La crise constitutionnelle. — Organisation du gouvernement, de M. Thiers. — Il est reconnu par les puissances étrangères. Cabinet du 19 février 1871. — Premières mesures administratives. — La négociation des préliminaires de paix ; leur ratification. Versailles capitale. — Dispositions des partis monarchistes. — Le comte de Chambord. — Les premières démarches en vue de la fusion. — Les princes d'Orléans élus députés. — L'entente de Biarritz. — Le pacte de Bordeaux. I Quatre fois, en France, dans le cours du siècle, la loi de l'hérédité avait failli. Aucune dynastie, ancienne ou nouvelle, n'avait pu franchir normalement un seul degré de descendance légitime. L'exil s'était encombré des prétendants à la couronne de France : le comte de Provence, le duc de Reichstadt, Charles X, le comte de Chambord, Louis-Philippe, le comte de Paris, Napoléon III, son fils le prince impérial, sans compter les candidats dissimulés ou impuissants, les familles cadettes, etc. L'hérédité promet surtout la stabilité. Or, à la monarchie, en France, la stabilité décidément faisait défaut. Quant au principe même de la souveraineté héréditaire, il était atteint et violé par la succession des dynasties rivales se bousculant les unes les autres. Le droit divin, tel que Bossuet l'avait expliqué, cette intervention de la Providence allant désigner, dès le ventre de la mère, le futur maître des peuples, cette fiction hardie et ingénieuse, cette espèce de coup de dé, où les dés sont pipés par la foi monarchique, le droit divin était mis en échec par l'hérédité elle-même. Bossuet avait dit, dans son magnifique langage : Rien n'est plus durable qu'un État qui dure et se perpétue par les mêmes causes qui font durer l'univers et le genre humain... Point de brigues, point de cabales dans un État pour se faire un roi ; la nature en a fait un : le mort, disons-nous, saisit le vif et le roi ne meurt jamais ! Mais le siècle s'était épuisé à démentir les assertions de Bossuet. Les rois s'en étaient allés, les uns après les autres. Les couronnes s'étaient brisées d'elles-mêmes et l'on eût répété le mot terrible de La Bruyère : La dignité royale n'a plus de privilèges. Les rois eux-mêmes y ont renoncé. Au droit royal, on avait substitué la souveraineté du peuple. Jean-Jacques Rousseau, reprenant les vues des théoriciens du XVIe siècle, avait dicté le nouveau code politique. Mais si le principe était admis, l'application présentait de grandes difficultés ! Tout d'abord, la souveraineté du peuple impose la loi des majorités, il n'y a pas d'autre issue ; or, il ne suffit pas que l'expédient soit nécessaire pour qu'il soit sans défaut. La loi des majorités peut devenir la plus dure des tyrannies. Le droit de suffrage doit-il être restreint ou limité à certaines catégories de la population ? Par quel procédé inclure certains citoyens, exclure les autres ? Quelle part faire aux intérêts, à la fortune, à la naissance, à l'âge, au sexe ? Quel sera le sort des minorités ? Question plus délicate encore : le peuple gouvernera-t-il directement, ou bien par des mandataires, par des représentants ? Jean-Jacques Rousseau, le père du système, s'était prononcé énergiquement contre toute représentation : La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point ; elle est la même ou elle est autre ; il n'y a pas de milieu... Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l'est que durant l'élection des membres du Parlement ; sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien... Une habile logique avait déduit de ce raisonnement la doctrine du plébiscite. C'était donc le peuple qui, directement, désignait ad nutum l'agent du pouvoir. Celui-ci n'était plus qu'un instrument d'action que le peuple pouvait, à chaque instant, briser. Mais alors, on tombait dans un autre péril. La volonté du peuple est une volonté énorme ; du fait qu'elle désigne quelqu'un, c'est une sorte de dictature qu'elle confère. La théorie du plébiscite avait été scrutée à fond, sous le second empire. M. Gambetta, dans son fameux discours du 5 avril 1870, avait, pour ainsi dire, ramassé toute l'argumentation de l'opposition. Certes, il n'avait pas nié le droit du peuple. Il avait reconnu la force du plébiscite. Mais, s'en tenant au sens propre du mot plebis scitum (ce que le peuple sait), il avait exigé que le peuple sût ce qu'il fît, qu'il fût informé à fond. Or, on peut toujours plaider l'ignorance et l'insuffisante information d'une foule ; l'appel au peuple mieux informé est toujours ouvert. Donc, pour l'ordre social, une perpétuelle menace de révolution. Quel est le parti qui ne répéterait la phrase décisive du tribun, dans ce discours inaugural de tant de fameuses harangues : Nous voulons, pour nous et pour nos successeurs, reprendre le droit inaliénable de la nation d'élaborer directement et par elle-même le plébiscite ; nous l'exigeons, et tant que cette restitution n'aura pas été opérée, le plébiscite n'est qu'un leurre et un piège. D'ailleurs, les suites trop funestes du plébiscite de 1870 avaient dégoûté, pour longtemps, la nation elle-même de cette procédure politique. M. Gambetta, dans ce même discours, s'était déjà mis en contradiction avec Jean-Jacques Rousseau, puisqu'il avait dit : Il y a un pouvoir qui est au-dessus de tout : c'est le pouvoir collectif du pays représenté par ses députés ! C'était évidemment dans le sens d'une représentation que s'accomplissait l'évolution nouvelle. La catastrophe de 1870 avait fait, de cette évolution latente, un courant irrésistible. Sauf M. Gambetta, qui, dans une admirable lettre écrite à M. Jules Favre, le 27 janvier 1871, posa la question en ces trois termes : 1° le plébiscite ; 2° une Chambre élue ; 3° la continuation pure et simple du gouvernement de la Défense nationale, personne n'eut même la pensée de recourir à un autre procédé qu'à la réunion d'un corps délibérant. D'ailleurs, il y avait de glorieuses traditions dans ce sens. La Révolution, mère et maîtresse du droit -moderne, avait confié le soin de fonder l'ordre nouveau à une Assemblée. Mais, le système d'une Assemblée une fois adopté, une question dernière se posait. L'Assemblée, qui avait été nommée par le pays pour décider de la paix ou de la guerre, avait-elle qualité pour donner à la France un gouvernement ? La question était au moins douteuse. M. Thiers l'esquivait, en quelque sorte, lorsque, dans la fameuse séance du 1er mars, interpellé par les députés bonapartistes qui invoquaient, contre l'Assemblée, l'autorité des quatre plébiscites impériaux, il répondait : Quant au droit national, vous dites que nous ne sommes pas une Constituante. Mais, il y a une chose qui ne fait pas question, c'est que nous sommes souverains. D'accord, mais un mandat de tumulte peut-il se transformer, au gré des mandataires, en un mandat de constitution ? Que l'on ne pense pas que ces difficultés fussent éloignées de l'esprit des hommes qui se rencontraient à Bordeaux. La plupart d'entre eux étaient des jurisconsultes habitués à débattre les principes du droit et à rechercher le mobile de la raison. Des royalistes de tontes nuances retournaient sans cesse en eux-mêmes tous les systèmes monarchiques : le droit divin pur et simple, la consécration pontificale, la sanction populaire et même l'autorité de l'insurrection et des barricades. Les républicains n'étaient pas moins divisés et on eût trouvé, parmi eux, des opinions très diverses, depuis les sectaires du jacobinisme jusqu'aux maniganceurs de stathoudérats. Si les parlementaires étaient, dans les deux camps, les plus nombreux, les intransigeants de droite et de gauche étaient les plus ardents et peut-être les plus illustres. Tous les systèmes se heurtaient, et si on eût été de loisir, on eût disserté indéfiniment sur la théorie du pouvoir et sur les fondements de la souveraineté. Les compétences et les autorités n'eussent pas manqué. Cette Assemblée, issue du pays après un siècle de crises constitutionnelles, était pleine de Lycurgue. Voyez la force des événements : la nécessité de vivre en imposa d'abord aux théories, sinon aux convictions, et lit trêve aux discours. L'Assemblée nationale avait désigné M. Thiers et lui avait donné le titre de chef du pouvoir exécutif de la République française. Par ce seul fait, par le simple fait qu'elle vivait, l'Assemblée donnait un gouvernement légal au pays ; elle établissait le régime parlementaire et elle fondait, provisoirement du moins, la République. La portée de ce vote est indiquée dans le rapport présenté par M. Victor Lefranc sur la proposition de MM. Dufaure et Jules Grévy : Cette explication (du véritable sens de la proposition) n'est autre chose que l'affirmation incontestable du droit souverain de la nation, et de l'Assemblée qui la représente, à statuer sur les institutions de la France, mise à côté de l'affirmation d'un fait non moins incontestable : l'existence du gouvernement de la République française. Donc, l'Assemblée s'affirmait souveraine et elle se rendait parfaitement compte qu'elle donnait, le 19 février, une constitution embryonnaire à la France. Une autre constatation ressort immédiatement de cette première décision de l'Assemblée, c'est la méfiance instinctive de la nation pour le système des Comités. Aucun corps, aucune organisation existante ne limite l'action de l'Assemblée ; elle est maîtresse absolue du pouvoir : que fait-elle ? Elle a hâte de se dépouiller de son autorité, en quelque sorte dictatoriale. Elle ne s'inspire ni du précédent du Long Parlement d'Angleterre, ni du précédent, plus récent, de la Convention. Celle Assemblée a peur de la tyrannie des assemblées. Au lieu de retenir le pouvoir et de l'exercer directement par ses Comités, elle le délègue immédiatement à un homme et lui confie cette autorité énorme qui s'appelle le pouvoir exécutif, qu'elle ne définit même pas. Cette délégation, l'Assemblée la considère, il est vrai, comme essentiellement précaire. Elle crée le pouvoir, en dehors d'elle, mais elle déclare, en même temps, que M. Thiers exerce ses fonctions sous l'autorité de l'Assemblée. En outre, celle-ci réserve l'avenir à ses propres tergiversations, par le considérant qui précède le décret et par le texte même qui donne, au chef du pouvoir, un mandat toujours révocable. Ici, apparaît une autre crainte et une autre méfiance : celle de la dictature, qui va jusqu'à l'amour et à la recherche de l'instabilité. Les pouvoirs de M. Thiers sont provisoires et sans terme fixe. C'est ce qui explique pourquoi, contrairement à tous les précédents, il conserve son mandat de représentant. Et cette situation doit durer. Donc,' citoyen, député, président, négociateur, ayant tous les pouvoirs et tous les pleins pouvoirs, M. Thiers était tout et il n'était rien, puisque, du jour au lendemain, un caprice de l'Assemblée pouvait le faire disparaître. C'est bien ce qui faisait enrager le petit homme. Il se croyait l'étoffe sinon d'un dictateur, du moins d'un chef de majorité, de gouvernement. Or, les partis le traitaient en suspect et il n'avait pas, à proprement parler, de majorité. Tout le monde comptait sur lui, mais tout le monde marchandait avec lui. On lui tendait toujours l'hameçon du pouvoir qu'on lui refusait toujours. Ballotté entre ses ambitions, son orgueil, son patriotisme et son activité, il était dans un terrible embarras : certainement le seul homme alors qui fût digne d'un si grand honneur et capable d'une aussi difficile situation. Quant à l'existence de la République, seconde affirmation de l'Assemblée ; elle était, comme le dit le rapport de M. Victor Lefranc, incontestable. Depuis le 4 Septembre, c'était le gouvernement légal du pays. N'était-ce pas au nom de la République que les traités étaient signés, que la justice était rendue, que l'armée recevait ses grades, que l'administration fonctionnait ? Ici encore, les faits étaient plus forts que la volonté des hommes. Il y avait péril imminent. La chose publique était en question : la République ne faisait pour ainsi dire que désigner, par son nom, la réalité. Jadis, quand des circonstances analogues s'étaient produites en France, que ce Mt au temps de Jeanne d'Arc ou au temps de Henri IV, l'universel souci c'était le sort du royaume de France. Maintenant, c'était de la France qu'il s'agissait, c'est-à-dire d'une communauté de personnes et d'intérêts, existant en dehors de la forme du gouvernement. Le langage courant qualifiait donc le système nouveau que le titre donné au chef de l'État définissait : la République. Ce qu'il fallait avant tout, et sur l'heure, c'était un gouvernement qui pût traiter avec l'ennemi. L'armistice allait expirer. Il était indispensable, ou de conclure la paix ou de se préparer à poursuivre la guerre. Quarante-huit heures à peine, restaient au gouvernement, quel qu'il fût, pour négocier avec l'Allemagne. Comment, dès lors, entamer de longues discussions de droit constitutionnel ? La République fut, à la première heure, fille de la réalité et de la nécessité. Mais, remarquons encore la force d'un mot. Par le simple fait qu'il recevait un nom, le gouvernement prenait une forme. Du même coup, un premier remède était porté à l'anarchie qui, la guerre à peine finie, menaçait le pays. En effet, en tombant, le ti septembre, le régime impérial avait ébranlé l'administration tout entière et le gouvernement de la Défense nationale n'avait pas créé de rouages politiques. L'armée ? Détruite ou prisonnière. L'administration intérieure ? Désorganisée par l'antagonisme entre la délégation de Bordeaux et le pouvoir central. La magistrature ? Son inamovibilité avait été atteinte par les mesures prises contre les membres des anciennes commissions mixtes. Les assemblées départementales et communales ? Dissoutes et non remplacées. La France était donc réduite à n'avoir d'autre armature intérieure que celle qui était maintenue par l'état de guerre. Si ce dernier support lui manquait, tout s'effondrait. L'ennemi lui-même avait le plus grand besoin de voir se constituer un gouvernement, quel qu'il fût. M. de Bismarck avait un sentiment trop profond des réalités, pour ne pas comprendre qu'on ne traite pas avec le néant. Il était trop heureux d'avoir à qui parler. Le nom de M. Thiers était une garantie pour le présent ; le titre de la République était une promesse de durée pour l'avenir. L'Allemagne n'avait donc aucune raison de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement et de ne pas entrer en négociations avec lui. L'armistice, d'ailleurs, lui en faisait une obligation, Quant aux autres puissances, elles n'avaient pas de raison valable pour faire attendre leur adhésion. M. de Bismarck l'eût désiré peut-être. Dans une dépêche, datée du 15 mai 1871, M. de Gabriac, chargé d'affaires de France à Saint- Pétersbourg, écrit : La Prusse n'aurait pas été fâchée quo la Russie nous traînât en longueur, comme elle l'avait déjà fait en d'autres circonstances. Il en serait résulté une véritable faiblesse pour nous et, un mois plus tard, un embarras sérieux, en face de l'insurrection de Paris. Elle aurait eu ses coudées plus franches contre nous, en prouvant, aux yeux de l'Europe, que nous étions combattus au dedans et contestés au dehors. Mais l'intérêt des puissances elles-mêmes était de déjouer ce calcul. Aucun peuple, en Europe, ne pouvait désirer l'anéantissement complet de la France : c'eût été l'établissement immédiat de l'hégémonie allemande. Dès les premiers jours de février, M. de Chaudordy, délégué aux affaires étrangères, à Bordeaux, avait préparé la reconnaissance du nouveau gouvernement. Le jour même de son élection, M. Thiers recevait la visite de lord Lyons, du prince de Metternich et du commandeur Nigra, qui lui notifièrent immédiatement la reconnaissance officielle du gouvernement français par la Grande-Bretagne, l'Autriche et l'Italie. Le 21 février, la Russie suivait cet exemple. Sans s'engager pour l'avenir, les cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg acceptaient le gouvernement, tel qu'il-était constitué par l'élection de M. Thiers. L'Allemagne devait agir de même, après la conclusion de la paix définitive. Les autres pays suivirent rapidement ces exemples. Ce n'était donc pas comme simple plénipotentiaire, mais bien comme chef du gouvernement légal et régulier de la France que M. Thiers eut à négocier la paix. II Malheureusement, les conditions dans lesquelles ces débats s'ouvrirent étaient terribles pour la France et pour son représentant. M. Thiers, en effet, crut devoir assumer, en même temps, la double responsabilité du gouvernement et de la négociation. Cette méthode est dangereuse, puisqu'elle ne laisse aucun recours contre les improvisations de la discussion. Mais les circonstances étaient telles qu'on ne songeait qu'à faire vite. Tandis que M. Gambetta et quelques généraux, habiles ou vigoureux, soutenaient que la France pouvait et devait lutter encore, l'opinion se répandait qu'après la capitulation de Paris, la paix était inévitable. Cependant, dans un juste sentiment de