DIX-HUITIÈME VOLUME
Le précédent chapitre a fini avec l’assassinat de Philippe de Macédoine et l’avènement de son fils Alexandre le Grand, alors âgé de vingt ans. Ce qui démontre le changement de caractère de l’histoire grecque, c’est que nous sommes obligé actuellement de chercher des événements marquants dans la succession à la couronne macédonienne ou dans les ordonnances de rois macédoniens. En fait le monde hellénique a cessé d’être autonome. En Sicile, il est vrai, la marche libre et constitutionnelle, remise en vigueur par Timoleôn, est destinée encore à durer pendant quelques années ; mais toutes les cités grecques au sud du mont Olympos sont descendues au rang de dépendances de la Macédoine, Cet état de dépendance, établie comme fait par la bataille de Chæroneia et par la marche victorieuse subséquente de Philippe dans le Péloponnèse, fut reconnue en forme par le vote du congrès des Grecs réunis à Corinthe. Tandis que les Athéniens eux-mêmes avaient été forcés de se soumettre comme les autres, Sparte seule, bravant toutes les conséquences, resta inflexible dans son refus. La fidélité de Thêbes ne fut pas laissée à la parole des Thêbains ; mais elle fut assurée par la garnison macédonienne établie dans sa citadelle, appelée la Kadmeia. Chaque cité hellénique, — petite et grande, — maritime, continentale et insulaire — (à l’exception de Sparte seulement), fut ainsi inscrite comme unité séparée dans la liste des alliés sujets attachés à la suprématie souveraine de Philippe. Dans ces circonstances, l’histoire de la Grèce conquise perd son courant séparé et se confond avec celle de la Macédoine conquérante. Néanmoins, il y a des raisons particulières qui obligent l’historien de la Grèce à continuer les deus ensemble pendant quelques années encore. D’abord la Grèce vaincue exerça une action puissante sur son vainqueur : Græcia capta ferum victorem cepit. Les Macédoniens, bien qu’ils parlassent une langue à eux, n’avaient ni langue pour communiquer avec les autres, ni littérature, ni philosophie, si ce n’est celles des Grecs et qu’ils tenaient d’eux. Philippe, en se faisant nommer chef de la Hellas, était non seulement hellénisé en partie, mais encore il aspirait ardemment à l’admiration hellénique. Il demanda le commandement sous le prétexte déclaré de satisfaire l’ancienne antipathie de la Grèce contre la Perse. Ensuite les conquêtes d’Alexandre, bien qu’essentiellement macédoniennes, agirent indirectement comme premier degré d’une série d’événements qui répandirent la langue hellénique (avec quelque teinture de la littérature hellénique) sur une partie considérable de l’Asie, — ouvrirent ce territoire à une observation meilleure, et à quelques égards même à la surveillance de Grecs intelligents, — et produisirent ainsi des conséquences importantes sous beaucoup de rapports pour l’histoire de l’humanité. En dernier lieu, la génération de Grecs libres que frappa la bataille de Chæroneia n’était pas disposée à rester tranquille s’il s’offrait une occasion de se débarrasser de ses maîtres macédoniens. Les chapitres suivants présenteront le récit des efforts inutiles faits pour y parvenir, efforts dans lesquels périrent Démosthène et la plupart des autres chefs. Alexandre (né en juillet 356 av. J.-C.), comme son père Philippe, n’était pas Grec ; il était Macédonien et Épirote, imbu partiellement de sentiment et d’intelligence grecs. Il est vrai que ses ancêtres, quelques siècles auparavant, avaient émigré d’Argon ; mais les rois de Macédoine avaient depuis longtemps perdu les traces de toute particularité semblable qui aurait pu les distinguer de leurs sujets. La base du caractère de Philippe était macédonienne et non grecque : c’était l’esprit volontaire d’un prince barbare, non le ingenium civile ou sentiment d’obligations et de droits réciproques en société avec d’autres, qui marquait plus ou moins même les membres les plus puissants d’une cité grecque, qu’ils fussent oligarchiques ou démocratiques. Si cela était vrai de Philippe, ce l’était plus encore d’Alexandre, qui hérita du tempérament violent et de la volonté opiniâtre de la furieuse Olympias, sa mère, née en Épire. Un parent d’Olympias, nommé Léonidas, et un Akarnanien, appelé Lysimachos, sont nommés comme les principaux maîtres auxquels fut confiée l’enfance d’Alexandre[1]. Naturellement l’Iliade d’Homère fut au nombre des premières choses qu’il apprit comme enfant. Pendant la plus grande partie de sa vie, il conserva un vif intérêt pour ce poème, dont il portait avec lui dans ses campagnes militaires un exemplaire, qui, dit-on, avait été corrigé par Aristote. On ne nous dit pas, et il n’est pas non plus probable, qu’il eût un goût semblable pour le poème moins guerrier de l’Odyssée. Même comme enfant, il apprit à s’identifier en sympathie avec Achille, — son ancêtre da côté de sa mère, suivant la généalogie Æakide. Son maître Lysimachos gagna son cœur en se donnant à lui-même le nom de Phœnix, — à Alexandre, celui d’Achille, — et à Philippe, celui de Pêleus. Quant aux récitations poétiques d’Alexandre pendant son enfance, il reste une anecdote à la fois curieuse et d’une incontestable authenticité. Il avait dix ans lorsque l’ambassade athénienne, dont faisaient partie Æschine et Démosthène ; vint à Pella pour traiter de la paix. Tandis que Philippe les régalait à table, à sa manière habituelle, agréable et gaie, Alexandre enfant récita pour leur amusement certains passages de poésie qu’il avait appris, et débita alternativement avec un autre enfant un dialogue tiré d’un drame grec[2]. A l’âge de treize ans, Alexandre fut mis sous la direction d’Aristote, que Philippe appela dans ce dessein, et dont le père Nikomachos avait été et l’ami et le médecin du père de Philippe, Amyntas. Quel cours d’études suivit Alexandre, nous ne pouvons malheureusement pas le dire. Il profita de l’enseignement d’Aristote pendant au moins trois ans, et on nous dit qu’il s’y consacra avec ardeur et contracta un grand attachement pour son précepteur. Son talent pour parler à un auditoire, quoiqu’il ne soit pas aussi bien attesté que celui de son père, se trouva toujours suffire à ce dessein ; en outre, il conserva, même au milieu de ses fatigantes campagnes d’Asie, du goût pour la littérature et la poésie grecques. A quel moment précis, pendant la vie de son père, Alexandre prit-il part pour la première fois au service actif, nous l’ignorons. On dit qu’une fois, étant tout jeune homme, il reçut quelques envoyés persans pendant l’absence de son père, et qu’il les surprit par la maturité de sa conduite, aussi bien que par la portée politique et la convenance de ses questions[3]. Bien qu’il n’eût que seize ans en 340 avant J.-C., il fut laissé en Macédoine comme régent, tandis que Philippe était occupé aux sièges de Byzantion et de Perinthos. Il réprima une révolte de la tribu thrace voisine appelée Mædi, prit une de leurs villes et la fonda de nouveau sous le nom d’Alexandrie, la première ville qui porta ce nom, donné plus tard à diverses autres villes établies par lui et par ses successeurs. Quand Philippe s’avança en Grèce (338 av. J.-C.), Alexandre prit part à l’expédition, commanda une des ailes à la bataille de Chæroneia et remporta, dit-on, le premier avantage de son côté sur le Bataillon Sacré thébain[4]. Toutefois, nonobstant ces marques de confiance et de coopération, il se présenta d’autres incidents qui suscitèrent une animosité amère entre le père et le fils. De son épouse Olympias, Philippe eut pour enfants Alexandre et Kleopatra ; d’une maîtresse thessalienne nommée Philina, il eut un fils nommé Aridæos (appelé ensuite Philippe Aridæos) ; il eut aussi des filles nommées Kynna (ou Kynanê) et Thessalonikê. Olympias, femme d’un naturel sanguinaire et implacable, lui était devenue si odieuse qu’il la répudia et prit une nouvelle épouse nommée Kleopatra. J’ai raconté dans le chapitre précédent l’indignation que ce procédé causa à Alexandre, et la violente altercation qui s’éleva au milieu de la joie du banquet de noces, dans lequel Philippe tira réellement son épée, menaça la vie de son fils et ne fut empêché d’accomplir sa menace que par une- chute causée pas l’ivresse. Après cette querelle, Alexandre se retira de Macédoine et conduisit sa mère chez son frère Alexandre, roi d’Épire. Kleopatra donna un fils à Philippe. Son frère ou son oncle Attalos acquit une grande faveur. Ses parents et ses partisans, en général, se virent aussi favorisés, tandis que Ptolemæos, Nearchos et les autres personnes attachées a Alexandre furent bannis[5]. L’avenir d’Alexandre fut ainsi rempli d’incertitude et de péril, jusqu’au jour même de l’assassinat de Philippe. La succession de la couronne macédonienne, bien que transmise dans la même, famille, n’était nullement assurée à des membres individuels ; en outre, dans la maison royale de Macédoine[6] — comme parmi les rois appelés diadochi [successeurs], qui acquirent la domination après la mort d’Alexandre le Grand —, de violentes querelles et une défiance constante entre le père, les fils et les frères étaient des phénomènes ordinaires, auxquels la famille des Antigonides .formait une honorable exception. Entre Alexandre et Olympias, d’un côté, et Kleopatra avec son fils et Attalos, de l’autre, une lutte meurtrière devait nécessairement s’élever. Kleopatra avait l’ascendant à ce moment ; Olympias était violente et méchante, et Philippe n’avait que quarante-sept ans. Aussi l’avenir ne menaçait-il Alexandre que de dissensions et de difficultés aggravées. De plus, sa volonté énergique et son caractère impérieux, éminemment convenables pour le commandement suprême, le rendaient peu propre à jouer un rôle subordonné même à l’égard de son père. La prudence de Philippe, quand il fut sur le point de partir pour son expédition d’Asie, l’amena à tenter d’apaiser ces dissensions de famille en donnant sa fille Kleopatra en mariage à son oncle Alexandre d’Épire, frère d’ Olympias. Ce fut pendant les fêtes splendides des noces, célébrées ensuite à Ægæ, qu’il fut assassiné, — Olympias, Kleopatra et Alexandre étant tous présents, tandis qu’Attalos était en Asie, commandant la division macédonienne envoyée à l’avance, conjointement avec Parmeniôn. Si Philippe eût échappé à cette catastrophe, il aurait sans doute fait la guerre en Asie Mineure avec tout autant d’énergie et d’habileté qu’elle fut continuée plus tard par Alexandre, bien que nous paissions douter que le père se fût livré à ces entreprises ultérieures qui, tout étendues et gigantesques qu’elles fussent, restèrent au-dessous de l’ambition insatiable du fils. Mais, quelque heureux que Philippe eût pu être en Asie, il aurait difficilement échappé à de sombres querelles de famille avec Alexandre comme fils matin, excité par Olympias, — et avec Kleopatra, d’autre part, sentant que son salut à elle dépendait de l’éloignement de compétiteurs royaux ou quasi-royaux. Ces formidables périls, visibles dans le lointain, s’ils ne menaçaient pas immédiatement, l’épée de Pausanias en garantit à la fois Alexandre et le royaume macédonien. Mais au moment où le coup fut frappé et où le Lynkestien Alexandre, un des complices, courut pour prévenir toute résistance et pour placer la couronne sur la tête d’Alexandre le Grand[7], — on ne savait ce qu’on pouvait attendre du jeune prince élevé ainsi subitement au trône à l’âge de vingt ans. La mort soudaine de Philippe, dans la plénitude de la gloire et d’espérances ambitieuses, doit avoir produit la plus forte impression, d’abord sur la foule rassemblée pour la fête ; — ensuite dans toute la Macédoine ; — en dernier lieu, sur les étrangers qu’il avait réduits à la dépendance, depuis le Danube jusqu’aux frontières de la Pæonia. Toutes ces dépendances étaient retenues seulement par la crainte de la puissance macédonienne. Il restait à prouver si le jeune fils de Philippe était capable d’abattre une opposition et de soutenir la puissante organisation créée par son père. De plus, Perdikkas, le frère aîné et le prédécesseur de Philippe, avait laissé un fils nommé Amyntas, âgé alors de vingt-quatre ans au moins, que bien des gens regardaient comme le successeur naturel[8]. Mais Alexandre, présent et proclamé immédiatement par ses amis, se montra, tant en paroles qu’en actions, parfaitement à la hauteur de la situation. Il réunit, caressa, se concilia les divisions de l’armée macédonienne et les principaux officiers. Dans ses discours, judicieux et énergiques, il promit que la dignité du royaume serait maintenue intacte[9], et que même les projets asiatiques, déjà annoncés, seraient poursuivis avec autant de vigueur que si Philippe vivait encore. Une des premières mesures d’Alexandre fut de célébrer avec des solennités magnifiques les funérailles de son père décédé. Tandis que les préparatifs de la cérémonie se faisaient, il commença des recherches pour découvrir et châtier les complices de Pausanias. De ce nombre, à dire vrai, la personne la plus illustre qu’on nous cite, — Olympias, — fut non seulement garantie d’un châtiment par sa position, mais encore elle conserva un grand ascendant sur son fils jusqu’à la fin de la vie de ce dernier. On mentionne par leurs noms trois autres personnes comme complices, — des frères, membrés d’une bonne famille du district de la Macédoine supérieure, appelé Lynkêstis, — Alexandre, Heromenês et Arrhabæos, fils d’Aeropos. Les deux derniers furent mis à mort ; mais le premier des trois fut épargné, et même élevé à des charges importantes en récompense de son empressement utile à saluer instantanément Alexandre roi[10]. D’autres aussi furent exécutés, mais nous en ignorons le nombre, et Alexandre semble avoir cru qu’il en restait encore quelques-uns non découverts[11]. Le roi de Perse se vanta dans des lettres publiques[12], nous ne pouvons dire dans quelle mesure il disait vrai, d’avoir été au nombre des instigateurs de Pausanias. Parmi les personnes tuées vers cette époque par Alexandre, nous pouvons compter son cousin germain et beau-frère Amyntas, — fils de Perdikkas (frère aîné de Philippe décédé) : Amyntas était enfant quand Perdikkas, son père, mourut. Bien qu’il eût un droit préférable à la succession, suivant l’usage, il avait été écarté par son oncle Philippe, qui allégua son âge et les efforts énergiques que demandait le commencement d’un nouveau règne. Cependant Philippe avait donné en mariage à cet Amyntas sa fille (qu’il avait eue d’une mère illyrienne), Kynna. Néanmoins Alexandre le mit actuellement à mort[13], l’accusant de conspirer ; on ne voit pas dans quelles circonstances précises ; — mais probablement Amyntas — qui, outre qu’il était le fils du frère aîné de Philippe, avait au moins vingt-quatre ans, tandis qu’Alexandre n’en avait que vingt — crut lui-même avoir un meilleur droit à la succession, conviction partagée par beaucoup d’autres. Le fils de Kleopatra et de Philippe, tout enfant, fut, dit-on, tué par Alexandre, comme un rival, dans la succession ; Kleopatra elle-même fut plus tard mise à mort par Olympias, pendant l’absence d’Alexandre et a son grand regret. Attalos aussi, oncle de Kleopatra et commandant avec Parmeniôn l’armée macédonienne en Asie, fut assassiné, en vertu d’ordres secrets d’Alexandre, par Hekatæos et Philotas[14]. Un autre Amyntas, fils d’Antiochos (il semble qu’il y eut plusieurs Macédoniens nommés Amyntas), se réfugia en Asie pour sauver ses jours[15]. D’autres probablement, qui se sentirent les objets de