MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE MON TEMPS

TOME HUITIÈME — 1847-1848.

CHAPITRE XLVIII. — LES RÉFORMES POLITIQUES ET LA CHUTE DU MINISTÈRE DU 29 OCTOBRE 1840 (1840-1848).

 

 

Je touche aux derniers jours et à la dernière crise de la lutte des systèmes et des partis politiques qui, de 1830 à 1848, se sont déployés, parmi nous, dans les Chambres, dans la presse, dans les élections, dans les conversations, dans toutes les manifestations et sous toutes les formes de la pensée, de la volonté, de l’imagination et de l’ambition publiques. C’est sur la question des réformes à apporter dans notre régime électoral et parlementaire que cette crise suprême a éclaté. En retraçant, dans ces Mémoires, les principaux événements qui ont rempli ces dix-huit années et la part que j’y ai prise, je me suis proposé d’en écarter toute polémique rétrospective et de présenter constamment les faits dans tout leur jour, et les hommes, adversaires ou amis, sous leur meilleur jour. En agissant ainsi, j’ai obéi à mon penchant plutôt que je n’ai exécuté un dessein : la longue et laborieuse expérience de la vie politique m’a enseigné, non pas le doute, mais l’équité. Je dis l’équité, non pas la modération, mot banal, ni l’indulgence, mot impertinent, qui n’exprimeraient pas ma pensée. Dans les temps de profonde fermentation sociale et morale, quand les nations et les âmes sont violemment agitées, il y a, dans les opinions et les conduites les plus diverses, plus de sincérité et de désintéressement qu’on ne croit ; la part de l’erreur est immense, infiniment plus grande que celle des mauvais desseins ; la vérité se brise en fragments épars, et chacun des acteurs politiques en saisit quelqu’un, comme dit Corneille,

Suivant l’occasion ou la nécessité,

Qui l’emporte vers l’un ou vers l’autre côté[1].

Les esprits en effet s’emportent alors en tous sens, attirés par les lueurs qui brillent et les perspectives qui s’ouvrent dans un ciel obscur et orageux, et la conscience suit l’esprit dans ses emportements. J’ai vécu longtemps, comme l’un des acteurs, dans cette mêlée des idées et des hommes ; j’en suis sorti depuis longtemps ; et aujourd’hui, spectateur tranquille du passé comme du présent, je reste aussi fermement attaché que jadis aux convictions qui ont dirigé ma conduite, mais peu surpris que des hommes d’un esprit éminent et d’un cœur honnête aient obéi à des convictions différentes. La crise suprême que j’ai en ce moment à retracer est, de tous les événements de ce passé, celui qui me rend le plus difficiles cette vue sereine et cette juste appréciation des faits et des hommes ; le dénouement en a été si grave et si douloureux que toute mon âme s’émeut et se soulève à ces souvenirs. Je veux pourtant et j’espère, à cette dernière heure, rester fidèle à la disposition que, jusqu’ici, j’ai gardée sans effort en écrivant ces Mémoires. Aujourd’hui, tous les partis, je pourrais dire tous les hommes qui, n’importe en quel sens et dans quelle mesure, ont pris part à la révolution de février, sont, comme moi, des vaincus. Nul d’entre eux, à coup sur, ne se doutait de l’abîme où la diversité de nos idées et de nos efforts devait sitôt nous jeter tous.

Je voudrais marquer avec précision le point où nous en étions tous et quelle était la vraie disposition de tous les partis à l’approche de la catastrophe qui nous a fait subir, à tous, de tels coups et de tels mécomptes.

Le cabinet et ses amis politiques avaient une pensée et un dessein bien déterminés. Ils aspiraient à clore en France l’ère des révolutions en fondant le gouvernement libre qu’en 1789 la France s’était promis comme la conséquence et la garantie politique de la révolution sociale qu’elle accomplissait. Nous regardions la politique qui, à travers des incidents passagers, avait prévalu en France depuis le ministère de M. Casimir Périer, comme la seule efficace et sûre pour atteindre ce but. Cette politique était réellement à la fois libérale et anti-révolutionnaire.

Anti-révolutionnaire, au dehors comme au dedans, car elle voulait au dehors le maintien de la paix européenne, au dedans celui de la monarchie constitutionnelle. Libérale, car elle acceptait et respectait pleinement les conditions essentielles du gouvernement libre, l’intervention décisive du pays dans ses affaires, la discussion constante et vivante, dans le public comme dans les Chambres, des idées et des actes du pouvoir. En fait, de 1830 à 1848, ce double but a été atteint. Au dehors, la paix a été maintenue, et je pense aujourd’hui comme il y a vingt ans, que ni l’influence ni la considération de la France en Europe n’y avaient rien perdu. Au dedans, de 1830 à 1848, la liberté politique a été grande et forte ; de 1840 à 1848 spécialement, elle s’est déployée sans qu’aucune nouvelle limite légale lui ait été imposée. Si je disais sans réserve ma pensée, je dirais que, non seulement les spectateurs impartiaux, mais la plupart des anciens adversaires de notre politique reconnaissent aujourd’hui, dans leur pensée intime, la vérité de ce double fait.

La politique que nous soutenions et pratiquions ainsi avait son principal point d’appui dans l’influence prépondérante des classes moyennes : influence reconnue et acceptée dans l’intérêt général du pays, et soumise à toutes les épreuves, à toutes les influences de la liberté générale. Je ne discute pas ici le système ; j’exprime le fait, et je n’en atténue ni l’importance, ni le caractère. Les classes moyennes, sans aucun privilège ni limite dans l’ordre civil, et incessamment ouvertes, dans l’ordre politique, au mouvement ascendant de la nation toute entière, étaient, à nos yeux, les meilleurs organes et les meilleurs gardiens des principes de 1789, de l’ordre social comme du gouvernement constitutionnel, de la liberté comme de l’ordre, des libertés civiles comme de la liberté politique, du progrès comme de la stabilité.

A la suite de plusieurs élections générales dont la liberté et la légalité ne sauraient être sérieusement contestées, et sous le coup de graves débats incessamment répétés, l’influence prépondérante des classes moyennes avait amené, dans les Chambres et dans le pays, la formation d’une majorité qui approuvait la politique dont je viens de rappeler les caractères, voulait son maintien et la soutenait à travers les difficultés et les épreuves, intérieures ou extérieures, que lui imposaient les événements. Cette majorité s’était successivement renouvelée, recrutée, affermie, exercée à la vie publique, et de jour en jour plus intimement unie au gouvernement comme le gouvernement à elle. Selon la pente naturelle du gouvernement représentatif et libre, elle était devenue le parti conservateur de la politique anti-révolutionnaire et libérale dont elle avait, depuis 1831, voulu et secondé le succès.

Le gouvernement parlementaire, forme pratique du gouvernement libre sous la monarchie constitutionnelle ; l’influence prépondérante des classes moyennes, garantie efficace de la monarchie constitutionnelle et des libertés politiques sous cette forme de gouvernement ; le parti conservateur, représentant naturel de l’influence des classes moyennes et instrument nécessaire du gouvernement parlementaire : tels étaient, dans notre profonde conviction, les moyens d’action et les conditions de durée de la politique libérale et anti-révolutionnaire que nous avions à cœur de pratiquer et de maintenir.

C’était cette politique, telle que nous la concevions et pratiquions avec le concours harmonique de la couronne, des Chambres et des électeurs, que l’opposition voulait changer, et c’était pour la changer qu’elle réclamait les réformes électorale et parlementaire. Ces réformes étaient moins un but qu’un moyen : provoquées par l’état intérieur du parlement bien plus que par le besoin et l’appel du pays, elles devaient avoir pour résultat de défaire, dans la Chambre des députés, la majorité qui y prévalait et le parti conservateur qu’elle avait formé, soit en en expulsant, par l’extension des incompatibilités, une partie des fonctionnaires publics qui y siégeaient, soit en y appelant, par l’extension du droit de suffrage, des éléments nouveaux et d’un effet inconnu. Nous n’avions, en principe et dans une certaine mesure, point d’objection absolue et permanente à de telles réformes ; l’extension du droit de suffrage et l’incompatibilité de certaines fonctions avec la mission de député pouvaient et devaient être les conséquences naturelles et légitimes du mouvement ascendant de la société et de l’exercice prolongé de la liberté politique. Mais dans le présent, ces innovations n’étaient, selon nous, ni nécessaires, ni opportunes. Point nécessaires, car depuis trente ans les événements avaient prouvé que, par les institutions et les lois actuelles, la liberté et la force ne manquaient point à l’intervention du pays dans ses affaires. Point opportunes, car elles devaient apporter de nouvelles épreuves et de nouvelles difficultés dans ce qui était, à nos yeux, le plus actuel et le plus pressant intérêt du pays, la pratique et l’affermissement du gouvernement libre encore si nouveau lui-même parmi nous. Là étaient à la fois la cause et la limite de notre résistance aux innovations immédiates qu’on demandait.

L’opposition, je l’ai déjà dit, n’avait pas, comme le cabinet et le parti conservateur, l’avantage d’être toute entière animée d’un même sentiment et de se conduire dans un même dessein ; elle contenait des éléments profondément divers dans leurs principes comme dans leurs buts ; et chaque fois qu’une grande question d’institutions politiques était soulevée, ces diversités se révélaient dans leur vérité et leur gravité. Elles apparurent clairement, quels que fussent les ménagements et les réticences, dès que les réformes électorale et parlementaire furent à l’ordre du jour. Depuis 1840, et c’était là l’un de nos progrès, les insurrections et les conspirations pour le renversement de la monarchie de 1830 avaient cessé ; de temps en temps, les tentatives d’assassinat du roi se renouvelaient, comme d’odieuses et sournoises protestations contre le régime établi ; hors de ces crimes personnels, les partis renfermaient dans l’arène parlementaire leurs luttes et leurs espérances ; mais là même ils avaient soin qu’on ne se méprît pas sur leur vraie pensée et le vrai sens de leurs efforts ; nous étions en présence d’une opposition qui se déclarait loyalement monarchique et dynastique, et d’une opposition qui, sous un voile transparent, se laissait voir, s’avouait même républicaine. En dehors des Chambres et du corps électoral, ces deux oppositions avaient, l’une et l’autre, leur public et leur armée, très divers et divisés comme les deux états-majors, mais activement unis contre le cabinet, le parti conservateur et sa politique.

Homogène dans son intention générale, l’opposition monarchique et dynastique ne l’était point dans ces dispositions plus instinctives que volontaires qui sont comme le fond des âmes et qui les gouvernent presque à leur insu. Elle comptait dans ses rangs des hommes qui, depuis 1830, avaient plusieurs fois approuvé, soutenu, pratiqué eux-mêmes la politique dont le cabinet du 29 octobre 1840 se portait l’héritier. Avec eux siégeaient et votaient des hommes qui avaient constamment blâmé et combattu cette politique, soit qu’elle fût entre les mains de M. Casimir Périer, de M. Thiers, de M. Molé, ou dans les miennes. Dans les premiers, soit élévation d’esprit et lumières acquises par l’expérience, soit modération et prudence de caractère, l’esprit de gouvernement avait pris place à côté du goût des institutions libres ; ils en comprenaient les conditions et voulaient, au fond, le succès de la politique conservatrice. Ils nous reprochaient de pousser trop loin cette politique, de la proclamer trop haut, de ne pas faire aux goûts populaires et à l’imagination nationale assez de concessions, d’en faire trop aux étrangers. Les seconds, tout en souhaitant le maintien de la monarchie de 1830, étaient encore profondément imbus des maximes et des traditions très peu monarchiques de 1791, les ménageaient respectueusement dès qu’ils les rencontraient, et accusaient le gouvernement du roi d’avoir faussé la révolution de 1830 en trompant ses espérances de monarchie républicaine. Personnellement, les premiers étaient, parmi nos adversaires, les plus éclairés et les plus habiles ; comme parti, les seconds étaient les plus puissants et les plus redoutables, car ils étaient ceux qui trouvaient, dans les instincts involontairement révolutionnaires d’une portion considérable du pays, le plus de sympathie et d’appui.

L’opposition républicaine n’était ni moins homogène dans son principe, ni plus homogène dans sa composition que l’opposition monarchique. Elle comptait des républicains systématiques qui répudiaient les folies démagogiques comme les crimes de notre révolution, et prenaient, dans les États-Unis d’Amérique, les exemples de leur république. Auprès d’eux marchaient des républicains fanatiques, admirateurs immobiles de la république une et indivisible de 1793, asservis aux traditions de la Convention nationale, et qui persistaient à célébrer les odieux et aveugles tyrans de cette époque comme les sauveurs et les plus grands hommes de la France. A la suite de ces deux groupes venaient toute sorte d’audacieux et ingénieux rêveurs qui aspiraient, non seulement à réformer le gouvernement, mais à transformer la société elle-même, son organisation civile et domestique aussi bien que ses institutions politiques, des socialistes, des communistes, des apôtres de théories économiques, les unes despotiques, les autres anarchiques, tous ardents à lancer dans un avenir inconnu les passions avec les espérances populaires. Quelque divers que fussent ces éléments du parti, ils se ralliaient tous sous un même drapeau et dans un même effort vers un même but, le suffrage universel et la république.

