa vie tout entière et les deux années qu'il vient de passer au pouvoir répondent suffisamment aux questions qu'on entend lui poser ; mais, si on paraît douter de lui, on lui donne le droit de provoquer un témoignage de confiance. Ce témoignage, il le demande et il termine par ces mots : Quand on veut un gouvernement décidé, il faut être décidé soi-même. Eh bien ! soyez décidés à notre égard ! soyez-le... Vous vous plaignez d'un gouvernement provisoire, faites un gouvernement définitif !

Le duc de Broglie pense qu'il a atteint le résultat qu'il cherchait, eu séparant M. Thiers, à la fois, de la gauche et de la droite. Il soumet à l'Assemblée, sans examiner la question de confiance ou de méfiance, un ordre du jour réprouvant hautement les doctrines professées au banquet de Grenoble.

M. Thiers exige un ordre du jour de confiance ; il se rallie à celui proposé par M. Mettetal et qui est ainsi conçu :

L'Assemblée nationale, confiante dans l'énergie du gouvernement et réprouvant les doctrines professées au banquet de Grenoble, passe à l'ordre du jour.

Après une lutte pénible, l'ordre du jour de M. Mettetal est adopté par 263 voix contre 116.

Pour M. Thiers, c'était un demi-échec. L'extrême-gauche avait voté contre l'ordre du jour, tandis qu'une partie de la gauche et quelques membres de la droite s'abstenaient. Le gouvernement était désormais à la merci d'un caprice de la majorité. Déjà, on parlait de la disparition prochaine de M. Thiers et de la constitution d'un gouvernement provisoire composé d'un triumvirat militaire comprenant le maréchal de Mac Mahon et les généraux Changarnier et Ladmirault. Celui-ci et le maréchal de Mac Mahon se crurent obligés de protester, par une démarche faite à l'hôtel de la Préfecture, de leur dévouement au président de la République.

La commission de Kerdrel se constitue. Elle nomme le duc d'Audiffret-Pasquier président ; M. Raoul Duval, secrétaire, et M. Batbie, rapporteur. Elle décide immédiatement de conserver le secret le plus absolu de ses délibérations ; où allait-on ?

Le 22 novembre 1872, M. Thiers était entendu par la commission, qui lui posa trois questions :

1° Dans quel sens le banquet de Grenoble a-t-il été qualifié de regrettable incident dans le message ?

2° La commission, surprise qu'une demande de modifications dans les institutions actuelles eût été introduite dans le message, désire savoir comment de pareilles modifications peuvent se concilier mec le pacte de Bordeaux.

3° De quelle manière le gouvernement entend-il sortir des institutions actuelles et en appliquer de nouvelles ?

M. Thiers répondit ironiquement que c'étaient là des questions de mois il ne se dissimulait pas que le véritable débat était ailleurs :

Pourquoi ne pas avouer immédiatement que l'esprit général du message avait déplu à une partie de l'Assemblée, qu'on lui reprochait d'être trop républicain ?

J'ai trouvé la République faite, ajoute M. Thiers. Personne, à Bordeaux, ne m'a proposé de faire la monarchie et je ne pouvais trahir le pouvoir mis entre mes mains. Ma conviction est que la monarchie est impossible, puisqu'il y a trois dynasties pour un seul trône. On m'accuse d'avoir déchiré le pacte de Bordeaux, mais tous les partis l'ont rompu. Dans mon message, je n'ai tait qu'une chose : accentuer fermement les sentiments conservateurs. Tout le monde, depuis deux mois, parle de la nécessité de sortir du provisoire : ceux-ci demandent la dissolution, ceux-là demandent une constitution. Pour mon compte, je n'ai rien fait de pareil. Je me suis borné à dire à l'Assemblée : Si vous croyez le moment venu de faire des réformes constitutionnelles, agissez dans un esprit conservateur et libéral.

Ceux-là mêmes, ajoutait-il, qui vont, à Anvers ou à Chislehurst, offrir la couronne à leurs princes préférés, demandent aussi à sortir du provisoire, et si nous acceptions les solutions qu'ils poursuivent, ils ne nous accuseraient plus de manquer à notre parole.

L'opinion exprimée par M. Thiers ne modifie pas les sentiments de la commission. Elle affecte de vouloir rétablir l'accord intime entre l'Assemblée et le  pouvoir exécutif et, dans cette pensée, elle se prononce pour une prompte organisation de la responsabilité ministérielle.

Le rapport est confié à M. Batbie. La proposition était un coup droit à l'adresse de M. Thiers.

Celui-ci ne crut pas devoir attaquer de front l'œuvre de la commission. Il proposa de l'amender, en ajoutant à l'organisation de la responsabilité ministérielle, la création d'une seconde Chambre. Cette fois, c'était à la commission de se regimber. Accepter cet amendement, c'était fonder la République, c'était prononcer dissolution de l'Assemblée, c'était faire appel au pays. A aucun prix, la droite ne hâterait l'heure de sa disparition.

Aussi, la commission, maintenant, à la fois le provisoire et le malentendu, proposait à l'Assemblée de voter la résolution suivante, substituée à la proposition de M. de Kerdrel :

Article unique. — Une commission de quinze membres sera nommée dans les bureaux, à l'effet de présenter, dans le plus bref délai, à l'Assemblée nationale, un projet de loi sur la responsabilité ministérielle.

A défaut du pouvoir, la majorité voulait s'emparer du ministère. C'était la bataille. Le gouvernement ne pouvait se dérober.

Le 28 novembre, il vint devant l'Assemblée avec la volonté ferme de résister. M. Dufaure, vice-président du conseil[11], qui représentait le gouvernement, était un habile routier parlementaire. Il prend la parole, dès le début de la séance. Dans un discours calme, d'argumentation serrée, il démasque la tactique de la droite. Son but avoué, dit-il, est d'organiser la responsabilité ministérielle. Mais ce qu'elle recherche, avant tout, c'est interdire la tribune à M. Thiers.

Le gouvernement, déclare M. Dufaure, est l'ennemi des équivoques. Il est disposé à accéder au désir de la commission, mais il réclame une organisation complète des pouvoirs publics. On ne peut, dit-il, à la fois demander l'impuissance et imposer la responsabilité, et il dépose un projet de loi ainsi conçu :

Une commission composée de trente membres sera nommée dans les bureaux, à l'effet de présenter à l'Assemblée nationale un projet de loi pour régler les attributions des pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle.

M. Batbie demande une suspension de séance pour que la commission puisse délibérer sur la proposition du gouvernement. Pendant la suspension, M. Thiers réunit deux fois le conseil des ministres ; il est entendu par la commission, qui persévère dans ses conclusions. M. Dufaure déclare, aux applaudissements de toute la gauche, que le gouvernement maintient la rédaction qu'il a présentée à l'Assemblée. Celle-ci pouvait seule trancher le débat.

L'engagement décisif eut lieu le lendemain, 29 novembre. Malgré mie pluie ballante, une foule considérable stationnait aux abords de l'Assemblée.

M. Thiers prend le premier la parole au milieu d'un grand silence. Selon le mot d'un huissier de l'Assemblée, les mouches n'osèrent pas voler.

Il porte son attaque sur la question dissimulée si habilement dans le rapport : République ou Monarchie. Il déchire décidément le pacte de Bordeaux. Il rappelle la situation où il s'est trouvé pendant la Commune, les promesses qu'il a dei faire et qu'il entend tenir :

Il faut vous mettre à ma place. Figurez-vous la situation où j'étais ! J'ai été assez vivement interpellé. Je suis venu vous le dire. M'a-t-on interrompu ? m'a-t-on dit que j'avais eu tort d'engager nia parole ? Mais, je me hâte de le déclarer, elle n'engage que moi, ici ; il faut tout dire, elle n'engage que moi seul ! mais elle m'engage. Vous n'êtes pas engagés, moi, je le suis !

Cela ne suffisait pas. M. Thiers pense, après y avoir longuement réfléchi, que les promesses faites en 1871 doivent être réalisées : la République s'impose maintenant.

Je n'hésite pas à le dire : si, devant moi, je voyais la possibilité de faire la monarchie, si on le pouvait... si on le peut, il faut nie le dire ! Si je croyais que la faire en ce moment fût un devoir, que ce fût une manière de terminer notre anxiété ; si j'étais sûr qu'une monarchie eût de l'avenir, qu'elle pût durer, que l'on fût d'accord, qu'une des trois monarchies possibles rencontrât la soumission des deux autres et la soumission de celte portion considérable du pays qui s'est donnée à la République, savez-vous ce que je ferais je dirais : J'ai pris un engagement ; cela ne regarde que moi, cela ne vous regarde pas ! Je trouverais une manière de me retirer, et je laisserais faire ceux qui pourraient restaurer la monarchie.

Interrompez-moi en ce moment, si vous croyez que l'intérêt du pays est de faire la monarchie aujourd'hui ; faites-moi descendre de la tribune, prenez le pouvoir, ce n'est pas moi qui vous le disputerai.

Messieurs, voilà qui je suis. Je suis un vieux disciple de la monarchie, je suis ce qu'on appelle un monarchiste qui pratique la République par deux raisons : parce qu'il s'est engagé, agile, pratiquement, aujourd'hui, il ne peut pas faire autre chose. Voilà quel républicain je suis ; je me donne pour ce que je suis, je ne trompe personne.

Eh bien, l'équivoque va cesser à l'instant même. Vous me demandez pourquoi on m'applaudi ! : le voilà !

Ce n'est pas paire que j'ai failli aux- doctrines de ma vie ; ce n'est pas paire que je partage les opinions des honorables députés qui siègent sur ces bancs (l'orateur montre la gauche) ; ce n'est pas parce que je partage les opinions non pas des plus avancés, mais des plus modérés. Non ! ils savent que, sur la plupart des questions sociales, politiques et économiques, je ne partage pas leurs opinions ; ils le savent ; je le leur ai dit toujours.

Non, ni sur l'impôt, ni sur l'armée, ni sur l'organisation sociale, ni sur l'organisation politique, ni sur l'organisation de la République, je ne pense comme eux.

Mais on m'applaudit parce que je suis très arrêté sur ce point : qu'il n'y a aujourd'hui, pour la France, d'autre gouvernement possible que la République conservatrice. C'est là ce qui me vaut une faveur que je n'ai recherchée par aucun désaveu des sentiments de toute ma vie.

M. Ernoul, de la droite, répond au président de la République. Il l'adjure à mains jointes de se placer au centre du parti conservateur et de ne pas couper le câble qui unit, M. Thiers à l'Assemblée : Ne le coupez pas, s'écrie-t-il tragiquement, il tient à l'ancre de miséricorde.

L'angoisse patriotique est à son comble ; l'émotion de la droite est visible. M. Thiers a une opinion arrêtée ; il ne se laisse pas ébranler. Il monte de nouveau à la tribune. Il insiste pour qu'on adopte la rédaction proposée par le gouvernement.

En s'en tenant au projet de la commission, on fait au pouvoir exécutif une situation impossible. On lui offre la crise sans le moyen de la prévenir, c'est-à-dire la discussion. Sans le droit de veto, sans la faculté de demander une deuxième délibération, sans l'institution d'une deuxième Chambre modératrice, l'Assemblée pourrait, en votant une loi que le gouvernement n'accepte pas, forcer celui-ci à se retirer sans explications, sans discussion, sans qu'il ait pu signaler le danger. Enfin, la question a été ainsi posée que le vote du projet introduit par M. Dufaure entraîne la confiance ou la défiance de l'Assemblée.

On passe au vote. Par 372 voix contre 335, c'est-à-dire avec une majorité de 37 voix, le projet de M. Dufaure est adopté.