son devoir, l'Assemblée nationale avait, sur la proposition de M. Dufaure, ouvert une enquête sur les conditions dans lesquelles la lutte se serait poursuivie. Quelle était alors la situation militaire ? Les désastres du début de la guerre avaient enlevé à la France presque tous ses meilleurs officiers et sous-officiers. Il n'existait plus un seul des anciens régiments de ligne. En outre, l'armée avait été affaiblie par une épidémie de variole. On comptait, dans les hôpitaux ou dans les ambulances, plus de 73.000 hommes blessés ou malades. Avec quelles forces pouvait-on continuer la campagne ? Des revues, passées le 3 février, accusaient, pour les douze corps dont se composait alors l'armée, un effectif de 534.432 hommes. On aurait pu y ajouter la classe 1871, dont le contingent était de 132.000 hommes ; mais le ministre de la guerre déclarait qu'il n'était pas en état de l'armer, de l'habiller et de l'exercer, s'il devançait l'appel. D'autre part, sur les effectifs présents au corps, on estime que seulement 205.000 hommes d'infanterie, appartenant aux régiments de marche et de mobiles, étaient en état de recevoir le choc de l'ennemi. Presque tout le reste, dit le général de Chabaud-Latour dans son rapport à l'Assemblée nationale, est un embarras, une source de désordres et ne pourra fournir des soldats dignes de ce nom que dans quelques mois. Ajoutons à ce chiffre : 14.474 marins, reste d'un corps de 55.000 combattants. La cavalerie comptait 20.000 hommes et l'artillerie 33.931 ; les chevaux avaient sérieusement souffert des intempéries et du manque de fourrages. Les services de la remonte pouvaient procurer, en six semaines, 10 à 12.000 chevaux. Si nous passons à l'armement, la situation n'était guère plus brillante. L'artillerie comptait 1.232 bouches à feu, pourvues de 301.732 coups, soit de 244 coups par pièce. L'ensemble formait 207 batteries régulières avec 17 réserves divisionnaires et 8 parcs ; en tout, 4.000 voitures. Les arsenaux possédaient, en outre, 22 batteries de 4, de 8 et de 12, pourvues de 227.492 coups ; mais les chevaux et les hommes nécessaires manquaient. On comptait bien encore 443 canons de 4, de 7, de 8, de 12 et 398.000 projectiles ; mais pour ces armes, il n'y avait ni affects, ni caissons, ni gargousses. Enfin, 1.524 pièces de campagne étaient en fabrication. On avait acheté, à l'étranger, 25 batteries Withworth et 300 canons Parrot ; celle artillerie était de mauvaise qualité et d'un ravitaillement difficile en projectiles. D'après les évaluations établies, les ateliers de la guerre, de la marine et de l'industrie auraient pu fournir, un mois après la reprise des hostilités, tout le matériel nécessaire à cent batteries. La capacité de fabrication de l'industrie était de i 1.000 projectiles par jour. S'élevant seulement à 4.714.880 kilos, l'approvisionnement de poudre à canon et à mousquet était insuffisant. Pour continuer la guerre, il eût fallu recourir à l'étranger, ce qui offrait de sérieux inconvénients, l'emploi des poudres exotiques donnant des résultats défectueux. Les arsenaux comptaient 436.052 fusils de divers modèles se chargeant par la culasse, dont 287.1117 chassepots et 362.067 fusils se chargeant par la bouche. De plus, le ministère de l'intérieur possédait, dans ses dépôts, 128.668 fusils et il en avait distribué 498.000 aux gardes nationaux sédentaires. Les ateliers de la guerre fabriquaient 25.000 chassepots par mois et 241.000 fusils se chargeant par la culasse avaient été commandés à l'étranger, livrables par tiers, à la fin des mois de mars, d'avril et de mai. En dehors des 90 cartouches qui se trouvaient entre les mains de chaque homme, on en comptait une provision de 183 millions 48.000. On en fabriquait deux millions par jour et 104 millions 882.000 étaient attendues d'Angleterre et d'Amérique. La guerre avait laissé la marine à peu près intacte. Elle offrait un personnel disponible d'environ 65.000 hommes, y compris les 15.000 fusiliers présents aux armées. La flotte comprenait 208 bâtiments immédiatement utilisables, savoir : frégates, 7 corvettes et 14 garde-côtes ou batteries flottantes : tous ces navires étaient cuirassés ; 6 vaisseaux ou frégates à hélice, 10 corvettes ou frégates à hélice, 39 avisos ou frégates à hélice, 40 canonnières, 29 transports ou frégates à hélice, 6 frégates ou corvettes à roue, 20 avisos, 9 transports à voile, 5 goélettes, 8 pontons, le tout non cuirassé. Cette flotte était arillée d'une artillerie formidable en nombre et surtout en puissance ; les 208 bâtiments ne portaient pas moins de 526 bouches à feu, approvisionnées chacune de cent projectiles. Enfin, les ports avaient emmagasiné 78.2110.807 kilos de charbon ; à Alger, en Corse, dans les colonies et dans les stations navales, la provision était de 64.634.410 kilos, ce qui donnait au total 142.875.217 kilos de combustible, quantité largement suffisante, étant donné le peu d'importance relative des opérations maritimes. Après les soldats et les armes, l'argent. Avec quelles-ressources eût-on fait les frais d'une nouvelle campagne ? On était à peu près à court de moyens financiers. Les dépenses engagées au compte de l'État et payées en partie au début de février, en sus des crédits ouverts dans les budgets ordinaires et extraordinaires de 1870 et de 1871, s'élevaient au total de deux milliards 300 millions de francs. A cette somme, il faut ajouter, pour insuffisance de crédits, ou pour perle dans le recouvrement des impôts directs et indirects de 187o et pendant les deux premiers mois de 1871, environ quatre cents millions, soit au total deux milliards 700 millions. En regard de ces dépenses, on n'avait prévu que un milliard 573 millions de ressources extraordinaires, d'ailleurs complètement épuisées. Entre les recettes et les dépenses, il y avait donc un écart considérable, qui devait s'accroître encore par les pertes et les charges devant changer en déficit l'équilibre des précédents budgets. On ne pouvait attendre d'autres rentrées que les versements en retard ou non échus de l'emprunt de 750 millions, ci 385 millions, et le solde de 20 millions à toucher sur l'emprunt de Londres. Si le crédit de la France était intact, il n'eu était pas moins difficile de contracter et de réaliser de nouveaux emprunts, soit à l'intérieur, soit à l'étranger. Tout compte fait, si la guerre continuait, il y aurait un excédent de dépenses sur les recettes d'au moins 8 millions de francs par jour, ou 2110 millions par mois. Pour donner une idée de la pénurie financière du pays, et de l'état des esprits, on racontait, dans les couloirs de l'Assemblée, à Bordeaux, que M. Pouyer-Quertier, quand il fut nominé ministre des finances, emporta, dans son chapeau, tout le trésor public ![1] Il faut aussi faire entrer en ligne de compte les effets de la subite pénétration des armées allemandes sur notre territoire, au cas où l'armistice eût été rompu. L'ennemi victorieux occupe déjà le tiers de la France. Dix millions de Français vivent sous l'administration prussienne ; 27 départements composent les 4 gouvernements dont le siège est établi à Strasbourg, à Nancy, à Reims et à Versailles ; 9 autres départements sont neutralisés administrativement. Des préfets et des sous-préfets prussiens gèrent déjà les pays occupés. En face d'eux, restent seulement les municipalités, fidèles à leur devoir. Dans les régions occupées par l'ennemi, il n'était pas question de procéder à de nouveaux enrôlements. Les hommes, déjà appelés sous les drapeaux, avaient été empêchés de rejoindre leur corps, sous peine de terribles représailles contre leurs familles. Ainsi, les soldats étaient en quelque sorte prisonniers avant d'avoir combattu. Au point de vue financier, comment compter sur la participation des communes envahies ? N'acquittèrent-elles pas des contributions de guerre pour une somme totale de 708.816.693 fr. 31, sans compter les deux cents millions de la rançon de Paris ? A cette charge, il convient d'ajouter 27.333.787 francs, montant des pertes occasionnées par la peste bovine qui frappa alors 93.836 animaux. Existant à l'état latent, la crise industrielle a éclaté, avec une exceptionnelle gravité, pendant les derniers mois de la guerre. La production s'est accumulée ; bientôt, les débouchés manquent, par suite de l'accaparement des voies ferrées par les transports militaires ; les usines sont désorganisées par la mobilisation. Le Creusot rétrocède à l'étranger des commandes qu'il était dans l'impossibilité d'exécuter. A Roubaix, 40 mille ouvriers étaient inscrits au bureau de bienfaisance ; à Tourcoing, 15 mille étaient dans la misère ; à Rouen, 41 mille étaient nourris par la charité publique ; à Reims, 15 mille étaient sur le pavé. Le commerce n'avait pas moins souffert que l'industrie avait été entravé par l'absence de crédit et la pénurie des débouchés. Les banques avaient fermé leurs caisses, qu'elles n'avaient plus le moyen d'alimenter. Plusieurs se refusèrent au remboursement des dépôts. La banque de Reims avait plusieurs millions d'effets qui n'avaient pas été présentés à l'encaissement. Partout, le numéraire manquait, sauf dans le Nord, où on se le procurait de Belgique, au taux de trois à cinq francs par mille. Dans la plupart des grandes villes, on avait émis des papiers-monnaie divisionnaires locaux, soit sur la garantie des municipalités, soit sur celle d'industriels, et gagés souvent au moyen de dépôts de marchandises. Mais les transactions, n'ayant plus de commune mesure, étaient devenues partout très difficiles. La campagne traversait péniblement l'hiver et voyait avec inquiétude s'approcher la saison nouvelle. Les bras manquaient. Les semences d'automne n'avaient pas été faites. Tous les fléaux étaient conjurés contre les paysans. Les approvisionnements étaient presque épuisés et les départements épargnés étaient précisément ceux du Midi, moins riches en céréales et en bétail. Enfin, la rigueur de l'hiver ajoutait sa menace à toutes celles qui emplissaient l'horizon. III Tandis que cette enquête rapide sur la situation de la France se poursuit, M. Thiers procède à une première organisation du pouvoir. Pour les négociations définitives qui vont s'ouvrir avec l'ennemi, il ne peut. se présenter qu'avec un gouvernement constitué. Il est convaincu que son premier devoir est de réunir, autant que possible, autour de lui, toutes les forces du pays. Dans son premier discours, il proclame la trêve des partis. Sans hésiter, son esprit hardi aborde l'entreprise de réconciliation nationale, déjà inutile-fient essayée, en 1848, par Lamartine. Premières Il espère que la France, secouée par ses terribles désastres, oubliera les haines et les préjugés qui la divisent. Il répéterait volontiers le mot de Duplessis-Mornay au milieu des désordres de la Ligue : Qu'il ne soit plus question entre nous de papistes ou de huguenots, mais seulement d'Espagnols et de Français. Il voudrait que les fils d'une même patrie, d'une si douce patrie, si cruellement frappée, apprissent du moins à se tolérer. C'est à cette pensée qu'il obéit en constituant le ministère du 19 février. Des hommes de toutes les opinions y sont groupés. L'homogénéité du cabinet tient à ce fait que chaque ministre sent la nécessité de pratiquer la politique du chef de l'État. L'Assemblée nationale l'accueillit sans enthousiasme. On savait que M. Thiers en était l'âme et que rien d'important ne se ferait que par lui. Son chef le définissait ainsi : J'ai pris les ministres, disait-il, non pas dans l'un des partis qui nous divisent, mais dans tous, comme a fait le pays lui-même, en volis donnant ses votes et en faisant figurer souvent sur la même liste, les personnages les plus divers, les plus opposés en apparence, mais unis par le patriotisme., les lumières et la communauté des bonnes intentions[2]. La majorité des membres de ce cabinet appartenait au centre droit et à la gauche ; les légitimistes n'avaient, obtenu qu'un portefeuille, celui de M. de Larcy, ancien membre de l'Union libérale au Corps législatif ; encore était-il choisi à cause de son ardente animosité contre l'empire. Très attentif aux mouvements de l'Assemblée, M. Thiers avait tenu compte du double courant qui se manifestait, soit contre le régime impérial, soit, contre l'ancienne délégation de Tours et de Bordeaux. Trois sur cinq des anciens membres du gouvernement de la Défense nationale, qu'il maintenait au pouvoir, appartenaient à cette fraction qui avait lutté contre M. Gambetta. M. Thiers n'avait réservé que trois portefeuilles sur neuf aux républicains ; mais en leur donnant les affaires étrangères, l'intérieur et l'instruction publique, il pensait, avec raison, qu'il leur faisait la situation la plus importante dans le cabinet. MM. Jules Favre, Jules Simon et le général Le Flô conservaient leurs ministères. La figure de M. Jules Favre deviendra une énigme, au fur et à mesure que disparaîtront les générations qui ont entendu cet éminent orateur. Son art exerçait une fascination telle que les jugements de ses contemporains sur lui n'étaient pas libres : l'éloquence les enchaînait avec ses chitines d'or. Ceux qui n'ont pas subi cette séduction, s'étonnent qu'un homme d'une intelligence qui parait ordinaire, d'un caractère faible et d'une âme sonore, ait pu usurper, dans des circonstances si tragiques, une telle influence. M. Jules Favre, hautain toujours, souvent déclamatoire, ayant hérité du romantisme l'art de l'attendrissement verbal, trop absorbé par le palais pour avoir une connaissance réelle des affaires publiques, était aussi peu préparé que possible au rôle de ministre des affaires étrangères. Et c'est lui qu'on avait opposé à M. de Bismarck M. Thiers estimait, cependant, que l'ancien vice-président
du gouvernement du li Septembre, négociateur de la convention d'armistice,
devait également négocier le futur traité de paix. Quant à la droite,
toujours prête à se dérober, il lui semblait juste,
ce sont les paroles de M. de Meaux, que le traité
qui allait nous dépouiller fût signé par l'auteur de la formule imprudente et
retentissante : Pas un pouce de notre territoire, pas une pierre de nos
forteresses. Pour M. Jules Simon, outre l'incontestable compétence qu'il apportait à la direction du ministère de l'instruction publique, sa présence dans le cabinet paraissait indispensable. N'était-ce pas lui qui avait assuré la victoire au gouvernement de Paris, dans son récent conflit avec la délégation de Bordeaux ? Ne s'était-il pas également montré adversaire résolu de l'empire ? Représentant du peuple, en i848 et en 1849, il était, au 2 Décembre, professeur de philosophie à la Sorbonne. Il rouvrit son cours, le 9 décembre, à la veille du plébiscite, par la manifestation fameuse : Messieurs, dit-il, je suis ici professeur de morale. Je vous dois la leçon et l'exemple. Le droit vient d'être publiquement violé... N'y eût-il dans les urnes qu'un seul bulletin pour prononcer la condamnation, je le revendique d'avance, il sera de moi. Depuis la fin de la guerre, M. Jules Simon s'était attaché à la personne de M. Thiers. Son libéralisme, aussi célèbre qu'habile, cherchait à réparer les erreurs du radicalisme un peu imprudent qu'il avait affiché sous l'empire. La droite s'alarmait de voir la nomination des évêques aux mains de ce philosophe. Mais sa souplesse fuyante inquiétait Me Dupanloup, plus encore que ses idées : Il sera cardinal avant moi, disait-il en riant. Quant au général Le Flô, les services qu'il avait rendus pendant la guerre justifiaient son maintien au pouvoir. Représentant du peuple, en 1848 et en 1849, il avait été, avec M. Haze, questeur de l'Assemblée nationale, et à ce titre, l'un des adversaires les plus en vue du prince-président. Au début de la guerre, moins heureux que Changarnier, il avait inutilement demandé sa réintégration dans les cadres de l'armée. Au 4 septembre, bien que ses opinions orléanistes fussent connues, on l'avait appelé au ministère de la guerre où il avait organisé la résistance de Paris en prévision du siège. M. Ernest Picard recevait le portefeuille de l'intérieur, celui-là même qu'il avait demandé, le 4 septembre au soir et qui avait été attribué à M. Gambetta. M. Ernest Picard avait de l'esprit et un certain genre d'autorité. Son nom inspirait confiance. On prétendait que sa spécialité était le bon sens. Il était l'ami de Renan, de Berthelot et d'Émile Ollivier, Il avait les qualités nécessaires pour mener à bien la tâche de réorganiser l'administration préfectorale, livrée, depuis le conflit entre Bordeaux et Paris, à une anarchie presque absolue. Député au. Corps législatif, de 1858 à 1870, il avait été le chef du fameux parti des Cinq. Bourgeois de Paris, homme gras et de teint fleuri, orateur élégant et fin, esprit sceptique et dépris, il savait trouver des mots heureux, mais il ne se payait pas de mots[3]. Tous les autres ministres avaient un brillant passé parlementaire, à l'exception de l'amiral Pothuau, désigné pour la marine, à la suite de son heureuse