Malgré leurs ménagements mutuels d’attitude et de langage, ces deux oppositions ne prétendaient pas dissimuler leur profonde diversité ; elles entendaient se servir d’instrument l’une à l’autre, et, dans leur alliance, poursuivre chacune son propre but : l’une, le maintien de la monarchie constitutionnelle en la réformant un peu au gré de l’autre ; celle-ci, le triomphe de la république en préparant, à la faveur des réformes, la révolution qui devait l’amener. Mais de 1840 à 1847, elles continrent l’une et l’autre, dans l’arène parlementaire, leur travail à la fois concentrique et distinct. Dans ce travail, les deux réformes indiquées, l’une pour diminuer dans la Chambre des députés le nombre des fonctionnaires, l’autre pour accroître le nombre des électeurs, marchèrent d’un pas inégal ; la première seule attira d’abord l’attention. En abaissant le cens électoral de 300 à 200 francs, la loi du 19 avril 1831 avait, sur ce point, satisfait au sentiment de l’opposition elle-même ; et au moment où il demandait un abaissement plus considérable, un député très attentif à ménager la faveur populaire, M. Mauguin disait : Quand même vous n’abaisseriez le cens qu’à 200 francs, vous auriez une Chambre qui représenterait l’opinion de la France, et elle serait le pays le plus libre du monde[2]. De 1831 à 1839, les pétitions en faveur de la réforme électorale furent rares et écartées sans grand débat ; évidemment la question ne préoccupait point le pays. Celle de la réforme parlementaire obtint de bonne heure un peu plus de faveur : dès 1831, des propositions furent faites pour diminuer dans la Chambre le nombre des fonctionnaires ; mais le moyen proposé fut indirect, grossier et subalterne ; on demanda que les fonctionnaires élus fussent, pendant la durée des sessions législatives, privés de tout ou partie du traitement attaché à leurs fonctions. De 1831 à 1839, la réforme parlementaire reparut onze fois sous cette forme. Elle fut, en 1839, l’objet d’un sérieux examen et d’un remarquable rapport de M. de Rémusat, au nom d’une commission où siégeaient MM. de Tocqueville, de Sade et Odilon Barrot, et qui en proposa unanimement le rejet. Mais, en écartant le moyen, la commission ne repoussa point le but, et sans se prononcer définitivement, le rapporteur laissa clairement entrevoir qu’il était, ainsi que ses amis, favorable à l’extension des incompatibilités parlementaires.

De 1840 à 1847, les deux questions devinrent plus sérieuses, mais sans vive insistance au début, et encore inégalement. Le cabinet formé le 1er mars 1840 sous la présidence de M. Thiers les écarta de son programme, et ce fut sous cette réserve positivement exprimée que je restai, à cette époque, ambassadeur à Londres[3]. Sur la réforme électorale, dit M. Thiers en ouvrant le débat qui devait décider de l’existence de son cabinet, la difficulté sera grande dans l’avenir ; je ne le méconnais pas ; elle ne l’est pas aujourd’hui. Pourquoi ? Y a-t-il, parmi les adversaires de la réforme électorale, quelqu’un qui, devant le corps électoral, devant la Chambre, et j’ajouterai devant la charte, ait dit : Jamais ? Personne. La charte, et j’eus l’honneur d’être présent à la conférence où cet article de la charte a été discuté, la charte a exclu le cens électoral du nombre des articles qui la composent. Pourquoi ? Parce qu’on a compris que l’abaissement du cens devait être l’ouvrage du temps et du progrès des esprits, lorsque la population plus éclairée serait digne de concourir en plus grand nombre aux affaires de l’État. Personne, devant le corps électoral, devant la Chambre, n’a dit : Jamais. A côté de cela, même parmi les partisans de la réforme, y a-t-il des orateurs qui aient dit : Aujourd’hui ? Aucun. Tous, j’entends dans les nuances moyennes de la Chambre, ont reconnu que la question appartenait à l’avenir, qu’elle n’appartenait pas au temps présent[4].

Quelques mois auparavant, en traitant de la réforme parlementaire, M. de Rémusat avait tenu le même langage : Les questions qui touchent en quelque chose au système électoral ne peuvent être traitées, avait-il dit, qu’en vue d’une élection prochaine. Les innovations en ce genre, quelque mesurées qu’elles soient, annoncent, préjugent, amènent une dissolution. Il serait possible d’ailleurs que l’examen de la question spéciale de l’admission des fonctionnaires dans la Chambre eût pour effet d’atteindre moralement la situation parlementaire que d’honorables collègues doivent tout ensemble à leur mérite, à la loi et à leur pays. Ce sont là des motifs puissants pour ajourner un examen définitif, pour laisser le temps aux opinions de s’éclairer, aux préjugés de s’évanouir, pour léguer enfin aux sessions futures une question qu’il suffira d’avoir élevée dans celle-ci[5].

Quand le ministère du 1er mars 1840 fut tombé et entré dans l’opposition, il devint plus pressé et plus pressant : personne ne pouvait s’en étonner ; il avait renvoyé les deux questions à l’avenir, et l’avenir arrivait rapidement. Quand le ministère du 29 octobre 1840 lui eut succédé, du 20 février 1841 au 8 avril 1847, la réforme parlementaire et la réforme électorale furent proposées et discutées dans la Chambre des députés, la première sept fois, et la seconde trois fois. Je n’ai garde de reproduire ici les débats dont elles furent l’objet ; ils sont écrits partout ; le cabinet les repoussa constamment, point au nom d’aucun principe général ni d’aucune résolution permanente, mais comme inutiles et inopportunes dans l’intérêt du gouvernement libre que nous travaillions à fonder. Sur la réforme électorale en particulier, je développai deux fois avec soin les conditions sociales et politiques qui, dans le présent, me décidaient à la combattre[6]. L’opposition monarchique et l’opposition républicaine restèrent, l’une et l’autre, dans leur opinion et leur situation bien connues. L’opposition monarchique attaqua, avec un redoublement d’ardeur, notre politique générale, intérieure ou extérieure, comme contraire aux sentiments du pays, et elle réclama les deux réformes comme le moyen à la fois efficace et légal de la changer. L’opposition républicaine porta la question plus loin et dans un autre avenir : elle affirma le suffrage universel comme la seule base légitime du droit électoral : Son jour viendra, dit M. Garnier-Pagès[7]. C’était montrer la république en perspective, et pour arriver à la république, une révolution. A l’aspect de telles idées et de telles chances, la Chambre des députés repoussa constamment les deux propositions. Elles furent même, à la dernière tentative de 1847, écartées à de plus fortes majorités qu’elles n’en avaient rencontré auparavant. Ce n’était cependant pas là un symptôme exact des dispositions et du mouvement des esprits dans la Chambre des députés elle-même : les deux réformes venaient d’être proposées immédiatement après les élections générales de 1846, moment peu opportun, de l’aveu récent de l’opposition elle-même, pour de telles innovations ; cette circonstance ne fut pas étrangère à l’accroissement de la dernière majorité qui les rejeta. Le gros du parti conservateur continuait de les repousser comme inutiles, prématurées, et propres uniquement à affaiblir la monarchie constitutionnelle au profit de ses ennemis déclarés ; mais les élections avaient amené dans la Chambre quelques membres nouveaux qui, pour réussir dans leur candidature, s’étaient présentés à la fois comme conservateurs et comme réformateurs, et qui gardaient dans l’assemblée cette attitude complexe et flottante : quoique peu nombreux, ce petit groupe, qui se donnait le nom de conservateurs progressistes, était remuant et bruyant. Non pas la conviction, mais la lassitude, et avec la lassitude quelque inquiétude gagnaient, dans les rangs de la majorité, quelques esprits modérés et prudents : il n’y avait, disaient-ils, point de bonnes raisons pour réclamer ces innovations ; mais il n’y en avait pas non plus de bien impérieuses pour les refuser encore longtemps. On pressentait que, par le cours régulier des idées et des faits, elles ne tarderaient pas beaucoup à obtenir, dans la Chambre et dans une certaine mesure, la majorité.

Mais l’impatience et l’imprévoyance, ces deux fatales maladies de tant d’acteurs politiques, gagnèrent les deux oppositions qui, dans des desseins très divers, attaquaient de concert le cabinet et le parti conservateur. L’opposition monarchique ne se résigna pas à attendre encore, de la lutte des pouvoirs constitutionnels, une victoire paisible. L’opposition républicaine jugea le moment favorable pour porter la lutte dans les régions d’où elle se promettait de tirer la force qui lui manquait dans les Chambres. D’un commun accord, les deux oppositions résolurent d’appeler à leur aide l’agitation extérieure ; la question passa de l’arène parlementaire dans le champ des passions populaires ; aux débats de la tribune succédèrent les banquets.

De la fin de la session de 1847 à l’ouverture de celle de 1848, ils tinrent la France dans un état de fièvre continue : fièvre factice et trompeuse en ce sens qu’elle n’était pas le résultat naturel et spontané des vœux et des besoins réels du pays ; vraie et sérieuse en ce sens que les partis politiques qui en avaient pris l’initiative trouvèrent, dans une portion des classes moyennes et du peuple, une prompte et vive adhésion à leur provocation. Commencés le 9 juillet 1847 par celui du Château-Rouge à Paris, les banquets se renouvelèrent pendant six mois dans la plupart des départements, à Colmar, Strasbourg, Saint-Quentin, Lille, Avesnes, Cosne, Châlons, Mâcon, Lyon, Montpellier, Rouen, etc., avec des circonstances et sous des physionomies à la fois pareilles et diverses, où éclataient le profond désaccord des provocateurs en même temps que l’unité et l’entraînement de la provocation. Dans les uns, d’un consentement préalable entre les représentants des divers partis, le nom du roi et tout témoignage d’adhésion au gouvernement de 1830 furent passés sous un complet silence ; dans d’autres, l’opposition monarchique réclama un toast en l’honneur du roi ; mais l’opposition républicaine s’y refusa, et l’opposition monarchique se relira du banquet pour aller obtenir ailleurs le toast royal qu’elle désirait, et devant lequel une partie de l’opposition républicaine se retirait à son tour. Dans plusieurs villes, les révolutionnaires asservis aux souvenirs de la Convention nationale firent éclater sans réserve leur admiration pour ses plus tyranniques et sanguinaires chefs, Danton, Robespierre, Saint-Just. Ailleurs ce furent les Girondins et les élans de la politique oratoire ou poétique qui obtinrent les honneurs de l’apothéose. A l’occasion des premiers banquets, les radicaux exclusifs avaient blâmé l’alliance de l’opposition républicaine avec l’opposition monarchique et avaient refusé de s’y associer ; mais ils s’aperçurent bientôt que le vent qu’on avait déchaîné soufflait dans leurs propres voiles, et ils reprirent, dans quelques-uns des banquets suivants, non seulement leur place mais une influence prépondérante, en ouvrant à leur tour les perspectives des réformes sociales les plus sympathiques aux passions populaires. Les républicains modérés firent quelques efforts pour se distinguer de ces compromettants associés ; plusieurs des principaux chefs de l’opposition monarchique refusèrent de prendre part aux banquets. Mais à travers toutes ces diversités, toutes ces précautions de conduite et de parole, dans cet incohérent et transparent chaos, le caractère de l’événement fut partout le même et de plus en plus évident : laquelle des oppositions ainsi entrées en scène serait l’instrument et la dupe de l’autre ? Telle fut la question clairement posée et presque aussitôt résolue que posée. Je lis dans l’Histoire de la Révolution de 1848, par M. Garnier-Pagès, cet honnête et clairvoyant récit ; l’opposition monarchique et l’opposition républicaine venaient de conclure leur alliance pour le banquet du Château-Rouge : Sortis de chez M. Odilon Barrot, les membres radicaux de la réunion marchèrent quelque temps ensemble. Arrivés sur le boulevard, à la hauteur du ministère des affaires étrangères, ils allaient se séparer :Ma foi, dit en ce moment M. Pagnerre, je n’espérais pas, pour nos propositions, un succès aussi prompt et aussi complet. Ces messieurs voient-ils bien où cela peut les conduire ? Pour moi, je confesse que je ne le vois pas clairement ; mais ce n’est pas à nous radicaux de nous en effrayer. — Vous voyez cet arbre, reprit alors M. Garnier-Pagès ; eh bien, gravez sur son écorce le souvenir de ce jour ; ce que nous venons de décider, c’est une révolution[8]. M. Garnier-Pagès ne prévoyait pas que la république de 1848, aussi bien que la monarchie de 1830, périrait à son tour, et bien vite, dans cette révolution.

Charmés de voir la lutte ainsi transportée dans leur domaine, tous les journaux de toutes les oppositions soutinrent, commentèrent, fomentèrent ardemment les banquets. Avec les mêmes dissidences, les mêmes petits combats intérieurs qui se manifestaient entre leurs patrons, mais aussi avec une violence bien plus ouverte et un ascendant bien plus déclaré de l’élément révolutionnaire sur l’élément monarchique. En présence de cette fermentation ainsi aggravée, nous nous demandâmes s’il ne fallait pas interdire complètement les banquets ; le premier avait eu lieu sans obstacle ; l’opposition pouvait se prévaloir de l’exemple de quelques banquets précédents spontanément réunis, dans d’autres circonstances, sous le drapeau conservateur. Nous résolûmes de laisser à la liberté de réunion son cours et d’attendre, pour combattre le mal, qu’il fût devenu assez évident et assez pressant pour que le sentiment du public tranquille réclamât l’action du pouvoir en faveur de l’ordre menacé. Ce sentiment ne tarda pas à s’éveiller au sein du parti conservateur ; mais, à côté de celui-là, un autre sentiment parut, moins favorable à la résistance. M. de Morny vint me voir un jour et me parla de la situation avec quelque inquiétude, même avec quelque hésitation dans ses propres vues : Prenez-y garde, me dit-il ; je ne dis pas que ce mouvement soit bon, mais il est réel ; il faut lui donner quelque satisfaction. Dans quelle mesure ? Je ne sais pas ; mais il y a quelque concession à faire. Plusieurs de nos amis le pensent sans vous le dire ; si vous ne vous y prêtez pas, on hésitera, on se divisera. M. de Morny avait jusque-là, et dans des occasions délicates, fermement soutenu le cabinet ; je le savais homme d’esprit et de courage ; j’allai droit, avec lui, au fond des choses : Vous me connaissez assez, lui dis-je, pour ne pas supposer qu’à les considérer en elles-mêmes, j’attache aux réformes dont on parle une importance capitale ; quelques électeurs de plus dans les collèges et quelques fonctionnaires de moins dans la Chambre ne bouleverseraient pas l’État. Je ne me fais pas non plus illusion sur la situation du cabinet ; il dure depuis bien longtemps ; les assiégeants sont impatients ; et parmi nos amis assiégés avec nous, quelques-uns sont las et voudraient bien un peu de repos. S’il ne s’agissait que de cela, ce serait facile à arranger. Mais ne vous y trompez pas ; l’affaire n’est plus dans la Chambre ; on l’en a fait sortir ; elle a passé dans ce monde du dehors, illimité, obscur, bouillonnant, que les brouillons et les badauds appellent le peuple. C’est là qu’elle se débat en ce moment, par les banquets et les journaux. Là, ce ne sont plus les réformistes, ce sont les révolutionnaires qui dominent et font les événements. — Je le sais bien, reprit M. de Morny, et c’est à cause de cela que je suis inquiet ; si ce mouvement continue, si on va où il pousse, nous arriverons je ne sais où, à quelque catastrophe ; il faut l’arrêter à tout prix, et on ne le peut que par quelque concession. — Retirez donc la question, lui dis-je, des mains qui la tiennent aujourd’hui ; qu’elle rentre dans la Chambre ; que la majorité fasse un pas dans le sens des concessions indiquées ; si petite qu’elle soit, je vous réponds qu’elle sera comprise, et que vous aurez un nouveau cabinet qui fera ce que vous croyez nécessaire. La physionomie de M. de Morny devint soucieuse : C’est aisé à dire, reprit-il ; mais ce sera là bien autre chose que la retraite du cabinet ; ce sera la défaite, la désorganisation plus ou moins profonde, plus ou moins longue, du parti conservateur. Qui sait ce qui en résulterait ? et qui voudra se faire l’instrument d’un tel coup ? Évidemment l’idée de sortir de son camp, et de se séparer, pour un avenir si incertain, des amis avec lesquels il avait jusque-là combattu, lui déplaisait fort : Je vous comprends, lui dis-je ; mais à coup sûr vous comprenez aussi que ce n’est pas moi qui me chargerai de cette œuvre. Qu’une majorité nouvelle en décide ; si la question rentre dans la Chambre, c’est au groupe réformiste qu’il appartient de la vider.