A la gare Saint-Lazare, une foule compacte attendait avec anxiété l'issue du débat. Elle accueillit les députés par les cris de : Vive la République !

 

III

Victoire On ne peut exagérer les résultats de cette journée. La bataille décisive, la bataille du message était livrée. M. Thiers 's'était jeté, à corps perdu, au milieu de l'Assemblée pour lui arracher une résolution qui confirmât le régime dont il était le chef et qui était l'embryon d'une République. Il voulait profiter de la division et de l'embarras des droites, il s'appuyait sur la volonté clairement manifestée par le pays ; il comptait sur son influence personnelle et sur le prestige attaché 71 sa qualité de chef de l'État. Peut-être espérait-il enlever plus facilement un vote an moment oh, le territoire n'étant pas encore libéré, il se jugeait toujours indispensable. Il pesa de tout son poids. Le message du 13 novembre, longuement médité, où il avait mis toute sa finesse et toute sa force, était une œuvre maîtresse.

La victoire, au premier abord, parait incertaine. Ébranlé par le vote de l'ordre du jour clôturant l'interpellation Changarnier, en minorité dans la commission de Kerdrel, M. Thiers avait dit atténuer les déclarations du message, reprendre le pacte de Bordeaux, battre en retraite, en Lin mot, pour conserver le pouvoir.

Cependant, son offensive hardie n'en avait pas moins obtenu un premier résultat.

Elle forçait, la droite dans la position négative où elle se renfermait. Elle l'acculait au devoir constituant.

Cette commission des Trente que, par une attaque en retour de M. Dufaure, M. Thiers arrachait au mauvais vouloir de la majorité, c'était elle, en définitive, qui, après bien des alternatives, devait fonder la République[12].

M. Thiers, par contre, allait bientôt payer de sa chute l'acte audacieux et fécond qu'il venait d'accomplir. La droite, terrifiée, ne songea plus qu'il parer le coup ou à se venger.

Après la séance du 29 novembre 1872, les derniers liens furent coupés. On renverserait le président. Mais, s'il était encore bien tôt, il était déjà trop lard.

Du moment qu'il s'agissait de combattre à fond M. Thiers, il y avait une hostilité toute prête, un appoint assuré : c'était le parti bonapartiste. Quelques indices avaient révélé, au cours de la dernière bataille, un premier 'rapprochement de la droite monarchiste avec le groupe de l'appel au peuple qu'elle avait, jusque-là, tenu à l'écart.. Une crainte commune fut plus forte que les vieilles haines.

Dans son discours, M. Ernoul, parlant du coup d'État de Décembre, avait qualifié le prince Louis-Napoléon de César de rencontre. Les mots ne se trouvaient pas, le lendemain, au Journal officiel. M. Mestreau en fit l'observation, et M. Haëntjens, bonapartiste, lui cria : Vous n'empêcherez pas l'union des conservateurs de se faire. M. Challemel-Lacour put dire que la suppression du mot de M. Ernoul était le prix d'un marché.

M. Prax-Paris, député bonapartiste de Tarn-et-Garonne, interpella, le 30 novembre, le ministre de l'intérieur sur les adresses et les vœux politiques formulés par les conseils municipaux en faveur de" M. Thiers. Tout de suite, le débat prit l'allure d'une revanche contre la séance de la veille. M. Prax-Paris demande l'application immédiate de la responsabilité ministérielle et affirme que M. Victor Lefranc, ministre de l'intérieur, avait violé la loi en ne sévissant pas contre les municipalités coupables d'approuver la politique de M. Thiers et de le dire. Selon lui, c'était par des manifestations de cette nature que l'ordre moral était troublé.

Après un violent discours de M. Raoul Duval, l'Assemblée vota, par 305 voix contre 298, un ordre du jour de blâme contre le ministre de l'intérieur. M. Victor Larme donna aussitôt sa démission. Dans les couloirs, M. Roulier, qui sentait le terrain se raffermir, put reprendre à son compte la formule lancée par le duc de Broglie : Enfin, nous avons arraché la première feuille de l'artichaut !

M. Thiers comprit la valeur de l'avertissement. Avant tout, il fallait vivre, gagner du temps. Des perspectives s'ouvraient du côté de l'Allemagne, en vue de négociations nouvelles. Une crise présidentielle pouvait porter atteinte aux intérêts du pays. Aussi, faisant un pas marqué vers la droite, il remplaça, au ministère de l'intérieur, M. Victor Lefranc, qui appartenait à l'union républicaine, par M. de Goulard, membre du centre droit, rallié, depuis Bordeaux, à la politique de M. Thiers. M. de Goulard laissa le ministère des finances à M. Léon Say, préfet de la Seine et membre du centre gauche de l'Assemblée nationale. M. de Foullon, du centre droit, fut appelé au ministère des travaux publics (7 décembre 1872).

La nomination de M. de Coulant au ministère de l'intérieur, le portefeuille éminemment politique du cabinet, était une réelle concession à la droite. Depuis le 19 février 1871, ce poste avait été occupé par des républicains avérés[13]. M. Thiers s'explique, en ces termes, au sujet du changement dans l'orientation apparente de sa politique : Quant à moi, j'ai fait une concession qui ne m'a pas coûté, parce que j'ai fait des choix qui étaient depuis longtemps dans ma pensée ; mais j'ai cédé, dans une certaine mesure, pour que les graves suites d'une rupture ne soient pas à mon compte... Voir mon pays qui s'avançait dans la voie de l'évacuation... le voir replongé dans l'incertitude, dans l'anxiété, dans cette déconsidération, suite de l'instabilité, m'est bien douloureux, et je ne me raidis contre les difficultés que pour écarter ces nouveaux malheurs[14].

Dans la partie si délicate et si importante, à la fois, qui se jouait alors, le mouvement vers la droite devait provoquer immédiatement une résistance à gauche. M. Thiers était entre les deux partis, dans la situation du vieillard et des deux maîtresses : on lui arrachait alternativement les concessions inverses. Il se prêtait lui-même à ce jeu, ayant besoin de tout le monde et prétendant ne se laisser accaparer par personne.

Contre la majorité de la droite, il avait un appui dans l'opinion du pays. Il songe à l'utiliser. On voit soudain s'organiser un vaste pétitionnement demandant la dissolution de l'Assemblée. Il ne paraît pas douteux que M. Leblond, député de la gauche et directeur du Siècle, qui avait pris l'initiative du mouvement, n'ait, avant d'agir, consulté le président de la République dont il était l'ami personnel. Celui-ci n'était pas fâché de suspendre cette menace sur la tête de l'Assemblée. Le- poids de l'arme dépassa, peut-être, ses prévisions.

Les pétitions arrivèrent par ballots. On parlait d'un million de signatures. La majorité, visée directement, ne pouvait rester indifférente. D'ailleurs, les groupes étaient saisis et délibéraient.

L'extrême-gauche se prononçait pour la dissolution à courte échéance et par les voies légales. La gauche républicaine déclarait que, s'associant aux manifestations de l'opinion publique en faveur des prochaines élections, elle approuvait le pétitionnement, et que, sans exclure absolument l'idée d'un renouvellement partiel, elle voterait le projet du renouvellement intégral de l'Assemblée.

Dans un manifeste du 10 décembre, l'union républicaine réclamait la dissolution de l'Assemblée par les voies légales, afin d'assurer le triomphe pacifique de la volonté nationale et la stabilité des institutions républicaines.

La droite crut nécessaire de couper court, par un vote, à ces manifestations. L'Assemblée devait affirmer sa volonté de ne pas céder à de telles injonctions. Le 14 décembre, sur l'initiative de M. Lambert de Sainte-Croix, demandant la discussion des pétitions, le débat s'ouvrit en séance publique. C'était, jusqu'à certain point, la contrepartie de la bataille du message. Au mois de novembre, le président de la République avait dû s'expliquer devant l'Assemblée ; maintenant, l'Assemblée avait t s'expliquer devant le pays.

C'est M. Gambetta qui prononça le réquisitoire. Il était l'auteur responsable de la campagne dissolutionniste. Il n'avait pas parlé une seule fois sans conclure par son Delenda Carthago. Le résultat des élections récentes l'enhardissait ; il soutient que l'Assemblée est en désaccord avec le pays et qu'elle prolonge indûment et tyranniquement son existence. Parlant devant elle, il ne craint pas de lui dénier formellement le pouvoir constituant.

Le duc d'Audiffret-Pasquier répond à M. Gambetta. Sa parole est, comme toujours, ardente, vigoureuse, agressive.

M. Louis Blanc parle à son tour, et donne, avec froideur, la définition exacte de la situation : Si la majorité s'oppose à la dissolution, dit-il, c'est parce qu'elle attend, pour fonder la monarchie, le jour favorable, l'heure propice, et que pendant ce temps il faut que le pays se résigne à vivre d'une vie d'incertitude et de fièvre.

On attend avec impatience l'avis du gouvernement. Il est juge du camp. M. Dufaure prend la parole.

Par une manœuvre longuement méditée avec M. Thiers, le garde des sceaux se range nettement à l'avis de la droite et prodigue sa mordante ironie à M. Gambetta et à la gauche. Comme le duc d'Audiffret-Pasquier, il soutient la théorie de la délégation de la souveraineté aux représentants de la nation et, tout en reconnaissant le droit de pétition, il déclare qu'il appartient à l'Assemblée seule de fixer le terme de son mandat. Pour l'heure, le gouvernement est opposé à la dissolution.

 On était habitué à M. Dufaure et à ses coups de boutoir. Mais celui-ci, fortement asséné sur la gauche, avait une autre portée que les brusqueries habituelles. La surprise fut générale. Évidemment, il y avait une volonté arrêtée du gouvernement. La droite exultait ; elle assistait au succès de sa manœuvre. M. Thiers capitulait.

 La joie ne se contint plus, quand on entendit M. Dufaure assurer que le gouvernement était décidé à continuer dans cette voie et à rechercher, sur les questions constitutionnelles, un accord avec la majorité. J'ai été trop ému des paroles du duc d'Audiffret-Pasquier, dit-il, pour ne pas espérer que des conférences du gouvernement avec la commission pourra sortir une résolution favorable à la pacification de l'Assemblée.

On vota l'affichage, dans toutes les communes, du discours de M. Dufaure. On affirma partout que c'était l'abandon de la politique du message. Un député, M. [lèvre, proposa que le discours du garde des sceaux fût affiché à côté du message du 13 novembre.

La droite se crut maîtresse de la victoire ; elle avait réussi à diviser ceux qui soutenaient la République dans l'Assemblée : La grande majorité conservatrice, s'écria le duc d'Audiffret-Pasquier, elle n'est pas à faire, elle est faite.

La gauche, qui se croyait d'accord avec le gouvernement sur la campagne des pétitions, et dont les chefs ne consentaient pas à faire un pas dans le sens constituant, fut atterrée. Elle médite dès lors sa vengeance.

Quant à M. Thiers, reculant pied à pied, perdant chaque jour du terrain, abandonnant à chaque rencontre un peu de son autorité et de la confiance qu'il inspirait jadis aux uns et aux autres, raillé, plaisanté, déchiré par les violences de la polémique journalière, il vivait. Ses ambitions se bornaient là, maintenant.

 

IV

Parmi ces débats orageux, l'Assemblée oubliait souvent le travail législatif ordinaire. Les grands projets du début, qui visaient à une refonte du système politique et social de la nation, disparaissaient, en quelque sorte, dans les lentes procédures des commissions.

La discussion du budget de 1873 se ressentit de l'agitation des esprits. Commencée le 27 novembre 1872 et terminée le 21 janvier 1873, elle fut marquée surtout par l'insistance avec laquelle la droite s'attaqua à M. Jules Simon, ministre de l'instruction publique. On espérait le renverser comme on avait fait pour M. Victor Lefranc et arracher ainsi la dernière feuille de l'artichaut. Mais l'habile orateur se défendit avec une souplesse et un talent tels qu'il fallut renoncer, pour cette fois, à le vaincre.