soupçons, firent de même, — puisque, d’après la coutume macédonienne, non seulement une personne convaincue de haute trahison était mise à mort, mais encore tous ses parents avec elle[16]. Grâce à des manifestations non équivoques d’énergie et d’adresse, ainsi qu’en se défaisant des rivaux ou des mécontents dangereux, Alexandre fortifia ainsi promptement sa position sur le trône à l’intérieur. Mais il ne fut pas aussi facile d’obtenir la même reconnaissance des nations étrangères dépendantes de la Macédoine, — Grecs, Thraces et Illyriens. La plupart d’entre elles furent disposées à secouer le joug ; cependant aucune n’osa prendre l’initiative du mouvement, et la soudaineté de la mort de Philippe ne les trouva nullement prêtes à se coaliser. Cet événement déchargeait les Grecs de tout engagement, puisque le vote de la confédération l’avait choisi personnellement comme général. Actuellement ils étaient libres, si toutefois il y avait quelque liberté dans l’opération de choisir toute autre personne, ou de s’abstenir de faire un nouveau choix, ou même de laisser expirer la confédération. Or c’était seulement sous la contrainte et l’intimidation, comme on le savait bien tant en Grèce qu’en Macédoine, qu’ils avaient conféré cette dignité même à Philippe, qui l’avait gagnée par de brillants exploits, et s’était montré le plus grand capitaine et le politique le plus habile de l’époque. Ils n’étaient nullement disposés à la transférer à un jeune homme tel qu’Alexandre, jusqu’à ce qu’il se fût montré capable d’employer la même coercition et d’arracher la même soumission. Le désir de s’affranchir de la Macédoine, largement répandu dans toutes les cités grecques, fut traduit ouvertement par Démosthène et par d’autres dans l’assemblée à Athénes. Cet orateur (si nous devons en croire son rival Æschine), ayant reçu la nouvelle secrète de l’assassinat de Philippe, par certains espions de Charidêmos, avant qu’elle fût connue d’autres publiquement, prétendit qu’elle lui avait été révélée par les dieux. Paraissant au milieu de l’assemblée dans son plus beau costume, il félicita ses compatriotes de la mort de leur plus grand ennemi, et accorda les plus grands éloges au courageux tyrannicide de Pausanias, qu’il dut probablement comparer à celui, d’Harmodios et d’Aristogeitôn[17]. Il déprécia les talents d’Alexandre, l’appelant Margitês (nom d’un sot personnage dans l’un des poèmes homériques), et donna à entendre qu’il devait être trop retenu par des embarras et des devoirs de cérémonie dans son pays pour avoir le temps de s’avancer au dehors[18]. Tel fut, suivant Æschine, le langage de Démosthène à la première nouvelle de la mort de Philippe. Nous ne pouvons douter que le public athénien, aussi bien que l’illustre orateur, n’ait ressenti une grande joie d’un événement qui semblait lui ouvrir de nouvelles chances de liberté, et n’ait adopté volontiers la proposition d’un sacrifice d’action de grâces[19], malgré l’opposition de Phokiôn. Mais bien que la manifestation de sentiment à Athènes fût ainsi anti-macédonienne, et témoignât de l’éloignement pour renouveler cette obéissance qui avait été récemment promise à Philippe, Démosthène n’alla pas jusqu’à déclarer d’hostilité positive[20]. Il essaya d’ouvrir des communications avec les Perses en Asie Mineure, et aussi, si nous en pouvons croire Diodore, avec le commandant macédonien dans ce pays, Attalos. Mais ni l’une ni l’autre de ces deux missions ne furent heureuses. Attalos envoya sa lettre à Alexandre, tandis que le roi de Perse[21], délivré probablement par la mort de Philippe d’une crainte immédiate de la puissance macédonienne, expédia à Athènes un refus péremptoire, donnant à entendre qu’il ne fournirait plus d’argent[22]. Non seulement à Athènes, mais dans d’autres États grecs aussi, la mort de Philippe excita des désirs de liberté (automne 336 av. J.-C.). Les Lacédæmoniens qui, bien que sans appui, lui avaient obstinément refusé toute obéissance, cherchèrent alors de nouveaux alliés ; tandis que les Arkadiens, les Argiens et les Eleiens manifestèrent des sentiments contraires à la Macédoine. Les Ambrakiotes chassèrent la garnison mise par Philippe dans leur cité ; les Ætoliens rendirent un vote à l’effet de concourir à rétablir les exilés akarnaniens qu’il avait bannis[23]. D’autre part, les Thessaliens témoignèrent une fidélité inébranlable à la Macédoine. Mais la garnison macédonienne à Thêbes, et les Thêbains favorables aux Macédoniens et qui gouvernaient actuellement cette cité[24], furent probablement les principaux obstacles à toute manifestation combinée en faveur de l’autonomie hellénique. Informé de tous ces mouvements qui se faisaient sentir d’une extrémité à l’autre du monde grec, Alexandre comprit la nécessité de les arrêter par une démonstration immédiate, aussi bien que propre à intimider (octobre 336 av. J.-C.). L’énergie et la rapidité de ses opérations ne tardèrent pas à épouvanter tous ceux qui avaient spéculé sur su jeunesse, ou avaient adopté l’épithète que lui avait appliquée Démosthène. Après avoir surmonté, en moins de temps, qu’on ne le supposait possible, les difficultés de sa position nouvellement acquise à l’intérieur, il s’avança en Grèce à la tête d’aile armée formidable, vraisemblablement environ deux mois après la mort de Philippe. Il fat reçu favorablement par les Thessaliens, qui rendirent un voté constituant Alexandre chef de la Grèce à la place de soli père Philippe, vote qui fat promptement confirmé par l’assemblée amphiktyonique, convoquée aux Thermopylæ. Alexandre ensuite marcha sur Thêbes, et de là il franchit l’isthme de Corinthe pour entier dans le Péloponnèse. Les détails de sa marche nous sont inconnus ; mais ses grandes forces, non inférieures probablement à celles qui avaient vaincu à Chæroneia, répandirent partout la terreur, et réduisirent tous les Grecs au silence, à l’exception de ses partisans. Nulle part l’alarme ne fat plus grande qu’à Athènes. Les Athéniens, se rappelant et les discours de leurs orateurs et les votes de leur assemblée, — blessants au moins pour las Macédoniens, sinon hostiles à leur égard, — craignirent que la marche d’Alexandre ne fût, dirigée contre leur cité, et, en conséquence, ils firent des préparatifs pour soutenir un siège. Il fut enjoint à tous les citoyens d’amener dans la -ville leurs familles et leurs biens de la campagne, au point que l’espace compris dans l’intérieur des murs fut rempli à la fois de fugitifs et de bétail[25]. En même temps, l’assemblée adopta, sur la proposition de Démade, la résolution de se justifier auprès d’Alexandre et de se soumettre complètement à lui : non seulement elle le reconnut comme chef de la Grèce, mais elle lui conféra les honneurs divins, dans des termes même plus pompeux que ceux qu’on avait accordés à Philippe[26]. L’auteur de la motion, avec d’autres députés, porta la résolution à Alexandre, qu’ils trouvèrent à Thêbes, et qui accepta leur soumission. Un jeune orateur, nommé Pytheas, s’opposa, dit-on, au vote de l’assemblée athénienne[27]. Démosthène fit-il de même,-ou bien, voyant ses espérances désappointées et reconnaissant la supériorité écrasante des forces macédoniennes, se condamna-t-il au silence, — c’est ce que nous ne pouvons dire. Qu’il ne soit pas allé avec Démade en ambassade auprès d’Alexandre, c’est ce qui semble une chose naturelle, bien qu’on dise qu’il fut désigné par un vote public pour cette mission, et qu’il déclina cette charge. Il accompagna la légation jusqu’au mont Kithærôn, sur la frontière, et ensuite il revint à Athènes[28]. Nous lisons avec étonnement qu’Æschine. et ses autres ennemis dénoncèrent cette démarche comme une lâche désertion. Aucun envoyé ne pouvait être aussi odieux à Alexandre, ni aussi fait pour provoquer un refus pour la proposition qu’il apportait, que Démosthène. L’employer dans une pareille mission aurait été absurde ; si ce n’est dans le dessein que méditaient probablement ses ennemis, c’est qu’il fût ou détenu par le vainqueur comme victime expiatoire[29], ou renvoyé comme prisonnier pardonné et humilié. Après avoir déployé ses forces dans diverses parties du Péloponnèse, Alexandre retourna à Corinthe, où il convoqua des députés des cités grecques en général (automne, 336 av. J.-C.). Nous n’avons pas la liste des cités qui obéirent à l’appel ; mais probablement elle comprenait presque toutes les cités de la Grèce centrale. Nous savons seulement que les Lacédæmoniens continuèrent de .restera l’écart, refusant tout concours. Alexandre demanda aux députés assemblés la même nomination que Philippe victorieux avait exigée et obtenue deux années auparavant, — l’hégémonie ou commandement des Grecs collectivement en vue de poursuivre la guerre contre la Perse[30]. A la requête faite par un prince à la tête d’une, armée irrésistible, il n’y avait qu’une réponse possible. Il fut nommé général en chef avec pleins pouvoirs sur terre et sur mer. Terrifiés par la présence et le sentiment de la force macédonienne, tous acquiescèrent à ce vote, excepté les Lacédæmoniens. La convention sanctionnée par Alexandre fut probablement la même que celle qui avait été établie par Philippe et avec lui. Le trait saillant et significatif, c’était qu’elle reconnaissait la Hellas en tant que confédération sous le prince macédonien comme général, président, ou tête et bras exécutifs. Elle le couronnait d’une sanction légale comme gardien de la paix dans l’intérieur de la Grèce, et comme conquérant au dehors au nom de la Grèce. huant aux autres conditions, des plaintes subséquentes nous en font connaître quelques-unes, conditions équitables et tutélaires à l’égard des membres en général, mais que le chef macédonien trouva incommode d’observer, et qu’il commença bientôt à violer. Chaque cité hellénique fut déclarée, par le premier article de la convention, libre et autonome. Dans chacune, la constitution politique actuelle fut reconnue telle qu’elle était ; il fut interdit à toutes les autres cités d’y intervenir ou de seconder aucune attaque de la part de ses exilés hostiles[31]. Aucun nouveau despote ne devait être établi, aucun despote dépossédé ne devait être remis en possession du pouvoir[32]. Chaque cité s’engagea à décourager dans les autres, autant que possible, toute violence illégale, — telles qu’exécutions politiques, confiscation, spoliation, nouveau partage de terres ou abolition de dettes, affranchissement factieux d’esclaves, etc.[33] A chacune était garantie la liberté de la navigation ; toute capture sur mer était prohibée, sous peine d’inimitié de la part de toutes[34]. Il fut interdit à chacune d’envoyer des vaisseaux armés dans le port d’aucune autre, ou de construire des vaisseaux, ou d’y engager des marins[35]. Chacune jura d’observer ces conditions, de déclarer la guerre à tous ceux qui les violeraient, et de les conserver inscrites sur une colonne commémorative. Une disposition paraît avoir été prise à l’effet d’admettre toute cité additionnelle[36] qui le demanderait subséquemment, bien qu’elle n’eût pas été partie au contrat primitif. De plus, il paraît que des forces militaires permanentes, sous les ordres macédoniens, furent chargées d’imposer l’observation de cette convention, et qu’on regarda comme probable que le congrès des députés se réunirait périodiquement[37]. Telle fut la convention, autant que nous en connaissons les termes, faite par les députés grecs avec Alexandre ; mais avec Alexandre à la tète d’une armée irrésistible (automne, 3361 av. J.-C.). Il la proclama comme le statut public des Grecs[38], qui constituait une obligation absolue qu’il était chargé d’imposer, qui engageait tout le mondé, et l’autorisait à traiter tous les transgresseurs comme des rebelles. Elle fut présentée comme la contrepartie de la convention d’Antalkidas, et comme la remplaçant, convention que, comme nous le verrons bientôt, les officiers aie Darius essayèrent de faire revivre contre lui, — l’hégémonie de la Perse contre celle de la Macédoine. Telle est la triste dégradation du monde grec, que ses cités s’ont- pas d’autre alternative que de choisir entre ces deux potentats étrangers, — ou de solliciter le secours de Darius, le plus éloigné et le moins dangereux, dont l’hégémonie ne pourrait guère être plus que nominale, contre un voisin qui, assurément, serait dominateur et disposé à comprimer, et assez vraisemblablement tyrannique. Des trois États helléniques jadis chefs et compétiteurs puissants, — Sparte, Athènes et Thêbes, — sous chacun desquels le monde grec s’était soutenu comme un agrégat indépendant, se gouvernant lui-même, et admettant le libre jeu du sentiment et du caractère indigènes dans des circonstances plus ou moins avantageuses, — les deux derniers sont actuellement confondus comme étant des unités communes (l’un d’eux même maintenu par une garnison) au milieu des sujets alliés d’Alexandre ; tandis que Sparte conserve seulement la dignité d’une indépendance isolée. Il paraît que pendant les neuf mois qui suivirent le moment où la convention fut jurée (hiver-printemps, 336-335 av. J.-C.), Alexandre et ses officiers (après son retour en Macédoine) s’occupèrent activement, tant par la force armée que par l’envoi de députés, d’obtenir clé nouvelles adhésions et de refondre les gouvernements des diverses cités d’une manière conforme à leurs vues. Il s’éleva, au sujet de ces agressions, des plaintes dans l’assemblée publique d’Athènes, seul endroit de la Grèce où survivait encore quelque liberté de discussion. Un discours prononcé par. Démosthène, par Hypéride ou par l’un des politiques contemporains opposés aux Macédoniens (vers le printemps ou le commencement de l’été de 335 av. J.-C.)