participation à la défense de Paris. Il était contre-amiral depuis 1864. Après le succès de l'affaire de la Gare-aux-bœufs, il avait été promu au grade de vice-amiral, et le département de la Seine, en souvenir de cet heureux épisode du siège, l'avait envoyé à l'Assemblée nationale. Nommé garde des sceaux, ministre de la justice, M. Dufaure était l'honneur du vieux parti parlementaire. Député, de 1834 à 1848, représentant du peuple, en 1848 et en 1849, il avait été élu dans cinq départements, le 8 février 1871. C'est du ministère de M. Thiers, en 1836, que datent ses débuts politiques. Il avait été nommé alors conseiller d'État. Depuis, il était devenu ministre des travaux publics dans le cabinet Soult (1839) ; vice-président de la Chambre, en 1842 et en 1845. Cavaignac l'appela, le 13 octobre 1848, au ministère de l'intérieur, et le prince-président lui confia le même portefeuille, le 2 juin 1849. M. Dufaure était un libéral de l'ancienne école, catholique pratiquant, de mœurs austères, dur pour lui-même, dur pour ses amis et redoutable à ses adversaires. Il avait un cou court, un dos rond, une mâchoire large, un air bourru et des vêtements antiques. Sou éloquence était claire, précise et forte. Il avait plus de dialectique que d'idées et, pour le moins, autant d'humeur que de caractère. Ce n'était pas précisément un homme d'État, mais c'était un admirable parlementaire. Ces natures suffirent tant que le parti libéral resta dans l'opposition. Au fond, M. Dufaure, comme M. Jules Favre, restait un avocat. Il occupait une place importante au barreau de Paris dont il avait été bâtonnier sous l'empire[4]. Comme M. Dufaure, M. Lambrecht, ministre du commerce, était un ami personnel de M. Thiers : Député, de 1863 à 1869, il siégeait à côté de lui et suivait ses inspirations. Au Corps législatif, il s'était fait remarquer par l'étendue de ses connaissances, la droiture et la précision de son esprit, l'élégance et la netteté de sa parole. M. Thiers, qui ne dédaignait pas l'adulation envers quiconque acceptait ses opinions sans les discuter, disait de M. Lambrecht qu'il était le sage des sages. M. de Larcy, lui aussi, était un parlementaire à chevrons. Il avait siégé dans les Chambres, de 1839 à 1846, et dans les Assemblées nationales de 1848 et de 1849. Magistrat, il avait donné sa démission, en 183o, à l'avènement de la monarchie de Juillet et était demeuré fidèle à la foi légitimiste. En 1843, il se rendit avec quarante-trois de ses collègues auprès du comte de Chambord et partagea avec eux un vote de flétrissure de la majorité orléaniste. Au demeurant, un libéral et peut-être, déjà, un désabusé. Seul, M. Pouyer-Quertier, ministre des finances, avait eu quelque attache avec le régime impérial. Envoyé au Corps législatif par le département de la Seine-Inférieure, oh il dirigeait d'importants établissements industriels, il avait été inscrit à la droite dynastique. C'était un vrai Normand, le corps haut et fort, le teint coloré, les favoris épais et durs, l'œil vif et fin. La promptitude et le réalisme de son intelligence, la sûreté de son coup d'œil, la verve de son langage et la solidité de son estomac devaient, bientôt, faire une certaine impression sur M. de Bismarck. Il n'était ni compromis, ni usé par la lassitude des luttes parlementaires. Il avait les épaules faites pour les responsabilités. Ses convictions en matière économique étaient solidement ancrées. Rouen et l'industrie cotonnière avaient fait de lui un protectionniste. Cela n'était pas pour déplaire à M. Thiers. Leur compétence incontestable à tous deux, en ces matières, fut grandement utile pendant les négociations de la paix. Sur les questions économiques, le ministère était divisé. Quelques-uns de ses membres, MM. Jules Simon, de Larcy, Jules Favre, Dufaure, avaient, dès la constitution du cabinet, fait des réserves plus ou moins formelles en faveur de la liberté des échanges. Mais ils avaient, d'autre part, affirmé leur volonté d'aider M. Thiers de toutes leurs forces à la conclusion de la paix. Ce n'est pas en vain que le chef de l'État avait fait appel à leur patriotisme. Aussi consentirent-ils à faire sur leurs opinions économiques quelques sacrifices, comme ils en avaient fait sur leurs opinions politiques. IV Voici donc M. Thiers et son nouveau cabinet devant l'Assemblée. Ils donnent l'exemple de l'union. Mais à peine a-t-elle pris conscience de son existence, qu'elle sent déjà s'agiter en elle de graves dissentiments. C'est au milieu des plus grandes difficultés, apparentes ou devinées, latentes ou éclatantes, que le nouveau gouvernement aborde ses multiples taches : débattre les conditions de la paix, conjurer la crise intérieure, réorganiser le pays, arracher à l'occupation ennemie la partie du territoire prise en garantie des engagements de la nation, restaurer le crédit et les finances, remettre la France en possession d'elle-même et ramener, vers elle, la confiance des puissances étrangères. M. Thiers se préoccupe, en premier lieu, de reprendre contact avec ces puissances fi sent de quel secours une diplomatie active peut lui être, au moment où il aborde les négociations de la paix. On est en présence d'une Europe nouvelle. Des situations et des intérêts apparaissent, qui n'existaient pas, un an auparavant. Une politique à la Talleyrand tirerait peut-être parti des conditions dans lesquelles l'échiquier se dispose. Tout d'abord, c'est l'Allemagne qui, achevant l'œuvre entreprise au moment de la guerre des Duchés et poursuivie à Sadowa, vient de réaliser son unité, en plaçant la couronne impériale sur la tête de Guillaume Ier, roi de Prusse. Le nouvel empire, victorieux et unifié, dirigé par un vigoureux génie, prétend marcher désormais à la tête de l'Europe. Au sud-est de notre frontière, une autre grande nation s'est constituée. Profitant des circonstances, Victor-Emmanuel a fait, de Rome, la capitale de son royaume, réalisant ainsi la parole de Napoléon III : L'Italie libre depuis les Alpes jusqu'à l'Adriatique. Cette occupation de Rome a amené la chute du pouvoir temporel de la papauté. Les événements dont la France était le théâtre avaient aussi leur contrecoup en Orient. En dénonçant le traité de Paris de 1856 et en réussissant à faire signer le traité de Londres (13 mars 1871), la Russie se replaçait au premier rang des grandes puissances. Sans coup férir et pour prix d'une savante neutralité, l'empire des tsars reprenait sa liberté d'action en Orient. Quant à l'Autriche, elle était comme engloutie dans le double désastre dui unifiait l'Allemagne sans elle et contre elle. Elle allait, longtemps, chercher ses voies nouvelles, sans espoir d'en trouver qui lui fussent bien avantageuses. L'Angleterre ne recueillait aucun avantage de la défaite de la France. La dénonciation du traité de Paris la frappait directement. Elle se repliait sur elle-même, méditant sur les suites lointaines de ces événements, comprenant, désormais, l'importance économique du canal de Suez, tournant avec persistance les yeux sur l'Égypte, mais sans s'apercevoir encore que l'unification de l'empire et les conditions imposées à la France par l'Allemagne allaient permettre à celle-ci de développer son commerce, son industrie, sa navigation et d'organiser la lutte économique contre la vieille souveraine des mers. M. Thiers n'était pas un Talleyrand, et, peut-être, dans de telles circonstances, Talleyrand n'eût-il pas fait mieux. Quoi qu'il en soit, M. Thiers, accablé d'autres préoccupations, et sans creuser le problème, se bornait à escompter assez vaguement le bon vouloir de certaines puissances pour obtenir des adoucissements dans le détail des conditions du traité de paix. Il sentait aussi que, pour exécuter les stipulations de ce dernier et pour acquitter l'énorme rançon imposée par la Prusse, les sympathies de l'Europe étaient nécessaires au nouveau gouvernement français. C'est en obéissant à ces diverses considérations que M. Thiers, dans la journée du 19 février, après avoir constitué définitivement son cabinet, assura immédiatement la représentation de la France à l'étranger. Il désigna le duc de Broglie pour l'ambassade de Londres : le marquis de Banneville, pour celle de Vienne ; le duc de Noailles, ancien pair de France, pour celle de Saint-Pétersbourg ; le marquis de Vogüé, pour Constantinople ; le marquis de Bouillé, pour Madrid ; le conne de Bourgoing, pour la légation de La Haye, et le comte d'Harcourt, pour l'ambassade du Vatican. Le marquis de Gabriac était, en outre, accrédité comme chargé d'affaires à Berlin. Ces choix étaient habiles. M. Thiers ménageait les partis monarchiques, en confiant leurs représentants ces emplois considérables. Il écartait, du même coup, des adversaires redoutables. Il confiait à des mains prudentes la défense de nos intérêts au dehors. Enfin, il rassurait l'Europe, en mandatant, auprès des souverains et des cours, des noms connus et des visages familiers. Par une autre série de mesures urgentes, M. Thiers désignait les hommes qui devaient représenter le nouveau gouvernement dans les départements. Il avait besoin d'un personnel administratif lui inspirant confiance et donnant satisfaction aux nombreuses réclamations des nouveaux députés. Celui que le gouvernement du 4 Septembre avait envolé dans les provinces, s'était trop ressenti du trouble et de la lette de l'improvisation. Les passions politiques, en France, sont toujours très attentives cette question du personnel. La tradition impériale a pesé si lourdement sur les gouvernements qui se sont succédé, qu'aucun d'eux n'a pu établir la neutralité politique absolue de l'administration. M. Thiers s'inspira, pour les mutations qui s'imposaient, des idées qui l'avaient guidé dans la constitution du ministère. Il s'en explique lui-même en ces termes : Tous les départements contiennent les divers partis qui divisent et malheureusement agitent notre pays. Or, il en est des préfets comme du gouvernement lui-même. S'ils conviennent à un parti, ils sont exposés à déplaire à l'autre. Mais, de même que le gouvernement doit, par son impartialité, son esprit de justice, être une moyenne acceptée par tes partis raisonnables et imposée à ceux qui ne le sont pas, de même les préfets doivent, à force de tact, de mesure et au besoin de fermeté, se saisir des hommes et des choses, et les diriger vers le bien commun. Nous avons pris d'abord dans les classes éclairées, sans faveur comme sans esprit de parti, les sujets selon nous les plus méritants, accordant la préférence au mérite sur la situation sociale, mais ne négligeant pas non plus cette situation qui est un moyen d'influence. M. Thiers, qui connaissait les hommes et qui se connaissait en hommes, remplaça rapidement le personnel de la Défense nationale. Pour faire accepter sa politique par la droite, il professait déjà la maxime, qui montre son art singulier dans le maniement des partis : la République sans républicains. En réalité, les choix qu'il faisait préparaient à la République un personnel de républicains : il enracinait les convictions chez les hommes hésitants, par la confiance qu'il leur faisait ; il liait les indécis à la fortune du gouvernement nouveau ; il contenait les exigences des ambitieux par l'espoir des satisfactions prochaines. Son habile désignation sut recruter un bataillon de fonctionnaires distingués, qui, en somme, commencèrent à administrer le pays au nom de la République et qui, prenant dans les départements une autorité justifiée, effacèrent bientôt, chez les populations, les souvenirs 'si vivaces, d'abord, de l'administration impériale. M. Léon Say fut nominé préfet de la Seine ; M. Foucher de Careil, en Seine-et-Marne ; M. Ferdinand Duval, dans la Gironde ; M. Charles Ferry, dans la Haute-Garonne ; M. Valentin, dans le Rhône ; M. Poubelle, dans l'Isère ; M. Tirman, dans les Ardennes ; M. Albert Decrais, dans Indre-et-Loire ; M. Cainescasse, dans le Cher ; M. Paul Cambon, dans l'Aube ; M. Doniol, dans la Loire-Inférieure ; M. Hendlé, dans Loir-et-Cher ; M. Le Myre de Vilers, à Alger. Par l'activité d'un homme expérimenté, le gouvernement reprenait vie et figure. On eût pu désirer, peut-être, une révolution plus profonde, des réformes plus radicales. La crise avait fait apparaître, dans le système administratif, des défauts que l'on eût pu corriger. Un esprit plus hardi, plus novateur, eût pu profiter de celle heure unique pour donner un coup de pioche dans les parties caduques de l'édifice napoléonien, et pour tenter l'édification d'une France nouvelle. Bonaparte lui-même avait accompli, dans d'autres temps, une œuvre de cette nature. Mais Bonaparte était vainqueur ; il avait, autour de lui, le personnel que lui avait légué la Révolution ; et puis il était jeune, il était libre de tout engagement ; il pouvait tout oser. M. Thiers était vieux. Il traînait, avec lui, le poids et la servitude d'une longue vie, sans avoir atteint ce désintéressement suprême que donne, à quelques-uns, l'approche de la mort : ce vieillard tenait compte de sa personne dans ses combinaisons d'avenir ! En outre, de tout le passé inscrit dans cette mémoire des faits que l'on nomme l'expérience, il y en avait une partie qui restait, pour sa verte vieillesse, un idéal, parce que sa jeunesse n'en avait connu que l'enthousiasme, c'était la légende napoléonienne. L'homme qui était, pour la France, un directeur plus qu'un dictateur, ne pouvait se débarrasser du lest des vingt volumes de l'Histoire du Consulat et de l'Empire. Il était né à la vie publique à l'heure où le libéralisme se confondait presque avec le bonapartisme : au lendemain de Sedan, homme inévitable n'échappait pas complètement à l'influence du formidable aventurier corse. Ajoutons que, pour l'œuvre de restauration à entreprendre, M. Thiers était seul. Ou plutôt sa vieillesse ne trouvait, en face d'elle, que la jeunesse et les passions d'une Assemblée inexpérimentée. Les républicains étaient des hommes de théorie et d'enthousiasme ; les monarchistes, non moins. Venus du fond de leurs provinces et traînés au grand jour des débats publics, ils apparaissaient, sur la scène, éblouis et comme aveuglés. Dans leurs discours, dans leur conduite, on remarque quelque chose d'hésitant et de maladroit. Le duc Albert de Broglie, avec ses hauts mérites intellectuels et moraux, mais avec sa dignité froide et gauche, représente assez bien cette majorité. L'Assemblée, à la fois ardente et pusillanime, n'était pas faite pour exercer le juste contrôle que réclamait l'activité à la fois passionnée et routinière du président. Les qualités et les défauts de l'un et des autres s'opposaient et ne se complétaient pas. La France, dans son malheur, subissait, ici encore, les suites de ses longues erreurs ; ces hommes, réunis autour de son corps pantelant, dans le dessein de la soulager et de la guérir, étaient atteints des maux dont elle souffrait elle-même. Après les secousses multiples qui avaient rompu, plusieurs reprises, l'histoire du siècle, les générations-anciennes étaient trop vieilles, les jeunes trop inexpérimentées. La virilité pleine manquait ; et puis, il faut bien le dire : si le cœur et l'intelligence y étaient, le génie n'y était pas. V Ces premières mesures une fois prises, rien n'était plus pressé que d'ouvrir les négociations définitives pour la conclusion de la paix. Chaque minute perdue prolongeait l'angoisse universelle, et augmentait, peut-être, les sacrifices auxquels il fallait se résoudre. Aussi, l'Assemblée, après avoir désigné une commission de quinze membres, chargée d'assister et au besoin de contrôler les négociateurs, n'eut plus qu'une pensée, en finir avec la période d'anxiété insupportable que l'on traversait. Le soir même de la lecture de son message-programme à l'Assemblée nationale, le 17 février, M. Thiers partit pour Paris. Le nt, à une heure, il était chez M. de Bismarck. Celui-ci avait refusé de faire connaître, avant les élections, les conditions qu'il mettrait à la paix. Il se retranchait derrière l'ordre absolu du roi : Il ne s'expliquerait, disait-il, que vis-à-vis des commissaires de l'Assemblée[5]. Des déclarations officielles qui avaient suivi l'occupation de Strasbourg et celle de Metz, ou pouvait conclure que le vainqueur entendait garder l'Alsace et la Lorraine. Cependant, M. de Bismarck a dit lui-même, à plusieurs reprises, que son opinion n'était pas fixée. Plus tard, dans une conversation qu'il eut avec M. Crispi, il déclare encore que, pendant longtemps, même après Sedan, il n'avait, pas d'idée arrêtée à proposer au roi et que le moment décide beaucoup dans ces choses-là[6]. Il paraît certain, aujourd'hui, qu'immédiatement après Sedan, M. de Bismarck était d'avis de ne pas faire avancer l'armée et de ne pas assiéger Paris. Il soutenait l'idée que les négociations pour la paix devaient être engagées avec l'impératrice-régente. Le comte de Bismarck était convaincu d'une manière surprenante que la marche sur Paris était une faute. Mais le comte de Moltke avait été d'un avis