Cependant, quelques bonnes lois furent votées. Celle du 21 novembre 1872, modifiant le recrutement du jury criminel, proposée par M. Dufaure, et substituant, en partie, dans la constitution des jurys, l'influence administrative à l'influence législative ; la loi du 21 décembre, amendant dans un sens libéral l'organisation de la juridiction commerciale ; la loi du 10 décembre 1872, introduisant, en France, l'usage des cartes postales ; la loi du 23 janvier 1873, tendant à réprimer l'ivresse publique et à combattre les progrès de l'alcoolisme ; la loi du 10 février 1873, votée sur l'initiative de M. Ambroise Joubert, et ayant pour objet de réduire les heures de travail des femmes et des enfants employés dans les manufactures.

Les efforts faits par la commission spéciale chargée d'étudier la réforme de l'enseignement et où Mgr Dupanloup exerçait une action prépondérante, n'aboutirent, pour le moment, qu'au vote de la loi du 13 mars 1873, rétablissant le conseil supérieur de l'instruction publique, loi votée sur le rapport du duc de Broglie et qui élargissait les bases du recrutement du conseil supérieur, en s'inspirant de la loi de 1850 (loi Falloux), et en adjoignant à ce conseil des représentants de l'agriculture, du commerce et de l'industrie.

La loi du 18 février 1873, due à M. Savary, du centre droit, déterminait les conditions de la majorité requise dans les élections.

Les passions politiques avaient trouvé une plus ample pâture dans la discussion de la loi du 21 décembre 1872, qui, émanant du gouvernement, proposait d'abroger les décrets du 22 janvier 1852 et de restituer à la famille d'Orléans une partie de ses biens, évaluée à une somme d'environ quarante millions de francs.

MM. Lepère, Pascal Duprat et Henri Brisson combattirent le projet, qui avait été préparé par un article de M. de Montalivet paru dans la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1872 et qui fut défendu par M. Bocher, par M. Robert de Massy, rapporteur, et par M. Laurier, républicain.

C'était la réparation d'un acte de spoliation, commis par le second empire. Ainsi que l'a dit M. Laurier, il fallait rendre justice aux Orléans, comme à un simple charbonnier dépouillé de sa propriété. Néanmoins, cette reprise de 40 millions par la famille de Louis-Philippe, à l'heure où la situation financière de la France était si précaire par suite des charges résultant de la guerre, eut, uni fâcheux retentissement dans l'opinion. Comme M. Thiers avait eu l'initiative de la loi, on crut à une entente secrète entre le gouvernement et les princes d'Orléans. Les monarchistes d'extrême droite s'aigrirent et adressèrent de sanglants reproches à leurs alliés.

La confusion, déjà si grande, s'accrut encore par un événement soudain qui se produisit le 9 janvier X873 : la mort de Napoléon III à Chislehurst (Angleterre). Il allait atteindre sa soixante-cinquième aimée.

Le 2 janvier, l'empereur qui, depuis i866, souffrait de la pierre, avait subi, avec un succès apparent, l'opération de la lithotritie. On renouvela, le 6, cette opération ; mais les médecins jugèrent nécessaire de procéder à une troisième, peut-être à plusieurs autres opérations d'écrasement de la pierre, pour obtenir une guérison complète.

Le 7 et le 8, la situation du malade s'aggrava ; on devait tenter une troisième intervention chirurgicale le 9, à midi. Mais Napoléon III mourut, ce même jour 9 janvier, à 10 h. 45.

La nouvelle de cette mort jeta le désarroi dans le parti bonapartiste. A l'Assemblée nationale, on vit M. Roulier quitter son banc précipitamment et en proie à une violente émotion.

On n'ignorait pas que Napoléon III ne s'était résigné à subir l'opération qui devait amener sa mort que dans l'espoir de tenter une sorte de retour de l'île d'Elbe[15]. La date était fixée au mois de mars 1873. Les bonapartistes voulaient agir avant le vote d'une constitution, qui eût interdit aux partis de poser légalement la question de la forme gouvernementale.

Depuis plusieurs mois, les fers étaient au feu. Des hommes politiques importants, des généraux, des préfets, des prélats entraient, disait-on, dans la conjuration. M. Roulier avait plusieurs fois traversé le détroit, pour voir si l'empereur était en état de monter à cheval. On sait qu'au cours de la campagne de 1870, Napoléon III avait dû renoncer à suivre les opérations militaires autrement qu'en- voiture. A Sedan, il avait voulu rester en selle toute la journée, malgré les souffrances que lui faisaient endurer les mouvements de sa monture[16].

Était-il toujours dans le même état ? Au mois de novembre 1872, sur l'insistance de ses partisans, Napoléon III, dont le fatalisme un peu endormi se prêtait aux événements, s'était promené à cheval dans les allées de Chislehurst, pour se rendre compte des fatigues qu'il pourrait affronter. Un court voyage en chemin de fer le confirma dans l'opinion qu'il ne pourrait rien entreprendre avant d'avoir subi l'opération de la pierre. C'est alors qu'il se confia aux chirurgiens anglais. En prévision du succès, tout avait été organisé pour la réussite du projet, de concert avec le prince Jérôme. Au cours d'un séjour à Cowes, nécessité par la convalescence impériale, Napoléon III simulerait une rechute, s'embarquerait secrètement pour Ostende, gagnerait Cologne, puis Belle, puis Nyon. De là, le prince Jérôme et l'empereur traverseraient le lac, débarqueraient à Nernier, sur la côte française, et se dirigeraient ensuite sur Annecy Ils espéraient entraîner le régiment de cavalerie en garnison dans cette ville. On marcherait alors sur Lyon, où commandait le général Bourbaki ; on le considérait comme S acquis à la cause impériale. Un uniforme attendait Napoléon à Prangins, propriété de son cousin, le prince Jérôme[17]. De Lyon, l'empereur eût chevauché à la tête de l'armée jusqu'à Paris. Quant à l'Assemblée nationale, on avait, trouvé un moyen vraiment héroïque de se débarrasser d'elle. On eût arrêté le train parlementaire, entre Paris et Versailles, dans le tunnel de Saint-Cloud, ainsi transformé en souricière[18].

Un cabinet avait été constitué ; on avait offert le ministère de l'intérieur au comte de Kératry, ancien préfet du 4 Septembre ; le maréchal de Mac Mahon recevait le ministère de la guerre. Le général Fleury devait être nommé gouverneur militaire de Paris. On affirmait que le prince Orloff, ambassadeur de Russie, était dévoué à la combinaison, et que M. de Bismarck était favorable. Le comte d'Arnim, en tout cas, ne cachait pas sa satisfaction.

Fidèles à cette pensée de Napoléon Ier que, pour s'accomplir, les événements doivent être attendus, les conjurés avaient laissé transpirer dans l'opinion une partie de leurs projets. C'est ainsi qu'au mois de décembre 1872, le bruit s'étant répandu que Napoléon III était à Paris, la police fut sur les dents pendant trois jours et trois nuits.

Les funérailles de l'empereur eurent lieu à Chislehurst le 15 janvier, et furent l'occasion d'une mobilisation générale du parti.

Bien que la disparition de Napoléon III anéantît leurs projets immédiats, les bonapartistes ne perdirent pas l'espérance. Ils s'attachèrent, avec une ardeur nouvelle, à la fortune du jeune prince, devenu l'héritier des prétentions impériales. Il était alors âgé de dix-sept ans. L'impératrice Eugénie, à qui les constitutions impériales confiaient la régence, assuma la direction du parti eu attendant la majorité de celui qu'on se plaisait à appeler Napoléon IV.

On vit alors s'affirmer, dans le monde bonapartiste, deux courants, qui existaient antérieurement à l'état latent. Sous l'impulsion de l'impératrice, le bonapartisme officiel se rapprocha du légitimisme et du cléricalisme, tandis qu'une fraction importante, inclinant à gauche, se rattacha aux traditions révolutionnaires et, sous l'autorité du prince Napoléon, fonda le Jérômisme.

Les royalistes n'avaient pas renoncé au projet, toujours déçu, de la fusion entre les deux branches de la maison de Bourbon. A défaut du comte de Chambord, on s'efforçait de mettre en lumière les mérites du représentant de la branche d'Orléans, le comte de Paris. Le duc d'Aumale, frappé par la perte de son fils unique, le duc de Guise (25 juillet 1872), vivait, dans la retraite. Le comte de Paris, plus jeune et plus conciliant, se prêtait mieux aux projets nouveaux et aux espérances. Il venait d'entreprendre un voyage en France où il avait visité surtout les usines à Fourchambault, à Anzin, à Saint-Gobain : on vantait sa douceur, son application, sa gravité. Il préparait et allait publier (mars 1873) son livre sur la Situation des ouvriers en Angleterre. Il montrait ainsi son inclination vers les questions qui passeront bientôt au premier plan, parmi les préoccupations des hommes d'État.

Le duc de la Rochefoucauld-Bisaccia avait pris à tâche de s'entremettre entre le comte de Chambon' et le comte de Paris. 11 était si bien convaincu de l'efficacité de ses efforts que, le 17 janvier 1873, il se croyait autorisé à affirmer le succès de la fusion au cours d'une discussion dans un des bureaux de l'Assemblée nationale. Il citait à l'appui de cette déclaration une conversation qu'il avait eue récemment avec le comte de Paris. Celui-ci avait dit, une fois de plus, que le comte de Chambord ne trouverait, pas dans sa famille de compétiteur au trône de France.

Le parti orléaniste, pourtant, ne voulait pas se laisser absorber. Il défendait son programme avec plus d'énergie que jamais. Il existe en France, disait M. Édouard Hervé, dans un article du Journal de Paris, répondant à la légitimiste Gazette de France, un grand parti qui n'est ni rouge ni blanc, qui ne veut ni révolution nouvelle ni contre-révolution, ni retour à l'ancien ordre social, ni destruction de l'ordre social actuel. Ce parti, en répudiant les violences et les excès de la Révolution, accepte et entend conserver ses résultats légitimes : l'égalité civile, la liberté politique et religieuse le gouvernement constitutionnel[19].

La situation demeurait clone, au fond, toujours la même : la famille pouvait se rapprocher, mais les programmes restaient différents. On déplorait l'entêtement du comte de Chambord. On ne comprenait pas qu'il se refusât, avec tant d'obstination, au salut de la dynastie et du pays. Ses scrupules étaient diversement interprétés.

Mgr Dupanloup pensa que son intervention était redevenue opportune : L'ancienne monarchie, disait-il, admettait le droit de remontrance : le souverain nécessaire à la France ne permettrait-il pas, même au dévouement et au patriotisme, la prière ?

Il communiqua son idée à ses amis. Ceux-ci l'encouragèrent. M. de Falloux était des plus ardents.

Après avoir hésité quelque temps, Mgr Dupanloup se décide, sur la fin de janvier 1873, à écrire au comte de Chambord. Il adresse au prince une lettre strictement confidentielle :

Quand on a reçu de la providence, disait notamment l'évêque d'Orléans, la mission et le devoir de sauver un peuple, et que, sous vos yeux, ce peuple périt, je crois, et beaucoup de mes amis croient avec moi, que, dans une question de rapprochement, il y a des devoirs réciproques, car cette question de rapprochement n'est pas seulement entre les princes d'Orléans et votre personne, elle est entre la France, eux et vous. Voilà la vérité. C'est-à-dire que dans cette question de rapprochement, tous ont leurs devoirs et leur responsabilité. Et certes, si jamais un pays aux abois a demandé dans celui que la providence lui a réservé comme sa suprême ressource, des ménagements, de la clairvoyance, tous les sacrifices possibles, c'est bien la France malade et mourante. Se tromper sur cette question si grave, se faire, même par un très noble sentiment, des impossibilités qui n'en seraient pas devant Dieu, serait le plus grand des malheurs.