[39], nous donne quelque idée et des interventions macédoniennes qui continuaient sans cesse, et des remontrances inutiles faites contre elles par des citoyens athéniens individuellement. A l’époque de ce discours, des remontrances semblables avaient déjà été souvent répétées. Les Athéniens du parti macédonien y répondaient toujours par des déclarations péremptoires que la -convention devait être observée. Mais à leur tour, les auteurs des remontrances disaient qu’il était injuste de demander à Athènes l’observation rigoureuse de la convention, tandis que les Macédoniens et leurs partisans dans les diverses cités la violaient perpétuellement à leur profit. Alexandre et ses officiers (affirme l’orateur) n’avaient jamais déposé leurs armés depuis que la convention avait été faite. Ils avaient perpétuellement pratiqué les gouvernements des diverses cités, afin de porter leurs partisans au pouvoir[40]. A Messênê, à Sikyôn et à Pellênê, ils avaient renversé les constitutions populaires, banni un grand nombre de citoyens, et établi des amis à eux comme despotes. L’armée macédonienne, destinée comme garantie publique à imposer l’observation de la convention, avait été employée seulement à se mettre au-dessus de ses meilleures conditions, et à armer les mains de partisans factieux[41]. Ainsi Alexandre, en sa qualité de général en chef, méprisant toutes les entraves de la convention, agissait comme premier despote pour maintenir des despotes subordonnés dans les cités séparées[42]. Même à Athènes, cette autorité souveraine avait annulé dés sentences du dikasterion, et imposé l’adoption de mesures contraires aux lois et à la constitution[43]. Sur mer, les agressions injustes d’Alexandre ou de ses officiers n’avaient pas été moins manifestes que sur terre La convention, en garantissant à toutes les cités le droit de naviguer librement, interdisait distinctement à chacune de prendre ou de- retenir des navires appartenant à une autre. Néanmoins les Macédoniens avaient saisi, dans l’Hellespont, tous les bâtiments marchands venant du Pont-Euxin avec des cargaisons, et ils les avaient menés à Ténédos, où ils étaient retenus, sous divers prétextes frauduleux, en dépit des remontrances des propriétaires et des cités dont la provision de blé était interceptée ainsi. Parmi ces villes, Athènes fut celle qui souffrit le plus ; vu que les consommateurs de blé importé, les propriétaires de navires et les marchands y étaient plus nombreux qu’ailleurs. Les Athéniens, dont les plaintes et les remontrances n’étaient pas écoutées, finirent par être tellement excités, et peut-être inquiets au sujet de leurs approvisionnements, qu’ils rendirent un décret à l’effet d’équiper et d’envoyer cent trirèmes, et nommèrent amiral Menestheus (fils d’Iphikratês). Cette manifestation énergique amena les Macédoniens à relâcher les navires retenus. Si cette détention eût été prolongée, la flotte athénienne aurait fait voile pour obtenir réparation par la force, de sorte que, comme Athènes était supérieure aux Macédoniens sur mer, l’empire maritime de ces derniers aurait été renversé, tandis que, même sur terre, un grand encouragement eût été donné aux mécontents contre eux[44]. Il s’était présenté un autre incident, moins grave que celui-là, sur lequel toutefois l’orateur insiste encore comme étant une violation de la convention, et une insulte pour les Athéniens. Bien qu’un article exprès de la convention défendit que des vaisseaux armés d’une ville entrassent dans le port d’une autre, cependant une trirème macédonienne avait été envoyée au Peiræeus pour demander la permission que des navires plus petits pussent y être construits pour le compte des Macédoniens, Cette démarche était blessante pour, un nombre considérable d’Athéniens, non seulement en ce qu’elle violait la, convention, mais, en ce qu’elle était un pas manifeste fait en vue d’employer les équipements nautiques et les marins d’Athènes pour l’augmentation de la flotte macédonienne[45]. Que ces orateurs qui nous conseillent perpétuellement d’observer la convention (dit l’orateur) décident le chef souverain à donner l’exemple de l’observer de son côté. Je vous recommande aussi la même observation. Pour une démocratie rien n’est plus essentiel qu’une attention scrupuleuse apportée à l’équité et à la justice[46]. Mais la convention elle-même enjoint à tous ses membres de faire la guerre aux transgresseurs ; et conformément à cet article ; vous devez, faite la guerre à la Macédoine[47]. Soyez assurés que tous les Grecs verront que la guerre n’est ni dirigée contre eux ni amenée par votre faute[48]. Dans cette conjoncture, une semblable démarche, faite en vue de défendre votre propre liberté aussi bien que a liberté hellénique- en général, sera non moins opportune et avantageuse qu’elle est juste[49]. Le temps approche de secouer la honteuse soumission qui vous asservit à d’autres, et l’oubli où vous êtes de votre dignité passée[50]. Si vous m’encouragez, je suis prêt à faire une motion en forme. — C’est qu’on déclare la guerre aux violateurs de la convention, comme la convention elle-même l’ordonne[51]. Une proposition formelle de déclarer la guerre aurait attiré à son auteur une poursuite en vertu de la graphê paronomôn. En conséquence, tout en donnant clairement à entendre qu’il croyait convenable la conjoncture actuelle (quelle était-elle, nous l’ignorons), il refusa d’encourir une pareille responsabilité sans voir à l’avance une manifestation du sentiment public suffisante pour lui faire espérer un verdict favorable du dikasterion. La motion ne fut probablement pas faite. Mais un discours si hardi, bien qu’il ne fût pas suivi d’une motion, indique à lui seul l’état de sentiment en Grèce pendant les mois qui suivirent immédiatement la convention faite avec Alexandre. Cette harangue est seulement une des nombreuses qui furent prononcées dans l’assemblée athénienne, où l’on se plaignait de la suprématie macédonienne telle qu’elle était exercée en vertu de la convention. Il est évident que les actes des officiers macédoniens étaient de nature à fournir d’amples motifs de plainte ; et la détention de tous les navires de commerce venant du Pont-Euxin nous montre que même la subsistance d’Athènes et des îles était devenue plus ou moins compromise. Bien que les Athéniens n’eussent pas recours à une intervention armée, leur assemblée du moins fournissait un théâtre où une protestation publique pouvait se faire entendre et la sympathie publique se manifester. Il est probable aussi qu’y, cette époque Démosthène et les autres orateurs anti-macédoniens furent encouragés par des assurances et par des subsides de la Perse. Bien que la mort de Philippe et l’avènement d’un jeune homme de vingt ans non encore éprouvé eussent conduit Darius à croire, pour le moment, que tout danger d’une invasion en Asie était passé, cependant ses appréhensions furent ranimées actuellement par l’énergie que manifesta Alexandre, et par le renouvellement d’une ligue grecque sous sa suprématie[52]. Ce fut apparemment pendant le printemps de 335 avant J.-C. que Darius envoya de l’argent pour soutenir le parti anti-macédonien à Athènes et ailleurs. Æschine affirme, et Dinarque répète ensuite (tous deux orateurs hostiles à Démosthène), — que, vers ce temps, Darius envoya à Athènes trois cents talents que le peuple athénien refusa, mais que prit Démosthène, en réservant toutefois soixante-dix talents de la somme pour sa propre bourse ; qu’une enquête publique fut faite plus tard à ce sujet. Toutefois on ne dit pas que rien ait été établi[53] ; du moins Démosthène ne fut ni condamné ; ni même soumis (autant qu’on peut le croire) à aucun jugement formel. De pareilles données nous ne pouvons tirer aucun fait précis. Mais elles autorisent cette conclusion générale que Darius ou les satrapes de l’Asie Mineure envoyèrent de l’argent à Athènes dans le printemps de 335 avant J.-C., et des lettres ou des émissaires pour exciter des hostilités contre Alexandre. Que Démosthène et probablement d’autres orateurs marquants reçussent de pareilles remises d’argent de la Perse, ce n’est pas une preuve de cette corruption personnelle que leurs ennemis leur imputent. Il n’est nullement prouvé que Démosthène appliquât cet argent à ses desseins particuliers. Le recevoir et le dépenser en essayant d’organiser des coalitions pour l’affranchissement de la Grèce était une conduite qu’il devait avouer comme non seulement légitime, mais patriotique. C’était un secours obtenu d’un prince étranger pour mettre la Hellas en état de se délivrer de la domination pire d’un autre. A ce moment, l’intérêt politique de la Perse coïncidait avec celui de tous les Grecs qui aspiraient à la liberté. Darius n’avait pas de chance pour devenir maître de la Grèce ; mais sa propre sécurité lui prescrivait de l’empêcher de devenir une dépendance du royaume macédonien, et ses moyens pour y parvenir étaient abondants alors, s’ils eussent été employés d’une manière efficace. Or le but d’un patriote grec devait être de préserver l’intégrité et l’autonomie du monde hellénique de toute intervention étrangère. Invoquer le secours de la Perse contre des ennemis helléniques, — comme l’avait fait Sparte et dans la guerre du Péloponnèse et lors de la paix d’Antalkidas, et comme Thêbes et Athènes avaient suivi son exemple en le faisant plus tard, — c’était une conduite inexcusable ; mais invoquer le même secours contre la domination d’un autre étranger, à la fois plus rapproché et plus formidable, rie prêtait pas au blâme, sous le rapport du patriotisme ou de la politique. Démosthène avait pressé vainement ses compatriotes d’agir avec énergie contre Philippe, à un moment où ils auraient pu par leurs propres efforts soutenir l’autonomie existante tant pour Athènes que pour la Grèce en général. Actuellement il secondait ou appelait Darius, alors que la Grèce seule était devenue incapable de lutter contre Alexandre, l’ennemi commun et de la liberté grecque et de l’empire de Perse. Par malheur pour Athènes aussi bien que pour lui-même, Darius, avec d’abondants moyens de résistance entre les mains, joua son jeu contre Alexandre avec plus de stupidité et d’imprévoyance encore qu’Athènes n’avait joué le sien contre Philippe. Tandis que telles étaient les agressions des officiers macédoniens dans l’exercice de leur nouvel empire souverain, d’une extrémité à l’autre de la Grèce et des îles, — et telles les manifestations croissantes d’aversion qu’il provoquait à Athènes, — Alexandre était retourné dans son pays afin de pousser les préparatifs pour sa campagne en Perse (printemps 335 av. J.-C.). Toutefois il ne jugea pas prudent de transporter ses principales forces en Asie, jusqu’à ce qu’il eût fait sentir son pouvoir et son ascendant personnel aux dépendances macédoniennes, à l’ouest, au nord et au nord-est de Pella, — aux Illyriens, aux Pæoniens et aux Thraces. Sous ces noms généraux étaient comprises un grand nombre[54] de tribus, ou nations, distinctes, belliqueuses et pour la plupart adonnées au pillage. Étant restées indomptées jusqu’aux victoires de Philippe, elles ne furent pas maintenues dans la soumission même par lui sans difficulté ; et il n’était pas non plus vraisemblable qu’elles obéiraient à son jeune successeur, jusqu’à ce qu’elles eussent vu quelque preuve sensible de son énergie personnelle. Conséquemment, au printemps, Alexandre se mit à la tête d’une armée considérable, et s’avança dans la direction de l’est, en partant d’Amphipolis, par l’étroit défilé Sapæen, entre Philippi et la mer[55]. En dix jours dé marche, il arriva au difficile dépilé de montagne par lequel seul il pouvait franchir le mont Hæmus (Balkan). Il y trouva un corps de Thraces libres et de marchands armés du pays assemblés pour s’opposer à sa marché, postés sur la hauteur, ayant devant eux des chariots que leur dessein était de faire rouler en bas de la pente escarpée contre les rangs des Macédoniens qui avançaient. Alexandre esquiva ce danger en ordonnant à ses soldats ou d’ouvrir leurs rangs, de manière à laisser les chariots passer librement, — ou ; s’il n’y avait pas de place pour s’écarter, de se jeter par terre avec leurs boucliers serrés les uns prés des autres et placés obliquement au-dessus -de leurs corps ; de sorte que les chariots, en descendant la pentu et en venant contre les boucliers, quittèrent le sol et furent forcés de bondir sur le corps des hommes jusqu’à l’espace situé au-dessous. Tous les chariots roulèrent en bas sans tuer un seul homme. Les Thraces, mal armés, furent alors aisément dispersés par l’attaque macédonienne ; quinze cents hommes furent tués, toutes les femmes et tous les enfants faits prisonniers[56]. On envoya sous escorte les captifs et le butin pour être vendus aux ports de mer. Après avoir ainsi forcé le passage de la montagne, Alexandre conduisit son armée par la chaîne du mont Hæmus, et s’avança contre les Triballes, puissante tribu thrace qui s’étendait (autant qu’on peut le déterminer) de la plaine de Kossovo, dans la Servie moderne, au nord vers le Danube, — et que Philippe avait conquise, non toutefois sans avoir rencontré une résistance considérable et avoir essuyé des défaites à l’occasion. Leur prince, Syrmos, s’était déjà retiré avec les femmes et les enfants de la tribu dans une île du Danube appelée Peukê, où beaucoup d’autres Thraces avaient aussi cherché asile. Le gros de l’armée des Triballes se posta dans un endroit boisé, sur les bords de la rivière Lyginos, à environ trois jours de marche du Danube. Toutefois, molestés par les soldats macédoniens armés à la légère, ils furent tentés de quitter leur position couverte pour entrer en plaine ; ils y furent attaqués par Alexandre avec sa cavalerie et son infanterie, dans un combat corps à corps, et complètement défaits. Trois mille d’entre eux furent tués ; mais le reste, en très grande partie, échappa à la poursuite à la faveur du bois, de sorte qu’ils reperdirent que peu de prisonniers. La perte du côté des Macédoniens ne fut que de onze cavaliers et de quarante fantassins tués, suivant l’assertion de Ptolemæos, fils de Lagos, alors l’un des officiers de confiance d’Alexandre, et plus tard fondateur de la dynastie des rois gréco-égyptiens[57]. Une marche de trois journées, à partir du théâtre de l’action, conduisit Alexandre au Danube, où il trouva quelques vaisseaux armés, auxquels il avait préalablement donné l’ordre (probablement avec des provisions) de s’y rendre de Byzantion par le Pont-Euxin et en remontant le fleuve. Il employa d’abord ces vaisseaux à essayer de débarquer un corps de troupes dans file de Peukê ; mais sa tentative échoua à cause des rives escarpées, de la rapidité du courant et de la contenance résolue des défenseurs placés sur le bord. Pour compenser ce désappointement, Alexandre résolut de faire un déploiement de sa force en traversant le Danube et en attaquant les Getæ, tribus composées surtout de cavaliers armés d’arcs[58], analogues aux Thraces par les habitudes et le langage. Ils occupaient la rive gauche du fleuve, dont leur ville était éloignée d’environ quatre milles (= 6 kilom. 