Je m’arrête ici un moment pour dire quelques mots d’un reproche qu’on m’a souvent adressé, et qui n’est pas dénué de vérité, quoiqu’il manque complètement de justice. Je ne me préoccupais, a-t-on dit, que des questions et des luttes parlementaires, point des intérêts et des aspirations populaires ; mes pensées et mes efforts se renfermaient dans les Chambres et me faisaient oublier le pays ; je faisais tout pour les  désirs et la prépondérance des classes moyennes, rien pour la satisfaction et le progrès du peuple. Je repousse ces mots, tout d’une part et rien de l’autre ; je résumerai tout à l’heure, en terminant ces Mémoires, les mesures prises et les innovations accomplies par le gouvernement de 1830, au profit de toutes les classes, dans les campagnes comme dans les villes, pour le bien-être moral et matériel du peuple ; les esprits tant soit peu équitables reconnaîtront que ni la sympathie, ni les succès efficaces en ce sens n’ont manqué à cette laborieuse époque. Mais je conviens que la fondation de la liberté politique a été ma première pensée. J’étais et je demeure convaincu que les principes et les actes de 1789 ont apporté, dans la société civile, les réformes essentielles ; la révolution sociale est accomplie ; les droits de la liberté et de l’égalité civile sont conquis ; mais, après cette grande œuvre, la conquête de la liberté politique est restée incomplète et précaire. C’est surtout vers cette liberté-là, vers l’exercice des droits qui la prouvent et l’affermissement des institutions qui la garantissent qu’ont été dirigés les efforts auxquels j’ai eu l’honneur de prendre quelque part. Mais cette cause est celle de la nation tout entière aussi bien que de telle ou de telle classe de citoyens ; la liberté politique est aussi nécessaire aux petits qu’aux grands, aux pauvres qu’aux riches, aux ouvriers qu’aux bourgeois ; sans la liberté politique, la sécurité et la dignité manquent également aux  libertés civiles. Dans l’état actuel de notre société, quand je me suis surtout préoccupé de la fondation du gouvernement libre, j’ai voulu et cru servir le premier intérêt du peuple, de son bonheur et de ses progrès.

J’ajoute que, lorsqu’il s’agit de donner satisfaction aux vœux populaires, il y a un danger et un tort que les hommes d’honneur et de sens doivent avoir à cœur d’éviter : c’est le tort et le danger de promettre plus qu’on ne peut tenir et de dire plus qu’on ne fait. Ce genre de charlatanisme m’a toujours été particulièrement antipathique ; il tourne bientôt au détriment du pouvoir qui s’en sert et du peuple qui s’y confie.

Je reviens aux banquets de 1847 et à la situation qu’ils faisaient au gouvernement et au pays.

Ils portaient le trouble et l’inquiétude autour du roi et à la cour, aussi bien que dans les Chambres et dans le public. Les gens de cour, je ne veux pas dire les courtisans, car ils ne le sont pas tous, là aussi il y a souvent plus de sincérité et de désintéressement qu’on ne pense, les gens de cour, dis-je, sont, dans la politique, des spectateurs très intéressés, très préoccupés de ce qui se fait ou se passe, et pourtant très oisifs ; ils assistent de très près aux événements grands ou petits, et ils n’y exercent aucune influence publique et dont ils aient à répondre ; ce sont des acteurs qui ne vivent que dans les coulisses. Situation fausse qui excite vivement la tentation de se mêler, d’influer, et qui ne donne que des moyens indirects et cachés de la satisfaire. Dans les monarchies absolues, la cour est le chemin et le théâtre de la puissance ; dans les gouvernements libres, elle devient, pour les vrais et sérieux acteurs politiques, tantôt un embarras fatigant, tantôt un appui compromettant ; mais elle n’est pas sans importance, soit comme embarras, soit comme appui. Je ne manquais pas, à la cour du roi Louis-Philippe, de partisans et d’amis sincèrement attachés à notre politique ; mais j’y trouvais aussi des désapprobateurs, des mécontents, des adversaires plus ou moins déclarés ; et plus, dans le pays et dans les Chambres, la situation devenait grave, plus, à la cour, les inquiétudes des uns et les espérances des autres devenaient vives et s’efforçaient de ne pas être vaines. Dans la famille royale elle-même, les idées n’étaient pas unanimes ; le roi Louis-Philippe y régnait et gouvernait bien seul, en maître aussi bien qu’en père ; mais il décidait des actions plus qu’il ne dominait les esprits ; ceux des princes ses fils qui ne pensaient pas tout à fait comme lui se soumettaient, mais avec indépendance ; et même contenues, les dispositions des princes ne laissent pas de percer et de peser sur la politique qui n’a pas leur assentiment. Je ne me dissimulais pas les inconvénients et les périls de ces dissidences domestiques au milieu de la grande lutte publique que nous soutenions ; je trouvais quelquefois au roi l’air soucieux et abattu. Avant de nous engager et de l’engager lui-même dans les difficiles épreuves de la session qui approchait, je voulus sonder sa disposition et le mettre parfaitement à l’aise sur celle du cabinet : Que le roi, lui dis-je un jour, ait la bonté d’y penser sérieusement ; la situation est grave et peut provoquer des résolutions graves ; on a réussi à donner à cette question de la réforme électorale et parlementaire une importance qu’en soi elle n’a pas, mais qui, dans l’état des esprits, est devenue réelle ; il n’est pas impossible que le roi soit obligé de faire à cet égard quelque concession. — Que me dites-vous là ? s’écria-t-il avec un mouvement de vive impatience ; voulez-vous, vous aussi, m’abandonner, moi et la politique que nous avons soutenue ensemble ?Non, Sire ; personne n’est plus convaincu que moi de la bonté de cette politique, et plus décidé à lui rester fidèle ; mais le roi le sait par sa propre expérience ; il y a, dans le gouvernement constitutionnel, des moments difficiles, des désagréments à subir, des défilés à passer. C’est sur le roi lui-même, je le reconnais, non sur ses ministres, que pèsent les situations de ce genre ; les ministres qui n’y conviennent pas peuvent et doivent se retirer ; le roi reste et doit rester. Si la question qui agite en ce moment le pays plaçait le roi dans une nécessité semblable, il y aurait pour lui plus de déplaisir que de danger ; il trouverait dans les rangs de l’opposition des conseillers qui lui sont sincèrement attachés, et qui accompliraient probablement ces réformes dans une mesure conciliable avec la sûreté de la monarchie. Et si cette mesure était dépassée, si les nouveaux conseillers du roi ne contenaient pas le mouvement après l’avoir satisfait, si la politique d’ordre et de paix était sérieusement compromise, le roi ne tarderait pas à retrouver, pour la relever, l’appui du pays. — Qui me le garantira ? Qui sait où peut me mener la pente où l’on veut que je me place ? On est près de tomber quand on commence à descendre ; avec votre cabinet, je suis à l’abri des mauvais premiers pas. — Pas autant que je le voudrais, Sire ; le cabinet est bien attaqué ; il l’est non seulement dans la Chambre, dans le public ardent et bruyant ; il l’est quelquefois auprès du roi lui-même, dans sa cour, plus haut encore peut-être. — C’est vrai, et je m’en désole ; ils ont même inquiété et troublé un moment mon excellente reine ; mais soyez tranquille, je l’ai bien raffermie ; elle tient à vous autant que moi. — J’en suis bien heureux, Sire, et bien reconnaissant ; mais tout cela fait pour le cabinet une situation bien tendue ; s’il doit en résulter une crise ministérielle, il vaut mieux, infiniment mieux que la question soit résolue avant la réunion des Chambres et leurs débats. Aujourd’hui le roi peut changer son cabinet par prudence ; la lutte une fois engagée, il ne le changerait que par nécessité. — C’est précisément là ma raison pour vous garder aujourd’hui, s’écria le roi ; vous savez bien, mon cher ministre, que je suis parfaitement résolu à ne pas sortir du régime constitutionnel et à en accepter les nécessités, même déplaisantes ; mais aujourd’hui il n’y a point de nécessité constitutionnelle ; vous avez toujours eu la majorité ; à qui céderais-je en changeant aujourd’hui mes ministres ? Ce ne serait pas aux Chambres, ni au vœu clair et régulier du pays ; ce serait à des manifestations sans autre autorité que le goût de ceux qui s’y livrent, et à un bruit au fond duquel il y a évidemment de mauvais desseins. Non, mon cher ministre, si le régime constitutionnel veut que je me sépare de vous, j’obéirai à mon devoir constitutionnel ; mais je ne ferai pas ce sacrifice d’avance et par complaisance pour des idées que je n’approuve pas. Restez avec moi, défendez jusqu’au bout la politique que tous deux nous croyons bonne ; si on nous oblige à en sortir, que ceux qui nous y obligeront en aient seuls la responsabilité. — Je n’hésite pas, Sire ; j’ai cru de mon devoir d’appeler toute l’attention du roi sur la gravité de la situation ; le cabinet aimerait mille fois mieux se retirer que de compromettre le roi ; mais il ne l’abandonnera point.

Il n’y a dans cet entretien pas une idée, pas un mouvement, je pourrais dire pas une parole qui ne soient restés gravés dans ma mémoire, et que je ne reproduise avec une scrupuleuse fidélité.

Au moment où, dans de telles circonstances et de telles dispositions, la session allait s’ouvrir, les oppositions résolurent de clore ce qu’on appelait dès lors la campagne des banquets par un nouveau et solennel banquet réuni à Paris pour pousser jusqu’au bout, en présence des Chambres, les mêmes manifestations et les mêmes attaques ; tous les députés qui avaient pris part à quelqu’un des banquets précédents y devaient être invités.

Le cabinet posa nettement dans le discours de la couronne les faits et les questions : Au milieu de l’agitation que fomentent des passions ennemies ou aveugles, une conviction m’anime et me soutient, dit le roi : c’est que nous possédons dans la monarchie constitutionnelle, dans l’union des grands pouvoirs de l’État, les moyens assurés de surmonter tous ces obstacles et de satisfaire à tous les intérêts moraux et matériels de notre chère patrie. Maintenons fermement, selon la charte, l’ordre social et toutes ses conditions ; garantissons fidèlement, selon la charte, les libertés publiques et tous leurs développements : nous transmettrons intact aux générations qui viendront après nous le dépôt qui nous est confié, et elles nous béniront d’avoir fondé et défendu l’édifice à l’abri duquel elles vivront heureuses et libres.

Je ne retrouve pas sans une émotion profondément douloureuse ces trop confiantes paroles. Ma confiance était grande, en effet, quoique mon inquiétude fût vive. Ce fut là à cette époque, et je suis persuadé qu’ils ne m’en désavoueront pas, l’erreur commune de tous les hommes qui, dans les rangs de l’opposition comme dans les nôtres, voulaient sincèrement le maintien du gouvernement libre dont le pays entrait en possession. Nous avons trop et trop tôt compté sur le bon sens et la prévoyance politique que répand la longue pratique de la liberté ; nous avons cru le régime constitutionnel plus fort qu’il ne l’était réellement ; nous avons trop exigé de ses éléments divers, royauté, chambres, partis, bourgeoisie, peuple ; nous n’avons pas assez ménagé leur caractère et leur inexpérience. Il en est des nations comme des individus : les leçons de la vie virile sont plus lentes et coûtent plus cher que ne l’imaginent les présomptueuses espérances de la jeunesse.

J’ai déjà rappelé dans ces Mémoires, à mesure que les questions se sont présentées, les débats qui s’élevèrent, à l’ouverture de cette session, sur les principaux faits de notre politique extérieure et intérieure, les affaires de Suisse et d’Italie, le gouvernement de l’Algérie, les accusations de corruption électorale et parlementaire, etc. Je n’y reviens pas. Trois faits nouveaux et décisifs, la résolution définitive du cabinet quant aux réformes demandées, sa conduite à l’occasion du nouveau banquet projeté à Paris, et sa chute terminèrent, dans l’arène constitutionnelle du moins, cette courte et tragique lutte. Ce sont les seuls faits qui me restent à retracer et à caractériser.

Le dernier paragraphe de l’adresse proposée par la commission de la Chambre des députés, en réponse au discours du trône, contenait cette phrase : Les agitations que soulèvent des passions ennemies ou des entraînements aveugles tomberont devant la raison publique éclairée par nos libres discussions, et par la manifestation de toutes les opinions légitimes. Dans une monarchie constitutionnelle, l’union des grands pouvoirs de l’État surmonte tous les obstacles, et permet de satisfaire à tous les intérêts moraux et matériels du pays. Après d’ardents débats, la Chambre avait voté à une forte majorité[9] la première partie de cette phrase, jusqu’à ces mots inclusivement : La raison publique éclairée par nos libres discussions. Un membre, du petit groupe réformiste qui s’était séparé du parti conservateur, M. Sallandrouze, proposa de substituer à la dernière partie un amendement ainsi conçu : Au milieu des manifestations diverses, votre gouvernement saura reconnaître les vœux réels et légitimes du pays. Il prendra, nous l’espérons, l’initiative des réformes sages et modérées que réclame l’opinion publique, et parmi lesquelles il faut placer d’abord la réforme parlementaire. Dans une grande monarchie constitutionnelle, l’union des grands pouvoirs de l’État permet de suivre sans danger une politique de progrès et de satisfaire à tous les intérêts moraux et matériels du pays.