L'évêque terminait en adjurant le prince de demander sur le drapeau une lumière au pape. Je bénirais Dieu, dit-il, s'il vous inspirait de solliciter, en ces matières, l'avis du Saint-Père[20].

Et afin de n'abandonner rien au hasard, Mgr Dupanloup écrivit à Pie IX, le 23 janvier 1873, pour solliciter son intervention.

L'évêque d'Orléans propose une transaction. C'est. ce qu'il explique dans une autre lettre adressée au cardinal Antonelli, secrétaire d'État du souverain pontife. Je dis une transaction, écrit-il, car il y en a plusieurs de possibles. Par exemple, M. le comte de Chambord pourrait, à l'exemple d'un grand nombre de ses prédécesseurs, avoir son enseigne royale et la nation garder ses couleurs. C'est, du reste, ce qui a lieu en Angleterre, en Prusse et dans la plupart des États de l'Europe. Ou bien encore, il pourrait, comme symbole du retour de la France à la monarchie traditionnelle, fleurdelyser le drapeau tricolore.

A Rome, pas plus qu'à Frohsdorlf, on n'était disposé à tenir compte des conseils de Mgr Dupanloup. Le pape se tut. Quant au comte de Chambord, il ne laissa pas sans réponse les vives supplications de l'évêque. Une lettre, datée de Vienne, le 8 février 1873, fut remise par M. de Blacas, le 13, à Mgr Dupanloup.

Celui-ci causait, à ce moment, avec M. du Boys de sa lettre au comte de Chambord et des motifs qui lui avaient inspiré cette grave démarche. Il continua, tenant toujours la lettre qui venait de lui être apportée ; puis, d'une main tremblante d'émotion, il l'ouvrit et se Mit à la lire. A mesure qu'il lisait, on voyait la rougeur lui monter au visage. Quand il eut fini : Voilà, dit-il, qui fait les affaires de la République ! Pauvre France ! Tout est perdu ![21]

En effet, la lettre du comte de Chambord, livrée immédiatement à la publicité, exprimait, sur un ton hautain et royalement ironique, le regret de ne pouvoir suivre les avis de l'évêque : Sans prévention ni rancune contre les personnes, dit-il, mon devoir est de conserver, dans son intégrité, le principe héréditaire dont j'ai la garde ; principe en dehors duquel, je ne cesserai de le répéter, je ne suis rien, et avec lequel je puis tout. C'est ce que l'on ne veut pas assez comprendre. Il m'est permis de supposer par vos allusions, Monsieur l'Évêque, qu'au premier rang des sacrifices regardés par vous comme indispensables pour correspondre aux vœux du pays, vous placez celui du drapeau. C'est là un prétexte inventé par ceux qui, tout en reconnaissant la nécessité du retour la monarchie traditionnelle, veulent au moins conserver le symbole de la Révolution.

Parlant des princes d'Orléans, le comte de Chambord s'exprimait ainsi : Je n'ai pas appris avec moins de plaisir que les vrais amis du pays la présence des princes, mes cousins, à la chapelle expiatoire, le 21 janvier ; car, en venant prier publiquement, dans ce monument, consacré à la mémoire du roi-martyr, ils ont dû subir, dans toute sa plénitude, l'influence d'un lieu si propre aux grands enseignements et aux généreuses inspirations.

Enfin, il terminait en ces termes : Je n'ai donc ni sacrifice à faire, ni conditions à recevoir. J'attends peu de l'habileté des hommes et beaucoup de la justice de Dieu.

Ainsi, le rocher de Sisyphe retombait, encore une fois, sur la tête de ceux qui essayaient de le soulever. La lettre était terrible, l'allusion au vote de Philippe-Égalité, sanglante ; elle rappelait, d'un seul mot, toutes les causes de dissentiment qui se perpétuaient depuis trois générations dans la famille royale.

Une nouvelle tentative, confiée à l'habileté de la princesse Clémentine d'Orléans, très liée avec la famille de Modène, ne fut pas plus heureuse. C'était à désespérer.

Mort de l'empereur Napoléon, volonté arrêtée du comte de Chambord, évolution publique de M. Thiers, tout paraissait conspirer en faveur de la République. Cependant, la droite se refusait a se laisser convaincre. Avec une persistance digne d'une plus heureuse fortune, elle continuait à combattre, à l'aveugle, pour une doctrine qui paraissait irrémédiablement perdue.

 

V

M. le vicomte de Meaux, dans ses Mémoires, énumère, non sans une certaine mélancolie, les causes qui ont amené l'échec de la politique monarchiste à l'Assemblée nationale : Pour comble de disgrâce, dit-il quelque part, vers le même temps, paraissait une de ces lettres par lesquelles le comte de Chambord avait coutume de déconcerter nos efforts et de briser nos espérances ; il se déclarait prêt, s'il remontait sur le trône, à rétablir le pouvoir temporel du pape. Autant de motifs ou de prétextes pour accuser royalistes et catholiques de vouloir la guerre, et de la vouloir pour le pape... Le préjugé se propagea et s'enracina. Nous devions le trouver vivace, encore six ans après, et plus funeste que tout autre à nos candidats.

Le même écrivain rejette aussi une partie de la faute sur les évêques. Ils réclamaient de l'Assemblée un vote qui nous eût brouillés avec l'Italie, une démarcheje ne sais laquelle, et ils ne le savaient pas davantageen faveur du pouvoir temporel du pape... Que pouvait M. Thiers, et que pouvions-nous alors ? Les évêques voulaient-ils provoquer, avec l'Italie, une querelle que l'Allemagne eût évidemment soutenue ? Assurément, non ; et quand ils protestaient de leurs intentions pacifiques, ils étaient aussi sincères qu'inconséquents. Mais ils ne se sentaient pas responsables du pays ; et, sans se demander s'ils ne nous acculaient point soit à un précipice, soit à une reculade, ils se satisfaisaient eux-mêmes, eux et leur entourage.

Après l'échec de la discussion relative à la pétition des évêques, le parti catholique ne désarma pas. On accusa de trahison, ou du moins de tiédeur, la majorité de l'Assemblée qui suivait, en somme, sur ce point, la direction d'un évêque, Mgr Dupanloup.

Une véritable angoisse au sujet des souffrances du Saint-Père se répandait dans les niasses catholiques, et remontait, de lit, jusque dans l'Assemblée. La question romaine compliquait encore la situation si complexe où se débattait la France, vers la fin de l'année 1872. Il s'agissait, au fond, d'une nouvelle conséquence de la guerre, s'appliquant à des questions intéressant profondément le cœur du pays. Il s'agissait de maintenir ou d'abandonner une politique séculaire. Il s'agissait surtout, pour les catholiques, de l'indépendance de leur foi.

Pie IX, effrayé, sans année, sans appui, avait dû s'enfermer dans le palais du Vatican. Aucune des puissances catholiques n'était en situation de le secourir. La France était envahie ; l'Espagne avait pour roi Amédée de Savoie ; l'Autriche était sans résolution et sans force. La situation du pape était vraiment affreuse. On comprend l'émotion des foules croyantes, que la bonté souriante de Pie IX et les longues vicissitudes de son règne avaient attendries depuis longtemps.

Il fallait, en outre, prévoir un autre événement de la plus haute gravité pour les destinées de l'Église et de la religion catholique. Si le pape venait à mourir (il était alors âgé de quatre-vingts ans), dans quelles conditions d'indépendance se produirait la réunion du conclave et l'élection du nouveau pontife, alors que le palais traditionnellement affecté à cet usage, le Quirinal, était sous la juridiction italienne ?

M. Thiers s'était toujours montré un défenseur averti de la politique française à Rome. Il comprenait mieux que personne l'importance des faits qui s'accomplissaient et qui pouvaient porter atteinte à l'indépendance du chef de l'Église ; il avait fait offrir à Pie IX un asile au château de Pau, avec le budget nécessaire pour subvenir aux charges pontificales.

Pouvait-il faire davantage ? Dans la situation où était la France, devait-il s'exposer à une rupture avec l'Italie ? L'Italie se rapprochait alors, d'une façon ostensible, de l'Allemagne. Le prince de Bismarck était dans le fort de la lutte contre l'Église romaine. La France traversait la phase critique où sa politique extérieure allait se débattre à la suite de la guerre. Pouvait-elle accepter les risques et provoquer les complications qu'une intervention dans la question romaine ne manquerait pas de susciter ?

M. Thiers tenait, autant qu'il le pouvait, la balance égale entre le Vatican et le Quirinal. Au Quirinal, il avait accrédité un chargé d'affaires, M. Fournier, partisan déclaré des faits accomplis. M. Thiers a écrit : Lorsque le pape se plaignait à nous de quelque difficulté venant du gouvernement italien, je m'adressais au roi par M. Visconti-Venosta et j'obtenais les satisfactions possibles et justes[22].

La France avait pour ambassadeur auprès de Pie IX le comte Bernard d'Harcourt, très dévoué au Saint-Père. En outre, le gouvernement français maintenait à Civita-Vecchia la frégate l'Orénoque, mise à la disposition du pape. Cependant, la situation était telle que des conflits de détail se produisaient journellement.

Le pape en souffrait beaucoup ; naturellement irritable et vif, il se plaignait ; il se plaignait même de ses amis ; il se plaignait de M. Thiers. Un récit émouvant nous le montre dans l'espèce de cellule où il s'est réfugié, aux étages élevés du Vatican. Pour tout mobilier, un petit lit de fer, étroit et bas, sans garnitures ni rideaux. Les murs sont blancs et uns ; une plinthe, le long de laquelle étaient alignées dix ou douze paires de mules blanches ; un bureau d'acajou ; une chaise pour le visiteur : Aucun autre meuble ni objet quelconque dans la pièce, sauf un flambeau de cuivre à trois bougies et une petite gravure coloriée de la Vierge dans un cadre à photographies. Le pape était d'ordinaire assis à contre jour, tout vêtu de blanc ; parfois, il se soulevait péniblement, appuyé sur une forte canne et, parcourant lentement la longueur de la chambre, il s'arrêtait devant la fenêtre d'où il contemplait mélancoliquement l'enceinte du Vatican, et au delà, Rome, le Tibre, les collines boisées de la villa Pamphili[23].

Le vieillard, irascible et impuissant, s'obstinait dans la lutte, parfois annonçant son départ et le faisant préparer hâtivement., si bien qu'un jour où il sort de la chambre pour se rendre dans la bibliothèque, appuyé sur le bras du chargé d'affaires de France, le bruit de la décision prise se répand dans le palais, puis dans Rome, et provoque une alarme universelle ; ou bien, il se résigne à rester, conscient de la force que le nom de Rome ajoute à la grandeur catholique, et il se décide à donner au monde le spectacle émouvant du maître des âmes volontairement prisonnier. Il reçoit les délégations venues de toutes les parties de l'univers, et, devant elles, il prononce les paroles qui sont, aux yeux des catholiques, comme des charbons ardents amassés sur la tête des persécuteurs. Il parle aux catholiques allemands, il leur dit : Soyez confiants, unis ; car un caillou tombera de la montagne et brisera les pieds du colosse. Ces paroles irritent profondément le prince de Bismarck.