1/2). La terreur des succès macédoniens avait réuni un corps de quatre mille Getæ, visibles de la rive opposée, prêts à résister à un passage. En conséquence, Alexandre rassembla une quantité de bateaux grossiers (creusés dans un seul tronc) employés pour la navigation du fleuve, et il fit bourrer de foin les peaux des tentes de l’armée, afin de soutenir des radeaux. Ensuite il s’embarqua pendant la nuit, et parvint à transporter au delà du fleuve un corps de quatre mille fantassins et de quinze cents chevaux, en débarquant sur une partie du rivage où se trouvait du blé à haute tige et pas un poste ennemi. Les Getæ, intimidés non moins par ce passage heureux que par l’ordre excellent de l’armée d’Alexandre, restèrent à peine pour soutenir une charge de cavalerie, mais ils se hâtèrent d’abandonner leur ville, pauvrement fortifiée, et de se retirer à une plus grande distance du fleuve. Entrant dans la ville sans rencontrer de résistance, Alexandre la détruisit, enleva tous les biens meubles qu’il trouva, puis retourna vers le fleuve sans délai. Avant de quitter la rive septentrionale, il offrit un sacrifice à Zeus Sauveur, — à Hêraklès, — et au dieu Istros (Danube) lui-même, qu’il remercia de lui avoir permis le passage[59]. Le jour même, il repassa le fleuve pour revenir dans son camp, après une vaine démonstration de force, destinée à prouver qu’il pouvait faire ce que ni son père ni aucune armée grecque n’avaient encore fait, et ce que tout le monde croyait impossible, — en franchissant le plus grand de tous les fleuves connus sans pont et en face d’un ennemi[60]. La terreur répandue par les opérations militaires d’Alexandre fut si grande, que non seulement les Triballes, mais les Thraces autonomes alentour, envoyèrent des députés pour offrir des présents ou un tribut, et pour solliciter la paix. Alexandre accéda à leur requête. L’esprit tourné vers la guerre avec l’Asie, il se contenta d’avoir intimidé ces tribus au point de les empêcher de se soulever pendant son absence. Quelles conditions imposa-t-il, nous l’ignorons, mais il accepta les présents[61]. Tandis que ces requêtes des Thraces étaient discutées, il arriva des députés d’une tribu de Gaulois qui occupait une région montagneuse éloignée, à l’ouest, vers le golfe Ionien. Bien qu’étrangers à Alexandre, ils avaient tellement entendu parler de ses exploits récents, qu’ils venaient demander à être admis dans son amitié. Ils se distinguaient tant par leur haute stature que par leur langage plein de vanterie. Alexandre échangea volontiers avec eux des assurances d’alliance. Les régalant à un festin, il leur demanda, dans le cours de la conversation : Que craignez-vous le plus parmi les éventualités humaines ? — Nous ne redoutons aucun homme ni aucun danger, répondirent-ils ; nous ne craignons qu’une chose, c’est que le ciel ne tombe sur nos têtes. Cette réponse désappointa Alexandre, qui s’était attendu qu’ils le nommeraient comme la personne qu’ils redoutaient le plus : si prodigieuse était la suffisance que lui inspiraient ses exploits. Il fit observer à ses amis que ces Gaulois étaient des fanfarons. Cependant, si nous faisons attention au sentiment plutôt qu’au langage, nous verrons qu’une pareille épithète s’applique aussi bien ou mieux à Alexandre lui-même. L’anecdote est surtout intéressante en ce qu’elle montre combien il était jeune encore lorsque se montra chez lui l’exorbitante estime de lui-même, dont nous verrons ci-après des preuves. Qu’après la bataille d’Issus il se crût un être surhumain, nous ne pouvons guère en être étonnés ; mais il n’était encore que dans la première année de son règne, et il n’avait rien fait de plus que de s’être avancé en Thrace et d’avoir remporté une victoire sur les Triballes. Après avoir réglé ces affaires, il se dirigea au sud-ouest, vers le territoire des Agrianes et des autres Pæoniens, entre les fleuves du Strymôn et de l’Axios, à la partie supérieure de leur cours. Là, il fut rencontré par un corps d’Agrianes, sous leur prince Langaros, qui avait déjà contracté une amitié personnelle avec lui à Pella, avant la mort de Philippe. La nouvelle arriva que l’Illyrien Kleitos, fils de Bardylis, qui avait été soumis par Philippe, s’était révolté à Pelion — poste fortifié au sud du lac Lychnidos, sur le côté occidental de la chaîne du Skardos et du Pindos, près de l’endroit où cette chaîne est interrompue par la fente appelée la Klissura de Tzangon ou Devol[62], — et que les Illyriens occidentaux, appelés Taulantii, sous leur prince Glaukias, étaient en route pour l’assister. Conséquemment Alexandre s’y dirigea sur-le-champ, laissant Langaros s’occuper de la tribu illyrienne des Autariatæ, qui avait menacé de s’opposer à sa marche. Il s’avança le long de la rive de l’Erigôn en la remontant, à partir d’un point voisin de l’endroit où cette rivière rejoint l’Axios[63]. En approchant de Pelion, il trouva les Illyriens postés devant cette ville et sur les hauteurs alentour, attendant l’arrivée de Glaukias, leur allié promis. Tandis qu’Alexandre faisait des dispositions pour l’attaque, ils offrirent leurs sacrifices aux dieux : les victimes étant trois garçons, trois filles et trois béliers noirs. D’abord ils s’avancèrent hardiment à sa rencontre ; mais, avant d’en venir à un combat corps à corps, ils tournèrent le dos et s’enfuirent dans la ville si précipitamment que les victimes tuées restèrent étendues sur place[64]. Après avoir ainsi refoulé les défenseurs, Alexandre se préparait à mener un mur de circonvallation autour de Pelion, quand il fut interrompu par l’arrivée de Glaukias, avec des forces si considérables qu’il fut forcé d’abandonner son projet. Un corps de cavalerie, envoyé du camp macédonien au fourrage, sous Philotas, fut en danger d’être coupé par Glaukias et ne fut sauvé que par l’arrivée d’Alexandre lui-même avec un renfort. En face de ces forces supérieures, il fut nécessaire de faire retirer l’armée macédonienne par une ligne étroite de route le long du fleuve Eordaikos, où dans quelques endroits il n’y avait place que pour quatre hommes de front, avec des collines ou des marais partout alentour. Par une série de manœuvres habiles et hardies et par un emploi efficace de ses machines de siège et à projectiles, à l’effet de protéger l’arrière-garde, Alexandre dérouta complètement l’ennemi, et ramena son armée sans pertes[65]. De plus, ces Illyriens, qui n’avaient pas su faire usage de ces avantages de position, s’abandonnèrent au désordre aussitôt que leur ennemi se fut retiré, négligeant toutes les précautions nécessaires à la sûreté de leur camp. Informé de cette négligence, Alexandre fit une marche forcée de nuit en arrière, à la tête de sa division d’Agrianes et des troupes légères, appuyées par le reste de l’armée. Il surprit les Illyriens dans leur camp avant le jour. Le succès de cette attaque contre une armée endormie et non gardée fut si complet que les Illyriens s’enfuirent sur-le-champ sans faire de résistance. Un grand nombre d’entre eux furent tués ou faits prisonniers ; le reste, jetant les armes, s’enfuit précipitamment vers ses demeures, poursuivi par Alexandre jusqu’à une distance considérable. Le prince illyrien. Kleitos fut forcé d’évacuer Pelion, ville qu’il brûla, et il se retira ensuite dans le territoire de Glaukias[66]. Au moment même où Alexandre avait achevé de remporter cette victoire sur Kleitos et sur les auxiliaires taulantiens, et avant qu’il fût retourné dans son royaume, il reçut une nouvelle d’un caractère menaçant. Les Thêbains s’étaient déclarés indépendants de lui et assiégeaient sa garnison dans la Kadmeia (août 335 av. J.-C.). Nous connaissons très imparfaitement les antécédents immédiats de cet événement, à la fois important et désastreux pour ceux qui se mirent en avant. Nous avons déjà fait remarquer que le vote de soumission de la part des Grecs à l’égard d’Alexandre comme général en chef, pendant l’automne précédent ; n’avait été rendu que sous l’intimidation d’une armée macédonienne présente. Bien que les Spartiates seuls eussent le courage de proclamer leur dissentiment, on savait bien, et Alexandre ne L’ignorait pax, que les Athéniens, les Arkadiens, les Ætoliens et autres étaient prêts à faire la même chose au premier revers sérieux des armes macédoniennes[67]. De plus, l’énergie et le talent déployés par Alexandre avaient appris au roi de Perse que tout danger pour lui-même n’était pas éloigné par la mort de Philippe, et l’engagèrent soit à envoyer, soit promettre des secours pécuniaires aux Grecs opposés aux Macédoniens. Nous avons déjà mentionné la manifestation d’un sentiment anti-macédonien a. Athènes, — déclaré par plusieurs des orateurs les plus éminents, — Démosthène, Lykurgue, Hypéride et autres, aussi bien que par des militaires actifs, tels que Charidêmos et Ephialtês[68], qui probablement parlèrent plus hardiment quand Alexandre fut absent et sur le Danube. Dans d’autres cités, le même sentiment trouva sans doute des avocats, bien que moins distingués ; mais à Thêbes, où il ne pouvait être déclaré ouvertement, il régnait avec la plus grande force[69]. Les Thêbains souffraient une oppression dont la plupart des autres cités étaient exemptes, — la présence d’une garnison macédonienne dans leur citadelle, précisément comme ils avaient enduré, cinquante ans auparavant, le frein d’une garnison spartiate après la fraude de Phœbidas et de Leontiadês. Dans le cas actuel, comme dans le premier, l’effet fut d’armer les chefs du parti macédonien d’un pouvoir absolu sur leurs concitoyens, et non seulement de causer à ces derniers un malheur public en anéantissant toute liberté de parole, mais encore de les exposer à des insultes et à des injures individuelles multipliées, suscitées par la convoitise. et la rapacité de maîtres étrangers aussi bien que domestiques[70]. Un certain nombre de citoyens thêbains, et parmi eux les esprits les plus libres et les plus hardis, étaient en exil à Athènes, ne recevant, il est vrai, du public rien de plus qu’une demeure assurée, mais encouragés secrètement à espérer un meilleur état de choses par Démosthène et les autres chefs hostiles aux Macédoniens[71]. De même, cinquante années auparavant, c’était à Athènes, et auprès de simples citoyens, que les Thêbains Pélopidas et Mellôn avaient trouvé cette sympathie qui leur permit d’organiser leur audacieuse conspiration, destinée à délivrer Thêbes des Spartiates. Cette entreprise, admirée dans toute la Grèce à la fois comme aventureuse, habile et héroïque, était le modèle présent à l’imagination des exilés thêbains, qu’ils désiraient imiter s’il se présentait quelque occasion passable. Tels furent les sentiments en Grèce pendant la longue absence d’Alexandre lors de son expédition en Thrace et en Illyria, période de quatre ou cinq mois, finissant en août 335 avant J.-C. Non seulement Alexandre fut ainsi absent’ longtemps, mais encore il n’envoya en Macédoine aucun compte de ses opérations. Il est assez probable que ses courriers étaient interceptés dans les montagnes et par les voleurs de Thrace ; et même s’ils arrivaient à Pella, leurs dépêches n’étaient pas lues publiquement, comme l’auraient été dans l’assemblée athénienne de pareilles communications. Aussi ne sommes-nous pas surpris d’apprendre que le bruit courut qu’il avait été défait et tué. Parmi ces rapports, à la fois multipliés et hardis, l’un fut même certifié par un menteur qui prétendit être arrivé récemment de Thrace, avoir été témoin oculaire du fait et avoir été blessé lui-même dans l’action contre les Triballes, dans laquelle Alexandre avait péri[72]. Cette bienheureuse nouvelle, non fabriquée, mais trop facilement crue par Démosthène et par Lykurgue[73], fut annoncée à l’assemblée athénienne. En dépit des doutes exprimés par Démade et par Phokiôn, elle fut crue aussi non seulement par les Athéniens et les exilés thêbains présents à Athènes, mais encore par les Arkadiens, les Eleiens, les Ætoliens et par d’autres Grecs. Pendant un temps considérable, à cause de l’absence d’Alexandre, elle resta sans être contredite, ce qui fortifia la pensée qu’elle était vraie. Ce fut en vertu de la pleine croyance accordée au bruit de la défaite et de la mort d’Alexandre que les cités grecques procédèrent. L’événement interrompait par lui-même leurs relations avec la Macédoine. Il n’y avait ni fils ni frère adulte pour succéder au trône, de sorte qu’il était vraisemblable que non seulement l’ascendant étranger de la Macédoine serait détruit, mais même son unité intérieure. Pour ce qui regarde Athènes, l’Arkadia, l’Elis, l’Ætolia, etc., le sentiment anti-macédonien se manifesta sans doute d’une manière véhémente, mais on ne provoqua aucune action, spéciale. Il erre fut autrement par rapport à Thêbes. Phœnix, Prochytês et les autres exilés thêbains à Athènes formèrent immédiatement leur plan pour délivrer leur cité et chasser la garnison macédonienne de la Kadmeia. Recevant des armes et de l’argent de Démosthène et d’autres citoyens athéniens, et appelés par leurs partisans à Thêbes, ils entrèrent soudainement en armes dans cette cité. Bien qu’ils fussent hors d’état d’emporter la Kadmeia par surprise, ils arrêtèrent dans la cité et mirent à mort Amyntas, un des premiers officiers macédoniens, avec Timolaos, l’un des principaux Thêbains favorables à la Macédoine[74]. Ensuite ils convoquèrent immédiatement une assemblée générale des Thêbains, qu’ils prièrent ardemment de faire un vigoureux effort pour chasser les Macédoniens et pour reconquérir l’ancienne liberté de la cité. S’étendant sur les méfaits de la garnison et sur les actes oppressifs de ceux des Thêbains qui gouvernaient avec son appui, ils déclarèrent que le bon moment était venu pour recouvrer la liberté, grâce à la mort récente d’Alexandre. Sans doute ils rappelèrent le souvenir de Pélopidas et la glorieuse entreprise, chère à tous les patriotes thêbains, par laquelle il avait arraché Thêbes à l’occupation spartiate, quarante-six ans auparavant. Les Thêbains répondirent sincèrement à cet appel. L’assemblée vota la séparation de la Macédoine et l’autonomie de Thêbes, — et nomma comme bœôtarques quelques-uns des exilés de retour, avec d’autres du même parti, afin qu’ils prissent d’énergiques mesures contre la garnison de la Kadmeia[75]. Malheureusement pour Thêbes, aucun de ces nouveaux bœôtarques n’était de la trempe d’Epaminondas, probablement pas même de Pélopidas. Cependant leur plan, bien qu’à cause de son lamentable résultat il soit généralement dénoncé comme insensé, donnait réellement d’abord de meilleures promesses que celui des conspirateurs hostiles aux Spartiates, en 380 avant J.-C. On somma à l’instant la Kadmeia de se rendre ; peut-être espérait-on que le commandant macédonien livrerait la citadelle avec aussi peu de résistance que l’avait fait l’harmoste spartiate. Mais de telles espérances ne se réalisèrent pas. Probablement Philippe avait fait fortifier et approvisionner la forteresse. La garnison défia les chefs thêbains, qui ne se -sentirent pas assez forts pour donner l’ordre d’un assaut, comme Pélopidas, dans son temps, était préparé à le faire, si la reddition avait été refusée[76]. Ils se contentèrent de mener et de garder une double ligne de circonvallation autour de la Kadmeia, de manière à empêcher que la garnison ne fît des sorties et que des provisions n’entrassent dans la place[77]. Ils envoyèrent des députés, dans le triste costume de suppliants, aux Arkadiens et a d’autres, pour représenter que leur mouvement récent était dirigé non contre l’union hellénique, mais contre l’oppression et les outrages des Macédoniens, qui pesaient sur eux avec une amertume intolérable. Comme Grecs et comme citoyens, ils demandaient une aide qui les sauvât d’un si grand malheur. Ils trouvèrent beaucoup de sympathies favorables, et reçurent quelques promesses suivies même d’un demi accomplissement. Beaucoup d’entre les principaux orateurs à Athènes, — Démosthène, Lykurgue, Hypéride et autres, — ainsi que les militaires Charidêmos et Ephialtês, — pressèrent vivement leurs compatriotes de se déclarer en faveur de Thêbes et d’envoyer des secours contre la Kadmeia. Mais les citoyens en général, suivant les conseils de Démade et de Phokiôn, attendirent afin de mieux s’assurer et de la mort d’Alexandre et de ses conséquences, avant de courir le hasard d’une hostilité ouverte contre la Macédoine, bien qu’ils semblent avoir déclaré leur sympathie pour la révolution thébaine[78]. Démosthène, en outre, se rendit comme député dans le Péloponnèse, tandis que le Macédonien Antipater envoya aussi des requêtes pressantes aux cités péloponnésiennes, réclamant leurs contingents, comme membres de la confédération sous Alexandre pour agir contre Thêbes. L’éloquence de Démosthène, appuyée par son argent ou par l’argent persan qu’il distribua, détermina les Péloponnésiens à refuser de satisfaire aux demandes d’Antipater et à ne pas envoyer de contingents contre Thêbes[79]. Les Eleiens et les Ætoliens manifestèrent des assurances générales favorables à la révolution de Thêbes, tandis que les Arkadiens allèrent même jusqu’à envoyer quelques troupes pour la seconder, bien qu’elles ne s’avançassent pas au delà de l’isthme[80]. C’était dans les affaires grecques une crise qui ouvrait de nouvelles chances de recouvrer la liberté. Si les Arkadiens et les autres Grecs eussent prêté à Thêbes une aide décisive, — si Athènes avait agi même avec autant d’énergie qu’elle le fit douze ans après pendant la guerre Lamiaque, en occupant les Thermopylæ avec une armée et une