Invité à m’expliquer sur l’amendement, je fis plus : je jugeai que le moment était venu d’exprimer hautement la pensée générale du cabinet et l’intention de sa conduite, actuelle et future, dans la question si ardemment poursuivie. Nous n’avions, je l’ai déjà dit, point de répulsion permanente pour les réformes proposées ; mais nous ne pensions pas qu’au milieu de la fermentation hostile au gouvernement tout entier qu’on avait suscitée en leur nom, elles fussent opportunes, ni qu’il convînt à un cabinet conservateur de les accueillir quand la grande majorité du parti conservateur les repoussait. Nous étions bien résolus, d’un côté, à sortir du pouvoir dès que la moindre majorité en faveur de ces concessions apparaîtrait dans la Chambre ; de l’autre, à ne pas nous faire les instruments de la défaite et de la désorganisation de l’ancienne majorité si elle persistait dans la politique générale que nous avions soutenue ensemble. Dans l’état des choses, le sort de cette politique dépendait du sort du parti qui lui avait prêté foi et force. La fidélité aux idées et aux amis est l’une des conditions vitales du gouvernement libre ; mais elle n’entraîne point l’immobilité du gouvernement lui-même : quand les idées et les alliances changent, les personnes aussi doivent changer. Ce fut en vertu de ces maximes et pour les mettre en pratique que je pris la parole : Si je ne me trompe, dis-je, ce qui importe et ce qui convient à tout le monde dans la Chambre, c’est qu’il n’y ait ni perte de temps, ni obscurité dans la situation et dans les paroles. Je viens donc, sans que ce débat se prolonge davantage, dire ce que le ministère croit pouvoir dire et faire aujourd’hui dans la question dont il s’agit.

Après ce qui s’est passé naguère dans le pays, en présence de ce qui se passe en Europe, toute innovation du genre de celle qu’on vous indique, et qui aboutirait nécessairement à la dissolution de la Chambre, serait, à notre avis, au dedans une faiblesse, au dehors une grande imprudence. Et la politique conservatrice, nous en sommes convaincus, en serait, au dedans, comme au dehors, gravement compromise.

Aujourd’hui donc, pour des mesures de ce genre, le ministère croirait manquer à tous ses devoirs en s’y prêtant.

Le ministère croirait également manquer à ses devoirs s’il prenait aujourd’hui, à cette tribune et pour l’avenir, un engagement. En pareille matière, Messieurs, promettre c’est plus que faire ; car en promettant on détruit ce qui est et on ne le remplace pas. Un gouvernement sensé peut et doit quelquefois faire des réformes, il ne  les proclame pas d’avance ; quand il en croit le moment venu, il agit ; jusque-là, il se tait. Je pourrais dire plus : je pourrais dire, en m’autorisant des plus illustres exemples, que jusque-là il combat ; plusieurs des grandes réformes qui ont été opérées en Angleterre l’ont été par des hommes qui les avaient combattues jusqu’au moment où ils ont cru devoir les accomplir.

En même temps que je dis cela, le ministère ne méconnaît pas l’état des esprits, ni dans le pays, ni dans la Chambre ; il ne le méconnaît pas et il eu tient compte. Il reconnaît que ces questions doivent être examinées à fond et vidées dans le cours de cette législature.

Ce que vous me demandez en ce moment, dans votre pensée, c’est ce que fera le ministère le jour où viendra définitivement cette question, dans le cours de cette législature ; vous me demandez quel parti il prendra, quelle conduite il tiendra. Voilà votre question ; voici ma réponse.

Le maintien de l’unité du parti conservateur, le maintien de la politique conservatrice et de sa force, voilà ce qui sera l’idée fixe et la règle de conduite du cabinet. Le cabinet regarde l’unité et la force du parti conservateur comme la garantie de tout ce qui est cher et important au pays. Il fera de sincères efforts pour maintenir, pour rétablir, si vous voulez, sur cette question, l’unité du parti conservateur, pour que ce soit le parti conservateur lui-même, et tout entier, qui en adopte et en donne au pays la solution. Si une telle transaction dans le sein du parti conservateur est possible, si les efforts du cabinet dans ce sens peuvent réussir, la transaction aura lieu. Si cela n’est pas possible, si, sur ces questions, le parti conservateur ne peut parvenir à se mettre d’accord et à maintenir la force de la politique conservatrice, le cabinet laissera à d’autres la triste tâche de présider à la désorganisation du parti conservateur et à la ruine de sa politique.

Voilà quelle sera notre règle de conduite. Je repousse l’amendement.

La majorité me comprit et m’approuva. Après un court débat, l’amendement de M. Sallandrouze fut rejeté par 222 voix contre 189, et l’adresse entière fut votée, telle que l’avait proposée la commission.

La situation était nettement déterminée. Dans le présent, le cabinet repoussait les propositions de réforme électorale et parlementaire. Les deux questions devaient être vidées dans le cours de la législature et avant des élections nouvelles. Dans cet intervalle, le cabinet essayerait de ramener, sur ces questions, l’unité dans le parti conservateur, et de faire en sorte qu’il accomplît lui-même les réformes en maintenant d’ailleurs la politique conservatrice. S’il n’était pas possible d’atteindre ce but en rétablissant cet accord, le cabinet se retirerait, et d’autres hommes, soutenus par une autre majorité, viendraient pratiquer une autre politique. On ne pouvait satisfaire plus complètement aux principes et aux conditions du gouvernement libre sous la monarchie constitutionnelle.

Mais c’était précisément la monarchie constitutionnelle elle-même qui était en question, et ses adversaires déclarés marchaient d’un pas pressé à sa ruine. Dès l’ouverture de la session, le journal qui passait pour l’organe de l’opposition républicaine, le National avait proclamé que le roi Louis-Philippe était le véritable auteur responsable de la politique de résistance à tout progrès. Il ajoutait qu’il n’y avait rien non plus à attendre de la Chambre des députés : Prolonger l’erreur de la France en lui promettant une modification ministérielle désormais impossible serait, de la part de l’opposition, une faute inexcusable. L’important aujourd’hui est de bien faire comprendre au pays que la minorité parlementaire est impuissante à résoudre les difficultés de la situation et qu’il doit se sauver lui-même[10]. En même temps, l’organe de l’opposition radicale la plus ardente, le journal la Réforme annonçait à ses amis que ses ressources étaient épuisées, et que, la république étant ajournée à la mort du roi Louis-Philippe, la Réforme ne vivrait plus que jusqu’au lendemain du banquet, afin de mourir dans un triomphe de la démocratie[11]. Au dire de tout le parti, il y avait urgence à agir. Il était impossible de faire plus ouvertement et plus immédiatement appel à une révolution.

Le lendemain du vote de l’adresse[12], l’opposition monarchique et l’opposition républicaine se réunirent pour délibérer sur la conduite qu’elles avaient à tenir. Les opinions furent diverses, mais très inégalement partagées : quelques-uns proposèrent que l’opposition parlementaire tout entière donnât sa démission ; c’était transporter devant les collèges électoraux la question perdue dans la Chambre, et se soustraire à la responsabilité des événements obscurs que pouvait amener la campagne des banquets. La grande majorité des assistants repoussa cette idée ; ils ne voulaient pas, en rentrant ainsi dans une arène légale, avoir l’air de désavouer la fermentation extérieure qu’ils avaient provoquée et en perdre tout le fruit. La réunion décida que le nouveau banquet proposé à Paris aurait lieu, que les membres de l’opposition y assisteraient, et qu’une commission, composée des députés de Paris, de trois membres de chaque fraction du côté gauche, des délégués du Comité central et de quelques rédacteurs en chef des journaux, serait chargée d’en préparer l’exécution.

En présence de cette résolution, que ferait le cabinet ? Le ministre de l’intérieur, M. Duchâtel, avait répondu d’avance à cette question : dès le 18 janvier, dans la discussion de l’adresse à la Chambre des pairs, il avait déclaré que le gouvernement se tenait pour investi du droit d’interdire les banquets et autres réunions publiques quand il croyait  que l’ordre public en serait compromis ; il usait ou n’usait pas de ce droit selon que les circonstances lui semblaient ou non l’exiger ; il avait laissé naguère plusieurs banquets suivre leur cours, par ménagement pour l’esprit de liberté, et parce qu’il avait jugé nécessaire, pour éclairer la conscience publique, que le caractère et l’effet de ces réunions se fussent pleinement manifestés. Il pensait que maintenant la lumière était faite, et c’était par son ordre que le préfet de police, M. Gabriel Delessert, avait récemment interdit le banquet réformiste proposé dans le 12e arrondissement. Dans la discussion de l’adresse à la Chambre des députés, M. Duchâtel et, avec lui, le garde des sceaux, M. Hébert, maintinrent la même doctrine : ils rappelèrent les lois de 1790, de 1791, les arrêtés consulaires de l’an VIII et de l’an IX qui avaient réglé le pouvoir du préfet de police, et la pratique constante de l’administration, après comme avant 1830, en 1831, en 1833, 1835, 1840, sous les cabinets divers, sous celui de M. Casimir Périer, du duc de Broglie, de M. Thiers comme sous le nôtre. L’opposition parlementaire contesta ardemment la législation et la pratique ; elle soutint qu’en soi, et surtout depuis la révolution de 1830, le droit de réunion était un droit public, antérieur et supérieur à toute police, dont les abus devaient être punis, comme l’abus de tout autre droit, mais qui ne pouvait, en aucun cas, être l’objet d’aucune mesure préventive. Ce fut sur ce terrain que s’établit le débat, et que le droit du gouvernement à interdire le nouveau banquet projeté dans Paris fut passionnément nié par l’opposition.

Il y avait évidemment là une question de légalité que ni les débats de la tribune ni les actes de l’administration ne pouvaient résoudre. M. Duvergier de Hauranne l’avait lui-même reconnu d’avance, car, dans la discussion du dernier paragraphe de l’adresse, en contestant très vivement le droit du ministère à interdire les banquets : Il s’agit là, avait-il dit, d’un subterfuge dont les tribunaux ne peuvent manquer de faire justice[13]. Il était urgent de faire vider cette question par les tribunaux, car les républicains ardents pressaient les démarches et les événements ; le National annonça le 17 février que le banquet aurait lieu le dimanche 20, et il en désigna le local ; le lendemain 18, son assertion fut désavouée par la commission du banquet qui le fixa au mardi 22, en disant que le local n’était pas encore déterminé ; le National témoigna son humeur, se plaignant surtout qu’on renonçât au dimanche, dont il se promettait sans doute un plus grand concours populaire. De jour en jour, d’heure en heure, la diversité d’intention et d’effort entre l’opposition monarchique et l’opposition républicaine se marquait plus clairement : les chefs de l’opposition monarchique commençaient à s’inquiéter ; ils engagèrent des pourparlers avec quelques-uns des amis du cabinet, et, le 19 février 1848, il en résulta, sur la situation et la question pendantes, un engagement d’honneur qui fut rédigé en ces termes :

Procès-verbal.

Dans le but d’éloigner une collision qui pourrait, en troublant l’ordre public, compromettre nos institutions et nos libertés, et d’éviter réciproquement, au gouvernement et au parti de l’opposition, un ridicule ou un danger, MM. Duvergier de Hauranne, Léon de Malleville et Berger, Vitet et de Morny se sont réunis en s’engageant à user de leur influence pour faire adopter, chacun par leur parti, les résolutions et les arrangements qu’ils auront jugé utile et prudent de prendre dans les circonstances actuelles.

Le but de cette entrevue ainsi déterminé, la situation relative des partis a été exposée ainsi qu’il suit :

Le ministère, dans la discussion de l’adresse, a déclaré qu’il croyait avoir le droit d’interdire les banquets en vertu des lois et règlements généraux de police, qu’il ne croyait donc pas nécessaire d’apporter aux Chambres une loi nouvelle, se trouvant suffisamment armé à cet effet ; mais que la question de légalité se viderait ailleurs.

Or, quel est le moyen loyal et logique d’arriver à cette solution ? Évidemment aucun, si le gouvernement ne s’y prête pas jusqu’à un certain point. Il faut d’abord qu’un banquet soit annoncé, que l’autorité en soit avertie, le local désigné, les préparatifs disposés. Supposant alors que le gouvernement, se croyant fort de son droit, fasse envahir la salle et s’oppose par la force à l’entrée des convives, qu’en peut-il résulter ? deux alternatives :

Ou bien les députés et leur suite tenteront de forcer l’entrée ; et indépendamment de la gravité d’un pareil acte et de ses conséquences, ce fait constituera un acte de rébellion. La question sera donc dénaturée et la légalité demeurera incertaine.

Ou bien les députés et leur suite préféreront ne pas amener une collision et s’en retourneront paisiblement. Alors il n’y aura ni délit, ni contravention, rien à verbaliser, rien à juger, et la question restera encore en suspens, comme un germe de fermentation entre les partis.

Ni le gouvernement, ni l’opposition n’ont à gagner à aucune de ces deux solutions.

Les cinq membres ont reconnu la vérité de ce premier exposé de la question. Ils sont tombés d’accord que le seul moyen d’arriver à une solution qui mît un terme à cette situation si tendue était que le gouvernement consentît à laisser la contravention arriver au point où elle pût être légalement constatée, afin qu’à la suite d’une condamnation prononcée, par défaut, par un juge de paix, on pût, par appel, soumettre la question légale à la juridiction éclairée de la cour de cassation.

Les conventions suivantes ont donc été arrêtées de bonne foi entre les cinq membres, comme gens loyaux et honnêtes, animés d’une intention sage et patriotique.

Les députés de l’opposition feront tout ce qui leur sera humainement possible pour que l’ordre ne soit pas troublé. Ils entreront paisiblement dans la salle du banquet, malgré l’avertissement du commissaire de police qui, placé à la porte, les préviendra, dès leur entrée, qu’ils violent un arrêté du préfet de police. Ils recommanderont aux convives de ne pas insulter ni huer le commissaire de police (ce point intéressant autant la dignité de la réunion que celle de l’agent de l’autorité). Ils prendront place. Aussitôt qu’ils seront assis, le commissaire de police constatera la contravention, et verbalisera contre M. Boissel ou tout autre, en déclarant à la réunion qu’elle ait à se séparer, sans quoi lui, commissaire, serait obligé d’employer la force pour l’y contraindre.