entièrement opposé et, finalement, celui-ci l'avait emporté. Ces divergences de vues remarquables s'étaient perpétuées, pendant toute la campagne, entre les deux conseillers de l'empereur Guillaume[7]. M. de Bismarck a aussi dit. et répété souvent que l'annexion de la Lorraine lui avait été imposée par l'état-major. Aussi, réfléchissant encore à ce qu'il allait faire, il s'abstenait de prononcer les paroles décisives, se réservant de se déterminer à la dernière heure et selon les dispositions qu'il observerait du côté de la France et de son nouveau gouvernement. Malheureusement, les indications à ce sujet lui étaient livrées avec profusion Tandis qu'il tenait son jeu étroitement fermé dans ses mains, M. Thiers arrivait avec le sien tout ouvert devant lui. La France, en effet, ne devait pas être plus heureuse dans ses opérations diplomatiques que dans ses opérations militaires. La promptitude et la vivacité du sentiment public se manifestaient, de toutes parts, devant l'homme d'État attentif qui tâtait le pouls à l'opinion, et qui constatait, avec une joie profonde, selon les paroles de M. Albert Sorel, qu'à la passion de la guerre avait succédé la passion de la paix. Depuis le jour où M. Jules Favre, acceptant le douloureux mandat qui lui avait été confié par le gouvernement de la Défense nationale siégeant à Paris, était venu à Versailles, seul et sans l'appui technique qu'eût dû lui apporter le général Trochu, pour traiter d'un armistice et de la reddition de Paris, le comte de Bismarck, se sentant sur son terrain, avait mené, avec un art consommé, la campagne diplomatique qui devait être le couronnement de la savante campagne militaire dirigée par le comte de Moltke. Au fond, le gouvernement allemand avait, lui aussi, le désir d'en finir avec la guerre[8]. Il n'avait que peu de chose à gagner à la prolongation de la lutte. Les troupes allemandes occupaient plus de territoire que la politique allemande ne pouvait songer à en conserver. Les dépenses nouvelles, les sacrifices de toute sorte qu'imposait la nécessité de maintenir près d'un million d'hommes en France retomberaient en charges très lourdes sur l'Allemagne, si on dépassait le chiffre de l'indemnité qu'il était possible d'exiger de la France. On avait dit et répété à l'Allemagne que Paris ne tiendrait que quelques semailles, et il avait fallu attendre plusieurs mois la capitulation. M. de Bismarck, lui-même, rappelle, dans ses Souvenirs, l'inquiétude provoquée dans la mère-patrie par la stagnation du siège. On avait affirmé, du moins, que, Paris une fois abattu, la France se livrerait d'elle-même, pieds et poings liés, au vainqueur. Quelle surprise et quelle déception, pour les troupes allemandes, pour les peuples allemands, si, même après cette capitulation, la France ne désarmait pas, et si la guerre de partisans, avec son inconnu et ses harcelantes inquiétudes, succédait à la grande guerre où les états-majors avaient obtenu des succès si clairs et si complets ! Dans le Morvan, en Auvergne, dans le Jura, la défense se prolongerait peut-être longtemps. Des généraux, comme Chanzy et comme Faidherbe, affirmaient qu'on pouvait lutter encore. L'armée commandée par Bourbaki, puis par Clinchant, opérait dans l'Est. Cremer regagnait Lyon, à la tête d'un corps de quinze mille hommes. M. Gambetta s'obstinait dans sa résolution, à la fois farouche et réfléchie, de lutter jusqu'à la dernière cartouche. D'autre part, l'Europe, qui avait assisté d'abord à la défaite de la France, avec satisfaction peut-être, et, en tout cas, avec impassibilité, n'était plus tout à fait dans les mêmes sentiments. Certains cabinets commençaient i réfléchir sur les dangers que ferait courir à l'équilibre européen l'hégémonie incontestée de l'Allemagne. Dès le 30 octobre 1870, l'Autriche-Hongrie avait cru le moment opportun pour intervenir. Son ambassadeur, M. de Wimpfen, avait fait, au nom du comte de Beust, près de M. de Bismarck, une démarche qui avait violemment irrité et beaucoup inquiété celui-ci. La dépêche se terminait, par ces mots : Le cabinet de Vienne n'approuve pas la réserve absolue de l'Europe indifférente. Il considère, au contraire, comme son devoir de déclarer qu'il croit encore à des intérêts généraux européens et à une paix amenée par l'intervention impartiale des neutres. En Angleterre, un mouvement favorable à la France commençait à se produire et avait eu son écho, dans la séance de la Chambre des Communes, du 17 février. Sir Robert Peel avait ouvert le débat en blâmant fortement la politique d'abstention du cabinet Gladstone. M. Torrens avait réclamé, avec beaucoup de netteté, une intervention anglaise. Le moment est venu, avait-il dit, d'adopter une politique plus résolue et d'empêcher que des conditions exorbitantes ne soient imposées à la France. La motion déposée dans ce sens avait été repoussée par la majorité ministérielle cependant, l'impression avait été profonde. M. de Bismarck ne cache pas l'inquiétude que lui inspiraient ces sentiments humanitaires que l'Angleterre exige de toutes les autres puissances, sans, pour cela, les appliquer toujours elle-même. Il surveillait de près l'attitude des neutres, stimulés, dit-il, par les sympathies républicaines de l'Amérique. L'empereur de Russie, qui, au moment de la signature des préliminaires, adressait à l'empereur d'Allemagne un télégramme de félicitations, qui fut une nouvelle blessure pour les vaincus, n'en avait pas moins, en dénonçant les articles 11, 13 et 15 du traité de 1856, concernant la neutralité de la mer Noire et la convention annexe dite des Détroits, réveillé indirectement le sentiment d'une certaine solidarité européenne. Bientôt, d'ailleurs, en vue de régler la difficulté relative à la mer Noire, M. de Bismarck, embarrassé, et obligé de tenir compte de la situation de l'Angleterre, avait dû se rallier à l'idée de la réunion, à Londres, d'une conférence à laquelle la France avait été Conviée, en même temps que les autres puissances ; on avait même ajourné les premières séances, pour permettre à notre plénipotentiaire d'y figurer. Le tribunal arbitral était, en quelque sorte, réuni et constitué. Après avoir longtemps hésité, le gouvernement de la Défense nationale s'était décidé à accepter l'invitation de l'Angleterre. M. Jules Favre fut désigné comme plénipotentiaire et le cabinet de Londres demanda, à Versailles, les laissez-passer nécessaires. Or, M. de Bismarck se souvenait du parti que le prince de Talleyrand avait su tirer, en 1814, du Congrès réuni à Vienne. L'idée de voir l'Europe rogner à l'Allemagne le prix de sa victoire, au moyen d'un Congrès, — ce sont ses propres expressions, troublait ses nuits[9]. Voulant, à tout prix, éviter le départ de M. Jules Favre pour Londres, M. de Bismarck multiplia les incidents et finit par empêcher que l'invitation arrivât en temps utile ; les sauf-conduits qui eussent permis au ministre des affaires étrangères de quitter Paris ne furent pas délivrés. Enfin, le bombardement ayant commencé le 5 janvier, par une belle matinée d'hiver[10], M. Jules Favre refusa de partir. M. de Bismarck était donc arrivé à ses fins. Ces deux points relativement faibles dans la situation si forte de l'Allemagne, la lassitude de la guerre et la coïncidence d'une conférence à Londres, n'avaient pas échappé à la clairvoyance de la délégation du gouvernement de la Défense nationale en province. M. Gambetta avait analysé la - situation dans les lettres qu'il adressait à M. Jules Favre, à la veille même de la reddition de Paris. Il s'était expliqué avec force sur l'avantage que l'on aurait à ne pas joindre la négociation de la paix à celle de la capitulation de Paris : C'est Paris qui est réduit ; ce n'est pas la France. Toute immixtion sur un autre terrain vous amènerait à consentir à l'ennemi des avantages qu'il est loin d'avoir conquis... Et, avec l'autorité que lui donnait une vue juste des situations, il allait jusqu'à dire : Tout ce que vous accomplirez en dehors des intérêts propres de Paris, sans notre consentement ou notre ratification, serait nul et de nul effet. Le jeune tribun, le fou furieux montrait ici la sagacité et la prudence du diplomate le plus expérimenté. Si on croyait l'heure venue de négocier, il fallait aborder le partenaire terrible qu'on avait en face de soi, sans forfanterie certes, mais aussi sans abattement. Or, dans la négociation de l'armistice et depuis la cessation effective des hostilités, toutes les fautes avaient été commises. M. Jules Favre avait traité non seulement au nom de Paris, mais au nom de la France, n'ayant ni prévenu ni consulté la délégation de Bordeaux ; il avait cédé en effet, d'un trait de plume, à l'ennemi, un terrain qu'il n'eût gagné qu'après de longs efforts ; il avait sacrifié l'armée de Bourbaki par une rédaction dont il n'avait même pas compris la portée ; et, surtout, le gouvernement de Paris avait, à propos de l'incident des élections, pris position contre la délégation de Bordeaux, sans se rendre compte de l'intérêt qu'avait la France à ménager, pour la durée de la négociation et même en vue d'une éventualité suprême de rupture, le parti de la résistance et de la guerre à outrance[11]. Si M. Jules Favre et ses collègues du gouvernement de Paris avaient eu plus d'expérience ou une vue plus complète de la situation, et si, surtout, ils ne s'étaient pas laissé acculer à la dernière extrémité pour le ravitaillement de la capitale, ils eussent dû, dès qu'ils prétendaient traiter au nom de la France, réunir le gouvernement tout entier, y compris la délégation de Bordeaux, ou du moins se mettre en relations avec elle et s'entendre avec M. Gambetta. Celui-ci était encore une force, puisqu'il inquiétait M. de Bismarck. Il est vrai qu'alors ç'eût été Gambetta qui fût devenu, par la nécessité des choses, le véritable négociateur. L'antagonisme qui avait éclaté entre les deux fractions du gouvernement avait eu, comme on le voit, sur les premières négociations, les plus déplorables conséquences. Dans les trois semaines qui s'écoulèrent entre la signature de l'armistice et la reprise des négociations pour la paix, d'autres fautes furent commises. M. Gambetta avait dû donner sa démission, le 5 février. Un conflit très vif s'était produit entre le gouvernement de Paris et la délégation de Bordeaux à propos de l'inéligibilité des bonapartistes, inscrite par cette dernière, dans le décret de convocation des électeurs. Devant la volonté formelle du gouverne-meut de Paris de ne faire figurer, dans le décret, aucune clause d'exclusion, M. Gambetta avait résigné ses fonctions. On perdait donc son concours, ses conseils, ceux des généraux, comme Chanzy et Faidherbe, qui partageaient ses vues. Les élections avaient été faites sur cette unique question : guerre ou paix. Or, quand des questions si simples en apparence, si complexes en réalité, sont posées à un corps électoral, mal éclairé ou troublé, c'est souvent contre ses propres intérêts et quelquefois même contre ses propres sentiments qu'il les résout. Une fois l'Assemblée réunie, elle avait commis une faute nouvelle, en laissant débattre devant elle la motion Keller, par laquelle les députés d'Alsace et de Lorraine lui demandaient de déclarer solennellement que l'Alsace et la Lorraine étaient indissolublement attachées au territoire français. C'était prononcer, bien imprudemment, la terrible formule que M. de Bismarck, lui-même, n'avait pas encore voulu produire, et forcer l'Assemblée à désarmer d'avance ses négociateurs par la résolution qu'elle vota : de s'en remettre à leur sagesse et à leur patriotisme. Cette formule était un blanc-seing, comme l'avait fait observer, aussitôt, M. Rochefort. Enfin, M. Thiers, lui-même, qui, depuis l'échec si regrettable de l'armistice du 31 octobre, s'était prononcé nettement pour la paix, n'avait pas su résister à la tentation de faire approuver, d'avance, la politique qu'il allait représenter à Versailles. Par une faute de tactique incompréhensible, il avait mis la situation en' pleine lumière, en forçant, en quelque sorte, l'Assemblée à se prononcer.et en l'enfermant dans le dilemme où on avait déjà placé le pays : Ayez le courage de votre opinion : ou la guerre ou la paix. Le comte de Bismarck était donc aussi renseigné que possible. Il avait vu, tout récemment, un membre du haut clergé français, le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, qui avait assez naïvement plaidé, auprès de lui, la cause du pouvoir temporel du pape. Il l'avait interrogé habilement sur les sentiments du clergé français et de la province, et il avait su à quel point ces sentiments étaient, partout, favorables à la paix[12]. L'habile chancelier n'avait donc qu'à profiter de ses avantages, quand, le 21 février, il vit venir vers lui, à Versailles, M. Thiers, chef du pouvoir exécutif de la République française, seul, chargé et responsable de la négociation. M. Thiers avait désiré ce tête-à-tête si dangereux pour lui. J'ai dit les grandes qualités de M. Thiers, sa rare intelligence et sa grande connaissance des affaires européennes ; cependant, il n'avait ni les aptitudes, ni l'expérience d'un négociateur. Sa seule campagne diplomatique, celle de 1840, s'était terminée par un formidable échec. Au cours des derniers événements, son voyage en Europe n'avait indiqué, en lui, aucune supériorité technique : il semble bien qu'il s'était laissé prévenir par les bons procédés qu'on avait eus pour lui et qu'il n'avait pas su lire dans le jeu des gouvernements auxquels il avait eu affaire. Quoi qu'il en soit, il n'avait rien obtenu. L'Europe avait été pour lui introuvable[13]. Aussi, il ne parait pas s'être préoccupé d'abord de tirer parti de la situation que nous créait la réunion de la Conférence des neutres, à Londres. Ayant pris, comme nous l'avons dit, depuis sa rentrée en France, l'attitude déclarée de chef du parti de la paix, il était, pour ainsi dire, logique avec lui-même en se montrant prêt, d'avance, aux plus grands sacrifices. Il pensait qu'il gagnerait plus en croisant le fer avec l'homme qu'il appelait un sauvage de génie que dans les lenteurs d'une de ces conférences diplomatiques, dont il n'avait pas l'expérience. En cela, même à son point de vue, il se trompait. Ses qualités eussent été mieux à leur place devant un aréopage délibérant sur les conséquences des victoires allemandes. Son éloquence, son intelligence, son âge eussent agi sur un tribunal en quelque sorte arbitral, tandis que ses mérites se heurtaient à la froide tactique de son puissant partenaire. M. Thiers était vif, ouvert et un peu verbeux. M. de Bismarck n'avait pas tardé à reconnaître son point faible. Il le jugeait ainsi devant ses familiers : C'est un homme aimable et habile, spirituel et brillant ; mais ce n'est pas un diplomate ; il est trop sentimental pour cela. Il est incontestablement plus fin que Jules Favre, mais il se laisse, lui aussi, bluffer trop facilement. Il a une regrettable manie ; il fait durer les négociations par des développements qui n'ont rien à y voir...[14] On connait M. de Bismarck : son audace, son astuce, son sang-froid. L'art diplomatique était son art. Observateur attentif, auditeur patient, interrupteur soudain, interlocuteur au parler hésitant mais expressif, son génie s'employait avec une joie sourde à préparer un piège, à circonvenir un adversaire, à le surprendre et à le culbuter : personnalité puissante et tourmentée, oh le sentiment, juste souvent, était contenu et opprimé par la froide raison et par la maestria despotique da métier. Il était toujours sur le pont et travaillait dans tous les costumes, même en caleçon de bain. Ce jouteur redoutable avait battu tous les autres jouteurs, Beust, Gortschakoff, Napoléon III. Dans les négociations, il ne considérait jamais l'homme, mais la cause, jamais les apparences, mais les réalités, jamais la doctrine, mais le gain, jamais le point de vue universel, mais l'intérêt national. Il lui plaisait de négocier avec M. Thiers, parce qu'il aimait les gens d'expérience et qu'il le croyait un adversaire cligne de lui ; mais surtout parce qu'il savait que l'intérêt de l'Allemagne était de traiter, au plus tôt, avec un- gouvernement ayant., en France et devant l'Europe, le plus possible d'autorité et les plus grandes chances de durée. La négociation qui s'engageait maintenant était sa campagne suprême, celle qui couronnait la trilogie dont les deux premiers actes — l'affaire des duchés et la guerre autrichienne — avaient si complètement réussi. Il ne s'agissait plus que de conclure, par une partie magistrale qui ramasserait tous les gains dans le présent et donnerait toutes les sécurités pour l'avenir. M. de Bismarck donc, se préparant à cette heure décisive, avait pris sagement ses dispositions et minutieusement ses précautions ; il était paré du côté de l'Europe ; il avait compris tout le profit qu'on pouvait tirer de la rivalité des partis en France, et même des malentendus existant entre Paris et la province, entre le gouvernement de la Défense nationale et la délégation de Bordeaux ; il avait profité des trois semaines de l'armistice pour consolider partout la situation des années alliées et donner le ton à la presse et à l'opinion publique allemande et européenne ; il avait vu venir, avec une joie profonde, la fin de la période d'armistice qui acculait les négociateurs français à des délais d'une effrayante brièveté. Fait à peine croyable, mais qui est aujourd'hui établi par des révélations incontestables, c'est autour de lui, dans l'entourage de l'empereur, que M. de Bismarck rencontrait les plus sérieuses difficultés. Le 8 février, avait eu lien, chez l'empereur, une conférence à laquelle assistaient le kronprinz, Bismarck, Moltke, Roon, Podbielski, Boyen et Treskow. Il s'agissait de prévoir ce qu'il y aurait à faire au cas où, à l'expiration de l'armistice, la paix ne serait pas signée. Dès le début, l'antagonisme acerbe entre MM. de Bismarck et de Moltke avait éclaté et s'était manifesté si vivement que la médiation sérieuse de l'empereur avait été nécessaire pour apaiser les deux adversaires. M. de Bismarck reprochait aux militaires de faire tout ce qu'il fallait, depuis la convention d'armistice, pour rendre impossible la conclusion prochaine de la paix qu'il considérait comme nécessaire. De son côté, M. de Moltke reprochait à la diplomatie de faire trop d'avances aux Français. M. de Bismarck avait été très ému par ces objections et par cette résistance. Son esprit restait en suspens. Cependant, il inclinait vers la pensée que l'Allemagne ne devrait pas conserver Metz. Il ne considérait pas comme décisives les raisons exposées par les militaires pour annexer cette forteresse. Il estimait qu'il serait suffisant, de la démanteler, et qu'on pourrait établir, en arrière, une autre place de 'sûreté. Les renseignements publiés récemment et qui viennent de