flotte, — les portes de la Grèce auraient bien pu être fermées à une nouvelle armée macédonienne, Alexandre eût-il été vivant et à la tête de cette armée. Que la lutte de Thêbes ne fût pas regardée à l’époque, même par les Grecs favorables aux Macédoniens, comme désespérée, c’est ce que prouvent les observations subséquentes et d’Æschine et de Dinarque à Athènes. Æschine (prononçant cinq ans plus tard son discours contre Ktesiphôn) accuse Démosthène d’avoir, par sa lenteur méchante, causé la ruine de Thêbes. Les mercenaires étrangers qui formaient une partie de la garnison de la Kadmeia étaient prêts (affirme Æschine) à livrer cette forteresse, en recevant cinq talents ; les généraux arkadiens auraient amené leurs troupes au secours de Thêbes si on leur eût payé neuf ou dix talents, — après avoir repoussé les sollicitations d’Antipater. Démosthène (disent ces deux orateurs) ayant en sa possession trois cents talents du roi persan, pour exciter des mouvements anti-macédoniens en Grèce, fut supplié par les envoyés Thêbains de fournir de l’argent pour ces desseins ; mais il repoussa la requête, garda l’argent pour lui, et empêcha ainsi et la reddition de la Kadmeia et la marche en avant des Arkadiens[81]. L’accusation avancée ici contre Démosthène paraît complètement incroyable. Supposer que des mouvements anti-macédoniens comptassent pour si peu de chose à ses yeux, est une hypothèse démentie par toute son histoire. Mais le fait que ces allégations furent faites par Æschine seulement cinq ans plus tard prouve ce qu’an disait et ce qu’on sentait a l’époque, — à savoir que les chances d’une résistance heureuse à la Macédoine de la part des Thêbains n’étaient pas regardée, ; comme défavorables. Et quand les Athéniens, suivant les conseils de Démade et de Phokiôn, refusèrent de secourir Thêbes ou d’occuper les Thermopylæ, — ils consultèrent peut-être la sûreté d’Athènes séparément, mais ils s’écartèrent du patriotisme généreux et panhellénique qui avait animé leurs ancêtres contre Xerxès et Mardonios[82]. Les Thêbains, bien que laissés ainsi dans l’isolement d’une manière peu généreuse, pressèrent le blocus de la Kadmeia, et ils auraient bientôt réduit la garnison macédonienne s’ils n’eussent été surpris par ce terrifiant événement, — Alexandre arrivant en personne à Onchêstos en Bœôtia, à la tête de son armée victorieuse. Son arrivée à Onchêstos apprit pour la première fois qu’il était encore vivant. D’abord personne ne put y croire. Les chefs thêbains prétendirent que c’était un nouvel Alexandre, fils d’Aeropos, à la tête d’une armée macédonienne de secours[83]. Dans cet incident, nous pouvons signaler deux traits qui caractérisèrent Alexandre jusqu’à la fin de sa vie : une célérité incomparable de mouvement et une faveur non moins remarquable de la fortune. Si la nouvelle du soulèvement thêbain lui fret parvenue pendant qu’il était sur le Danube ou chez les Triballes éloignés, — ou même quand il était embarrassé dans la région difficile autour de Pelion, — il n’aurait pu guère par aucun effort arriver à temps pour sauver la Kadmeia. Mais il l’apprit juste au moment où il avait vaincu Kleitos et Glaukias, de sorte qu’il avait les bras parfaitement libres, — et encore quand il était dans une position particulièrement rapprochée et commode pour une marche directe en Grèce sans retourner à Pella. Du défilé Tschangon (ou de la rivière Devol), près duquel les dernières victoires d’Alexandre avaient été gagnées, sa route était vers le sud ; elle suivait en descendant en partie le cours supérieur de l’Haliakmôn, à travers la haute Macédoine, c’est-à-dire par les régions appelées Eordæa et Elymeia qu’il avait à sa gauche, tandis que les hauteurs du Pindos et le cours supérieur du fleuve Aoos, occupé par les Epirotes appelés Tymphæi et Paranæi, étaient à sa droite. Après sept jours de marche, traversant les crêtes plus basses des monts Cambuniens — qui séparent l’Olympos du Pindos et la haute Macédoine de la Thessalia —, Alexandre parvint à la ville thessalienne de Pelinna. Six journées de plus l’amenèrent à la bœôtienne Onchêstos[84]. Il était déjà en deçà des Thermopylæ avant qu’aucun Grec sût qu’il était en marche, ou même qu’il était vivant. La question de l’occupation des Thermopylæ par une armée grecque était ainsi mise de côté. La difficulté de forcer ce défilé et la nécessité à !y arriver avant Athènes, soit par un stratagème, soit par une marche rapide, étaient présentes à l’esprit d’Alexandre, comme elles l’avaient été à celui de Philippe dans son expédition de 346 avant J.-C. contre les Phokiens. Son arrivée en elle-même, événement très formidable, fit effet sur les Grecs avec une double force par son extrême soudaineté. Nous ne pouvons guère douter que les Athéniens et les Thébains n’eussent des communications à Pella, — qu’ils ne regardassent comme vraisemblable qu’une invasion macédonienne viendrait de là, — et qu’ils ne comptassent qu’Alexandre lui-même (en admettant qu’il vécût encore, contrairement à leur opinion) reviendrait dans sa capitale avant de commencer quelque nouvelle entreprise. Dans cette hypothèse, — probable en elle-même, et telle- qu’elle se serait réalisée si Alexandre ne s’était déjà, avancé aussi loin au sud au moment où il reçut la nouvelle[85], — ils auraient du moins connu son approche à l’avance, et auraient eu le choix d’une coalition défensive ouverte. Comme les choses se passèrent, son apparition inattendue dans le cœur de la Grèce prévint toute combinaison, et arrêta toute idée de résistance. Deux jours après son arrivée en Bœôtia, il fit avancer son armée autour de Thêbes, de manière à camper sur le côté méridional de la cité ; par là, il intercepta la communication des Thêbains avec Athènes, et montra ses forces plus visiblement à la garnison de la Kadmeia. Les Thébains, quoique seuls et sans espoir de secours, conservèrent un courage inébranlable. Alexandre différa l’attaque un, jour ou deux, dans l’espérance qu’ils se soumettraient ; il désirait éviter un assaut qui coûterait la vie à, beaucoup de ses soldats, dont il avait besoin pour ses desseins sur l’Asie. Il fit même une proclamation publique[86] pour demander qu’on lui livrât les chefs anti-macédoniens Phœnix et Prochytês, mais pour offrir à tout autre Thêbain qui voudrait quitter la cité la permission de venir le rejoindre aux termes de la convention jurée l’automne précédent. Une assemblée générale étant convoquée, les Thêbains du parti macédonien firent ressortir combien il serait prudent de se soumettre à des forces auxquelles il était impossible de résister. Mais les chefs récemment de retour de l’exil, qui avaient dirigé le mouvement, s’opposèrent à cette proposition avec chaleur, en conseillant de résister jusqu’à la mort. Chez eux, une pareille résolution ne peut étonner, puisque (comme le fait remarquer Arrien)[87], ils étaient allés trop loin pour espérer de la clémence. Toutefois, comme il paraît que la masse des citoyens adopta de propos délibéré la même résolution, malgré les conseils énergiques dans le sens contraire[88], nous voyons clairement qu’ils avaient déjà senti ce que la domination macédonienne avait d’amer, et que plutôt que d’en endurer le renouvellement, qui assurément serait pire, joint au déshonneur d’avoir livré leurs chefs, — ils s’étaient déterminés à périr avec la liberté de leur cité. A un moment où le sentiment de la Hellas comme système autonome était en train de s’effacer et le courage grec de dégénérer en un pur instrument pour l’agrandissement de chefs macédoniens, ces compatriotes d’Epaminondas et de Pélopidas donnèrent un exemple de sacrifice personnel et, dévoué à la cause de la liberté grecque, non moins honorable que celui de Léonidas aux Thermopylæ, et seulement moins estimé parce qu’il fut infructueux. En réponse à la proclamation d’Alexandre, les Thêbains firent du haut de leurs murs une contre proclamation pour demander qu’on leur livrât ses officiers Antipater et Philotas, et pour inviter à se joindre à eux tous ceux qui désiraient, de concert avec le roi de Perse et les Thêbains, délivrer les Grecs, et abattre le despote de la Hellas[89]. Ce défi hautain et cette réponse orgueilleuse irritèrent Alexandre au plus haut point. Il fit avancer ses machines pour battre en brèche, et prépara tout pour prendre la ville d’assaut. L’assaut meurtrier qui suivit a donné lieu à différents récits qui ne s’accordent pas les uns avec les autres, et qui cependant ne sont pas complètement inconciliables. Il paraît que les Thêbains avaient élevé, probablement en connexion avec leurs opérations contre la Kadmeia, un ouvrage extérieur défendu par une double palissade. Leurs murs étaient gardés par les soldats les moins utiles, par les metœki et les esclaves affranchis ; tandis que leurs meilleures troupes étaient assez hardies pour s’avancer au-devant des portes et livrer bataille. Alexandre partagea son armée en trois divisions : l’une sous Perdikkas et Amyntas contre l’ouvrage extérieur, — une seconde destinée à combattre les Thêbains qui faisaient des sorties, — et une troisième tenue en réserve. Entre la seconde de ces trois divisions et les Thêbains devant les portes, la bataille fut disputée avec tant d’opiniâtreté que le succès, à un moment, sembla douteux, et qu’Alexandre fut forcé de faire avancer sa réserve. Le premier succès macédonien fut obtenu par Perdikkas[90], qui, aidé par la, division d’Amyntas et aussi par le régiment des Agrianes et des archers, emporta le premier des deux ouvrages extérieurs, aussi bien qu’une poterne qui était restée sans être gardée. Ses troupes prirent aussi d’assaut le second ouvrage extérieur, bien que lui-même fût grièvement blessé et emporté dans le camp. Alors les défenseurs thêbains s’enfuirent dans la cité, le long du chemin creux qui conduisait au temple d’Hêraklês, poursuivis par les troupes légères en avant des autres. Toutefois les Thêbains se retournèrent bientôt, se jetèrent sur ces troupes, et les repoussèrent en tuant non seulement Eurybotas, leur commandant, mais encore soixante-dix hommes. En poursuivant ces archers, quelque désordre se mit dans les rangs des Thêbains, de sorte qu ils ne purent résister è, la charge ferme des gardes macédoniens et de l’infanterie pesante arrivant à l’appui. Ils furent rompus et refoulés dans la cité, et leur déroute fut rendue encore plus complète par une sortie que fit la garnison macédonienne de la Kadmeia. Les assaillants tant victorieux de ce tâté, les Thébains qui soutenaient le combat en dehors des portes furent forcés de se retirer, et les Macédoniens, s’avançant, pénétrèrent de force dans la ville avec eux. Toutefois, dans l’intérieur de la ville, le combat continua encore, les Thébains résistant en corps organisés aussi longtemps qu’ils le purent, et, quand ils étaient rompus, résistant encore même isolés. Pas un homme de la population militaire ne demanda grâce ; la plupart d’entre eux furent tués dans les rues ; mais un petit nombre de cavaliers et de fantassins se frayèrent un chemin au dehors, entrèrent en plaine et s’échappèrent. Alors le combat dégénéra en carnage. Les Macédoniens, avec leurs contingents pæoniens, étaient irrités de cette résistance opiniâtre, tandis que divers Grecs servant comme auxiliaires, Phokiens, Orchoméniens, Thespiens, Platæens, — avaient à venger d’anciennes et graves injures qu’ils avaient reçues de Thêbes. Ces sentiments de fureur furent rassasiés par le massacre de tous ceux qui se trouvèrent sur leur chemin, sans distinction d’âge ni de sexe, — vieillards, femmes et enfants furent tués dans les maisons et même dans les temples. Ce carnage en masse fut accompagné naturellement de tout le pillage et des outrages de toute sorte, récompense que s’accordaient habituellement des assaillants victorieux[91]. Il y eut, dit-on, de tués plus de cinq cents Macédoniens et six mille Thêbains. On fit trente mille prisonniers[92]. Ce sort définitif de ces captifs, et de Thêbes elle-même, fut soumis par Alexandre aux Orchoméniens, aux Platæens, aux Phokiens et aux autres Grecs qui avaient concouru à l’assaut. Il a bien dû savoir à l’avance quelle serait la sentence de pareils juges. Ils déclarèrent que la cité de Thêbes serait rasée jusqu’au sol ; que la Kadmeia seule serait conservée comme poste militaire, avec une garnison macédonienne ; que le territoire thêbain serait distribué entre les alliés eux-mêmes ; qu’Orchomenos et Platée seraient rebâties et fortifiées ; que tous les captifs thêbains, hommes, femmes et enfants, seraient vendus comme esclaves, — à l’exception seulement des prêtres et des prêtresses, et de ceux qui étaient rattachés à Philippe et à Alexandre par des liens reconnus d’hospitalité, ou de ceux qui avaient été’ proxeni des Macédoniens ; que les Thêbains qui s’étaient échappés seraient proscrits, sujets à être arrêtés et tués partout où ils seraient trouvés, et qu’il serait interdit à toute cité grecque de les recevoir[93]. Cette sentence accablante, malgré un appel à la clémence fait par un Thêbain[94] nommé Kleadas, fut rendue par les auxiliaires grecs d’Alexandre, et exécutée par Alexandre lui-même, qui ne fit qu’une addition aux clauses d’exception. Il laissa debout la maison de Pindare, et épargna les descendants du poète. Avec ces réserves, Thêbes fut effacée de la terre. Le territoire thêbain fut réparti entre les cités rétablies d’Orchomenos et de Platée. Il ne resta rien, si ce n’est un poste militaire macédonien à la Kadmeia, pour rappeler où avait existé jadis le chef de la confédération bœôtienne. Les captifs furent tous vendus, et ils produisirent, dit-on, quatre cent quarante talents, des prix considérables étant offerts par des enchérisseurs à cause des sentiments d’hostilité à l’égard de la cité[95]. Diodore nous dit que cette sentence fut rendue par le congrès général des Grecs. Mais nous ne sommes pas obligés de croire que ce congrès, tout soumis qu’il dût être, étant appelé à délibérer sous la pression de la force armée d’Alexandre, pst être amené à sanctionner une pareille ruine infligée à l’une des premières et des plus anciennes cités helléniques. Car nous savons par Arrien que la question fut discutée et réglée seulement par les auxiliaires grecs qui avaient pris parti pour Alexandre[96], et que, conséquemment, la sentence représente les amères antipathies des Orchoméniens, des Platæens, etc. Sans doute ces cités avaient subi de la part de Thêbes un traitement dur et cruel. En ce qui les concernait, le châtiment que recevaient les Thêbains était mérité. Toutefois les personnes qui (comme nous le dit Arrien) déclarèrent que la catastrophe était une punition divine infligée à Thêbes pour s’être jointe à Xerxès contre la Grèce[97] un siècle et demi auparavant, — devaient avoir oublié que non seulement les Orchoméniens, mais même Alexandre de Macédoine, l’homonyme, et le -prédécesseur du vainqueur auteur de sa destruction, avaient servi dans l’armée de Xerxès avec les Thêbains. Arrien essaye en vain de transporter d’Alexandre aux cités bœôtiennes inférieures l’odieux acte de cette cruelle destruction sans exemple dans l’histoire grecque (comme il le dit lui-même), quand nous considérons la grandeur de la cité, surpassé toutefois en somme par le renversement de pas moins de trente-deux cités chalkidiques libres que, treize ans auparavant, les armes de Philippe détruisirent. Alexandre invoqua l’antipathie bien connue de ces Bœôtiens pour colorer une