A cette injonction, M. Barrot répondra par une allocution brève dans laquelle il maintiendra le droit de réunion ; il protestera contre cet abus d’autorité de la part du gouvernement ; il constatera qu’il n’a voulu que faire juger judiciairement la question, et il engagera la réunion à se séparer avec calme, tout en déclarant ne céder qu’à la force. Il fera comprendre à l’Assemblée que toute rébellion ou insulte envers un officier public dénaturerait complètement la question et manquerait le but que l’opposition a voulu atteindre. Il est loyalement convenu qu’il ne fera pas de discours contre le gouvernement et la majorité, qu’enfin il ne donnera pas à la réunion l’air d’un banquet accompli malgré le gouvernement.

Aussitôt dit, les députés donneront l’exemple en se retirant eux-mêmes, et ils déclareront en sortant, afin que le public du dehors ne se méprenne pas et ne s’irrite pas, qu’ils en sont venus à leurs fins, et qu’ils ont pris la seule voie pour arriver à un jugement.

Les membres prennent loyalement, de part et d’autre, l’engagement d’agir sur les journaux organes de leurs partis, Débats, Conservateur, Constitutionnel, Siècle, National, de façon qu’aucun article provocateur ou railleur ne puisse envenimer les esprits, dénaturer les faits ci-dessus détaillés, et en faire une arme contre le gouvernement ou l’opposition. La polémique à ce sujet restera dans l’esprit qui a donné lieu à la présente convention. L’attitude de l’opposition sera traitée comme une démarche digne et modérée ; le gouvernement ne sera pas accusé de faiblesse, de reculade, et la mesure dans laquelle il aura usé de son autorité sera considérée comme le désir sincère de tenir l’engagement pris dans la discussion, celui d’arriver à une solution judiciaire.

Le commissaire ayant verbalisé contre M. Boissel ou tout autre, l’autorisation de la Chambre sera réciproquement accordée sans difficulté, sans discours.

Les députés de l’opposition prennent l’engagement de ne patronner, présider, encourager, par leurs discours ou leur présence, aucun banquet à Paris ou ailleurs, défendu par la municipalité, jusqu’au jugement de la cour de cassation, et de ne pas attaquer le gouvernement sur les moyens qu’il croirait devoir prendre pour empêcher qu’il ne s’en organise d’autres.

Enfin, sans pouvoir préciser tous les détails, l’esprit de cette note, compris avec la bonne foi et l’intelligence qui appartiennent à des hommes aussi haut placés et aussi respectables que les cinq membres qui se sont réunis, présidera, avant et après le banquet, à toute leur participation et leur immixtion dans les actes qui en seront la préparation et la conséquence.

Paris, ce 19 février 1848.

Dès le lendemain 20 février, M. Duchâtel porta au conseil du roi l’arrangement ainsi conclu avec les représentants de l’opposition pour arriver, sans trouble ni violence et par la voie judiciaire, à la solution de la question de légalité sur laquelle portait le débat. Après un sérieux examen, la proposition fut adoptée par le conseil, dans la confiance que la conduite convenue serait, des deux parts, scrupuleusement tenue. Non seulement le roi approuva l’arrangement ; mais dans l’intérieur de la famille royale et au sein du parti conservateur, on s’en montra satisfait. M. Dupin, en l’apprenant quelques heures après le conseil, en félicita vivement le garde des sceaux, et lui dit spontanément qu’il irait lui-même, comme procureur général, porter la parole et soutenir le droit du gouvernement devant la cour de cassation si elle était appelée à se prononcer. Les magistrats gardaient la réserve convenable ; mais tout indiquait que leur opinion sur la question de légalité était d’accord avec la conduite du gouvernement ; il y avait lieu d’espérer que la crise aurait une issue tranquille ; les plus modérés de l’opposition républicaine paraissaient eux-mêmes s’y résigner.

Mais il en était tout autrement dans le gros et le foyer du parti : la solution légale et tranquille de la question lui enlevait toute chance de ce succès que, tant de fois avant 1840, il avait en vain demandé aux conspirations et aux insurrections, et que le mouvement confusément réformateur et révolutionnaire des banquets lui avait fait espérer. Les vrais meneurs républicains ne se soumirent point à la situation que faisait à l’opposition toute entière l’arrangement convenu entre MM. Duvergier de Hauranne, Léon de Malleville, Berger, Vitet et de Morny, et accepté par le cabinet ; n’osant pas le repousser ouvertement, ils résolurent de le rendre vain en transportant ailleurs que dans le banquet même la fermentation révolutionnaire et les chances qu’ils s’en promettaient. Le 21 février, lendemain de l’acceptation, par le gouvernement, du programme arrêté de concert avec l’opposition, les organes du parti républicain, le National, la Réforme et la Démocratie pacifique, et ces journaux-là seulement, publièrent une pièce ainsi conçue :

Voici la lettre que les députés de l’opposition ont adressée à la commission du banquet du 12e arrondissement, en réponse à l’invitation collective qu’ils ont reçue :

A Messieurs les président et membres de la commission du banquet du 12e arrondissement :

Paris, 18 février 1848.

Messieurs,

Nous avons reçu l’invitation que vous nous avez fait l’honneur de nous adresser pour le banquet du 12e arrondissement de Paris.

Le droit de réunion politique sans autorisation préalable ayant été nié par le ministère dans la discussion de l’adresse, nous voyons dans ce banquet le moyen de maintenir un droit constitutionnel contre les prétentions de l’arbitraire, et de le faire consacrer définitivement.

Nous regardons dès lors comme un devoir impérieux de nous joindre à la manifestation légale et pacifique que vous préparez, et d’accepter votre invitation.

Suivaient les signatures de 92 députés des diverses oppositions. A quoi le National ajoutait : Nous donnons la liste des députés qui ont signé la lettre d’acceptation. Mardi matin, nous complèterons la liste des adhérents à la manifestation du 12e arrondissement de Paris ; nous donnerons également la liste des absents et de ceux qui n’ont pas cru devoir s’associer à leurs collègues.

Après cette note, et séparément, venait le programme intitulé :

Manifestation réformiste.

La commission générale chargée d’organiser le banquet du 12e arrondissement croit devoir rappeler que la manifestation fixée à mardi prochain a pour objet l’exercice légal et pacifique d’un droit constitutionnel, le droit de réunion politique sans lequel le gouvernement représentatif ne serait qu’une dérision.

Le ministère ayant déclaré et soutenu à la tribune que la pratique de ce droit était soumise au bon plaisir de la police, les députés de l’opposition, des pairs de France, d’anciens députés, des membres du conseil général, des magistrats, des officiers, sous-officiers et soldats de la garde nationale, des membres du comité central des électeurs de l’opposition, des rédacteurs des journaux de Paris ont accepté l’invitation qui leur était faite de prendre part à la manifestation, afin de protester, en vertu de la loi, contre une prétention illégale et arbitraire.

Comme il est naturel de prévoir que cette manifestation publique peut attirer un concours considérable de citoyens, comme on doit présumer aussi que les gardes nationaux de Paris, fidèles à leur devise : Liberté, Ordre public, voudront en cette circonstance accomplir ce double devoir, qu’ils voudront défendre la liberté en se joignant à la manifestation, protéger l’ordre et empêcher toute collision par leur présence ; que, dans la prévision d’une réunion nombreuse de gardes nationaux et de citoyens, il semble convenable de prendre des dispositions qui éloignent toute cause de trouble et de tumulte.

La commission a pensé que la manifestation devait avoir lieu dans le quartier de la capitale où la largeur des rues et des places permet à la population de s’agglomérer sans qu’il en résulte d’encombrement.

A cet effet, les députés, les pairs de France et les autres personnes invitées au banquet s’assembleront mardi prochain, à onze heures, au lieu ordinaire des réunions de l’opposition parlementaire, place de la Madeleine, nº 2.

Les souscripteurs du banquet qui font partie de la garde nationale sont priés de se réunir devant l’église de la Madeleine, et de former deux haies parallèles entre lesquelles se placeront les invités.

Le cortége aura en tête des officiers supérieurs de la garde nationale qui se présenteront pour se joindre à la manifestation.

Immédiatement après les invités et les convives, se placera un rang d’officiers de la garde nationale.

Derrière ceux-ci, les gardes nationaux formés en colonnes, suivant le numéro des légions.

Entre la troisième et la quatrième colonnes, les jeunes gens des écoles, sous la conduite de commissaires désignés par eux.

Puis les autres gardes nationaux de Paris et de la banlieue, dans l’ordre désigné plus haut.

Le cortége partira à onze heures et demie et se dirigera, par la place de la Concorde et les Champs-Élysées, vers le lieu du banquet.

La commission, convaincue que cette manifestation sera d’autant plus efficace qu’elle sera plus calme, d’autant plus imposante qu’elle évitera même toute espèce de conflit, invite les citoyens à ne pousser aucun cri, à ne porter ni drapeau, ni signe extérieur ; elle invite les gardes nationaux qui prendront part à la manifestation à se présenter sans armes. Il s’agit ici d’une protestation légale et pacifique, qui doit être surtout puissante par le nombre et l’attitude ferme et tranquille des citoyens.

La commission espère que, dans cette occasion, tout homme présent se conduira comme un fonctionnaire chargé de faire respecter l’ordre ; elle se confie à la présence des gardes nationaux ; elle se confie aux sentiments de la population parisienne, qui veut la paix publique avec la liberté, et qui sait que, pour assurer le maintien de ses droits, elle n’a besoin que d’une démonstration paisible, comme il convient à une nation intelligente, éclairée, qui a la conscience de l’autorité irrésistible de sa force morale, et qui est assurée de faire prévaloir ses vœux légitimes par l’expression légale et calme de son opinion.

A coup sûr les bonnes paroles et les sages recommandations ne manquaient pas dans cette pièce ; peut-être même, à force d’être répétées, laissaient-elles percer un secret sentiment de leur urgence et quelque doute de leur efficacité. Mais il n’y a point de paroles qui puissent changer la nature et l’effet des actes ; le programme ainsi publié avait évidemment pour but et pour résultat de déplacer complètement la question posée et le théâtre de l’événement attendu. Il ne s’agissait plus d’arriver à une solution judiciaire, mais de faire éclater un mouvement populaire ; ce n’était plus dans la salle du banquet, mais dans les rues que la question était posée, et l’événement ne dépendait plus de l’attitude des députés présents au banquet, mais de celle de la foule réunie pour les y conduire. Et dans l’état des faits et des partis, ce n’était pas là seulement une foule réunie pour manifester son opinion et son vœu ; il y avait, dans l’appel spécial aux gardes nationaux invités à venir sous ce titre, sinon en armes, du moins en uniforme et à leur rang dans leurs légions, une grave atteinte aux lois sur le régime de cette armée civile. Pour quiconque ne s’arrêtait pas aux paroles et aux apparences, ce vaste rassemblement n’était, à vrai dire, qu’un coup audacieux des meneurs républicains révolutionnaires pour réunir et étaler leurs forces dans une circonstance favorable et avec des chances imprévues. Aucun gouvernement sérieux ne pouvait se méprendre sur le caractère d’un tel fait, ni accepter indolemment une situation pleine de péril, non seulement pour l’ordre public, mais pour l’ensemble de nos institutions et la monarchie constitutionnelle elle-même.

Le cabinet n’hésita pas un moment. Informé, le 20 février au soir, du manifeste qui devait être publié le lendemain, M. Duchâtel en donna sur-le-champ connaissance à MM. Vitet et de Morny, qui la veille avaient réglé, avec MM. Duvergier de Hauranne, Léon de Malleville et Berger, l’attitude réciproque du gouvernement et de l’opposition dans l’affaire du banquet. Les deux commissaires conservateurs ne voulaient pas croire à l’authenticité de cette pièce, tant elle leur paraissait en désaccord avec les procédés convenus et les paroles données ; ils allèrent en demander l’explication aux commissaires de l’opposition. Ceux-ci se montrèrent troublés et affligés ; ils désavouèrent dans la conversation le programme annoncé, et offrirent de faire insérer dans l’un de leurs journaux une note destinée à l’atténuer en le commentant ; mais ils n’osèrent en promettre le désaveu public. Le pouvoir, qui depuis six mois glissait, de jour en jour, hors des mains de l’opposition monarchique, lui avait enfin complètement échappé, et le parti républicain révolutionnaire, maître de la situation, entraînait à sa suite ses tristes et timides alliés.

Le lundi 21 février, à dix heures du matin, le cabinet se réunit au ministère de l’intérieur pour prendre, dans ces nouvelles circonstances, des mesures définitives : Que pensez-vous à présent du banquet ? dit M. de Salvandy à M. Hébert qui entrait dans le salon. — J’en pense, et plus que jamais, ce que j’en ai toujours pensé, répondit le garde des sceaux ; qu’il ne doit pas se faire, et qu’il y a lieu de l’interdire. — En ce cas, reprit M. de Salvandy, nous sommes tous du même avis. La résolution fut en effet unanime : le cabinet décida qu’il maintiendrait ce qu’il avait accordé, et offrirait toujours à l’opposition l’épreuve convenue pour arriver à une solution judiciaire ; mais qu’il interdirait, et qu’au besoin il réprimerait toute manifestation contraire aux lois et dangereuse pour l’ordre public. La décision fut immédiatement exécutée. Un arrêté du préfet de police interdit formellement le banquet annoncé ; un ordre du jour du commandant supérieur de la garde nationale de Paris rappela aux gardes nationaux les lois qui ne leur permettaient pas de se rassembler, à ce titre, sans l’ordre de leurs chefs immédiats et la réquisition de l’autorité civile ; et pour que le public connût bien l’état de la question et les motifs de la conduite du gouvernement, M. Gabriel Delessert publia, en même temps que son arrêté d’interdiction du banquet, une proclamation ainsi conçue :

Habitants de Paris !

Une inquiétude qui nuit au travail et aux affaires règne depuis quelques jours dans les esprits. Elle provient des manifestations qui se préparent. Le gouvernement, déterminé par des motifs d’ordre public qui ne sont que trop justifiés, et usant d’un droit que les lois lui donnent et qui a été constamment exercé sans contestation, a interdit le banquet du 12e arrondissement. Néanmoins, comme il a déclaré, devant la Chambre des députés, que cette question était de nature à recevoir une solution judiciaire, au lieu de s’opposer par la force à la réunion projetée, il a pris la résolution de laisser constater la contravention en permettant l’entrée des convives dans la salle du banquet, espérant que ces convives auraient la sagesse de se retirer à la première sommation, afin de ne pas convertir une simple contravention en un acte de rébellion. C’était le seul moyen de faire juger la question devant l’autorité suprême de la cour de cassation.