l'entourage du grand-duc de Bade, du kronprinz et des ministres de
l'Allemagne du Sud, confirment une phrase insérée dans les Mémoires de
Busch comme exprimant la pensée de l'homme d'État allemand, au moment où
cette question suprême se débattait : Si seulement,
aurait dit le chancelier lui-même, la France pouvait nous donner un milliard
de plus, nous pourrions peut-être lui laisser Metz et construire une autre
place forte quelques kilomètres plus loin, du côté de Falkenberg et de
Sarrebruck. Nous pourrions aussi lui laisser Belfort, qui n'a jamais été allemand
Je ne tiens pas tant que ça à avoir une quantité de Français chez nous. Mais
les militaires ne voudront jamais entendre parler de l'abandon de Metz, et
peut-être auront-ils raison[15]. Les élections à l'Assemblée nationale, telles qu'elles avaient eu lieu en Alsace-Lorraine (8 février 1871), permettaient de prévoir que l'incorporation des deux provinces à l'empire provoquerait de sérieuses difficultés. Aussi, dans l'entourage de l'empereur, les opinions, au sujet de l'annexion — surtout de la Lorraine, étaient de plus en plus divisées. On examinait avec soin les propositions du prince Adalbert concernant l'acquisition de stations navales et de certaines colonies françaises — Saïgon et la Cochinchine, ou bien la Martinique, Saint-Pierre et Miquelon —, en réclamant au besoin une partie de la flotte française. Mais M. Delbrück, ministre prussien, très habile et très influent, était opposé l cette politique d'expansion coloniale. M. de Bismarck lui-même la jugeait prématurée ; il affirmait que la demande d'une partie de la flotte paraîtrait plus humiliante à la France qu'une plus grande annexion de territoire. La nomination de l'Assemblée nationale avait frappé les esprits à Versailles. On croyait la France plus bas et peut-être aussi plus divisée qu'elle n'apparaissait en réalité. Il ne pouvait plus être question, maintenant, de traiter avec l'empereur Napoléon III, puisqu'une assemblée régulière était constituée. On était donc réellement embarrassé et un peu dégrisé. On se demandait s'il était sage de se laisser entrainer par l'exigence des militaires. Il y eut un moment où, pour employer les expressions mêmes de l'auteur auquel nous empruntons ces détails, on était d'avis, à Versailles, que la négociation serait très difficile et qu'on ne pouvait espérer réaliser le programme entier de l'état-major, en ce qui concernait la cession de territoire. On pensait, qu'il faudrait céder sur Metz. M. de Bismarck qui, maintenant, voulait la paix, sans imposer cette solution, y tendait visiblement. Le kronprinz était de cet avis. Le grand-duc de Bade était sondé pour agir dans le même sens auprès de l'empereur. Celui-ci, pourtant, restait attaché aux vues de l'état-major. Les choses en étaient là, quand M. Thiers arriva à Versailles, le 21 février. Les délais de l'armistice, déjà prolongé, expiraient le 24. M. de Bismarck, en pleine possession de son rôle de négociateur, prit, dès l'abord, une figure décidée. A la demande d'une prolongation formulée, en premier lieu, par M. Thiers, il opposa un refus formel : Je ne suis pas le maitre, dit-il ; on me reproche d'être trop faible ; on recommence la campagne dirigée contre moi, à Prague, et qui me fit tant de mal : on dit que je ne sais pas vous réduire. Bref, j'ai un ordre exprès du roi. Cependant, sur l'insistance de M. Thiers, il se rend près de l'empereur et obtient, à grand'peine, affirme-t-il, une prolongation de cinq jours. Mais, par ce premier engagement, il avait, en quelque sorte, rompu l'effort de son partenaire. Il ne laissa pas encore aborder la question de fond. Connaissant le souci du gouvernement français, il demanda, pour le roi et pour l'armée allemande, l'entrée à Paris. M. Thiers, effrayé, se débattit contre celte exigence, en en montrant tous les périls. Paris était armé, irrité. On allait peut-être au-devant d'une catastrophe. L'attitude de M. de Bismarck resta impassible. Cependant, il finit par indiquer, comme une concession possible, l'occupation d'un quartier extrême de Paris, les Champs-Élysées par exemple. Enfin, M. Thiers dut parler, lui-même, des conditions de la paix. Arrivons maintenant au grand sujet, dit-il au comte. Celui-ci découvrit alors, d'un seul coup, les exigences extrêmes de l'Allemagne : l'Alsace, Metz avec la partie de la Lorraine qui formait le département de la Moselle, une indemnité de six milliards et l'occupation du territoire français pendant le temps nécessaire pour réaliser le versement complet. Il fit allusion à la Savoie et à Nice, qui pourraient être rétrocédées à l'Italie. Il parla de Nancy que l'état-major voulait garder. La discussion fut longue. M. Thiers s'efforçait de dominer son émotion. Il s'attachait à discuter, surtout, la question des milliards de l'indemnité. Le chiffre lui paraissait monstrueux. Ce n'est pas possible, disait-il, ce sont des militaires qui vous ont suggéré ces chiffres et non des financiers. Puis, il revenait sur la question de la Lorraine : Vous ne m'aviez parlé que de la partie allemande, de la Lorraine. — Sans doute, mais il nous faut Metz pour notre sécurité. M. Thiers n'osait conclure : il pensait aux conséquences, si la négociation échouait : la guerre prolongée, de nouveaux désastres ! Il craignait même de donner à penser qu'il repoussât ces conditions. Je vous ai écouté sans mot dire, ajouta-t-il, mais ne croyez pas que j'admette vos demandes. L'Alsace, Metz, ville française, et six milliards, tout cela c'est impossible. Nous discuterons. Si vous me demandez l'impossible, je me retirerai et vous gouvernerez la France. Après qu'on eut décidé de prolonger l'armistice, le rendez-vous fut remis au lendemain. Le lendemain, 22 février, M. Thiers revint seul à Versailles et demanda à voir l'empereur, dans l'espérance d'obtenir de lui quelque concession. Mais l'empereur ne parla que de l'entrée des troupes allemandes dans Paris. Sur les autres points, M. de Bismarck avait pris ses précautions. L'empereur n'aborda pas la question de fond. Le chancelier avait prévenu M. Thiers : L'empereur n'aime pas à parler affaires hors de la présence de ses ministres. M. Thiers vit aussi le kronprinz. Sur ce dernier, son action fut tout autre. Le vieillard, brisé de fatigue et d'émotion, parlant avec éloquence de la guerre qu'il avait voulu écarter, des fautes du gouvernement impérial, des dangers qu'une paix mauvaise ferait courir à l'Europe, toucha l'âme sensible du kronprinz. Il déclara avec énergie que la France ne pouvait supporter la perte de Metz et que, si une pareille condition était maintenue, il fallait recommencer la guerre. Il eut le tort de disperser un peu l'effort de sa discussion, en demandant, en même temps, une diminution sur le chiffre de l'indemnité et en s'opposant à l'entrée des troupes allemandes à Paris. Peut-être M. Thiers ne se rendit-il pas suffisamment compte de l'effet qu'il produisait. Après cet entretien, le prince impérial parut, à son entourage, disposé à lâcher Metz. Le général de Blumenthal, son confident, disait que cela tournait le cœur dans le corps de renoncer à Metz et de quitter Paris avec un pied de nez. L'empereur, sans être dans les mêmes dispositions d'esprit que son fils, conféra, le lendemain 23, avec le grand-duc de Bade. Telle était son émotion de penser qu'il faudrait laisser Metz à la France, qu'il fut difficile de le calmer en lui disant que c'étaient là les premiers sentiments du début des négociations et que, vraisemblablement, Bismarck arrangerait cette affaire selon la volonté de l'empereur. Le grand-duc de Bade suggéra l'idée que, peut-être, l'acquisition du Luxembourg serait préférable. Les choses en étaient là, quand, ce même jour, 23 février, M. Thiers revint a Versailles pour un nouvel entretien avec M. de Bismarck. Il s'était fait, accompagner par M. Jules Favre. M. Thiers engagea alors une longue discussion sur Metz. Il rappela à M. de Bismarck qu'en novembre le chancelier avait promis de le faire rendre à la France : Ce qui était possible en novembre, répondit le comte de Bismarck, ne l'est plus aujourd'hui, après trois mois d'effusion de sang, et, pour frapper le grand coup, il ajouta que, si les plénipotentiaires français n'étaient pas prêts à abandonner Metz, il fallait rompre sur-le-champ. — Nous verrons si nous devons rompre, répondit M. Thiers ; passons aux autres questions. Ce fut la phrase décisive. Un recours à la délégation des quinze membres eût peut-être été une ressource précieuse à ce moment. Quoi qu'il en soit, c'est dans celte journée, après
l'entrevue du matin entre M. de Bismarck et MM. Thiers et Jules Favre, que le
chancelier eut le sentiment que l'Allemagne pourrait garder Metz. Il avait vu tout de suite, dans la manière de M. Thiers et
dans son riche langage, qu'il n'était pas décidé à recommencer de
nouveau la guerre à propos de Metz. Aussitôt après cet entretien, c'est-à-dire dans l'après-midi du 23, M. de Keudell fit savoir, en grande hâte, de la part du comte de Bismarck au grand-duc de Bade, qu'il fallait prendre garde surtout de laisser deviner, par les Français, que l'Allemagne eût consenti, peut-être, à abandonner Metz. Le soir même, M. Thiers réunit la commission et lui fit part des exigences de l'Allemagne et de ses propres appréhensions. Est-il vrai, comme on l'a dit, que le découragement de la commission parlementaire et le désir d'en finir étaient si universels, qu'on se résigna, presque sans débat, à passer par la volonté du vainqueur ? En tout cas, M. Thiers ne trouva, dans ce contact avec la délégation de l'Assemblée, nul réconfort. Un nouvel entretien eut lieu, le 24, entre M. de Bismarck et les plénipotentiaires français. C'est alors que M. Thiers, ému et hors de lui, fit l'effort suprême qui arracha, au calcul tenace de M. de Bismarck, la place de Belfort et la réduction d'un milliard sur le chiffre de l'indemnité : Non, s'écria-t-il, jamais je ne céderai, à la fois, Belfort et Metz. Vous voulez ruiner la France dans ses finances, la ruiner dans ses frontières ! Eh bien ! qu'on la prenne, qu'on l'administre, qu'on y perçoive les impôts, et vous aurez à la gouverner en présence de l'Europe, si elle le permet[16]. M. de Bismarck répondit, enfin, qu'il allait prendre les ordres de l'empereur. Après une absence qui parut bien longue aux plénipotentiaires français, et qui les laissa dans une angoisse inexprimable, après avoir conféré avec M. de Moltke, puis avec l'empereur, il revint avec la concession sur Belfort et sur le chiffre de l'indemnité. La commission parlementaire fut prévenue le soir même et donna son adhésion. Les protocoles furent préparés le 25, et l'acte qui constituait désormais les préliminaires de la paix entre la France et l'Allemagne fut signé, le dimanche 26 février, vers quatre heures[17]. La France renonçait à l'Alsace et à une partie de la Lorraine, conformément à une ligne tracée sur la carte qui avait été publiée en septembre 1870 et qui était annexée au traité. C'était la fameuse carte au liseré vert. Le tracé indiqué n'avait subi que les modifications suivantes : dans l'ancien département de la Moselle, les villages de Sainte-Marie-aux-Mimes, près de Saint-Privat-la-Montagne et de Vionville, à l'ouest de Rezonville, étaient cédés à l'Allemagne ; par contre, la ville et les fortifications de Belfort restaient à la France, avec un rayon qui devait être déterminé ultérieurement. L'indemnité de guerre était fixée au chiffre de cinq milliards. Les clauses relatives à l'occupation du territoire français et à l'évacuation établissaient dés délais selon les dates de versement de l'indemnité. Il était stipulé que les habitants des territoires cédés pourraient librement émigrer et que le gouvernement allemand ne prendrait, contre eux, aucune mesure atteignant leurs personnes ou leurs propriétés. Les prisonniers de guerre devaient être rendus aussitôt après l'échange des ratifications des préliminaires. Les négociations pour le traité de paix définitif devaient avoir lieu à Bruxelles, après la ratification des préliminaires par l'Assemblée nationale et par l'empereur d'Allemagne. Dans une des conventions annexes, il était stipulé que les troupes allemandes entreraient dans Paris et occuperaient le quartier des Champs-Élysées, depuis le 1er mars jusqu'à la ratification. M. Adolphe Thiers et M. Jules Favre signèrent le traité pour la France, et, pour l'Allemagne, le prince de Bismarck. Les représentants de la Bavière, du Wurtemberg et du grand-duché de Bade, introduits au dernier moment, avaient simplement donné leur adhésion. Au moment de signer les préliminaires de la paix, M. Thiers et de Bismarck eurent une conversation sur la situation diplomatique particulière des États de l'Allemagne du Sud. M. Thiers demandait que l'acte des préliminaires de paix fût signé par chacun des souverains alliés et non par M. de Bismarck au nom de toute l'Allemagne. — Voulez-vous effeuiller déjà l'unité allemande ? répondit celui-ci. M. Thiers répliqua : — Ah ! c'est nous qui l'avons faite ! — Peut-être, fit Bismarck avec un haussement d'épaules. Il aurait pu dire : Certes[18]. M. de Bismarck voulut signer avec une plume d'or que les dames d'une ville allemande lui avaient offerte pour la circonstance. M. Jules Favre pu t se souvenir que, le jour de la signature de l'armistice, M. de Bismarck lui avait demandé d'apposer son cachet sur la convention. Le ministre des affaires étrangères se servit d'une bague qui portait un camée où une femme debout, en costume antique, était gravée. Dans son trouble, M. Jules Favre apposa le cachet dans le sens horizontal et M. de Bismarck lui aurait dit : Ah ! Monsieur Jules Favre, vous la renversez, votre République. M. Thiers et M. Jules Favre quittèrent Versailles, à la tombée du jour, pour se rendre à Paris. Remontés en voiture, dit M. Jules Favre, nous ne trouvâmes pas line parole à échanger pendant tout le trajet. Mon cœur était si oppressé qu'il m'étouffait. Immobile et comme foudroyé, M. Thiers succombait à son émotion. De Versailles à Paris, ses yeux ne cessèrent de se mouiller de larmes. Il les essuyait sans dire un mot ; mais il était facile de voir, à l'expression de ses traits bouleversés, qu'il était en proie à l'une des plus ineffables douleurs qu'il soit donné à l'homme de ressentir[19]. L'Alsace avait été réclamée par l'Allemagne, dans les partages qui avaient suivi, en 1556, le démembrement de l'empire de Charles-Quint. Mais, dès cette époque, on avait fait observer que les populations étaient contraires à l'idée de se voir réunies à l'empire germanique. Richelieu l'avait conquise ; Louis XIV avait occupé Strasbourg. Les vœux des populations les avaient rattachées étroitement à l'unité française. La Prusse le reconnaissait elle-même, dans un Mémoire adressé
aux plénipotentiaires européens réunis en Congrès, à l'époque du traité
d'Utrecht. Il est notoire, lisait-on dans ce Mémoire,
que les habitants de l'Alsace sont plus Français que
les Parisiens, et que le roi de France est si sûr de leur affection à son
service et à sa gloire, qu'il leur ordonne de se fournir de fusils, d'épées,