condamnation qui satisfaisait à la fois ses sentiments, en détruisant un ennemi qui le défiait, — et sa politique, en servant d’exemple terrible pour tenir les Grecs dans le respect[98]. Mais bien que telles fussent les idées sous l’empire desquelles il était à ce moment, il en vint plus tard à considérer cette mesure avec honte et chagrin. Le coup porté au sentiment hellénique, quand une cité était renversée, résultait non seulement de l’anéantissement violent de la vie, des biens, de la liberté et des institutions sociales ou politiques, — mais encore de l’oblitération de légendes et de la suppression d’observances religieuses, actes qui offensaient et provoquaient ainsi les dieux et les héros locaux. Nous verrons bientôt Alexandre lui-même sacrifier à Ilion[99], afin d’apaiser la colère de Priam, subsistant encore et efficace, contre lui-même et sa race, comme étant descendu de Neoptolemos, meurtrier de ce prince. Par le dur traitement qu’il infligea à Thêbes, il encourut le déplaisir de Dionysos, le dieu du vin, qui, dit-on, était né dans cette cité, et l’une des principales figures de la légende thêbaine. Ce fut aux inspirations de Dionysos offensé qu’Alexandre se crut redevable de cette passion désordonnée pour le vin, sous l’empire de laquelle il tua Kleitos plus tard, aussi bien que du refus que firent ses soldats macédoniens de le suivre dans l’Inde[100]. Si Alexandre se repentit ainsi dans la suite de son action, nous pouvons être sûrs que d’autres éprouvèrent plus fortement encore la même répugnance, et nous pouvons comprendre le sentiment sous l’empire duquel, peu d’années après sa mort, le Macédonien Kassandre, fils d’Antipater, rétablit la cité détruite. Toutefois, au moment, l’effet produit par la destruction de Thêbes fut celui d’une terreur insurmontable dans toutes les cites grecques. Toutes cherchèrent à faire lotir paix avec le vainqueur. Non seulement le contingent arkadien retourna de l’isthme dans sa patrie, mais même il condamna ses chefs à mort. Les Eleiens rappelèrent d’exil leurs principaux citoyens amis des Macédoniens pour leur rendre l’ascendant à l’intérieur. Toutes les tribus des 1Eteliens envoyèrent respectivement des députés à Alexandre pour lui demander pardon de leurs manifestations contre lui. A Athènes, nous lisons avec surprise que, le jour même où Thêbes fut attaquée et prise, la grande fête de Dêmêtêr Eleusinienne, avec sa nombreuse procession de fidèles, se rendant d’Athènes à Eleusis, se célébrait réellement à une distance de deux journées de marche de la cité assiégée. La plupart des fugitifs thêbains qui réussirent à s’échapper s’enfuirent en Attique, comme dans le lieu de refuge le plus rapproché, communiquant aux Athéniens leur détresse et leur terreur. La fête fut suspendue sur-le-champ. Tout le monde entra précipitamment dans les murs d’Athènes[101]. on apportait avec soi ses biens mobiliers pour les mettre en sûreté. On craignait généralement que le vainqueur ne s’avançât directement vers l’Attique, et l’on flet à la hâte des préparatifs de défense. Dans cet état de choses, les personnes les plus alarmées et dont le danger était le plus réel furent naturellement Démosthène, Lykurgue, Charidêmos et tous ceux qui avaient parlé le plus haut contre la Macédoine, et qui avaient essayé de décider les Athéniens à épouser ouvertement la cause de Thêbes. Toutefois, nonobstant cette crainte de conséquences pour eux-mêmes, les Athéniens accordèrent abri et sympathie aux infortunés fugitifs thêbains. Ils continuèrent à le faire même quand ils ont dû savoir qu’ils contrevenaient à l’édit de proscription que venait de sanctionner Alexandre. Bientôt après arrivèrent des députés de ce monarque avec une lettre menaçante, demandant formellement qu’on lui livrât huit ou dix Viles principaux citoyens d’Athènes, Démosthène, Lykurgue, Hypéride, Polyeuktos, Mœroklês, Diotimos[102], Ephialtês et Charidêmos. Les quatre premiers étaient des orateurs éminents, les deux derniers des militaires, tous défenseurs zélés d’une politique anti-macédonienne. Alexandre, dans sa lettre, dénonçait ces dix personnes comme étant les causes de la bataille de Chæroneia, des résolutions offensives qui avaient été adoptées à Athènes après la mort de Philippe, et même des récents actes hostiles des Thêbains[103]. Cette sommation importante, impliquant le droit d’une libre parole et d’un débat public à. Athènes, fut soumise à l’assemblée. Une demande semblable avait été précisément faite aux Thêbains, et l’on pouvait lire les conséquences du refus non moins clairement dans la destruction de leur cité que dans les menaces du vainqueur. Que, même dans ces circonstances critiques, ni orateur ni peuple n’aient manqué de courage, — c’est ce que nous savons comme fait général, bien que nous n’ayons pas l’avantage — comme Tite-Live[104] l’eut à son époque — de lire les discours prononcés dans le débat. Démosthène, insistant sur ce point que le sort ides citoyens en général ne pouvait être séparé de celui des victimes désignées, raconta, dit-on, dans le cours de sa harangue, la vieille fable — du loup qui demande aux moutons de lui abandonner les chiens qui les protègent, comme condition de paix, — et qui ensuite dévore sur-le-champ les moutons sans protecteurs. Lui et ceux qu’on demandait avec lui avaient droit à la protection du peuple, dont la cause seule qu’ils défendaient les avait exposés à la colère du vainqueur. Phokiôn, d’autre part, — silencieux d’abord et ne se levant que contraint par des appels spéciaux de la voix populaire, — soutint qu’il n’y avait pas assez de forces pour résister à Alexandre, et que les personnes en question devaient être livrées. Il leur fit même appel individuellement, leur rappelant le dévouement volontaire des filles d’Erechtheus, mémorable dans la légende attique, — et les invitant a se livrer elles-mêmes spontanément, afin de détourner un malheur public. Il ajoutait que lui (Phokiôn) offrirait avec joie soit lui-même, soit son meilleur ami si, par un pareil sacrifice, il pouvait sauver la cité[105]. Lykurgue, l’un des orateurs dont l’extradition était demandée, répondit a ce discours de Phokiôn avec véhémence et amertume, et le sentiment public le suivit en rejetant avec indignation l’avis de Phokiôn. Par un patriotisme résolu extrêmement honorable dans cette conjoncture critique, il fut décrété qu’on ne livrerait pas les personnes demandées[106]. Sur la proposition de Démade, on envoya à Alexandre une ambassade chargée de conjurer sa colère contre les dix, et de l’engager à les punir par une sentence judiciaire, si on pouvait prouver un crime contre eux. Démade, qui, dit-on, avait reçu de Démosthène un présent de cinq talents, se chargea de cette mission. Mais Alexandre fut d’abord inexorable ; il refusa même d’entendre les députés, et persista dans sa demande. Ce ne fut que grâce à une seconde ambassade, dont Phokiôn fut le chef, qu’on obtint un adoucissement aux conditions. On persuada à Alexandre de retirer sa requête, et de se contenter du bannissement de Charidêmos et d’Ephialtês, les deux chefs militaires anti-macédoniens. Tous deux conséquemment, et vraisemblablement d’autres Athéniens avec eux, passèrent en Asie, où ils prirent du service sous Darius[107]. Au fait, il n’entrait pas dans le plan d’Alexandre d’entreprendre un siége qui pouvait être long et difficile, puisque les Athéniens avaient des forces navales supérieures, avec la mer qui leur était ouverte et la chance d’un appui efficace de la Perse. Quand donc il vit qu’on était décidé à résister fermement à sa demande au sujet des dix orateurs, des considérations de politique triomphèrent graduellement de sa colère et l’amenèrent à se relâcher de sa rigueur. Phokiôn revint à Athènes comme porteur des concessions d’Alexandre, délivrant ainsi les Athéniens d’une anxiété et d’un péril extrêmes. Son influence, — déjà grande et d’ancienne date, puisque pendant les années passées il avait été perpétuellement réélu général, — devint plus grande que jamais, tandis que celle de Démosthène et des autres orateurs anti-macédoniens doit avoir diminué. Ce ne fut pas un médiocre avantage pour Alexandre, victorieux comme il l’était, de s’assurer l’incorruptible Phokiôn comme chef du parti favorable aux Macédoniens à Athènes. Ses projets contre la Perse étaient principalement exposés à échouer par la possibilité d’une opposition que soulèverait contre lui en Grèce l’action de l’argent et des vaisseaux persans. Pour tenir Athènes en dehors de ces combinaisons, il avait à compter sur l’influence personnelle et sur le parti de Phokiôn, qui, comme il le savait, avait toujours dissuadé ses concitoyens de résister à l’agrandissement continu de son père Philippe. Dans sa conversation avec Phokiôn sur l’expédition asiatique projetée, Alexandre prit quelque peine pour flatter l’orgueil d’Athènes en la représentant comme n’étant inférieure qu’à lui-même, et comme avant droit à l’hégémonie de la Grèce, s’il lui arrivait quelque chose[108]. Ces compliments étaient faits pour être répétés dans l’assemblée athénienne ; et, à dire vrai, le prince macédonien pouvait naturellement préférer l’idée de l’hégémonie athénienne à celle de Sparte, en voyant que Sparte se tenait à l’écart et lui refusait ouvertement obéissance. L’animosité d’Alexandre étant apaisée, Athènes reprit sa position comme membre de la confédération sous son autorité souveraine (automne 335 av. J.-C.). Sans visiter l’Attique, il se rendit alors à l’isthme de Corinthe, où probablement il reçut de diverses cités grecques des députations conjurant son déplaisir, et déclarant leur soumission à son empire comme chef suprême. Il présida probablement aussi une réunion du congrès des Grecs, où il dut exiger les contingents nécessaires pour son expédition projetée en Asie, qu’il devait entreprendre le printemps suivant. A la déférence et à la soumission universelles qu’il rencontrait partout, il se trouva une seule exception,-le philosophe cynique Diogenês, qui résidait à Corinthe, et qui, faisant complètement abnégation de lui-même, se contentait d’un tonneau pour demeure et de l’existence la plus grossière. Alexandre s’approcha de lui avec une suite nombreuse, et lui demanda s’il désirait quelque chose ; à quoi Diogenês répliqua, dit-on : — Rien, si ce n’est que tu t’écartes un peu de mon soleil. Le philosophe et sa réponse provoquèrent des rires parmi les assistants ; mais Alexandre fut si frappé du caractère libre et indépendant attesté par cette parole, qu’il s’écria : — Si je n’étais pas Alexandre, je voudrais être Diogène[109]. Après avoir visité l’oracle de Delphes et reçu de la prêtresse ou lui avoir arraché[110] une réponse qui était une promesse favorable pour ses plans asiatiques, il retourna en Macédoine avant l’hiver (335-334 av. J.-C.). L’effet le plus important et durable de son séjour en Grèce fut le rétablissement de la Bœôtia, c’est-à-dire la destruction de Thêbes, et le rétablissement d’Orchomenos, de Thespiæ et de Platée se partageant le territoire thêbain, toutes gardées et surveillées par une garnison macédonienne dans la Kadmeia. Il aurait été intéressant d’apprendre quelques détails au sujet de ce procédé de destruction et de restauration des villes bœôtiennes, procédé qui non seulement provoquait de fortes manifestations de sentiment, mais encore impliquait d’importantes et difficiles questions à régler. Mais malheureusement nous ne savons rien au delà du fait général. Alexandre quitta la Grèce pour Pella dans l’automne de 335 avant J.-C., et il ne la revit jamais. Il paraît que pendant cet été, tandis qu’il était engagé dans des opérations en Illyrie et à Thêbes, l’armée macédonienne sous Parmeniôn en Asie avait eu à lutter contre une armée persane ou contre des Grecs mercenaires, commandés par Memnon le Rhodien. Parmeniôn, s’avançant en Æolis, assiégea et prit Grynion ; ensuite il attaqua Pitanê, mais il fut forcé par Memnon de lever le siège. Memnon gagna même une victoire en Troade sur l’armée macédonienne, commandée par Kallas, et la contraignit de se retirer à Rhœteon. Mais il échoua dans la tentative qu’il fit pour surprendre Kyzikos, et fut obligé de se contenter de piller le territoire adjacent[111]. On affirme que Darius s’occupa cet été à faire des préparatifs considérables, navals aussi bien que militaires, pour résister à l’expédition projetée d’Alexandre. Cependant tout ce que nous apprenons au sujet de ce qui fut réellement fait n’implique rien au delà de forces ordinaires. |
[1] Plutarque, Alexandre, c. 5, 6.
[2] Æschine, cont. Timarchos, p. 167.
[3] Plutarque, Alexandre, 5.
[4] Plutarque, Alexandre, 9. Justin dit qu’Alexandre accompagna son père pendant une partie de la guerre en Thrace (IX, 1).
[5] Plutarque, Alexandre, 10. Arrien, III, 6, 8.
[6] Voir le troisième chapitre de la vie de Demêtrios Poliorkêtês par Plutarque, où l’on trouve une description animée des sentiments qui régnaient entre les membres des familles royales dans ces temps. Demêtrios, revenant de chasser avec ses javelines de chasse à la main, monte chez son père Antigonos, le salue et s’assied à ses côtés sans se désarmer. Cette circonstance est vantée comme une preuve sans pareille de la confiance et de l’affection qui existaient entre le père et le fils. Dans les familles de tous les autres diadochi (dit Plutarque), les meurtres de fils, de mères et d’épouses étaient fréquents, — les meurtres de frères étaient même communs ; on les regardait comme des précautions nécessaires à la sécurité.
Cf. Tacite, Histoires, V, 8, au sujet des querelles de famille chez les rois de Judée ; et Xénophon, Hiéron, III, 8.
En mentionnant la famille Antigonide, comme une favorable exception, nous devons limiter notre assertion au premier siècle de cette famille. La sanglante tragédie de Perseus et de Demêtrios précéda de peu la ruine de l’empire.
[7] Arrien, I, 25, 2 ; Justin, XI, 2. Voir tome XVII, chapitre V, vers la fin.
[8] Arrien, De Rebus post Alexandrum, Fragm., ap. Photium, Cod. 92, p. 220 ; Plutarque, De Fortunâ Alex. Magn., p. 327.
[9] Diodore, XVII, 2.
[10] Arrien, I, 25, 2 ; Quinte-Curce, VII, 1, 6. Alexandre, fils d’Aeropos, était gendre d’Antipater. Le cas de cet Alexandre — et celui d’Olympias — fournirent une certaine base à ceux qui dirent (Quinte-Curce, VI, 43) qu’Alexandre avait traité favorablement les complices de Pausanias.
[11] Plutarque, Alexandre, 10-27 ; Diodore, XVII, 51 ; Justin, XI, 11.
[12] Arrien, II, 14, 10.
[13] Quinte-Curce, VI, 9, 17 ; VI, 10, 24. Arrien mentionnait cet Amyntas, fils de Perdikkas (aussi bien que le fait de sa mort ordonnée par Alexandre avant l’expédition d’Asie), dans l’ouvrage perdu τά μετά Άλέξανδρον. — Voir Photius, Cod. 92, p. 220. Mais Arrien, dans son récit de l’expédition d’Alexandre, ne mentionne pas le fait ; ce qui prouve que son silence ne doit pas être admis comme raison concluante pour discréditer les allégations d’autres auteurs.
Cf. Polyen, VIII, 60 ; et Plutarque, De Fortunâ Alexandri Magni, p. 327.
Ce fut pendant son expédition en Thrace et eu Illyrie, environ huit mois après son avènement, qu’Alexandre promit de donner sa sœur Kynna en mariage à Langaros, prince des Agrianes (Arrien, Exp. Alex. Mag., I, 5, 7). Langaros mourut de maladie peu après, de sorte que ce mariage ne se fit jamais. Toutefois, quand la promesse fut faite, Kynna devait être veuve. Son mari Amyntas doit donc avoir été mis à mort pendant les premiers mois du règne d’Alexandre.