Le gouvernement persiste dans cette détermination ; mais le manifeste publié ce matin par les journaux de l’opposition annonce un autre but, d’autres intentions ; il élève un gouvernement à côté du véritable gouvernement du pays, de celui qui est institué par la Charte et qui s’appuie sur la majorité des Chambres ; il appelle une manifestation publique, dangereuse pour le repos de la cité ; il convoque, en violation de la loi du 22 mars 1831, les gardes nationaux qu’il dispose à l’avance, en haie régulière, par numéro de légion, les officiers en tête. Ici aucun doute n’est possible de bonne foi ; les lois les plus claires, les mieux établies sont violées. Le gouvernement saura les faire respecter ; elles sont le fondement et la garantie de l’ordre public.

J’invite tous les bons citoyens à se conformer à ces lois, à ne se joindre à aucun rassemblement, de crainte de donner lieu à des troubles regrettables. Je fais cet appel à leur patriotisme et à leur raison, au nom de nos institutions, du repos public et des intérêts les plus chers de la cité.

Paris, le 21 février 1848, Le pair de France, préfet de police,

G. DELESSERT.

Le même jour, dans la séance de la Chambre des députés, les résolutions du gouvernement furent vivement attaquées : M. Duchâtel les justifia et les maintint avec autant de mesure dans les termes que de fermeté au fond ; au nom de l’opposition monarchique, M. Odilon Barrot continua de les combattre, non sans quelque inquiétude et en laissant, dit-il, de côté quelques expressions plus ou moins convenables d’un acte que je n’avoue ni ne désavoue, quoiqu’il me soit étranger ; et comme ces paroles excitaient dans la Chambre un certain mouvement : J’avoue très hautement, reprit-il, l’intention de cet acte ; j’en désavoue les expressions[14].

Les journaux du soir annoncèrent qu’après la séance, l’opposition s’était réunie chez M. Odilon Barrot, et que ne voulant prendre ni directement ni indirectement la responsabilité des conséquences qui pouvaient résulter des nouvelles mesures adoptées aujourd’hui par le gouvernement, elle renonçait à se rendre au banquet.

Elle adjure, ajoutait-on, les bons citoyens de s’abstenir de tout rassemblement et de toute manifestation qui pourraient servir de prétexte à des actes de violence.

En même temps l’opposition toute entière comprend que les nouvelles résolutions du ministère lui imposent de nouveaux et graves devoirs qu’elle saura remplir.

Le lendemain 22 février, non pas l’opposition toute entière, mais cinquante-deux de ses membres firent connaître quels étaient les nouveaux et graves devoirs qu’ils se proposaient de remplir ; ils déposèrent, sur le bureau de la Chambre des députés, une proposition pour la mise en accusation du ministère, à raison de sa politique, extérieure et intérieure, dans tout le cours de son administration.

De tous les actes de l’opposition dans cette ardente lutte, celui-là est le seul qui m’ait causé quelque surprise. Ni la profonde diversité de ses idées et des nôtres, soit sur la politique générale, soit sur les faits spéciaux, ni l’âpreté et, selon moi, l’injustice de ses attaques ne m’avaient étonné : je n’y avais vu que le cours naturel du gouvernement représentatif et la rude guerre des partis. Mais qu’une politique pratiquée pendant huit ans au sein de la plus entière liberté publique, éprouvée par les discussions les plus vives à la tribune et dans la presse, sanctionnée par l’adhésion d’une majorité constante, par plusieurs élections générales et par l’accord des grands pouvoirs de l’État, pure ainsi de toute tentative, de toute apparence inconstitutionnelle ou illégale, qu’une telle politique, dis-je, fût qualifiée de trahison, de contre-révolution, de tyrannie, et devînt tout à coup l’objet d’une accusation judiciaire, ce fait dépassait ma prévoyance. Quelques années plus tard, après les orages de la République et dans le calme de l’Empire, je demandai à un membre de l’ancienne opposition, qui avait été complètement étranger à cet acte, quel motif avait pu y porter ses amis : Que voulez-vous ? me dit-il ; ils venaient de faire avorter le banquet en déclarant qu’ils n’iraient pas ; il fallait bien qu’ils fissent quelque chose pour compenser et racheter un peu ce refus.

J’admis l’explication. Aux plus tragiques époques de notre Révolution, que d’actes déplorables n’ont été déterminés que par de tels embarras de situation personnelle, sans aucun plus grand ni plus légitime motif !

Le 22 février fut une journée d’agitation plus que d’action. De part et d’autre, surtout dans les rangs un peu élevés de l’opposition comme au sein du pouvoir, on s’observait, on s’attendait. Le gouvernement voulait éviter toute apparence de provocation et rester dans son attitude légalement défensive. L’opposition était dans une crise de désorganisation ; la retraite de l’opposition monarchique avait en même temps irrité et embarrassé le parti républicain ; ses sociétés secrètes, ses troupes populaires bouillonnaient de colère et d’impatience ; mais, dans son état-major, quelques-uns hésitaient, les uns par crainte de la responsabilité, les autres par doute du succès. Le 21 février, vers le soir, quand l’interdiction du banquet eut été partout déclarée, M. Duchâtel, pour en assurer l’efficacité, et sur la proposition du préfet de police, avait ordonné l’arrestation des principaux meneurs républicains.

Vingt-deux mandats avaient été préparés ; mais un peu plus tard, dans la soirée, la nouvelle arriva au ministère de l’intérieur qu’au bureau même de la Réforme, on avait résolu de renoncer au banquet, et le président de la commission du banquet, M. Boissel, vint lui-même en informer M. Duchâtel. La nouvelle était, non pas fausse, mais exagérée ; quand on avait appris, au bureau de la Réforme, que l’opposition parlementaire ne voulait plus du banquet, la colère avait été au comble ; les plus ardents des assistants avaient déclaré qu’ils ne se soumettraient point à cette résolution qu’ils qualifiaient de lâcheté, et que, si le banquet n’avait pas lieu, la manifestation populaire annoncée n’en suivrait pas moins son cours et n’en serait que plus décisive. Il y avait discorde dans le camp, et les passions révolutionnaires s’échauffaient de plus en plus dans leur travail et dans leur espoir. Pour mettre la discorde à profit et ne fournir aux passions aucun prétexte, l’exécution des mandats d’arrêt fut suspendue, et lorsque le lendemain, en présence de troubles sérieux, l’ordre fut donné d’y procéder, on n’arrêta que cinq des meneurs révolutionnaires, et des moins considérables ; avertis ou inquiets, les autres s’étaient cachés. Dans la nuit du 21 au 22, M. Gabriel Delessert et les deux généraux commandants de la garde nationale et des troupes dans Paris, le général Jacqueminot et le général Tiburce Sébastiani, instruits de l’ajournement du banquet, vinrent engager le ministre de l’intérieur à contremander le grand déploiement de forces qui avait été prescrit pour le lendemain dans les divers quartiers de la  ville, selon le système de mesures défensives institué par le maréchal Gérard. La mesure réclamée était trop pressée pour attendre la réunion du conseil ; M. Duchâtel envoya le général Jacqueminot prendre l’avis du roi. Le roi répondit que non seulement il approuvait cette proposition, mais que la même pensée lui était venue, et qu’il se disposait à la communiquer au ministre de l’intérieur. Le contre-ordre fut donc donné dans le seul but d’éviter tout étalage prématuré et toute démonstration provocante ; les troupes furent en même temps consignées dans leurs quartiers, prêtes à marcher.

Roi, ministres, généraux et agents supérieurs du pouvoir, nous étions tous encore, comme dans la semaine précédente, sous l’empire de cette idée que le banquet était la grande affaire du moment, et que, puisqu’il était désorganisé et ajourné, le plus mauvais défilé était passé. Quoique nous eussions été déterminés à l’interdiction du banquet par le programme de manifestation extérieure et hostile que le parti républicain y avait joint, nous n’étions pas assez préoccupés de la gravité de ce nouveau fait et du changement qu’il avait apporté dans la situation. Loin d’avoir ralenti le mouvement en se retirant de la scène, l’opposition monarchique l’avait à la fois irrité et dégagé de toute  entrave. Dans l’opposition républicaine elle-même, toute autorité, toute discipline avaient disparu : parmi les chefs apparents, les uns hésitaient ; les autres, entraînés ou enivrés eux-mêmes, échauffaient de plus en plus la foule en lui prêtant l’éclat de leur nom et de leur parole ; le pouvoir avait passé tout entier aux conspirateurs et aux fanatiques révolutionnaires, résolus à tout tenter et à saisir toutes les chances pour décider de l’événement selon leur passion. Quelques personnes, parmi lesquelles je remarquai surtout le baron de Chabaud-Latour, alors colonel du génie, naguère officier d’ordonnance de M. le duc d’Orléans et devenu l’un des aides de camp du jeune prince son fils, vinrent me voir, et appelèrent avec instance, sur le péril de cette situation, toute ma sollicitude. Leurs renseignements n’avaient rien de bien nouveau ni de bien précis ; j’en parlai à mes collègues, qui ne méconnaissaient point le danger de l’attaque inconnue qu’on préparait et la nécessité de la vigilance ; mais nous avions pour réprimer l’insurrection, si elle éclatait, des forces au moins égales à celles qui avaient suffi à réprimer les diverses insurrections tentées de 1830 à 1840, et nous étions bien décidés à les déployer dès que nous y serions provoqués[15].

Le roi était content et confiant : en quelques paroles brèves, il me témoigna, et à M. Duchâtel, sa reconnaissance de notre attitude et sa satisfaction du résultat déjà acquis, l’abandon du banquet. Avec le ministre des travaux publics, M. Jayr, il fut plus expansif ; en entrant aux Tuileries, le mardi matin 22 février, M. Jayr y trouva le maréchal Soult qui venait répéter au roi les témoignages de son dévouement et se mettre à sa disposition : le maréchal promptement remercié et reparti, le roi vint à moi, le visage rayonnant (je reproduis les termes de M. Jayr) : — Eh bien ! vous venez me féliciter ; c’est qu’en effet l’affaire tourne à merveille. Que je vous sais gré, mes chers ministres, de la manière dont elle a été conduite ! Vous savez qu’ils ont renoncé au banquet. Ils ont vu, un peu tard il est vrai, que c’était jouer gros jeu. Quand je pense que beaucoup de nos amis voulaient qu’on cédât ! Mais ceci va réconforter la majorité. M. Jayr trouvait la situation encore grave : En venant au château, dit-il au roi, j’ai vu un courant continu d’hommes en blouse se dirigeant par les deux quais vers la place de la Concorde ; les faubourgs envoyaient là leur avant-garde. Nous aurons, sinon une grande bataille, du moins une forte sédition. Il faut s’y tenir prêts. — Sans doute, reprit le roi, Paris est ému ; comment ne le serait-il pas ? Mais cette émotion se calmera d’elle-même. Après le lâche-pied de la nuit dernière, il est impossible que le désordre prenne des proportions sérieuses. Du reste, vous savez que les mesures sont prises.

Sur plusieurs points et sous plusieurs formes, le désordre ne laissa pas d’être grave dans cette journée ; des rassemblements se formèrent autour de la Madeleine ; les chaises, les baraques, le mobilier du corps de garde de l’allée Marigny furent brisés, entassés et incendiés aux Champs-Élysées ; d’autres corps de garde furent attaqués ; des barricades s’élevèrent dans divers quartiers ; des bandes erraient ça et là ; quelques-unes s’arrêtèrent devant le ministère des affaires étrangères et la chancellerie, poussant des cris menaçants et tentant des violences ; l’une d’elles se porta sur la Chambre des députés ; quelques hommes pénétrèrent même dans la salle, d’où ils furent expulsés à l’instant. La répression fut partout efficace et douce ; les troupes ne firent nul usage de leurs armes ; à leur aspect et sur leurs sommations la foule se dispersait, mais pour se reformer bientôt ou se porter ailleurs. La lutte n’était pas définitivement engagée ; mais la fermentation était profonde, répandue et obstinée. Dans la soirée, le roi témoigna les mêmes dispositions confiantes. M. Duchâtel trouva la reine alarmée. Toutes les mesures furent prises, tous les ordres donnés, toutes les troupes prêtes, pour que le lendemain la sédition, si elle s’aggravait, fût promptement et fortement réprimée.

La nuit du 22 au 23 février se passa dans le même trouble, sans incidents graves : des bandes continuèrent d’errer, quelquefois agressives et pillardes ; des prisonniers furent amenés à la préfecture de police. Dès le matin du 23, des rassemblements plus considérables se formèrent dans le faubourg Saint-Antoine ; beaucoup d’ouvriers oisifs parcouraient les rues ; beaucoup de passants s’arrêtaient ; beaucoup d’habitants se tenaient devant leurs portes, la plupart en curieux indifférents ou inquiets, attendant des événements que tous pressentaient, ceux qui les redoutaient comme ceux qui se disposaient à y prendre part.

Vers dix heures le mouvement s’aggrava, en changeant de caractère et d’acteurs. Les meneurs républicains avaient compris que, mises en première ligne, leurs troupes accoutumées et connues servaient mal leur cause ; ils pressèrent leurs alliés momentanés, les réformistes de la garde nationale, d’entrer eux-mêmes en scène sous un drapeau moins suspect. Plusieurs détachements des 7e, 3e, 2e et 10e légions se mirent en marche, les uns dans le faubourg Saint-Antoine, les autres vers la place du Palais-Royal, d’autres vers le bureau du National, rue Lepelletier ; d’autres dans le quartier des écoles des faubourgs Saint-Germain et Saint-Jacques, criant partout : Vive la réforme ! et entrant en relations amicales avec les rassemblements populaires qu’ils rencontraient. Dans l’ensemble de la garde nationale, ces détachements ne formaient qu’une faible minorité ; mais leur hardiesse, la nature de leur cri, le bruit qu’ils faisaient et la faveur qu’ils trouvaient dans les rues intimidaient ou embarrassaient les gardes nationaux, beaucoup plus nombreux, qui ne voulaient ni révolution ni réformes arrachées par l’émeute aux pouvoirs légaux, mais qui hésitaient à entrer en lutte avec l’uniforme de leurs corps et le vœu en apparence modéré de leurs camarades. L’un de nos plus dévoués amis, M. François Delessert, vint témoigner à M. Duchâtel son inquiétude en lui disant que, dans les meilleures compagnies de la 3e légion, notamment dans celle que commandait son fils, la plupart des conservateurs ne se rendaient pas à l’appel. D’un côté étaient la passion et le mouvement, de l’autre la tristesse et l’inertie.