de hallebardes, de pistolets, de poudre et de plomb, toutes fois que le bruit
court que les Allemands ont dessein de passer le Rhin, et qu'ils courent en
foule sur les bords de ce fleuve pour en empêcher ou du moins en disputer le
passage à la nation germanique au péril évident de leurs propres vies comme
s'ils allaient au triomphe... et le Mémoire ajoutait que si on séparait les Alsaciens du roi de France qu'ils
adorent, on ne pourrait lui ôter les cœurs d'autre manière que par une chaine
de deux cents ans[20]. En 1815, une prétention analogue avait été soulevée, également sans succès, par la Prusse. Maintenant, cette politique, préparée de longue main, se réalisait. Par l'habileté de M. de Bismarck, qui avait su écarter l'intervention de l'Europe et ce danger d'un Congrès qui l'inquiétait jour et nuit, on imposait la nationalité allemande à ces peuples, sans les consulter et sans prendre-même l'avis du tribunal suprême européen. On savait que rien n'était changé dans leurs sentiments et M. de Bismarck le disait, lui-même, au Reichstag, le 2 mai 1871, en examinant froidement les raisons de l'éloignement des habitants eux-mêmes pour leur séparation d'avec la France[21]. Quant à la Lorraine, c'était un pays de race et de langue exclusivement françaises. Metz était réuni à la France depuis trois siècles ; rien ne pouvait faire prévoir que ces populations seraient un jour détachées d'un pays auquel elles tenaient par des liens si chers. La France, négligente de ses intérêts traditionnels, s'était faite, en Europe, le champion de la cause des nationalités et de l'indépendance dés peuples. Elle était ainsi récompensée. Vingt ans d'efforts généreux aboutissaient à ce résultat ! Il ne s'agit pas seulement de ces idées libérales, que M. de Bismarck raille si cruellement dans ses Souvenirs, et dont sa vie est la hautaine antithèse. En fait, l'ordre social européen était ébranlé par cette application régressive du droit du plus fort. Un grand progrès accompli était effacé. Depuis 1870, les élèves de Bismarck s'étant multipliés, le travail de la civilisation sur elle-même, dans le sens de l'adoucissement des mœurs internationales, a été suspendu. Il est juste de reconnaître que le prince de Bismarck n'a jamais réclamé, avec la fierté hautaine qui lui est habituelle, quand il s'agit de ses actes même les plus discutables, l'initiative de la décision, en ce qui concerne l'annexion d'une partie de la Lorraine et de Metz : il a toujours affirmé qu'il avait dû s'incliner devant les exigences de l'état-major, et le fait parait démontré aujourd'hui. Son esprit avisé apercevait les dangers d'une politique si excessive. Quoiqu'il eût l'idée invétérée et non contrôlée, parce qu'elle était née de la passion et de l'orgueil, que la France ne peut vivre en paix avec ses voisins, il comprenait le tort que ferait à l'Allemagne, auprès de l'Europe et auprès d'elle-même, l'acte de violence par lequel elle créait, de propos délibéré, entre les deux pays, une cause de conflit perpétuel. Il indique, lui-même, avec beaucoup de sagacité, le point faible de cette politique étroitement annexionniste : la présence, dans l'empire, de populations qui lui restent étrangères. Dans les longues méditations d'un esprit puissant, porté vers les vastes conceptions et vers les œuvres durables, il devait se reprocher le stigmate du provisoire qu'il laissait imposer à son œuvre : M. de Bismarck. il devait éprouver, en dedans de lui-même, le regret d'avoir manqué à un devoir qui lui était apparu clairement, à Versailles comme à Nikolsbourg, celui de rie pas laisser s'accomplir les fautes irréparables. Face à face avec lui-même, il devait éprouver quelque confusion de n'avoir pas osé aborder, pour son triomphe, le véritable problème, à savoir le règlement définitif du grand débat ouvert depuis la mort, du Téméraire, alors qu'il eût pu, peut-être, assurer l'Europe et au nouvel empire qu'il fondait, la paix par une de ces solutions habiles et équitables qui sont toujours renfermées dans les faits et qu'un esprit comme le sien eût été capable de dégager. Ce n'est pas ici le lieu de porter un jugement sur le prince de Bismarck. Sa physionomie puissante a exercé une sorte d'hypnotisme sur la génération de ses contemporains. On discute peu ses actes, parce que le recul du temps manque pour mesurer leurs résultats. Pourtant, on peut observer, dès maintenant, que son génie politique, si puissant, fut incomplet. Tout entier au jeu politique, il est des sentiments dont il ne voulait pas tenir compte. Son principal instrument est la force ; sa devise, dès le début : sanguine et ferro. Son réalisme a surpris l'humanitarisme ambiant ; le militarisme qu'il subissait parfois, a eu facilement raison du parlementarisme général. Il a obtenu des succès qui rompirent l'ordre des idées et des sentiments régnant en Europe, au temps où il a vécu. Il agit révolutionnairement. Mais, révolutionnaire à rebours, il a déposé, au plus intime de sa création, le germe de faiblesse inhérent aux œuvres violentes et insuffisamment pondérées. On a souvent comparé le prince de Bismarck au cardinal de Richelieu. Celui-ci, fin, aristocratique, passionné pour toutes les grandeurs humaines, a développé la France dans le sens du génie national, tandis que l'autre, dur à son propre pays, l'a détourné de ses voies, et l'a, pour longtemps peut-être, dégoûté de l'idéal élevé et sentimental, naturel à cette vieille et noble race germanique. Le dimanche 26 février, M. Thiers signait, à Versailles, le traité devant servir de préliminaire à la paix définitive. Immédiatement, il reprenait le train pour Bordeaux, oh l'Assemblée l'attendait dans une anxiété qu'il est facile d'imaginer. Il y arrivait le 28. Le premier contact du négociateur avec les représentants de la nation eut lieu dans l'un des bureaux de l'Assemblée. Nous avons l'impression d'un témoin : Quelle scène, cher ami, que celle
à laquelle je viens d'assister ! M. Thiers fait partie de mon bureau ; il y
est venu en descendant de wagon, sans passer seulement chez lui, pour nous
rendre compte de ses négociations douloureuses. Nous l'attendions en séance
de bureau depuis près d'une heure. Rien ne peut rendre la grandeur, la
douleur de ce récit qui nous arrachait les larmes ; et quelle éloquence dans
le spectacle de ce vieillard n'ayant pris aucun repos depuis trois jours et
trois nuits, après des débats avec M. de Bismarck et le roi de Prusse qui
duraient jusqu'à dix heures consécutives. Hélas ! les sacrifices dépassent
l'attente de tout le monde !...[22] En séance publique, M. Thiers lut, lui-même, le préambule du traité. Puis, M. Barthélemy Saint-Hilaire donna lecture de la convention. Chacun des articles tombait comme une sentence sur les représentants du peuple assemblés. On s'attendait à tout. Quelques-uns, se souvenant de 1806, redoutaient que l'Allemagne ne demandât des sacrifices d'argent plus importants encore, ne confisquât notre flotte de guerre ou ne tentât de limiter les forces militaires de la France. L'annonce de l'annexion d'une partie de la Lorraine, de Metz et de l'Alsace provoqua une indicible émotion : Nous sommes dans la situation d'un malade qu'on va amputer, écrit le député Martial Delpit. Un brave militaire, placé à côté de moi, me montre sa main mutilée en me disant : Monsieur, j'ai moins souffert quand on m'a coupé ces trois doigts... Après une vaine discussion sur l'urgence, celle-ci fut votée. Le lendemain, 1er mars, eut lieu le débat sur la ratification. La question fut nettement posée : Pouvait-on, oui ou non, utilement continuer la guerre ? C'est M. Louis Blanc qui soutint la thèse de la lutte à outrance. A la grande guerre, il proposa de substituer la guerre de partisans. Et il rappela le souvenir des armées de la Révolution. M. Thiers, s'appuyant sur les résultats de l'enquête à laquelle l'Assemblée elle-même venait de se livrer, démontra l'impossibilité de poursuivre la lutte. Selon lui, ce n'est pas la France qui est impuissante. Il ne doute pas de l'avenir du pays, et l'ennemi non plus, à en juger par les précautions qu'il prend contre la France de demain. Mais c'est son organisation militaire qui a été détruite dès le début de la guerre. Celle-ci a eu deux phases. Pendant la première, jusqu'à Sedan, on a fait la guerre avec des cadres sans soldais, pour ainsi dire. Dans l'impossibilité où on était de porter, en huit jours, de mille à trois mille hommes l'effectif des régiments, au lieu d'envoyer un régiment, on en a envoyé deux ; d'où pénurie de troupes et pléthore de commandement. Qu'est-il arrivé ? Sur 120 régiments, 116 ont été faits prisonniers, à Sedan ou à Metz. C'est ce qui explique que, pendant la seconde période de la guerre, après le 4 Septembre, on s'est battu avec des cadres insuffisants. M. Thiers voit là la cause de la persistance de nos revers. Et il ajoute qu'on n'improvise pas des armées. La Révolution elle-même, qu'on cite souvent, dit-il, n'en a pas improvisé : elle a fait une première guerre avec un homme supérieur, qu'un heureux hasard avait jeté sous sa main, le général Dumouriez, qui commandait l'année royale. C'est avec celte armée que la Révolution a remporté ses premières victoires. Plus tard, elle a eu de longs revers, jusqu'au jour où elle a pu avoir de véritables armées. Un violent incident marqua la suite de la discussion. M. Bamberger, député de la Moselle, développait à la tribune la protestation des Alsaciens-Lorrains contre le traité et disait qu'un seul homme, Napoléon III, devait le signer, quand M. Galloni d'Istria l'interrompit par ces mots : Napoléon III n'aurait jamais signé un traité honteux ! M. Conti, député bonapartiste de la Corse, essaya de prendre la défense de l'empire, et ne réussit qu'à déchaîner le tumulte parlementaire. Le calme se rétablit après le vote de la motion suivante : L'Assemblée nationale clôt l'incident, et dans les circonstances douloureuses que traverse la patrie, en face de protestations et de réserves inattendues, confirme la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le déclare responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France. A la fin de la discussion, M. Thiers dut intervenir pour supplier l'Assemblée de ne pas se laisser détourner de ses pénibles devoirs. Non, non, s'écria-t-il, la France n'a pas voulu la guerre. C'est, vous qui protestez, vous qui l'avez voulue... La vérité se dresse aujourd'hui devant vous, et c'est une punition du ciel de vous voir ici obligés de subir le jugement de la nation qui sera le jugement de la postérité.... MM. Victor Hugo, Louis Blanc, au nom du parti républicain ; Bamberger, Keller, Tachar, au nom des populations menacées d'annexion, prirent la parole contre le projet de loi. Protestation Finalement, l'Assemblée vota la ratification des préliminaires, par 546 voix contre 107 et 23 abstentions. Quand l'Assemblée eut ainsi donné son assentiment aux sacrifices que la nécessité imposait à la nation, une scène pathétique se produisit. Au nom des représentants de l'Alsace-Lorraine, M. Grosjean se leva ; il déposa, sur la tribune, la démission et la protestation de ses collègues des provinces conquises : Livrés, en mépris de toute justice et par un odieux abus de la force, à la domination de l'étranger, nous déclarons, encore une fois, nul et non avenu, un pacte qui dispose de nous sans notre consentement. Vos frères d'Alsace-Lorraine, séparés en ce moment de la famille commune, conserveront à la France, absente de leurs foyers, une affection fidèle, jusqu'au jour où elle viendra y reprendre sa place... M. Grosjean et ses collègues quittèrent la salle des séances. De telles scènes, les leçons qu'elles comportent et les devoirs qu'elles imposent, s'effaceront-elles jamais de la mémoire de la nation ? Un certain nombre de membres du parti républicain, notamment MM. Rochefort, Banc, Benoît Malon, Félix Pyat, donnèrent aussi leur démission, déclarant qu'ils ne voulaient pas siéger un jour de plus dans une Assemblée qui avait livré deux provinces, démembré la France et ruiné le pays. Le texte de la délibération et les pièces nécessaires pour l'échange des ratifications furent dressés rapidement et envoyés en hâte à Paris. Le gouvernement faisait diligence, afin de rendre aussi courte que possible l'occupation d'une partie de Paris par les troupes allemandes. L'échange des ratifications eut lieu, le 2 mars, à quatre heures de l'après-midi. M. de Bismarck fut surpris. Il examina soigneusement l'acte de ratification et en soupesa tous les termes. Il axait compté sur une longue délibération de l'Assemblée nationale, et l'armée allemande avait pris des dispositions en conséquence pour l'occupation de Paris. L'empereur avait fixé au vendredi, 3 mars, son entrée triomphale. Il dut renoncer à cette orgueilleuse satisfaction. Les différents corps d'armée devaient, par groupes de trente mille hommes, se succéder dans la capitale de la France. Le premier groupe, seul, put y pénétrer. Le lendemain, à huit heures du matin, Paris était délivré de la présence de l'ennemi. VI Il restait à l'Assemblée de Bordeaux un devoir à remplir. Elle devait désigner la ville où elle tiendrait dorénavant ses séances et qui deviendrait, par là même, la capitale politique de la France. La guerre finie, Paris ouvert, il fallait trancher cette question. L'Assemblée irait-elle siéger à Paris ? Et, si elle demeurait en province, à quelle distance de Paris et dans quelle ville s'établirait-elle ? Même dans les périodes les plus agitées, les assemblées et les gouvernements sont restés fidèles à Paris. C'est de là, véritablement, qu'on gouverne la France. La France n'est complète que par l'union de la province et de Paris. Mais, après les circonstances que l'on venait de traverser, la grande ville, toute bouleversée encore par les passions et les souffrances du siège, serait-elle assez maîtresse d'elle-même et de ses nerfs pour entourer l'Assemblée du calme nécessaire à ses délibérations ? Celle-ci ne le pensait pas. Pour la première fois, et pour la seule fois peut-être, il y avait un désaccord profond entre la province et Paris. L'espèce de dissociation que la longueur du siège avait produite se traduisait, à la fois, en un sentiment et en une théorie. La majorité de l'Assemblée éprouvait vivement le sentiment où il y avait de la méfiance et de l'appréhension, et elle était prête à appliquer la théorie par une sorte de sentence et de verdict frappant Paris. Paris avait fait la révolution du 4 septembre et formé, de ses représentants, le gouvernement de la Défense nationale : l'Assemblée détestait ce régime. Par l'héroïsme de sa résistance, Paris avait prolongé la lutte ; après la capitulation, il était encore partisan de la guerre à outrance : l'Assemblée voulait la paix immédiate. Paris, aux élections récentes, avait voté pour les radicaux : l'Assemblée était composée en majorité de légitimistes et d'orléanistes. Paris nous envoie tous les quinze ans, par le télégraphe, des révolutions toutes faites, avait dit un député, et un jeune socialiste, Gaston Crémieux, du haut des tribunes publiques, avait répondu par cette apostrophe : A bas les ruraux ! Le 12 lévrier, jour où arrivèrent à Bordeaux les socialistes élus à Paris, MM. Rochefort, Delescluze, Tridon, Malon, Minière, Pyat, — M. Fresneau, député légitimiste du Morbihan, était monté à la tribune pour signaler à l'indignation de l'Assemblée des collègues notoirement couverts du sang des guerres civiles. Les députés de la droite étaient surpris de croiser, dans les couloirs, quelques-uns des hommes qui avaient pris part aux journées du siège, et qui avaient encore, dans les yeux, la fièvre des longs jours de lutte et la colère qu'ils ressentaient, notamment, contre les hommes du ll Septembre. La foule se pressait sur le passage des députés ; elle accueillait les monarchistes par des cris hostiles et, prodiguait ses sympathies aux républicains. La garde nationale, dit-on, se mêlait à ces manifestations. Sur la plainte du marquis de Franclien, le président provisoire, M. Benoist d'Azy, ordonna des mesures militaires qui provoquèrent les protestations de M. Rochefort, député de Paris. Garibaldi, qui avait été également élu par Paris, s'était rendu à l'Assemblée. On s'étonna de sa présence dans la salle. Après que le président eut donné lecture de sa lettre de démission, il demanda la parole. Ce fut une clameur. Le vieux lutteur quitta aussitôt Bordeaux pour Caprera. Victor Hugo, ayant voulu prendre la défense de Garibaldi, fut également mal accueilli. Il donna aussi sa démission. Un autre député de Paris, le colonel Langlois, mal guéri d'une blessure reçue à Buzenval, avait été pris à partie, alors qu'il était à la tribune, et tandis qu'il s'élevait contre la distinction faite par M. Félix Voisin entre l'armée et la garde nationale. Tous ces incidents entretenaient, dans l'Assemblée, une sourde colère contre la capitale. M. Thiers ne croyait pas la situation aussi grave qu'elle l'était en réalité ! Il avait une confiance, assez aveugle d'ailleurs, mais réelle, dans la garde nationale. Cependant, n'ayant à sa disposition ni armée, ni forces de police, sentant ses responsabilités, il hésitait à conseiller le retour à Paris. Le !I mars, il demanda, simplement pour ouvrir la discussion, la translation de l'Assemblée dans une ville plus rapprochée de Paris. La discussion s'ouvrit le 10 mars. La cause de Paris fut habilement défendue par MM. Louis Blanc, Silva et Minière. M. Louis Blanc, sous forme d'avertissement solennel, annonça que le vote qui enlèverait à Paris son rang de capitale, provoquerait la guerre civile : Ce serait pousser Paris à se donner un gouvernement à lui, gouvernement contre lequel l'Assemblée, siégeant ailleurs, ne pourrait rien... ce serait faire sortir peut-être, des cendres de l'horrible guerre étrangère, une guerre civile plus horrible encore... Au contraire, de violents réquisitoires furent prononcés contre la capitale par MM. Fresneau, de Belcastel et Giraud, de la droite. Pour ces fougueux orateurs, Paris est le chef-lieu de la révolte organisée, la capitale de l'idée révolutionnaire. Parlant de la violation périodique des grandes assemblées, ils affirmaient qu'en siégeant sur le pavé de l'émeute, l'Assemblée nationale aurait perdu la sécurité et la liberté de ses délibérations. Le mot a été dit et répété : Paris leur faisait peur. Dans le discours qu'il prononça, M. Thiers conclut en faveur de Versailles. 