En France, elles redoublent l'émotion. La communauté dans le malheur crée une sorte de solidarité. A l'Assemblée, notamment, où les tendances catholiques sont nombreuses et actives, on incrimine vivement la prudence et la réserve de M. Thiers. Un incident se produit, en janvier 1873. M. Thiers prescrit que l'équipage de l'Orénoque qui, en somme, stationne dans les eaux italiennes, rendra les visites d'usage à la fois au pape et au roi. Le pape proteste. L'ambassadeur français, nouvellement accrédité auprès de lui, en remplacement du comte Bernard d'Harcourt, le baron de Bourgoing, donne sa démission. La situation est telle qu'il semble que les relations vont être rompues entre la France et Rome. Le cardinal Antonelli, secrétaire d'État, loin d'atténuer la crise, parait vouloir la développer. Il sait que les catholiques ont la majorité à l'Assemblée nationale, et il compte se servir de la menace d'un vote hostile pour amener M. Thiers à composition. Pie IX se montre donc peu disposé à accepter un successeur à M. de Bourgoing.

M. Thiers est en péril. La situation est tendue avec la commission des Trente : un vote hostile, c'est le renversement, et cela au moment où on entrevoit la possibilité d'une négociation suprême avec l'Allemagne pour la libération" du territoire.

Le 6 janvier, le général du Temple et le baron de Belcastel demandent à interpeller le ministre des affaires étrangères sur les faits relatifs à la démission de notre ambassadeur auprès du Saint-Siège.

M. de Belcastel dit lui-même, à la tribune, que le dépôt de son interpellation aurait un effet salutaire sur la marche suivie à Rome par le gouvernement.

Ainsi, le sort de M. Thiers est suspendu à cette discussion. Heureusement, sa prévoyance a pris les devants. Il a envoyé à Rome un jeune diplomate, fin et avisé, qui avait déjà su conquérir les bonnes grâces du Saint-Père, le baron Des Michels. Celui-ci a vu M. Fournier ; il a vu le cardinal Antonelli ; il a vu le pape ; il est rentré rapidement à Paris, et après un exposé précis de la situation, il est venu prendre les ordres de M. Thiers. Le président décide de jouer cartes sur table avec le Vatican, et il propose à Pie IX de choisir lui-même, sur une liste de quatre personnalités toutes dévouées au Saint-Siège, l'ambassadeur français qui lui agréera.

C'était le point de départ d'une politique d'apaisement, sinon d'accord. La proposition fut rapportée à Rome par le même émissaire. Elle fut rejetée d'abord. Au moment où je commençais à perdre espoir, dit M. Des Michels, Sa Sainteté me fit appeler et m'adressa, avec une certaine solennité, quoique sur un ton mélancolique et résigné, les paroles suivantes que je notai au crayon au sortir de l'audience, et avant même de quitter le palais : Je ne veux pas qu'on puisse dire que le chef du gouvernement français souffre (sic) de difficultés que le Souverain Pontife aurait pu lui éviter. Je consens donc à donner à M. Thiers le témoignage de bonne entente qu'il réclame de moi. Rapportez à Versailles l'assurance officielle que le choix de M. de Corcelles a tout mon agrément, et que le nouvel ambassadeur recevra, au Vatican, le même accueil que le comte d'Harcourt y a toujours trouvé.

M. Thiers échappait ainsi à la difficulté parlementaire et internationale. Mais ce succès lui était amer, car c'était le dernier acte d'une politique traditionnelle. Les puissances laissaient leur ambassadeur auprès du pape : le pape restait prisonnier au Vatican.

La nomination de M. de Corcelles parut le 12 janvier. A l'Assemblée, l'interpellation annoncée se produisit le 15 janvier. M. Dufaure, vice-président du conseil, répondit au nom du gouvernement. Il exposa la solution agréée par Rome dans une seule phrase, où il expliquait combien était délicate la situation de la France, obligée d'avoir, à Rome, un représentant auprès du souverain territorial de l'Italie, reconnu par l'Europe entière, avec lequel elle a un vif désir de conserver toujours de bonnes relations, et un autre représentant auprès du Saint-Siège, chargé de protester auprès du vénérable chef de la religion que professe la grande majorité des Français, de tous ses sentiments de respect et de dévouement. Il déclara, d'ailleurs, que la politique de la France, telle que M. Thiers l'avait exposée à l'Assemblée, à propos de la discussion sur la pétition des évêques, n'avait pas changé.

Un mois plus tard, le 13 février 1873, le général du Temple essaya de reprendre le débat sur la question romaine, à propos des fondations et des propriétés nationales que nous possédons à Rome et qui se trouvent menacées par la loi italienne sur les corporations religieuses.

Mais l'Assemblée, à la demande de M. de Rémusat, ministre des 'affaires étrangères, refusa de s'engager, de nouveau, sur ce terrain dangereux, et, en présence des sentiments évidents de la majorité, l'auteur du projet d'interpellation le retira.

En Espagne, Amédée de Savoie, qui régnait depuis le 16 novembre 1870, abdiqua, le 11 février 1873 et regagna l'Italie en allant s'embarquer à Lisbonne ; la république fut proclamée aux Cortés, par 256 voix contre 32. Ces événements, auxquels la France ne s'était nullement mêlée, n'en avaient pas moins une certaine répercussion sur la politique française. Si l'exemple républicain paraissait franchir les frontières, il risquait de soulever coutre la France les appréhensions et les coalitions dynastiques.

 

VI

M. Thiers voyait venir le printemps de l'année 1873 au milieu des plus graves appréhensions extérieures et intérieures. La droite de l'Assemblée, navrée de l'échec des différentes combinaisons tendant au rétablissement de la monarchie, s'en prenait au président et avait le dessein visible de se venger sur lui de ses déceptions ; la gauche, non moins mécontente, l'accusait de jouer double jeu.

Il luttait, pied à pied, coutre la commission des Trente. Il surveillait de l'œil les démarches de chacun des prétendants. Il se débattait dans les contradictions de la question romaine. Il se demandait si le parti pris de la droite en laveur de la papauté n'allait pas compliquer encore, au moment où le Culturkampf battait son plein, les relations déjà si difficiles avec

Son impatient désir de voir se régler bientôt le paiement de l'indemnité était entravé par une hostilité sourde et qu'il démêlait mal, celle de l'ambassadeur d'Allemagne à Paris.

Dès le mois de septembre 1872, M. de Saint-Vallier l'avait averti de la situation délicate ou se trouvait l'ambassadeur : M. de Bismarck ne se gêne pas pour dire qu'il n'a pas rencontré, chez l'ambassadeur, à Paris, les qualités qu'il attendait de lui, et un soir que le comte Orloff et le général de Manteuffel dînaient chez lui en petit comité, le chancelier a dit tout haut devant eux : Voilà quinze jours que cet Arnim me demande une audience ; il faut pourtant que je finisse par la lui donner[24].

Berlin affectait aussi quelque inquiétude en voyant monter l'astre de Gambetta. On le donnait comme l'instrument futur de la revanche ; M. de Saint-Vallier écrivait : Le point noir, là comme ailleurs, est toujours M. Gambetta ; son nom inspire une répulsion qui s'affirme avec une nouvelle force... M. de Redern, confident de l'empereur, aurait dit : L'arrivée de cet homme au pouvoir équivaut, à nos yeux, à l'avènement de la Révolution, ce que nous ne laisserions pas faire[25].

M. Thiers luttait avec courage, n'ayant qu'une consolation, voir se succéder régulièrement, aux dates convenues, le paiement graduel des divers acomptes de l'indemnité. La prolongation de l'occupation allemande donnait lieu, dans les provinces de l'Est, à de sérieuses difficultés.

M. Thiers n'en est que plus ardent pour l'œuvre de la libération.

Le 2 février, il écrivait à M. de Saint-Vallier : Quant a notre situation financière, la voici : nous aurons, le 1er mai, le quatrième milliard (1er au 5) ; nous aurons, à cette époque, une grande partie du cinquième et dernier milliard sans recourir aux garanties financières. Pour le restant de ce cinquième milliard, la plus facile opération de trésorerie, nous regardant seuls, nous permettra de nous acquitter en entier. Restera à fixer les époques précises et le mode de l'évacuation totale.

Des calculs les plus simples et des évidences les plus claires, il résultait que la France pouvait être prête à très bref délai. Elle était en avance de deux ans sur les délais prévus par la convention du 29 juin 1872. Avec quelle joie le président de la République avait fait ces premières ouvertures Avec quelle anxiété il attendait une réponse, on le devine.

La question se posait de nouveau : L'Allemagne consentirait-elle à toucher préventivement les acomptes aux dates nouvelles qui lui étaient suffisamment indiquées, et alors dans quelles conditions réglerait-on l'évacuation progressive, et bientôt complète, du territoire ? C'est pour obtenir une première indication que M. Thiers se servait de la voie de Nancy, qui avait paru la plus facile et la plus efficace.

Au moment où M. Thiers écrit cette lettre, M. de Bismarck a, de lui - même, pris les devants. Son parti arrêté et maintenant déclaré, à l'égard de son ambassadeur, le rapprochait de M. Thiers. Le 15 janvier 1873, M. Bleichrœder avait eu un entretien très confidentiel avec M. de Gontaut-Biron : Le patron, avait-il dit, n'est pas content de la manière de voir et de l'attitude de son fondé de pouvoirs à Paris. Il est évident qu'une partie se joue entre le chancelier, d'une part, le comte Eulembourg et le roi lui-même, très probablement, d'autre part. Le comte d'Arnim serait soupçonné par le chancelier de lui être hostile. Il croit que le comte d'Arnim vise à le supplanter... On dit que si le roi se décidait à se séparer de M. de Bismarck, celui-ci serait oublié dans trois mois...

M. de Bismarck trouva encore une preuve du mauvais vouloir de l'ambassadeur dans la négociation que M. Thiers était prêt à engager. Le 30 janvier, le chancelier avait prescrit au comte d'Arnim de chercher à démêler quelles étaient les intentions du gouvernement français au sujet de nouvelles propositions d'évacuation. Comme il arrive souvent dans les affaires bien menées, les cieux initiatives étaient concomitantes. Mais le comte d'Arnim exécuta ses instructions à sa façon : il se tut.

Heureusement, la procédure que M. Thiers avait suivie, en s'adressant à Nancy, était une garantie contre les infidélités ou la mauvaise volonté de l'ambassadeur allemand. M. de Gontaut-Biron, averti, agissait, de son coté, à Berlin. Là, on avait eu quelque inquiétude sur la solidité du gouvernement de M. Thiers. Cependant, après le discours de M. Dufaure, M. de Bismarck avait cru à un rapprochement durable entre la majorité et le président. Il avait dit, en riant, à M. de Gontaut-Biron, dont il connaissait les attaches avec la droite : Il n'y a pas d'autre parti à prendre que de soutenir l'ordre des choses actuel : il faut que vous gardiez Adolphe Ier[26].

Un changement appréciable s'était produit dans les dispositions de M. de Bismarck. Autant il avait été lent et soupçonneux au printemps précédent, autant il allait être empressé et rond en affaires dans cette dernière phase de la négociation. Est-ce la satisfaction de toucher au but et de pouvoir enfin montrer au monde une œuvre accomplie ? Est-ce le sentiment de l'autorité conquise en Europe par la démarche des trois empereurs et par la visite prochaine, à Berlin, du roi Victor-Emmanuel ? Est-ce, comme on l'a dit, le besoin qu'a M. de Bismarck d'annoncer au Reichstag, dont la session va s'ouvrir et où il prévoit de sérieuses difficultés, le paiement prochain et complet de l'indemnité ? Ou bien, tient-il compte de la chute probable du cabinet Gladstone, en Angleterre, et de son remplacement par un cabinet Disraëli, plus enclin à se mêler aux grandes affaires européennes ?