J’étais à la Chambre des députés avec la plupart des membres du cabinet ; M. Duchâtel seul y manquait. On annonçait des interpellations sur les incidents du jour. Je fus averti que, hors de la Chambre, M. Duchâtel me demandait : en y venant, il avait passé par les Tuileries ; je montai dans sa voiture et nous retournâmes ensemble au palais. Je reproduis son récit de l’entretien qu’il venait en hâte m’en rapporter : Le roi, me dit-il, me demanda aussitôt où nous en étions. Je lui répondis que l’affaire était plus sérieuse que la veille et l’horizon plus chargé, mais qu’avec de l’énergie dans la résistance on s’en tirerait. Il me répondit que c’était aussi son sentiment ; il ajouta qu’on lui donnait, de tous côtés, le conseil de terminer la crise en changeant le cabinet, mais qu’il ne voulait pas s’y prêter. — Le roi sait bien, lui dis-je, que, pour ma part, je ne tiens pas à garder le pouvoir, et que je ne ferais pas un grand sacrifice en y renonçant ; mais les concessions arrachées par la violence à tous les pouvoirs légaux ne sont pas un moyen de salut ; une première défaite en amènerait bientôt une nouvelle ; il n’y a pas eu loin, dans la Révolution, du 20 juin au 10 août, et aujourd’hui les choses marchent plus vite que dans ce temps-là ; les événements vont à la vapeur, comme les voyageurs.

Je n’avais pas, en ce moment, ajouta M. Duchâtel, l’idée que le changement du cabinet fût entré dans l’esprit du roi. Y avait-il déjà songé sérieusement, ou bien la résolution de se soumettre à une concession qui lui coûtait beaucoup lui vint-elle soudainement, sous la pression d’une émotion vive ? Je ne pourrais trancher la question ; mais j’incline à croire qu’il se décida brusquement, emporté par cette espèce de trouble que produit le passage d’une sécurité complète à l’apparition subite d’un grand péril. — Je crois comme vous, me dit le roi, qu’il faut tenir bon ; mais causez un moment avec la reine ; elle est très effrayée. Je désire que vous lui parliez. Il l’appela.

La grande âme de la reine Marie-Amélie, toujours héroïque au jour de l’épreuve, était aussi passionnée que noble, et elle pouvait quelquefois s’alarmer vivement d’avance sur la situation de son mari et de ses enfants. Elle entra dans le cabinet du roi, me dit M. Duchâtel, suivie du duc de Montpensier. Elle était très agitée et sous l’empire d’une vive excitation. —  M. Duchâtel, me dit-elle, je connais le dévouement de M. Guizot pour le roi et pour la France ; s’il le consulte, il ne restera pas un instant de plus au pouvoir. — Madame, lui répondis-je, un peu ému de cette sortie si vive, M. Guizot, comme tous ses collègues, est prêt à se dévouer pour le roi jusqu’à la dernière goutte de son sang ; mais il n’a pas la prétention de s’imposer au roi malgré lui. Le roi est le maître de donner ou de retirer sa confiance, selon qu’il le juge convenable pour les intérêts de sa couronne. — Ne dis pas des choses pareilles, ma chère amie, dit le roi ; si M. Guizot le savait !... — Je ne demande pas mieux qu’il le sache, répliqua la reine ; je le lui dirai à lui-même ; je l’estime assez pour cela ; il est homme d’honneur et me comprendra. — J’ajoutai alors que je ne devais pas cacher au roi qu’il me serait impossible de ne pas communiquer à M. Guizot tout ce que je venais d’entendre ; c’était un élément important de la situation ; je ne pouvais lui en dérober la connaissance, ni comme collègue ni comme ami. Le roi était devenu sombre et soucieux. — Il y aurait peut-être lieu, me dit-il, de convoquer sur-le-champ le conseil. — Je crois, lui répondis-je, qu’il y aurait peut-être des inconvénients à une convocation subite du conseil ; la Chambre est assemblée et ne peut pas rester sans ministres. Le roi ferait mieux, ce me semble, de causer d’abord avec M. Guizot. — Vous avez raison, me dit-il ; allez trouver M. Guizot sans perdre un instant ; et amenez-le moi.

En nous rendant ensemble aux Tuileries, nous causâmes, à cœur ouvert, M. Duchâtel et moi, de la situation, et, sans la moindre discussion, nous fûmes tous deux du même sentiment sur la conduite que nous avions à tenir. En ce qui nous concernait, nous étions et nous devions nous montrer décidés à maintenir jusqu’au bout la politique que nous avions pratiquée et que nous persistions à croire la seule bonne ; mais si, dans l’intérêt de sa couronne dont il était juge, le roi croyait devoir changer le ministère, il ne nous convenait d’opposer ni résistance, ni plainte. Dans l’état général du pays, et à plus forte raison dans la crise du jour, ce n’était pas trop, c’était à peine assez, on le voyait bien, de l’accord des grands pouvoirs de l’État pour faire prévaloir leur politique commune contre ses divers adversaires. Si cet accord cessait, n’importe de quel côté, la défense serait trop faible pour l’attaque. Le roi ne pouvait se passer du concours de la majorité des Chambres, et la majorité des Chambres n’était ni assez forte, ni assez liée, ni assez expérimentée pour se passer de l’appui du roi. Si nous prétendions, en ce moment, imposer au roi chancelant le maintien du cabinet ébranlé, nous ne lui assurerions pas les avantages d’une résistance énergique, car il n’accepterait pas ou ne soutiendrait pas les mesures qu’elle exigerait, et nous ne réussirions même pas à prolonger longtemps notre faible situation, car le roi ne persévérerait pas avec nous jusqu’au terme de la crise. C’était, pour nous-mêmes, la seule conduite sensée et digne, et envers la royauté notre devoir impérieux de la laisser choisir librement dans son hésitation, sans aggraver les conditions des deux conduites entre lesquelles elle avait à se prononcer.

Nous entrâmes vers deux heures et demie dans le cabinet du roi. La reine, M. le duc de Nemours et M. le duc de Montpensier y étaient réunis. Le roi exposa la situation, s’appesantit sur la gravité des circonstances, parla beaucoup de son désir, qui était très sincère, de garder le ministère, du regret qu’il éprouvait à être obligé de se séparer de nous, ajoutant qu’il aimerait mieux abdiquer : — Tu ne peux pas dire cela, mon ami, dit la reine ; tu te dois à la France ; tu ne t’appartiens pas. — C’est vrai, dit le roi ; je suis plus malheureux que les ministres ; je ne puis pas donner ma démission. Ce préambule couvrait évidemment une résolution arrêtée ; pour ceux qui connaissaient les allures de l’esprit du roi, le doute n’était pas possible. Je l’avais écouté en silence ; je pris la parole : C’est à Votre Majesté, dis-je, à prononcer : le cabinet est prêt, ou à défendre jusqu’au bout le roi et la politique conservatrice qui est la nôtre, ou à accepter sans plainte le parti que le roi prendrait d’appeler d’autres hommes au pouvoir. Il n’y a point d’illusion à se faire, Sire ; une telle question est résolue par cela seul que, dans un tel moment, elle est posée. Aujourd’hui plus que jamais le cabinet, pour soutenir la lutte avec chance de succès, a besoin de l’appui décidé du roi. Dès qu’on saurait dans le public, comme cela serait inévitable, que le roi hésite, le cabinet perdrait toute force morale et serait hors d’état d’accomplir sa tâche. — Le roi, sur ces paroles, laissa de côté toute hésitation, toute précaution de langage, et considérant la question comme tranchée : — C’est avec un bien amer regret, nous dit-il, que je me sépare de vous ; mais la nécessité et le salut de la monarchie exigent ce sacrifice. Ma volonté cède ; je vais perdre beaucoup de terrain ; il me faudra du temps pour le regagner. La reine et le duc de Montpensier ajoutèrent des paroles dans le même sens. Le duc de Montpensier me dit qu’il fallait que sa conviction fût bien profonde pour qu’elle l’emportât sur la reconnaissance qu’il me devait. Après ces témoignages d’estime et de regret, le roi dit qu’il songeait à M. Molé et nous demanda ce que nous en pensions. Nous n’avions à faire et nous ne fîmes aucune objection. Je vais donc le faire appeler, reprit le roi. Puis il nous fit ses adieux, ainsi que la famille royale, en nous embrassant avec larmes : Vous serez toujours les amis du roi, dit la reine ; vous le soutiendrez. — Nous ne ferons que de la résistance au petit pied et sur le second plan, me dit le duc de Nemours ; mais sur ce terrain, nous comptons retrouver votre appui. Le roi était triste et troublé ; la gravité de la résolution qu’il venait de prendre semblait grandir à ses yeux. Il sentait surtout combien il allait perdre en Europe, et quel coup en recevrait sa considération. Nous sortîmes du cabinet ; M. Duchâtel était le dernier près de la porte ; le roi lui tendit la main une dernière fois : Vous êtes plus heureux que moi, vous autres, lui dit-il ; et il prononça à voix basse quelques mots que j’entendis imparfaitement, et où se révélait à quel point sa résolution lui était amère.

Nous retournâmes sur-le-champ à la Chambre des députés ; on nous y attendait dans une agitation immobile ; il était encore question d’interpellations, de pétitions. Je montai à la tribune : Je crois, dis-je, qu’il ne serait ni conforme à l’intérêt public, ni à propos pour la Chambre d’entrer, en ce moment, dans aucun semblable débat. Le roi vient de faire appeler M. le comte Molé pour le charger de former un nouveau cabinet. Tant que le cabinet actuel sera chargé des affaires, il maintiendra ou rétablira l’ordre, et fera respecter les lois selon sa conscience, comme il l’a fait jusqu’à présent.

M. Odilon Barrot demanda aussitôt la parole. Il eut quelque peine à la prendre au milieu du tumulte qui s’éleva dans la Chambre ; il voulait parler de la fixation de l’ordre du jour pour la séance du lendemain, séance dans laquelle la proposition d’accusation du ministère devait être renvoyée à l’examen des bureaux : J’avais cru, dit-il, que la conséquence naturelle, inévitable même, de la réserve que M. le président du conseil montrait sur les interpellations qui lui étaient adressées, à raison de la gravité des circonstances et de la situation spéciale du cabinet, j’avais cru, dis-je, que la conséquence naturelle, inévitable, était l’ajournement de l’ordre du jour indiqué, c’est-à-dire l’ajournement de la discussion sur la proposition que j’ai déposée hier sur le bureau. Je suis, à cet égard, parfaitement subordonné aux convenances de la Chambre et du ministère lui-même.

M. Dupin prit vivement la parole : Le premier besoin de la cité, dit-il, est le rétablissement de la paix publique, la cessation des troubles, pour assurer la libre et régulière action de tous les grands pouvoirs de l’État. Il faut que les masses comprennent qu’elles n’ont pas le droit de délibérer, de décider. Il faut que les gens qui ont eu recours aux armes comprennent qu’ils n’ont pas le droit de commander, et qu’ils n’ont qu’à attendre l’exécution de la loi et les mesures qui seront jugées nécessaires par la couronne et par les Chambres. Dans cette situation, devons-nous introduire ici des délibérations irritantes, des délibérations d’accusation qui, quelle que fût la solution, iraient certainement contre le but que vous devez vous proposer, l’apaisement des esprits et le rétablissement de l’ordre ? Je crois qu’il faut adhérer à la demande d’ajournement que j’appuie de toutes mes forces.

Nous ne pouvions souffrir que l’accusation proposée contre nous restât ainsi en suspens dès que, par la chute du cabinet, l’opposition aurait atteint son but. Je me levai immédiatement : Je disais tout à l’heure que, tant que le cabinet aurait l’honneur d’être chargé des affaires, il maintiendrait ou rétablirait l’ordre et ferait respecter les lois. Le cabinet ne voit, pour son compte, aucune raison à ce qu’aucun des travaux de la Chambre soit interrompu, à ce qu’aucune des questions élevées dans cette Chambre ne reçoive pas sa solution. La couronne exerce sa prérogative. La prérogative de la couronne doit être respectée ; mais le cabinet est prêt à répondre à toutes les questions, à entrer dans tous les débats. C’est à la Chambre à décider ce qui lui convient.

M. Dupin, qui voulait sincèrement que le trouble public cessât, et dont l’équité comme le bon sens étaient choqués de l’accusation proposée contre le ministère, persista dans sa demande d’ajournement : Je conçois, dit-il, le langage et l’attitude de M. le président du conseil. C’est un langage digne ; c’est le langage qui convient à la situation qu’on aurait voulu lui faire par l’accusation même. Mais en même temps que le ministère ne s’oppose pas à ce que la Chambre se saisisse de telle ou telle question, la Chambre a aussi le droit de décider l’opportunité d’une question. Eh bien, dans la situation où le ministère continue à être chargé provisoirement d’une difficile mission, à laquelle vous pourrez, je l’espère, efficacement concourir, l’apaisement et la conciliation des esprits, pendant ce temps on va s’occuper à mettre les ministres en accusation ! On les obligerait à s’occuper de leur propre défense ! Cela est impossible. Malgré vous, Messieurs les ministres, malgré la majorité, je demande l’ajournement.

La majorité partageait le sentiment que j’avais exprimé, et me vint fermement en aide. Par l’organe de M. de Peyramont, elle demanda que la proposition d’accusation contre le ministère fût maintenue à l’ordre du jour, et la séance ne fut levée qu’après cette résolution.