11 a dit que des raisons stratégiques le déterminèrent. Il voulait avoir toute l'armée disponible sous la main, en cas d'événements graves à Paris. La commission, sur le rapport de M. Beulé, demandait Fontainebleau et les ultras ne voulaient pas dépasser Bourges. Au vote, Paris fut rejeté, par 427 voix contre 154, et Versailles adopté. Fontainebleau, a écrit M. Jules Simon, était une sottise ; Bourges, un attentat ; Versailles, un expédient[23]. La droite de l'Assemblée avait l'arrière-pensée que la restauration monarchique serait possible à Versailles et non à Paris. M. Thiers ayant fait, de cette question, une question constitutionnelle, Paris cessait légalement d'être la capitale de, la France. La crise Cette séance du 10 mars devait avoir une importance plus haute encore, à raison du grave débat que M. Thiers crut devoir soulever au cours de cette discussion, devant l'Assemblée : il s'agissait du régime constitutionnel sous lequel allait vivre le pays. Du jour où l'Assemblée nationale avait ratifié les préliminaires de Versailles, elle avait tranché la première et grave difficulté pour laquelle elle avait été convoquée : elle s'était prononcée pour la paix. Le mandat qu'elle avait reçu était-il plus étendu ? Avait-elle qualité pour décider de la forme du gouvernement ; était-elle constituante ? La question, nous l'avons dit, se posait avec une acuité singulière, et, en France, où la vivacité des passions, l'ardeur des polémiques, l'intransigeance des partis donnent une importance, parfois si excessive, aux dissentiments politiques, ce débat ajoutait une cause d'irritation nouvelle aux cruelles souffrances qui, depuis une année, avaient mis ce malheureux pays à bout de sang, à bout de forces, à bout de nerfs. Le malheur voulait qu'en plus de tant d'autres misères, ce peuple en fût arrivé à cet état d'âme, trop malheureusement justifié, de n'avoir plus confiance en personne. Livré à ses inspirations, à son instinct, il n'avait à compter que sur lui-même, ayant devant lui, en fait de traditions, de croyances, d'illusions ou de préjugés, à proprement parler, table rase. Tous les systèmes pouvaient se produire, toutes les ambitions se donner carrière, tous les appétits se ruer dans la lutte. Une âpre et obscure mêlée se préparait évidemment. Précisément parce qu'elle avait conscience de cette situation affreuse, l'Assemblée ne songeait nullement à résilier ses pouvoirs. Le pays l'avait élue, comme on devait le dire plus tard, dans un jour de malheur : elle avait été le recours suprême quand les maux avaient atteint leur comble. Elle était la fille des douleurs, son apparition était l'aube des jours nouveaux ; elle se croyait nécessaire. On discutait, il est. Vrai, sur l'étendue des pouvoirs qui lui étaient confiés. Mais, au fond, tout le monde comprenait que la nation s'en rapporterait à l'Assemblée, si celle-ci savait dégager, de la crise, les éléments et les conditions de la vie nouvelle. La délégation était réelle si elle n'était pas formelle ; à défaut de mandat, il y avait assentiment ; à défaut de pouvoirs, il y avait puissance. Aux yeux de la grande majorité des Français, l'Assemblée, telle quelle, représentait le pays. En tout cas, cela ne faisait pas doute à ses propres yeux. Cette assurance, la majorité la puisait non seulement dans le vote des électeurs, mais surtout dans ses convictions, dans ses doctrines, dans la croyance où elle était qu'elle était choisie pour rétablir, en France, les vrais principes et, après tant de catastrophes accumulées et d'erreurs diverses, pour jeter les bases d'un système bon et durable. Il y avait assez de sincérité, d'étonnement, de naïveté si l'on veut, dans les cœurs de ces députés, amenés si vivement à la lumière et mis si soudainement à la barre, pour qu'ils se crussent appelés à sauver la France. Le salut était dans la monarchie : voilà quelle était leur seconde conviction et, en outre, — quels que fussent les situations et les intérêts personnels, — la grande majorité pensait que la monarchie, c'était la monarchie légitime, avec la restauration de la branche aisée des Bourbons. Les idées de Joseph de Maistre avaient fait, peu à peu, leur chemin. L'éducation cléricale, qui avait préparé la plupart des esprits distingués de la haute et de la moyenne bourgeoisie, avait eu cet effet. La haine de l'usurpation, développée et irritée par le coup d'État de Napoléon III et par les rigueurs du gouvernement impérial, avait remonté, pour ainsi dire, jusqu'aux journées de Juillet. C'était un cas de conscience, pour les véritables monarchistes, de réparer le mal qui s'était fait en 1830 ; tous déploraient, an fond, l'heure où la robe sans couture avait été déchirée. La restauration de la monarchie légitime, appuyée sur les doctrines catholiques, la soumission empressée aux volontés du Roi, telles étaient les aspirations des membres les plus ardents sinon les plus nombreux de la majorité. Dans les longues heures de l'éloignement et de l'absentéisme, l'expérience de la vie et des réalités faisant trop souvent défaut, ces générations s'étaient rattachées, avec une ardeur immodérée, aux doctrines et aux principes absolus. Il y avait, dans ces dispositions, une foi. Les consciences n'eussent trouvé que là leur repos. A Bordeaux, dès que les premiers contacts furent établis, ces sentiments se firent jour. Ils furent excités et fouettés, eu quelque sorte, par le contact avec une partie de la députation de Paris et des grandes villes. Ces figures singulières, ces attitudes outrées émurent à l'excès des gens rassis ou timides, frais débarqués de leurs provinces. Par crainte de l'anarchie, dont le spectre leur apparaissait, ils se rejetèrent vers la monarchie. Bientôt, les premières tentatives de réalisation pratique se produisirent. Les fers furent mis au feu, et l'on n'attendait que la conclusion de la paix pour précipiter une solution qui paraissait facile et qui était nécessaire, puisqu'elle était le salut. Tous les yeux se tournèrent vers le comte de Chambord. Pour la grande majorité des monarchistes, il était, en vertu du principe de l'hérédité, non pas seulement un prétendant, mais le Roi ! Le comte de Chambord, né le 29 septembre 1820, petit-fils du roi Charles X, était venu au monde huit mois après l'assassinat de son père, le duc de Berry. Sa naissance avait fait reverdir la vieille souche des Bourbons de la branche aînée. Il était l'enfant du miracle. Sa vie s'était écoulée dans l'exil. En 1830, la branche cadette, les Orléans, s'était substituée à la branche aînée et avait remplacé la cocarde blanche par la cocarde tricolore ; elle avait opposé, aux principes de la monarchie légitime, les doctrines de la Révolution. En 1832, la mère du comte de Chambord, la duchesse de Berry, avait essayé de soulever les fidélités bretonnes et vendéennes, pour revendiquer les droits de son fils ; vaincue, traquée, elle avait été cruellement atteinte par le gouvernement du roi Louis-Philippe, M. Thiers étant ministre de l'intérieur. Entre les deux branches de la maison de Bourbon, la rupture était complète. A la mort du roi Charles X, la cour de France n'avait pas pris le deuil. Après 1848, Louis-Philippe, vieilli, avait dit à ses familiers, qui s'interposaient pour amener un rapprochement entre les deux familles royales également exilées : Ce rapprochement ne se fera jamais, parce que, de l'autre côté, on ne fera rien de ce qui sera nécessaire pour le rendre possible. Henri-Charles-Marie-Ferdinand-Dieudonné d'Artois, connu d'abord sous le nom de duc de Bordeaux, était, après la mort de son père, devenu héritier des droits de la maison de France, par suite de l'abdication de Charles X et du désistement de son oncle, le duc d'Angoulême. Il prit, à sa majorité, le nom de comte de Chambord, cette terre lui ayant été donnée, en 1821, par souscription nationale. Depuis le mois d'août 1830, il avait Vécu en exil, d'abord en Écosse, puis en Allemagne, en Autriche, en Italie. Sa destinée errante avait quelque peu effacé sa physionomie, sinon son souvenir, dans la mémoire de la plupart des Français. Par la volonté du vieux roi Charles X, son éducation avait été confiée à des mains illustres et pieuses. Le duc de Montmorency, le marquis de Rivière, le baron de Damas et le général de La Tour Maubourg, s'étaient succédé auprès de lui. Il avait reçu aussi les leçons des deux pères jésuites Deplace et Druilhet ; enfin, celles de l'évêque d'Hermopolis, Mgr Frayssinous ; un précepteur plus intime, l'abbé Trébuquet, avait longtemps tenu son âme ; un serviteur fidèle, le duc de Lévis, était resté près de lui comme un conseiller et un mentor. La religion l'avait dirigé, formé, élevé. Il avait des dons naturels : bien pris, quoique de formes un peu pleines, comme le furent souvent les Bourbons, il avait la figure agréable, le regard calme et droit, le nez fin, la barbe et les cheveux blonds légèrement ondulés. L'ensemble donnait une impression de dignité et de douceur : mais l'œil était vif, scrutateur. Par suite d'un accident de cheval, survenu en 1841, il boitait légèrement. Il est difficile de porter un jugement sur la valeur d'un
prince appelé, par sa naissance, a jouer un grand rôle et qui n'a pas régné :
cette simple constatation est peut-être déjà un jugement. Un de ses maîtres,
qui était aussi un ami, le dépeignait ainsi, au moment où il sortait à peine
de l'adolescence : D'un esprit bouillant, vif,
sagace, il juge avec une finesse bien su-dessus de son âge ; souvent ne
supportant plus l'étude et le travail, il se montre alors fier, difficile,
entêté, mais toujours d'un esprit élevé et poli. Il est aussi reconnaissant
pour ceux qui le reprennent à propos que froid et emporté avec les flatteurs.
Il est, enfin, aussi prompt à réparer une faute qu'à la commettre. Par
la suite, il perdit quelque chose de cette vivacité, de cette irritabilité
que l'on remarquait en lui. Il parait plutôt réservé, hésitant, ombrageux.
L'obstination, par contre, est restée. Il est l'homme d'une idée ; et cette
idée a d'autant plus de force en lui qu'elle se rattache à un système
puissant : la religion catholique. En somme, le comte de Chambord apparaît
comme un prince d'un réel mérite et un parfait honnête homme. L'esprit est droit, cultivé, mais sans grande souplesse ni étendue : par là, encore, Bourbon, plus, il est vrai, de la lignée de Louis XIII et de Louis XIV que de Henri IV. Quand il se livre, sa conversation a du charme et même du piquant. Mais, souvent, il se replie en un silence méfiant : il disait parfois que le plus grand des rois de France c'était Louis XI. Le besoin d'action ne le tourmente pas. Il écrit volontiers ; ses lettres sont nobles et belles ; il est tout entier dans ces paroles qu'il adressait, en 1848, à un républicain français venu pour le saluer à Froltsdorff : Il me dit qu'il n'entreprendrait rien contre les pouvoirs établis, qu'il ne voulait prendre aucune initiative et n'avait aucune ambition personnelle ; qu'il se considérait, en effet, comme le principe de l'ordre et de la stabilité, qu'il entendait maintenir ce principe intact, ne fût-ce que pour le repos futur de la Fiance ; que ce principe était tonte sa force, qu'il n'en avait pas d'autre ; qu'il en aurait toujours assez pour remplir son devoir, quel qu'il fût, et que Dieu, d'ailleurs, lui viendrait en aide. Tel il était, en 1848, à vingt-huit ans, tel il resta jusqu'au bout. Il menait, à Frohsdorff, la vie la plus simple, consacrée à l'étude, à la chasse, aux œuvres de religion et de charité, vivant dans la plus étroite intimité avec sa femme, Marie-Thérèse-Béatrix-Gaëtane, fille aînée du duc de Modène. Physionomie fine, sèche, anguleuse, bandeaux plats, elle avait gardé de son éducation première sur les genoux de la fille de Marie-Antoinette, Madame Royale, une sorte d'appréhension instinctive à l'égard de la France. Volontaire, sourde, elle exerçait son autorité sur l'étroit entourage et veillait jalousement sur la personne et sur le repos du prince. Le ménage n'avait pas d'enfant. Il faut revenir encore vers l'idée dominante qui soutient les longs jours d'un exil à la fois patient et fier : c'est l'idée religieuse. Tout est là. Le comte de Chambord s'est donné à Dieu ; dans un élan mystique, il a reçu, des mains de la Vierge, le scapulaire qui ne le quittera jamais. La foi ne discute pas. Elle accepte les dogmes avec toutes leurs conséquences ; si ce prince doux et grave a eu une aversion, c'est celle de ces hommes qui, placés tout près du tabernacle, en voilent la splendeur et en atténuent les rayons, ces catholiques libéraux, ces hommes habiles dont l'habileté s'emploie à créer des difficultés et non à les résoudre, ces hommes astucieux qui, au lieu de s'en tenir à la simplicité du principe, le compliquent des vaines subtilités pour se donner le mérite de les dénouer[24]. Sa foi politique est la même que sa foi religieuse. Il attend, en lui et par lui, l'œuvre de Dieu. Il y a, dans cette attitude, quelque indolence peut-être ; mais il y a aussi une volonté latente indomptable ; il y a la conviction que le descendant des Bourbons est, sur la terre, le représentant d'un principe, presque d'un dogme ; il y a une confiance absolue et presque résignée dans la force de ce principe, avec une sorte d'animosité permanente contre ceux qui, étant ses défenseurs et ses gardiens naturels, l'ont nié, ou, pis encore, altéré. Le comte de Chambord, disposant d'une majorité dans la majorité, ayant bien en main, par l'organisation de son bureau, la direction d'un parti qui se sentait fort de ses principes et de l'appui du clergé, attendait, avec confiance et dignité, les événements. Il attendait aussi, dans la même attitude réservée et froide, les premières démarches de ses cousins, les princes d'Orléans. Ceux-ci s'appliquaient surtout, alors, à ne pas se laisser oublier. Tandis que le comte de Paris restait à Londres, où il recevait les hommages discrets de personnalités attachées à la fortune de la famille, deux de ses oncles s'étaient présentés aux élections et avaient été élus, le duc d'Aumale, dans l'Oise, et le prince de Joinville, dans la Haute-Marne et dans la Manche. La pensée qui avait dicté cette conduite était évidemment de tenir les autres partis, et surtout le parti légitimiste, en haleine, sinon en alarme. Le duc d'Aumale, dans sa profession de foi aux électeurs
de l'Oise, avait fait des déclarations qui avaient donné if réfléchir aux
purs de la droite : Dans mes sentiments, dans mon passé,
dans les traditions de ma famille, avait-il dit, je ne trouve rien qui me sépare de la République. Si c'est
sous cette forme que la France vent définitivement constituer son
gouvernement, je suis prêt à m'incliner devant sa souveraineté... Monarchie constitutionnelle ou République libérale,
disait-il encore, c'est par la probité politique, la
patience, l'esprit de concorde, l'abnégation qu'on peut sauver la France. Les formules étaient habiles et la tactique inquiétante. Parmi les légitimistes, les plus avisés n'avaient pas pensé qu'il fût sage de laisser les choses s'envenimer. Quoique ce parti fût le plus nombreux dans la droite, il n'avait pas, à lui seul, la majorité dans l'Assemblée. Puisqu'on entrait dans les voies d'une restauration parlementaire, il fallait ménager des suffrages qui, l'heure venue, seraient indispensables. Ainsi, on fut conduit à engager secrètement, et sous le manteau, les premiers pourparlers de la fusion. Ni la chose, ni le nom n'étaient nouveaux. Dès 1853, des tentatives avaient été faites auprès du comte de Chambord. Celui-ci avait paru disposé 't accueillir ses cousins avec bienveillance : il ne lui déplaisait pas de les voir faire acte de soumission. Mais la duchesse d'Orléans avait montré peu d'empressement. Elle entendait se conformer aux directions de son mari, qui avait déclaré, dans son testament, que le comte de Paris devait rester le serviteur passionné et exclusif de la Révolution. Il s'agissait donc de réconcilier non seulement des personnes, mais des principes. En 1857, la question du drapeau avait été posée et, dès