Quoi qu'il en soit, il est disposé à aboutir promptement. Il écrit, dans ce sens, au général de Manteuffel s'étonne même de n'avoir encore reçu aucune réponse de Paris à la suite de la démarche qu'il a prescrite au comte d'Arnim. Le général de Manteuffel prévient. Paris par M. de Saint-Vallier. Il ajoute que M. de Bismarck sort, plus puissant que jamais, de la crise qu'il a provoquée lui-même.

D'où va venir le retard maintenant ? De l'incertitude qui règne, de nouveau, sur la situation à Paris, par suite des lenteurs de la commission des Trente, de la précarité, de plus en plus évidente, du gouvernement de M. Thiers.

A Berlin, c'est la question à l'ordre du jour, et c'est par des allusions assez fâcheuses à la situation du président que l'on motive une dernière résistance. Le 1er février, M. de Gontaut-Biron rend compte d'un entretien qu'il a eu avec le comte Redern, venu à l'ambassade de la part de l'empereur : Aux  yeux de l'empereur, la prolongation de l'occupation serait utile pour empêcher les agitations révolution. M. de Gontaut se récrie. Les départements ne sont, occupés que pour servir de gage au paiement de l'indemnité, rien autre chose. Redent insiste, il parle de Gambetta, et ajoute : Il faut que l'entente se fasse avec la droite. Tout, dépend de M. Thiers ; l'entente entre l'Allemagne et la France est entre ses mains. Le lendemain, à l'Opéra, l'empereur lui-même revient sur la question. Aux allusions faites par l'ambassadeur à un prochain paiement et à une prochaine évacuation, il répond évasivement : Nous verrons ; il faut régler chaque chose en son temps. On sent, dans ces retards et dans ces allusions, l'influence de la correspondance du comte d'Arnim.

M. de Redern voit de nouveau M. de Gontaut. Celui-ci presse son interlocuteur : Pourquoi ces paroles dilatoires ? En France, beaucoup de gens croient que vous nous attaquerez dès que nous aurons payé le solde de l'indemnité de guerre[27]. Au tour de M. de Redern de protester : Vous attaquer ? Pourquoi ; à quelle fin ? Où serait notre intérêt ? Non, non, n'en croyez rien. Mais il revient sur la reconstitution de l'armée française. Il se plaint encore. M. de Gontaut répond avec beaucoup de sagesse : Tout le monde arme en ce moment.Et M. de Redern obligé d'avouer : Il faut en convenir ; c'est une calamité. On en a parlé ici dans l'entrevue des trois empereurs, mais personne ne s'est soucié de désarmer. Chacun a déclaré qu'il entendait nettoyer lui-même le devant de sa maison[28].

M. Thiers est accablé de soucis et de travail. Sa santé même parait menacée. Un jour, il est pris d'une syncope qui effraie son entourage ; l'alarme se répand jusqu'à Berlin. Le comte d'Arnim s'empare de ces incidents pour exciter les méfiances et justifier de ses propres lenteurs. Le prince de Bismarck est obligé de le remettre dans la voie droite : Je tiens pour nécessaire, lui écrit-il le 20 janvier 1873, d'opposer mon sentiment aux jugements qui me semblent injustes de Votre Excellence sur M. Thiers, parce que les opinions différentes sur l'homme d'État qui dirige la France conduisent Votre Excellence à une politique autre que la mienne, alors même qu'en principe elle n'en aurait pas l'intention.

D'autre part, M. de Gontaut-Biron se voit contraint de donner à ses amis de la commission un sérieux avertissement : Vous êtes en train, leur faisait-il dire, de perdre le terrain que vous avez gagné pendant ces derniers mois... La politique étrangère de M. Thiers, ses efforts pour ramener l'ordre à l'intérieur, pour reconstituer les finances et même l'armée, ont inspiré une sympathie réelle pour lui, même une admiration sincère... On ne comprend pas les longues et subtiles discussions de la commission... Ne rendez pas ma biche plus difficile qu'elle ne l'est... La prolongation et l'accentuation du désaccord produisent ici un effet fâcheux, dont nous ne pouvons manquer de subir le contrecoup dans les négociations relatives à la libération du territoire[29].

On comprend que, dans ces conditions, toute l'attention soit absorbée par le débat constitutionnel engagé devant la commission des Trente. C'est l'autorité gouvernementale de M. Thiers, sa personnalité même qui sont en jeu ; et c'est, en même temps, cette cause de la libération à laquelle il s'est consacré tout entier.

Il faut bien préciser les positions prises, de part et d'autre, et les conditions de l'espèce de corps à corps où se joue le sort du pays. La commission, quoique royaliste en majorité, n'a ni l'espoir ni la volonté d'aboutir immédiatement à la solution monarchique ; elle n'a pas conçu le dessein de renverser, pour le moment, la République ; elle ne prétend nullement sortir du provisoire ; elle désire même le faire durer, mais sous la condition de le subordonner à ses fins.

Avec M. Thiers, le temps qui s'écoule est profitable aux institutions républicaines ; puisqu'on ne peut arrêter le temps et en revenir à ces heures, toujours regrettées, où le pacte de Bordeaux laissait le champ libre à toutes les combinaisons, la droite voudrait, du moins, lier les mains à l'habile et dangereux vieillard, l'avoir, ou à sa dévotion, ou à sa merci.

Lui, profite de l'embarras visible de la commission ; il ne songe qu'à obtenir, par ce moyen, de la majorité, des concessions sur lesquelles il s'appuierait ensuite pour se raidir contre elle. Ne pouvant vivre sans elle, ni avec elle, il compte vivre par elle et contre elle. C'est une sorte de tour d'adresse continuel auquel il se condamne pour durer et poursuivre son œuvre, tant que ses forces le lui permettront.

Ce fut donc, pendant deux mois et demi, entre M. Thiers et M. Dufaure, d'une part, et la commission, d'autre part, une lutte qui passionna d'abord l'opinion, puis finit par la laisser indifférente. Mais, en raison même de ces lenteurs, le malaise ne faisait que croître.

Selon que les affaires de la monarchie étaient en bonne ou en mauvaise voie, la brouille ou l'accord régnaient alternativement.

M. Thiers eut de fréquentes conversations avec les sous-commissions et fut entendu quatre fois par la commission plénière.

Janvier, février, s'écoulèrent à la recherche d'un terrain d'entente. Bien qu'il dit, assez irrévérencieusement, taxé de chinoiseries les formalités dont on prétendait entourer, à l'avenir, son audition par l'Assemblée, M. Thiers inclinait lui-même vers l'idée d'un accommodement. Il ne pensait plus, en février 1873, raconte M. Jules Simon, qu'à achever la libération du territoire : Je n'ai pas, disait-il, à m'occuper du reste, car aussitôt la convention signée, la majorité déclarera, par un beau décret, que j'ai bien mérité de la patrie, et elle me mettra par terre[30].

Harcelé journellement par celte lutte qui l'épuise, il poursuit ses négociations pour la grande affaire qui, désormais, lui tient uniquement au cœur. Lui laissera-t-on seulement le temps et l'autorité nécessaires pour conclure ?

Au début de février, il aborde, à la fois à Paris et. à Nancy, les négociations décisives au sujet de l'évacuation : J'ai vu M. d'Arnim, le 4 février, écrit-il à M. de Saint-Vallier, et j'ai commencé les pourparlers. Il a été plus aimable que de coutume... Ce que je lui ai proposé, à titre d'avant-projet susceptible de discussion, c'est de prendre un terme moyen, comme celui-ci par exemple : Le deuxième milliard payé en mai, on n'évacuerait pas les deux départements qu'on nous devrait, mais, en retour, on devancerait l'évacuation des deux autres départements d'un temps égal à celui dont nous aurions prolongé l'occupation des Vosges et des Ardennes. L'évacuation s'opérerait alors d'un seul coup, pendant que s'accomplirait le versement du troisième milliard (le troisième milliard restant à payer, c'est-à-dire, en réalité, le cinquième). Ainsi, par exemple, si le deuxième milliard était payé au 1er mai et le troisième au 1er septembre, on évacuerait totalement au 1er août.

On le croirait à peine, le comte d'Arnim s'abstient encore de transmettre ces propositions si claires à Berlin. M. de Bismarck, averti par Nancy, en est réduit à faire l'aveu de la mauvaise volonté de son ambassadeur ; il réclame des renseignements plus précis. Dans la lettre qu'il écrit, le 5 février, à M. de Manteuffel, il déclare que le terme de l'évacuation définitive n'est plus bien éloigné. Il demande des détails sur les conditions pratiques dans lesquelles elle peut s'accomplir. M. de Treskow dit, le même jour, à M. de Gontaut-Biron qu'on songe à l'évacuation sans garanties financières pour le mois d'août, et celui-ci prévient aussitôt M. Thiers.

Enfin, le 18 février, dans une lettre qu'il écrit à M. de Manteuffel, M. de Bismarck reconnaît que le comte d'Arnim ne l'informe pas fidèlement et qu'entre les ouvertures transmises par celui-ci et les propositions de M. Thiers qui viennent par le canal de Nancy, il y a un point de divergence essentiel. Il sollicite des éclaircissements[31].

On voit se préciser, du côté de l'Allemagne, une réserve qui depuis longtemps hante l'esprit de M. Thiers. Elle serait relative à Belfort, que l'Allemagne conserverait comme gage.

Pourquoi ? Combien de temps voilà les questions angoissantes qui se pressent dans l'esprit du président. Laissons-le parler encore : Il ne manque pas de gens qui disent que, lorsque tout sera payé, on prendra un prétexte pour garder Belfort et pour nous faire la guerre. Je ne le crois pas du tout ; mais notre devoir est de poser la question même la plus invraisemblable quand il s'agit d'une chose si grave, qui n'est pas moins que la paix ou la guerre ou peut-être la perte du pays lui-même... Il y a des choses qu'il ne faut jamais avoir l'air de croire possibles et dont, par conséquent, il ne faut pas parler... Dans l'Allemagne du Sud, surtout, on croit, parce qu'on le désire, que Belfort, ne nous sera pas rendu. Je suis convaincu que la Prusse n'oserait pas, devant l'Europe, commettre une pareille infamie... Cependant, je me comporte comme Fontenelle à qui on demandait s'il croyait aux revenants et qui disait qu'il n'y croyait pas, mais qu'il en avait peur.

Et M. Thiers, qui rumine dans sa tête toutes les manières de s'y prendre pour nous tirer de là, finit par demander à M. de Gontaut-Biron si celui-ci ne pourrait pas aller trouver l'empereur et lui tenir ce langage : Sire, vous êtes mieux qu'un grand roi, sous êtes un honnête homme ; je suis un honnête homme aussi. Eh bien, est-ce que je tromperais mon pays en lui disant qu'il peut, payer et que, son argent -donné, on lui rendra son territoire, tout son territoire ? Je suis sûr, ajoute M. Thiers, que l'accent d'un honnête homme comme vous sera tout-puissant aussi, et qu'en ayant la parole du roi lui-même, donnée à un parfait honnête homme, on pourra livrer la substance de notre pays pour avoir son territoire[32].

M. Thiers est absorbé par sa lutte contre la commission des Trente. Le comte d'Arnim ne cesse de grossir, à Berlin, les difficultés et de pronostiquer la chute prochaine du président. M. de Bismarck est incertain. M. Thiers, de son côté, se rend compte qu'un succès à la commission consolidera sa situation à Berlin. Ses journées et ses nuits sont dévorées par ce va-et-vient de responsabilités et d'inquiétudes. Il écrit, le 9 février, à M. de Gontaut-Biron et affecte une confiance que, peut-être, il ne partage plus lui-même : Le danger est uniquement de gâter les élections en donnant des prétextes spécieux à ceux qui prétendent qu'on veut renverser la République, que, du reste, personne ne peut remplacer. Quant au règne des radicaux, il est loin, bien loin, et il faudrait, de la part de la droite, des montagnes de fautes pour amener M. Barodet et ses amis !...