[14] Voir le dernier chapitre du volume XVII ; Diodore, XVII, 2 ; Quinte-Curce, VII, 1, 6 ; Justin, IX, 7 ; XI, 2 ; XII ; 6. Plutarque, Alexandre, 10 ; Pausanias, VIII, 7, 5.
[15] Arrien, I, 17, 10 ; Plutarque, Alexandre, 20 ; Quinte-Curce, III, 28, 18.
[16] Quinte-Curce, VI, 42,20. Cf. avec cette coutume un passage de l’Ajax de Sophokle, v. 725.
[17] Æschine, adv. Ktesiphôn, c. 29, p. 469 ; c. 78, p. 603 ; Plutarque, Démosthène, 22.
[18] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 547, c. 50.
[19] Plutarque, Phokiôn, 16.
[20] C’est ce que nous pouvons conclure d’Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 551, c. 52.
[21] Diodore (XVII, 5) mentionne cette communication de Démosthène à Attalos, que, toutefois, je ne puis m’empêcher de croire invraisemblable. Probablement Charidêmos fut l’organe des communications.
[22] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 633, 634, c. 88, fait distinctement allusion à cette lettre de Darius, et même il en cite une phrase. Nous savons que Darius écrivit dans un langage très différent peu de temps après, vers le temps où Alexandre passa en Asie (Arrien, II, 14, 11). La première lettre a dû être envoyée peu après la mort de Philippe, quand Darius se vantait publiquement d’y avoir eu part, et avant qu’il eût encore appris à craindre Alexandre. Cf. Diodore, XVII, 7.
[23] Diodore, XVII, 3.
[24] Diodore (XVII, 3) dit que les Thêbains rendirent un vote à l’effet de chasser la garnison macédonienne de la Kadmeia. Mais j’hésite peu à rejeter cette assertion. Nous pouvons être sûrs que la présence de la garnison macédonienne se rattachait à la prépondérance dans la cité d’un parti favorable à la Macédoine. L’année suivante, quand la résistance se fit réellement sentir, elle fut faite par le parti anti-macédonien, qui revint alors d’exil.
[25] Demadis Fragm. Ύπέρ τής δωδικαετίας, p. 180.
[26] Arrien, I, 1, 4.
[27] Plutarque, Reip. Ger. Præcept., p. 804.
[28] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 564, c. 50 ; Dinarque, cont. Demosth., p. 57 ; Diodore, XVII, 4 ; Plutarque, Démosthène, c. 23 (Plutarque confond les opérations de cette année avec celtes de l’année suivante). Démade, dans le fragment de son discours qui nous reste, ne fait pas allusion à cette démarche de Démosthène.
Il est assez vraisemblable que ce décret, qui nommait Démosthène au nombre des ambassadeurs, fut rendu surtout par les votes de ses ennemis. Il était toujours permis à, un citoyen d’accepter ou de refuser une pareille nomination.
[29] Plusieurs années après, Démade lui-même fut mis à. mort par Antipater, vers lequel il avait été envoyé comme ambassadeur par Athènes (Diodore, XVIII, 48).
[30] Arrien, I, 1, 2. — Arrien parle comme si cette requête avait été adressée seulement aux Grecs dans l’intérieur du Péloponnèse ; de plus, il ne mentionne pas d’assemblée a Corinthe, réunion qui est signalée (bien qu’avec quelque confusion) par Diodore, Justin et Plutarque. Les cités au dehors du Péloponnèse, aussi bien que celles de l’intérieur de la péninsule, ont dû être comprises ; à moins que nous ne supposions que la résolution de l’assemblée amphiktyonique, qui avait été rendue antérieurement, était considérée comme comprenant toutes les cités extra-péloponésiennes, ce qui ne semble pas probable.
[31] Démosthène (ou Pseudo-Démosthène), Orat. XVII, De Fœdere Alexandrino, p. 213, 214.
[32] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 213.
[33] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 215.
[34] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 217.
[35] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 218, 219. Boehnecke, dans ses commentaires instructifs sur cette convention (Forschungen auf dem Gebiete der Attischen Redner, p. 623) a considéré la prohibition mentionnée ici comme si c’était une défense obligeant spécialement les Macédoniens à ne pas entrer dans le Peiræeus avec des vaisseaux armés. C’est là, indubitablement le cas sur lequel l’orateur insiste ; mais je le considère comme ayant été seulement un cas particulier dans un règlement prohibitif général.
[36] Arrien, II, 1, 7 ; II, 2, 4. Démosthène, De Fœdere Alex., p. 213. Ténédos, Mitylênê, Antissa et Eresos peuvent difficilement avoir été membres de la convention quand elle fut jurée pour la première fois.
[37] Démosthène, Orat. De Fœdere Alex., p. 215, 216.
Les personnes désignées par οί δέ, et dénoncées dans tout ce discours en général, sont les officiers et les soldats macédoniens ou Alexandre.
Un passage de Dinarque, cont. Démosthène, p. 14, amène à supposer qu’une armée macédonienne permanente était tenue à Corinthe, occupant l’isthme. Les Thêbains déclarés contre la Macédoine (en août ou septembre 335 av. J.-C.), et commençant à assiéger la garnison macédonienne dans la Kadmeia, envoyèrent des députés demander le secours des Arkadiens. Les députés (selon Dinarque) arrivèrent avec difficulté par mer jusqu’aux Arkadiens. D’où provenait cette difficulté ; si ce n’est d’une occupation de Corinthe par les Macédoniens ?
[38] Arrien, I, 16, 10. Après la mort de Darius, Alexandre déclara que les Grecs mercenaires qui avaient servi sous ce prince étaient extrêmement coupables pour avoir contrevenu au vote général des Grecs, excepté ceux qui avaient pris au service avant que ce vote eût passé, et les Sinopæens qu’Alexandre considérait comme sujets de la Perse et non comme participant τοΰ κοινοΰ τών Έλλήων (Arrien, III, 23, 15 ; III, 24, 8, 9).
[39] C’est le discours περί τών πρός Άλεξανδρον συθηκών auquel il est déjà fait allusion plus d’une fois ci-dessus. Bien qu’il se trouve parmi les œuvres de Démosthène, Libanius et la plupart des critiques modernes supposent qu’il n’est pas la production de cet orateur, — sur des raisons intrinsèques de style, qui ont certainement de la force. Libanius dit qu’il a beaucoup de ressemblance avec le style d’Hypéride. En tout cas, il ne semble pas qu’il y ait lieu de douter que ce ne soit un discours véritable de l’un des orateurs contemporains. Je suis d’accord avec Boehnecke (Forschungen, p. 629) pour croire qu’il a dû être prononcé peu de mois après la convention avec Alexandre, avant la prise de Thêbes.
[40] Démosthène (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 216.
[41] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 214, 215.
[42] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène) Orat. De Fœdere Alex., p. 212, 214, 215, 220, où l’orateur parle d’Alexandre comme du τύρανιος de la Grèce. L’orateur soutient (p. 213) que les Macédoniens avaient reconnu le despotisme comme contraire à la convention, au point qu’ils avaient chassé les despotes des villes d’Antissa et d’Eresos dans Lesbos. Mais probablement ces despotes étaient en correspondance avec les Perses sur le continent opposé, ou avec Memnôn.
[43] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 215.
[44] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 217, 218. Nous savons qu’Alexandre ordonna qu’une escadre de vaisseaux allât de Byzantion au Danube et remontât ce fleuve (Arrien, I, 3, 3), pour le rencontrer quand il s’y serait rendu par terre, en partant de la côte méridionale de Thrace. Il n’est pas improbable que les navires athéniens retenus soient venus chargés d’une provision de blé, et que la détention des navires de blé ait été destinée à faciliter cette opération.
[45] Démosthène (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 219.
[46] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 211. — Je donne ici le sens général, sans m’astreindre aux termes exacts.
[47] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 213. Cf. p. 214, init.
[48] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 217.
[49] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 214.
[50] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène), Orat. De Fœdere Alex., p. 220.
[51] Démosthène, (ou Pseudo-Démosthène,) Orat. De Fœdere Alexandre.
[52] Diodore, XVII, 7.
[53] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 634 ; Dinarque, adv. Demosth., s. 11-19, p. 9-14. C’est Æschine qui affirme que les trois cents talents furent envoyés an peuple athénien et refusés par lui.
Trois ans plus tard, après la bataille d’Issus, Alexandre, dans sa lettre à. Darius, accuse ce prince d’avoir envoyé en Grèce et des lettres et de l’argent, dans le dessein d’exciter la guerre contre lui. Alexandre dit que les Lacédœmoniens acceptèrent l’argent, mais que toutes les autres cités grecques le refusèrent. (Arrien, II, 14, 9). Il n’y a pas de raison pour douter de ces faits, mais je ne trouve rien qui identifie le moment précis auquel Alexandre fait allusion.
[54] Strabon parle des έθνη thraces comme étant au nombre de vingt-deux, en état de mettre sur pied 200.000 fantassins et 15.000 chevaux (Strabon, VII, Fragm. Vatic., 48).
[55] Strabon, VII, p. 331 (Fragm.) ; Arrien, 1, 17 6 ; Appien, Bell. Civil., IV, 87, 105, 106. Appien donne (IV, 103) une bonne description générale du pays infranchissable et sans route au nord et au nord-est de Philippi.
[56] Arrien, I, I, 127 17. La place précise de cette route escarpée par laquelle Alexandre franchit le Balkan, ne peut être déterminée. Le baron von Moltke, dans son récit de la campagne des Russes en Bulgarie (1828-1829), donne une énumération de quatre routes, qu’une armée peut passer, et qui traversent cette chaîne dit nord au sud (V. chap. 1 de cet ouvrage). Mais nous ne pouvons dire si Alexandre passa par l’une des quatre ou par quelque autre route encore plus à l’ouest.
[57] Arrien, I, 2.
[58] Strabon, VII, p. 303.
[59] Arrien, I, 4, 2-7.
[60] Ni le point où Alexandre franchit le Danube, — ni la situation de l’île appelée Peukê, ni l’identité de la rivière de Lyginos, — ni la partie du mont Ha mus, où Alexandre s’ouvrit un passage de force, — ne peuvent être déterminés. Les renseignements donnés par Arrien sont trop brefs et trop maigres, pour qu’on puisse établir avec assurance aucune partie de sa marche après qu’il eut traversé le Nestos. Les faits rapportés par l’historien ne représentent qu’une petite partie de ce que fit réellement Alexandre dans cette expédition.
Toutefois il paraît évident que le dessein principal d’Alexandre était d’attaquer et d’humilier les Triballes. Leur localité est connue généralement comme étant la région où la moderne Servie rejoint la Bulgarie. Ils allaient à l’est (du temps de Thucydide) jusqu’à la rivière Oskius ou Isker, qui traverse la chaîne de l’Hæmus du sud au nord, passe par la cité moderne de Sophia, et tombe dans le Danube. Or Alexandre, afin de conduire son armée de la rive orientale de la rivière Nestos, près de son embouchure, au pays des Triballes, dut naturellement passer par Philippopolis, cité qui paraît avoir été fondée par son père Philippe, et avait probablement en conséquence une route régulière de communication jusqu’aux régions maritimes (V. Étienne de Byz. v. Φιλιππόπολες). Alexandre dut ensuite franchir le mont Hæmus, quelque part au nord-ouest de Philippopolis. Nous lisons dans l’année376 avant J.-C. (Diodore, XV, 36) une invasion d’Abdéra par les Triballes ; ce qui prouve qu’il y avait une route, bonne pour une armée, depuis leur territoire jusqu’au côté oriental de l’embouchure du Nestos, où Abdêra était située. Ce fut la route que vraisemblablement suivit Alexandre. Mais il doit probablement avoir fait un circuit considérable vers l’est ; car la route que Paul Lucas dit avoir prise directement de Philippopolis à Drama ne peut guère avoir été bonne pour une armée.
Il se peut que la rivière de Lyginos soit l’Isker moderne, mais ce n’est pas certain. L’île appelée Peukê est plus embarrassante encore. Strabon en parle comme si elle se trouvait près de l’embouchure du Danube (VII, p. 301-305). Mais il semble impossible que soit le cercle des Triballes, soit la marche d’Alexandre, puisse s’être étendu si loin à l’est. Comme Strabon (aussi bien qu’Arrien) copia la marche d’Alexandre sur Ptolémée, dont l’autorité est très bonne, nous sommes forcé de supposer qu’il y avait une seconde île appelée Peukê un peu plus haut en remontant le fleuve.
La géographie de la Thrace est si peu connue, que nous ne pouvons nous étonner de ne pouvoir identifier ces endroits. Nous connaissons, et cela d’une manière imparfaite, les deux grandes routes qui partent toutes deux de Byzantion ou Constantinople. 1° L’une (appelée la route du Roi, pour avoir été en partie la direction de la marche de Xerxès quand il envahit la Grèce, Tite-Live, x, 27 ; Hérodote, VII, 115) traversant l’Hebros et le Nestos, touchant la côte septentrionale de la mer Ægée à Neapolis, un peu au sud de Philippi, puis franchissant le Strymôn à Amphipolis, et s’étendant par Pella à travers la Macédoine intérieure et l’Illyrie jusqu’à, Dyrrachium (la via Egnatia). 2° L’autre, prenant une direction plus septentrionale, passant le long de la vallée supérieure de l’Hebros d’Adrianopolis à Philippopolis, ensuite par Sardica (Sophia) et Naissos (Nisoh), jusqu’au Danube, près de Belgrade ; c’est la grande route qui mène aujourd’hui de Constantinople à Belgrade.
Mais à part ces deux routes, à peine tonnait-on quoi que ce soit du pays. En particulier, la région montagneuse du Rhodopê, bornée à l’ouest par le Strymôn, au nord et à l’est par l’Hebros, et au sud par la mer Ægée, est une Terra incognita, à l’exception des quelques colonies grecques sur la côte. Très peu de voyageurs ont suivi on décrit la route méridionale on route du Roi, tandis que la région de l’intérieur, à part la grande route, était absolument inexplorée jusqu’à la visite de M. Viquesnel en 1817, chargé d’une mission scientifique par le gouvernement français. Le court, mais intéressant exposé, composé par M. Viquesnel, de ce district raboteux et impraticable, est contenu dans les a Archives des Dussions scientifiques et littéraires+ de 1850, publiées à Paris. Malheureusement la carte destinée à accompagner cet exposé n’a pas encore été préparée ; mais les renseignements publiés, tels qu’ils sont, Kiepert les a employés pour construire sa carte récente de la Turquie d’Europe, la meilleure carte de ces régions qui existe aujourd’hui, bien qu’elle soit encore très imparfaite. Les explications (Erlaeuntorangen) annexées par Kiepert, à sa carte de Turquie, montrent les données défectueuses sur lesquelles est fondée la cartographie de ce pays. Jusqu’à l’examen de M. Viquesnel, on peut dire que la partie supérieure au cours du Strymôn, et presque tout le cours du Nestos étaient totalement inconnus.
[61] Arrien, 1, 4, 5 ; Strabon, VII, p. 301.
[62] Pour la situation de Pelion, cf. Tite-Live, XXXI, 33, 34, et les remarques du colonel Leake, Travels in Northern Greece, vol. III, eh. 28, p. 310.324.