A l’annonce de la chute du cabinet, l’émotion, je devrais dire l’irritation, avait été profonde dans la majorité ; elle y voyait sa propre chute et celle de la politique qu’elle soutenait courageusement depuis dix-sept ans. Plus clairvoyants encore et plus expérimentés dans les crises révolutionnaires, quelques-uns de ses membres pressentirent immédiatement dans celle-ci bien plus que la chute du cabinet : un de mes amis particuliers, M. Muret de Bord, qui s’était vivement prononcé dans ces dernières circonstances, était assis à côté de l’ancien et habile directeur général de l’enregistrement et des domaines, M. Calmon, qui, en entendant ma déclaration, lui dit en lui frappant sur l’épaule : Citoyen Muret de Bord, dites à la citoyenne Muret de Bord de préparer ses paquets ; la République ne vous aimera pas. Dans l’opposition même, les esprits élevés étaient soucieux : Je désirais vivement la chute du cabinet, dit à M. Duchâtel M. Jules de Lasteyrie ; mais j’aurais mieux aimé vous voir rester dix ans de plus que sortir par cette porte. Au même instant, M. de Rémusat, ami et camarade de collège de M. Dumon, vint s’asseoir près de lui au banc des ministres : Je sais, lui dit-il, que ta sortie du ministère ne te contrarie pas beaucoup ; je puis donc venir causer avec toi. Si j’entre dans le nouveau ministère, j’espère que nous causerons souvent ensemble, et que nous pourrons nous entendre. — Je ne demande pas mieux, lui répondit M. Dumon ; pourvu que la Chambre ne soit pas dissoute et que les réformes ne soient pas excessives, je ne ferai aucune opposition. — C’eût été bien facile, reprit M. de Rémusat, si nous étions arrivés par un mouvement de Chambre ; mais qui peut mesurer les conséquences d’un mouvement dans la rue ?

A quatre heures et demie, le cabinet se réunit aux Tuileries. De plusieurs côtés, le bruit de l’irritation de la majorité parlementaire était arrivé au roi ; il en était visiblement troublé. Il essaya d’alléger un peu, pour lui-même, la résolution qu’il venait de prendre en donnant à entendre que j’avais, ainsi que M. Duchâtel, partagé son avis. Je rétablis, en termes positifs, ce que je lui avais dit dans notre première entrevue. Nous étions décidés et prêts, lui redis-je, à soutenir jusqu’au bout la politique d’ordre et de résistance légale que nous trouvons la seule bonne ; mais le roi s’était montré disposé à penser qu’il devait changer son ministère. Poser une telle question, dans un tel moment, c’était la résoudre. Le roi n’insista pas. MM. Hébert, de Salvandy et Jayr exprimèrent nettement leur désapprobation de sa résolution. Nous sortîmes des Tuileries pour ne plus nous occuper, en attendant la formation d’un nouveau cabinet, que de défendre partout l’ordre toujours violemment attaqué. La nouvelle de la chute du ministère n’avait point fait cesser la lutte ; elle continuait sans que nulle part l’insurrection triomphât ou cédât. L’événement tombait de plus en plus entre les mains des républicains fanatiques résolus à le pousser jusqu’à une révolution. Nous allions d’heure en heure, M. Duchâtel et moi, rendre compte au roi de l’état des choses. Vers six heures, il nous témoigna le désir de donner le commandement général dans Paris au maréchal Bugeaud. Nous fîmes sur-le-champ, auprès des généraux Jacqueminot et Tiburce Sébastiani, une démarche pour les en prévenir ; puis, le roi préféra attendre l’avis du cabinet qu’il travaillait à former. Il n’avançait guère dans son travail ; M. Molé discutait, négociait, cherchait des alliés efficaces. Vers huit heures, M. Jayr, qui avait quelques signatures de travaux publics à demander au roi, retourna aux Tuileries ; il le trouva seul, agité et taciturne. En lui soumettant son travail administratif, M. Jayr lui représenta la nécessité de reconstituer promptement le pouvoir politique et le commandement militaire, l’un et l’autre ébranlés et flottants au milieu d’une crise aussi obstinée que violente. Le roi signait et l’écoutait en silence ; puis tout à coup : Et quand je pense, dit-il, que cette résolution a été prise et exécutée en un quart d’heure ! M. Jayr se retira sans autre réponse.

Personne n’ignore l’événement (je ne décide pas s’il faut dire fortuit ou criminel) qui éclata à neuf heures du soir, sur le boulevard, devant l’hôtel des affaires étrangères. Une bande d’insurgés, armés de piques, de pistolets, de bâtons, portant des signes de luttes récentes, et partis d’abord de la place de la Bastille, s’était avancée le long des boulevards, grossie dans sa route par des passants et des curieux ; après plusieurs stations et plusieurs démonstrations bruyantes, entre autres devant le bureau du National, elle arrivait près du ministère des affaires étrangères, plus d’une fois menacé depuis le commencement de l’insurrection. Un bataillon d’infanterie de ligne en couvrait les approches. Au milieu de la pression désordonnée qu’exerçait la foule et de la résistance immobile que lui opposait la troupe, un coup de feu partit ; selon les uns, des rangs de la troupe même et par un accident du fusil d’un soldat ; selon les autres, le coup fut tiré du sein de la foule, sur la troupe, et par un des insurgés. Quoi qu’il en soit, la troupe, se croyant attaquée, fit feu ; beaucoup de personnes tombèrent, les unes frappées à mort, les autres blessées, d’autres renversées et foulées aux pieds. Un désordre immense, mêlé d’effroi et de colère, éclata sur le théâtre et tout à l’entour de l’événement ; la passion a de soudains et puissants instincts au service de sa cause ; quelques-uns des insurgés relevèrent des cadavres, seize, dit-on, les placèrent sur un chariot qui se trouvait là, et ce cortège funèbre se promena jusqu’à une heure du matin, sur les boulevards, devant les bureaux du National et de la Réforme, dans tout le centre de la ville, au milieu des cris : Vengeance ! aux armes ! aux barricades ! provoquant partout un nouvel et plus ardent élan d’insurrection et de lutte. La nuit se passa à exploiter ainsi ce malheur ou ce crime, pour transformer l’émeute en révolution.

J’étais au ministère de l’intérieur quand la nouvelle de ce fatal incident y arriva. Plusieurs de mes collègues et de nos amis y étaient réunis. De leur avis unanime, je me rendis sur le champ aux Tuileries, avec M. Dumon, pour insister auprès du roi sur l’urgence de la nomination du maréchal Bugeaud au commandement de toutes les forces militaires. Il en reconnut la nécessité ; mais il ne savait pas encore quel cabinet il parviendrait à former. Je le quittai sans qu’il eût rien décidé. Entre minuit et une heure, il m’envoya chercher, et me dit qu’à la fin de la soirée, M. Molé était venu lui annoncer qu’il n’avait pu réussir à former un cabinet : Je fais appeler M. Thiers, ajouta-t-il ; mais, en attendant, la lutte devient de plus en plus grave ; il y faut sur-le-champ un chef militaire, d’une capacité et d’une autorité éprouvées, et qui puisse porter le fardeau jusqu’à l’installation du nouveau ministère. Je vous demande la nomination immédiate du maréchal Bugeaud au commandement de la garde nationale et de l’armée. M. Thiers ne voudrait peut-être pas le nommer lui-même ; mais il l’acceptera, je n’en doute pas, s’il le trouve nommé et installé. C’est au nom du salut de la monarchie que je fais cet appel au dévouement de mes anciens ministres. — Le roi sait, lui dis-je, que nous sommes tout prêts à accomplir son désir. — Il envoya chercher M. Duchâtel et le général Trézel dont la signature était nécessaire pour cette nomination. Ils arrivèrent et donnèrent sur-le-champ au roi leur assentiment et leur concours. Le maréchal Bugeaud arriva aussi. Le duc de Nemours, le duc de Montpensier et M. de Montolivet étaient présents. Les deux ordonnances signées, le duc de Nemours, M. Duchâtel et moi, nous accompagnâmes le maréchal Bugeaud pour l’installer à l’État-major. Il s’arrêta sur la place du Carrousel pour visiter les troupes qui y étaient réunies. Nous lui demandâmes ce qu’il pensait de la journée du lendemain : Il est un peu tard, nous dit-il ; mais je n’ai jamais été battu et je ne commencerai pas demain. Qu’on me laisse faire et tirer le canon, il y aura du sang répandu ; mais demain soir la force sera du côté de la loi, et les factieux auront reçu leur compte.

Ce fut là le dernier acte du cabinet et ma dernière entrevue avec le maréchal Bugeaud. Je ne retournai aux Tuileries, le lendemain 24 février, vers huit heures du matin, que pour prendre définitivement congé du roi, que je ne revis plus qu’à Claremont. Ce qu’on a dit de prétendus conseils qu’il m’aurait demandés et que je lui aurais donnés, à ce moment, sur ses rapports avec son nouveau cabinet et les concessions qu’il devait lui faire, est dénué de tout fondement. Il se borna à m’annoncer que MM. Thiers et Odilon Barrot avaient accepté le ministère, et moi à lui témoigner ma satisfaction qu’au moins la crise ministérielle fût terminée. Depuis cette dernière heure du cabinet du 29 octobre 1840 jusqu’à la dernière heure de la monarchie de 1830, j’ai été absolument étranger à tout ce qui s’est dit, fait et passé.

Dix-neuf ans se sont écoulés, et aujourd’hui comme il y a dix-neuf ans, je ne puis penser sans une émotion douloureuse à l’état d’âme où j’ai vu le roi Louis-Philippe pendant cette crise si tragiquement terminée. Jamais prince n’a été plus sincèrement convaincu que la politique qu’il avait adoptée était la meilleure, la seule bonne pour son pays et pour le régime qu’il avait été appelé à fonder dans son pays. Resté, comme dans sa jeunesse, libéral et patriote de 1789, à ses yeux cette politique consacrait et mettait en pratique les principes de 1789, en mettant fin aux entraînements et aux aveuglements révolutionnaires qui, tantôt sous la forme de l’anarchie, tantôt sous celle du despotisme, les avaient faussés et compromis. Il la regardait comme aussi essentielle pour l’influence et la grandeur de la France en Europe que pour sa prospérité et ses progrès à l’intérieur. Il l’avait pratiquée de concert avec les grands pouvoirs constitutionnels, sous le feu des libertés publiques, en usant de ses droits constitutionnels, mais sans jamais croire ni vouloir les dépasser. Il avait courageusement sacrifié, au maintien de cette politique, un bien qui lui était cher et doux, les démonstrations empressées et le bruit flatteur de la popularité. Et après dix-sept années de ces efforts et de ce sacrifice, il se voyait méconnu, mal compris, non seulement attaqué par les factions ennemies, mais harassé, délaissé par une portion de ces classes moyennes qui étaient son principal point d’appui. Aux bruyantes agitations dans la garde nationale se joignaient les dissentiments respectueux, mais réels, dans la famille royale. Sous l’atteinte de ces faits réunis, le roi était profondément triste et perplexe, résigné aux déplaisirs et aux difficultés qu’il prévoyait, décidé à n’y opposer que ses moyens légaux de concession ou de résistance, mais accessible à ces troubles momentanés, à ces résolutions soudaines qui surgissent dans les âmes fatiguées des longues luttes et dégoûtées des perspectives obscures. Ni la persévérance ni l’espérance n’étaient pourtant éteintes dans l’âme du roi Louis-Philippe : soit par nature, soit par son expérience des vicissitudes et des réactions qui se succèdent dans les révolutions, il était de ceux qui pensent que, pour retrouver de bonnes chances et une bonne veine, il suffit de savoir survivre et attendre. En 1848, sa lassitude était extrême ; il fléchissait sous son fardeau, et, pour le porter plus loin, il avait besoin de reprendre haleine ; mais je suis convaincu qu’au milieu de ses mécomptes et de son découragement, il était loin de désespérer de son propre avenir, et que, tout en acceptant les lois du régime constitutionnel, il se promettait d’y reprendre l’influence qu’il croyait nécessaire pour faire légalement prévaloir la politique qu’il croyait indispensable au bien de son pays et au salut de son trône. Les hommes ne lui en ont pas laissé le temps ; Dieu ne lui en a pas accordé la faveur.

 

 

 



[1] Sertorius, acte III, scène 2.

[2] Chambre des députés, séance du 11 avril 1831 ; Moniteur de 1831, p. 780.

[3] Voir dans ces Mémoires, t. V, p. 17-23.

[4] Chambre des députés, séance du 24 mars 1840 ; Moniteur, page 554.

[5] Chambre des députés, séance du 20 juillet 1839 ; Moniteur pages 1471-1474.

[6] Les 15 février 1842 et 26 mars 1847 ; Recueil de mes Discours politiques, t. III, page 554 ; t. V, p. 380.

[7] Dans la séance du 26 mars 1847.

[8] Histoire de la Révolution de 1848, par Garnier-Pagès, t. IV, page 102.

[9] Le 11 février 1848 à 223 voix contre 18. La plus grande partie de l’opposition s’était abstenue.

[10] National du 31 décembre 1847.

[11] Histoire de la Révolution de 1848, par M. Garnier-Pagès, t. IV, p. 210.

[12] 13 février 1848.

[13] Chambre des députés, séance du 7 février 1848.

[14] Chambre des députés, séance du 21 février 1848 ; Moniteur, page 481.

[15] Je joins ici le tableau des forces réunies à ce moment, dans Paris, ses forts et sa banlieue, tel que me le fournit le ministre de la guerre, le général Trézel, le plus consciencieux comme le plus courageux des hommes.

43 bataillons d’infanterie, à 500 hommes : 21.500 hommes, 23.500 chevaux

2 bataillons de garde municipale : 2.000 hommes

20 escadrons de cavalerie, 3e et 8e dragons, 13e chasseurs, 2e et 6e cuirassiers : 2.000 hommes, 2.000 chevaux

1 régiment à 5 escadrons de garde municipale à cheval : 600 hommes, 600 chevaux

1 compagnie de gendarmes à cheval : 200 hommes, 150 chevaux

13 batteries du 5e régiment d’artillerie dont quatre montées, à l’Ecole-Militaire ; le reste à Vincennes : 3.000 hommes, 2.400 chevaux

14 batteries du 6e régiment à Vincennes :

3 compagnies de sapeurs des 1er et 3e régiments : 450 hommes, 20 chevaux

4 compagnies de sous-officiers vétérans : 400 hommes

5 compagnies de sapeurs-pompiers : 500 hommes

1 compagnie d’ouvriers d’administration : 150 hommes

1 escadron du train des équipages : 200 hommes, 200 chevaux

En tout : 31.000 hommes et 5.370 chevaux