Ce qui exaspère le président, c'est la prétention de la commission de le réduire au silence. Il l'accable de ses pétulantes boutades. Que veut-on faire de lui ? Un combattant avec le sabre cloué au derrière !... Un porc à l'engrais dans la préfecture de Versailles !! Un mannequin politique !!!

M. Thiers cède. Enfin, il croit devoir céder. Il se rapproche, il est vrai un peu froidement, du duc de Broglie qui mène la commission à son gré. Mais il veut, du moins, tirer parti de sa concession. Il acceptera les chinoiseries de la commission, si celle-ci, par contre, adopte un article additionnel, arrêté en conseil des ministres, et portant qu'il serait statué, à bref délai, par des lois spéciales : 1° sur le mode d'élection de la future Assemblée ; 2° sur les attributions d'une deuxième Chambre ; 3° sur l'organisation du pouvoir exécutif, pour le temps qui s'écoulera entre la dissolution de l'Assemblée actuelle et, la constitution des deux nouvelles Chambres.

La commission se montre épouvantée de cet article présenté par M. Dufaure. M. Ernoul déclare que les mots à bref délai ont retenti à ses oreilles comme un glas funèbre. L'article additionnel est rejeté. Tout est à recommencer.

Les plus avisés ne désespéraient pas d'un accommodement. L'affaire est trop grave, disait plaisamment M. Batbie, pour ne pas s'arranger. C'est, en effet, ce qui arriva. Tout à coup, le 19 février, la commission se ravise et adopte, par 19 voix contre 7, l'article proposé par le gouvernement et modifié de la façon suivante :

L'Assemblée nationale ne se séparera pas sans avoir statué : 1° sur l'organisation des pouvoirs législatif et exécutif ; 2° sur la création et l'organisation d'une seconde Chambre ; 3° sur la loi électorale.

On laisse au gouvernement le soin de proposer des projets de loi sur les trois points ainsi énumérés. Voilà, posée, la première assise de la future constitution républicaine.

Que s'était-il passé ? Une fois de plus, les espérances des monarchistes relativement au succès prochain de la fusion s'étaient évanouies. La lettre du comte de Chambord à Mgr Dupanloup était intervenue. Les orléanistes, las de se traîner aux pieds des légitimistes, avaient compris qu'ils n'avaient plus d'autre tactique à adopter que de gagner du temps. Ou on lasserait le comte de Chambord ou on s'en remettrait à la destinée.

Maitres de la majorité de la commission des Trente, ils avaient donc voté le projet auquel se ralliait le gouvernement. Ainsi, faussant, pour la première fois, compagnie au parti légitimiste, ils se trouvaient, par une sorte de fatalité qui les poursuivra jusqu'à la fin, travailler à la consolidation de la République.

Nommé rapporteur, le duc de Broglie donna lecture de son rapport à l'Assemblée nationale, le 21 février 1873. Toutes les questions de principe étant réservées, le projet se bornait, pour le présent, comme le dit spirituellement M. Ricard, à régler le cérémonial de l'entrée du président de la République à la Chambre et celui de sa sortie.

Quand M. Thiers voudra être entendu par l'Assemblée, il en fera la demande par un message. Aussitôt après la lecture du message, la discussion sera suspendue, et le président sera entendu le lendemain, à moins d'un vote formel. La séance sera levée après le discours présidentiel et la discussion ne reprendra qu'il une séance ultérieure, hors la présence du président de la République.

C'est l'article premier du projet de loi. L'article 2 règle le mode de promulgation des lois et consacre le droit de veto du président. L'article 3 porte que le veto du président ne pourra pas s'appliquer aux actes par lesquels l'Assemblée nationale exercera le pouvoir constituant qu'elle s'est réservé dans le préambule de la loi.

L'article fi organise la responsabilité ministérielle, en spécifiant que les interpellations sont adressées, non au président de la République, mais aux ministres. Celui—ci pourra, néanmoins, être entendu dans les discussions des interpellations ou des pétitions relatives à la politique extérieure.

Dans les interpellations relatives à la politique intérieure, le président de la République pourra également être entendu, si, par une délibération spéciale, le conseil des ministres déclare que les questions soulevées se rattachent à la politique générale et engagent la responsabilité du chef de l'État.

Enfin, le dispositif introduit dans la loi, à la demande du gouvernement, et relatif à l'organisation constitutionnelle, est adopté en dernière analyse. Il constitue l'article 5 et dernier du projet.

La lecture du rapport du duc de Broglie fut accueillie par les applaudissements du centre gauche, par un froid silence de la droite et par des rumeurs et des protestations des légitimistes. C'est une abdication et un acte de servilité cria M. Hervé de Saisy.

L'animosité des légitimistes était si vive contre les orléanistes, que la Correspondance Saint-Chéron, organe demi-officiel de leur parti, publiait une lettre concluant ainsi : Si les princes d'Orléans ne cherchent pas à faire oublier le passé de leur famille et la révolution de Juillet, ils s'exposeront à perdre leurs droits d'hérédité au trône, après le règne éventuel d'Henri V.

La transaction intervenue entre le gouvernement et la commission tendait à annuler M. Thiers et réservait l'avenir. Elle prétendait faire le lit d'un roi constitutionnel en organisant la responsabilité ministérielle. En supprimant l'action directe de M. Thiers sur l'Assemblée et sur le pays, elle rendait possible son remplacement, à bref délai, par un personnage n'ayant ni son autorité ni sa capacité politique.

La discussion du projet de loi, commencée en séance publique le 27 février, se poursuivit jusqu'au 13 mars 1873. La question était épuisée ; chaque groupe exposa, par la bouche de ses principaux orateurs, des doctrines ou des opinions sans grand intérêt, puisque les positions étaient arrêtées.

M. de Marcère, M. de Castellane, M. Haëntjens, M. Gambetta, M. de Laboulaye, M. Ricard prirent part à la discussion.

Invité par MM. Le loyer et Bertault à faire connaître son avis, M. Thiers parla dans la séance du 4 mars. Le président de la République essaya de concilier le pacte de Bordeaux avec le message du 13 novembre, de maintenir l'équilibre entre la droite et la gauche ; il se réjouit de son accord avec la commission des Trente et se montra, par-dessus tout, désireux d'obtenir une majorité.

Enfin, le 13 mars 1873, par 407 voix contre 225, le projet de loi fut voté. Pour le public, ce qui parut le plus clair, c'est qu'on éloignait M. Thiers de la tribune.

Dans son rapport sur la constitution Rivet (31 août 1871), M. Vitet, membre de la majorité, jugeait ainsi, par anticipation, l'œuvre de l'Assemblée nationale : Si, par respect pour les principes, nous allions proposer à la France que, désormais, son incomparable orateur n'ouvrira plus la bouche et ne parlera que par message, la France serait tentée d'en rire et je ne veux pas dire ce qu'elle penserait de nous.

On s'entend Pendant que les travaux de la commission des Trente se prolongeaient pour arriver à ce piètre résultat, le malentendu entre Paris et Berlin s'était dissipé, grâce aux communications officieuses échangées à Nancy. On affirmait, à Berlin, qu'il ne restait plus qu'à convaincre le roi. Le 1er mars, M. de Gontaut-Biron télégraphie : J'ai dîné ce soir chez M. de Bismarck. Il a soumis à l'empereur les propositions de M. Thiers. Il espère obtenir, d'ici à un ou deux jours, l'assentiment de Sa Majesté pour l'évacuation de tout le territoire au 1er juillet ; Belfort et son canton demeurent seuls occupés jusqu'à l'entier paiement du cinquième milliard[33]. Le 2 mars, le prince de Bismarck adresse au général de Manteuffel, pour être communiqué à M. de Saint-Vallier, le télégramme suivant :

Je viens de soumettre au roi les propositions contenues dans la lettre de M. Thiers à M. de Saint-Vallier, et Sa Majesté a donné l'ordre de vous faire connaître qu'elle accepte les propositions de Son Excellence M. le président de la République. Des instructions dans ce sens sont envoyées à M. le comte d'Arnim. Toutefois, en raison de certaines craintes de désordre qui existent en. France, dans le public, les journaux et à l'Assemblée, pour le moment de notre départ. (on retrouvait encore ici l'effet des allégations de l'ambassadeur), la ville de Belfort, qui ne fait pas partie des quatre départements, devra rester occupée jusqu'à l'entier paiement, mais pour être évacuée aussitôt après.

Voilà donc cette réserve, relative à Belfort, cette infamie de Belfort, que M. Thiers appréhendait depuis si longtemps. Quelle catastrophe, au moment où l'on croit aboutir ! Tout est donc remis en question ! Les alarmes les soupçons, n'étaient que trop fondés. L'état-major l'emporte : on ne veut pas rendre cette ville à la France, ou du moins, on la garde comme un gage suprême et un dernier moyen de pression !

Cependant, le général de. Manteuffel se porte garant de la parfaite loyauté de l'Allemagne. Il m'a déclaré, sur l'honneur, écrit, le 3 mars, le comte de Saint-Vallier, que son gouvernement n'avait jamais eu la velléité de garder Belfort, de violer, aux yeux de l'Europe et du monde, un traité solennel, enfin qu'il me répondait que Belfort serait évacué le jour même de l'entier paiement. Il m'a conjuré de vous transmettre ses paroles, ajoutant : M. Thiers sait que je suis un honnête homme et que je ne m'avancerais pas si je ne croyais pouvoir le faire loyalement[34].

M. de Bismarck lui-même proteste auprès de M. de Gontaut-Biron contre les intentions qu'on lui prête. Il les juge blessantes. D'ailleurs, c'est à prendre ou à laisser.

M. de Manteuffel écrit à M. de Saint-Vallier, le 10 mars, cette lettre écrite pour M. Thiers : J'ai reçu un télégramme qui me prouve qu'il n'y a pas ombre d'idée dans la tête de Bismarck de vouloir déflorer les traités et de garder, sous quelque prétexte que ce soit, Belfort... Belfort vous sera rendu avec le dernier paiement... Je trouve que nous, Prussiens, commettons une faute politique en ne montrant pas, à vous, Français, assez de confiance. Ne tombez pas dans la même faute en vous méfiant à cause de Belfort.

M. Thiers commence à se rassurer ; mais il craint que l'effet produit sur l'opinion n'affaiblisse la satisfaction qu'allait causer la publication de la convention. Il se déclare prêt à signer ; il fait cependant un dernier effort et supplie qu'on renonce à la réserve formulée.

Berlin veut en finir, et M. de Bismarck, non sans humeur, propose de substituer Verdun à Belfort. Malgré l'hostilité du comte d'Arnim, qui va jusqu'à garder par devers lui le texte de la convention définitive qu'il a ordre de communiquer dès le 3 mars à M. Thiers, malgré les bruits fâcheux qui se répandent, sur la santé du président, et qui, un moment, inquiètent Berlin, l'accord va s'établir.