[63] En admettant qu’Alexandre fût dans le territoire des Triballes, la moderne Servie, il dut dans cette marche suivre surtout la route qui est fréquentée aujourd’hui entre Belgrade et Bitolia, par la plaine de Kossovo, Pristina, Katchanik (tournant sur son côté nord-est le Ljubatrin, promontoire nord-est qui termine la chaîne du Skardos), Uschkub, Kuprili, le long du cours supérieur de l’Axios ou Vardar, jusqu’au point où l’Erigôn ou Tscherna rejoint cette rivière au-dessous de Kuprili. Là il dut être au milieu des Pæoniens et des Agrianes, à l’est, et des Dardani et des Autariatæ, au nord et à l’ouest. Si ensuite il suivit le cours de l’Erigôn, il dut passer par les parties de la Macédoine appelées alors Deuriopia en Pelagonia ; il dut aller entre les crêtes de montagnes, par lesquelles l’Erigôn se fait jour, appelées Nidji au sud, et Babuna au nord. Il dut passer ensuite à Florina, et non à Bitolia.
V. la carte de ces régions par Kiepert, — partie de sa récente carte de la Turquie d’Europe, — et une description de la voie en général par Grisebach.
[64] Arrien, I, 5, 12.
[65] Arrien, I, 6, 3-18.
[66] Arrien, I, 6, 19-22.
[67] Arrien, I, 7, 5.
[68] Ælien, V. H., XII, 57.
[69] Démade, Ύπέρ τής δωδεκαετίας, s. 14.
[70] Voir ce que les Thêbains disent, en exposant leurs plaintes aux Arkadiens. Voir Démade : Περί τής δωδεκαετίας, s. 13, le discours de Cleadas, Justin, XI, 4, et (Dinarque, cont. Demosth., s. 20) cf. Tite-Live, XXXIX, 27, — au sujet de l’action de la garnison macédonienne à Maroneia, du temps de Philippe, fils de Demetrios.
[71] Démade, Περί τής δωδεκαετίας, Fragm., ad fin.
[72] Arrien, I, 7, 3.
[73] Démade. Justin, XI, 2. C'est l'orateur Démosthène qui les a poussées à la révolte : séduit par l'or des Barbares, il a déclaré que l'armée Macédonienne avait péri avec son roi sous le fer des Triballiens, et il a produit, en pleine assemblée, un témoin qui disait avoir été blessé lui-même dans le combat où le roi avait perdu la vie.
Cf. Tacite, Histoires, I, 34. A peine était-il sorti qu'on annonce qu'Othon vient d'être tué dans le camp. Ce n'était d'abord qu'un bruit vague et incertain ; bientôt, comme il arrive dans les grandes impostures, des hommes affirment qu'ils étaient présents, qu'ils ont vu ; et la nouvelle est accueillie avec toute la crédulité de la joie ou de l'indifférence.... Julius Atticus, vint à sa rencontre, et, lui montrant son épée toute sanglante, s'écria qu'il venait de tuer Othon.
On affirme qu’Alexandre fut réellement blessé à la tête par une pierre, dans l’action avec les Illyriens (Plutarque, Fortun. Alex., c. 327).
[74] Arrien, I, 7, l ; cf. Dinarque, cont. Démosthène, s. 75, p. 53.
[75] Arrien, I, 7, 3-17.
[76] Xénophon, Hellenica, V, 4, 11. Cf. tome XIV, ch. 4 de cette Histoire.
[77] Arrien, I, 7, 14.
[78] Diodore, XVII, 8.
[79] Dinarque, cont. Démosthène, p. 147, s. 19.
Dans le vote rendu quelques années plus tard par le peuple d’Athènes, à l’effet d’accorder une statue et d’autres honneurs à Démosthène, ces actes dans le Péloponnèse sont énumérés parmi ses titres à la reconnaissance publique. (Plutarque, Vit. X Orator., p. 850).
[80] Arrien, I, 10, 2 ; Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 634.
[81] Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 634 ; Dinarque, adv. Demosth., p. 15, 16, s. 19-22.
[82] V. Hérodote, VIII, 143. Démosthène, dans ses discours, insiste fréquemment sur le rang et la position différents d’Athènes, en tant que comparés à ceux des États grecs plus petits, — et sur les obligations plus 6 élevées et pins difficiles qui en résultent. C’est un grand point de distinction entre sa politique et celle de Phokiôn. Voir nu passade frappant dans le discours De Corona, p. 245, s. 77, et Orat. De Republ. Ordinandô, p.176, s. 37.
Isocrate, tient le même langage touchant les obligations de Sparte, — dans le discours qu’il prête à Archidamos. Personne ne cherchera querelle aux Epidauriens et aux Phliasiens, pour ne songer qu’aux moyens de se tirer d’affaire et de conserver leur existence. Mais quant aux Lacédæmoniens, il leur est impossible de viser simplement à leur conservation et à rien au delà, — par tous les moyens, quels qu’ils puissent être. Si nous ne pouvons nous conserver avec honneur nous devons préférer une mort glorieuse. (Isocrate, Orat. VI, Archidam., s. 106).
La politique étroite et mesquine qu’Isocrate proclame loi comme bonne pour Epidauros et Phlionte, mais non pour Sparte, est précisément ce que Phokiôn recommandait toujours pour Athènes, même quand naissait la puissance de Philippe et qu’elle n’était pas encore établie.
[83] Arrien, I, 7, 9.
[84] Arrien, I, 7, 6. Voir, relativement à cette région, Travels in Northern Greece du colonel Leake, ch. 6, p. 300-304 ; ch. 28, p. 303-305, etc.
[85] Diodore (XVII, 9) dit d’une manière inexacte qu’Alexandre revint inopinément de Thrace. S’il en avait été ainsi, il serait venu par Pella.
[86] Diodore, XVII, 9 ; Plutarque, Alexandre, 11.
[87] Arrien, I, 7, 16.
[88] Diodore, XVII, 9.
[89] Diodore, XVII, 9,
[90] L’attaque de Perdikkas était représentée par Ptolémée, que copie Arrien (I, 81 1), non seulement comme étant la première et la seule attaque dirigée contre Thêbes par l’armée macédonienne, mais comme étant faite par Perdikkas sans l’ordre d’Alexandre, qui fut forcé de l’appuyer afin d’empêcher que Perdikkas ne fût écrasé par les Thêbains. Conséquemment, belon Ptolémée et Arrien, Passant de Thêbes fut donné sans l’ordre d’Alexandre et contre son désir ; de plus, la prise fut rapidement effectuée sans beaucoup de peine pour l’armée assiégeante (Arrien, I, 97 9) : le massacre et le pillage furent commis par le sentiment vindicatif des alliés bœôtiens.
Diodore avait sous les yeux un récit très différent. Il affirme qu’Alexandre combina et ordonna à la fois l’assaut, — que les Thêbains se comportèrent comme des hommes hardis et désespérés, résistant avec opiniâtreté et pendant longtemps, que le massacre fut commis ensuite par le corps général des assaillants, les alliés bœôtiens se faisant sans doute remarquer parmi eux. Diodore donne ce récit avec quelque longueur, et avec ses amplifications de rhétorique habituelles. Plutarque et Justin sont plus brefs ; mais ils présentent tous les deux la même manière de voir générale, mais ils ne coïncident pas avec Arrien. Le récit de Polyen (IV, 3, 12) diffère de tous les autres.
Pour moi, je crois que le récit de Diodore est (dans sa base, et en écartant les amplifications de rhétorique) plus croyable que celui d’Arrien. En admettant l’attaque faite par Perdikkas, je la regarde comme une partie du plan général d’Alexandre. Je ne puis considérer comme probable que Perdikkas attaquât sans ordres, on que Thêbes fût prise avec peu de résistance. Elle fut prise par un seul assaut (Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 524), mais par un assaut bien combiné et vivement disputé, — et non par un assaut commencé sans préparatifs ni ordres, et réussissant après avoir rencontré à peine de résistance. Alexandre, après avoir offert ce qu’il croyait être des conditions libérales, n’était pas homme à reculer devant l’idée d’en venir à ses uns par la force ; et les Thébains n’auraient pas rejeté ces conditions, si leurs esprits n’avaient été décidés à faire une défense énergique et désespérée, sans espoir d’un succès définitif.
Quelle autorité suivit Diodore, nous l’ignorons. Il peut avoir suivi Klitarque, contemporain et Æolien, qui doit avoir eu de bons moyens d’information relativement à un événement tel que la prise de Thêbes (V. Geier, Alexandri Mag. Historiarum scriptores ætate suppares, Leipz. 1844, p. 6-152, et Vossius, De Historicis Græcis, 1, X, p. 90, éd. Westermann). Je respecte comme je le dois l’autorité de Ptolémée, mais je ne puis m’associer à Geier et à d’autres critiques qui écartent tous les autres témoins, même contemporains, relatifs à Alexandre, comme dignes de peu de confiance, si ce n’est là où ces témoins sont confirmés par Ptolémée ou Aristobule. Nous devons nous rappeler que Ptolémée ne composa son ouvrage qu’après qu’il fut devenu roi d’Égypte, en 306 avant J.-C., ou à vrai dire qu’après la bataille d’Ipsus, en 301, suivant Geier (p. 1), au moins vingt-neuf ans après le sac de Thêbes. De plus, Ptolémée n’eut pas honte de ce que Geier appelle (p. 11) la pieuse fraude d’annoncer que deux serpents parlants conduisirent l’armée d’Alexandre jusqu’à l’enceinte sacrée de Zeus Ammon (Arrien, III, 3). En dernier lieu, on verra que les dépositions qui se trouvent dans d’autres historiens, mais non dans Ptolémée et Aristobule, se rapportent principalement à des faits déshonorants pour Alexandre. I1 est, à mon sens, beaucoup plus probable que Ptolémée et Aristobule oublièrent ou omirent, qu’il ne l’est que d’autres historiens inventèrent. Des biographes disposés à admirer devaient facilement s’excuser de ne vouloir pas annoncer au monde des actes tels que les Branchidæ massacrés, ou Batis blessé traîné à Gaza.
[91] Arrien, I, 8 ; Diodore, XVII, 12, 13.
[92] Diodore (XVII, 14) et Plutarque (Alexandre, 11) s’accordent en donnant les totaux de 6.000 et de 30.000.
[93] Arrien, I, 9 ; Diodore, XVII, 14.
[94] Justin, XI, 4.
[95] Diodore, XVII, 14 ; Justin, XI, 4 : Pretium non ex ementium commodo, sed ex inimicorum odio extenditur.
[96] Arrien, I, 9, 13.
[97] Arrien, I, 9, 10. Il nous informe (I, 9, 10) qu’il y eut beaucoup de présages antérieurs qui annoncèrent cette ruine : Diodore (XVII, 10), au contraire, énumère un grand nombre de signes antérieurs, tendant tous à encourager les Thêbains.
[98] Plutarque, Alexandre, 11.
[99] Arrien, I, 11, 13. Pour jeter plus de jour sur le sentiment des Grecs, relativement à la colère des dieux causée par la discontinuation d’un culte quand il avait eu une longue durée, je transcris un passage de l’ouvrage du colonel Sleeman relatif aux Hindous, dont les sentiments religieux sont en tant de points analogues à ceux des Hellènes :
Des sacrifices humains furent certainement offerts dans la cité de Saugor pendant tout le gouvernement mahratte, jusqu’à l’année 1800, — où le gouverneur local, Assa-Sahib, homme très humain, y mit fin. J’ai entendu jadis un savant prêtre brahmane dire qu’il croyait que la décadence de son gouvernement (d’Assa-Sahib) résultait de cette innovation.
Il n’y a pas (disait-il) de péché à ne pas offrir aux Dieux de sacrifices humains, où il n’en a pas été offert ; mais là où les Dieux y ont été accoutumés, ils sont tout naturellement blessés quand le rite est aboli, et ils envoient à l’endroit et au peuple toute sorte de calamités. Le prêtre ne semblait pas croire qu’il y eût quelque chose de singulier dans cette manière de raisonner ; peut-être trois prêtres brahmanes sur quatre auraient-ils raisonné de même. (Sleeman, Rambles and Recollections of an Indian Official, vol. I, ch. XV, p. 130.)
[100] Plutarque, Alexandre, 13 : Cf. Justin, XI, 4 ; et Isocrate, ad Philipp. (Or. V, s. 35), où il recommande Thêbes à Philippe, sur la raison d’un culte prééminent rendu à Hêraklès.
Il est à remarquer que tandis qu’Alexandre lui-même se repentait de la destruction de Thêbes, l’orateur favorable aux Macédoniens à Athènes la représente comme une peine juste, quoique déplorable, que les Thêbains se sont attirée par une conduite insouciante et folle (Æschine, adv. Ktesiphôn, p. 524).
[101] Arrien, I, 16, 4.
[102] Le nom de Diotimos est mentionné par Arrien (I, 10, 6), mais non par Plutarque, qui nomme Demon au lieu de lui (Plutarque, Démosthène, c. 23), et Kallisthenês au lieu d’Hypéride. Rous ne savons rien au sujet de Diotimos, si ce n’est que Démosthène (De Coronâ, p. 264) le cite en même temps que Charidêmos, comme avant reçu du peuple une expression de gratitude en retour d’un présent de boucliers qu’il avait fait. Il est mentionné également, avec Charidêmos et autres, dans la troisième des lettres de Démosthène, p. 1482.
[103] Arrien, I, 10, 6 ; Plutarque, Vit. X Orator., p. 847. Diodore, XVII, I5 ; Plutarque, Démosthène, 23.
[104] Tite-Live, IX, 18. Qu'un homme [Alexandre] contre qui les Athéniens, humiliés par les armes des Macédoniens, et voyant tout près d'eux les ruines de Thèbes encore fumantes, n'hésitaient pas à se donner toute licence dans leurs discours (ce qui est prouvé par les harangues qui nous restent de ces temps-là), etc.
[105] Plutarque, Phokiôn, 9-17 ; Diodore, XVII, 15.
[106] Diodore, XVII, 15.
[107] Arrien, I, 10, 8 ; Diodore, XVII, 15 ; Plutarque, Phokiôn, 17 ; Justin, XI, 4 ; Dinarque, cont. Démosthène, p. 36.
Arrien affirme que la visite de Démade avec neuf autres députés athéniens à Alexandre fut antérieure à la demande de ce prince pour l’extradition des dix citoyens. Il assure qu’immédiatement après la nouvelle de la prise de Thêbes, les Athéniens rendirent un vote, sur la proposition de Démade, à l’effet d’envoyer dix députés chargés d’exprimer leur satisfaction qu’Alexandre frit revenu sain et sauf de chez les Illyriens, et qu’il eût puni les Thébains pour leur révolte. Alexandre (suivant Arrien) reçut courtoisement cette ambassade, mais répondit en envoyant au peuple athénien une lettre pour demander avec instance qu’on lui livrât les dix citoyens.
Or Diodore et Plutarque représentent tons deux la mission de Démade comme postérieure à la demande faite par Alexandre pour les dix citoyens, et disent qu’elle était destinée à prévenir et à conjurer cette demande.
A mon sens, le récit d’Arrien est le moins croyable des deux. Je crois extrêmement improbable que les Athéniens voulussent par un vote public exprimer de la satisfaction qu’Alexandre eût puni les Thêbains pour leur révolte. Si le parti favorable aux Macédoniens à Athènes était assez fort pour obtenir ce vote ignominieux, il l’aurait été également pour faire réussir la proposition subséquente de Phokiôn, — à savoir que les dix citoyens demandés fussent livrés. Le fait que les Athéniens accordèrent volontairement asile aux fugitifs thêbains est une raison de plus pour ne pas croire à ce prétendu vote.
[108] Plutarque, Phokiôn, 17 ; Plutarque, Alexandre, 13.
[109] Plutarque, Alexandre, 14.
[110] Plutarque, Alexandre, 14.
[111] Diodore, XVI, 7.