lors, le comte de Chambord avait pris une attitude qui ne pouvait guère
laisser d'illusion à des esprits clairvoyants : Ainsi
que je n'ai cessé de le dire, écrivait-il au duc de Nemours, le 5
février 1857, j'ai toujours cru, et je crois encore,
à l'inopportunité de régler, dès aujourd'hui, et avant le moment où la
Providence m'en imposerait le devoir, des questions que résoudront les
intérêts et les vœux de notre patrie. Ce n'est pas loin de la France et sans
la France qu'on peut disposer d'elle. Cela voulait dire que la branche aînée, détrônée par la branche cadette, n'admettait pas que celle-ci, dans l'exil, lui dictât des conditions. Parmi les princes d'Orléans, les plus clairvoyants, comme le duc d'Aumale, l'entendaient ainsi, et ils n'étaient pas loin de penser, de leur côté, qu'il n'y avait rien à faire avec le comte de Chambord. Les choses en étaient restées au même point, jusqu'au 4 septembre 1870. Mais, aussitôt l'Assemblée réunie, des hommes actifs s'étaient remis à la trame interrompue depuis 1857. Chacun des deux partis monarchiques avait désigné cinq députés pour examiner en commun les conditions de l'union entre légitimistes et orléanistes. Mgr Dupanloup fut choisi pour présider cette sorte de commission extra-parlementaire. Pendant la guerre, le prince de Joinville avait été l'hôte de l'évêque d'Orléans. Celui-ci lui disait : Une restauration orléaniste : nouvelle aventure avec des rancunes éternelles. Il faut, enfin, à ce pays, la stabilité et la grandeur. Au cours des entretiens, qu'il avait eus avec M. Thiers, pour les négociations d'un armistice, sur la fin du mois d'octobre, M. de Bismarck avait dit, comme il devait le répéter, d'ailleurs, au cardinal de Bonnechose, qu'il ne verrait pas d'un mauvais œil une solution bourbonienne rapprochant les partisans du comte de Chambord de ceux du comte de Paris. Il avait fait allusion à une lettre de l'évêque d'Orléans, écrite dans ce sens, que l'on faisait passer par son canal et dont il eût pu prendre lecture. A peine arrivé à Bordeaux, l'évêque d'Orléans écrivait encore, dans le même sens, au prince de Joinville : Une monarchie qui laisserait la maison de Bourbon divisée perpétuerait, avec la douleur de ce triste spectacle, la division du grand parti conservateur et le mal profond de la France... Non, donnez-nous une maison de Bourbon, respectant en elle-même et non pas violant, par des compétitions de personnes, le principe qu'elle représente, et l'évêque humaniste complétait ces objurgations éloquentes par une citation, empruntée à Horace : O navis, referunt in mare te novi fluctus !... Fortiter occupa portum ![25] Les princes d'Orléans ne demandaient pas mieux que d'écouter ce langage et de se ranger à ces conseils. Ils avaient, contre eux, la force des principes. En outre, la composition de l'Assemblée enlevait au comte de Paris toute chance de succès immédiat, puisque, dans le parti monarchiste, la droite légitimiste était la plus forte et, par conséquent, maîtresse du vote décisif. Cependant, ils entendaient faire leurs conditions, sinon pour le présent, du moins pour l'avenir. Et, pour cela, ils manœuvraient habilement, se tenant plus près de l'opinion et du pays que ne pouvait, le faire l'intransigeance du comte de Chambord. Mais, même pour soutenir efficacement cette tactique toute réaliste, ils avaient besoin des voix légitimistes. En effet, deux questions urgentes les préoccupaient, qui dépendaient uniquement d'un vote de l'Assemblée : celle de l'abrogation des lois d'exil, celle de la validation des élections des deux princes, le duc d'Aumale et le prince de Joinville : ceux-ci ne pouvaient rester en France et ils ne pouvaient siéger à l'Assemblée, c'est-à-dire reprendre le contact avec le pays et avec les milieux politiques, que par une double décision de la majorité. Aussitôt élus, les deux princes étaient partis pour Bordeaux. Mais M. Thiers, qu'on oubliait un peu, surveillait le jeu avec une vigilance intéressée. Il avait fait appel au patriotisme des princes et même leur avait laissé entendre qu'ils s'exposaient à se faire arrêter, s'ils essayaient de pénétrer dans l'Assemblée. Se tenant pour avertis, ils n'avaient fait que traverser la France, et avaient poussé jusqu'à Biarritz[26]. C'est là qu'étaient venus les trouver les émissaires de la droite politique et, notamment, le général Ducrot. Entre les deux fractions de la majorité, une négociation précise avait été rapidement engagée, et, après quelques tiraillements, on avait établi une entente et un plan de campagne parlementaire sur les bases suivantes : 1° Abrogation des lois d'exil ; 2° Validation des princes ; 3° Visite du comte de Paris au comte de Chambord. Les princes d'Orléans avaient accepté ce programme. Déjà le duc d'Aumale avait remis au duc Decazes, avec mission de la communiquer aux députés de la droite, mie déclaration du comte de Paris, ainsi conçue : Février 1871. Ce qui se fera en France et par les représentants de la France sera bien fait. Ce qui serait tenté en dehors d'eux serait prématuré et stérile. Je n'ai aucune pensée d'ambition personnelle. Je travaillerai loyalement à la solution qui paraîtra devoir assurer le plus sûrement à la France le gouvernement libre, stable et honnête dont elle a besoin. Si un accord politique se fait, c'est sur la constitution que doivent porter tolites les stipulations. L'important est d'obtenir un appoint pour faire triompher les clauses qui nous garantissent une constitution libérale. Les questions de personnes ne peuvent être l'objet d'aucunes conditions. L'idée de stipuler une abdication est inadmissible. Nous devons la repousser absolument. Il ne faut être ferme que sur les questions de principe, et non sur les questions de personnes. M. Estancelin obtint, en outre, du duc d'Aumale, une déclaration écrite, adressée à Mgr Dupanloup, par laquelle il affirmait que ni lui ni aucun prince d'Orléans ne feraient obstacle au rétablissement de la monarchie légitime. Les conditions de l'entente sont scellées à Biarritz. On remet l'accord plus complet à un rendez-vous ultérieur et qui devait se produire, à Dreux, vers la fin de mars. L'entente paraissait faite. Le comte de Chambord ne pouvait refuser une couronne qui s'offrait à lui. Il embrasserait, avec joie, dans les princes d'Orléans, soumis et même un peu humiliés, des héritiers auxquels cette démarche assurerait un trône. De part et d'autre, on oublierait 183o. La France valait bien cette concession mutuelle. Le système monarchique allait donc reprendre tout son éclat par la restauration de la maison de Bourbon. Les optimistes ne doutaient plus du succès ; les esprits chagrins eux-mêmes suspendaient leur jugement. Au moment où elle quittait Bordeaux pour se rendre à Versailles, la droite croyait bien qu'elle se rapprochait d'une solution, en venant occuper le palais du grand roi. Cependant, il fallait compter avec M. Thiers. La conduite de celui-ci paraissait obscure. On n'aimait et a pas beaucoup l'insistance qu'il avait mise à faire ajouter, au titre de chef du pouvoir exécutif, les mots de la République française. Il était harcelé de questions, et même il était mis en demeure par le parti royaliste. La majorité n'en était pas à proposer la restauration immédiate. Nous avons déjà rappelé la parole de M. le vicomte de Meaux, la vérité est, qu'à ce moment, personne ne croyait la chose possible. J'ai toujours persisté à penser, ajoute-t-il, après trente ans, qu'en effet nous ne le pouvions alors aucunement[27]. Mais on n'eût pas été Mellé d'amener M. Thiers à prendre, de lui-même, l'initiative ; en tout cas, on voulait obtenir, de lui, des déclarations aussi favorables que possible, du moins pour l'avenir. M. de Falloux, qui était depuis longtemps lié avec M. Thiers, l'avait supplié de ne pas manquer à son passé et à ses amis monarchistes. M. Thiers s'était, dès le premier moment, renfermé dans une habile formule qui réservait son adhésion en paraissant l'accorder : Oui, oui, disait-il, nous ferons la monarchie unie. Mais, sentant qu'il ne pouvait se passer du concours des monarchistes et ne voulant pas, cependant, se lier les mains, il avait cru devoir serrer le problème de plus près. Le 15 février, il avait convoqué, chez lui, les membres les plus marquants du parti, le duc de la Rochefoucauld-Bisaccia, le marquis de Juigné, le comte de Juigné et le marquis de Dampierre, et il leur avait exposé son sentiment. Pour apaiser leurs exigences ou pour calmer leur inquiétude, il s'était exprimé en ces termes : J'ai besoin de votre confiance ; il faut que vous m'aidiez à mettre, au milieu de bien des difficultés, notre malheureux pays dans les voies où je voudrais le voir. Nous ne pouvons, en ce moment, que gouverner avec le concours de tous les partis respectables ; il serait périlleux, il serait contraire à toutes les règles du bon sens, à toutes les inspirations du patriotisme, de troubler l'œuvre de réparation que nous avons à accomplir, en songeant à donner le pouvoir à l'un ou à l'autre des partis qui nous divisent et en soulevant ainsi, contre ce parti, les hostilités de tous ceux qui auraient été lésés dans leurs prétentions. Mais il est évident, pour moi, si nous sommes sages, que c'est à la monarchie unie que doit aboutir la prudence que nous allons montrer. Oui, Messieurs, à la monarchie unie, entendez-vous, et pas d'autre. Ces messieurs crurent devoir tenir et garder un procès-verbal de ces paroles ; dans leur désir d'écarter du roi restauré les hostilités de tous les autres partis dont les menaçait M. Thiers, ils acceptaient ses déclarations comme une sorte d'engagement en faveur de la monarchie ; ils fermaient les yeux sur la portée de cette réserve habilement introduite et répétée par M. Thiers : La monarchie unie, entendez-vous, la monarchie unie ! M. Thiers, ayant ainsi conclu avec la droite un arrangement où il y avait, de part et d'autre, plus d'abandon que de confiance, eut l'habileté de faire un. pas de plus et de prendre acte, en public, de l'espèce d'adhésion qu'il avait su obtenir. Dans le discours prononcé, le 10 mars, à l'occasion de la translation de l'Assemblée à Versailles. Il s'exprima en ces termes : Quel est mon devoir, à moi que vous avez accablé de votre confiance ? C'est la loyauté envers tous les partis qui divisent la France et qui divisent l'Assemblée. Ce que nous leur promettons à tous, c'est de n'en tromper aucun ; c'est de ne pas nous conduire de manière à préparer, à votre insu, une solution exclusive qui désolerait les autres partis... Nous avons accepté une : mission écrasante... Nous ne nous occuperons que de la réorganisation du pays... Lorsque le pays sera réorganisé, noua viendrons ici vous dire : Le pays, vous nous l'avez confié sanglant, couvert de blessures, vivant à peine ; nous vous le rendons un peu ranimé ; c'est le moment de lui donner sa forme définitive, et je vous en donne la parole d'un honnête homme : aucune des questions qui auront été réservées, n'aura été altérée par une infidélité de notre part. C'est ce qu'on a appelé le pacte de Bordeaux. Si on complète cette déclaration par l'entretien da 15 février, on voit que M. Thiers escomptait le coin cours de la droite monarchiste dans l'entreprise de réorganisation qu'il abordait ; par contre, il lui laissait le temps d'essayer de réaliser, entre les deux branches. de la dynastie, cette union qu'il considérait comme une condition sine qua non du succès. Au fond, de part et d'autre, on entretenait un malentendu volontaire. Il y avait, dans l'attitude de M. Thiers, à la fois de l'habileté, de la sagesse et quelque ironie. On jouait au plus fin. Mais, à ce jeu, la droite risquait d'être battue par le rusé vieillard. L'Assemblée nationale tint sa dernière séance Bordeaux le 11 mars 1871, et décida de se réunir, le 20 mars, à Versailles. M. Thiers se rendit, en toute hâte, à Paris, où il arriva le 15 mars. |
[1] Ch. DE MAZADE, Monsieur Thiers (p.
369).
[2] Discours à l'Assemblée
nationale du 19 février 1871.
[3] V. l'Éloge d'Ernest Picard,
prononcé à la conférence des avocats à la Cour d'appel, par M. Léon BÉRARD, 6 décembre 1902. — Voir aussi
un article de M. A. BERL, dans le journal le Temps,
du 2 novembre 1889.
[4] Georges PICOT, M. Dufaure, sa vie et ses
œuvres, Paris, Hachette, in-12.
[5] SOREL, Histoire diplomatique de
la guerre franco-allemande (t. II, p. 62).
[6] Voir la citation dans Bismarck
démasqué (p. 253). — Cf. L. SCHNEIDER, L'Empereur Guillaume. Souvenirs
intimes (t. II, p. 301).
[7] Voir Ottokar LORENZ, Kaiser Wilhelm und die
Begründung des Reichs (1866-1871), Iéna, 1902, in-8° (p. 473).
[8] Cela ressort maintenant avec
toute évidence du chapitre des Souvenirs de M. DE BISMARCK, intitulé Versailles
(t. II, p. 132). Voir aussi tous les textes réunis dans Alfred DUQUET, Paris, la Capitulation
(p. 2 et suivantes). Dès le mois d'octobre, le chancelier avait fait pressentir
l'évêque d'Orléans pour savoir s'il accepterait d'être l'intermédiaire entre le
roi de Prusse et le gouvernement de la Défense nationale : Abbé LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup
(t. III, p. 205).
[9] Je
redoutais déjà, à Versailles, a-t-il écrit lui-même avec une grande
précision, je redoutais que la participation de la
France aux conférences de Londres, relatives aux clauses dit traité de Paris
concernant la nier Noire, ne fût utilisée pour greffer, avec l'audace dont
Talleyrand avait fait preuve à Vienne, la question franco-allemande sur les
discussions prévues par le programme. C'est pour ce motif que, malgré mainte
intercession, j'ai mis en œuvre les influences du dehors et celles dur pays
pour empêcher Jules Favre d'assister à cette conférence. (Souvenirs,
II, p. 374.)
[10] Dépêche du roi Guillaume à la
reine Augusta.
[11] VALFREY, Histoire de la Diplomatie
du gouvernement de la Défense nationale, troisième partie (p. 38 et
suivantes).
[12] Mgr BESSON, Vie du cardinal de
Bonnechose, archevêque de Rouen (t. II, p. 150). Voir aussi Ottokar LORENTZ, loc. cit. (p. 518).
[13] GABRIAC, Souvenirs diplomatiques
(p. 15 et suivantes).
[14] Maurice (Moritz) BUSCH, Les Mémoires de Bismarck
(t. II, p. 183).
[15] Mémoires recueillis par BUSCH (t. I, p. 322). — Cf. Ottokar
LORENTZ,
loc. cit. (p. 520 et s.). Les dissentiments entre l'état-major sont
confirmés par ce passage des Souvenirs, de Louis SCHNEIDER, sur l'Empereur Guillaume
(t. III, p. 212) : Les conditions de l'armistice et
les adoucissements successifs qui y furent apportés, étaient déjà l'objet de critiques
très vives de la part de l'état-major. Mais on blâma formellement ce qui suivit
(c'est-à-dire les négociations avec M. Thiers). Au
point de vue militaire, on se plaignait de voir le chancelier de l'Empire
n'écouter ni conseils, ni vœux.. De l'autre côté, on faisait des variations sur
le thème : Cedant arma logæ.
[16] L'Angleterre était intervenue
auprès de M. de Bismarck, par un télégramme du 24 février, pour obtenir un
adoucissement sur le montant de l'indemnité. Voir Jules FAVRE (t. III, p. 100).
[17] J'ai à peine besoin de dire
que tous les renseignements qui figurent au texte proviennent de sources
absolument sûres. Comparer les Notes et Souvenirs de M. THIERS, le récit de Jules FAVRE, Gouvernement de la Défense
nationale (t. III, p. 98), avec celui d'Ottokar LORENZ (loc. cit., p. 521).—
Voir aussi BUSCH, Mémoires ; les Souvenirs de M. BISMARCK, etc.
[18] Ottokar LORENZ (p. 526).
[19] Jules FAVRE (t. III, p. 118).
[20] LAMBERTY, Mémoires pour servir à
l'Histoire du XVIIIe siècle (t. V, p. 282).
[21] Discours (t. III, p.
420).
[22] Marquis DE DAMPIERRE, Cinq années de vie
politique (p. 22).
[23] Jules SIMON, Le Gouvernement de M.
Thiers (t. I, p. 93).
[24] C'est évidemment Mgr Dupanloup
qui est visé. Voir SAINT-ALBIN, Histoire de Henri V
(p. 370-71).
[25] Abbé LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup
(t. III, p. 225).
[26] E. DAUDET, Le duc d'Aumale (p.
204).
[27] Dès les premiers jours de la session de Bordeaux, la droite se réunissait, sous la présidence de M. Audren de Kerdrel, dans les salons de M. Journu, député de la Gironde. Un jour, M. de Belcastel ayant voulu parler des chances de retour de la monarchie légitime, avec la franchise qui était la plus belle qualité de son caractère et de son talent, le président Kerdrel l'arrêta court et traita sa motion d'imprudente, avec un ton d'irritation et d'aigreur qui me parut inspiré par une prudence excessive, dans une réunion qui comptait tous les légitimistes de l'Assemblée. Baron VINOLS, Mémoires (p. 19).