L'entretien décisif a lieu, le 11 mars, à Berlin, entre M. de Gontaut-Biron et le prince de Bismarck. Celui-ci est accablé de travail, engagé devant le parlement dans les plus graves discussions. Il prévoit des difficultés religieuses et parlementaires : il veut avoir la tête libre. Il parle donc avec vivacité à l'ambassadeur : Nous n'avançons pas, dit-il ; on m'écrit de Paris des choses étonnantes sur les sentiments qui prévalent à notre endroit en France et à Paris. Les Français errent singulièrement dans le domaine de la fantaisie. Il y en a beaucoup, parait-il, qui, de bonne foi, nous soupçonnent d'arrière-pensée, au sujet du traité que nous avons signé avec vous. Ou prétend que nous ne l'exécuterons pas. Eh ! s'il en était ainsi, nous serions mis au ban de l'Europe... Vous ne devez pas douter un instant que nous exécuterons le traité et tout le traité. S'il ne l'était pas de notre fait, ajouta le prince en souriant, je n'engage à aller me constituer prisonnier à Paris. On parle de Belfort ; il parait même qu'on dit chez vous que le parti militaire ne me pardonne pas de vous avoir restitué cette place forte. C'est une erreur. Tenez-vous à rentrer un peu plus vite en possession de Belfort ? Est-ce l'occupation de cette place qui vous tourmente ? Laissez-nous jusqu'à l'entier paiement un autre gage matériel équivalent, Toul, Verdun, par exemple : alors nous évacuerons Belfort en même temps que les quatre départements...

Cette indication est relevée par l'ambassadeur qui, la précise. M. de Bismarck ne la retire pas : Eh bien ! dit même le prince avec bonne humeur, voulez-vous substituer Toul ou Verdun à Belfort, comme dernier point d'occupation ? Le mot est transmis à M. Thiers qui s'en empare.

Il télégraphie, le 12 mars : Je suis prêt à signer aux conditions suivantes : Verdun substitué à Belfort — Quatre semaines pour l'évacuation des quatre départements — Dix jours pour l'évacuation de Verdun, la substitution, à laquelle il faut tenir, étant définitivement acceptée — Dernier terme d'évacuation, 1er septembre. Ces conditions admises, nous pouvons nous entendre en deux heures sur la rédaction.

M. de Bismarck, non sans hésitation et discussion, accepte la solution qu'il a proposée lui-même. Le 12 mars, dans le discours d'ouverture du Reichstag, il fait une allusion très claire à l'entente sur l'évacuation anticipée. Cependant, le 14 mars, on essaye encore de revenir, à Berlin, sur la question de Belfort-Verdun. M. Thiers tient bon. Le 14 mars, M. de Gontaut-Biron télégraphie : Tout est arrangé. Le 14, une difficulté, qui pouvait devenir grave, est soulevée encore. Jusqu'à la dernière minute, tout reste en suspens.

Enfin, le 15 mars, à cinq heures quarante-six, M. de Gontaut-Biron envoie la dépêche : Le traité a été signé à cinq heures.

M. de Bismarck n'avait pas voulu laisser au comte d'Arnim le soin de conclure un acte si important. Les protocoles sont échangés à Berlin et signés par le chancelier et par l'ambassadeur de France, le vicomte de Contant-Biron. Les deux clauses principales de la convention étaient consacrées l'une à l'anticipation des versements, l'autre à l'évacuation parallèle des départements occupés. La France s'obligeait à payer, avant le 10 mai 1873, les cinq cents millions qui devaient l'être seulement au 1er mars 1874, et quant au dernier milliard échéant le 1er mars 1875, elle le payerait en quatre termes, les 5 juin, 5 juillet, 5 août et 5 septembre 1873.

Par contre, l'Allemagne prenait l'engagement d'évacuer les quatre départements encore occupés (Ardennes, Vosges, Meurthe-et-Moselle et Meuse), à l'exception de la place de Verdun et d'un rayon de trois kilomètres, dans un délai de quatre semaines, à partir du 5 juillet 1873.

C'était, pour les territoires occupés et pour les populations elles-mêmes, la libération anticipée de près de deux ans !

Donc, le 17 mars, deux jours après le vote de la loi qui modifiait ses pouvoirs, M. Thiers donne communication à l'Assemblée de la convention libératrice. Cette communication, faite par M. de Rémusat, ministre des affaires étrangères, est accueillie par de longues acclamations. M. Christophle, président du centre gauche, propose de voter, immédiatement, une motion ainsi conçue : L'Assemblée nationale déclare que Monsieur le Président de la République a bien mérité de la patrie

La droite reste un moment silencieuse : la passion politique professe l'ingratitude. M. Saint-Marc Girardin intervient assez maladroitement. Il soutient un autre ordre du jour où l'Assemblée se félicitait elle-même d'avoir accompli une partie essentielle de sa tâche. Un débat assez confus s'engage. Les sentiments étaient si mélangés qu'un membre de la droite s'écrie : Trois quarts d'apothéose, c'est assez ! Enfin une motion qui réunit les deux ordres du jour est votée à l'unanimité.

Une délégation du bureau fut chargée de porter la déclaration de l'Assemblée à la connaissance de M. Thiers. La gauche entière se joignit à la délégation. La droite s'abstint. M. Thiers répondit aux félicitations du bureau par cette simple phrase : De tous les efforts que j'ai faits, la meilleure récompense, celle qui me touche le plus, c'est le témoignage que vous m'apportez de la confiance du pays et de l'Assemblée qui le représente.

Le jeudi suivant., l'Académie française, sur la proposition de M. Legouvé, déclara que c'était pour elle un honneur de compter dans son sein les hommes qui avaient signé le traité de libération, et elle délégua son bureau auprès de M. Thiers et de M. de Rémusat pour les remercier. Dans le pays, un grand nombre de corps délibérants s'unirent à ces manifestations.

Parmi les félicitations innombrables que reçut M. Thiers, nous n'en mentionnerons qu'une seule : de toutes, ce fut, peut-être, celle qui lui fut le plus sensible ; elle émanait de M. Guizot. L'ancien président du conseil du roi Louis-Philippe s'exprimait en ces termes :

Mon cher Confrère,

Je ne veux pas laisser passer l'événement le plus heureux et l'acte le plus considérable de votre vie publique sans vous en féliciter et sans m'en féliciter avec vous et avec toute notre patrie.

C'est un bonheur et un honneur grand et rare d'avancer le jour où la France rentrera pleinement en possession d'elle-même, de toute son indépendance et de toute sa dignité en Europe. Vous avez agi en vrai et efficace patriote.

Je vous souhaite de trouver la reconnaissance du pays au niveau du service. C'est la seule récompense qui soit digne du service même et de celui qui l'a rendu.

Je prends plaisir, mon cher Confrère, à vous exprimer mes bien sincères et bien affectueux sentiments.

GUIZOT.

Le lendemain du vote de l'Assemblée, au conseil des ministres, M. Jules Simon dit, en riant, au président de la République : Voilà votre œuvre accomplie ; il faut dire votre nunc dimittis.

Regardant son ami d'un air pensif, M. Thiers répondit :

Mais ils n'ont personne !

Ils ont le maréchal de Mac Mahon, répliqua M. Jules Simon.

Oh ! pour celui-là, fit vivement M. Thiers, j'en réponds, il n'acceptera jamais[35].

 

 

 



[1] Procès d'Arnim, lettre du 2 février 1873 (p. 94).

[2] Procès d'Arnim (p. 81).

[3] Notes et Souvenirs (p. 333).

[4] Duc DE BROGLIE, La Mission de M. de Gontaut-Biron à Berlin (p. 47).

[5] Occupation et Libération (t. II, p. 28).

[6] Les hommes du métier ne se laissaient pas prendre au trompe-l'œil de la Triple Alliance impériale. Le comte d'Arnim, qui aime à mettre la pointe à l'endroit sensible et qui sait que ses dépêches passeront sous les yeux de l'empereur, a la hardiesse, dans une lettre adressée, le 1er octobre 1872, à M. de Bismarck, de faire allusion au fiasco momentané de l'entrevue des empereurs à Berlin. Procès d'Arnim (p. 59).

[7] Souvenirs (t. II, p. 162).

[8] Souvenirs (t. II, p. 154).

[9] Voir l'intéressante brochure publiée en 1872 par M. Dechamps, ministre d'État de Belgique : Le prince de Bismarck et l'entrevue des trois empereurs. Elle expose le point de vue catholique.

[10] Notes et Souvenirs (p. 348).

[11] Comme conséquence de la loi Rivet, un décret, du 12 septembre 1871 avait institué une vice-présidence du conseil. M. Dufaure, garde des sceaux, avait été appelé à ces fonctions.

[12] Cette commission, fameuse dans les annales parlementaires, comprenait dix-neuf membres de la droite et du centre droit : MM. Batbie, Théry, Delacour, Sacaze, de La Bassetière, Fournier, de Larcy, d'Audiffret-Pasquier, de Cumont, Decazes, Lucien Brun, L'Ebraly, de Lacombe, Amédée Lefèvre-Pontalis, Deseilligny, Grivarl, Erno ul, de Fourtou, Baze ; et de onze membres de la gauche et du centre gauche : MM. Delacour, Duchatel, Marcel Barthe, Duclerc, Ricard, Martel, Arago, Berlauld, Albert Grévy, Max-Richard.

M. de Larcy, légitimiste, ancien ministre de M. Thiers, fut nommé président ; le duc d'Audiffret-Pasquier, vice-président ; M. Amédée Lefèvre-Pontalis et le vicomte Othenin d'Haussonville, secrétaires.

[13] Voici quels avaient été les différents ministres de l'intérieur, depuis la réunion de l'Assemblée nationale : MM. Ernest Picard, Lambrecht, Casimir-Perier et Victor Lefranc.

[14] Lettre au comte de Saint-Vallier, 10 décembre 1872. Occupation et Libération (t. II, p. 139).

[15] Comte DE BEUST, Mémoires (t. II, p. 353).

[16] Quelques jours avant la déclaration de guerre à la Prusse, le 1er juillet 1870, avait eu lieu, aux Tuileries, une consultation des médecins sur l'état de santé de Napoléon III. Le professeur Germain Sée avait rédigé un diagnostic détaillé, daté du 3 juillet, et qui indiquait la gravité de l'état du malade. Cette consultation ne fut communiquée, parait-il, ni à l'impératrice, ni au conseil des ministres. — Une polémique très vive s'engagea dans la presse, et notamment dans la presse médicale, lors de la mort de l'empereur Napoléon III, pour rechercher les responsabilités relatives à une abstention qui eut une influence si grande sur la conduite de la guerre et sur les destinées du pays. Voir, notamment, A. DARIMON, L'Agonie de l'Empire (p. 22).

[17] Paul LENGLÉ, Le neveu de Bonaparte (p. 168).

[18] Général du BARAIL, Mes Souvenirs (t. III, p. 322).

[19] Journal de Paris du 1er février 1873.

[20] Abbé LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup (t. III, p. 277-278).

[21] Abbé LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup (t. III, p. 277).

[22] Notes et Souvenirs (p. 377).

[23] Voir le spirituel ouvrage de M. le baron DES MICHELS : Souvenirs de carrière (p. 46 et suivantes).

[24] Occupation et Libération (t. II, p. 50 et 124).

[25] Occupation et Libération (t. II), 14 octobre (p. 83). M. Thiers répondait, le 17 octobre, au passage visant Gambetta : M. Gambetta ne me succédera pas. Le pays l'a pris en aversion... Le mouvement est démocratique en France comme dans toute l'Europe et spécialement en Allemagne, mais nullement démagogique. Occupation et Libération (t. II, n° 220).

[26] Duc DE BROGLIE, La Mission de M. de Gontaut-Biron à Berlin (p. 69).

[27] Occupation et Libération (t. II, p. 182-192).

[28] Occupation et Libération (t. II, p. 182-192).

[29] Duc DE BROGLIE, La Mission de M. de Gontaut-Biron à Berlin (p. 75).

[30] Jules SIMON (t. II, p. 361).

[31] Occupation et Libération (t. II, p. 233).

[32] Occupation et Libération (t. I, p. 210).

[33] Occupation et Libération (t. II, 250).

[34] Occupation et Libération (t. II, p. 261-291).

[35] J. SIMON, Gouvernement de M. Thiers (t. II, p. 308).